UNE EXPERIENCE
DE LECTURE
CHEZ LES DYSLEXIQUES
Communication et langages/53
par Catherine Caprasse-Bastin
lecture sur le rapport oral-écrit.» Cette phr
st capitale. Elle était & la base d'une expérience de réédu-
cation de malentendants mauvais-lecteurs, décrite dans un précédent numéro
de la présente revue. Ce qui dans ce cas particulier paraissait une évi-
dence; évidence pourtant ignorée de trop nombreux éducateurs: orthopho-
nistes. Ce qui est vrai, également pour ces lecteurs retardataires, trop sou-
vent abusivement affublés du nom presque infamant de dyslexiques. Et ce
‘aul est également vrai pour les apprentis lecteurs normaux. On comprend
alors pourquoi ce sont des méthodes destinées ces derniers, basées sur
une conception essentiellement visuelle du processus de lecture qui se
révélent efficaces pour rééduquer ces enfants ainsi marginalisés, parce que
trop souvent victimes de méthodes d'apprentissage erronées.
Le livre Je deviens un vrai lecteur’ doit nous intéresser parce
qu'il differe fondamentalement des livres de lecture tradition-
nels, qui font le plus souvent de la traduction sonore le passage
obligé pour aller au sens et n'apprennent guére les bons méca-
nismes de lecture tels que les théoriciens les définissent
actuellement.
Cet ouvrage contient toute une série d’exercices qui permettent
d'acquérir une perception visuelle efficiente, un bagage linguis-
tique mieux maitrisé, une capacité d'anticipation, des stratégies
de lecture productives et des techniques de lecture bien spé-
cifiques. Ainsi, et en utilisant de plus leur dynamisme propre
et leur sens du plaisir, les jeunes lecteurs de 9 a 11 ans
auxquels ce livre est destiné apprennent trés vite «la vraie
lecture adulte » qui percoit directement, sans passage par le
langage oral, le message écrit et respecte donc la spécificité
propre de ce langage écrit.
LES EXERCICES PROPOSES
PEUVENT-ILS ETRE UTILISES POUR LES DYSLEXIQUES ?
Nous nous baserons sur les résultats d'une rééducation de
onze enfants de 8 a 13 ans. La plupart étaient déja en rééduca-
tion avant l'expérience et le critére de dyslexie a été établi en
fonction de:
1, «La lecture chez les malentendants», par M.-F. Barat-Payraud, in
Communication et langages, n° 46.
1 bis. Je deviens un vrai lecteur, de 9 4 11 ans par G. Rémond et F. Richau-
deau, Retz, 1978.Linguistique 35
— la difficulté a lire en général ;
— les mauvais résultats scolaires et |'avis des professeurs ;
— les résultats pathologiques au test de lecture « |’alouette »
de P. Lefavrais.
Ces onze enfants ont été entrainés individuellement par 4 logo-
pédes, 13 fois pendant 35 minutes au rythme d'une rééducation
par semaine en moyenne avec le livre Je deviens un vrai lecteur.
Le choix des exercices effectués a été laissé a |'appréciation
des logopédes et des enfants.
L'évolution est testée grace a trois épreuves traditionnelles au
Centre Paul Guns de I'U.C.L. :
— le test de lecture « l'alouette » de P. Lefavrais, Ed. du Centre
de Psychologie Appliquée, 1967 ;
— le test de compréhension de M. Lobrot, Lire, E.S.F., 1973;
— le test d'orthographe de Vaney « Les tests a I'école », Carnets
de Pédagogie pratique, A. Ferré, Colin-Bourr, 1970 ;
et grace a cing exercices du livre représentant l'ensemble des
exercices contenus dans celui-ci, suffisamment simples pour
étre réalisés tous les niveaux de lecture :
— exercice d'habileté perceptive de l'eil (p. 8 et 9);
— exercice de vocabulaire (p. 94) *
— exercice d’anticipation (p. 148 et 149) ;
— exercice de repérage - lecture de recherche (p. 239);
— exercice de compréhension (p. 276 a 279).
Pour chacun de ces exercices, nous avons noté !e temps mis
pour le réaliser et le nombre d’erreurs.
UNE EXPERIMENTATION DE CE TYPE
EST NECESSAIREMENT LIMITEE
A PLUSIEURS POINTS DE VUE
La procédure comporte des variables plus ou moins incontr6-
lables. Il est certain par exemple que chaque logopéde avec
sa personnalité et ses connaissances propres va utiliser diffé-
remment les exercices. La maniére d'appliquer le testing risque
également de varier. (Nous avons choisi quatre logopédes qui
sont toutes issues du méme centre de formation; nous esti-
mons avolr ainsi beaucoup de chances d’éviter des différences
marquées.) En outre, chaque enfant a un passé de rééducation
propre et est a un age de lecture déterminé. De plus, le
contexte psychologique (problémes extérieurs a la dyslexie,
contact avec la logopéde...) est aussi différent pour chacun
d'eux. Enfin, ils sont venus plus ou moins réguliérement aux
séances de rééducation pendant I'expérience. Ces différences
vont certainement influencer les résultats ; mais notre optique
est d'examiner si la méthode est bonne pour tous les dyslexi-
ques quelles que soient Jes caractéristiques de leur probleme.
En outre, l’analyse de |'évolution de la lecture par les deux tests
traditionnels, sélectionnés, est limitée. Le test de l'alouette
est basé sur un certain type de lecture : la lecture orale et laCommunication et langages/53
Une expérience de lecture chez les dyslexiques
lecture déchiffrage. Nous nous en servons pour avoir un « age
précis de lecture », mais nous sommes conscients que ce test
demande d'autres aptitudes que celles qui sont exercées par le
livre. Le test de compréhension de Lobrot est basé sur une
lecture silencieuse et se situe donc plus dans la ligne du livre.
Mais il ne nous donne que la mesure de la compréhension d'un
texte suivi. G. Rémond et F. Richaudeau dans leurs différents
exercices nous montrent combien la compréhension peut étre
multiple : lecture de recherche, lecture de synthése, anticipation.
Enfin, I’analyse de |'évolution de la lecture par une série d’exer-
cices du livre Je deviens un vrai lecteur est également limitée.
Nous ne disposions pas au départ d’étalonnage de la réussite
@ ces exercices. Nous avons tenté d'en établir avec des nor-
molexiques, mais nous ne sommes arrivés a aucun résultat
valable. Nous devrons donc examiner les résultats par rapport
& eux-mémes. En outre, comme on étudiait pour la premiere
fois le livre en rééducation de la lecture, ne sachant pas &
quoi nous attendre et étant limité par nos moyens, nous avons
da prendre un systéme de cotation relativement imprécis et
limité. Il est certain que ‘le temps et le nombre d’erreurs ne
sont qu'une approche de la maniére dont les exercices sont
réussis. Nous n'avons aucune indication sur |'évolution des
mouvements oculaires par exemple. D'autre part, le double cri-
tere rend |’analyse plus difficile.
ANALYSE QUALITATIVE DES RESULTATS
Etant donné ce qui est dit ci-dessus, nous ne pouvions faire une
analyse statistique des résultats, car elle n‘aurait aucune valeur.
Code :
I
avant l'expérience ;
aprés |'expérience.
Epreuves traditionnelles :
1. Age de lecture donné par le test de |'alouette.
N’ 1 6A8 = 6 ans 8 mois.
2. Comparaison entre I'évolution obtenue par une rééducation
antérieure & l'alouette et celle obtenue par |"expérience.
N°’ 1; 19 + 8=en 9 mois de rééducation, gain de 8 moi:
ll 3 ~ 4= en 3 mois de rééducation, gain de 4 mois.
3. Age d'orthographe donné par le test d’orthographe de Vaney.
N° 1 6A6 = 6 ans 6 mois.
4. Niveau de compréhension donné par le test de compréhension
de Lobrot.
N° 2: 80 % | = 80 % de réponses exactes ; il se situe donc
dans le premier quartile pour son age.
Exercices du livre : G. Anticipation.
A. Habileté perceptive de I'ail. D. Repérage.
B. Vocabulaire. E. Compréhension.Pédagogie 37
t= : =f Te
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we mato ar os were Aste mor | san a
wo mas : » wer in | ao noe | soc ator | 2700)
we mas se us | woe | mio mor | aac vusor | 2500)
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ams ss tae soz | seco voor | asocor rx | noc
i Remarques préalables sur les résultats aux exercices du
livre :
— Ces résultats sont trés dispersés et trés variables ; parfois
méme d'un exercice & l'autre chez un méme enfant. Ils sont
sans rapport avec |'age chronologique ou |'age déterminé par le
test de l'alouette sauf pour l'enfant n° 11 qui est le plus agé,
le plus avancé en lecture et chez qui les résultats sont nette-
ment meilleurs que ceux des autres dyslexiques. Ce manque
d'homogénéité existe avant comme aprés la rééducation.Communication et langages/53
Une expérience de lecture chez les dyslexiques
— Le facteur temps et le facteur fautes semblent liés de
maniére variable ; la seule constante est qu’ils s'améliorent le
plus souvent en paralléle.
— Méme s'il y a €volution, celle-ci ne répond pas & notre
attente. Aprés la rééducation, aucun des enfants ne semble
avoir acquis totalement les mécanismes nécessaires pour
devenir un bon lecteur des exercices du livre.
2. Vue globale de I'évolution :
Tableau montrant si !’évolution est positive pour chaque enfant
et chaque épreuve du testing.
+ évolution positive.
o = évolution négative.
eprewe | 1 2 3 4 A 5 c > Ee
ENFANT
et + + + = + " z : 2
wa + ‘ + + + + + + +
wea ‘ = + . + ° ° ° °
wea + + + + + + ° ° *
+ + ° . . + . + .
’ + + + + + + ° +
+ + + + + + + + °
+ ° + ° . + ° + +
° = + . . + . + +
+ - + + + ° ° + +
— Nous considérons que les résultats sont positifs si :
1) Il y a €volution (il y a évolution aux exercices du livre s'il
y @ au moins amélioration d'un des critéres de jugement, et
si cette amélioration ne s‘'accompagne pas d'une détérioration
de l'autre critére).
2) Il n'y a pas d’évolution, mais les résultats sont dans les
limites de la normale (pour les exercices du livre, nous consi-
dérons dans les limites de la normale les résultats a |'exercice A
qui est bien réussi par tous et les résultats du n° 11).Pédagogie 39
— Quand on juge les résultats suivant les critéres qui ont servi
a établir le tableau (critéres arbitraires nous le reconnaissons),
nous voyons que |'évolution est quasi générale pour les
épreuves traditionnelles. Elle est également présente a beau-
cole d'endroits pour les exercices du livre Je deviens un vrai
lecteur.
3. Synthése de I'analyse de I'évolution de chaque enfant :
1) Pour la majorité des enfants qui ont participé a l'expérience,
celle-ci est positive.
2) Méme quand les résultats aux tests traditionnels sont dés
le départ a la limite de la normale, on constate une évolution
dans les résultats aux exercices du livre : n* 2 et 6. En général,
quand il y a évolution aux exercices du livre il y a également
évolution aux tests traditionnels, sauf pour les n* 8 et 9.
3) Ce type d'entrainement a la lecture est positif méme quand
les enfants n'ont pas 8 ans d'age de lecture ce qui est le cas
de sept enfants sur les onze qui ont participé a notre expé-
rience.
4) Pour deux enfants qui ont un probléme beaucoup plus impor-
tant que ceux habituellement rencontrés en rééducation (gros
probléme psychologique pour le n° 1 qui a en outre un QI. jugé
@ la limite de la normale, et probleme neurologique pour le
n° 5), ce genre d’approche semble donner de meilleurs résultats
qu'une rééducation plus traditionnelle.
5) Le n° 11 dont les résultats aux exercices du livre se situaient
dés le départ dans une bonne moyenne, n'a pas amélioré ses
‘scores aux exercices du livre, mais bien aux tests traditionnels.
4. Synthése de I’analyse de |'évolution pour chaque épreuve :
1) L'expérience est positive pour les tests traditionnels, surtout
pour les tests de Vaney et Lobrot. Il est intéressant de remar-
quer que |'orthographe a évolué sans étre exercée.
2) Nous constatons un manque de relation entre les résultats
au test de l’alouette et les résultats aux exercices du livre.
Exemple :
— pour les n™ 8 et 9, il n'y a pas d’amélioration a |'alouette,
mais bien aux exercices du livre ;
— d'un autre cété, nous voyons le n° 3 évoluer de 4 mois &
l'alouette et pas aux exercices du livre
— enfin, les n™ 2 et 6 sont a la limite de la normale dés le
départ de ce test ; ils améliorent cependant leurs résultats aux
exercices du livre.
3) La comparaison avec |'évolution a l’alouette, suite € uneCommunication et langages/53
Une expérience de lecture chez les dyslexiques
rééducation antérieure a |"expérience, penche en faveur de
l'expérience. Quand les enfants n'ont pas un résultat a la limite
de la normale das le départ, I'évolution est un peu plus rapide
qu'avec la rééducation précédente : n* 1, 4, 3 7 — une exception
le n° 8. Remarquons qu'on ne peut toutefois parler d'une grosse
différence.
4) L'expérience est également positive pour les exercices du
livre, mais moins massivement. Les mécanismes d’anticipation
et de repérage semblent étre plus difficilement acquis. L’exer-
cice B (vocabulaire) est beaucoup mieux réussi. Enfin, la tac-
tique globale face au texte semble bien améliorée.
5) L’habileté perceptive est bonne dés le départ méme chez les
enfants qui ont de gros problémes de lecture (n™ 1 et 5).
5. Quelques remarques supplémentaires sur cette expérience :
1) Les enfants qui ont participé a celle-ci ont une meilleure
approche du langage écrit et de leur dyslexie. Ils sont moins
opposés au langage écrit et l'acceptent comme un moyen de
communication valable. En outre, ils prennent en charge sponta-
nément leur rééducation en choisissant eux-mémes les exer-
cices et en étant attentifs a leurs progrés. Un enfant, le n° 10,
ne s'est pas pris en charge et est resté trés passif. Cette
passivité peut expliquer le fait qu'il s'est trés peu amélioré.
2) Beaucoup de parents nous ont signalé de meilleurs résultats
scolaires, dans des domaines plus ou moins éloignés de la
lecture (orthographe, frangais en général et méme mathéma-
tiques).
3) Certains enfants avaient au départ de gros problemes en
- lecture orale : lecture atone (n° 5), voix suraigué (n’ 4), lecture
hachée (n° 6). Aprés I'expérience, les choses se sont peu
modifiées dans ce domaine.
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
Au terme de cette analyse, nous pouvons dire que nous trou-
vons l'expérience trés positive et en méme temps décevante.
Positive car la rééducation, ou plutét |'éducation de la lecture
avec le livre Je deviens un vrai lecteur semble pleine de pro-
messes et parce que plusieurs pistes de réflexion intéressantes
‘sont nées de l'étude des résultats.
Décevante, parce qu'il nous semble que |'amélioration de la
lecture aurait pu 6tre beaucoup plus importante.
Eléments intéressants apportés par |'expérience :
1) Les dyslexiques ne maitrisent pas les mécanismes de lec-Pédagogie 41
ture demandés par les exercices du livre de G. Rémond et
F. Richaudeau.
— Ils éprouvent beaucoup de difficultés, au départ, face @ ceux-
ci. Ils éprouvent ces difficultés méme si leurs résultats au test
de lecture « I"alouette » nous font attendre une certaine maitrise
de la lecture.
— Il faut néanmoins remarquer que I"habileté oculaire pure
est acquise dés le départ, quel que soit le niveau de lecture.
— C'est surtout dans les exercices d'anticipation et de lecture
de recherche que les dyslexiques éprouvent des difficultés.
2) lly a évolution au testing aprés |'expérience.
Rappelons que |'entrainement a également amené une améliora-
tion de l'orthographe.
Mais, s'il y a évolution, les résultats nous paraissent insuffi-
sants par rapport & ce que l'on pourrait attendre d'une rééduca-
tion de ce type.
3) Il semble qu'il n'y ait pas de limite a l'utilisation du livre
si on adapte les exercices aux possibilités de |'enfant.
4) Ce type de rééducation entraine un changement d’attitude
vis-a-vis du langage écrit et une prise en main de la rééducation.
5) Le test de lecture « |'alouette» ne semble pas 6tre en
mesure de déterminer si les mécanismes demandés par les
exercices du livre sont acquis.
Fondements d'une rééducation basée sur cette méthode :
Le but poursuivi par une rééducation de la lecture utilisant les
exercices du livre de G. Rémond et F. Richaudeau serait de
donner une véritable « compétence » de la lecture aux dys-
lexiques. Comment ?
— En ne basant plus la lecture sur le rapport oral-écrit, ce qui
enferme le dyslexique dans son probléme puisqu’on admet de
plus en plus que cest le déchiffrage qui est en grande partie
responsable de celui-ci*. Rappelons que la dyslexie ne semble
pas exister dans les civilisations ou I’écriture est idéographique
et ou i! n'y a pas de mise en correspondance systématique
langage écrit-langage oral.
— Et en lui donnant de bons mécanismes de base: lecture
visuelle, habileté oculaire, vocabulaire bien structuré, anticipa-
tion, mémoire, capacité de recherche, capacité de synthése,
compréhension... mécanismes reconnus comme essentiels par
les théoriciens de la lecture d'aujourd’hui.
Au fur et & mesure de la mise en place de bonnes structures
31, Lentin : Du parler au fire, tome 3, BSP. 1977. M. Lobrot : Troubles
de ia langue écrite et remédes, ESF,Communication et langages/53
Une expérience de lecture chez les dyslexiques
de décodage et au fur et &@ mesure du détachement de la cor-
respondance graphéme par graphéme avec I'oral, |'énergie pour-
ra €tre déviée vers la participation au sens. Le dyslexique
pourra ainsi faire de sa lecture un moyen et non une fin.
Notons que l'acquisition de ces mécanismes provoque |'évolu-
tion globale de la communication écrite. Notre expérience a
amélioré non seulement la lecture, mais également |'ortho-
graphe. En effet, toutes les facettes du langage sont liées dans
nos circuits nerveux.
Les exercices du livre permettent de repérer dés le départ les
mécanismes de base qui ne sont pas acquis.
Il est intéressant de remarquer @ ce sujet que l’examen de la
lecture a l'aide d'un test comme l'alouette se révele fort
incomplet. || situe le lecteur par rapport aux lecteurs de son
Age et nous permet de dire si sa lecture est pathologique ou
non, mais il ne nous donne aucun autre renseignement si ce
n’est sur la lecture orale, puisque c'est un test basé sur la
lecture orale. On peut méme se demander si le critére de
« dyslexie » établi a partir d'un type de lecture bien particulier
comme la lecture orale est valable. Nous avons vu dans notre
expérience combien les résultats du test de I'alouette et les
résultats aux exercices du livre peuvent étre différents. « La
lecture orale n'est pas un contréle de la lecture; ce qu'elle
contréle, tout au plus, c'est la maitrise qu’a l'enfant de la langue
orale, et son équilibre affectif qui lui permet de ne pas pani-
quer’. »
Dans un article tout récent, J. Foucambert remet d’ailleurs trés
violemment en question le test de I'alouette : « ... Ce texte pour-
chasse toutes les conduites intelligentes qui constituent la
lecture en les prenant en défaut par des piéges de bas étage
auxquels on ne peut échapper qu’en adoptant un comportement
contraire a celui de la lecture.
«Il est certain que les enfants qui réussissent ce test sont de
bons déchiffreurs. Rien ne prouve qu’ils soient de bons lecteurs.
L'aptitude qu'ils manifestent & court-circuiter le sens pour pro-
noncer 'illogique et I"imprévisible peut laisser planer tous les
doutes *.. »
Le contexte psychologique d'une rééducation de ce type entraine
un changement d’attitude des enfants : prise en main de leur
probléme et relation positive avec le langage écrit. En fait, ce
changement s'explique par un « recadrage » du probléme. On
considére ceux qui ont toujours été des « incapables de lire »
comme « capables de lire ». On leur explique ce que c'est que
lire et on leur présente un type de lecture stimulant par son
aspect original et de compétition. Ce contexte nous semble capi-
tal pour I'évolution des enfants.
3. E. Charmeux : la Lecture @ I'école, CEDIC, 1979.
4. J. Foucambert : « Peu de lecture, beaucoup de dyslexie », dans Commu
inications et langages, n° 47, ¥ et & trimestres, 1980Pédagogie 43
A la limite, vu la faiblesse de I'évolution aprés notre expérience
et tout en précisant que nous croyons beaucoup aux mécanismes
qui peuvent étre acquis par |'entrainement avec les exercices
de G. Rémond et F. Richaudeau, nous nous posons la question
de savoir si ce n'est pas surtout le contexte et le déblocage
psychologique qui s'en est suivi qui a permis |'évolution
constatée.
Cette remarque nous améne a envisager le type de rééducation
optimale pour une méthode de ce genre.
Il faut sGrement un rythme de rééducation plus élevé que celui
de notre expérience ou méme, pourquoi pas, quelques véri-
tables « sessions » de rééducation, un peu a la maniére des
sessions de formation a une bonne lecture pour adultes. I! faut
en outre intégrer a notre avis cet entrainement dans une réédu-
cation polyvalente qui exerce également la lecture orale, une
prise de contact plus systématique avec les régles de |'écrit,
la production spontanée de |'enfant.
Enfin, il faut aussi sGrement introduire ce genre de conception
de la lecture et de méthode dans les programmes scolaires, ce
qui couperait probablement souvent le mal @ ses racines.
Il est indéniable que beaucoup de dyslexies pourraient étre
évitées si l'enseignement de la lecture était véritablement
adapté dés le départ.
Catherine Caprasse-Bastin