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DÉVELOPPEMENT CHEZ F.

PERROUX ET PERFORMANCE PAR LE


CHANGEMENT ORGANISATIONNEL

Wilfrid Azan

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2007/2 no 171 | pages 15 à 30


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746217713
DOI 10.3166/rfg.171.15-30
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CHANGEMENT/PERFORMANCE
PAR WILFRID AZAN

Développement
chez F. Perroux
et performance
par le changement organisationnel

D
La contribution vise à oit-on aujourd’hui parler de performance ou de
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établir que considérer la
développement ? L’idée la plus répandue, dans
performance comme le
résultat d’un changement
une littérature naissante, est que la prise en
permanent, ainsi que le compte du développement durable contraint les sys-
statue le courant du tèmes de pilotage à étendre les indicateurs afin d’inté-
reengineering, rapproche grer l’impact des organisations sur l’environnement. La
parfois abusivement les « performance » des gestionnaires déborderait sur la
concepts de performance et
sphère des économistes et notamment sur un concept qui
de développement. Il est
montré ici que l’œuvre de
leur est traditionnellement attaché, le concept de déve-
F. Perroux est une matrice loppement.
de la littérature sur la L’idée de cette contribution est différente, nous souhai-
performance par le tons montrer que la performance vue par les gestion-
changement notamment à
naires tend à se confondre avec le concept de dévelop-
travers l’importance qu’il
accorde au sens et à
pement. Deux termes différents pourraient en apparence
l’humain. Les similitudes renvoyer à des soubassements épistémologiques dis-
constatées sont ainsi tincts. Pourtant, la presse économique, qui ne se réfère
source d’une meilleure pas explicitement à des théories ou à des systèmes de
compréhension de pensée, ne fait déjà plus la différence en employant les
l’environnement
termes de « développeur d’entreprise » ou de « perfor-
économique et du
développement des
mance économique de pays ou de région sur les vingt
communautés humaines. dernières années ». Mais surtout, les disciplines tradi-
tionnelles de la gestion comme le contrôle de gestion qui
s’étoffe d’indicateurs de développement durable ou
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encore la gestion de production qui s’assor- vent positivistes et théoriques. Le change-


tit d’une composante environnementale ment par la performance semble être un des
sont victimes de ce flou conceptuel. On les postulats du reengineering, courant fondé
souhaite plus pertinentes mais on évacue par Hammer et Champy. Les réorganisa-
souvent la question de la production de sens tions permanentes seraient source d’une
essentielle dans les problématiques de meilleure efficience et efficacité de l’orga-
développement. nisation.
Nous souhaitons illustrer le propos en étu- Dans une première partie, nous définirons et
diant une partie de l’œuvre de F. Perroux mettrons en parallèle les concepts de perfor-
consacrée au développement et établir un mance par le changement organisationnel et
parallèle entre la conception du développe- de développement. Dans une deuxième par-
ment, basée sur le changement chez F. Per- tie, nous étudierons spécifiquement la place
roux, et les théories de la performance par de l’homme et du sens dans les processus
le changement organisationnel. Il est sou- économiques et enfin, nous nous interro-
vent peu pertinent de transposer des gerons sur les conséquences d’une superpo-
concepts actuels, le développement ou la sition entre performance et développement
performance, dans des contextes anciens et pour l’organisation.
révolus. L’enjeu du papier n’est donc pas
historique et est lié à la définition de la per- I. – LE DÉVELOPPEMENT, UNE
formance, à sa meilleure compréhension et FINALITÉ ÉCONOMIQUE ; LA
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à son pilotage. PERFORMANCE, UNE FINALITÉ
L’œuvre de F. Perroux est immense, parfois ORGANISATIONNELLE
contradictoire et nous privilégierons un axe
de recherche, lié à la place de l’homme Après les avoir définis, nous verrons que les
dans le développement. La redécouverte de concepts de « développement » et de « per-
pensées comme celle de F. Perroux est alors formance » convergent autour de l’exigence
une source d’inspiration pour situer l’action de production de sens.
des gestionnaires dans des organisations
1. Le concept de développement
floues, étendues, aux contours mal définis
et la performance1 des gestionnaires
et caractérisées par des logiques de travail
collaboratif. Croissance et développement sont associés
Nous nous appuyons pour la démonstration au changement. Le développement est lié à
sur le concept de changement pour la per- la croissance économique, c’est-à-dire un
formance. Plusieurs théories et courants de changement de dimension caractérisé par
pensée associent l’évolution d’une organi- l’augmentation soutenue pendant une
sation à la performance de la structure et longue période d’un indicateur. La crois-
parfois à sa survie. C’est le cas de la théorie sance se réduit à la mise en œuvre de fac-
évolutionniste et de la théorie de la contin- teurs physiques tels que le travail, le capital
gence. La performance par le changement ou encore le progrès technique. Le change-
organisationnel dépasse des approches sou- ment est plus général, il va de pair avec une

1. Nous décrirons l’évolution du concept sans discuter de son bien-fondé pour évoquer le travail humain.
Développement et performance 17

évolution de la société ce que la fonction les objectifs subissent des aléas divers.
Cobb-Douglas ne permet pas de mesurer. L’intention stratégique est une orientation
« L’exigence d’élaborations analytiques claire, qui assure la cohérence à long terme
bute contre les insuffisances de la compta- des actions, mais qui est suffisamment large
bilité nationale et du traitement statistique pour permettre à divers projets ou expéri-
qui y est appliqué. Ainsi, la fonction Cobb- mentations de se développer. Elle reste
Douglas (P = TaK1-a) qui relie les quantités stable tant que l’entreprise n’est pas parve-
de deux facteurs supposés homogènes (tra- nue à ses fins. L’intention stratégique
vail et capital) en régime de rendements énonce un but qui mérite un engagement et
constants, outre ses graves défauts intrin- un effort important de la part des salariés.
sèques, laisse hors d’atteinte de 40 à 60 % La performance dérive d’un surplus global.
du produit pour les pays développés ; cette Elle est alors la somme d’optima locaux au
partie inexplorée que l’on aurait tort de sein de l’entreprise. H. Bouquin, non sans
confondre avec la notion de progrès tech- s’inspirer des économistes, considère que la
nique, englobe hypothétiquement, la performance d’une activité, d’un centre de
meilleure allocation des ressources dans le responsabilité, d’une personne et d’un pro-
temps, la meilleure qualité des facteurs, le duit se mesure par l’impact qu’ils ont sur
learning des agents et les formes variées de la performance globale de l’entreprise
l’innovation. » (Perroux, 1981). (Bouquin, 1999). La performance se
Chez F. Perroux le développement ou « la décompose alors en efficience, efficacité et
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combinaison des changements mentaux et économie (Bouquin, 1999).
sociaux d’une population qui la rendent La performance au sens large est sous-ten-
apte à faire croître cumulativement et dura- due par une trialectique sujet-objet-projet.
blement son produit réel global » est au dont certaines variables paraissent difficile-
cœur des systèmes économiques. Le déve- ment actionnables (Bessire, 1999). La per-
loppement ajoute donc à la croissance un formance correspond à la dimension objec-
changement transversal en lequel R. Aron tive et mesure la progression dans la
voit « une transformation qualitative dont dimension identifiée comme le bon sens ;
les résultats sont mesurables ». La dimen- c’est le progrès vers l’objectif fixé, la perti-
sion qualitative du développement vécue nence renvoie à la dimension subjective et
comme un changement de structures2 la cohérence représente la dimension
marque, en économie, une rupture avec le rationnelle (« Les actions entreprises vont-
paradigme quantitatif. elles dans le même sens défini comme le
Le concept de performance subit une évolu- bon sens ? »). Le terme performance au sens
tion tout à fait comparable. La performance étroit englobe deux critères d’évaluation
fut initialement associée au concept de (pertinence, cohérence) et peut s’identifier
mesure et induit la capacité à se repérer par non plus seulement à une mesure, fut-elle
rapport à des objectifs donnés. Les buts et dépendante d’une subjectivité, mais aussi à

2. « La structure d’un ensemble économique se définit par le réseau de liaisons qui unissent, entre elles, les unités
simples et complexes, et par la série des proportions entre les flux et entre les stocks des unités élémentaires et des
combinaisons objectivement significatives de ces unités. », p. 333.
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la production de sens (Bessire, 1999). À la L’œuvre de F. Perroux annonce plusieurs


fin des années 1980, la performance devient fondements de la théorie de la contingence.
explicitation du sens (Kaplan et Johnson, On en mentionnera deux : la création et la
1987). diffusion de l’innovation. Premièrement, à
travers les notions d’espace, de pôles de
2. Une proximité théorique ? développement et d’industrie motrice,
Entre le concept de développement et celui Perroux envisage l’action qu’exercent les
de performance au sens large chez organisations sur le développement. « Un
Perroux on peut envisager des analogies, le pôle de développement est une unité
plus souvent elles montreront le caractère économique motrice ou un ensemble formé
réducteur de nombre de « théories méca- par de telles unités. Une unité simple ou
nistes » et la richesse de savoirs visant à complexe – une industrie, une combinaison
associer économies, gestion et humanités. d’industrie – est motrice quand elle exerce
La performance par le changement en sur d’autres unités avec qui elle est en rela-
sciences de gestion s’inscrit largement dans tion, des effets d’entraînement. » (Perroux,
la continuité des travaux de F. Perroux. Plu- 1964b). L’environnement économique est
sieurs courants théoriques mettent l’accent modifié par « la naissance d’une industrie
sur la forte sensibilité de l’organisation face nouvelle qui est toujours le fruit d’une anti-
à l’environnement (Perroux, 1964b)3. Nous cipation »6/7. « Le projet se précise en un
les regrouperons arbitrairement sous le plan ou plus exactement en des plans alter-
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vocable de théorie de la contingence, théo- natifs et susceptibles de corrections au
rie évolutionniste et courant du reenginee- cours des périodes successives. » Le projet
ring et ne ferons qu’évoquer les spécificités humain est source de déséquilibre, de rup-
de la théorie de l’adaptation, qui s’intéresse tures, bref d’un changement (Perroux,
aux mécanismes régissant l’évolution de 1964b)8. Deuxièmement, la diffusion de
l’organisation, des choix stratégiques l’innovation préfigure la théorie de la
(Child, 1972)4, des ressources dépendantes contingence : la diffusion de l’innovation
(« resource dependence »)5. Les dirigeants dans l’environnement segmenté de l’entre-
formulent des stratégies de changement en prise est perçue comme un motif d’adapta-
réponse ou par anticipation à des conditions tions organisationnelles et donc de perfor-
changeantes de l’environnement. mance.

3. Concept très proche de celui de marché chez F. Perroux et défini comme « un ensemble de firmes, centres de déci-
sion autonome, liées entre elles par un réseau d’échanges, qui rend interdépendants tous les prix et toutes les quan-
tités », p. 282.
4. C’est la stratégie d’une entreprise, c’est-à-dire l’ensemble des choix opérés par ses dirigeants qui façonnent la
structure.
5. Les entreprises cherchent à réduire leur dépendance par rapport à l’environnement dans lequel elles évoluent.
Elles cherchent à contrôler les incertitudes de l’environnement (« task-environment ») afin de pouvoir gérer leur
activité.
6. Ibid., p. 147.
7. « Elle forme une prévision, correcte ou non, sur les changements de la demande globale et s’adapte à cette pré-
vision. », Ibid. p. 198.
8. « La croissance est déséquilibre, le développement est déséquilibre. », p. 169.
Développement et performance 19

La théorie de la contingence s’intéresse à façons : soit comme une action consécutive


l’adaptation et à ses causes (Chiapello, aux variations de l’environnement afin de
1996). T. Burns et G.M. Stalker ont étudié rétablir l’alignement de l’organisation, soit
une vingtaine d’entreprises britanniques comme une action pouvant modifier les
opérant dans des contextes socio-écono- conditions de l’environnement. L’adapta-
miques très différents et caractérisés par un tion des organisations peut alors être perçue
taux de changement technologique et des comme un processus continu composé d’in-
degrés de concurrence très variables (Burns teractions et de feed-back entre l’environ-
et Stalker, 1961). Ils en dégagent deux nement et les choix stratégiques réalisés par
types idéaux d’organisation, épousant, plus les dirigeants (Hrebiniack et Joyce, 1985).
ou moins complètement, les particularités Pour le courant de l’écologie des popula-
de l’environnement : le modèle organique et tions, la performance est partiellement
le modèle mécanique. L’adaptation à l’en- déconnectée de l’adaptation ou de l’inadap-
vironnement est au cœur de l’analyse de tation. La structure ne s’adapte pas forcé-
P. Lawrence et de J. Lorsch, pour qui l’en- ment à l’environnement. Les structures qui
treprise doit arbitrer entre un degré de dif- ne peuvent remplir cette fonction sont éli-
férenciation et une intégration des spéciali- minées. Le principe d’inertie, par exemple,
sations choisies. La spécialisation permet n’établit pas qu’une structure ne varie
de faire correspondre l’entreprise à son jamais mais que les changements effectués
environnement, l’intégration est le proces- ne coïncident pas avec les variations de
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sus par lequel le management fait cohabiter l’environnement. Ce principe d’inertie
les différentes spécialisations à l’intérieur organisationnelle dérive des théories de
de l’organisation (Lawrence et Lorsch, M. T. Hannan et J. Freeman et permet d’éta-
1994). Ces deux derniers concepts rappel- blir que les évolutions ne sont pas toujours
lent l’analyse de F. Perroux d’un monde le fait de l’environnement. Le processus de
industriel composé de « forces centripètes sélection naturelle tend à favoriser les orga-
et centrifuges ». nisations, dont la structure est difficilement
L’organisation peut se décider à changer en transformable rapidement. En ce sens,
fonction d’un niveau de performance dont l’inertie structurelle devient une consé-
les déterminants sont multiples. La théorie quence du processus de sélection naturelle.
de l’écologie des populations s’inspire par- Quand l’environnement des entreprises
tiellement des travaux de C. Darwin, sur change plus vite que les structures, la théo-
l’évolution entre les espèces, la diversité rie de l’écologie des entreprises devient
naturelle et les mécanismes de sélection potentiellement applicable (tableau 1). Pour
entre ces dernières. Les concepts biolo- M. T. Hannan et J. Freeman, le problème
giques « de l’origine des espèces » sont principal de l’application de la théorie de
expérimentés par les sociologues de l’orga- l’écologie des populations au changement
nisation. Les représentants de cette école se situe au niveau de la concordance des
sont notamment M. T. Hannan et J. Freeman transformations engagées. Trois facteurs
(1977). sont pris en considération. Cette opposition
La performance par le changement organi- entre adaptation et écologie des populations
sationnel est alors envisagée de deux montre la difficulté à établir une relation de
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Tableau 1
TRANSFORMATIONS ET CARACTÉRISTIQUES
Facteurs Caractéristiques
Les changements de l’environnement sont-ils faibles ou
Environnement
importants, réguliers ou irréguliers, rapides ou lents ?
L’organisation dispose-t-elle d’une capacité d’apprentissage
Capacité d’apprentissage suffisamment importante pour répondre en temps voulu aux
variations de l’environnement ?

Vitesse de changement À quelle vitesse l’organisation est-elle susceptible de changer ?

causalité stable et unique entre les varia- dizaines d’années plus tard, certains rappro-
tions de l’environnement et les change- chements peuvent être tentés.
ments des organisations.
La performance de l’organisation peut souf- 3. Développement, performance
frir d’une ambiguïté générale des choix à et production de sens
effectuer. C’est le modèle de la poubelle ou Le concept de sens apparaît rapidement
« garbage can » (March, 1991). L’organisa- dans l’œuvre de F. Perroux. Il naît premiè-
tion se caractérise par une forte ambiguïté rement du constat de la finitude de l’appa-
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des préférences, par une technologie peu reillage de calcul économique : « Il est hors
maîtrisée et enfin une faible structuration de doute que les formalisations les plus
des processus de décision. Dans ce type récentes de l’économétrie exploratoire
d’organisation, il apparaît difficile de relier s’efforcent d’atteindre les structures et leur
une cause à un effet et la décision devient enchaînement dans le temps […]. Ces per-
aléatoire (Friedberg, 1992). Pour K. Weick, formances, même dans les pays riches et
toutes les organisations sont des systèmes les mieux dotés en spécialistes et en statis-
faiblement liés (Weick et Orton, 1990) et tiques sont bien loin d’avoir transformé
donc partiellement déconnectés de leur pratiquement la politique économique. »
environnement. (Perroux, 1981). Deuxièmement, l’interro-
Enfin, le courant du reengineering souligne gation est plus large et F. Perroux dégage
l’importance du changement permanent. comme principe de distinction, entre la
Penser l’économie comme un processus progressivité d’une société et le progrès
dialectique, se fondant sur des processus de qu’elle connaît, la signification. « Les
destruction et de création permet de contradictions du progrès, reflets des
répondre à un environnement en perpé- incompatibilités entre les progrès immé-
tuelle mutation, notamment dans des envi- diatement conçus et poursuivis par les
ronnements hypercompétitifs. groupes d’une société où s’entremêlent les
Entre une vision dialectique de l’économie divisions actuelles du travail et les stratifi-
dans l’œuvre de F. Perroux et une concep- cations sociales du passé, sont nom-
tion du changement permanent, quelques breuses. »
Développement et performance 21

L’interrogation sur le sens du progrès porte de nouveaux savoirs dans l’organisation


en germe chez l’économiste, des questions (Lorino, 1998).
qui vont, quelques dizaines d’années plus Une autre clé de lecture de la performance
tard, se poser aux gestionnaires. Un mana- par le changement est fournie par l’analyse
ger est alors, en même temps un générateur du rôle des acteurs. C’est l’objet de la par-
de performance (concept de rationalité) et tie suivante.
un créateur de situation de sens (concept de
sens). Parallèlement, l’espace de sens est II. – L’HOMME ET LES
défini comme une activité créatrice et géné- MENTALITÉS, AU CENTRE
ratrice de situations pertinentes (Lebas et DES MÉCANISMES DE CRÉATION
Fiol, 1999). La performance n’existe pas de DE PERFORMANCE
façon intrinsèque mais est définie par les
utilisateurs de l’information, par rapport au Pour F. Perroux, le développement, en tant
contexte décisionnel, lequel se caractérise que projet humain, dérive de l’affirmation
par un domaine et un horizon de temps. d’une foi répétée en l’homme. « Notre
Parallèlement, le seul calcul des coûts ne conception universaliste radicalement vise
parvient pas à produire de sens car il est chaque homme et tous les hommes […]. Le
déconnecté de la valeur (Mevellec, 1994)9. civilisé ne tue pas. Le civilisé ne compro-
Il faut créer du sens pour atteindre la per- met pas d’autres vies pour s’enrichir. Le
formance. La performance traduit une civilisé construit des formes sociales qui
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dynamique (Lorino, 1996). P. Lorino respectent la vie chez tous en commençant
conteste l’actualité d’un pilotage se fondant par supprimer les misères les plus pro-
sur ce qu’il nomme le paradigme de la fondes et par satisfaire les besoins les plus
mesure et porté par l’universalité du para- urgents. Les vérités premières se rencon-
digme du langage financier. L’auteur pro- trent sous forme de préceptes dans tous les
pose de passer du modèle de la mesure au textes sacrés ; ceux qui contiennent la
modèle du diagnostic, le déploiement de la parole de Dieu et ceux qui expriment les
performance sur les activités locales est espoirs de l’homme. Elles brillent dans le
alors plus complexe et moins stable que décalogue et dans les déclarations des
dans un modèle métrologique. Il s’agit de droits » (cité par Denoël, 1981).
répondre à la question suivante : quels sont
1. Acteurs, agents et exclus
les facteurs déterminants par rapport à tel
de la performance
ou tel résultat visé (Lorino, 1996) ? Quelles
sont les causes efficientes, donc les leviers La dimension humaine est peu à peu éva-
d’action à manœuvrer pour produire un cuée et les exclus du changement organisa-
effet escompté ? « Le modèle de diagnostic tionnel ne motivent pas une littérature très
sous-jacent au pilotage interprétatif pose de abondante.
manière privilégiée la question “pour- Acteurs pour les sciences de gestion et
quoi ?”». La performance est l’expression agents pour F. Perroux, la nuance est là

9. « C’est principalement la disparition de l’articulation entre le système de mesure de performance et les fonde-
ments de la valeur qui est à l’origine de la perte de pertinence du système de comptabilité de gestion. »
22 Revue française de gestion – N° 171/2007

encore très mince (Perroux, 1981a). port de F. Perroux est alors considérable.
« L’agent est une organisation et une indi- Premièrement, il permet d’envisager une
vidualité ; il vit en société et il décide, diversité des comportements et des straté-
c’est-à-dire combine ses variables gies qui sera largement reprise en
moyens et ses variables objectifs selon sciences de gestion. « Les groupes oligo-
son information et ses potentialités, en polistiques, par exemple, ayant épuisé
recourant à sa mémoire pour former son leur énergie de changement, peuvent se
projet. » Le niveau le plus faible est celui satisfaire d’un équilibrage plus ou moins
de l’unité, alors que les sciences de ges- durable, qui impose ses propres condi-
tion tentent de formaliser à un niveau tions, ses propres contraintes aux petites
encore inférieur celui des acteurs. L’ap- et moyennes unités. »

Tableau 2
RÔLE ET CARACTÉRISTIQUES DES ACTEURS DANS LA MISE
EN PLACE D’UNE ORGANISATION PERFORMANTE
Acteurs Rôles et caractéristiques dans la performance
Le leader Il diffuse le changement auprès des différents membres de
l’organisation, il est charismatique (Gioia et Chittipendi, 1991) et
transforme les valeurs, les traditions et impose sa vision. Il
interprète les événements et interagit avec eux. Le processus de
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formation de la performance est alors émergent (Isabella, 1991) et
fondé sur des phases d’interprétation des informations10.
La direction générale Le leader ne peut agir seul. Il lui est possible de s’adjoindre le
soutien de l’équipe dirigeante afin de diffuser sa vision dans
l’organisation. La direction générale est un relais de l’action mais
ne constitue pas une assistance dans la conception
organisationnelle (Greiner et Bhambri, 1989).
Les acteurs externes Le rôle des consultants est triple. Premièrement, ils apportent une
meilleure performance en reformulant les arguments avancés.
Deuxièmement, ils peuvent recommander une nouvelle vision de
la performance plus adaptée à l’organisation. Les dirigeants
prennent alors conscience du caractère obsolète de l’organisation
dans laquelle ils se trouvaient. Troisièmement, ils remplissent un
rôle pédagogique auprès du donneur d’ordre (Chanal et al., 1997 ;
Argyris, 1990). Ils font émerger de nouveaux savoirs en stimulant
la réflexion des acteurs. Ils ont une fonction de transmission du
savoir.
Les exclus de la performance Cette question n’est sans doute pas la plus traitée en sciences de
gestion. Peu d’auteurs envisagent la performance comme une
exclusion d’acteurs. L’analyse par les dysfonctionnements (Zardet
et Savall, 1995) détaille les processus d’éviction et d’exclusion.

10. Le modèle que L. Isabella propose se divise en trois phases : le dégel, le mouvement et le regel. Ces phases cor-
respondent chez le leader à quatre phases : anticipation, confirmation, culmination et conséquences.
Développement et performance 23

Le thème de l’exclusion de certains acteurs Les composantes de notre grille de lecture


dans les processus de changements organi- de la performance par le changement ren-
sationnels n’est pas le centre des préoccu- voient à la présence d’étapes dans le déve-
pations de théories comme la contingence loppement ou la construction de la perfor-
ou encore l’évolutionnisme. Pour F. Perroux, mance et donc à l’œuvre de F. Perroux.
il faut faire évoluer l’entreprise vers le pro-
grès, l’œuvre de l’économiste a ainsi 2. Instabilité et cyclicité de l’humain
fécondé les travaux des gestionnaires dont Cette partie s’inscrit dans une perspective
un des tenants est H. Savall (F. Perroux, dynamique et vise à comprendre la parenté
1979) et donné naissance à l’analyse socio- des étapes de développement des écono-
économique. Le courant du reengineering, mies et des phases de performance des
comme la théorie évolutionniste font le organisations.
constat de la prédominance des connais- La théorie du cycle est bien une des grandes
sances tacites des acteurs dans la perfor- caractéristiques d’un des maîtres à penser
mance par le changement organisationnel. de F. Perroux, J. Schumpeter. « Elle est rat-
« Ce ne sont pas les entreprises qui reconfi- tachée à l’apparition périodique des entre-
gurent les entreprises, ce sont les preneurs et des combinaisons nouvelles. Le
hommes. » (Hammer et Champy, 1993). mouvement ondulatoire (« Wellenbewe-
Pour le courant du reengineering, la perfor- gung ») qu’est la crise n’est pas en lui-
mance se situe à un niveau global. Elle est même anormal, mais est une condition et un
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la différence entre valeur créée et somme aspect essentiel du progrès économique et
des ressources consommées. Le défi du du développement social. » (Perroux,
pilotage est de traduire cette vision globale 1993). La dialectique entre statique et dyna-
dans des visions locales, où l’on peut à la mique et surtout le principe de découpage
rigueur appréhender des consommations de en phases de processus de changements
ressources mesurables. La performance pour la performance sont largement repris
locale est, dans le modèle de la mesure, la par les gestionnaires. Le développement, en
somme des performances. économie, est l’expression de variables
La performance implique la connaissance contradictoires11 (rationalité et irrationalité)
de l’organisation. Seuls les employés l’ont, et c’est exactement cette idée qui préside à
par opposition aux consultants, et eux seuls, l’élaboration de phases de changement en
détiennent le savoir pour coconstruire la sciences de gestion.
performance avec l’organisation. Au cœur Une acception de la performance de l’orga-
du reengineering se trouve la pensée en rup- nisation en tant que succession d’étapes
ture (Hammer, 1990) qui rompt avec les apparaît très tôt en sciences de l’organisa-
règles périmées et supposées fondamen- tion. Ainsi, le modèle de L.L. Greiner, qui
tales. Mais, la performance n’est pas que comprend cinq phases successives
rupture et la continuité s’exprime dans les (Greiner, 1972), vise à lier changement
savoirs détenus par les employés. organisationnel et performance (tableau 3).

11. Théories de la généralisation, théories circulaires, anti-théorie, théorie de la différence de temps, théorie des
variables indépendantes.
24 Revue française de gestion – N° 171/2007

Tableau 3
ÉTAPES ET MODÈLES DE GREINER
Phase Caractéristiques
La phase de créativité Elle consiste en la création d’un produit et d’un marché. Elle prend fin
avec la crise du leadership. L’organisation ne peut être gérée de façon
informelle. Cette crise se traduit par la nomination d’un manager
chargé de résoudre la crise.
La direction Elle est une phase de croissance soutenue. Alors que l’énergie des
employés se concentre sur la croissance de l’entreprise, la hiérarchie
commence à peser. Cette crise se traduit par la mise en place d’un
système de délégation.
La délégation Elle se caractérise par la mise en place d’une structure
organisationnelle décentralisée favorisant le développement
d’initiatives. Cette étape conduit à la crise du contrôle. Peu à peu, le
top management tente de regagner le contrôle de l’organisation
décentralisée.
La coordination Elle vise à utiliser les systèmes formels afin d’accroître la cohérence
entre les unités autonomes. Les managers apprennent à justifier leurs
actions.
La collaboration Le contrôle social prend le dessus sur le contrôle formel. Des équipes
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de travail intra et interfonctionnelles se mettent en place. Les phases
s’enchaînent de façon continue. Chaque phase est déterminée par les
phases précédentes.

Source : Greiner (1972).

Tableau 4
MODÈLES ET PHASES D’ÉLABORATION DE LA PERFORMANCE
Phases Auteurs
Variation, sélection, rétention M. T. Hannan et J. Freeman
Maturation, déracinement, enracinement I. Vandageon-Derumez
Momentum et révolution D. Miller et P. H. Friesen

La description des processus de change- le temps, les variables expliquant le pro-


ments est issue d’une littérature qui aborde cessus.
le changement selon plusieurs axes non Le modèle écologique de M. T. Hannan
exclusifs : les principaux mécanismes et J. Freeman repose sur trois phases (varia-
régissant le processus de changement, l’en- tion, sélection, rétention). Le modèle
chaînement des différentes phases dans d’I. Vandageon-Derumez, quant à lui, com-
Développement et performance 25

prend les phases de maturation, déracine- riés. Sans nous prononcer sur les dérives
ment, enracinement (Vandangeon-Derumez, parfois occasionnées par l’utilisation de ces
1998), le modèle de Miller et Friesen ren- méthodes, nous retenons qu’il vise à chan-
voie à deux phases : momentum et révolu- ger les mentalités et les habitudes au sein
tion (Miller et Friesen, 1980). d’une population.
Les modèles de performance par le change- Dans le reengineering, une technologie fait
ment intègrent l’aléa, le chaos, l’imprévi- souvent irruption et modifie le fonctionne-
sible et l’instabilité du facteur humain. En ment à l’œuvre. Un exemple donné par M.
cela, ils se rapprochent des modèles de Hammer et J. Champy12 est celui de la
développement des économistes. reconnaissance automatique. Une société
qui gère un parc de camions connaît en
III. – SUPERPOSER PERFORMANCE continu leur emplacement. Elle n’a plus à
ET DÉVELOPPEMENT ? surveiller son matériel. Si les véhicules
changent de place, le siège en est immédia-
Les hypothèses d’une performance par le tement informé et il est inutile d’attendre
changement organisationnel et d’une place que les chauffeurs s’arrêtent pour signaler
prépondérante de l’homme et de la produc- le nouvel emplacement du véhicule.
tion de sens dans les modèles de développe- Le reengineering ou courant de la transfor-
ment rendent imaginable une superposition mation radicale (Hammer et Champy,
entre développement, tel que défini par 1993) offre une méthode d’organisation du
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F. Perroux, et performance. Envisageons ici travail. L’équipe examine tous les proces-
quelques conséquences de cette superposition sus afin de comprendre quels sont les pro-
et d’une performance qui se définirait comme cess démodés et quels sont les aspects
suit: « la combinaison des changements men- transfonctionnels. Il s’agit de s’attaquer non
taux et sociaux d’une population qui la ren- pas seulement à la restructuration du travail
dent apte à faire croître cumulativement et mais aussi à sa simplification afin de
durablement son produit réel global ». remettre en cause13 très radicalement les
macrostructures de l’entreprise, ses décou-
1. Changer les mentalités
pages fonctionnels, l’utilité de nombreuses
et les habitudes d’une population
tâches (Giard, 1981).
Le reengineering a souvent été associé aux Trois types de priorités sont alors prises
plans sociaux et aux départs forcés de sala- en compte. La première est la valeur ajou-

REENGINEERING ET IRRUPTION D’UNE TECHNOLOGIE


Règle ancienne : il faut savoir où les choses se trouvent.
Technologie perturbatrice : technologie de reconnaissance et de suivi automatique.
Règle nouvelle : les choses nous disent où elles se trouvent.

12. Op. cit., p. 112.


13. « Au cœur du reengineering réside la notion de pensée de rupture – c’est-à-dire comment identifier et abandon-
ner les règles périmées et les postulats de base qui imprègnent le fonctionnement actuel des entreprises. », op. cit.
26 Revue française de gestion – N° 171/2007

tée des processus formulés pour le client. 2. Piloter le développement


Le ou les clients sont alors placés au centre de communautés humaines
des priorités. La deuxième est la remise en Nous avons largement développé dans les
cause de l’organisation. Le changement parties précédentes l’importance de l’hu-
n’est pas local, il remet l’organisation en main dans le concept de développement. Le
cause dans son intégralité. Enfin, la troi- concept de « population » renvoie au péri-
sième priorité associe étroitement le mode mètre de la performance.
de raisonnement et le potentiel des Un système de pilotage ne concerne pas
NTIC14. « Pour appliquer les technologies uniquement une organisation mais un sys-
de l’information au reengineering d’entre- tème d’offre et de demande et donc une
prise, il faut penser par induction, être communauté humaine. Il groupe fournis-
capable de commencer par détecter une seurs, clients et utilisateurs de chiffres ce
solution puissante avant de rechercher qui n’est pas sans rappeler le concept de
quels problèmes, elle pourrait résoudre. » pôle de développement de F. Perroux15. La
(Hammer et Champy, 1993). Cette der- performance s’étend à des communautés
nière priorité du reengineering nous humaines véritables entreprises étendues.
éloigne de la production de sens et de La littérature sur les phases d’ingénierie
développement. simultanée dans les projets automobiles,
La remise en cause des principes acquis évoque très largement les systèmes
de la valeur à travers un doute méthodique d’« open book » et la possibilité pour une
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et systématique de ses fondements est lar- communauté d’acteurs de disposer de
gement évoquée par les tenants du reengi- chiffres, véritables référentiels communs à
neering. Ce dernier, perçu par d’aucun une performance collective associant
comme l’avènement de l’instabilité et clients et fournisseurs.
d’un nouvel ordre social, se veut de placer La population s’intègre dans un système
les acteurs au centre des processus de environnemental. La production d’indica-
créations de valeur. Il ne s’agit toutefois teurs renvoie à des communautés humaines,
pas d’une finalité. Perroux estima rapide- « populations » au sens de Perroux. Les cri-
ment que « le dialogue en vue de la vérité tères du calcul économique, les clés de
s’impose » et qu’il n’est point de vérité répartitions et les inducteurs relativisent
scientifique dans des organisations qui ne une performance qui serait uniquement
puisse faire l’économie du débat. De l’in- financière au regard de ce qu’elle a coûté à
teraction entre les participants, naît le la collectivité et aux générations futures.
sens, la convergence et « l’infini de la Les systèmes de type « pollueurs payeurs »
valeur » (Perroux, 1964a). participent à cette tendance amènent une
complexification du pilotage et débouchent

14. Nouvelles technologies de l’information et la communication.


15. « Un pôle de développement est une unité économique motrice ou un ensemble formé par de telles unités. Une
unité simple ou complexe – une industrie, une combinaison d’industrie – est motrice quand elle exerce sur d’autres
unités avec qui elle est en relation, des effets d’entraînement. » (Perroux, 1964b).
Développement et performance 27

sur des innovations comme les usines tiale des acteurs semble liée à des problé-
propres. La « Corporate Social Responsabi- matiques d’image et de notoriété.
lity » (ou responsabilité sociale de l’entre- Pourtant, la superposition entre perfor-
prise) est largement reprise dans la NRE ou mance et développement ne conduit pas à
nouvelle loi de régulation économique16. une stratification supplémentaire d’indica-
La superposition entre performance et teurs de développement se surajoutant à
développement est particulièrement percep- des indicateurs d’efficience et d’efficacité.
tible dans les indicateurs que les systèmes Les enjeux sont plus profonds et ont trait à
de pilotage ont à produire (tableau 5). Si la production de sens pour une population
beaucoup de ratios assurent aux acteurs, qui susceptible d’amener un changement de
parfois les manipulent, un positionnement mentalité autoalimentant la croissance
marketing, les communautés humaines ont durable d’un ou plusieurs indicateurs fédé-
également besoin de tendances liées à leur rateurs.
propre développement.
Les rapports d’activités des grandes socié- CONCLUSION
tés industrielles regorgent d’indicateurs
environnementaux, globaux et sociaux. En conclusion, nous avons montré les rap-
Telle société développe un programme prochements possibles entre plusieurs cou-
d’aide alimentaire dans une région, telle rants en sciences de gestion et la définition
autre assure que sa fondation combat l’illet- du développement de F. Perroux. Les théo-
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trisme dans le monde, promeut l’égalité des ries évoquées sur la performance par le
sexes, lutte pour la protection de l’enfance changement ne sont pas sans rappeler la
ou de l’environnement. La motivation ini- définition de F. Perroux mais évacuent les

Tableau 5
EXEMPLE D’INDICATEURS « CLASSIQUES »
Groupe Indicateur
Indicateurs de protection de l’atmosphère
Indicateurs
Indicateurs de gestion des déchets
environnementaux
Indicateurs de gestion des écosystèmes
Indicateurs de commerce équitable
Indicateurs globaux
Indicateurs d’aide aux ONG17
Indicateurs de contribution à la lutte
contre la pauvreté dans le monde
Indicateurs sociaux
Indicateurs de contribution à la lutte contre l’illettrisme,
la sous-nutrition ou encore la malnutrition

16. « La responsabilité sociétale des entreprises est décrite comme l’intégration volontaire des préoccupations
sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties intéressées ».
17. Organisations non gouvernementales.
28 Revue française de gestion – N° 171/2007

modifications des savoirs, de mentalités et Ce concept de développement s’avère parti-


la production de sens. La définition de culièrement fécond. Il suggère de nom-
F. Perroux est encore actuelle à ce titre, même breuses pistes de recherche pour le contrôle
si nous l’avons transposée dans un contexte de gestion et les sciences de l’organisation
qui est celui de communautés humaines notamment pour comprendre les ressorts de
dépassant le cadre de l’organisation. la performance.

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