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Le Ld JUD{OS EN TIERRAS DE ISLAM I Judios y musulmanes en al-Andalus y el Magreb Contactos intelectuales Seon a eres ed Meret SoBe LOT RCV eZee Messianisme juifaux temps des mahdi-s Mercedes Garcfa-Arenal Departamento de Estudios Arabes, CSIC ~ Madrid Les mouvements messianiques ou @'nspiration apocalyptique sont des phé- noménes tout 2 Ia fois extrémement complexes et Slusifs, dont lon peut diffi- cilement offtir une définition unique. lis impliquent on général les masses les plus humbles et les plus démunies et trouvent leur origine dans des circons- tances politiques, économiques et sociales dont la typologie a déa été Etablie et la description effectuée du point de vue sociologique. Cependant, Pinspira- tion apocalyptique doit étre analysée, 4 mon avis, comme une cause isolée et distincte de ces causes politiques, économiques et sociales, quand bien méme celles-ci interviennent toutes simultanément : en effet, 4 Pépoque et dans la région dont je traiterai ici, la coincidence Pun fort malaise social, affectant une grande partie de la population, et de la multiplication de puissantes visions apo- calyptiques # pour conséquence la prise de conscience par cette population du caractére insupportable de sa condition. Si elle n’était cristallisée dans cette ins- piration apocalyptique, la réaction & ce mécontentement pourrait prendre dautres formes également documentées dans les textes et tout aussi fré- quentes dans Phistoire : migration, opportunisme, banditisme ou, 4 Pinverse, quiétisme et résignation. Il faut donc prendre en compte @’autres facteurs que ces circonstances extréme pénurie économique, Zoppression ou de margi- nalisation politique ou bien encore de transformations sociales, et cest sur ces autres facteurs que je vais porter mon attention dans les lignes qui suivent. De tels mouvements, bien que de nature populaire, coincident habituelement avec expression @idées élaborées dans des cercles deTélite religieuse et intel- lectuelle, lesquelles, d'une certaine maniére, soutiennent, légitiment ou four- nissent une base théorique 2 ces mouvements : il est alors bien difficile de savoir si la coincidence entre ces idées et ces mouvements est spontance, si-ce sont les idées qui concourent (méme involontairement) 4 expansion de ces mouvements ou encore si les collectivités concernées font une lecture propre, biaisée, des concepts ainsi diffusés. On ne saurait admettre, en tout cas, une simple diffusion de haut en bas de échelle sociale ni, bien sir, que les idées ne Maribel Prenno (64,), Judiory musulmanesen al-Andalusy el Magreb. Contactos intelectuales Collection de la Gasa de Velizquez (74}, Madrid, 2002, pp. 211-229. 212 MERCEDES GARC{A-ARENAL surgissent qu’au sein des classes dominantes, Comme on le verra, les relations qui sétablissent 8 cette période entre la culture de ces classes dominantes et la culture des classes dominées sont beaucoup plus complexes. Enfin, peu de choses paraissent aussi contagicuses qu’un souffle messia~ nique, que Pespérance d’une rédemption totale et immédiate. Les inclinations messianiques se propagent par contact entre les communautés voisines, les fideles de religions différentes, et leur existence est fonction des polémiques religicuses du moment, de Fintensité du mysticisme ambiant et des conver sions s’opérant dune religion 2 Pautre. $, Wasserstrom soutient dans un ouvrage récent que Papocalypse et Pattente messianique constituent sans doute le domaine dans lequel la symbiose entre les pensées juive et musul- mane futia plus intense dans les premiers sitcles de FIslam!, La péninsule Ibérique et le Maghreb ont été, de fagon répérée et 4 des moments divers de leur histoire, les licux de cette < contagion messianique >. Au cours des vine et 1x¢ s, de Pere chrétienne, par exemple, les trois grandes communautés vivant dans la Péninsule Guifs, musulmans et chrétiens) connu- rent des phases de fort sentiment apocalyptique et messianique, favorisé par un contexte général d’affrontement religicux?, il y a licu de tenir’compte, en. outre, comme Pa mis en évidence J. Gil, ily a dg prés de vinge ans, dans un article fort intéressane’, que les attentes messianiques d'une religion ont des incidences sur les deux autres, ne serait-ce que parce que le Messie juif est interprété selon le cas comme PAntéchrist ou comme le Dagéal, que Jésus joue un réle éminent tant dans apocalypse chrétienne que dans Ja musul- mane, ou que les trois communautés mettent Paccent sur les prédictions rela~ tives it la fin de PIslam (considérée parles musulmans comme la fin des temps). Ces prédictions réciproques ont contribué 3 créer une atmosphere réellement febrile. J.Gil estime que le mouvement apocalyptique juif, si intense tout au ong de la deuxitme moitié du.1x° s,, a puissamment influencé les musulmans et les chrétiens de la Péninsule. Les prophéties juives de cette époque annon- cent la fin de la domination musulmane : de telles prédictions devinrent évi- demment trés populaires parmi les mozarabes cordouans. Selon J. Gil, il est probable que ces espérances messianiques ont contribué au climat d’exaleation religieuse qui provoqua en 8so la prolifération des martyres volontaires dans Jes communautés chrétiennes d’al-Andalus. Je considérerai A présent une série de mouvements messianiques juifs qui se développtrent durant le x1° s,, contemporains des mouvements opposition ~ également messianiques — aux Almoravides, qui se manifestérent parmi les musulmans ety culminérent avec Papparition du mabdrTbn Tamart. En ce qui concerne les musulmans, ces mouvernents de rébellion politique au nom un 1S. M. Wassestnom, Berwoen Mustim and Jew. The problem of Symbiosis under Earby Inem, Princeton, 199s (cisé WasserstRom, Between Muslim and fea). °C£.J. Srna, « Le mouvement messianique au début du visi stele », Revue des éudesjuives, 2(102), 19375 pp. 81-92. 35. Gar, « Judios y cistianos en Hispania (6s. vint yx) » (comtinuacién), Hispania Sacra, 31, 1978-1979, pp. 9-88. MESSIANISME JUIF AUXTEMPS DES MAHDI-S 23 mabd: se touverent 4 mon avis nourris parle soufisme et en relation étroite avec lui. Ce soufisme avait pénétré au Maghreb entre la fin du x1¢etle début du xu s, par Pintermédiaire de maitres originaires de Pifiagiya ziride ; il avait trouvé, surtout dans al-Andalus, un terrain rendu fertile par Pascétisme qui avait prospéré au sitcle précédentt, et aussi par Pextraordinaire développement contemporain du culte vou a la personne du prophéte Muhammad. D'autre part, selon les prédictions et calculs astrologiques recensés par diverses sources relatives 4 la fin du monde, Yan 500 de Phégire semble avoir été considéré par des autorités musulmanes de nature trés diverse comme année marquant la fin de Islam. Ibn Haldin, qui consacre un long chapitre de sa Mugaddima aux croyances populaires concernant le Mahdi, complete ce chapitre par un autre, portant sur les prédictions et la divination, oi il releve Pécendue de la croyance en Pan soo (soutenue par des autorités telles que al- Suhayli ct al-Tabari) ; Ibn Haldun, qui bien entendu écrit assez longtemps apres cette date, se réjouit que cette croyance se soit révélée fausse et montre ainsi la vanité et Je catactdre dérisoire de toutes les prédictions fondées sur les astres ou Vinterprétation numérique des lettres : Au début de Fislam, ces prédictions reposaient surPautorité alléguée des compagnons du Prophéte, mais surtout de juifs converts [...]°. Tl €voque aussi, plus loin, le rdle des juifs du Higaz dans Padoption, par la par- tie musulmane de la population, du calcul litéral (hisab al-gummal), ajoutant que ceux-ci n’auraient pas dd faire autorité en la matire, puisqul s’agissait de Bédouins ignorants qui n’avaient méme pas une bonne connaissance de leurs propres écritures et de leur loi mosdique®. Dans le méme chapitre, il cite comme [oeuvre la plus complete de son temps le Kitah al-gafr de Ga‘far al- Sadiq. Cost probablement a ce livre que les sources almohades se référent quand elles relatent Pélection Kégendaire de ‘Abd al-Mu’min par Ibn Tumart. Al- Baydaq décrit longuement comment ce dernier remarqua une nuit ‘Abd al- ‘Mu’min parmi les autres étudiants et Ini demanda de rester avec lui. Tl pria ensuite al-Baydaq de lui apporter « le livre 4 Ja couveruure rouge » et il annonga a ‘Abd ai-Mu'min qu’il serait celui qui donnerait vie & la région et serait la « Lampe des Almohades ». Selon Ibn Hallikan, ce « livre 4 la couver- ture rouge > aurait été al-Gafr min ‘ulm abl al-bayt, qui prédisait quapres Tannée 500 de Phégire un homme de la famille du Prophéte appellerait le peuple & suivre le message original de Islam et qu'il serait enterré en un lieu marqué par les lettres TINM1,. Cette personne serait « a-Qa'im biawwal al- 4C. Mricuear, «The transition from Ascetism to Mysticism at the Middle of the Ninth Century C. E, », Studia Islamica, 83, 1996, pp. 51-70 5M. Mantx, « Zabhad de al-Andalus Goolgia-42oho29) », A/-Qantara, 12, 1991, PP. 4397469. Slan Harpy, Discours sur Uhistoire wnsverselle [Al-Mugaddimal, wad. V. Mone. (2vol), Beyrouth, 1968, «Tl, p. 681 (cité Mugaddime). Les références ci-aprés renvoient 8 cette traduction, 6 Did, p. 685. 214 MERCEDES GARCIA-ARENAL amr » et le nom de son successeur inclurait les lettres ‘np MUMN?, Les sources almohades décrivent aussi Parrivée Ibn Tamart 2 Marrakech et signalent quiil fut identifié par des gens de Fentourage du souverain almora- vide comme celui que le petit peuple attendait sous le nom de « Phomme du dirbam carré », ou encore « celui qui ferait résonner Je tambour ». Al-Bay- dagS expose clairement, de méme qu’Ibn Haldan, existence de croyances ou atcentes populaires de caracttre prophétique antérieures 3 la proclamation @lbn Tumart, croyances qui allaient servir Ia carritre politique de ce dernier. Parailleurs une partie du xir¢ s. fut extraordinairement féconde en mouve- ments messianiques chez les juifs. La forte intensification du sentiment reli- gicux dans les pays chrétiens et musulmans 4 partir de la fin du x1¢ s., moment durant Tequel Jes événements cataclysmiques de la premiére croisade consti- tutrent un facteur de premitre importance, entratna un mouvement messia~ nique quasi universe! dans les communautés juives d'Europe et du monde islamique. J. Mann a étudié huit cas en Allemagne, en France, en Espagne, au Maghreb, en Palestine et au Kurdistan et S. D, Goitein a examiné un cas spé- cialement intéressant survenu dans la communauté juive de Bagdad en 1120- nar, Le Yémen, comme nous le verrons maintenant, connut un mouvement messianique équivalent. Pour les juifs qui vivaient en terre d’'Islam, comme pour les musulmans, Pan 500 de Phégire et son contexte semblent, je Pai dit, avoir écé chargés (Pattentes messianiques, Les lettres de la Geniza du Caire rendent compte de ce « mes- sianisme populaire », selon Yexpression de S. D. Goitein'9, En al-Andalus, R:Abraham bar Hiyya (m. ca. 1136)!! consacta une de ses ceuvres les plus signi- ficatives, Megillat ha-megalleb'2, au theme eschatologique ct étudia les sigues annongant Pimminence de la rédemption dans les luttes entre croisés et Turcs, faisant une apologie de Pastrologie, qu'll utilis pour déterminer la date de la véritable fin messianique, date qu’il fixe 81135. Abraham ibn Daud, dans son Sefer ba-Qabbalab, pour consoler son peuple de ses malheurs en invoquant Vimminente venue du Messie, combina deux computs, le comput heptadique, qui suit le Livre de Daniel, et les cycles de cing cents ans : comme tous les juifs 7L Govparm eR, « Introduction au Livre de Mohammed ibn Toumert », dans le Leure de Mo- dammed ibn Toumert, mahii des Abmobades 64. D. Lucrant, Alger, 903, pp. 27-28. 81, Livi-Provencat, Doaementsinkdits @bistire almohade, Patis, 1928, pp. 109-28. °J, Mann, « Messianic Mouvements during the First Three Crusades » (en hébren), Hare~ uf, 23, 1925, pp. 243-261 et 24, 1928, pp. 335-358 ; S. D. Gorrenn, « A Report on Messianic ‘Troubles in Baghdad in 1120-1121 », Jewsrh Quarterly Review (new series), 43, 1952-1953 pp. 57-76- 10S, D. Goren, « “Meeting in Jerusalem”: Messianic Expectations in the Letters of the Cairo Geniza », Association for Jewish Studies Review, 4, 1979, pp. 43-57. Par exemple, peu avant année 500, un commergant, dans son testament en faveur de sa file unique, cozmence le docu- ment par indication suivante : « Ma fille ne devra pas se marieravant Pannée soo des Arabes, qui est ia fin des temps > (ibid, p.52). UJ. M, MrLas VaLticRosa, Eiludios sobre la historia de la ciencia espatola, Batcelone, 1949, pp.219-226. 12 Voir traduction espagnole et étude de]. M. Minds VaLLicrosa, Biblioteca Hebraico-Cata~ Zana, v0.1, Barcelone, 1929. MESSIANISME JUIF AUXTEMPS DES MAHDI-S 2s enterres d'Islam, i] croyait que le Messie apparaftrait cing cents ans aprés Phé- girel}. Judah Halevi s’intéresse aussi dans certaines de ses poésies & la date de a rédemption messianique : il fit une fois un réve dans lequel Pan 1130 lui apparut comme la fin de la domination musulmane ; 3 son réveil il mit immé- diatement par écrit ce qu'il avait vu en songe et Porna des images typiques du livre du prophéte Daniell*, La pogsie de Halevi refléte és clairement la mon- tée de la tension messianique, et Poppression imposée par les musulmans et les chrétiens, obsession du potte, doit étre interprétée selon Ini comme un élément précédant les temps messianiques. I faut se rappeler aussi que le reve, pourles juifs comme pour les snnsulmans, est un degré de la prophétie™, ainsi que écrit le méme Abraham ibn Da’ud dans son Sefer ha-Emunab ha-Ramab, Selon Maimonide, on le verra, le retour de la prophétie devait précéder la fin des temps. Abraham ibn Ezra, pour sa part, semblait fixer & 1174 Parrivée du Messie, qui se produirait aprés qu’ Eom (la chrétienté) se serait affrontée au sultan ahnohade et Faurait humiliél®, Il s'agissait dé @une époque posté- ricure 3 Pétablissement de cette dynastie, sous le gouvernement ‘Abd al- Mu'min qui, comme on le sait, représenta pour les juifs un durcissement sans préeédent de leur sore, en particulier du fait de la persécution des alentours de 11g6 qui se solda par une vague de conversions \ Pislam!_ ; Pour nous, sont particulitrement significatifs deux mouvements messia- niques qui se développécent en al-Andalus et au Maghreb ct surlesquels notre principale source d'information est Maimonide. Pendant son séjour en Egypte (qui sétendit de 1166 jusqu’a sa mort), celui-ci regut de la communauté juive du ‘Yémen une demande de consultation au sujet d’un personage qui, dans certe région, se prétendait Ie Messie, Nous ne savons pas exactement en quels termes la communauté du Yémnen posa la question 4 Maimonide, mais nous en avons la réponse dans sa Lettre aus juifi du Yémen'®. Il nous apprend que ceux- Gavaientla certitude avoir atteint le tréfonds de leurs épreuves et de vivre, de ce fait, Paube des temps messianiques. Les prédictions astrologiques parais- saient corroborer cette espérance et est pourquoi, lorsqu’apparut un person- 13 Voir introduction de G. D, Comes & son édition (avec traduction et notes) : Abraham ibn Daud. Seforba Qabbalais, Philadelphic, The Jewish Publications of America, 1972/5728. Wyudsh HAcEvi, Ditwn, éé, H. Bropy, Berlin, 1894-1930, ¢ I, 86, p. 302 sJudah Hatevi, Poemas, introduction espagnole et notes A. Sknnz-Bapirios et]. TanGarona Bork 4s, Ma- arid, 1994, p.319 (Gté Havevr, Poemas) 5]. M. MuLtAs Vanticrosa, Yehuda Ha-Levi como poeta apologista, Madrid, 1947, p.84. ; ci exemple 1 Kintera, « imeracion between thi World and the Afterwosd a the Farly Islamic Tradition », Orsens, 29-30, 1986, pp. 285-308. . 16N, Srouscn, « Etudes surThistoire des Juifs au Maroc», Archeves marocaines, 6, Paris, 1906, 3213. Pie Cancia-Anewat, « Rapports entre les groupes dans Ja péninsule Ibérique. La conver- sion des Jus & Islam (x11€-xi11© sitcles) », Reve dr monde musulman er dela Méditerranée, 63-64, 1992, pp. 91-108 5 M, BeN-Sasson, « On the Identity of Jewish Converts. Studies on Forced Conversion during the Almohads» (en hébreu}, P8‘amim, 42,1990, pp.16-37- . 18 Moses Maimonides Epistle ro Vernen, 60.4.8. FIALxaw,Jérusalem, 1979 trad. Epistles of Maimo- ides. Crisis end Leadersbitp, Philadelphie, 1993. utilise la traduction espagnole dc]. TARGARONA Borns, Barcelone, 1987 (citée Maimonbe, Letty) ,A laquelle renvoient les réfézences c-aprés. 216 MERCEDES GARC{A-ARENAL nage qui se disait « le Messie des cités du Yémen », ces juifs écrivirent 4 Mai- monide avec, semble-t-il, le secret espoir qu'il confirmat leur croyance. Dans sa réponse, Maimonide traite longuement du theme de la venue du Messie : i] comprend parfaitement Panxiété avec laquelle les communautés juives atten dent la rédemption et lui méme est convaincu quelle est imminente. Au début de sa lettre, il se déclare consterné parla persécution déchainée contie les juifs da Yémen, qu'il met en rapport avec celle dont lui-méme et sa famille avaient &cé vietimes dans lOccident almohade, Il fait aussi allusion 3 la situation dans laquelle se trouvaient, lors de sa visite, les terres de Palestine 3 a suite des croi sades. Maimonide voit dans cet affrontement entre chrétiens et musulmans un signe manifeste de la venue du Messie : Cette €poque-ci fut déja annoncée par les paroles de Daniel, Pisdie, ct par dautres dites de nos mattres, bénie soit leur mémoire ! D'aprés eux, la venue du Messie prendrait place lorsque la persécution Epos [les chrétiens] et des Arabes redoublerait de violence, comme Cest le cas actuellement, et Son regne s’étendrait surla terre!?, Chrétiens et Aribes s’étaient répandus sur coute la terre et maintenant ils s'affrontaient & Jérusalem. Effectivement, Maimonide se faisait P'écho des prophéties et des prévisions astrofogiques signalant Fapparition d'un messi pour les temps contempo- rains, mais il ne leur prétait pas foi : non sculement il les qualifiait de ridicules et de dérisoires, tout comme le faisait Ibn Haldain, mais il les mettait aussi en relation avec Papparition du mabdi bn Tamart : Au moment ott fut prédit que le Messe allait se manifester, surgi ce fanatique, celui qui se leva dans Jes terres d?Occident et décréza la per- sécution religieuse qui est dgjt arrivée chez, vous ; ceci est la fin lamen= table de ceux qui pratiquent cette science [Pastrologie}?0, Cependant, il croyait bien aux prophéties de Daniel et citait méme une tradi- tion qui situaie la fin de la Captivité vers Pannée 1216, qui aurait coincidé avec la fin de la domination musulmane. Pour illustrer les maux que de tels caleuls astrologiques erronés pouvaient entrainer, if relatait un cas survenu dans la ville de F&s : ILy 2 environ une cinquantaine Pannées® [ene 122 et 1129), un homme picux et vertucux, un des sages d'Israél, [qui portait le nom de Moshe Dar'j, s'en fur étudier 8 al-Andalus ; [3 son retour il sinstalla dans la ville de Fes, oi il affirma] quil émit le messager et Penvoyé du 19 Marmontpe, Lettre, p. 198. Sarah Sreoumsa, qui inclut cene leare dans la cnégoric des < popular writings > de Maisnonide, pense que ces affirmations sont purement réthoriques : The Begining of the Maimunidean Controversy in the Bast, Jerusalem, 1999, « Introduction», pp. vi- Av et p. 128, 20 Thidp.196. 1 Ibid, p. 214. Voiraussi H.Z. Hinscupene, A Hist eas in Nor cp » A History of the Jews in North Africa, Leyde, 1974, MESSIANISME JUIP AUX TEMPS DES AL4zIDI-S 27 Messie et assura que le Messic sc révélerait dans Pannée méme : sa pro- phétic ne s'accomplit pas et, par sa faute, les souffrances recommenc’- rent pour lsraél. On le sait, Pan 500 de Phégire (1107) fut considéré & Pépoque comme année de ka venue du Messie. Comme rien ne se passa 3 cette date, on pensa qu'il fa lait prendre en compte cing cents années solaires, et non pas lunaires ; 1122 Gait donc la date & laquelle on devait espérer Pavenement du Messie, Maimo- nide ne parle pas avec dureté @al-Dar'i, parce que cclui-ci ne prétendait pas are Ini-eméme le Messie, mais seulement celui qui étaic chargé de Pannoncer, et il nous raconte que son propre pére (celui de Maimonide) essaya, mais en vain, de dissuader les gens de suivre al-Dari. Comme le pére de Maimonide vivait 4 Cordoue pendant les années ot son fils nous dit que la prédication de al-Dar’i avait eu licu 4 Fes, nous pouvons penser que ce dernier eut aussi des adeptes en al-Andalus. « Seu un petit nombre écouttrent mon pere », dit” Maimonide, Al-Dar'i annonga divers événements qui s’'accomplirent et «comme il ne fait pas de doute que la prophétie [devait] précéder les temps messianiques >, il annonca que le Messie viendrait le jour de Paques de Pannée méme. Les juifs, pour étre préts, vendirent toutes leurs propriétés aux musul- mans et contractérent des dettes auprés d’eux. Quand Piques fut passé et quill fat clair que Pavtnement annoncé n’avait pas eu licu, les juifs se wouvérent rui- nés carils avaient pourla plupart complérement dilapidé leurs biens. Ala suite de quoi al-Dar'i ne put demeurer en « terres @'Islam » et émigra donc en Palestine, mais auparavant « il annonga tout ce qui allait arriver au Maghreb », Cest-d-dire Pavenement d’Ibn Tumart et les persécutions almo- hades. Il faut tenir compte de ce que les prophéties @’al-Dar’i furent proférées aprés le sjour d’Ibn Tumart a Fes, séjour qui eut un grand écho et durant Iequel celui-ci discuta avec les /alaba, brisa les instruments de musique et les cruches de vin au marché, etc. Ibn Tumart impressionna ainsi fortement la population avant @étre expulsé de la cité par les autorités. C’est de la méme époque, Cest-i-dire des années immédiatement antérieures 3 lz manifestation @lbn Tamart comme mahdt, qu’lbn Haldun datait une prophétie ou prédic- tion en vers, du type de celles que Pon nommait »al‘aba-s, attribuée & un juif de Fs, ott ce dernier exposait des déductions astrologiques tirées de conjonc- tions astrales qui, selon Ibn Haldan, concemaient Papparition de la dynastie almohade. Dans ces vers, le juif de Fés prédisait sa propre exécution?2, Dans cette Lettre aux jusft du Vémen, Maimonide mentionne un autre cas, relaté par son propre pére, qui s'était passé 3 Cordoue quelques années aupa- ravant, dans la premitre décennie du x11¢s. Un groupe de notables, savants et astrologues, s’était réuni dans cette ville et avait établi 4 Punanimité que cette méme année (probablement soo/i107) serait celle de la venue du Messi : Nuit aprés nuit, ils consuleérent les réves ct découvrirent que le Messie était un des hommes de fa ville. Hs rencontrérent un homme 22Ipw Havpon, Mugaddima,t. IL, pp. 699-700. 218 MERCEDES GARCiA~ARENAL vertueux et important, nommé Ibn Arych, qui sétait mis en devoir Cinstruire les gens. Tbn Aryeh commenga & se comporter de la méme manitre qu’al-Darii et 4 susciter un grand nombre d'adeptes, Les chefs de la communauté Fexcommu- nidrent et le rejetérent publiquement ; ils lui impostrent de plus une amende Pour sétre laissé élire par ce groupe dastrologues et pour sre laissé présen- ter par eux comme le Messic. Il est peut-étre possible de rapprocher cet &vé- nement relaté par Maimonide d'une information relevée par la chronique arabe al-Hulal al-Mawiéyya, Selon cette chronique%, Pémir almoravide Yusuf b. Takufin, lors de sa quatritme traversée vers al-Andalus entreprise en 49611103, se dévia intentionnellement de sa route pour passer par Lucena, ville exclusivement habitée par des juifs. I se rendit & ce lieu parce qu’un fagth de Cordoue, dont le nom n’est pas précisé, prétendait avoir trouvé dans un volume d’Tbn Masarra la mention d'une tradition du temps du Prophéte selon Jnquelle les juifs auraient pris Pengagement, au cas oit le vie s, de Phégire sur- Viendrait sans que le Messic qu’ils attendaient ne fait apparu, de se convertir tous 3 islam. Le fagth mentionné soumit le cas 3 Yasuf, Pémir des musulmans de passage dans la cité, parce que (suppose-t-on) leur conversion était exigée en exécution de Pengagement souscrit. Les juifs paytrent une forte somme @argent pour se dispenser de cette conversion et prigrent le gad de Cordoue Ibn Hamdin d’intervenir aupréts de Pémir afin que Paffaire soit terminée avec ce paiement, ce qui, semble-til, fut fait. Peut-dtre la recherche, menée vers Pan soo de Phégire par le groupe de notables juifs cordouans précédemment Gvoqué, Pun Messie parmi leurs coreligionnaires est-clle en relation avec cette menace de conversion forcée. Nous ne pouvons pas minimiser Pimportance de ces mouvements juifs ni penser qu’ils se seraient maintenus en compartiments étanches, réduits & leur Propre communauté et isolés de Patmosphére que les prédictions musul- manes invoquant le mabdi contribusient & oréerau méme moment. Les espé- ances de rédemption en milieu populaize sont, nous Pavons déa dit, extré- mement contagicuses. Les milieux cultivés masulmans et juifs étaient pat ailleurs en contact étroit et bien informés de leurs courants de pensée respec- Lif, en particulier dans les cercles mystiques 5 Pactirance des juifs pour le sou- fisme est, par exemple, un phénomene bien étubiis, La poésie et la philoso- phie d'lbn Gabirol sone liteéralement imprégnées de néoplatonicisine. Quant 4 Bahya ibn Paquda, postérieur d'une génération 4 Ibn Gabirol, son ceuvre Devoirs des cenrs, wn des livres ies plus populaires de Ja spiritualité juive médiévale, fut écrite en s'inspirant de modéles soufis. Abraham, fils de Moshe 2 Mangonne, Lezve pay YM AbHalel al Marbig 64.1.8, Atoven, Rabat 93, p65 F. Rosewraat, «A Judaeo-Arabic Work under Suh Influence >, Hebrew Union Colle An- ‘al.'s, 940, pp. 433-484 sP. Fenton (introduction A. Abtabara b. Moshe Maimonides), The “Treatve ofthe Pook Londres, 19815. L. Kater, « The Andalusian Mystic Ibn Hud aed che Conversion ofthe Jews »,lrael Oriental Studies, 121992, pp.59-73 MESSIANISME JUIF AUXTEMPS DES MAHDI-S 219 Maimonide (1186-1237), était virwellement un soutfi 5 i admirait les soutis, qu’il considérait comme les véritables héritiers des prophétes, et lutta pour réfor- mer la vie spirituelle juive en harmonic avec Pesprit du soufisme. Ibn Sab‘in, pour sa part, faisait lire & son cercle de disciples Pceuvre de Maimonide et cite dans ses écrits le Guide der égaré*, On peut aussi rappeler la rencontre @’Tbn ‘Arabi avec des lettrés juifs et sa discussion avec un rabbin au sujet de la signi- fication ésotérique de la lewre 4477, Les ceuvres de gafr circulaient autant entre les musulmans qu’entre les juifs, de méme que autres ceuvres 4 carac- tere magique et sibyllin2s. Pourtant, similitudes et points de contact entre mystiques musulmane et juive n’ont pas encore été pleinement explorés, alors que Ia connaissance des aspects historiques et phénoménologiques de Pun des deux systémes devrait enrichir grandement la connaissance de Yautre”. Je limiterai ici mon attention aux ceuvres de Judah Halevi et Ibn Qasi, toutes deux pénétrées de piétisme soufi et de gnosticisme isina‘ilien, Je ne prétends pas décider laquelle a influencé Pautre, mais plutét montrer que toutes deux proviennent d'un méme contexte idéologique ct que leur prophétologie mystique fournit, me semble-til, des instruments conceptuels aux attentes messianiques qui virent le jour’ leur époque (premitre moitié du xnies,) : Ibn Qasi, de fait, prit la tére @un mouvement de rébellion contre les Almoravides en Pan 59/1144 et alla jusqu’a se proclamer mahi. Judah Halevi (ce. 1070-1141), comme @autres juifs de son temps, attendait la venue du Messie pour 130 ; la déception fut telle qu'il décida d’abandonnet la Péninsule et de se rendre 3 Jérusalem, Il s‘embarqua en 1140 3 destination @Alexandrie, passa un certain temps en Egypte et mourut en 1141 sans que Pon sache si, finalement, i atteignit ou non la Ville sainte. On admet généralement que Halevi écrivit son ceuvre en prose Knzari entre ngo et 1140 (en arabe bien sr), ceuvre apologétique et polémique dirigée principalement contre la philo- sophie greeque qui avait écé adoptée parles intellectuels juifs et musulmans en al-Andalus au cours des décennies précédentes. Sa thése principale est que la connaissance métaphysique ne peut s‘atteindre au moyen de spéculations mentales et de formulations philosophiques, mais bien par une évolution spiri- tuelle & laquelle ne peuvent accéder qu'un groupe d’étus, Le Kuzari est égale- ment un livre de polémique religieuse qui a pour but de démontrer Ja suprématie du judsisme sur le christianisme et Pislam. Cette suprématie se fonde surune Divine Influence, a-amr al-ilab, qui dans le judaisme se trans- met par succession généalogique. Au sein de Phumanité, il existe toujours un 26C]. Appas, Ién‘ Arabt ou la quéte dee Soufre Rouge, Pais, 1989, pp. 138-139. 2 Loe cit 28H, Fear, « Livsgracure eschatologique au Maroc, Studia Ilemicd, 80,1994,DP-47-56,P-49: 29 Comme le prouvent S, Sviri, « Spiritual Trends in Pre-kabbatistic Judeo-Spanish Litera ture: the Cases of Bahya ibn Palkuda and Judah Halevi », Donaire, 6, 1966, pp. 78-84) ct D.S.ARiz1, «“The Eastern Dawn of Wisdom”: the Problem of the Relation berween Islamic and Jewish Mysticism », dans D. R. BuumentHat. (64), Approaches to Fusdaism in Mediewal Times, Chico (California), 1984-1988, 11, pp. 149-167. 220 MERCEDES GARCIA~ARENAL petit nombre @'individus qui réussissent 4 évoluer spiritucllementjusqu’a pou- voir accéder 4 cette Divine Influence. Celle-ci fut originellement investie en Adam et se transmit & partir de lui par Finvermédiaire de Sem, Ie fils de Noé, aux patriarches hébreux et aux prophétes d'Israél. Halevi dit : Les Ames [des prophétes] tiennent leur origine et leur développe- ment [... Adam. Liessence et le coeur [a’Adam] réapparzissent dans chaque génération et & chaque Age, tandis que la grande masse de Phu~ manité est écartée comme des cus de paille [...}. Le monde n'est devenu complet que parla création d'un homme qui constitue le fonde- ment de tout ce qui a éé eréé avant lui, Judah Halevi est convaincu que la Divine Influence, sans laquelle un homme ne peut accéder la connaissance divine, n’est investi que dans ceux qui observent strictement les prescriptions de la Loi. Parilleurs, la prophétie existe rarement parmi les philosophes. Cé concept de Divine In uence est irs proche de celui du Mystére Inaccessible de la Lumiére Divine des musul- mans, qui se manifeste dans leur Prophéte Lumineux, et donc de la notion de nar mubammads. On sait la place immense qu’occupent les prophetes dans la vision cosmique islamique mais Muhammad les surpasse tous, préexistant méme a la prophétie d’Adam. Tl est vrai que tous les théologiens musulmans ne sont pas accord sur la préexistence de Muhammad, ct la controverse aboutit 4 adoption dune dénomination relativement neutre de la quintessence de Muhammad, al- hagiga al-mubammadiyya. Lexpression « réalité muhammadienne » apparait dans les discussions se rapportane & a/-insan al-kamil, Cest-d-dire 4 Phomme parfait, archétype de Punivers et de Phumanité, qui s‘identifie ’ Muhammad et que le soufi doit imiter jusque dans les plus petits détails. Il est fréquemment fait allusion dans ces discussions au verset coranique de la Lumiére (Qur‘an, XXIV, 35), le mystére inaccessible de la Lumiére Divine, qui se manifeste dans son Prophéte Lumineux, et la niir mubammadi, métaphore qui constitue un des thémes centraux de la prophétologie islamique mystique depuis le 1x° 5.3, A cette époque, le soufi irakien al“Tustari (m. 282/896) fut le premier’ formu- ler Fensemble de sa vision en termes de la nar mubammads : dans la pré-éter- nité, une masse lumineuse d’adoration primordiale 4 Dieu qui prend la forme @une colonne wansparente de Lumitre divine éublissant Muhammad comme premire création de Dieu®®. Cette Lumiére, qui dans la bouche dTbn ‘Arabi est , Jerusalem Studies Aphid Tn 1980, pp. 165-247 (cité Pines, « Shifite terms »). Ferenom Seis /assens ROM, Between Muslim and Jew, chap. li, . 38Pines, « Shitire terms >, p.173. Fe 90.0 p ot 39 Ibid. pp. 192.193. MESSIANISME JUIF AUX TEMPS DES MAHDI-S 23 Tlest indéniable, comme le signale $. Pines*®, que Judah Halevi, en définis- sant les caractéristiques et le statut des prophétes, use de termes qui suggerent une influence Site. Ses prophétes évoquent les prophétes et les anam-s §iites, surtout pour cette combinaison de nasat et /abit : la formule ismaé- lienne ittigal amr Allah ilayhi est identique 4 celle qui apparatt dans le Kuzari ; tout cela souligne une coexistence harmonicuse de divinité et ?humanité chez les prophétes et les hommes de Dieu. S. Pines préte également attention & Ja théorie des cycles de Halevi, ainsi qu’a la place des Prophétes dans Péchelle hiérarchique, toutes deux tres simi- aires, dans le fond et le forme, 3 celles des ismacliens : il existe une diffrence essentielle entre les prophétes ct les autres hommes et cette différence est comparable a celle qui existe entre les hommes et les animaux, entre les ani- maux et les plantes et entre les plantes et Jes minéraux, ainsi que Pexpose T's- madlien Abt Ya‘qub al-Sigistanit!. Halevi utilise aussi @autres éléments fréquents dans les écrits des soufis, comme le retour de Elijah al-Hidr, « qui a déji été envoyé une fois, mais a é enlevé par Dieu >, Al-Hidr (ou al-Hadir), souvent identifié a Tyas, est un personnage important dans l'eschatologie mystique musulmane®, Selon Mai- monide, Elijah est le précurscur du Messie, la personne qui préparera le monde 4 la venue du Messie**. Venons-en maintenant 4 Ibn Qasi et & quelques-uns des préceptes du cou- rant de pensée soufie dont il procéde. Ibn Qasi appartenait au cercle d’adeptes d’Aba Abbas b, al-“Arif @’Al- merfa, qui a son tour semble avoir &é influencé par Jes idées d’lbn Masarra (4x. 339/931). Thn Qasi voyagea A Marrakech puis revint en al-Andalus, Une fois installé, ily fonda une nibita, dans la région de Silves et prés de la localité de Hills, Pa, il réunic un groupe @adeptes fmuridan) et il se consacra Pétude des couvres d'al-Gazali. Tl précha & la population de cette région le rébellion contre Je pouvoir almoravide et contre tout ce qui serait contraire 3 la voie droite (ai-hidaya) ct se présenta comme imam. LH monta tout Pabord une attaque contre la forteresse de Monteagudo, qui échoua, et devant cet échecil dit 4 ses partisans : « Cit la frusse aurore. La vraie aurore suivra et le jour com= mencera’S », affirmant ainsi son espérance en un futur proche de rédemption. 40 Ibid, p. 194. 41 Tid, p. 80.299. 2H aLevs, The Kiceri, p70. 48 Voir A.J. WENSINCK, art. « al-Khadir~, dans Pneyelopédie de slam, 2° Edition, Leyde, 1978, IV, pp. 935-938 s H. Feritar, « Réflexions sur al-Hadir au Maghreb médiéval : ses apparitions ct ses fonctions », dans H. Ferwar, Le Maghreb aux x1 ef xrrr* sitcles. Les sitcles de la foi, Case- blanca, 1994, pp. 41-50. ‘HVoir]. L. Kraemer, « On Maimonidc’s Messianic Posture », dans I. Twensey (é¢.), Stu dies in Medieval Yewish History and Literature, U1, Cambridge, 1984, pp. 18-132 €tp. 122. 45), Drewer, « Lisnamat d'Tbn Quasi} Mertola (automne 1144 - &té 114s). Légitimité Pune do~ ‘mination soufie? », Méanges de Institut dominicain Pétudes ortentales, 18, 1988, pp. 195-210 et p.200 (cité Drewer, « Limamat Iba Qasi »). 204. MERCEDES GARC{A-ARENAL Lattaque suivante fut lancée cette fois contre Mértola et fut victorieuse : les notables des environs ct la population lui prétérent Ia bay‘a. Ibn Qasi battie monnaie, sur laquelle lui sont attribues les titres Pivzam et de mahd?*. Ton al- Harib signale qu'Tbn Qasi « réclama la wilaya et se fit appelet maha? », Ala différence Wautres mahde-s postérieurs {y compris Ibn ‘Tamart), jamais il ne Sattribua un lignage qui Paurait apparenté & la abl al-buye. Ton Qasi favorisa la pénétration du mouvement almohade et méme reconnut sa légitimité pen- dant quelque temps avant de rompre, finalement, avec ‘Abd al-Mu’min¢8 : son gouvernement dura moins d'un an ; plus que pour ses répercussions histo- Tiques ou politiques, il nous intéresse ici pour les idées de Thn Qasi relatives 3 Pimamat. Ibn Qasi écrivit un Kitab hal’ al-na Tayn, dont Pintroduction contient un Jong exposé sur histoire de la révélacion qui nous permet de dégager cer- aaines conclusions sur Paueur et sur la place qu'il s'accorde dans Phistoire du salut, De la méme manitre que Favait fait al-Gazali, Ibn Qasi ’éléve conere les fugaha, qu'il considére comme étant 3 Vorigine de toutes les passions mau- vaises.A leur casuistique stézile il oppose sa propre illumination : il a regu une inspiration grice 4 laquelle il a compris P« intérieur des choses ». De Fillumi- nation résulte Pélection, et pour celui qui a été distingué de cette manire, Ibn Qusi prie Dieu : Hlumine son coeur [...]. Fsis de lui une miséricorde pour les fidéles et une protection contre Perreur [‘igma] pour tes pieux serviteurs, Vimams et (fais de lui] Pexemple (gucod] de tous ceux qui exercent Is bonne guidance [al-hadiyin al-rashidin|5 Ten résule nécessairement que cet imam, protection de ceux qui lui sont configs, est infaillible (ma‘sam) comme Pimdm des Sites, Cette inftilibilite et cette impeccabilité ne lui-viennent pas de Pappartenance & la descendance du Prophéte, mais de ses qualités spirituelles et de son illumination, Daprés une tradition recueillie par Ibn Qasi, le Prophtte aurait promis sa communauté quelle demeurerait sur la terre mille ans 4 condition de ne pes dévier du droit chemin, Dans Ja mesure ott défa cing cents ans se sont écoulés, les fidles doivent se préparer a la fin du monde, De manitre tres semblable & celle des ismaétiens, il esquisse le systtme selon lequel les évé- niements vont se dérouler, Deux grands cycles, Adam Jésus et de Muhan- *On lit sur ces monnaies « Allah rabhena, Mubammad nabiyyuna, alsMabdé imamuna» : o£ LR. Marine, Mocdasmuculmanas de Béa ede Silver Lisbone, 1963, p. 319. 47 Ian at-Harts, A’malal-a‘Léen, Rabat, 1934, .289. SY. Lacanpine, « La faniga ct a révolte des murtdin en siglniga en Andalus », Revue de 1 Occident musslman et de la Médivernanés 5, 083, pp. 157-170, voir pp. 160-161, Pout les relations fib Qasi avec ‘Abd al-Mu'min, voir at-Mannaxust, Kitab al-mugib, 6d, R. Dozv, x ed, Teyde, 881 (€impr. Amsterdam, 1968), pp. s0-isp. Ton Qast, Kitab hal” al-na'layn,éd, J. Drener, Bonn, 1985. 20Daeviir, « Limamat d’lbn Qasi, pp. 203-209. 51 Bid, pp. 204-209. MESSIANISME JUIF AUXTEMPS DES MAHDI-S 225 mad 4 la fin du monde, divisent Phistoire du salut, mais ces deux cycles sont en relation Pun avec Pautre : i sé i iti€ divine I1n’yapas un seul miracle réalisé par un prophéte ni une amitié rail Fegue autrefois par un amt de Dica [tal Allah) qui. ne fase parti dele prophetic de Muhammad et ne réapparsisse pls tard ches ses descendants et chez les éerangers [gurabé’] sa communaueé®, A la mission du demier prophéte, héritier de tous ses prédécesseurs, et & celle de la derniére communauté correspond un universalisine intérieur qui se concentre dans la descendance de Muhammad (un Siite dirait : dans la série des imam-s infaillibles). Avec ces guraba’, il est fait référence A une tradition fameuse : Llslam est venu comme étranger § ce monde et redeviendra étranger comme il ’a été 2 son début. Bienheurcux les étrarigers® ! i @op- Le temps a cours duquel se manifestent ces gurabd’ est un temps pression ales pouvoirs tyranniques, et le fait quils persévérent pendant une Epoque funeste rend leurs actions dPautant plus méritoires. Ils échapperont au feu de ’Enfer et verront la « présence » de Dieu : i ist i posse de la saintesé Parmi eux se distinguent ceux qui possédent le rang [wilaye|, qui produisent des merveilles [bantmai], & qui se révdlent les mystéres [ava] La glorification des « étrangers » telle quelle apparait dans la tradition du prostine que eviens de citer, Ibn QusiFapplique 3 lui méme et’ son groupe, les muridiin :« Nous sommes les demniets et les premiers », dit-il®. hk Le Kitab bal® al-na‘layn a été commenté par Yon ‘Arabi et par Ibn Ab Wat un disciple de fbn Sain, Ibn Haldin inclue de nombrew pasaiges de ce demier commentaire dans la Migaddima®. Commencant les cycles de f prophétie que défnit Ibn Qas,Tbn Abi Wat dit que Pépoque antéricure slam nest quTerreur et aveuglement ignorant Ensuite, gre & I prophetic survient le temps de la vérité et de la bonne guidance (biddya), La prophétie cst suivie parle califat, et le califat par la monarchie (mult), Celle-ci i son tour dérive vers la tyrannie, Vorgueil et la corruption. Mais, comme on constate k tendance divine a faire retourner les choses 2 leur point de départ, il sensu nécesssirement, dans cette théorie des cycles si proche de celle des isma Fiens, que la vérité et Ja prophétie « seront revivifiées parla sainteté [wilaya] >. Celle-ci sera suivie de nouveau par le califat. Ceest-a-dire, que la wilaya est considérée comme un amtécédent ou un nouveau point de départ du califat. Ensuite ce sera le tour du Daggal, qui prendra le pouvoir et Pautorité, et ainsi 32 Loe. cit 3A] Wawsice et alii, Concordance et indices de la tradition musulmane, Leyse, 1962, ¢ IV, 473 p ‘Woenaee, « Limamat d’TIbn Qasi », pp. 204-209. 55Tan Hanvox, Mugaddina, IT, pp. 664 199. 226, MERCEDES GARCIA-ARENAL Timpiété reviendra & ce quelle était antérieurement au Prophéte. Selon Ibn Abi Watil, ces trois phases correspondent respectivement a la sainteté du fatimi (ou mahdt), qui fera revivre le prophétisme et la vérité, au califat la suite du fafimi et, en troisitme lieu, au temps de Perreur qui est le temps du Dagiil. Par ailleurs, commente Ibn Abi Watil dans un autre passage’, il est dit que le califat doit étre la propriété légale des QuraySites par consensus figmd’), et avec encore plus de raison si Pimam appartient 3 la famille du Prophéte. Cee parenté peut étre physique comme elle peut étre spirituelle, « dans le sens profond du mot famille [/], qui signifie qu’au moment od ils seront présents, celui qui est de leur famille ne sera pas absent» : Cest-i-dire que Pimam jouira de Fillumination ou de la présence spirituelle de Muhammad, Iba Abi Watil recucille aussi Popinion d’Ibn ‘Arabi selon laquelle Pimam attendu (al-tmém al-muntazar), Cest-r-dire le mahds, est un membre de la famille du Prophete et un descendant de Fatima : En ce qui conceme le saint attendu, qui prendra en main la cause de Dieu sous le nom de Muhammad al-Mahdi, le Sceau des Saints [harm ai-vliya’| ne sera pas un prophéte mais un saint. . et il prédit sa venue pour Pannée soo/1106%. Il poursuit en citant al-Kindi, auteur selon lequel ce saint sera celui qui rénovera Islam et fera triompher la justice, conquerra toute la péninsule Ibérique et Rome, partira ila conquéte de POrient, prendra Constantinople et sera le maitre du monde, Les musulmans seront puissants, PIslam sera exaité et la religion primitive reviendra 3 la vie. Crest du messianisme que des sociologues qualificraient de « cyclical reform » ‘Comme je Pai dit, Ibn Qasi est, 3 travers Ibn al~ Arif, disciple @’Tbn Masarra. Les doctrines ¢'Ibn Masarra sont fondamentales i cc moment du soufisme andalou, sur lequel elles exerctrent une influence extraordinaire ; pourtant, on est Join encore de connaitre ‘toute son ceuvre, et par conséquent ce que nous savons de ses idées n’est pas suffisamment précis. Son pére ‘Abd Allah professait le mu‘tazilisme : Je jeune Thn Masarra devint son disciple et regut de lui aussi bien un enseignement théologique quune formation ascéxique. Selon Ibn Masarra*®, Pame, apres discipline et mortification, peut atteindre au sommet de la sainteré, et 4 ce moment peut dg étre mise au méme rang de perfection que Pame du prophéte, Cette égalité fut soutenue par Ibn Masacra de manitre explicite et définitive. Ibn Hazm assure avoir entendu quelques disciples de Ibn Masarra Ini atcribuer la thése de lh possibilité pour Phomme dacquétir le don de la prophétie, en ce sens que celui qui arrive au but de la purification et de la pureté spiri- 5 Wid, UI, p. 664. 57 Ibid T, p. 667. 3®M, Asin Patacios, Adenmasarray su escuela, Origenes de la filosofla bispanomusulmana, Ma- arid, 914 (Cité Aste PaLactos, Abenmasarra) repris dans M, Ast Pavacios, Obras Ereogidas, 1, Madsid, 1946, pp. 109 599. MESSIANISME JUIF AUXTEMPS DES MAHDI-S 27 tuelle de son ame obtient 3 coup sir la prophétie ; ct, par conséquent, que celle-ci r’est pas un don spécial que Dieu accorde gratuitement & qui Ii Lui pleic®. Cette affirmation revét une immense gravité et une énorme portée car elle maintient la possiblité de la « continuation de la prophétie »* grice & ceux qui ont arteine la saimeté en suivant un processus préalable de purification, Des idées semblables avaient écé professées par les mu‘tazilites et les bati- nites, de qui Tbn Masarra est débiteuré! en soutenant que le mabdt peut com- pléter ou continuer la prophétie®. Sur ce point comme sur @autres, les doc- trines €'Tbn Masarra sont si proches du batinisme que ses disciples furent qualifiés de nifidn, Cest-A-dire Sites, et plus concretement ismaéliens®®, Al- ‘Talamanki (m. 429/1037) écrivit une réfutation @’Tbn Masarra, intiuulée a/- ‘yfya, ott i affisme qu’lbn Masarra prétendic la nubuwwas, M. Asin Palacios a étudié le destin des idées q’Tbn Masarra, dont Phéritier le plus illustre est Muhyi din ibn ‘Arabi, 8 travers le mouvement des murrdin @Ibn Qasi et d’Ibn aF‘Anif, Un sidcle apres Ja mort de Ip Masarra, 3 la fin du ive s. de Phégire, sous le gouvemement dal-Mangir, apparait un homme appelé Ismail b. ‘Abd Allah al-Ru‘ayni, sur lequel nous n'avons @informa- tions que grice 4 Ibn Hazm, qui fat son contemporzin. Pendant les pre- mitres années du v« s, il vécut & Pechina (non loin d’Almerfa), s'adonnant aux exercices du combat spirituel, isolé du monde, je@nant et priant continuelle- ment. Lui-méme et toute sa famille partagesient les idées d’Ibn Masarra et, gjoute Ibn Hazm, ses fils éaient en outre mu‘tuzilites. Ibn Hazm recueillic de la bouche des adeptes d’Isma‘il la croyance que ce dernier connaissait le langage des oiseaux et prédisait les événements fururs et [que] ses prophéties s'accomplissaient avec exactitude. Ses adeptes en arrivérent non seulement } le traiter comme sayb, mais aussi comme imam, & qui tout musulman avait Pobligation dobéir en matitre spiri- tuelle et temporelle, etd qui on devait payer Fimpét canonique. Ces idées viennent donc bien d’'Ibn Masarra, a travers Tbn alAsif, jusqu’s Ton Qasi. Mais il semble que Judah Halevi avait aussi lu Tbn al-‘Arif 5 nw Hazm, al-Fisal ft -milal wa-F-nibal (sol), Le Caire, 1347-1348 Ht. TV, p.199. 60°Voir Y. FRIgDMANN, « Finalicy of Prophethood in Sunni Islam », Zorael Orsental Studies, % 1986, pp. 117-255. ; Mat, Fonneo, « Noticiasobrela publiacién de obras inédias de Ton Masara >, AL-Qantar 4, 1993 PP: 46-64. ‘62 ex Haze pnd Asin Pal.acios, Abenmasarra, pp. 12-128. 6? M. Fierro, « Los malikies de al-Andalus y los dos érbitros », Al Qanfara, 6, 1985, Pp. 79- 102,p.92. . IML Prexno, « Batinism in al-Andalus, Masta b. Qasim al-Qurnubi (¢. 3539964), author of the Rutbat al-hakim and the Ghayat al-hakim (Picavrix) », Studia Islamico, 84, 1996, pp. 87-112. 65 Asin Panacios, Abenmasarra, p.165. 228 MERCEDES GARC{A-ARENAL, R.Scheindlin a montré que les po&mes mystiques soufis que Halevi utilise sont inclus dans Poeuvre d’Ibn al‘Anif intitulée Mabavin al-magalis. En parti- culier, une poésie d’Aba I-Sis (podte de la cour de Haran al-Raiid, contem- porain @Aba Nuwas et done pote « profane »), que Judah Halevi traduit presque mot & moté¢, est utilisée par Ibn al-‘Arif pour illustrer le chapitre de son livre ayant trait au mahabba (un des « étages » de l'amour pour Dieu)S?. Ibn a‘Anf etJudah Halevi sont des contemporains (tous les deux sont morts en 1141) et Posuvre du premier a eu, 4 son époque dé, une grande répercus- sion en al-Andalus. Comme nous venons de le voir, une série Widées se cristallisent dans le soufisme du xire s. et exaltent dune maniére sans précédent la figure de Muhammad ; il s’labore une théorie de la sainteté qui supprime presque toute frontiére entre celle-ci et la prophétie, cette demitre acquérant 4 son tour un contenu eschatologique et messianique. Le saint-prophéte en tant quiinterpréte, véhicule et réceptacle de la pensée divine, devient potentielle- ment le meilleur guide pour sa communauté et acquicre une énotme impor- tance sociale et politique. Un autre concept du soufisme qui doit étre mis en relation avec ces idées est celui de uf, la plus haute aucorité spirituelle en matiére de mysticisme, P «axe» ou le « péle » qui existe & chaque époque. Le guth est Paxe virtuel de Pénergie spirituelle, I existe une étroite relation strucurelle entre le concept de gus, en tant que guide spirituel le plus élevé du croyant, et celui de Vimar des Sites®®, La vénération manifestéc a Pégard de Pimam et du qutbest commune au soufisme et au Sifsme, ce dernier considérant que celui qui meurt sans connaitre l'zmam de son temps meurt infidéle. Pour conclure, et bien que consciente que hypothe que je viens de déve- lopper ne repose pas encore sur des bases tes fermes, jesptre cependant avoir fourni des indices suffisants pour admettre que le statut des prophites, au travers duquel apparaissent des traces importantes de la théologie i'ite dans le soufisme de cette époque, trouve son exact équivalent dans la pensée de savants et mystiques juifs et coincide étrangement avec Fexistence de mou- vements messianiques et mahdistes. A Pappui de ce que je viens de dire, je souhaiterais citer en dernier lieu un cas paralléle, celur du Yémen. Crest une région ott les mahdr-s apparsissent de manigre récurrente, mais od aussi au XIE s. coexistent paralldlement un mouvement messianique juif et au moins un penseur juif, Nathanael b. al-Fayyumi, qui écrivit en 166 une oeuvre intitu- $611 agit du po&me n° xcviut de Penthologic Judah Hatevi, Poemas, p. 357. C’est Israel Levin quile premiera prouvé que ce potme n'était pas une composition originelle de Halevi mais, sauf pour la deritre ligne, la traduction littérale d'un potme arabe. Voir L Levin, « Bigqast!” er sc’ahaba nafsi », Hasifrud, 3, 1971-1972, pp. 16-149. 67R_P, ScHEiNDLIN, « Ibn Gabirol’s Religious Poetry and Sufi Poetry », Sefarad, s4(i), 1994, pp. 109-143, voir pp. 126-12]. 68 A. ScurmmeL, Mystical Dimensions of Lam, Londres, Chapel Hill, 1975; p. 200. MESSIANISME JUIF AUX TEMPS DES MAHDI-S 29 Ike Bustan al-‘ugal®, dont la pensée est imprégnée de soufisme et de théolo~ gie Site”, Je crois donc que, pour le x11 side en tout cas, il faut muancer la thése mentionnée de . M. Wasserstrom : si au début de Islam la symbiose entre apocalypse juive et apocalypse islamique se fait dans le Sisme, dans la période examinée ici, le S'isme, qui continue & étre a la base des attentes mes- sianiques, est médiatisé et transformé par un courant de pensée constituant un nouveau terrain de symbiose : le soufisme. 69 hd. de D. Levine, New York, 1908. aoe 70S, Proves, « Nathanael b. al-Fayyumi et la chéologie ismaéfienne », Revue dhistaire juve en Fugit 1974s pp 5-22.

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