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001-La Malediction de La Momie
001-La Malediction de La Momie
DE LA MOMIE
R. L. Stine est né en 1943 à Colombus aux
États-Unis. A ses débuts, il écrit des livres in-
teractifs et des livres d'humour. Puis il de-
vient l'auteur préféré des adolescents avec
ses livres à suspens. Il reçoit plus de 400 lettres
par semaine ! Il faut dire que pour les dis-
traire, il n ' h é s i t e pas à écrire des histoires
plus fantastiques les unes que les autres.
R. L. Stine habite N e w Y o r k avec son épouse
Jane et leur fils Matt.
Ms auc lecfeeus
Vous êtes luttant à écrire à l'auteir de la série Char
depoide et nous W I B en remettions, Rxr être sûr aie
votre couiier arrive, adressez votre conespondanœ à :
Bayait! Éditions
Série Chair de poule
3, rue Bayard
75008 Paris.
Nous la transmettons à RL Sbne.
Et bran par votre Passion de fre I
ILLUSTRATION DE COUVERTURE
HENRI GALERON
LA MALÉDICTION
DE LA MOMIE
R.LSTIINE
TRADUIT DE L'AMÉRICAIN
RAR JEAN-BAPTISTE MÉDINA
Onzième édition
PASSION DE LIRE
© BAYARD POCHE
Impression réalisée sur CAMERON
par BRODARD ET TAUPIN
La Flèche
en juillet 1998
Imprimé en France
D é p ô t l é g a l : juin 1995
N° d ' E d i t e u r : 4080 - N ° d'impression : 6041U-5
Titre original
G Ô O S E B U M P S n° 5
The curse ofthemummy's tomb
I S B N : 2227 729 01 5
I S S N : 1264 6237
Avertissement !
Que tu aimes déjà les livres ou que tu les d é c o u v r e s ,
s i t u a s envie d ' a v o i r peur, Char de poule est pour t o i .
Attention, lecteur I
Tu vas p é n é t r e r dans un monde é t r a n g e
où le m y s t è r e et l'angoisse te donnent rendez-vous
pour te faire frissonner de peur... et de plaisir !
1
- Sari !
J'appelai encore et encore, é c o u t a n t l ' é c h o de ma
v o i x se r é p e r c u t e r le l o n g de la galerie et s ' é v a n o u i r
dans le silence.
C e l a me mit en c o l è r e . Je me doutais de ce que Sari
manigançait. E l l e faisait exprès de ne pas r é p o n d r e .
E l l e voulait prouver qu'elle n'avait peur de r i e n ,
alors que je m'affolais d è s qu'on me laissait seul
dans le noir.
Je me rappelai soudain une é p o q u e lointaine où Sari
et Oncle B e n é t a i e n t venus s é j o u r n e r chez nous,
quelques a n n é e s plus tôt. Nous devions avoir sept ou
huit ans, Sari et m o i .
N o u s é t i o n s en train de nous amuser dans le j a r d i n . Il
faisait gris, un orage m e n a ç a i t d ' é c l a t e r . Sari é t r e n -
nait une corde à sauter toute neuve ; elle se donnait
en spectacle comme toujours, bondissant de plus en
plus haut pour montrer à quel point elle é t a i t agile. Et
quand ce fut m o n tour, bien sûr, je t r é b u c h a i et je
m ' é t a l a i de tout m o n l o n g tandis qu'elle riait comme
une folle.
Je r é s o l u s de me venger en l'emmenant visiter la
v i e i l l e maison a b a n d o n n é e sur la c o l l i n e , en haut de
notre rue. Tous les gamins du voisinage p r é t e n d a i e n t
qu'elle é t a i t h a n t é e . N o u s adorions quand m ê m e
jouer dedans — m a l g r é l ' i n t e r d i c t i o n de nos parents
qui nous r é p é t a i e n t qu'elle tombait en ruine et que
nous risquions un accident.
Je c o n d u i s i s donc S a r i devant la m a i s o n et l u i
racontai qu'elle était hantée. Je l'entraînai à l'inté-
rieur par une fenêtre brisée du rez-de-chaussée.
Dehors, le c i e l devint tout n o i r et la p l u i e se mit à
tomber à verse. L ' a m b i a n c e parfaite pour vous don-
ner la chair de poule. Au visage tendu de Sari, je v i s
qu'elle n'était pas très rassurée. M o i , je n'avais pas
peur, parce que je connaissais b i e n les l i e u x .
Je m'amusai à fureter dans tous les coins, mais au
bout d'un moment, je m ' a p e r ç u s que nous é t i o n s
s é p a r é s . Le tonnerre grondait, des é c l a i r s fendaient
le ciel, la pluie dégoulinait sur les planchers. Je déci-
dai q u ' i l valait mieux rentrer chez nous, et j ' a p p e l a i
Sari. Pas de r é p o n s e .
J'appelai encore. Toujours r i e n . C'est alors que
j'entendis un craquement assourdissant.
Je courus de p i è c e en p i è c e sans cesser de crier son
nom. Je tremblais de peur. J'avais la certitude q u ' i l
l u i é t a i t a r r i v é quelque chose de terrible. Impossible
de la trouver.
Je me m i s à pleurer. L ' a n g o i s s e m'aveugla, je
m'enfuis de la maison sous la pluie battante.
Je galopai sous le fracas du tonnerre et des é c l a i r s , je
pleurai tout le l o n g du chemin. En arrivant chez m o i ,
j ' é t a i s t r e m p é des pieds à la t ê t e . Je me ruai dans la
cuisine pour avouer entre deux sanglots que j ' a v a i s
perdu Sari dans la maison h a n t é e .
Et elle é t a i t là. A s s i s e à la table de la cuisine, bien au
sec. En train de manger une grosse tranche de g â t e a u
au chocolat avec un sourire satisfait.
A l o r s maintenant, tout en scrutant d é s e s p é r é m e n t les
t é n è b r e s au fond de la pyramide, je me disais que
Sari me j o u a i t le m ê m e genre de tour.
E l l e voulait m'effrayer. Me tourner en r i d i c u l e .
Mais était-ce vraiment le cas ?
Au fur et à mesure queje progressais dans la galerie,
les yeux fixés sur le halo de ma lampe, ma c o l è r e se
transforma en i n q u i é t u d e , et le doute s'installa dans
mon esprit. A v a i t - e l l e eu un accident? É t a i t - e l l e t o m -
b é e dans un trou sans fond? P e u t - ê t r e m'appelait-
elle au secours quelque part...
Affolé, je hâtai le pas. E l l e ne devait pas être bien
l o i n de m o i , j ' a l l a i s certainement apercevoir la lueur
de sa lampe. N o u s é t i o n s r e s t é s dans l a m ê m e galerie
depuis le d é b u t , et il n'y avait aucun endroit où se
cacher le l o n g de la paroi.
J'atteignis soudain le bout de la galerie, qui d é b o u -
chait sur une petite chambre c a r r é e . Impossible
d'aller plus l o i n . Je promenai ma lampe autour de
moi.
-Sari?
Toujours aucun signe de sa p r é s e n c e .
L e s murs de la chambre é t a i e n t nus.
- Ooooh.
Ce cri m ' é c h a p p a lorsque j ' a p e r ç u s un objet r a n g é le
l o n g de la paroi qui me faisait face. F a s c i n é , je m'en
approchai. C ' é t a i t un sarcophage. Un grand sarco-
phage de pierre d'au moins deux m è t r e s de l o n g , rec-
tangulaire, avec des coins arrondis. Le couvercle
s'ornait d'un visage s c u l p t é , un visage de femme
dont les yeux grands ouverts regardaient le plafond.
U n masque mortuaire.
— Ouaouh ! m ' é c r i a i - j e . Un vrai sarcophage !
Le visage s c u l p t é sur le couvercle avait dû ê t r e peint
de couleurs v i v e s en son temps; mais leur a l t é r a t i o n
au f i l des s i è c l e s l u i donnait à p r é s e n t un aspect
grisâtre.
Je me demandai si O n c l e B e n connaissait l'existence
de ce sarcophage, ou si je venais de faire une d é c o u -
verte. Et que p o u v a i t - i l y avoir à l ' i n t é r i e u r ?
Rassemblant m o n courage, j ' a v a n ç a i la main pour
caresser la pierre lisse du couvercle quand un sinistre
craquement a r r ê t a m o n geste.
Je v i s le couvercle se soulever doucement.
Je crus d'abord ê t r e le jouet de m o n imagination.
Sans bouger un muscle, je concentrai m o n attention
sur le sarcophage. Le couvercle se souleva un peu
plus.
- A a a h h ! m'écriai-je.
J'entendis une e s p è c e de chuintement, comme quand
un ballon crevé se dégonfle. Je bondis en a r r i è r e , ma
lampe m ' é c h a p p a . Je la ramassai d'une m a i n trem-
blante et la dirigeai de nouveau sur le sarcophage. Le
couvercle continuait de s'ouvrir lentement.
J'aurais v o u l u m'enfuir en hurlant, mais la peur me
bloquait. M e s j a m b e s n e m ' o b é i s s a i e n t p l u s , j ' é t a i s
incapable d ' é m e t t r e un son.
Le couvercle s'ouvrit tout à fait.
Du fond t é n é b r e u x du cercueil antique, deux y e u x
luisants me regardaient.
6
N o u s r e t o u r n â m e s à l ' h ô t e l du C a i r e p o u r y passer la
nuit. Je battis Sari deux fois de suite au scrabble,
mais cela ne me remonta pas le m o r a l . E l l e se plai-
gnaittout le temps qu'elle n'avait que des voyelles, et
que ce n ' é t a i t pas juste. En f i n de compte, j e rangeai
m o n scrabble et me mis à regarder la t é l é sans
comprendre ce qui s'y passait. C e l a me fit b i e n t ô t
tomber de s o m m e i l .
Le lendemain matin on nous monta le petit d é j e u n e r
dans la chambre. J'avais c o m m a n d é des toasts g r i l -
l é s , mais i l s é t a i e n t m o u s et insipides, e t l a p r e m i è r e
b o u c h é e me resta en travers de la gorge.
— Qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui? demanda
Sari à Oncle Ben qui s'étirait et bâillait après avoir
bu sa d e u x i è m e tasse de c a f é .
— J'ai rendez-vous au musée du Caire, répondit-il en
jetant un coup d'oeil sur sa montre. C'est à deux pas
d ' i c i . Vous pourriez peut-être m'accompagner et
vous promener dans le m u s é e en m'attendant.
P u i s il ajouta :
— Le musée p o s s è d e une belle collection de momies,
G a b r i e l . T u aimeras ç a .
-A moins qu'elles ne sortent de leur sarcophage,
observa Sari.
Désopilant. Je l u i tirai la langue. E l l e me lança sa
b o î t e de corn flakes que je rattrapai au v o l .
- Q u a n d est-ce que mes parents v o n t rentrer?
demandai-je à O n c l e B e n .
Je venais soudain de me rendre compte q u ' i l s me
manquaient.
M o n oncle ouvrit l a bouche pour m e r é p o n d r e , mais
le t é l é p h o n e sonna, et il alla prendre la c o m m u n i c a -
tion. Par la porte de la chambre, je v i s son visage se
charger d ' i n q u i é t u d e au fur et à mesure q u ' i l é c o u t a i t
son interlocuteur.
— Changement de programme, nous a n n o n ç a - t - i l
après avoir reposé le c o m b i n é .
- Q u e se passe-t-il, Papa? s ' é t o n n a S a r i .
— C'est curieux, r é p o n d i t - i l en se grattant la t ê t e .
D e u x de mes ouvriers ont eu un malaise cette nuit.
Ils sont atteints d'une m y s t é r i e u s e maladie. On a dû
les conduire à l ' h ô p i t a l du Caire.
L ' a i r p r é o c c u p é , i l rassembla h â t i v e m e n t quelques
affaires et r é c u p é r a son cartable.
— Il faut q u e j ' a i l l e les v o i r t o u t de suite, expliqua-
t-il.
— Et nous, Papa, qu'est-ce qu'on devient? interrogea
Sari en me regardant.
— Je ne serai absent qu'une heure au plus, l u i r é p o n -
d i t - i l . Attendez-moi i c i , d'accord?
- D a n s la chambre? s ' é c r i a Sari comme s ' i l s'agis-
sait d'une horrible p u n i t i o n .
— B o n , vous pouvez descendre à la r é c e p t i o n , si vous
voulez. Mais ne quittez pas l'hôtel.
Il enfila une saharienne, vérifia le contenu de son
cartable et quitta les l i e u x .
N o u s nous retrouvions seuls, et ne savions pas trop
que faire.
— Qu'est-ce que tu proposes? demandai-je au bout
d'un moment. D ' i c i quelques minutes, il va faire une
chaleur é p o u v a n t a b l e dans cette chambre.
— A l o r s , il faut sortir, d é c i d a Sari en se levant.
— Tu veux dire descendre à la r é c e p t i o n ?
— N o n . Je veux dire sortir dehors.
E l l e se dirigea vers le miroir du salon et se mit à
brosser ses longs cheveux noirs.
— M a i s Oncle B e n nous a... c o m m e n ç a i - j e .
— N o u s n'irons pas l o i n , m'interrompit-elle. Si tuas
peur, b i e n sûr, tu peux rester.
Je l u i fis une grimace dans le dos. Je ne pense pas
qu'elle s'en a p e r ç u t . E l l e était trop o c c u p é e à
s'admirer dans la glace.
— D'accord, lui dis-je. On pourrait aller au m u s é e .
D ' a p r è s ton p è r e , c'est juste à côté.
J'avais d é c i d é de ne plus ê t r e celui qui geint et qui
proteste. A partir de maintenant, je l u i montrerais
que j ' a v a i s de la t é m é r i t é à revendre, m o i aussi.
— Le m u s é e . . . ? Si tu veux, fit-elle en se retournant
pour me regarder. A p r è s tout, nous avons douze ans.
N o u s ne sommes plus des b é b é s . N o u s pouvons aller
où bon nous semble !
— C'est s û r ! affirmai-je. Je vais laisser un mot à
O n c l e B e n pour le rassurer, au cas où il rentrerait
avant nous.
Je saisis un bout de papier et un crayon sur le bureau.
— Si tu as peur, G a - G a , nous pouvons nous contenter
de faire le tour du p â t é de maisons, reprit-elle d'une
v o i x moqueuse.
E l l e me dévisageait, attendant ma r é a c t i o n .
— Ne dis pas de b ê t i s e s , répliquai-je. Nous allons au
m u s é e . S a u f si c'est t o i qui a peur.
- N e dis pas de b ê t i s e s ! minauda-t-elle en s'effor-
çant de m'imiter.
- E t ne m'appelle pas G a - G a , ajoutai-je.
- G a - G a , G a - G a , G a - G a , r é p é t a - t - e l l e , juste pour
m'ennuyer.
Je laissai un message bien en é v i d e n c e et quelques
instants plus tard, dans le h a l l de l ' h ô t e l , je demandai
à la jeune réceptionniste le chemin du m u s é e : il fal-
lait tourner à droite en sortant, et continuer de mar-
cher pendant trois cents m è t r e s environ. N o u s ne
pouvions pas le manquer.
En é m e r g e a n t sous le s o l e i l , Sari parut h é s i t e r .
- T u te sens vraiment le courage d'y a l l e r ?
- E t comment ! r é p o n d i s - j e . De toute f a ç o n , nous ne
risquons r i e n . Que p o u r r a i t - i l nous arriver?
7
Une momie !
La l u m i è r e v a c i l l a i t sur sa face impassible. Je me
contentai d ' é c a r q u i l l e r les yeux, bouche b é e , f i g é de
peur et de surprise, incapable de me lever. Le bruit
s a c c a d é de ma respiration montait à mes oreilles.
La momie continuait de me regarder sans me v o i r .
Que faisait-elle p l a n t é e là, les bras pendants comme
des piquets ? L e s anciens É g y p t i e n s ne laissaient pas
leurs momies au g a r d e - à - v o u s .
De toute é v i d e n c e , elle n ' a l l a i t pas se mettre à b o u -
ger et me sauter dessus. Je me d é t e n d i s un peu.
- D u calme, G a b r i e l , dis-je à v o i x haute pour me
rassurer.
Ces trois mots m ' a r r a c h è r e n t une quinte de toux.
L ' a i r é t a i t tellement suffocant ! Grognant de douleur
parce que m o n é p a u l e me l a n ç a i t toujours, je me
remis debout tant bien que m a l et promenai ma
lampe autour de m o i .
Je me trouvais dans une chambre immense et haute
de plafond. Beaucoup plus grande que la chambre où
travaillaient O n c l e B e n et ses ouvriers. Et beaucoup
plus e n c o m b r é e .
-Oooh...
Une exclamation étouffée s ' é c h a p p a de mes lèvres
tandis que le p â l e halo de ma lampe me r é v é l a i t un
s t u p é f i a n t spectacle. Des silhouettes obscures, enve-
l o p p é e s de bandelettes, m'entouraient de partout. La
chambre é t a i t p e u p l é e de m o m i e s ! Leurs ombres
semblaient attentives à mes moindres mouvements.
R é p r i m a n t u n frisson, j e reculai d'un pas. M a lampe
parcourut l ' é t r a n g e d é c o r , dansant sur des visages
b a n d é s , des bras, des troncs, des jambes...
Il y avait des momies a d o s s é e s au m u r ; des momies
c o u c h é e s sur des plaques de pierre, les bras c r o i s é s
sur la poitrine ; des m o m i e s dans des positions
bizarres, r e c r o q u e v i l l é e s sur e l l e s - m ê m e s ou dres-
s é e s de toute leur hauteur, les bras tendus en avant
comme des monstres de Frankenstein.
Je pivotai lentement sur place, effectuant un tour
complet pour suivre le halo de ma lampe, et je me
rendis compte que ma chute m'avait fait atterrir au
centre de la chambre.
Je vis au passage une r a n g é e de sarcophages ouverts,
alignés contre une paroi. D e r r i è r e m o i , je distinguai
sur une longue table tout un d é p l o i e m e n t de m a t é -
riel : de curieux instruments m é t a l l i q u e s , des piles de
linge blanc, de gigantesques pots etjarres d'argile.
« D u calme, G a b r i e l , du calme. Respire l e n t e m e n t . »
Je me d i r i g e a i vers la table d'un pas h é s i t a n t et exa-
minai une haute p i l e de l i n g e : c ' é t a i t de la toile de
l i n , cette é t o f f e l é g è r e q u ' o n d é c o u p a i t en bande-
lettes pour en envelopper les momies.
Rassemblant m o n courage, je me penchai ensuite sur
quelques instruments, sans y toucher. Des instru-
ments de m o m i f i c a t i o n , p i n c e s , crochets, lames
aiguisées.
Je rebroussai chemin à toute vitesse. A ce moment,
ma lampe é c l a i r a au l o i n un grand rectangle aux
reflets luisants, s u r l e s o l . I n t r i g u é , j e d é c i d a i d'aller
v o i r ça de plus p r è s . P o u r m ' e n approcher, je dus
enjamber deux momies c o u c h é e s sur le dos, non sans
r é p r i m e r un petit frisson.
Le rectangle é t a i t une cuve presque aussi vaste
qu'une p i s c i n e . Je me penchai par-dessus b o r d . E l l e
était remplie d'un liquide é p a i s et gluant, de la
consistance du goudron.
É t a i t - c e une cuve de natron? J'avais lu quelque part
que les anciens É g y p t i e n s plongeaient les corps de
leurs morts dans un bain de natron, ou carbonate de
sodium, pendant quarante j ours avant de les embau-
mer. Sans doute ce natron a v a i t - i l servi à la fabrica-
tion des m o m i e s qui semblaient r ô d e r silencieuse-
ment dans les parages...
Mais comment pouvait-il être mou après quatre m i l l e
ans?
Une onde g l a c i a l e me parcourut soudain.
Pourquoi tout ce qui se trouvait dans cette chambre
- les instruments, les momies, le linge - é t a i t - i l si
bien c o n s e r v é ?
J i i pourquoi ces m o m i e s avaieni-enes eie aoanuon-
n é e s de la sorte, é p a r p i l l é e s ça et là dans des posi-
tions si é t r a n g e s ?
Je compris que je venais de faire une incroyable
d é c o u v e r t e . En traversant le plafond, j ' é t a i s t o m b é
par hasard dans une chambre s e c r è t e - u n atelier
f u n é r a i r e — où les anciens Egyptiens transformaient
les corps des d é f u n t s en momies.
U n e fois de plus, l'odeur acre flottant dans l'atmo-
s p h è r e me prit à la gorge, et je dus retenir ma respira-
t i o n pour ne pas suffoquer. U n e odeur de vieux
cadavres, e n f e r m é e entre ces murs depuis des s i è c l e s
et des siècles.
I l m e fallait absolument p r é v e n i r O n c l e B e n .
D ' a b o r d pour l u i montrer m a s t u p é f i a n t e trouvaille,
et ensuite parce que je n'avais pas envie de rester
seul dans cet endroit lugubre une minute de plus. Je
saisis le petit appareil de reconnaissance a c c r o c h é à
ma ceinture et l ' e x a m i n a i à la lueur de ma lampe. Je
n'avais q u ' à appuyer sur le bouton, et je verrais
O n c l e B e n et Sari arriver en courant...
- O h ! non !
J'en aurais p l e u r é de dépit. L'appareil était cassé,
b r i s é , inutilisable. J'avais dû l ' é c r a s e r dans ma chute.
Le bouton ne fonctionnait plus.
Personne ne viendrait à m o n secours.
J ' é t a i s bel et bien seul au m i l i e u des momies qui peu-
plaient les t é n è b r e s .
H
D e u x mains m ' a g r i p p è r e n t .
« Ç a doit ê t r e une m o m i e ! » pensai-je.
J ' é t a i s p a r a l y s é par la peur.
L e s mains qui me retenaient fermement me t i r è r e n t à
l ' é c a r t des scorpions m e n a ç a n t s . Je n'arrivai plus à
penser ni à respirer. M a i s je parvins à faire volte-
face.
- Sari !
E l l e m ' e n t r a î n a quelques mètres plus l o i n et me
lâcha enfin.
— Sari ! Mais ccc-comment... ?
— Je viens de te sauver la v i e une fois de plus, dit-
elle. D é c i d é m e n t , tu as de la chance. B r r r . . . ces bes-
tioles sont terrifiantes !
- Ne m ' e n parle pas ! J ' a i cm ma d e r n i è r e heure
arrivée !
Je sentais encore le f r ô l e m e n t des hideuses c r é a t u r e s
contre mes c h e v i l l e s . C'est une sensation que je
n'oublierai jamais.
- Qu'est-ce que tu fabriques i c i ? me demanda Sari
d'un ton impatient, comme si elle grondait un petit
g a r ç o n . Papa et m o i te cherchions partout !
- Q u o i ? m'indignai-je. D i s p l u t ô t que vous m'avez
l a i s s é tomber comme une v i e i l l e chaussette. Je n'ai
pas c e s s é de vous appeler! Et t o i , par où es-tu
passée ?
- Par là, bien sûr.
Du faisceau de sa lampe, elle me montra au l o i n
l'ouverture d'une galerie queje n'avais pas remar-
q u é e , dans un recoin de la chambre. P u i s elle me
révéla :
- F i g u r e - t o i que je ne sais plus où est p a p a !
Incroyable, non? Il a dû s ' a r r ê t e r un instant pour
examiner quelque chose, je suppose, etje m ' e n suis
a p e r ç u e trop tard. Quandj ' ai f i n i par rebrousser che-
m i n , il avait disparu. E t p u i s j ' ai vu de l a l u m i è r e par
i c i . J'ai cru que c'était l u i .
Tout en essuyant du revers de la m a i n mon front c o u -
vert de sueur, je soupirai :
- A l o r s , tu t'es perdue aussi !
- N o n , G a b r i e l , c'esttoi qui t'es perdu ! me r é p o n d i t -
elle avec une mauvaise foi qui me coupa les bras.
C o m m e n t as-tu pu nous faire ça ? Papa et m o i é t i o n s
morts d ' i n q u i é t u d e .
- M a i s j ' a i b r a i l l é votre n o m pendant des heures!
P o u r q u o i ne r é p o n d i e z - v o u s pas?
- N o u s ne t'entendions pas, c'est tout.
Je n'aimais pas cette f a ç o n q u ' e l l e avait de me regar-
der comme si j ' é t a i s un pauvre c r é t i n sans cervelle.
- N o u s é t i o n s p l o n g é s dans notre conversation,
reprit-elle, et nous pensions que tu nous suivais.
M a i s lorsque nous nous sommes r e t o u r n é s , plus de
Gabriel !
E l l e secoua la t ê t e et ajouta :
- Q u e l l e j o u r n é e ! Tu savais pourtant que nous
ne devions pas nous é l o i g n e r les uns des autres. Et
papa qui va nous piquer une c o l è r e à cause de t o i ,
maintenant...
Je c o m m e n ç a i s à v o i r clair dans sonjeu. Ma parole,
elle se moquait de m o i .
- Ça suffit, S a r i . A r r ê t e ton cirque, je ne marche pas.
Et ton p è r e ne sera pas furieux quand il verra ce que
j ' ai d é c o u v e r t . Regarde!
Je p r o m e n a i ma lampe sur quelques m o m i e s
r e c r o q u e v i l l é e s ça et là, puis sur la cuve à natron
et la r a n g é e de sarcophages. Sari en resta bouche
ouverte.
- D o u x J é s u s . . . murmura-t-elle.
- O u i , comme tu dis ! La chambre est pleine de
momies. Il y a aussi des tas d'instruments c h i r u r g i -
caux sur une table, et du linge, enfin tout le m a t é r i e l
n é c e s s a i r e à la momification. Et en parfait état de
conservation !
M o n moral remontait à vue d'oeil.
- Et c'est m o i qui ai t r o u v é tout ça, conclus-je.
- C ' é t a i t un atelier f u n é r a i r e ! observa Sari en bala-
dant à son tour sa lampe d'une m o m i e à l'autre.
Pourquoi certaines d'entre elles sont-elles debout
comme ça ?
Je haussai les é p a u l e s .
- Je n'en sais rien. Ça me d é p a s s e .
E l l e alla examiner les piles de l i n g e soigneusement
plié.
- G a b r i e l , c'est é t o n n a n t !
- O u i ! Stupéfiant ! Et si je ne m ' é t a i s pas arrêté pour
lacer ma chaussure, je n'aurais rien d é c o u v e r t .
Sari m'adressa un sourire é p a n o u i .
- Tu vas devenir célèbre, dit-elle. G r â c e à moi, qui
t'ai sauvé la vie.
- Sari... c o m m e n ç a i - j e .
M a i s elle m'avait déjà tourné le dos et admirait une
des momies au g a r d e - à - v o u s .
- Il faut vraiment que papa v o i e ça ! s'exclama-t-elle
avec une excitation soudaine.
- O u i ! A p p e l o n s - l e tout de suite !
- L e s gens é t a i e n t si petits, p o u r s u i v i t - e l l e , ignorant
m o n intervention. Regarde, je suis plus grande que
celle-là...
- Sari, sers-toi de ton appareil de reconnaissance !
- B e u r k ! Il y a des insectes q u i courent sur ses ban-
delettes, observa-t-elle avec une grimace. É c œ u r a n t !
Je b o u i l l a i s d'impatience.
- Sari, dépêche-toi ! Appelle Oncle Ben !
Je tendis la m a i n vers l'appareil a c c r o c h é à sa c e i n -
ture, mais elle m ' e s q u i v a d'un mouvement preste et
me demanda, l'air s o u p ç o n n e u x :
- Pourquoi ne te sers-tu pas du t i e n ?
- I m p o s s i b l e ! r é t o r q u a i - j e J e l ' a i c a s s é e n tombant
dessus, tout à l'heure.
- J'aurais dû m'en douter ! fit-elle en levant les yeux
au c i e l . On ne peut rien te confier.
E l l e accepta enfin de d é c r o c h e r son appareil et
appuya sur le bouton à deux reprises, pour plus de
s û r e t é . Puis elle le remit à sa place. N o u s n'avions
plus q u ' à attendre q u ' O n c l e B e n r e p è r e les signaux
et vienne nous rejoindre.
- Il ne devrait pas tarder, dit Sari tout en surveillant
la galerie du c o i n de l ' œ i l .
E l l e ne se trompait g u è r e . Au bout de quelques
secondes, on entendit quelqu'un approcher.
- P a p a ! s'écria Sari en courant à sa rencontre.
M a i s elle s ' a r r ê t a net quand la silhouette c o u r b é e
dans le tunnel é m e r g e a de l ' o b s c u r i t é et se redressa,
brandissant une torche e n f l a m m é e .
C e n ' é t a i t pas O n c l e B e n . L a flamme v i v e d e l a
torche é c l a i r a i t des v ê t e m e n t s blancs, un mince f o u -
lard rouge, des cheveux d ' é b è n e r a m e n é s en queue
de cheval.
- A h m e d ! g é m i t Sari en m ' é t r e i g n a n t le bras.
16
FIN