You are on page 1of 5
Michel Foucault, Dits et terits 1972 106 = Non. Pourquoi devrait-on vouloir changer les conditions de dérention quand on est au pouvoir? Pendant la révolte qui s'est pro duit a Ja prison de Toul, nous avons regu des messages de soutien cen provenance de I'étranger. L'encouragement le plus vigoureux est vvenu de la prison d’Uppsala, en Suéde. Ce qui veut dite que ce que [es révolees dans les prisons mertent en question, ce ne sont pas des Cette question m’a prodigieusement éconné, parce que moi, ca me parafe erés clair. G. Deleuze : C'est peur-ttre que nous sommes en train de vivre d'une nouvelle maniére les rapports théorie-pratique. Tantét on concevait la pratique comme une application de la théorie, comme tune conséquence, tant6t, au contraie, comme devant inspirer la théorie, comme éant elle-méme créaerice pour une forme de théotie a venir, De route fagon, on concevat leurs rapports sous forme d’un processus de toralisation, dans un sens ou dans l'autre, Peut-etre que, pour nous, la question se pose autrement. Les rapports théorie- pratique sont beaucoup plus partels et fragmentaites. D'une par, tune théorie est toujours locale, relative a un petit domaine, et elle ‘peut avoir son application dans un autre domaine, plus ou moins Jointain. Le rappore d'application n'est jamais de ressemblance. ‘Diauere part, dés que la théorie s'enfonce dans son propre domaine, lle aboutie & des obstacles, des murs, des heurts qui rendent néces- saire qu’elle soit relayée par un autre type de discours (est cet auere ‘ype qui fat passer éventuellement a un domaine différent). La pra- tique est un ensemble de relais d’un point théorique & un autre, et la théorie, un relais d'une pratique a une autre. Aucune théorie ne ppeut se développer sans rencontrer une espéce de mur, et il fant 1a pratique pour percer le mur. Par exemple, vous, vous avez commencé par analyser théoriquement un milieu d’enfermement comme I'asle psychiatrique au xix" siécle dans la société capitaliste. uis vous déboucher sur la nécessité que des gens précistmene enfer- més se mertent a parler pour leur compre, qu'ils opérent un relais (ou bien, au contrite, es vous qui étiez déja un relais par rapport a eux), et ces gens se trouvent dans les prisons, ils sont dans les pri~ sons. Quand vous avez organisé le Groupe d'information sur les pri- sons, , accusé de subversion, dimmoralité, et.); son propre discours en tane qu'il révélait une ‘ermine vétité, qu'il découvraie des rapports politiques Ia od Yon n'en percevait pas. Ces deux formes de politisation n'étaient pas érrangéres I'une a Vautre, mais ne coincidaient pas non plus forcé- ment. I y avait le type du < maudit > et le type du « socialise >. Ces deux politisazions se confondirent faclement en certains moments de réaction violente de la part du pouvoir, aprés 1848, aprés la Commune, aprés 1940 : I'inellecruel était rejeté, persécuré au moment méme od let appanissaient dans leur << vétité », au moment 00 il ne fallat pas dire que le roi érait nu. Lineellectuel disse le vrai & oeux qui ne le voyaient pas encore et au nom de ceux qui ne pouvaient pas le dre : conscience et éloquence. Or ce que les intellecuels ont découvert depuis 1a poussée récente, Cest que les masics n'ont pas besoin deux pour savoir; clles savent parfaitement, caitement, beaucoup mieux qu’eux; et elles le disent fore bien. Mais il existe un systéme de pouvoir qui barre, interdit, invalide ce discours et ce savoir. Pouvoir qui n'est ‘pas seulement dans les instances supérieures de la censure, mais qui senfonce trés profondément, és subtilement dans rout le réseau de la société. Eux-mémes, intellecuels, font pare de ce systéme de ‘pouvoir, Iidée qu’ils sont les agents de la « conscience > et du dis- couss fai elle-méme partie de ce systéme. Le role de l'inellecruel nest plus de se placer < un peu en avant ou un peu a cOté > pour dire la vérite muette de tous; cest plut6e de lurcer conte les formes de pouvoir la of il en ese & la fois Fobjec et linstrument : dans Trordre du « savoit >, de la « vésité >, de la « conscience >, du ¢ dis- cours >. est en cela que Ia théorie n'exprimera pas, ne traduira pas, r'appliquera pas une pratique, elle est une pratique. Mais locale et régionale, comme vous le dites : non toralisatrice. Lute contre le pouvoir, lure pour le faire apparatre ex entamer Ia od il est le plus invisible et le plus insidieux. Lutte non pour une < prise de ‘conscience > (il ¥ a longremps que Ia conscience comme savoir est lacquise par les masses, et que la conscience comme sujet est prise, 308 Michel Foucault, Dits ox teriss coccupée par la bourgeoisie), mais pour Ia sape et la prise du pou- voir, & cBté, avec tous ceux qui lurtent pour elle, et non en retrie pour les écairer. Une « théorie >, c'est le systéme régional de cette lute. G. Deleuze : Cest ga, une théotie, Cest exactement comme une boite a outils, Rien a voir avec le signifiant... Il faut que ca serve, il faut que ¢2 fonctionne. Et pas pour soi-méme. Sil n'y a pas des gens pour s'en servir, a commencer par le théoricien lui-méme qui cesse alors d’@tre théoricien, cest qu’elle ne vaue rien, ou que le moment n'est pas venu. On ne revient pas sur une chéotie, on en fait d'autres, on en a d'autres faire, C'est curieux que ce soit un auteur qui passe pour un pur intellecruel, Proust, qui lait die si lairement: traitez mon livre comme une paire de lunettes dirigée sut le dehors, ch bien, si elles ne vous vont pas, prenez-en d’autres, ‘trouver vous-méme vorre appareil qui est forcément un appareil de combat. La théotie, ca ne se coralise pas, ca se multiplie et ca mulei- plie, Ces le pouvoir qui par nacure opére des toralisations, et vous, vous dites exactement : a théorie par nature est conere le pouvoir. Dés qu'une théorie s'enfonce en tel ou tel point, elle se heurre & impossiblité d’avoir la moindre conséquence pratique, sans que se fasse une explosion, au besoin & un tout autre poine. Crest pour cette raison que Ia notion de réforme est si béte et hypocrite. Ou bien la réforme est élaborée par des gens qui se prétendent représentaifs et ui font profession de parler pour les autres, au nom des aucres, et Cest un aménagement du pouvoir, une distribution de pouvoir qui se double d'une répression accrue. Ou bien cest une réforme récla- mée, exigée par ceux quelle conceme, et elle cesse d'étre une réforme, c'est une action révolutionnaire qui, du fond de son carac- t@re partiel, est dérerminée & meeere en question Ia totalité du pou- voir et de’sa hiérarchie. C'est évidene dans les prisons : la plus ‘minuscule, la plus modeste revendication des prisonniers sulfit & dégonfler Ia pseudo-reforme Pleven. Si les petits enfants artivaient & faire entendre leurs protestations dans une matenelle, ou méme simplement leurs questions, ca suffirait @ faire une explosion dans ensemble du systéme de I'enseignement. En vérté, ce systéme od ‘nous vivons me peut rien supporter: dod sa fragilité radicale en ‘chaque point, en méme temps que sa force de répression globale. A ‘mon avis, vous avez été le premier a nous apprendre quelque chose de fondamental, a la fois dans vos livres et dans un domaine pra- ‘ique : l'indignité de parler pour les autres. Je veux dire : on se ‘moquaic de la représentation, on disaie que c'étae fini, mais on ne Sirait pas la conséquence de cette conversion « théorique >, & savoir 308 1972 Michel Foucault, Dits et éerits 1972 que la chéorie exigeait que les gens concernés parlent enfin pratique ‘ment pour leur compte, ‘M, Foxcault : Ex quand les prisonniers se sont mis & parler, ils avaient eux-mémes une théorie de la prison, de la pénalité, de la justice. Ceee espéce de discours conte le pouvoir, ce contre-discours tenu par les prisonniers ou ceux qu’on appelle les délinquants, c'est ‘ga qui compte, et non une théorie sur la délinquance. Ce probleme de Ia prison est un probléme local et marginal, parce qu'il ne passe pas plus de 100 000 personnes par an dans les prisons; en tout aujourd'hui en France, il y a peut-étre 300 000 ou 400 000 per- sonnes qui sont passées par la prison. Or ce probléme marginal secoue les gens. J'ai &€ surpris de voir qu’on pouvaitintéresser au probléme des prisons tant de gens qui n’étaient pas en prison, sur- pris de voir rant de gens qui n'éxaient pas prédestinés & entendre ce dliscours des détenus, et comment finalement ils lentendaient Comment I'expliquer? N’est-ce pas que, d'une fagon générale, le systéme pénal es la forme od le pouvoir comme pouvoir se montre de la fagon Ia plus manifeste? Mecre quelqu’un en prison, le gardet en prison, le priver de nourriture, de chauffage, Vempécher de sor- tir, de fai amour, et., c'est bien la la manifestation de pouvoir la plus délirante qu’on puisse imaginer. L’autre jour, je patlais avec lune ferme qui a été en prison, et elle disuit : « Quand on pense que ‘moi qui ai quaranee ans, on m’a punie un jour en prison en me met- ane au pain sec. » Ce qui frappe dans cette histoire, cest non seule- ‘ment la puétilité de l'exercice du pouvoit, mais aussi le cynisme avec Iequel il s'exerce comme pouvoir, sous 1a forme la plus archaique, la plus puérile la plus infantile. Réduire quelqu’un au pain et a 'eau, enfin, on nous apprend qa quand on est gosse. La prison est le seul endroit od le pouvoir peut se manifester aT éxat nu dans ses dimensions les plus excessives, e se justifer comme pou- ‘voit mora. «J'ai bien raison de punir, puisque vous savez qu'il est vilain de voles, de tuer... » C'est ga qui ese fascinant dans les pri- sons, que pour une fois le pouvoir ne se cache pas, qu'il ne se masque pas, qu'il se monere comme tyrannie poussée dans les plus infimes détails, cniquement lui-méme, ex en méme temps il est put, il est entigrement « justfié >, puisqu’il peut se formuler entié- remene a I'ineérieur d'une morale qui encadre son exercce: sa tyran~ nie brute apparait alors comme domination sereine du Bien sur le Mal, de Vordre sur le désordr. G. Deleyze: Du coup, V'inverse ese également vrai. Ce ne sont pas seulement les proaniers qui sont eaités comme des enfants, mais les enfants comme des prisonniers. Les enfants subissent une infanti- 310 Michel Foucault, Dits et terits lisation qui n'est pas la leur. En ce sens il est vrai que les coles sont tun peu des prisons, les usines sont beaucoup des prisons. Il suffit de voir l'enteée chez Renault. Ou ailleurs :erois bons pour faire pipi dans la journée, Vous avez trouvé un texte de Jeremy Bentham du “xv siécle, qui. propose précisément une réforme des prisons: au rnom de cette haute réforme, il ablic un syst?me circulaire od a la fois la prison rénovée sert de modéle et od ’on passe insensiblement de 'école & a manufacture, de la manufacture & la prison, et inver- sement. Crest cela, lessence du réformisme, de Ia représentation séformée, Au contraire, quand les gens se mettent & parler et @ agit en leur nom, ils a’opposent pas une représentation méme renversée a une autre, ils n’opposene pas une autre représentativité a Ia fausse représentativité du pouvoir. Par exemple, je me rappelle que vous disiez qu'l n'y a pas de justice populaite contre la justice, ga se passe 4 un autre niveau. 1M, Foucault : Je pense que, sous la haine que le peuple a de la justice, des juges, des eribunaux, des prisons, il ne faut pas voir seu- Iement I'idée d'une autre justice meilleure et plus juste, mais d'abord et avant tout la perception dun point singulier od le pou- voir sexerce aux dépens du peuple, Ta lure antijudiciaire est une luete contre le pouvoir, et je ne cris pas que ce soit une lucte contre Jes injustices, contre les injustices de la justice et pour un meilleur fonctionnement de Institution judiciaire. Il est tout de méme frap- pant que chaque fois qu'il y a eu des émeutes, revolts et séditions, appareil judiciaie a été la cible, en méme temps et au méme tire que apparel fiscal, 'armée et les autres formes du pouvoir. Mon hhypothése, mais ce n'est qu'une hypochse, est que les tribunaux populaires, par exemple au moment de 1a Révolution, ont été une ‘maniére pour la petite bourgeoisie alge aux masses de récupérer, de rattraper le mouvement de lutte contre la justice. Et, pour le rattra~ pet, on a proposé ce systéme du eribunal qui se réfere & une justice qui pourrait étre juste, & un juge qui pourrait rendre une sentence juste. La forme méme du tribunal appartient a une idéologie de la justice qui est celle de la bourgeoisie. G. Deleuze : Si Von considére la situation actuelle, le pouvoir a forcement une vision totale ou globale. Je veux dire que toutes les formes de répression actuelles, qui sont multiples, se rotalisent faci- ement du point de vue du pouvoir: la répression raciste contre les jimmigrés, la repression dans les usines, la répression dans l'ensei~ agnement, la répression contre les jeunes en général. Il ne faut pas chercher seulement 'unité de toutes ces formes dans une réaction & ‘Mai 68, mais beaucoup plus dans une préparation et une organisa au 1972 Michel Foucault, Dits ot terits 1972 tion concertées de notte avenir prochain. Le capitalisme francais a ‘grand besoin d'un « volant > de chOmege, et abandonne le masque libéral et paremel du plein emploi. Crest de ce point de vue que trouvent leur unité : Ia limitation de immigration, une fois dit qu’on confiait aux émigeés les travaux les plus durs et ingrats, la répression dans les usins, puisqu’l sagit de redonner au Francais le «goat > d'un travail de plus en plus dur, la lure contre les jeunes et Ia répression dans I'enscignement, puisque la repression policitre ct daurane plus vive qu'on a moins besoin de jeunes sur le marché ddu travail. Toutes sortes de catégories profesionnelles vont ére convies a exercer des fonctions policéres de plus en plus précises : professeurs, psychiatres, éducateurs en rout gente, etc. Ily ala quel- que chose que vous annoncez depuis longtemps, et qu'on pensait ne ‘pas pouvoir se produire : le renforcement de toutes les structures denfermement. Alors, face & cete politique globale du pouvoit, on fait des ripostes locales, des contre-feux, des défenses actives et par- fois préventives. Nous a’avons pas a totliser ce qui ne se totalise ‘que du cété du pouvoir et que nous ne pousrions totaliser de nowe ‘bcé quien restaurant des formes représentatives de centalisme et de hiérarchie. En revanche, ce que nous avons a faire, Cestarriver & ins- taurer des liaisons latérales, rout un systéme de réseaux, de bases populaires. Er c'est ca qui est difficile. En tout ca, la rélité pour nous ne passe pas du cout par la politique au sens traditionnel de compétition et de distribution de pouvoir, d'instances dives tepté- sentatives a la P.C, ou a la C.G-T. La réalité, C'est ce qui se passe effectivement aujourd'hui dans une usine, dans une école, dans une caseme, dans une prison, dans un commissarat. Si bien que laction comporte un type d'information d'une nature toute différente des {informations des journaux (ainsi le eype d'information de I'Agence de presse Libération) M, Foucault: Certe difficuleé, notre embarras & trouver les formes de lutte adéquates ne viennent-ils pas de ce que nous igno~ rons encore ce que c'est que le pouvoir? Aprés tout, il a fallu atendre le x0 siécle pour savoir ce que Cétait que lexploitation, mais on ne sait peut-Eere roujours pas ce qu'est le pouvoir. Et Marx et Freud ne sont peut-ére pas suffisants pour nous aider & connaftre certe chose si énigmatique, a la fois visible et invisible, présente et cachée, investie partout, qu’on appelle le pouvoir. La théorie de fat, analyse traditionnelle des appareils d'Etae n’épuisent sans doute pas le champ d'exercice et de fonctionnement du pouvoit. Crest le grand inconnu actuellement : qui exerce le pouvoir? et 00 Fexerce-til? Actuellement, on sait @ peu prés qui exploit od va le 312 Michel Foucault, Diss es derts profit, entre les mains de qui il passe et od il se réinvesti, randis ‘que le pouvoir... On sait bien que ce ne sont pas les gouvernants qui déciennent le pouvoir. Mais la notion de < classe dirigeante > n'est ni trés claire ni erés élaborée. < Dominer >, « diriger >, « gouver- net >, « groupe au pouvoir >, < apparel d'fiat >, etc, il y ala rout tun jeu de notions qui demandent a étre analysées. De méme, il fau- drait bien savoir jusqu’od s‘exerce le pouvoir, par quels reais ec jusqu’a quelles instances souvent infimes, de hiérarchie, de contre, de surveillance, dinterdictions, de contraintes, Partout od il y a du pouvoir, le pouvoir s’exerce. Personne a proprement parler n'en est le tirulaire; et, pourtan, il sexerce toujours dans une certaine direc tion, avec les uns d'un cbté et les autres de l'autre; on ne sait pas aqui I'a au juste; mais on sait qui ne I'a pas. Sila leceure de vos livres depuis le Nietzche jusqu’a ce que je pressens de Capitalisme et Scbizopbrénie) a &cé pour moi siessentelle, c'est qu'ils me paraissent alle es loin dans la position de ce probléme : sous ce vieux theme ddu sens, signifi signifian, etc., enfin la question du pouvoir, de Vinggalité des pouvoirs, de leurs luttes. Chaque lutte se développe autour d'un foyer particulier de pouvoir (l'un de ces innombrables petits foyers que peuvent étre un petit chef, un gardien de HLL.M., tun directeur de prison, un juge, un responsable syndical, un rédacteur en chef de journal). Et si désigner les foyer, les dénoncer, en parler publiquement, c'est une lute, ce n'est pas parce que per” sonne n‘en avait encore conscience, mais cest parce que prendre la parole a ce sujet, forcer le réseau de l'information instieutionnelle, ommer, dire quia fait quoi, désigner la cible, c'est un premier recournement du pouvoir, cest un premier pas pour d'autres luttes contre le pouvoir. Si des discours comme ceux, par exemple, des ddétenus ou des médecins de prison sone des lutes, c'est parce qur'ils confisquent au moins un instant le pouvoir de parler de la prison, actuellement occupé par la seule administration et ses compéres réformareurs. Le discours de lutte ne s'oppose pas & linconsciene : il S‘oppose au secret. Ga a Wair d'étre beaucoup moins. Er si Cétait beaucoup plus? Il y a route une série d’équivoques & propos du ‘, du < refoulé >, du < non-dit >, qui permertent de < psy- analyser >a bas prix ce qui doit ére l'objet d'une lure. Le secret est peut-étre plus difficile a lever que l'inconscient. Les deux thémes ‘quon rencontrait fréquemment hier encore, < L'écriture, est le refoulé > et < L’écriture est de plein droit subversive », me semblent bien trahir un certain nombre d'opérations qu'il faut dénoncer séve- rement. G. Deleuze : Quant a ce probléme que vous posee : on voit bien 3 1972 Michel Foucault, Diss ex derits 1972 qui exploite, qui profite, qui gouverne, mais le pouvoir est encore quelque chose de plus diffus, je feraiI'hypothése suivante : méme et surtout le marxisme a dérerminé le probleme en cermes d'inérée (le pouvoir est dérenu par une classe dominante définie par ses inté- és). Du coup, on se heurte a Ia question : comment se fait-il que dles gens qui n'y one pas tellemene intérétsuivent, épousent écroite- mene le pouvoir, en quémandent une parcelle? C'est peut-étre que, cen termes d’investissements, aussi bien économiques quinconscients, Vineérée n'est pas le dernier mor, ily a des investissements de désir qui expliquent qu'on puisse au besoin désirer, non pas contre son intéré, puisque lintérét suit toujours et se trouve li od le désir le met, mais désirer d'une maniére plus profonde et diffuse que son ince, Il fant accepter d’entendre le cri de Reich : non, les masses n‘ont pas été erompées, elles ont désité le fascisme a tel moment! IL y a des investissements de désir qui modélent le pouvoir et le dif- fusene, et qui fone que le pouvoir se trouve aussi bien au niveau du flic que du Premier ministre, et qu'il n'y a pas différence de nature absolument entre le pouvoir qu'exerce un petit flic et le pouvoir ‘qu'exerce un ministre. Crest la nature des investissements de désir ‘sue un corps social qui explique pourquoi des partis ou des syndi ‘ats, qui auraient ou devraient avoir des investissements révolution- naires au. nom des intéréts de classe, peuvent avoir des investisse- ments réformistes ou parfaitement réactionnaires au niveau du dési. M. Foucault : Comme vous dites, les rapports entre désit, pou- voir et ineéeét sont plus complexes qu'on ne le croit d’ordinaite, et ce nese pas forofment ceux qui exercent le pouvoir qui ont intére & exercer; ceux qui one ineésée a Vexercer ne Fexercent pas, et le désit du pouvoir joue entre le pouvoir et lintérét un jeu qui est encore singulie. Il arrive que les masses, au moment du fascisme, désirent ue certains exercent le pouvoir, certains qui ne se confondent pas avec elles pourtane, puisque le pouvoir sexercera sur eles eta leurs dépens, jusqu’a leur mort, leur sactfice, leur massacre, et elles désirent pourcant ce pouvoir, elles désirent que ce pouvoir soit exercé. Ce jeu du désir, du pouvoir et de I'intérét est encore peu connu. Il fala longeemps pour savoir ce que c'était que 'exploita~ tion, Ee le désir,¢' été et Cest encore une longue affare. Il est pos- sible que maintenant les lurtes qui se ménent, et puis ces théoties locales, régionales, discontinues qui sont en train de s'élaborer dans ces lutes et font absolument corps avec elles, ce sot le débue d'une découverte de 1a maniére dont s'exerce le pouvoit. G. Deleuze : Alors, je teviens & la question : le mouvement révo- lucionnaire acruel est & multiples foyers, et ce n'est pas faiblesse et oe Michel Foucault, Dite et ferits insuffisance, puisqu’une certaine totalisation appartient plut6t au pouvoir et Ia réaction. Par exemple le Viee-nam, c'est une formi- able riposte locale. Mais comment concevoir les réseaux, les liai- sons transversales entre ces points actifs discontinus, d'un pays a un auere ou a lintérieur d'un méme pays? M. Foucault : Cette discontinuité géographique dont vous parlez signifi peut-ére ceci: du moment qu'on lutte contre I'exploiation, est le proléariae qui non seulement méne la lute, mais définie les cibles, les méthodes, les leux et les instruments de lutte; s‘allier au prolétariat, Cest le rejoindre sur ses positions, sur son idéologie, c'est reprendte les motifs de son combat. Crest se fondre. Mais si c'est contre le pouvoir qu’on lutte, alors tous ceux sur qui s‘exerce Je pouvoir comme abus, tous ceux qui le reconnaissent comme intolé- sable peuvent engaget la luce li oils se trouvent et partir de leur activité (ou passivieé) propre. En engageant cette lutte qui est la leur, done ils connaissent parfaitement la cible et dont ils peuvent déretminer la méthode, ils entrent dans le processus révolutionnaite, ‘Comme alliés bien sir du prolérariat, puisque, si le pouvoir s'exerce ‘comme il s‘exerce, cest bien pour maintenit exploitation capita- lise, Hs servene réellement la cause de la révolution prolécarienne en Jureane précisément la 00 l'oppression s'exerce sur eux. Les fernmes, les prisonnies, les soldats du contingent, les malades dans les hépi- ‘aux, les homosexuels ont entamé en ce moment une lutte spéci- fique contre la forme particuliére de pouvoir, de contrainte, de contréle qui s'exerce sur eux. De telles lutte font partie actuelle ment du mouvement révolutionnaire, & condition qu’elles soient tadicales, sans compromis ni réformisme, sans tentative pour amé- nager le méme pouvoir avec tout au plus un changement de titu- faite. Ee ces mouvements sont liés au mouvement révolutionnaire du prolérariat lui-méme dans la mesure of il a combattre tous les contr6les et contraintes qui reconduisent partoue le méme pouvoir. Crst-dire que la généralité de la lutte ne se fait certainement pas dans la forme de cette toralistion dont vous patliez tout & heure, cette rotalisation théorique, dans la forme de la « véreé >. Ce qui fait la généralté de Ia lure, Cest le syseéme méme du pou- voir, toutes les formes dVexercice et d'application du. pouvoie. G. Deleuze : Ex qu'on ne peut rien toucher a un point quelconque application sans qu'on se trouve confronté a cet ensemble diffs, ue ds lors on est forcément amené a vouloir faire saute, a partit de la plus petite revendication qui soit. Toute défense ou toute attaque révolutionnaite partielle rejoine de cette fagon la lutte ouvriére, a 1972

You might also like