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LES NOMS DE PARENTÉ EN BERBÈRE

Abdelaziz Allati

La Boite à Documents | « Études et Documents Berbères »

2019/1 N° 41 | pages 97 à 111


ISSN 0295-5245
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-etudes-et-documents-berberes-2019-1-page-97.htm
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Études et Documents Berbères, 41, 2019 : pp. 97-111
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LES NOMS DE PARENTÉ EN BERBÈRE
par
Abdelaziz Allati

I. INTRODUCTION

Ayant mentionné le caractère archaïque des noms de parenté, la tradition


berbérisante a essayé de rendre compte de leurs formes et de déterminer leur
genèse en se basant sur des éléments divers, berbères et autres. Vu le stade
où en sont les recherches, il est temps de les revisiter pour examiner les
fondements des traitements et des genèses qui leur ont été proposés, et pour
déterminer les renseignements qu’ils recèlent sur les différents stades histo-
riques de cette langue et sur le type d’évolution qui la caractérise.

II. FORMES DES NOMS DE PARENTÉ

Les formes principales des noms parenté en berbère sont :


a. masc. sing. : ag et var. : w, u, aw, agw, ay, g… « enfant / fils (de) ». À la
différence de la forme pan-berbère que la tradition berbérisante a retenue w/u
(u 5 w, cf. Basset, 1952, 25 ; Galand, 1988, 229 et autres), cette forme, qui est
attestée dans le touareg et dans plusieurs variétés berbères, rend compte des
toutes les variantes de ce nom de parenté (cf. plus bas) ; ex.
– Biska ag Mousa (5 Biska – ag « enfant / fils de » – Mousa) « Biska
fils de Mousa », touareg, (cf. Foucauld, 1951-52 : 1440) ;
– egma/gma, kabyle ; gwma, tachelhit (5 ag (et var.) « enfant/fils (de) »
– ma « mère, ma mère », « fils de ma mère, mon frère » ; uma, wma (5 u/
w (5ag « enfant/fils (de) ») – ma « mère, ma mère » « fils de ma mère,
mon frère », plusieurs variétés ;
– u tmazirt (5 u (5ag « enfant / fils (de) ») – tmazirt « pays » « fils du
pays », tachelhit ;
– Mohamed w Sɛid (5 Mohamed- w (5ag « enfant / fils (de) ») – Sɛid)
« Mohamed fils de Sɛid », plusieurs variétés ;

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– anya (5 an (5 am(a) « mère, ma mère ») 1 -ya (5ag « enfant / fils
de ») « mon frère, frère ». -ya « fils de » est postposé à ma « mère, ma
mère », dans cette variété. Foucauld a bien vu que anya est très proche de
agma, mais n’ayant pas déterminé le procédé qui l’a généré (cf. plus
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bas), il a conclu à une déformation : « anya semble une déformation de
agma “fils de la mère, fils de ma mère” » (Foucauld, 1951-1952 : 1445).
Une forme de ce nom constitue le premier composant de anegbu, aneybu
« nourrisson (garçon) » (5aneg- bu4 aney- bu), plusieurs variétés, qui
a certainement signifié « frère nourrisson » avant de prendre son sens
actuel.
b. masc. pl. : ayt et var. : at, it, id, ed, ad… (5 ag (et var.) « enfants / fils
(de) » – t : pl.), pan-berbère ; dag (et var.) « idem » (d (5 t : pl.) – ag (et var.)
« enfants / fils (de) » (cf. plus bas), touareg. t est un ancien affixe de pluriel 2 qui
s’est également figé dans notamment les formes des pronoms personnels
affixes employés avec les noms de parenté 3, dans l’affixe de pluriel -ten,
dans le paradigme personnel de l’impératif et dans celui caractérisant le prétérit
des verbes d’état dans plusieurs variétés (cf. Allati, 2002, 2015b) ; ex.
– aytma 5 ag « enfants / fils (de) » – t (pl.) – ma « mère, ma mère »
« mes frères », pan-berbère,
– ayt Moussa (5 ag « enfants / fils (de) » – t (pl.) – Moussa « fils /
enfants de Moussa », plusieurs variétés,
– it Kebdan (i (5 ag « enfant / fils (de) ») – t (pl.) « fils / enfant » – de
Kebdan, les membres de la tribu Kebdan », plusieurs variétés,
– dag Biska (5d (pl.) – ag « enfant / fils (de) » – Biska) « les fils de
Biska », touareg.
Le correspondant de gma (et var.) « mon frère, frère », pl. aytma (et var.) dans
le Ghadamès est : aruma (5 ara « enfant, progéniture » (Ghadamès), « des-
cendance, famille… », plusieurs variétés – ma « mère, ma mère ») « l’enfant de
ma mère, mon frère, frère », pl. ritma (5ara-t (pl.) – ma « mère, ma mère »)
« les enfants de ma mère, mes frères », end aruma « idem » (cf. Lanfry, 1973).
c. fém. sing. : welt et var. : ult ulet… « fille de » (5 w (5 ag « enfant / fils
(de) ») – forme dont provient yell « fille », tahaggart, illi (et var.) 4 « ma fille »,
plusieurs variétés – t) ; ex.

1. m > n est due à l’assimilation de m à g/y.


2. « Il existe des résidus d’un affixe de pluriel t qui se retrouve encore dans le nom de parenté ayt
pl. de u “fils de” » (Basset, 1952 : 25).
3. baba-t-neɣ (5 père -t- neɣ « nous ») « notre père » ; baba-t-wen (5« père » -t- wen « vous »
(masc.) « votre (masc.) père » ; baba-t-kennt / baba-t-kent (« père » - t - kennt / kent « votre (fém.) »)
« votre (fém.) père », tarifit.
4. Cette forme est attestée aussi dans tawellit « proche parente, femme de la parenté » kabyle
(cf. Dallet, 1982 : 866), dans talta (t-alta) « femme », pl. taltawin « femmes », Ghadamès.

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– ultma, weltma (5ult/welt « fille » - ma « mère, ma mère ») « fille de
ma mère, ma sœur ».
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d. fém. pl. : yest et var. : yess, šet, sut/sut… « filles de » ; ex.
– yestma, yessma (5 yest / yess « filles ») - ma « mère, ma mère »)
« filles de ma mère, mes sœurs, sœurs », pan-berbère.
À la différence de t, l’ancien affixe de pluriel, qui ne connaît que quelques
formes d’assimilation (notamment de sonorité), ag « enfant/fils (de) » a, d’après
ses formes actuelles, subi plusieurs variations formelles. À la spirantisation
de g en w, y et ɣ, (cf. plus bas) s’ajoutent les différentes contractions de ag
(et var.) en u au singulier et en i (ex. it, id…), a (ex. at, ad…)…, au pluriel
(cf. plus haut).

III. TRADITION BERBÉRISANTE ET LES NOMS DE PARENTÉ

La tradition berbérisante a été confrontée au problème de la détermination


de la classe/catégorie grammaticale des noms de parenté. Elle les considère
comme des noms même s’ils n’ont pas les caractéristiques de cette catégorie
dont la marque formelle de genre.
« Les noms de parenté n’ont pas de caractéristique formelle de genre. Ils sont
masculin ou féminin suivant qu’ils désignent un individu de sexe masculin ou
féminin. Ils ne sont pas d’ailleurs de type morphologique nominal » (Basset,
1952 : 24).
Du point de vue de la tradition berbérisante, leur emploi est également
particulier : « Des éléments dépourvus d’autonomie et obligatoirement suivi
d’un complément sans prépositions » (Galand, 1988, 229). Éléments auxquels
sont ramenés les composés : « les noms composés sont assez nombreux, mais
ils se ramènent au type de syntagme […] dont le noyau est un élément de la
série w- « fils de », bu- « celui à », etc. » (Galand, 1988 : 239).
Cela est dû au fait que Galand pensait, après Basset (1952), que la compo-
sition n’est pas un procédé de formation du mot en berbère, et ce pour faire
correspondre les traits morphologiques de cette langue à ceux du sémitique
– où il n’y a pas de composition – dont les traits sont postulés proto-afro-
asiatiques (cf. Allati, 2015). Or, dans les noms de parenté, ag (et var.) et ara
« enfant, progéniture » (cf. supra) forment les premiers éléments des noms
composés figés (cf. plus haut) dont la structure (notamment déterminant/
déterminé) est étendue aux nouveaux noms de parenté qu’ils forment, ce qui
explique pourquoi ils sont des « éléments dépourvus d’autonomie ». Attestés
seulement dans ce contexte – qui impose des contraintes à n’importe quel
nom –, ils paraissent étrangers au type morphologique nominal. Quant au

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genre, il y est marqué, mais avec des éléments différents de ceux utilisés
actuellement dans le nom (cf. ci-dessus). Si on est resté en dehors de la
morphologie des noms parenté, c’est qu’on ne les a pas vus/traités comme
ils sont, mais comme on a pensé qu’ils sont.
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En outre, dans le touareg (tahaggart), les noms de parenté mas. sing. et
pl. (sing. : aw, u, ag, agg « fils (de) » ; pl. : dag, ayt) présentent des variations
formelles et distributionnelles importantes : « Les singuliers aou, ou, ag et les
pluriels ayt, dag ne s’emploient pas indifféremment » (Foucauld, 1951-52 :
1440 ; voir aussi : 1441-1445) 5.
Si les berbérisants s’accordent sur la formation de ayt pan-berbère (5 ay
« enfant/fils (de) » – t (pl.), cf. plus haut), il n’en est pas de même de son
correspondant prédominant dans le touareg (dag) 6 dont les vestiges sont conser-
vés dans les données toponymiques, hydronymiques et anthroponymiques an-
ciennes (cf. plus bas). Pour Foucauld « dag semble composé de d « avec » et d’ag
« fils de » (Foucauld, 1951-1952 : 1440) ». Outre le fait que c’est d qui exprime le
pluriel dans dag où il n’y a pas le sens de la préposition d « avec », tag (5 t – ag)
« descendance (masculine et féminine) de » 7 (Ibid., 1445) montre qu’il y s’agit
d’une réalisation sonore de l’affixe de pluriel t que l’on relève également dans les
variantes de ayt : id, ed, ad… (cf. plus haut). Aussi ayt (et var., pan-berbère) et dag
(et var., touareg…), les deux formes plurielles de ag (et var.), sont-elles formées
de ag (et var.) préfixé ou suffixé de t (et var.), l’ancien affixe de pluriel (voir, plus
bas, l’évolution de cet affixe et la formation de ces pluriels).
Par ailleurs, se basant sur l’hypothèse selon laquelle ce qui est pan-
berbère est la forme (ancienne, proto-berbère…) dont proviennent les variétés
berbères actuelles, la tradition berbérisante a retenu la forme pan-berbère : w/u
comme base des formes actuelles des noms de parenté : w, u, aw, ag agw, ay,
g… (cf. Basset, 1952, Galand, 1988 et d’autres). De ce point de vue, les autres
formes restantes sont leurs variantes et elles doivent ainsi y être rattachées.
Pour Prasse, l’évolution de la forme primitive touarègue *a-w y aurait généré
la forme agg/ag qui serait formée par la combinaison de *aw avec la marque de
l’état d’annexion du nominal subséquent :
*a-w + w-Nom 4 aww + Nom 4 agg +Nom (Prasse, 1974 : 16).
Chaker a étendu cette évolution au berbère Nord (BN) où elle aurait eu lieu
dans n’importe quel contexte : « On notera qu’il existe aussi en berbère Nord
des formes à consonnes palato-vélaire : w4 g, gw, gu : g-ma, « frère » (= fils (de
ma) mère) » (Chaker, 1985 : 228).

5. Les transcriptions de Foucauld (1951-1952) sont conservées dans ce travail.


6. Le zenaga conserve également des vestiges de cette forme ; ex. aɣmeh « frère » (5 aɣ (5 ag)-
meh « mère »), pl. daɣmeh « frères » (5 daɣ (5dag)-meh « mère »), cf. Nicolas, 1953 : 30).
7. « tag ne s’emploie que dans la seule expression tagg elet met « descendance (masculine et
féminine) de la fille (ou des filles) de la mère (ou des mères) d’un homme » (Foucauld, 1951-1952 :
1445).

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Cette évolution de aw/w en agg/ag se base sur la tension de w en gg 8 dans
cette langue et sur les variations contextuelles de u et ag/agg « enfant/fils de »
dans le touareg (tahaggart) : « ou s’emploie devant les consonnes, ag devant
les sons-voyelles » (Foucauld, 1951-1952 :1441). Outre l’existence des autres
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formes tendues de w dans le berbère actuel 9 (bbw 10 et kkw 11) 12, la confronta-
tion de cette semi-consonne à ses formes tendues montre qu’elle reprend,
quand elle est tendue, les formes occlusives 13 dont elle provient, et ce
comme la plupart des spirantes dans le berbère actuel (b 4 bb 14, t 4 tt 15, d
4 dd 16, y 4 gg 17, ɣ 4 qq 18…). D’autant plus que les correspondances
relevées dans le lexique berbère actuel et dans la couche toponymique ancienne
(w/b, w/k, w/g) montrent que w provient de la spirantisation ancienne des
occlusives labialisées : w 5 bw ; w 5 kw/gw (cf. Allati, 2002 et 2011).
Si on n’a pas pu rattacher historiquement ag/gg à aw/u et on ne peut le faire
– l’écueil principal de cette genèse – c’est qu’on a pris aw/w qui est une forme
évoluée de ag (et var.) pour sa forme de base faisant ainsi inverser le sens de
l’évolution en question (w 4 g alors qu’il s’agit de k/g 4 w). Pour ce faire, on a
fait passer les interprétations historiques qui simulent l’évolution de aw/u à ag/
gg pour celle qu’ils auraient effectivement subie. D’un côté, on a fait, du
caractère pan-berbère de w/u, son statut ancien/proto-berbère où il n’aurait pas
encore divergé en ses variantes actuelles, alors que ce qui est pan-berbère ou
commun aux variétés berbères actuelles est berbère actuel (cf. Allati, 2002,
2017, 2018 et plus bas). De l’autre, on a transposé la tension de w en gg dans
le stade actuel, et les variations contextuelles de u et ag/agg dans le touareg
(cf. ci-dessus) sur le plan historique. Aussi est-on resté entre les éléments
berbères actuels qu’on a fait évoluer les uns des autres.
Continuant à creuser dans le sens inverse tout en croyant être sur la bonne
voie, Chaker a reconstitué ce qui serait la forme originaire de ag (et var.)
« enfant / fils (de) » :

8. Ex. azeggwaɣ « rouge » 5 ezweɣ « rougir », plusieurs variétés.


9. On appelle le berbère actuel la forme de cette langue telle qu’elle est décrite depuis le début des
études berbères (XIXe siècle) et telle qu’elle est attestée dans les variétés berbères actuelles.
10. Ex. yebbwi « il a emmené… » 5 awi « emmener », kabyle.
11. Ex. izekkwa « il traverse » 5 ezwa « traverser » tarifit.
12. Ce qui, d’après cette analyse, implique que w pourrait évoluer également à b ou à k.
13. « Dans un état antérieur de la langue, la tension appliquée à ḍ, ǥ, ǥw les faisait passer
respectivement à Ṭ, Q, Qw et il semble que y et w tendus aient pu devenir G, Gw » (Galand, 1988 : 215).
14. Ex. t-rebbu (5elle-porter sur le dos (AI)) « elle porte l’enfant sur le dos », tarifit (5 erḇu,
āḇu… « porter un enfant, quelque chose… sur le dos…), même variété.
15. ttar « mendier… », plusieurs variétés ; tuṯra « mendicité », tarifit.
16. ddar « vivre… », plusieurs variétés, tuḏart « vie », tarifit.
17. y-eggar (5 il-mettre au four (AI)) « il met au four », yar « mettre au four », tarifit ; tiyri « ce qui
est mis au four et cuit en une seule fois », idem.
18. iqqar « il dit, lit, étudie…) plusieurs variétés ; ɣar « lire, étudier… », tiɣri « action de lire,
d’étudier… », idem.

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« ag/w « fils (de) » est issu de la racine pan-berbère w 5 *hyw « naître »
qui est attestée dans la plupart des dialectes et est à l’origine de formes
nombreuses :
– touareg :
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• iwi, ehew « naître »
• ahaya, ahayaw « petit-fils, descendant… »
– berbère Nord :
• yiwi, « fils / enfant » (chleuh)
• ayyaw, « neveu utérin, descendance utérine » (Chaker, 1985 : 228).
C’est enfoncer une porte ouverte que de discuter les fondements et les
arguments sur lesquels se base cette reconstruction qui est infirmée par
l’évolution phonétique sur laquelle elle se base (cf. ci-dessus). Si nous le
faisons, c’est surtout pour voir comment et par quels outils sont échafaudées
les différentes reconstructions historiques du berbère faites dans le même
cadre, et pour montrer le type d’histoire qu’elles imputent à cette langue.
Pour rendre à César ce qui est à César, c’est Foucauld qui a rattaché aw, u,
ag… « fils (de) » à iwi « naître » en les classant sous ce verbe (cf. Foucauld,
1951-1952 : 1440-1447). Chaker a fait ainsi passer du vin ancien dans des
outres nouvelles en transposant ce classement lexicographique au niveau
diachronique tout en remodelant l’ensemble suivant la conception sémitisante
de la diachronie berbère qui distingue deux stades historiques dans son
évolution, ayant chacun sa propre méthode de reconstruction (cf. Allati,
2002, 2018).
Tout d’abord, le stade pré-berbère, le fond historique de cette langue, dont
les éléments correspondraient à ceux qui sont prédominants dans le stade du
sémitique dans lequel sont écrits les documents anciens (III millénaire av. J.-C.)
et qui sont postulés proto-afro-asiatiques (cf. Cohen, M, 1947 ; Cohen, D. 1968,
1984, 1989, etc.). Pour en rester à la base de la formation du mot qui nous
intéresse ici, la conception sémitisante a calqué les formes antérieures et
actuelles du berbère sur celle de ce stade avancé du sémitique qui est postulé
protosémitique et proto-afro-asiatique (cf. Allati, 2002, 2015a, 2018), et consi-
dère ainsi que la racine triconsonantique est la base originelle de la formation du
mot dans cette langue. Base dont l’usure ou la réduction (perte d’une ou de deux
radicales) aurait commencé dès ce stade et serait poursuivie jusqu’au stade
actuel où une partie importante des racines triconsonantiques serait réduite à des
mono- et bi-consonantiques. Les parties perdues de ces racines seraient conser-
vées dans celles du sémitique qui leur sont formellement et sémantiquement
proches et auxquelles elles sont ainsi confrontées pour les restituer 19.

19. Voir les exemples de ce type de reconstructions dans Cohen, M., 1947 : 87-197, dont une partie
a été reprise par Chaker (cf. Chaker, 1995 : 221).

102
Ensuite, le stade berbère pendant lequel serait poursuivie l’usure de héritage
afro-asiatique et auraient eu lieu les évolutions spécifiques qu’aurait connu
cette langue qui serait diversifiée en plusieurs variétés (cf. Allati, 2002, 2015a,
2017, 2018). La tradition berbérisante a pris/prend ce qui est commun au
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berbère actuel ou pan-berbère pour le noyau dur de cette langue qui ne serait
pas affecté par les changements et, donc, pour la forme initiale du stade berbère
(proto-berbère ou la plus ancienne) dont auraient évolué les variétés modernes
et actuelles (cf. Allati, 2002, 2011c, 2018). Mais seuls les éléments qui
correspondent à ceux du sémitique postulés proto-afro-asiatiques sont consi-
dérés proto-berbères, qu’ils soient conservés ou non 20, communs ou non
aux variétés actuelles (cf. Allati, 2002, 2011c, 2017, 2018). L’évolution
qu’auraient subie les racines auxquelles on n’a pas trouvé de correspondants
en sémitique serait spécifique au berbère dont le lexique en aurait conservé des
vestiges (cf. Allati, 2002, 2017, 2018). Il suffit alors de les comparer avec celles
qui leur sont proches pour en reconstruire les consonnes qu’elles auraient
perdues.
Pour donner le caractère pan-berbère ou berbère commun à la racine w
« naître », on a étendu son emploi à plusieurs variétés berbères en prenant les w
attestés dans ahaya, ahayaw « petit-fils, descendants… », touareg et ayyaw,
« neveu utérin, descendance utérine », berbère Nord (cf. plus haut), pour ses
attestions. Or bien des faits montrent qu’ils sont du même type que celui attesté,
par exemple, dans :
– astaw « étoffe » (5 sti « filer, retirer des fils de… »), plusieurs variétés
berbères,
– ameksa(w) « berger » (5 ks « paître »), pl. imeksawen, la plupart variétés
berbères,
– agnaw/aynaw « sourd-muet », plusieurs variétés berbères, etc.
D’autant plus que ahaya/ahayaw, ayyaw et yiwi ne se ramènent pas formel-
lement et sémantiquement à cette racine qui n’est pas ainsi leur forme pan-
berbère ou commune (ahayaw, ayyaw… 5 w ?). Et même si iwi « naître » était
vraiment pan-berbère, cela revient au même, car ce qui est commun aux
variétés berbères actuelles est leur fond commun actuel que la tradition
berbérisante a pris / prend pour leur noyau dur – ancien ou proto-berbère – à
partir duquel elles auraient évolué (cf. Allati, 2002, 2017, 2018 et plus haut).
Le caractère pan-berbère de la racine w « naître » est requis dans cette re-
construction, car il sert à la décaler historiquement du verbe iwi « naître », de w
« fils (de) » et des autres éléments berbères qui en seraient issus (cf. plus haut),
et, donc, à intercaler une évolution historique entre des éléments berbères
actuels.

20. L’opposition prétérit-aoriste, par exemple, n’est pas attestée par dans le berbère actuel, mais
elle est considérée proto-berbère parce qu’elle correspondrait à l’opposition statif-processif/accompli-
inaccompli sémitique postulée proto-afro-asiatique (cf. Allati, 2002, 2018).

103
Mais cette racine n’est pas le seul élément fabriqué dans cette reconstruction.
N’étant pas conforme à la base de formation en sémitique (racine triconso-
nantique), qui est postulée proto-afro-asiatique, w pan-berbère est considérée
comme une forme réduite d’une racine triconsonantique ancienne (w 5 *hyw
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« naître ») dont les consonnes réduites ne peuvent être reconstruites que si elles
apparaissaient dans les formes actuelles qui en proviendraient 21. Aussi a-t-on
fait appel à la liste des mots indiquée qui, tout en élargissant l’emploi de cette
racine à la plupart des variétés (= pan-berbère), renferme les formes des
consonnes qu’elle aurait perdues. La reconstruction de la racine *hyw a donc
consisté à en déduire les consonnes que la racine pan-berbère w a perdues et
l’ordre de leur combinaison. Le résultat est que la racine dont provient w pan-
berbère (w 5*hyw) est la même que celle de ahayaw (hyw) qui en a évolué
(*hyw 4 w 4 hyw [ahayaw]).
Cette reconstruction ne rend pas compte non plus de la façon suivant laquelle
le sens des racines *hyw et w (pan-berbère) « naître » a évolué à « enfants / fils
(de) » (w), à « petit-fils, descendant… » (ahaya, ahayaw), à « fils/enfant » (yiwi)
et à « neveu utérin, descendance utérine » (ayyaw). De même, elle n’explique
pas comment ahayaw « petit-fils, descendant » a conservé la forme triconso-
nantique de cette racine, alors que son sens a changé et comment le sens de cette
racine est conservé dans iwi « naître », touareg, dont deux radicales seraient
perdues.
Ce tissu d’incohérences montre que, au lieu de procéder à une reconstruction
linguistique proprement dite, on a repris le classement de Foucauld qui se base
sur les ressemblances formelles et les affinités sémantiques entre w « fils (de) »
et iwi « naître », touareg (cf. plus haut), pour postuler une racine pan-berbère w
« naître » dont ils seraient issus. Ensuite, pour la doter d’une forme triconso-
nantique qui est conforme à la racine triconsonantique sémitique postulée
proto-afro-asiatique et étendre son emploi à la majorité des variétés berbères
actuelles (cf. plus haut), on a intégré ahayaw/ahayaw, ayyaw, yiwi ayant des
sens proches dans la liste des mots qui en proviendraient. On a fait ainsi, du
noyau consonantique de ahayaw (hyw), celui de la racine*hyw « naître » qui
serait la forme antérieure de la racine pan-berbère w ayant le même sens. Et l’on
se rend compte de la distance historique réelle qui sépare ces deux racines du
stade actuel, et de la nature de ce type de reconstruction qui ne fait que doter les
mono- et biconsonantiques berbères actuelles d’anciennes formes triconsonan-
tiques conformes à celles du sémitique postulées proto-afro-asiatiques.
L’adéquation de cette reconstruction dépend ainsi de sa concordance avec la
conception sémitisante de la diachronie du berbère dont notamment les traits
caractérisant la base de formation du mot berbère calquée sur celle du sémitique
postulée proto-afro-asiatique (racine triconsonantique) et non des relations
historiques entre *hyw, w et les éléments qui en proviendraient. Le seul axe

21. L’évolution étant située dans le stade berbère (cf. plus haut).

104
historique qu’on trouve dans ce semblant de reconstruction formelle est celui
qui est conçu par cette conception (cf. plus haut). Situées ainsi en dehors de
l’évolution phonético-phonologique, morphologique, syntaxique et lexico-
sémantique de cette langue, les racines w pan-berbère et *hyw dont elle
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proviendrait (proto-berbère ?) sont fabriquées de toutes pièces (cf. plus haut).

IV. GENÈSE DE ag (ET VAR.) « ENFANT/FILS (DE) »

Conservé dans le touareg, le verbe at 22 « être accru (être augmenté) ;


s’accroître, (s’augmenter) (…) peut avoir pour sujet des personnes, des ani-
maux, ou des choses ; se dit de tout ce qui est capable de s’accroître en quoi
que ce soit, p. ex. en nombre, grandeur, dimension… » (Foucauld, 1951-1952 :
1876) est le correspondant verbal de l’ancien affixe de pluriel t.
Dans cette variété, est également attesté le verbe iɣat « être en grande
quantité (être nombreux, être abondant) (…) peut avoir pour sujet des per-
sonnes, des animaux ou des choses (…) peut se traduire par beaucoup » (Ibid.,
382) qui, étant composé de at, est formellement et sémantiquement proche de
ayt. Du point de vue formel, ag « fils (de) » a subi, dans aɣmah (5 aɣ- (5ag
« enfant/fils (de) ») – mah « ma mère ») « fils de ma mère, mon frère », zenaga
(cf. Nicolas, 1953 : 30), la même évolution qu’a connue son correspondant figé
iɣ qui s’est soudé à at dans iɣat 23 (5 iɣ- (5ag)-at, cf. plus bas) 24. Quant aux
différences morphologiques, sémantiques et fonctionnelles, elles proviennent
essentiellement du type d’évolution qu’ils sont subi (cf. plus bas).
Ces correspondances sont corroborées par les formes de ag et (var.) « en-
fant / fils (de) » au pluriel dans le touareg (tahaggart). Si, à la différence des
autres variétés berbères actuelles, dag est le pluriel prépondérant de ag (et var.)
dans cette variété (ayt y est employé dans certains contextes, cf. Foucauld,
1951-1952 et plus haut), c’est essentiellement pour contourner les risques de
confusion de la forme antérieure de ayt (et var.) et le verbe dont provient iɣat,
qui y étaient formellement très proches (cf. plus bas). La spirantisation de k/g
en ɣ dans ce verbe n’est en fait que la suite du processus visant à éviter leur
confusion.
Les composants, la fonction et le sens de iɣat montrent en outre que la forme
dont est issu iɣ (iɣ-at) déterminait celle dont provient le verbe at, qui y détenait
la fonction du prédicat. iɣat conserve ainsi la structure du noyau de l’énoncé
dans le stade proto-berbère où le prédicat était un prédicat d’existence qui y

22. Dont le nom d’action at « fait d’être accru, fait de s’accroitre », pl. atten (Ibid. : 1877).
23. Cette spirantisation de g en ɣ est fréquente dans le touareg ; ex. eɣ « faire », touareg (cf.
Foucault, op. cit., 376), eg « idem », les autres variétés.
24. g > gh > ɣ, cf. Allati, 2002, 2011, et plus bas.

105
était obligatoirement déterminé par l’actualisateur *ak dont les vestiges sont
conservés dans la couche toponymique berbère ancienne, dans les inscriptions
libyques, dans les données anthroponymiques antiques et médiévales (cf. plus
haut), et dans le berbère actuel (le nom, le paradigme personnel du berbère
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actuel, les pronoms personnels, les pronoms indéfinis, etc., cf. Allati, 2002,
2018). Ces vestiges dont notamment ceux qui sont conservés dans le nom 25
montrent que sa place n’y était pas fixe comme d’ailleurs celles des autres
affixes (Ibid.). D’autres vestiges lexicaux fossilisés dans des anciens composés
montrent qu’il en était de même des places des unités lexicales qui les
composent (cf. plus haut, agma, anya, « frère, mon frère » 26, Allati, 2002,
2015a, 2018).
Les formes les plus proches de *ak sont certainement celles qui ont été
réorganisées en des formes isolées et qui sont conservées dans plusieurs
variétés actuelles (cf. plus bas) : ak « chaque… » 27, adjectif indéfini, touareg ;
akw, akkw « tout, tous, entièrement… », (pronom/adjectif indéfini…) kabyle
(cf. Dallet, 1982 : 388), etc. ; ex.
– ak akli iws-ed « chaque esclave est arrivé ici »,
– ekk ak tameṭ « va à chaque femme », tahaggart (cf. Foucauld, 1951-1952 :
725).
Les formes, les significations et les fonctions de at, de iɣat et de t (ancien
affixe de pluriel) montrent que les formes t/at qui y sont attestées proviennent
d’une même base lexicale proto-berbère *at « être nombreux ». Les différences
entre le verbe at et l’affixe résiduel de pluriel t dans le stade actuel, recèlent les
traits fonctionnels des bases lexicales dans le stade proto-berbère où plusieurs
d’entre elles étaient employées comme prédicat et comme affixe (cf. Allati,
2002, 2018). Ayant été ainsi employé comme prédicat et comme affixe de
pluriel dans le stade proto-berbère, *at a été réorganisé, lors de la formation du
berbère pré-moderne, en verbe dont provient l’actuel verbe at. Il y a été
également reconduit comme affixe de pluriel (at qui s’était réduit à t) dont
les vestiges sont conservés dans les variétés berbères actuelles et dans les
données toponymiques, hydronymiques et anthroponymiques anciennes (cf.
plus bas). La forme de *at prédicat (*ak,-*at) a été parallèlement réorganisée en

25. - izmi « ortie », Imeghran, tikzint « idem », A. Messad, tagzint/tayzint « idem », tarifit, tizmekt
« idem », Illal, tachelhit (cf. Laoust, 1920 : 521) ; tedre « épi », plusieurs variétés”, tkidert « idem »,
Aoudjila, taydat « idem », tarifit ; tela, pl. tilawin « possessions, propriétés », touareg (Foucauld,
1951-1952), agla/agra, ayla, « idem », BN, alek « salaire » (5 il/el… « posséder » - ek), pl. aleken
(synonyme : telawit, teliwa), touareg (Ibid.).
26. Autres exemples : amar/tamart « barbe et menton », la plupart des variétés ; aɣesmar « mâ-
choire, barbe, menton » (5 aɣes « os » - mar « barbe, menton », plusieurs variétés berbères ; amargas
« idem » (5 amar « barbe, menton ») - gas « os », cf. g > ɣ, Allati, 2002, 2011), A. Ouira (cf. Laoust,
1920 : 113).
27. « ak (…) ne s’emploie qu’accompagné d’un substantif, des pronoms relatifs wa, ta, wi, ti suivis
d’un verbe, des pronoms indéfinis yen, yet, wiyoḍ, tiyoḍ, d’un nom de nombre cardinal ou ordinal, de
wi n « ceux de », ti n « ceux de » suivis d’un nom de nombre cardinal » (Foucauld, 1951-1952 : 724).

106
verbe iɣat où ak (4 ag 4 aɣ) s’était figé et soudé au prédicat (*at) qu’il
déterminait.
D’après plusieurs données toponymiques, hydronymiques et anthropony-
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miques anciennes, l’affixe de pluriel at (et var.) était polysémique dans les
stades proto-berbère et pré-moderne 28. Outre la marque du pluriel, il avait le
sens, dans certains contextes, de grandeur, pouvoir, puissance, gloire 29… Vu la
place que détiennent l’eau et notamment les cours d’eau dans les croyances
anciennes des berbères 30, c’est ce sens qu’il exprime dans plusieurs noms
anciens de rivières/fleuves (Akrath, Dorath, Assarath 31, Molokhath 32 (Ptolé-
mée), Massath, Darat 33 (Pline), Garet (Nahr) 34 (cf. El Bekri, 1965), par
exemple) et dans la couche hydronymique berbère ancienne où cet affixe est
attesté soit seul (Rdat (Oued) 35, Skerat (Chott), Maroc, Sarrath (Oued),
Tunisie…), soit combiné avec les variantes de *ak (Gara (t) 36(Lac), Alg.,
Tachgar (Tamda), Gardag (Oued), Maroc…).
Cela est corroboré par ses emplois dans, d’un côté, les noms anciens de
célèbres guerriers/révoltés berbères dont Tacfarinas (5 tac-farinas) et Taufia
(5taw (5t-ak) -fia) et, de l’autre, dans celui du sultan/fondateur de la dynastie
berbère des Almoravides : Tachfin [Youssef Ibn] (5 tach (5t-ak) -fin), etc.
Plusieurs noms libyques – qui sont des noms de personnalités importantes –
commencent et se terminent par t (cf. Chabot, 1940), mais les débuts de ceux
qui sont des noms d’hommes (Tkdt, Tštt…) sont similaires à ceux mentionnés
ci-dessus (tak, tach…). Bien des éléments dont Tachfin montrent que cet
emploi de t était déjà figé pendant la période médiévale.
D’autres vestiges en sont conservés dans le lexique berbère actuel. Foucauld
a indiqué un sens premier de édeg « lieu (endroit) » (Foucauld, 1951-1952 :
176) et un second « par extension : grande extraction, grande naissance »
(Ibid.). Vu le grand écart entre le premier et le deuxième sens (comment passer
de lieu (endroit) à extraction, grande naissance ?), il est fort probable qu’il y ait
regroupé deux éléments différents qui ont évolué à des formes très proches ou

28. Le genre est également polysémique dans le stade actuel (cf. Basset, 1952).
29. t avait cette fonction dans certains contextes dont, par exemple, la détermination des noms de
personnes.
30. Plusieurs points d’eau sont actuellement sacrés/sacralisés en raison du pouvoir surnaturel
qu’on leur attribue.
31. La base toponymique dont il est formé est conservée dans la couche hydronymique
ancienne (ex. Sar [Oued], Zar [Oued], Maroc…) et dans les variétés berbères actuelles ; ex. saru/
şaru « « ravin, ruisseau », tarifit ; « rigole secondaire », plusieurs variétés berbères.
32. L’actuel fleuve Melwecht/ Melwit.
33. Massath, Darat correspondent respectivement à Masst/ Massa et Derâa/ Dra.
34. Oued kert, actuellement.
35. Oued : « rivière/fleuve » ; chott : « lac d’eau salée » ; tamda : « mare, bassin » ; Nahr (arabe) :
« rivière / fleuve ».
36. Cf. Garet (Nahr), ci-dessus. Voir également Gara Aferdou, Gara Medouar, des anciens lacs,
Maroc.

107
identiques qui se sont ainsi formellement confondues 37. D’autant plus que le
second sens de l’affixe t (cf. ci-dessus) et les correspondances formelles et
sémantiques entre, d’un côté, dag (d (5 t) – ag et var.) et tag (5 t – ag et var.)
« descendance (masculine et féminine) de » (Ibid., 1445 et plus haut), et, de
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l’autre, édeg « grande extraction, grande naissance », montrent qu’il y a des
relations très liées entre eux. La forme et le sens de édeg montrent que c’est le
deuxième sens de d (5 t) qui y était employé (édeg 5 d (5 t : sens2) – ag et
var.) avant que cet affixe n’y fût figé et lexicalisé.
Par ailleurs, vu les fonctions qu’il détenait dans le stade proto-berbère, *ak
est de même réorganisé/réutilisé dans plusieurs éléments lors de la formation
du berbère pré-moderne qui se caractérise notamment par la recomposition du
prédicat d’existence, le noyau de la phrase dans le stade proto-berbère, en verbe
et en nom qui en ont hérité les fonctions 38 (cf. Allati, 2002, 2018). D’un côté,
il est réutilisé (1) comme affixe (ak) qui déterminait le nom auquel il est
généralement préfixé dans son emploi nominal, (2) dans la formation des
pronoms personnels et dans celle du premier paradigme personnel berbère
dont les traits sont conservés dans celui caractérisant les verbes d’état dans
le parler des Ayt Ziyan (cf. Galand, 1990) et qui a servi de base à la formation
du paradigme personnel actuel, etc. (cf. Allati, 2002, 2009, 2015b, 20018).
De l’autre, il est recomposé en nom ag (et var.) 39 « enfant / fils (de) », et ce en
fonction de son sens lexical dont il ne reste, semble-t-il, plus de traces, mais qui
est, d’après les sens des éléments qui en proviennent, vraisemblablement très
proche de « être généré, être produit ».
Aussi les différences entre ayt et iɣat proviennent-elles des réorganisations
différentes des éléments qui les composent (nom de parenté, verbe) lors de la
formation du stade pré-moderne. Cela a estompé les relations qui les reliaient et
le temps s’est chargé du reste.
De plus, conservés dans le stade actuel et dans la couche toponymique
berbère ancienne (cf. plus haut), ayt (et var.) et dag (et var.) sont formés par t
dont la place n’était pas encore fixe dans le stade pré-moderne (cf. plus bas)
comme d’ailleurs celles de la plupart des affixes dans ce stade et celles des
éléments grammaticaux dans le stade proto-berbère (cf. plus haut et Allati,
2002, 2018) 40. Aussi le type de distribution figée de l’affixe de pluriel fossilisé
dans ayt (et var.), dag (et var.) et ritma « mes frères » (Ghadamès, cf. plus haut),

37. De même, il a rattaché, par exemple, aw, w, u, ag… « fils de » à iwi « naître » (Ibid., 1440-1447
et plus haut). Les confusions des racines homonymes ou formellement très proches (notamment
mono- ou bi-consomantiques) sont du reste très fréquentes dans les dictionnaires berbères en raison
du type de classement qui y est utilisé.
38. Le nom y avait un emploi nominal et un autre verbal comme le statif dans les langues
sémitiques anciennes : akkadien, ougaritique, etc. (cf. Allati, 2015a, 2018).
39. D’après les vestiges qui en restent, la sonorisation de k en g (ak > ag) a vraisemblablement eu
lieu lors de cette recomposition, et ce certainement pour éviter la confusion de ce nom avec des autres
formes réorganisées de cet affixe.
40. Cf. des vestiges des contextes d’attestations de *ak dans le berbère actuel, note 25.

108
conserve-t-il un des premiers éléments morphologiques du nom ou, plus
précisément, la première forme du pluriel de cette catégorie générée par la
formation de ce stade.
La distribution actuelle de ces deux pluriels montre que l’emploi de ayt (et
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var.) s’est imposé, lors de la formation du stade pré-moderne, dans les formes
anciennes de la plus grande partie des variétés berbères et a occupé la deuxième
position après dag (et var.) qui a prévalu dans les variétés dont proviennent
celles du touareg.
Lors de la formation du berbère moderne qui se caractérise par la réorgani-
sation de la syntaxe ergative en construction accusative faisant nettement
élargir la zone distinguant le verbe du nom 41, l’affixe ak, qui se préfixait
généralement au nom dans son emploi nominal (cf. plus haut), s’est figé et
soudé au radical et sa voyelle initiale a été réorganisée en marque de cette
catégorie (cf. Allati, 2002, 2018). Ses formes suffixées ont été figées et soudées
au radical. Si les formes de cet affixe aux débuts de la plus grande majorité des
noms dans le berbère actuel (aš, (a)k, ag-, aq-, aɣ-, aw-, a-…, cf. Laoust, 1920,
Basset, 1952 et plus bas) 42, et les vestiges qui en restent à la fin de plusieurs
d’entre eux (cf. plus haut) correspondent en grande partie à ag (et var.), c’est
qu’il s’agit d’un même élément qui y est e recomposé / réutilisé (cf. plus bas).
Cet affixe a été également réorganisé en adjectif/pronom indéfini… dans
plusieurs variétés dont notamment les variétés touarègues (ak) et le kabyle
(akw, akkw, cf. plus haut).
Ayant été en grande partie remplacé, lors de la formation du berbère
moderne, par les formes du pluriel caractérisant les variétés berbères actuelles
(cf. Basset, 1952 : 24-26), l’affixe de pluriel t a été réutilisé comme affixe de
féminin qui a remplacé son ancienne marque tombée en désuétude, dont il ne
reste que des formes résiduelles figées (-m) dans notamment les deuxièmes
personnes sing. et pl. des pronoms personnels affixes, dans les pronoms
personnels indépendants et dans les affixes personnels du verbe (cf. Basset,
1952, Allati, 2002 : 178-191). Les formes résiduelles de l’affixe de pluriel sont
actuellement figées, mais elles n’ont pas perdu leurs sens/fonctions conduisant
ainsi à une situation ambivalente dans le stade actuel (t : genre (fém.) et formes
figées du pl.), que la tradition n’a pas encore élucidée. Tout au plus ont-elles été
à l’origine des hypothèses sur des formes anciennes du genre et du nombre en
berbère (cf. Basset, 1952 : 19-23).

41. Zone qui avait abouti presque au stade où elle en est actuellement.
42. À l’exception de quelques noms qui ne portent pas de marque initiale ; ex. fad « soif », laẓ
« faim », etc.

109
V. CONCLUSION

Ayant approché les noms de parenté à travers les éléments prédominants


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dans le berbère actuel et/ou les traits sémitiques postulés proto-afro-asiatiques,
la tradition berbérisante n’en a effleuré que la surface. Autant les éléments à
travers lesquels ils ont été abordés les font éloigner de leur axe historique,
autant ceux qu’ils conservent les placent au cœur de l’évolution qu’a connue
cette langue. On voit ainsi que ag (et var), iwi, yiwi… ne sont pas des formes
réduites d’une ancienne triconsonantique berbère qui serait similaire à la racine
triconsonantique sémitique postulée proto-afro-asiatique, mais celles qui ca-
ractérisent la plus ancienne base de formation du mot en berbère (cf. Allati,
2002, 2015a/b, 2018) qui a des correspondants dans les autres groupes afro-
asiatiques dont le sémitique (cf. Diackonoff, 1988 :42-56). Si la plupart des
noms de parenté ont été conservés – presque intacts depuis le stade pré-
moderne, d’où leur caractère archaïque –, c’est que la plus importante réorga-
nisation des niveaux morphologique, syntaxique et lexico-sémantique de cette
langue est tardive (formation du stade moderne), partielle, déséquilibrée (retard
du niveau morphologique par rapport aux autres) et encore inachevée (cf.
Allati, op. cit.). Mais cela on ne peut évidemment le voir de l’extérieur de
l’histoire de cette langue où s’est placée la tradition berbérisante.
Abdelaziz ALLATI
Université de Tanger-Tetouan

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PRASSE, K.G., 1972-1974, Manuel de grammaire touarègue (tahaggart), Vol. I-III, Co-
penhague, Akademisk forlag.

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