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(BnF gai Candide, ou l'Optimisme, par M. de Voltaire. Premiere partie. Edition revue, corrigée et augmentée par l'auteur. - [...] {BnF allica, Vote (1604-177), Candide, 04 'Optineme, par M. da Votaie remére part Eton soe, coves ot augrentés pa auteur - Candid, 04 YOptiniame, radu do Taverna dee decour Raph Seconde part. 1763, 1 Los comonus scceesbes sur este Galica sort pour a pupa des raprcductions numerques ose toMDees dans Ie donne publeprevenaT dos corecons doe {nF Laur raison sincot nee cacre de n'a n-78-759 17 flan 1978 “La eutioaton no commerce de oes corte ost te pate das vxpect 0a Gp Slason en vgueur et otanment du aien de a menton de sures “Li ution eommorcale de ae conanus et payante tat objet une scenes Et arene ar tatiaton cortmerca areata de conor cue ore de procs ‘ciquero\pouracoader aut tats eta eenoe 2) cooenus de Gala ont a rope den GF au aan de arto L2112-1 ds cade gant de propit des personnes pubiques. ‘3 usiques contenu snt sous & un ge de eulistonparteuli. gt “oa morotuons de ects pg a ot Snr ope ne Cats part rs ab, mde cae dcp sn "des fopoductons de documents consoives dans les bbcthaques cu autos inttutons patenaies. Cows sont signals parla menton Scuice galioa BaF 4/blotneque ‘municle de fou sue paren) Lutiaaeur extn &entoner ups do coe blothequer de leur constons de esate +41Gatiea consttue une baso de données, dota BaF este predict, pokagés au sens des ries LOA t suivants ds code de a proprit nsieeues '5/ Ls pesere conditions duicaton des cartons do Glica sort ves parla fangalss,Ex'cas de eutisaton prévue dan un aur pay, sppariont chaque uisteur de vetora cenfosnta de son pt avec ie dnt de ce pa. 6! Luniaateur songage & rexpectr ies pdsomtes conditions dutsston sins que a lgisiaton en vguout, notamment gn mater de propriété teactuale. En cas da aon ‘eapect de cae depostions, last netanment parse dine arrange prow para 17 ji !et 1978, 7/Paurebtnicun sourent de Galen en hate dfeiton, contain mutlaaton batt _ CANDIDE, 0.U | LOPTIMISME, § = 3 Par Mr. deVOLTAIRE. PREMIERE PARTIE. Edition revue , corrigée S augmentdé i par TL’ Auieur. AUX DELICES i MDCCLXIII | _.CANDIDE, i a LOPTIMISME. CHAPITRE PREMIER. Comment Candide fut devé dans un beau Chdiveau, & comment il fut chaffé f icelui: L_y avait en Weiltphalie, dans le Chatean de Mr. le Baron de 1 hun ler-ten-tronckh, un jeune gargon 4 qui Ia nature avait donné les meeurs les plus douces, Sa phifionomie annongait fon ame, [1 avoit le jugement aflez droit, avec Yefprit le plus fimple; ceft, je crois, pour cette raifon qu’on le nom- mait Candide. Les anciens domeftiques de la maifon foupconnaient qu'il était fils de la four de Mr.le Baron, & d’un bon & honnéte Gentil-homme. du voili- nage, que cette Demoifelle ne voulut jamais époufer , parce qu'il n’avait pu prouver qtie foixante G& onze quartiers, & que le refte de fon arbre généalogi- Az 4 CANDIDE; que avait été perdu par Pinjure du tems. Monfieur le Baron étoit un des plus puiffans Seigneurs de la Weftphalie, car fon Chateau avait une porte & des fe- nétres. Sa grande Salle, méme, était, ornée d’une Tapifferie. Tous les chiens de fes baffes-cours compofaient une meute dans le befoin; fes -palfreniers étaient fes piqueurs; le Vicaire du village était fon grand Aumonier. Ils lappellaient tous Monfeigneur, & ils riaient quand il faifoit des contes. Madame la Baronne qui pefait envi- ton trois cent cinquante livres, s’attirait ar 14 une trés grande confidération , & aifait les honneurs de Ja maifon avec une dignité qui la rendait encor plus re-~ {peftable. Sa fille Cunégonde dgée de dix-fept ans était haute en couleur, fraiche, grafle, appétiffante. Le fils du Baron paraiffait en tout digne de fon pére. Le Précepteur Panglofs était l’o- racle de la maifon, & le petit Candide écoutait fes legons avec toute la bonne foi de fon Age & de fon caraétére. Plangofs enfeignait la Métaphifico- théologo cofmolo-nigologie. I] prouvait admirablement qu'il n’y a point d’effer fans caufe , & que dans ce meilleur des er oa poe POF TrrMirsuM gy Mondes poffibles, le Chateau de Mon- feigneur le Baron était le plus beau des Chateaux, & Madame la meilleure des Baronnes poffibles. i eft démontré, difait-il , que les chofes ne peuvent étre autrement: car tout étant fait pour une fin, tout eft néceflairement pour la meilleure fin, Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aufli avons- nous des lunettes. 4-es jambes font vi- fiblement inftituées pour étre chauiiées, & nous avons des chauffes. Les pierres ont été formées pour étre taillées, & pour en faire des Chateaux; aufli Mon- feigneur a un trés-beau Chateau; le plus grand Baron de la province doit étre le mieux logé: & les cochons étant faits pour étre mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conféquent, ceux qui ont avancé que tout eft bien , ont dit une fottife: il fallait dire que tout eft au mieux. Candide écoutait attentivement, & croyait innocemment ; car il trouvait Mademoifelle Cunégonde extrémement belle, quoiqu’il ne prit jamais la har- dieffe dele lui dire. Il concluait qu’a- prés le bonheur d’étre né Baron de A3 6 CAR L Dies ae : Thunder-ten-tronckh, le fecond degré de bonheur était d’étre Mademoi Cunégonde, le troifieme de la voir tous les jours , & le quatriéme d’entendre Maitre Panglofs, le plus grand ‘O- phe de la Province, & par conféquent de toute la Terre. : Un jour Cunégonde en fe promenang auprés du Chateau, dans le petit bois Pin appellait parc, vit entre des broui- illes le Doéteur Panglofs gui donnait une lecon de phifique expérimentale & Ta femme de chambre de fa mere petite brune urés-jolie & trés-docile. Comme Mademoifelle Cunégonde avait beaucoup de difpofition pour les {ciences , elle ob- ferva, fans foufler, les expériences réi- térées dont elle fut témoin; elle vit clai- rement la raifon fuffifante du Doéteur, les effets & les caufes: & s’en retourna toute agitée, toute penfive, toute rem- plie du defir d’étre favante; fongeant qu'elle pourroit bien étre la raifon fufii- fante du jeune Candide , qui pouvaic auffi étre la fienne. “ Elle rencontra Candide en revenant au Chateau, & rougit; Candide rongit anffi, elle lui dit bonjour dune voix ou VOPTIMISME 9p entrecoupée, & Candide lui parla fans favoir ce qu'il difait. Le lendemain a- prés le diner, comme on fortait de ta- ble, Cunégonde & Candide fe trouvé- rent derricre’un paravent ; Cunégonde laiffa tomber fon mouchoir, Candide le ramaffa, elle lui prit innocemmeng la main, le jeune homme baifa innocem- ment la main de la jeune Demoifelle a- vec une vivacité, une fenfibilité, une grace toute particuliére; leurs bouches fe rencontrérent, leurs yeux s’enflam- “ mérent, leurs genoux tremblérent, leurs mains s’égarérent. Monfieur le Baron de Thunder-ten-tronckh paffa auprés du paravant, & voiant cette caufe & cet effet chaffa QGandide du Chateau a grands coups de pied dans le derritre; Cunégonde s’évanouir; elle fut fouflet- tée par Madame'la Baronne dés qu’elle fur revenue 4 ellé-*méme; & tour fut confterné dans'le plus beau & le plus agréable des Chitctx poffibles. 3 wt Ean Ber By uo | CHAPITRE SECOND, | Ce qué devint Candide parmi les Bulgares, £ > ee ‘Andide chaffé du Paradis t rs -marcha longtems fans fayoir ob, pleurant, levant les yeux au Ciel, les. tournant fouvent vers le plus beau des Chateaux qui renfermaitla plus belle des Baronnettes 3 il fe coucha fans fouper au milieu des champs entre deux fillons, la neige tombait 4 gros flocons, Candide tout tranfi fe traina le lendemain vers la Ville voifine, qui s’appelleWaldberghoff- trarbk -dikdorff, n’ayant point d’argent, mourant de faim & de laflitude, il s’ar- réta triftement 4 la porte d’un cabaret, Deux hommes habillés de bleu le remar- quérent: Camarade, dit ’un, voila un jeune homme trés-bien fait & quia la taille requife 5 ils s’ayancérent vers Can- dide , & le priérent.4.diner trés-civile- ment. Meffieurs, Jeur dit Candide, avec une modeftie charmante, vous me faites beaucoup d’honneur, mais je n’ai pas de quoi payer mon écot. Ah Monfieur! lui dit un des bleus , les perfonnes de vétre figure & de yOtre mérite ne payent ja- mais rien: n’avez- yous pas cing pieds ee ov. "LO PT © ow Ez. 9 ¢ing pouces de haut ? Oui, Meffieurs, eeft ma taille, dit-il en faifanr la revé- rence. Ah Monficur ! mettez vous a ‘table; non feulement nous vous défra- yerons, mais nous ne fouffrirons jamais qu’un me comme vous manque d’ar- gent; les hommes ne font faits que pour fe fécourir les uns lesautres. Vous avez raifon, dit Candide; c’eft ce que Mr. Panglofs m’a toujours dit, & je vois bien gue tout eft an mieux. On ke prie d’ac- cepter quelques écus, il les prend & veut faire fon billet,on n’en veut point, on fe met 4 table ; N’aimez-vous pas tendrement.... ? Oh oui! répond-il, jaime tendrement Mademoifelle Cuné- gondes; Non, ‘dit Pun de ces Mefficurs, nous yous demandons fi vous n’aimez pas tendrement le Roi des Bulgares ? Point dustout, dit-il , car je ne Vai jamais vd, Comment? c’eft le plus -charmant des Rois, & il faut boire a fa fanté 2 Oh? trés-volonticrs , Mes- fieurs; & il boit. C’en eft aflez, lui dit-on, vous voila ’appui, le foutien, le deffenfeur, le héros des Bulgaress votre fortune eft faite, & vdtre gloire eft affurée. On lui met fur le champ les fers aux pieds, sig y le méne au Régi- a z0 Canpvive, ment. On le fait tourner 4 droite, & gauche, hanffer la baguette, remettre ja baguette , coucher en joué,tirer,dou-. - bler le pas, & on lui donne trente coups de baton ; le lendemain il fait /’exercice un peu moins mal , & il ne regoit que vingt coups; Je fur-lendemain onne lui en donne que dix, & il eftregardé par fes camarades comme un prodige, Candide touc ftupéfait ne démélait pas encor trop bien comment il érait un héros: il s'avifa un beau jour de prin- temps de saller promener, marchant tour droit devant Ini, crojant que c’é- tait un privilége de l’efpéce humaine, comme de l’efpéce animale , de fe fervir de fes jambes 4 fon plaifir. Il n’eut pas fait deux lieues, que voila quatre autres héros de fix pieds qui latteignent, qui de lient, qui le ménent dans un cachot; on loi: demanda juridiquement ce qu'il aimait le mieux , d’étre fuftigé trente- fixfois par tout le Régiment, ou de ree cevoir a la fois douze bales de plomb dans la cervelle ; il eut beau dire que Jes volontés font libres, &quw’il ne vou- Jait ni Pun, ni Pautre, il fallut faice un choix; il fe dérermina en vertu du don de Dieu, qu’on nomme liberté, EE EEE —-— | ou VORPTIMISME, 14 4 paffer trente-fix fois par les baguet- tes; il efluiia deux promenades. Le Ré- giment était compofé de deux-mille hommes; cela lui compofa quatre mille coups de baguettes, qui, depuis la nuque du cou jufqu’au ci lui décou- vrirent les mufcles & les nerfs. Comme on allait proceder 4 la troifiéme courfe, Candide n’en ponvant plus demanda en grace gu’on voulit bien avoir la bonté de lui caffer la téte ; il obtint cette fa- veur; on lui bande les yeux , on le fait ™ettre a genoux ; le Roi des Bulgares pafle dans ce moment, il s'informe du crime du patient; & comme ce Roi avait un grand génie, il comprit par tout ce quil aprit de Candide que c’é- tait un jeune Métaphificien , fort igno- rant des chofes de ce monde, & il lui, accorda fa grace avec une clémence ee fera louée dans tous les journaux dans tous les fiécles. Un brave Chi- rurgien guérit Candide en trois femai- nes avec les émollients enfeignés par Diofcoride. Hl avait déja un peu de peau , & pouvait marcher , quand le Roi des Bulgares jivra bataille au Roi des Abares, 12 CaN DIDE, CHAPITRE TROISIEME, Comment Candide fe fauva Wentre les Bulgares , & ce qwil devine. Ten n’était fi beau, fi lefte, fi bril- lant, fi bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres , les haut-bois , les tambours , les canons formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en Enfer, Les canons renverférent d@abord a peu prés fix mille hommes de chaque cété 5 enfuite la monufguetterie Sta du meilleur des mondes environ neuf 4 dix mille co- quins qui en infectaient la furface. La bayonnette fut auffi la raifon fuffifante “de la mort de quelques milliers d’hom- mes. Le tout pouvait bien fe monter 2 une trentaine de mille ames. Candide qui tremblait comme un Philofophe, fe cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroique. Enfin tandis que les deux Rois fai- faient chanter des Te- Deum, chacun dans fon camp , il prit le parti d’aller ; raifonner ailleurs des effets & des catui- i fes. Il pafla par deflus des tas de morts Rae ee = ou VOPTIMISME. 13 & de mourants, & gagna @abord un village voifin ; il était en cendres , c’é+ tait un village Abare que les Bulgares avaient brulé felon les loix du droit public. Ici des vieillards criblés de _ coups regardaient mourir leurs femmes égorgées , qui tenaient leurs enfans 4 leurs mammelles fanglantes; 14 des filles éventrées aprés avoir affouvi les befoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers foupirs ; d’autres 4 démi brulées. criaient qu’on achevat de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandués fur la terre, a cété de bras & de jambes coupés. Candide s’enfuit au plus vite dans un autre village: il apartenait 4 des Bulgares 5 & les héros Abares lavaient traité de méme. Candide toujours mar- chanc fur des membres palpitans , ou a travers des ruines, arrivaentin hors du théatre de la guerre , portant quelques petites provilions dans fon biflac , & n’oubliant jamais Mademoifelle Cuné- gonde. Ses provifions lui manquérent quand il fut en Hollande : mais ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-la,& qu’on y était Chrétien > il ne douta pas qu’on ne le 14 Cannvin®, traitat auffi bien qu’il avait été daris ie Chateau de Mr. le Baron avant qu’il en efit été chaffé pour les beaux yeux de Mademoiftlle Cunégonde. i demanda Paumdne 4 plufieurs gra- ves perfonnages , qui lui répondirent tous, que sil continuait a faire ce mé= tier on Penfermerait dans une maifon de correction pour lui apprendre & vivre. Tl s’adreti enfuite 4 un homme qui_ venait de parler tout feul une heure de faite far la charité dans une grande as femblée. Cet Orateur le regardant de travers, lui dit, Que venez- vous faire ici? y étes-vous pour la bonne caufe ? Il n’y a point d’effet fans caufe, répon- dit modeftement Candide tout eft en~ chainé nécefflairement, & arrangé pour | le mieux. Tl a fallu que je fuffe chaffé d’auprés de Mademoifelle Cunégonde , que jaye paffé par les baguettes , & il faut que je demande mon pain, jufqu’’ ce que je puiffe en gagner; tout cela ne pouvait étre autrement.. Mon ami, lui dit ’'Orateur, croyez- vous quele Pape foit l’Ante-Chriit? Je ne lavais pas encor entendu dire, répondit Candide; mais qu’il le ioit ou qu’il ne le foit pas, je manque de pain. ‘Tu ne meérites pas eS ov LOPTIMISuER is @en manger, dit Pautre ; va, coquin va, miférable, ne m’aproche de ta-vie.. La femme de POrateur ayant mis la téte dla fenétre , & avifant un homme qui doutait que le Pape fac Ante-Chrift, lui répandit fur le chef un plein ..... = O Ciel! % quel exces fe porte le zale de la Religion dans les Dames ! Un homme qui n’avait point été batifé, un bon Anabatifte, nommé Ja- ques, vit la maniére cruelle & ignomi- nieufe dont on traitait ainfi un de fes fréres, um @tre A deux pieds fans plu- mes, qui avait une ame; il Pamena chez lui, le nétoya, lui donna du pain & de la bierre, lui fit préfent de deux florins 5 & voulut méme lui apprendre 4 travail ler dans fes manufaétures aux étoffes de Perfe qu'on fabriqae en Hollande. Can- dide fe profternant prefque devant Ini sécriait , Maitre Panglofs me Lavait bien dit que tout eft au mieux dans ce monde, car je fois infiniment plus tou- ché de votre extréme générofité que de ja dureté de ce Monfieur 4manteau noir, & de Madame fon Epoufe. | Le lendemain en f€ promenant, if zencontra un gueux tout couvert de pu- ftules, les yeux morts, le bout du nez « ANDIDE; rongé, la bouche de travers, les dents roires, & parlant de la gorge , tourmen- té d’une toux violente, & crachant une dent 4 chaque effort. CHAPITRE QUATRIEME: Comment Candide rencontra fon ancien Maitre de Pbilofophie le Dotieur Panglos, @& ce qui en advint. Andide plus ému encorde compaf= fion que d’horreur, donna a cet épouvantable gueux les deux florins qu’il avait recus de fon honnéte Anabatifte Jaques. Le fantéme le regarda fixement verfa des larmes & fauta 4 fon cou. Candide effrayé recule. Hélas! dit le miférable 4 autre miférable, ne recon- naiflez-vous plus votre cher Panglofs 2 Qu’entends-je 2 vous mon cher Maitre t vous dans cet état horrible! quel mal- heur vous eft-il done arrivé? pourquoi, n’étes-vous plus dans le plus beau des Chateaux ? qu’eft devenué Mademoifelle , Cunégonde, la perle des filles, le chef @ceuvre de la nature? Je n’en peux plus, dit Panglofs, auffi-coc. Candide le nae ans CO. POV ici s Mee; TF oe a de PAnabatifte, ot il Idi peu de pains & quand Panzits te sefiie, Eh bien, dui dic-il, 2 Elle eft morte , reprit I’ au ae ide s’évanouit Ace mot; 3 fon ami rapella fes fens, evec un peu de mauvais vinaigre qui fe trouva par ha- zard dans Vérable. Candide rouvre les a 2 Cunégonde eft morte! ah meils x des mondes, of étes-vous? mais de quelie maladie ” eft-elle morte ? ne {e+ rait-ce de m’avoir vi chaffer du beau a de Mir. fon ptre a grands coups de pied? Non, dit Panglofs ,elle a été éventrée par des foldats Bulgares, apres avoir été violée autant qu’on peut Vétre 5 ils ont caffé la téte & Mr. le Ba ron qui-voulsit 1a défendre; Madame la Baromne aétécoupée en morceaux mon pauvre pupille traité précifément com- me fa feeur; & quam au Chateau, il n’eft pas “nett pierre {ur pierre, pas une grange, pas un mouton,pas uncanard , Ppas-un arbre: mais nous avons été bien vengés, car les Abares en ont faitautant _ dans une Baronie voifine qui apparte- nait A un Seigneur Bulgare. A ce difcours Candide sévanouit en cor: mais revenu a foi, & ayant dit B * im, 18 » Candide} ; tout ce qu’il devait dire, il s’enquit de la caufe & de leffet, & de la raifon fuffifante qui avait mis Panglofs dans un fi piteux état. Hélas, dit Pautre, ceft Pamour; amour, le confolateur du Genre-humain , le confervateur de YUnivers, ame de tous les Etres fen- fibles , le tendre amour. Hélas! dit Candide, je lai connu cet amour , ce fouverain des cceur$, cette ame de nd- tre ame; il ne m’a jamais valu qu’un baifer & vingt coups de pied au ci. Comment cette belle caufe a-t-elle ph © produire en vous un effet fi abomina- — ble? Panglofs répondit en ces termes : O mon cher Candide | vous avez connu’ Paquette, cette jolie fuivante de nétre augufte Baronne; jai gouté dans fes bras les délices du Paradis, qui ont produit ces tourments d’Enfer dont vous me voyez dévoré; elle en était — infectée , elle en eft peut-étre morte. © Paquette tenait ce préfent d'un Corde- — lier trés-favant , qui avait remonté a Ja fource 5 car il l’avait eue d’une vieil- le Comteffe, qui l’avait regué d’un Ca- pitaine de Cavalerie ; qui la devait 4 une Marquife, qui la tenait d’un Page, ou VPOPTIMISME tg qui lavait regué dun Jéfuite, qui étant novice Pavait eue en droite ligne d’un des compagnons de Chriftophle Colomb. Pour moi je ne la donnerai a perfonne, car je me meurs. _ O Panglofs! s’écria Candide, voila une étrange généalogie! n’eft-ce pas le Diable qui en fut la fouche 2 Point du tout, repliqua ce grand homme ; eétait une chofe indifpenfable dans le meilleur des mondes,un ingrédient né- ceffaire 3 car fi Colomb n’avait pas at- trapé, dans une Ifle de Amérique , cette maladie qui empoifonne la fource de la génération , qui fouvent méme empéche la génération , & qui eft évi- demment Yoppofé du grand but de la nature, nous n’aurions ni le chocolat, ni la cochenille ; il faut encor obferver que jufqu’anjourd’hui dans ndétre Con- tinent, cette maladie nous eft particu- ligre comme la controverfe. Les Turcs , les Indiens,; les Perfans, les Chinois , les Siamois , les Japonnois ne la connai{- fent pas encore ; mais il y a une raifon fuffifante pour qu’ils la connaiffent a leur tour dans quelques fiécles. En atten- dant, elle a fait un merveilleux progrés parmi nous ; & fir-tout dans ces gran- 2 20 Caniv ips, © des armées compofées d’honnétes fi- pendiaires bien ¢levés, qui décident du deftin des Firats 5 on ‘peut aflurer que quand trente mille hommes combattent en bataille rangée contre des troupes €- gales en nombre , ily a environ vingt mille vérolés de Gri, 85S" SEF - Voila qui eft admirable, dit'Candide, mais i faut vous faire guérir. Hh com- ment le puis-je 9 dit Panglofs, je nai paste fou, mon ami; & dans tovte 1’é- tendue de ce Globe on ne peut ni fe faire faigner , ni prendre un lavement fans payer, ou fans qu’il'y ait quelqu’un qui paye pour nous. Ce ‘dernier diftowrs dérermina ‘Can- dide ; # alla fe jeter aux pieds de fon Charitable Anabatifte Jaques , & dui fit wne ‘peinvere {i touchamte de Pétat ot fon ami était réduit, que te bon hom- ame ‘nihdfita pas 4 reoucillir le Doéteur Panglof; il le fit ‘guérir 44s dépens. Panglofs dans Ja cure ne perdit qu’un ceil & wne oreille. Tl écrivait bien , & favait parfaitement Varithmédgue. L’A- mabatifte Jaques ‘en firfon teneur de li- vres. Au bout de deux mois érant o- ‘bligé@aller 4 Lisbonne pour Jes affaires de fon commerce, il mena dans fon ou VORPTIMESME. 2F vaiffeau fes deux Philofophes. Panglofs iui expliqua comment tout était on ne peut mieux. Jaques n’était pas de cet avis. 1] fant bien, difait-il , que les hommes ayent un peu corrompu la na- ture, ¢arils me font point nés loups, & ils font devenus loups : jJicu ne leur a donné ni canon de vingt-quatre, ni ba- yonnettes; & ils {= font fait des bayon- nettes & des canons pour fe déiruire. Je powrrais mettre en ligne de compte les banqueroutes ; & Ia juftice qui s’em- pare des biens des. banqueroutiers pour en fruftrer les créanciers. ‘Tout cela é- tait indifpenfable , repliquait le Doéteur borgne., & les malheurs particuliers font le bien général, de forte que plus il y a de malheurs particuliers , & plus tout eft bien. Tandis qu’il raifonnair, Pair s’obfcurcit , les vents fouflérent des quatre coins. du monde, & le vaiffeau fut affailli de la plus horrible tempére a la vie du port de i isbonne. & B 3 22 CANDIDE; CHAPITRE CINQUIEME. Lempéte, naufrage, tremblement deterre, ce qui advint du Dotteur Panglofs , de Candide, & del Anabatifie Faques. A moitié des paffagers affaiblis, ex- |__4 Ppirants de ces angoiffes inconce- vables que le roulis d’un vaiffeau porte dans les nerfs & dans toutes les humeurs du corps agitées en fens contraires,n’a- vait pas méme la force des’inquiéter du danger. L/’autre moitié jettait des cris & faifait des priéres; les voiles éraient déchirées, les mats brifés, le. vaifleau entrouvert, ‘Travaillait qui pouvait, perfonne ne s’entendait, perfonne ne commandait. L/’Anabatifte aidait. un peu a la mancevuvre; il était fur le til- lac; un matelot furieux le frappe rude- ment & Tétend fur les planches; mais du coup qu'il lui donna, il eutluizméme une fi violente fecouffe qu’il tomba hors du vaiffeau la téte la premiére. TI re- fait fafpendu & accroché a une partie de mat rompué. Le bon Jaques court 4 fon fecours, Vaide 4 remonter, & de Yeffort qu’il fit il eft précipité dans la 6u VOPTIMISME. 23 mer a la vué du matelot, qui le laiffa périr fans daigner feulement le regarder. Candide aproche, voit fon bienfaicteur qui reparait un moment & qui eft en- glouti pour jamais. Il veut fe jetter aprés lui dans la mer, le Philofophe Panglofs ’en empéche, en lui prouvant que la rade de Lisbonne avait été formée exprés pour, que cet Anabatifte s’y noyat. Tandis qu'il le prouvait 4 priori, le vaiffeau sent’ouvre, tout périt 4 la re- ferve de Panglofs, de Candide, & de ce brutal de matelor qui avait noyé le wertueux Anabatifte ; le coquin nagea heureufement jufqu’au rivage, ot Pan- glof$ & Candide furent portés fur une planche. — : uand ils furent revenus un peu 4 eux, ils marchérent wers Lisbonne; il leur reftait quelque argent avec lequel ils efpgraient fe fauver de la faim aprés avoir échapé 4 la tempéte. A peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bien- faigteur, qu’ils fentent la terre trembler fous leurs pas, la mer séléve en bouil- Jonnant dans le port, & brife les vaif- feaux guifont 4 Pancre. Des tourbil- lons de flamme & de cendres couvrent : 4 af Canpnipb #8 les rués & les places publi les mai> fons s’écrotilent, lés toits font renverfés fur les fondemens, & les fondemens fe difperfént; trente mille habirans de tour age & de tout fexe font écrafés fous des ruines. Le matelot difaic en fiflant & en jurant, Il y aura quelque chofe a agner ici. Quelle peut étre fa raifon uffifante de ce phénoméne? difsit Pan- glofs.. Voici le dernier jour da monde, s’écriait Candide. Le matelot court in- continent au milieu des-débris, affronte la mort pour trouver dé Vargent, en trouve, sen empare, s’enyvre, S&ayant cuvé fon yin, achéte Jes faveurs de la premiere fillé de bonne volonté qu’il rencontre fur les ruines des maifons dé- truites & au milieu des tiourants & des morts. Panglofs le tirait cependant par la manche: Mon ami, lui difoit-il, ce- la_n’eft pas bien, Vous manquez a la raifon univerfelle, vous prenez mal yo- tre tems. Téte & fang, See Pau- ire, je fais matelot & né A Batavia; jai marché quatre fois fur le Crucifix dans quatre voyages au Japon; tu as bien tronvé ton verfelle. Quelques éclats de pierre avaient omime avec ta raifon uni-

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