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Sous la dire cti on de Joseph Yvon Thé riault, An ne Gilb ert et Li nd a Card ina l

LESPACE
FRANCOPHONE
EN MILIEU MINO RITAIRE AU CA NADA

Nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations

FI DES
Table des matières

,
INT RO DU C TION

9
L I NDA CA RD INA L, ANNE G I LBERT et I OS EPH YVON THÉRIAU LT

P R EM I ~ R f PAR T IE
POPU LATIO NS , CO M MUN A UT tS ET REPR ES ENTATI O N DE S OI

Un espace sous tension: nouvel enjeu de la vitalité communautaire 27


de la francophon ie canadienne
ANNE G I LBER T et MAR I E L EF EBVRE

Engagement identîtaire francophone en milieu minoritaire 73


KE NNET H DEVEAU , RBAL ALLA RD, ROD RIGUE LAND RY

L'immigration francophone en contexte minoritaire:


entre la démographie et l'identité
D I ANE FARMER

Se souvenir et oublier: la mémoi re du Canada français,


hier et aujourd 'hui
MICHE L BOCK

Que reste+il de l'intention vitale du Canada français? 205


JOSEPH YVON T H tRIAU LT et [ . -MART I N MEUN I ER

DEUXIËM E PAR TI E
I NS TI TUTI O NS , ESPA CE S ET M OBIL IS ATION S

Nouvelle économie et développement : les enjeux de l' intégration 241


à l'économie pour la francophonie canadienne
AND RÉ LECLERC

L'école" de la minorité fran cophone: l'institution 275


à l'épreuve des acteurs
A NN I E l' I LO TE et MAR I E-OD I LE MAGNAN

Entre ('esthétique et l'identité: la création en contexte minoritaire 319


LUCIE HOTTE

La sa nté en fra nçais 351


LOU I SE BOUCHARD et ANNE LE I S

T ~O I S IÊ ME P AR T IE

POLITIQUE, DROIT ET A UTO N O M IE

Les minorités francophon es hors Québec et la vie politique


au Canada: comment combler le déficit démocratique?
LINDA CARD INAL

Abandon ou solidarité? Les positions des partis politiques du 431


Québec à l'égard des com mu nautés fra ncophones de 1970 à 2007
ANN E- ANDRÊE D E N A U LT

Droits et lois li nguistiques: le droit au service du Ca nada français 463


P I E RRE FOUC HER

Au-delà des droits linguistiques et du fédéra lisme classique : 5 3


'
favoriser J'autonomie institutionnelle des francophonies
minoritaires du Canada
JO HANNE PO I R I ER

,,
10 L' ESP AC E FRANCOP HO N E EN MILIEU MI NO RIT AI RE AU CA N AO A

reconnaitre pourraient compenser leur absence de pouvoir au sein des institu-


tions. De plus, en 1998, la Cour suprême reconnaît que la protect ion des mino-
rités est un principe non écrit de la Constitution. Enfin, en 2003. le gouvernement
ca nadien publie le PLan d'action pour les langues officielies qui vise à relancer
son projet d'État-nation bilingue au sein duquel il a la responsabilité de voir au
développement et à l' épanouissement des minorités francophones comprises
comme des communautés minoritaires de langues officieUes et des ayants droit
La récente révision de la Loi canadienne sur le!! langues officielles confirme cette
responsabilité de l'État canadien. non pas uniquement ceUe de veiUer à la pro-
tection des minorités de langues officielles mais aussi de s'assurer de leur
développement.
Voilà que plus de vingt-cinq années se sont écoulées depu is l'adoption de
la Charte. Depuis 1982, la francophonie canad ienne s'est engagée dans le projet
d'un :Ëtat-nation bilingue. en principe ouvert à ses reven~ications identitaires
(Cairns, L992). Elle s'e st éloignée petit à petit du projet d'une société francophone
en Amérique"du Nord qu'ambit ionne de créer le Québec, à l'intérieur ou à
l'ex térieur de la fédération. Elle veut un espace bien à elle à l'intérieur de ce
nouveau Canada sans pour auta nt rompre .tota lement avec le vieux rêve cana-
dien-français de faire société (Thériault, 2007).
Dix ans après la publication de Francophonies minoritaires au Canada:
l'état des lieux, qu'en est-il des nouvelles modalités d 'apparte nance des franco-
phones à leur espace? Qu'en es t~ il du rapport que cet espace - et ses citoyens
- entretient à la nation canadienne, comme à celle du Québec? Sur quels récits
fondent-ils leur lien à cette fra ncophonie minoritaire? Quels enj eux, ces dix
dernières années, ont le plus animé les débats entre fr ancophonies. mobilisé
leur attention, suscité leurs indignations, provoqué le développement de nou-
velles identités et relancé leurs espoirs? Comment répondent-ils au défi de l'im_
migration ? Qu'en est-il de la solidarité entre ces francophones et la francophonie
internationale? C'est moins une description de la réalité des francophonies
vivant en situation minoritaire que nous proposons dans cet ouvrage - ainsi
que nous J'avions fait dans L'étal des lieux - qu'une exploration de ces nouveaux
enjeux, de ces nouveaux défis, de ces nouvelles mobilisation s.

be nouveaux enjeux

À l'instar des aut res groupes formant la société ca nadien ne. les francophones
du Canada vivant en situation mi noritaire n'ont pas écha ppé aux débats et aux
changements importants qu i caractérisent le pays depuis les dix dernières
années. Hs n'o nt cessé d'affi rmer et de réaffirmer que la langue française
constitue une valeur fondam entale de l'identité canadienne. Ils ont participé à
IN T RODUCT10N "

la réflexion sur l'immigration et la métropolisation croissante du Canada. Ils


ont été interpellés par le passage de l'économie canadienne à une économ ie du
savoir, par les enjeux de sécu rité, la réfor me du système de santé canadien, la
gouvernance des politiques publiques et la juridisation de la vie politique.
A titre d'exemple, nous verrons, dans cet ouvrage, que le projet d'un ~tat~
nation bilingue a contribué à créer un contexte favorable à une plus grande valo~
risation du bilinguisme, nota mment chez les jeunes francophones qui se font

sans cesse rappeler qu'être bilingue constitue une valeur ajoutée et une façon,
sinon la façon, d'être canadien. La révision de la Loi SUI' l'immigration et les réflt~
giés a aussi constitué une occasion pour les minorités francophones qui, grâce à
l'action du Commissariat aux langues officielles, ont forcé le gouvernement cana ~
dien à reconnrutre les fa illes de la Loi sur les langues officielles dans ce domaine.
En effet, si le Canada est un pays bIlingue, pourquoi les milieux minoritaires ne
se raient~ i1s pas en droit d'accueilllr des immigrants francophones?
Le Canada se mondialise, son économie également mais au prix d'une perte
de contrôle sur les décisions économ iques. En revanche, d'autres voix disent
qu'il faut dorénavant voir les politiques publiques comme des formes d'i nves ~
tissement dans l'avenir. Ainsi, la recherche et le développement dans des sec-
teurs comme la santé, la petite enfance, l'éducation sont dorénavant perçus
comme des faço ns d'encourager la création de la richesse. La production de
connaissances dans ces domaines permettra aux citoyens d 'être davantage
compétitifs, responsables et prudents. L'ttat ne doit plus encourager l'assistanat.
Il doit devenir un partenaire stratégique. Les minorités francophones n'échap-
peront pas à cette nouvelle représentation de l'action étatique. Elles deviendront,
eUes aussi, des partenaires du gouvernement dans le but de voir de façon plus
directe à leur développement et à leur épanouissement. Ainsi, depuis les années
1990, elles sont de plus en plus intégrées à une nouvelle gouvernance des l an ~
gues officielles dans une foule de secteurs, dont la santé, l'immigration, la jus ~
tice, les arts et La culture. Il existe dorénavant un vaste réseau d'acteurs en milieu
minoritaire francophone mobilisé au quotidien autour de ces nouveaux enjeux
liés à la conjoncture actuelle. Mais la pluralité des engagements des franco-
phones au sein de ces nouveaux environnements provoque aussi une remise en
question de notre compréhensïon deJa mise en commun et de la construction
du sens dans les milieux minorita ires.
En outre, la diversité ethnocultureUe croissante de la population francophone
en milieu minoritaire est un enjeu qui donne lieu à de nouveaux débats. Le
tableau J montre que les immigrants représentent 8,8 % ou 87 497 des 987 021
francophones vivant en milieu minoritaire. C'est encore peu. Mais la population
francophone.est très d iversifiée dans certains miiieux.En 2001, l'Ontario comp~
tait 61 023 immigrants francophones (Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). La même
1:1 L'ESP A CE FRANCOPHONE EN MILIEU MINORITAIRE AU CANADA

année, 41598 francophones de l'Ontario appartenaient à une minorité visible,


Ils représentaient 7,9 % de la population francophone totale de la province et 1,9 %
de l'ensemble des personnes appartenant à une minorité visible en Ontario, On
les trouve surtout à Toronto et à Ottawa. Une telle situation n'est pas sans effet
sur le développement d'un espace francophone contrôlé pa~ et pour les franco -
phones, étant donné qu'une majorité d'entre eux vit dorénavant dans des milieux
bilingues.

TABLEAU 1

Profil des fran cophones et des immigrants francophones


selon les provinces et territoires, sauf le Québec, 2001

Francop honeset% 1mmlgrants francophones et'*'


Provi nces et territoires de la population totale de la population
de la prov ince francophone de la province
Terre-Neuve et labrador 2347 (0,4) 208 (9,9)
lIe-du-Prlnce - ~douard 5890 (4,4) 90 (1 ,7)
Nouvelle-t'co~se 35450 (3,9) 1 275 (3,8)
Nouveau-Brunswick 239420 (B,2) 2680 {1,1)
Ontario 513 BOO (4,5) 61023 (11,6)
Manitoba 46 165 (4,1 ) 1 B13 (4,2)
Saska tchewan 18780 (I,9) 658 {4,O}
Alberta 62865 (2,1) 5938(10,1l
Colombie-Britan n ique 59862 (1,5) 13629 (23,O)
Territoire~ du Nord-Oues t 1 100 (2,7) 50 (5,5)
Yukon 932 (3,2) 118 (13 ,2)
Nuna vut 410 (1,5) 15 (3,6)
Total 987021 87497

Source, Slatl.llque (ilnilda (2001). Rffem~menr; Imp ://Www40.,tillt;iin.c:<I1t02IC5tOl Idemo34.d.hlm; el William FIo<h (.wo51.

Comment ces nouveaux arrivants se représentent-ils l'environnement dans


lequel ils s'installent pour y vivre ... en français? Quel sens donnent-lis à leur
nouvelle réalité? Quel bagage de souvenirs, de traditions et de représentations
véhiculent-ils? Comment se refont-ils une identité? Quel est leur lien au projet
d 'un espace francophone?
, Quoique les enjeux y soient différents, la question du vivre-ensemble fran-
. . cophone se pose aussi dans les autres grandes·villes et métropoles. S'y rencontre
une population de plus en plus diversifiée, venue profiter notamment du dyna-
misme du marché de l'emploi suscité par les nouvelles formes de gouvernance
qui viennent d'être évoquées. Francophones des régions souches, des autres
provinces, du Québec se côtoient dans les écoles et centres communautaires
nouvellement créés, dans les associations, dans les bureaux des gouvernements,
qu.elquefois non sans heurts. Comment arrivent-ils à vivre en français dans des
I NTRO DU CTION 'J

villes comme Halifax ou Fredericton, Regina ou Victoria? Comment s'ajustent-


ils dans un environnement où le français n'a pas ses quartiers, au sens propre
et au fi guré? Par quels mécanismes y récréent-ils une communauté? Q ui en
assure le leadership? Qui en est exclu?
Enfin, comment se pose ailleurs la problématique de la vitalité des commu-
nautés, où la place du français est certes mieux assurée, mais où le devenir col-
lectif n'en est pas moins fragile? Touchés de plein fouet par les transformations
récentes de l'économie, ces milieux, pour la plupart fortement soumis aux incer:
titudes de l'exploitation des ressources, font face à des défis nouveaux, au plan
des ressources humaines, de l'entrepreneursrup, du développement local. Quelles
stratégies mettent-ils en place pour freiner l'émigration des jeunes? Comment
arrivent-ils à rester des milieux prospères, dynamiques et compétitifs? Quel appui
leur offre la francophonie métropolitaine? Comme le soulignait la Commission
nationale d'étude sur l'assimilatio'n mise en place au déb~t des années 1990 par
la Fédération des jeunes Canadiens français (FJCF), ces communautés jouent un
rôle fondamental dans la francophonie canadienne au sein de laquelle eUes consti-
tuent les pôles de la vie culturelle et institutionneIJe (Gilbert, 2005). Comment
s'assurer de leur rayonnement? Comment le nouvel environnement mondialisé
qui est le nôtre peut-il être mis à profit dans ce but? .
La mondialisation des rapports sociaux et économiques invite aussi à de
nouveaux questionnements sur le rôle de la langue et l'avenir du français dans
les échanges commerciaux, politiques et stratégiques entre le Canada et les
autres pays, notamment au sein d~ts Amériques. Comment les communautés
francophones doivent-elles se positionner dans ce nouvel ordre? Le français
n'est-il pas une langue menacée au plan international ? Qu'en est-il de ces indi-
vidus plus stratèges munis contre le risque au sein de cette nouvelle économie?
. Comment les minorités francophones poursuivront-elles leur développement
institutionnel, notamment dans les domaines de l'éducation, de la santé ou de
la culture dan s ce nouveau contexte (Helier et Labrie, 2003)?
Ainsi, ces nouvelles problématiques se greffent à d 'anciens enjeux toujours
chargés de significations. Le milieu francophone n'en est pas à sa première ..-
réflexion sur l'incidence du bilinguisme sur son identité, longtemps associé au
drame de l'assimilation des membres de ses communautés (Bernard, 1988, 1998),
Personne ne veut en parler directement mais la perte toujours importante de
francopho nes de langue maternelle en milieu minoritaire demeure inquiétante.
Elle mine la possibilité d'un espace francophone. Elle fragilise les institutions
francophones comme l'école et hypothèque le développement de nouveaux
lieux de pouvoir dans les autres domaines. Peu d 'entre nous ont osé s'interroger
par ailleurs sur le sens à donner à la mouvance de nos identités culturelles (Paré,
2003).
'4 l' ESPACE F RANCOPHONE EN MILIEU M I NOR ITAI RE AU C A NADA

Qu'en est-il encore du Lien mémoriel de ces communautés? Doivent-elles,


comme plusieurs les exho rtent à le fa ire, rompre définitivement avec leur
mémoire ca nadienne-française, de manière à mieux assumer le ur nouvelle
identité canadienne et leur désir d 'être pleinement inclusives des populations
immigrantes? Comment concilier le pluralisme identitaire avec la permanence
d'une revendication qui s'appuie sur l'idée d 'ml des peuple ~ fondateurs? Il sera
pOSSible de le constater amplement da ns cet ouvrage, la réalité particulière .des
francophones minoritaires prise entre la dynamique issue de leur histoire - les
anciens enjeux - et la dynam ique sociétale contemporaine - les nouveaux
défis - n'est pas de tout repos.

Présentation de l'ouvrage

Cet ouvrage est collectif, dans le sens plein du terme. Il résulte d'un travail de
collaboration entre une quinzaine d 'auteurs qui, après une di scussion en atelier
de leur thèse et des principaux arguments la soutenant, ont soumis leur texte
à l'évaluation des autres membres du groupe. Ensemble, nous dressons u ne
synthèse analytique des connaissances accumulées de puis les dix dernières
années sur les populations francophones hors Québec. l'espace et les commu-
nautés qu'e Ues ont tenté de constituer, les institutions autour desquelles elles
se sont structurées et les représentations qu'elles ont proposées d'eUes-mêmes
et des autres . Nous.recensons les débats sur les nouveaux enjeux qui interpel-
lent ces minorités. Nous engageons aussi une réflexion sur-Ieurs mobilisations.
Ainsi, notre démarche est à la fois descriptive, compréhensive et normative.
Nous n'hésitons pas à juger ce milieu qui est aussi le nôtre, ca r il serait préten-
tieux de notre part de prétendre être au-dessus de la mêlée. Le chercheur, en
milieu minoritaire, ou majorita ire, n'est jamais neutre (Cardinal, 1997).
Intitu lé L'espace francophone en milieu minoritaire au Canada, l'ouvrage
propose donc une synthèse critique et globale de la situation. Nous avons privi-
légié trois axes d 'analyse et de réflexion : un premier portan t sur la structuration
de ces communautés par la représentation de soi - individuelle comme collec-
tive - et les pratiques quotidiennes; un deuxième s'intéressant à la c0J.1struction
de l'espace francophone et la mobilisation dans différents secteurs de la vie col-
'~ Iective; un troisième examinant le rapport au politique des minorités franco-
phones, tant en leur sein que dans leur rapport à l'autre et au droit.
Populations, com nllmautés et représentation de soi. Cette partie comprend
des textes portant sur la vitalité des milieux minoritaires francophones (Gilbert
et Lefebvre), l'engagement identitaire (Deveau, Allard et Landry), l'immigration
(Farmer), la mémoire historique (Bock), l'identité collective prise entre la socio-
logie et l'histoire (Thériault et Meunier). Gilbert et Lefebvre y vont d'une ques-
INTRODUC TI ON 1S

tion forte qui permet de donner un fil conducteur à l'ensemble de la section: le


projet d 'un espace francophone est-il toujours viable ou faut-il plutôt, comme
le fait François Paré, reconnaître que ces minorités ressembleraient davantage
à une diaspora au sein de laquelle elles se meuvent dorénavant non sa ns ironie,
se construisant une identité de moins en moins en référence au projet mémoriel
du Ca nada frança is? Bock retrace l'h istoire de ce projet canadien-français non
sans souligner que son effacement pourrait bien conduire à l'effacem ent de~
communautés qu'il a pendant plus d'un siècle structuré. Cette interrogation est
pou rsuivie dans le texte de Thériault et Meunier, pour qui la sociologie a par-
ticipé à diluer l'i ntention vitale du Ca nada-français, ce "qui atrophie ces com-
munautés de la moitié de leur imaginaire. Le débat est lancé. Pour certains, le
nouvel espace de la franc ophonie est une ouverture sa lutaire; pour d'autres,
une réalité fra gile qui doit êt re continuellement enrichie par une politique de
conscientisation active ou encore d'une réinscription dan s une mémoire dont
l'on croyait s'être définitivement débarrassé.
Gilbert et Lefebvre posent un rega rd sombre sur les ressorts de la v italité
linguistique en milieu minoritaire. Elles y voient des milieux de vie de plus en "
plus frag iles; des jeunes francophones de plus en plus anglicisés qui font para-
doxalement pre uve d 'une grande confiance en l'avenir. EUes constaten t, au
même moment, une démobil isation importante de leu r part qui leur fait
craindre J'absence d'une relève d'autant plus qu'elles considèrent que le milieu
organisationnel est replié sur lui-même" Un francophone sur deux n'a pas
confiance dans les leaders censés les représenter. Comment dénouer ce nouvel
écheveau de rapports de plus en plus complexes des francophones à leurs
milieux de vie? La fracture entre l'identité et les pratiques des fra ncophones en
milieu minoritaire perç ue par les auteures est~e lle irréméd iable ? Elles voient
des fran cophones qui résistent de moins en moins, préféra nt J'accommodement
et la bonne entente avec la "majorité. Finalement, elles constatent que le milieu
joue très peu sur la vitalité communautaire" il ne suscite pas un rapport diffé-
rent à la communauté. Da ns ces cond itions, comment renouveler le lien social
et relancer Ja com munalisation ?
Deveau, Landry et Allard constatent aussi que l'anglicisation des milieux
minoritaires se poursuit et que le français à l'extérieur du Q uébec est de plus
en plus une langue seconde plutôt qu'une langue publique. Toutefois, à la diffé-
rence de Gilbert et Lefebvre, ils proposent une réflexion dava ntage inspirée par
la psychologie sociale sur la question de l'engagement commu nautaire des fran -
cophones. Ils souh aitent, de façon plus précise, approfondir le lien entre )'auto-
définition lingu istique, c'est-à-d ire l'acte de dire «j'appartiens à ce groupe», la
construction du récit personnel et la question de l'identité bilingue. Faut-il
conspuer ou valoriser cette identité? Pour ces chercheurs, l'autodéfinition n'est
16 L'ESPACE FRANCOPHONE EN MILIEU MINORITAIRE A U CANADA

pas suffisante afin de bien comprendre l'identité ethnolangagière. Il faut aussi


étudier l'engagement identitaire pour mieux faire apparaître la signification pro-
fonde que les individus accordent à leur identité. Comment donc se construit le
«nous») chez ces jeunes francophones? Comment une nouvelle identité collec-
tive en viendra-t-elle à émerger?
Deveau, Allard et Landry rappellent notamment que la variable langue mater-
nelle continue d'être fondamentale à l'existence d'une communauté francophone.
Les fnincophones qui se disent d'identité hybride ou bilingue, à moins d'être de
langue maternelle française, ne participeront que de façon très relative ou utili-
taire à la reproduction du milieu. Ainsi, l'identité bilingue se fait moins mena-
çante lorsque les jeunes qui s'en réclament sont de langue maternelle française.
Pour les auteurs, il nerait pas de doute que la francophonie canadienne doit se
doter d'un projet de revitalisation langagière essentiel à son dynamisme.
Pour sa part, Farmer change de registre en étudiant la question de l'immi-
gration sauf qu'elle nous y ramène de plain-pied, car beaucoup de francophones
misent sur cette dernière afin de compenser la perte de leurs nombres. Elle s'in-
terroge notamment sur les formes de médiation et les pratiques émergentes dans
le travail d'élaboration de la politique d'ensemble de l'immigration en milieu
francophone. Elle souhaite mieux comprendre les moments d'inclusion et d'ex-
clusion dans les interactions sociales afin de mieux faire apparaître le processus
d'intégration qes immigrants. Ainsi, à l'utilitarisme de la politique et des préoc-
cupations des leaders francophones, elle oppose une démarche éthique.
Or, dans cette nouvelle conception éthique des rapports entre francophones
d'ici et d'ailleurs, que reste-t-il de la mémoire, des traces du Canada français?
C'est à cette question que s'intéresse le texte de Bock ainsi que celui de Thériault
et Meunier. Bock inscrit sa démarche dans les débats des dix dernières années,
notamment au Québec, sur la nature du Canada français d'avant les années 1960.
En voulant démontrer la réalité du Canada français comme société moderne et
porteuse d'une américanité, les tenants d'une telle démarche ont participë à
extirper du récit mémoriel canadien-français la singularité qui nourrissait son
projet national. li ne cache pas son agacement à l'égard de ce révisionnisme his-
torique. Par ailleurs, ce texte a le mérite de contribuer à inscrire les communautés
,francophones minoritaires dans un débat qui dépasse largement le milieu mino-
'titaire; un débat qui inversement permet de rappeler au Québec que le Canada
français a non seulement une histoire qui déborde ses frontières mais que ses
historiens et ses sociologues ne peuvent en faire l'économie, ils doivent s'ouvrir
davantage à l'expérience des minorités francophones hors Québec.
La continuité entre le projet des francophonies minoritaires et celui du
Canada français - ce que les auteurs nomment 1'« intention vitale) - est aussi
au centre de la contribution de Thériault et Meunier. Le questionnement est
I N T RODUC TI ON 17

plus sociologique qu'historique. Les auteurs partent du postulat de la dénatio-


nalisation, dont ils retrouvent une confirmation dans l'analyse sociologique
contemporaine - l'école de Toronto -, qui privilégie l'étude des raisons uti-
litaires à la mémoire identitaire pour comprendre la dynamique de ces com-
munautés. Si une telle analyse rend effectivement compte d'une tendance Jourde
présente au sein de ces communautés -leur ethnicisation ~,elle ne tient pas
compte de l'autre moitié de l'histoire, le re~us de cette eth nicisation au nom de:.
la permanence du vieux rêve national canadien-français de faire société. C'est
aussi en rappelant l'intention vita le du Canada français que l'on peut com-
prendre comment sociologiquement et politiquement Ja (rancophonie minori-
taire s' inscrit au cœur de l'histoire de la dualité nationale au Canada.
Institutions, espaces et mobilisations. Cette partie comprend des textes sur
l'économie et le développement en milieu minoritaire (Leclerc), l'école (Pilote et
Magnan), la création artistique (Hotte) et la santé (Bouchard et Leis). Leclerc
dresse un bilan du projet d'un espace économique fr3:ncophone et jette un regard
lucide sur les rappor ts de la langue à J'économie, notamment sur l'intégration
des milieux minoritaires à l'économie du savoir. Ce premier texte de la section
sert aussi de cadre pour Ja compréhension des nouveaux enjeux qui mobilisent
les minorités francophones au sein des espaces dont ils tentent de se doter. Il
poursuit, notamment, l'interrogation sur les effets du bilinguisme sur le milieu
minoritaire et montre que le français constitue en effet une valeur ajoutée dans
certains secteurs comme la fonction publique. Les anglophones et les franco-
phones bilingues y affichent nettement de meilleurs revenus que leurs collègues
unilingues. L'économie de la connaissance comprend des domaines où les fran-
cophones sont aussi très présents comme l'enseignement, les se.rvices de santé et
les services sociaux. Toutefois, ces derniers ne se trouvent pas dans des Ueux de
prise de décision. Ainsi, leur incidence sur l'économie du savoir semble marginale
et celle de la langue française également. Leclerc poursuit son évaluation de J' éco-
nomie en milieu minoritaire en s'intéressant au rôle des Réseaux de développe-
ment économique et d'employabilité (RDEE) mis sur pied par le gouvernement
canadien dans les années 1990 afin de favoriser la création d'emplois. li montre
que leur impact sur le développement de la richesse et de l'emploi est peu percep-
tible. Les RDEE s'appareritent plutôt à de nouvelles structures bureaucratiques
qui ont surtout pour rôle de mettre en valeur les ressources humaines en milieu
francophone, de planifier leurs besoins et de faire de la formation et de l'infor-
mation. Nonobstant, Leclerc considère que le développement local demeure
important en milieu minoritaire et qu'il ne faudrait pas hésiter à y investir davan-
tage afin de consolider les structures économiques existantes. Un tel pari est
risqué mais Leclerc persiste à croire que le développement local continue d'être
un vecteur importa nt de l'économie en milieu minoritaire.
,8 l ' ESPACE FR A NCOPHONE EN MILIEU MI N O R I T A IR E A U CANAD A

Dans un texte sur l'école, institution par excellence en milieu minoritaire,


son territoire symbolique, et lieu de toutes [es luttes du passé de la part des fran-
cophones, Pilote et Magnan considèrent que celle-ci continue, malgré les intem-
péries, de constituer le cœur du projet francophone. Par contre, elles sont
habitées d'une inquiétude semblable à celle de Gilbert et Lefebvre: « I:école peut-
elle toujours assurer sa fonction de socialisation en tant qu'institution sociale
centrale au projet collectif de la minorité francophone du Canada dans un
contexte marqué par l'individualisation?» Puis.a nt dans la sociologie de l'édu-
cation (Dubet), les théories constructivistes de la société moderne et postmo-
derne (Martuccelli et Corcuff) et les approches du risque (Beek), elles sont aussi
préoccupées par la valorisation de la fluidité des identités, l'absence de frontières
qui amène les jeunes à se définir comme bilingues plutôt que francophones.
Comment aussi favoriser la prise en compte de la diversité dans un tel contexte?
Comment renforcer l'école comme lieu de socialisation et d 'engagement envers
un projet social et collectif, celui de la francophonie canadienne? Pilote et
Magnan rejoignent ici Devf!au, Allard et Landry souhaitent le développement
d'une pédagogie spécifiquement conçue par et pour les minoritaires.
Hotte retrace le parcours de la vie des arts en milieu minoritaire. Elle
témoigne de l'éveil des artistes francopho nes hors Québec à la question iden-
titaire. Par contre, la création en milieu minoritaire doit-elle toujours porter
sur la marque du minoritaire? Un tel débat est impossible à résoudre. Les
artistes et les créateurs en milieu francophone peuvent résister à l'appel à l'en-
gagement, mais dès le moment où ils doivent faire face au développement d'un
espace de création ou à l'institutionnalisation de leurs arts, le fait de vouloir
travailler dans ces milieux les rattrape. Se _pose ainsi tout l'enjeu de la consti-
tution d'un public de lecteurs, d'auditeurs, de spectateurs à l'intérieur des murs
de leurs cités afin de pouvoir vivre de leur art et de faire vivre cet art qui est le
leur. Les défis sont grands: les problè mes d'assimilation des francophones,
d'analphabétisme et le peu de financement disponible pour les arts et la créa-
tion en milieu minoritaire sont là pour en témoigner.
Finalement, Bouchard et Leis proposent un texte sur les nouveaux déve-
loppements en milieu minoritaire dans le domaine de la santé. Depuis la célèbre
•, cause Montfort, les organismes de santé au sein du milieu francophone hors
Québec ont le vent dans les voiles. Bouchard et Leis montrent comment les
acteurs dans ce domaine ont mobilisé le thème des valeurs canadiennes afin
d'inciter le gouvernement à une plus grande sensibilité à l'égard des langues
officielles. Leur texte conclut la section en montrant que les milieux franco-
phones ont su habilement utiliser leur capital social pour mobiliser de nouvelles
reSSOluces. Leur ton plus optimiste tranche certainement avec l'inquiétude plus
marquée des autres collaborateurs (Gilbert, Pilote), ainsi qu'avec les réserves
INTRODU CTION '9

exprimées par Thériault et Meunier sur une approche qui, en privilégiant la


nature stratégique 4e la communauté, participe à diluer sa substance.
Politique, droit et autonomie. Cette partie comprend des textes sur la par~
t icipation des minorités francophones à la vie politique (Ca rdinal), les rapports
entre les fran cophones de l'intérieur et de l'extérieur du Québec (Denault), les
droits linguistiques (Foucher) et le droit institution~el (Poi rier). Carwnallance
le débat en s' interrogeant sur la pa rticipation des minorités francophones hors..
Québec à la prise de décision et à leur autogouvernement. Faut-il le rappeler,~
l'objectif ultime du projet d'un espace fra ncophone en milieu minoritaire est
de combler le déficit démocratique à leur égard. Ca rd inal étudie trois domaines
qui permettent d 'identifier les moyens à la d isposition des m inorités atin de
combler ce déficit: constitutionnel, administratif et électoral. Elle constate
notamment que tous les efforts qu'ils ont consacrés à mobiliser l'opinion
publique, à tenter d'influencer la formulation des politiques ou encore à parti-
ciper à la politique électorale ont conduit à l'adoption de nouvelles lois, au déve-
loppement d'une importante infrastructure de gestion de leur développement
et à une certaine présence de leur part dans les officines du pouvoir. Toutefois,
. elle révèle, en bout de piste, que le déficit démocratique en mü ieu minoritaire
s'est accru au lieu de se refermer. D'une part, les minorités contrôlent toujours
très peu l'espace qu'eUes ont contribué à créer depuis l'obtention de le urs nou-
veaux droits. D'autre part, leurs problèmes démographiques ne sont pas pris en
compte au plan politique. Finalement, elles vivent aussi des problèmes de repré~
sentativité importants au plan intercommunautaire et dans leurs rapports avec
le gouvernement En somme, les minorités francophones nous apparaissent
plus marginales que jamais au plan politique.
Pour sa part, Deflault s'interroge sur les rapports entre les franco phones de
l'intérieur et de l'extérieur du Québec. Est~ ce que la possibilité d'une plus grande
proximité avec le Québec peut constituer une voie de rechange à ce déficit démo~
cratique? Denault étudie les propositions des partis politiques et du gouverne-
ment du Q uébec des années 1970 à 2007 et tente de problématiser la représentation
domin ante selon laquelle, depuis les ~tats généraux du Canada fra nçais, le
Québec aurait abandonné les francophones hors Québec. Pour elle, les rapports
entre les francophones de l'intérieur et de l'extérieur du Québec sont une source
de préoccupation constante pour les part is politiques du Québec. Selon son
étude de leurs programmes, aucun ne manque de proposer une façon ou des
moyens de raffermir la solidarité entre les deux groupes. L'Êtat québécois main-
tient aussi l'importance d'une collaboration avec les communautés francophones
par le moyen de son appareil administratif, notamment le Secrétariat des affaires
intergouvernementales du Québec. Elle considère également que, dan s le
contexte de la mondialisation et de l'intégration continentale, le Québec aurait
20 L'ESPACE FR ANC O PHONE EN MILIEU MINORITA I RE A U CANADA

besoin des minorités francophones pour légitimer, sur le plan international, son
rôle de jj numéro deux de la francophonie » ou de « phare en Amérique ». Cette
façon de concevoir la relation enh'e le Québec et les minorités francophones est
nettement plus va lorisante d'un point de vue hors Québec2 • Grâce à l'action de
['État québécois, Denault constate que les francophones sont davantage intégrés
à sa redéfinition du fait français au sein de l'Amérique du Nord. Toutefois, elle
conçoit que la réflexion sur la question est encore peu développée au sein du
réseau associatif francophone.
Foucher montre qu'en i!absence d'une véritable base de pouvoir, le droit a
aussi constitué une dimension fondamentale dans la vie des communautés fran-
cophones. Un espace juridique s'est développé, des causes ont été entendues et
gagnées, un corpus juridique et normatif s'est constitué et les droits linguistiques
des francophones ont été précisés. Il est difficile de demander mieux. Le droit
est ainsi devenu un outil de lutte au service du développement des minorités
francophones hors Québec. La Charte a constitué un temps fort pour le milieu
juridique francop hone. Elle lui a permis de poursuivre ses efforts de francisation
de la pratique juridique, en parti!=ulier le développement d'une common Law en
français, phénomène inédit au Canada et source d'inspiration pour d 'autres pays
où se côtoient les traditions juridiques. Les juristes francophones hors Q uébec
ont bien profité de la situation. Certains se sont vus nommés aux plus hauts
échelons de l'appareil juridique canadien. Quant aux communautés franco-
phones, le droit est aussi devenu une dimension de leur quotidien.
Sans rejoindre les critiques que certains ont adressées à une juridisation
excessive (Cardinal, 2001, 2006; Thériault, 1995, 2007), Foucher considère néan-
moins que le droit n'est pas une panacée même s'il représente un outil puissant
et fondamentaL Les tribunaux peuvent décider de ne pas entendre de causes
dans le domaine lingu istique. Leurs interprétations ne sont pas automatique-
ment libérales ou généreuses envers [es minorités. "Le droit peut aussi générer
de l'anomie et miner leur quête d'unité ou les rapports de communalisation.
Foucher suggère de compléter le droit par des moyens de type législatif (poli-
tique) ou par une plus grande représentation des minorités francophones au
sein des institutions qui disposent d'un pouvoir.
, C'est à Poirier, dans cet ouvrage, qu'est toutefois revenue la tâche d'un exer-
\.cice d'imaginaire institutionnel afin de permettre ce passage du paradigme des

2. Mentionnons aussi qu'en 1994, le Conseil de la langue française du Québec a publié un ouvrage
intitulé Pour un renforcement de la solidarité entre franc opltones du Canada, Québec, CLF. En
2000, Fernand Harvey et Gérard Beaulieu dressent un bilan des rapports entre l'Acadie et le
Québec, Les relations elltre le Québec et l'Acadie: de la tradition li la modernité, Québec et
Moncton, t ditions de l'IQRC et d'Acadie. En 2003, Simon Langlois et Jean-Louis Roy publient
Briser les solitudes. Les francophonies canadiellnes et québécoises, Québec, tditions Nota bene.
I NTRODU CTI ON 2'

droits à celui des pouvoirs. Ainsi, elle passe en revue un éventail d 'aménage-
ments institutionnels pouvant éventuellement concrétiser l'aspiration à l'auto-
gouvernement ou encore à un espace francophone au sei n du régime fédéral
ca nadien. Par «a ménagements institutionnels)}, elle entend. à l'instar de
Woehrling dont eUe reprend la défi nition, « divers mécanismes structu rés, et
reconnus par les autorités politiques, de préférence par le biais d 'instruments
juridiques, et qui visent à faciliter la participation effective au processus déci .....
sionnel démocratique de l'e nsemble de la communauté politique. ou encore de·
lui permettre d'exercer une certaine autonomie politique dans un cad re terri-
torial" infra-étatique"» (Woehrling, 2003-20 04, p. 143). Faisant écho.aux autres
textes de cette section, Poirier suggère des modèles pouvant contribuer à
résoudre le déficit démocratique à l'égard des minorités francophones hors
Québec au sein du fédéralisme canadien. Ainsi, elle invite à approfondir les
mécanismes à la disposition de la communauté germanophone de Belgique
ai.nsi que ceux mis en place afin de permettre l'autonomie gouvernementale du
Nunatsiavut élaboré par et pour les {nuits du Labrador. Pour Poirier, un tel
modèle « illustre bie n la malléabilité des solutions institutionnelles qui visent
à répondre à la diversité de réa lités sociodémographiques et politiques }), En
d'autres mots, l'existence de petits effectifs en milieu minoritaire ne devrait
plus être un obstacle à leur préoccupation pou~ une plus gra nde autonomie. À
cause des différences importantes entre les Inuits du Labrador et les franco-
phones hors Québec, l'exercice d 'imagination institutionnel que propose Poirier
mérite d 'être approfondi. Les leaders des minorités francophones seront-ils
intéressés par un tel travail de réflexion ? L'ouverture vers le droit institutionnel
obligerait les francophones, comme le souligne Poirier, à se représenter comme
des acteurs étatiques plutôt que de se limiter à interpeller l'Êtat pour qu'il
prenne en ch~Ige leur déveJoppement. 1\ s'agit, pour reprendre sa ligne de pen ~
sée, de concevoir le Canada francophone comme une entité politique et étatique
et non uniquement comme une réalité statistique ou juridique.
Un tel enjeu peut sembler nouveau mais il ne fait que rappeler une év idence.
qui, il n'y a pas si longtemps, mobilisait les chercheurs refusant de réduire la
situation des francophones à une question linguistique ou de langue officielle.
U réinscrit la question des m inorités francophones dans la nature politiqtte
même du Canada, comme l'avait fait en son temps Henri Bourassa avec l' idée
des deux nations. À force de subordonner le développement des minorités fra n-
cophones aux regards étroits de la sociologie des réseaux ou aux objectifs d'une
politique de biling1Jisme, le projet d'un espace fran cophone semble avoir perdu
de son contenu. La question doit être posée: les fr ancophones hors Québec
veulent-ils toujours d'un tel espace ?
::t::I: l'ESP ACE FRANCOPHON E EN MILIE U MINORITA I RE AU C A NADA

Des regards inquiets

En bout de piste, quel bilan dressons-nous de cet espace francophone qui, sur
les restes de l'ancien Canada français, tente depuis les années 1960 de se conso-
lider? Dans un premier temps, il nous semble que nous faisons face à un déficit
de conceptualisation. Les minorités francophones hors Québec ne sont-elles
dorénavant que des communautés ethnjques? Des populations de langue offi-
cielle. en quête de leur juste part des ressources publiques? Ne sont-elles plus
les rameaux hors Québec d 'une nation fondatrice? 11 serait important de pour-
suiv re le débat au sein de la théorie normative sur le statut à accorder à ces
minorités, amorcé ici tant par les textes de Thériault et Meunier que par celui
de Poirier, et sur le rôle de l'intervention étatique en vue de leur développement
que suggère le texte de Cardinal. Les minorités francophones hors Québec
échappent largement à la réflexion tant sur les minorités - consacrée essen-
t iellement aux minorités territorialisées - ·que sur les groupes ethniques, ce
qu'elles ne sont pas complètement. Or, un tel exercice nous apparaît plus que
nécessai re afin de permettre au milieu minoritaire de poursu ivre son inscrip-
tion dans ce monde d'histoire et de culture auquel il participe depuis plus de
400 ans en terre d'Amérique.
Dans un deuxième temps, l'espace francophone, possiblement pour le~ rai-
sons que nous venons d'évoquer, est un espace fragile, toujours en chantier dans
la plupart des domaines. Le droit et l'éducation occupent une large place dans
le monde de la francophoni e minoritaire, le premier pour compenser son
absence de pouvoir, le deuxième pour pallier son manque d'un territoire formel
(Landl'Y et Rousselle, 2003). Nous constatons aussi que, malgré sa très grande
vulnérabilité, des francophones continuent de se mobiliser afin de développer
de nouveaux lieux de pouvoir. Les progrès dans le domaine de la santé et de
l'immigration sont significatifs à cet égard. Toutefois, à quoi .ressemble ce nou·
veau pouvoir francophone? Com ment les francophones se mobilisent-ils ? Si le
réseau associatif francophone est replié sur lui-même comme le soutiennent
Gilbert et Lefebvre, quelles sont les chances de consolider cet espace pour qu'il
puisse servir à davantage retenir ses membres?
Finalement, c'est un regard inquiet que posent la plupart des collaborateurs
:. de cet ouvrage sur l'avenir des minorités francophones. Même si, par ailleurs, les
chercheurs ne semblent pas prêts à lâcher prise. Plusieurs, dans cet ouvrage, sou-
haitent relancer le travail de communaHsation, voire le travail de mémoire, au
sein du milieu minoritaire, tout en prenant en compte les nouvelles réalités et
enjeux au sein de la francophonie, D'autres cherchent à préciser des voies d 'action
ou encore invitent à une plus grande réflexivité à l'éga rd des moyens revendiqués
pour faire avancer le développement du groupe. Mais il faut bien voir que, qua-
INTROD UCT ION ::t3

rante a ns après la fin du Canada français a nnoncé par ses derniers États généraux,
vingt·cînq ans après la Charte cana dienne qui allait donner des outils ju ridiques
inédits dans lesquels les leaders de ces communautés se sont m assivement investis,
la recherche en milieu minoritaire reste teintée d 'in q uié tude.

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~ESPACEFRANCOPHONE
EN MILIEU MINOR ITAIR E AU CANADA

C'est un regard inquiet que posent la plupart des colla borateurs de cet
ouvrage sur J'avenir des minorités francophones canadiennes, tout en
constatant qu'elles ne sont pas prêtes à lâcher prise. Prenant en compte les
nouvelles réalités et les nouveaux enjeux de la francophon ie, plusieurs
souhaitent relancer le travail de co mmunalisation, voire le travail de
mémoire, au sein du milieu minoritaire. D'autres cherchent à préciser des
voies d'action ou encore invitent à une plus grande réflexivité à l'égard des
moyens revendiqués pour favoriser l'épanouissement du groupe. Mais il
faut se rendre à l'évidence: quarante a ns après la fin du Canada français
annoncé par ses derniers états généraux, vingt-cinq a ns après l'adoption
d'une Charte canadienne qui allait donner des outils juridiques inédits aux
leaders de ces communautés, l'avenir reste encore à construire.
L'espace francophone en milieu minoritaire au Canada, nouveaux
enjeux, nouvelles mobilisations se veut une su ite et un complément à
l'ouvrage Francophonies minoritaires au Canada, lëtat des lieux (sous la
direction de Joseph Yvon Thériault, Éditions d 'Acadie, 1999). Rédigées par
une quinzaine de spécialistes des francop honies canadiennes vivant en
m ilieu minoritaire, les contributions regroupées dans cet ouvrage se
répartissent autour de trois grands axes:
• Populations, communautés et représentation de soi;
• Instit utions, espaces et mobilisations j
• Politique, droit et autonomie.

Les directeurs de l'ouvrage

JOSEPH YVON THÉRIAULT est professeur de sociOlogie et titulaire de la Chaire


de reche rche du Canada en mondialisation, citoyen neté et démocratie il. l'Université
,
"
du Québec il. Montréal.
ANNE GILBERT est géographe et directeure de rec herche au Centre interdisciplinaire
de recherche sur la ci toyenneté et les minorités (CiRCEM).
LINDA CARDINAL est professeure de sciences politiques et t it ulaire de la Chaire
de recherche sur la fran cophonie et les polItiques publiques il. l'Université d'Ottawa.

En c<>U .... ,t"'~: ~ Rom"" Uvoie. D.·.. ln d·A"·...,·ProI'tn<.,. 1910: ac,~II" ... ur p.pi.'.
]8 • • 6 <m (p/lOIO : Go .. , .. d·. 't lool ..·.t·R.I!ooon·Coh." d. r Un"""lt' de Mo"'t"")

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