Sous la direction de
Maurice Aymard, Claude Grignon
Frangoise Sabban
Le temps de manger
Alimentation, emploi du temps
et rythmes sociaux
Publié avec ie concours du
‘Centre national du ive
Editions de la Maison des sciences de homme, Paris
Institut National de la Recherche AgronomiqueMaison des sciences de
Hlements de caxlogzge ovont publication
Le Temps de manger: alimentation. emploi du temps et rythmes
sociaus’? sous la di de Maurice aymard, Claude Grignon,
Frangoite Sabban. ~ Paris: Ed, de la Maison des sciences de
‘Phomme :fnicut national dela recherche agronomique, 1993.
~VE326 pil tab. £23 om.
Insu d'une table tonde tenue 3 Paris en octobre 1989. Bibiog.
enfin de chapitte. ~ ISBN 2-7360-0870-9 (INRA). ISBN
2°7351-9509-1 (USED
Cops ght 1993
Fondation Maison des sciences de "homrne. Pars
Tamas National del Recherche Aptonomngse
Imprme2n France
Premiere Ze couverture
Rockefeller Center 1932
Déjeuner au vomnmet d'un gratte-cel
Pendant que des milers de Sew-Yorksss se ruent vers des tes
taurants surpeuples et der comptous emboutelés pour West
fepas de midi cs ouvriers snttepises, au sommet de lrameuble
RCA de solnante-diy elaget Ju Centre Rockefeller, prennent
rout iret [a Uberté quilsveulent. en d&jeunant sur une poutre
fen acir 8 nuit cents ples de la vac Le gratteciel RCA est Tim
‘meuble aus bureao ies plus spacieun du monde
(UPIBETTMANN. copyright PopperCoto 1990)
“Tous dros réservés
Querréme de couverture
La famille royale d'Angletere
prenant le thé au chateau de Windsor
‘Crableau de James Gunn, 1950)
Copyright National Porat Gallery. Londres
“Tous droits réservés
Relecrure
Non $0
Georges Prt
Raymonde Arcer
Graphiques
Sylvie Massat
Comections et mse en pate
Nora Seott
‘Responsable de fabricaion, conception et couverture
‘Raymonde Aries
Sommaire
Pantcipants au colloque
Ala recherche du temps social
'M. Aymard, C. Grignon, F. Sabban
Temps biologique et temps sociaux
Les connexions sociogénétiques entre I'alimentation et
organisation du temps
Stephen Mennell
L'horaire des repas et Jes exigences biologiques
Virginia Utermohien
Le temps domestique
Deux civilisations, deux temporalités
‘Alimentation et rythmes sociaux: nature, culture et éronomie
Francois Sigaut
« (4 'extéreut)? Pourquoi,
finalement, notre société ressent-elle le besoin d'une norme en ces ma
eres, ce qui n’était pas le cas ily aun siécle ou deux? ;
familianx (si cette norme existe) est démentie par les faite: c’est que fe
repas de mii n’est plus familial, sil’ jamais €é, Pour probablement
Tue majorité de Frangas, il se prend sur les ieux de travail, cantine
scolaire, restaurant ’entreprise ou restaurant tout cour. L& encore, on
peut s'interoger sur les horures. Dans le milieu scolaire et celui des
Mareaux, ils sont pariculitrement stricts ~ est-ce une conséquence de
organisation du travail dans les cuisines? J'ignore ce qu’ilen est dans
inGustjucstion & laquelle il est sans dout le pus difficile de répondre
stelle de l'avenir, ou plutbt celle des tendances aeruelles dont dépend
Y'avenir probable & court terme, Je me demande si parmi ces tendances,
it ne faudrait pas explorer plus en détail celles gui font passer nos
setivités de part et d’autre d'une ligne qui me parait fondamentale dans
Toute société, celle qui sépare I’intéricur et l'extérieur des ménages.n LE TEMPS DOMESTIQUE
C’est un peu ce qu’Adam Smith avait en téte lorsqu’il distinguait
travail productif et travail improductf dans le livre 2, chapitre 3 de The
Wealth of Nations (1776). Son point de vue était celui de la reproduc-
tion du capital marchand: « Un homme devient riche en employant une
‘multitude de manufacturiers: il devient pauvre en maintenant une multi-
tude de domestiques», écrit-il. Cette distinction, reprise par Marx, a été
abandonnée par l'économie classique, quoiqu’on la resrouve chez cer-
‘zins auteurs sous la forme des deux secteurs R, pour «reproduction»
et P, pour «production» (Rothschild 1981). Elle est en tous cas perti-
nente pour notre propos, méme s'il peut étre nécessaire de la redéfinir
ssur d'autres bases. En gros, elle signifie que tout ménage — toute unité
Economique & quelque niveau que ce soit, mais c'est le ménage qui
nous intéresse ici —a un intérieur et un extérieur, et que les activités de
ses membres se partagent nécessairement entre les deux. Ily a des ac-
tivités intemes, est a-dire dont le produit reste 8 l'intérieur du ménage
et y est utilisé directement: ce sont les tiches ménageres ou domes-
tiques du langage courant, qui relevent du travail improductif d’ Adam
Smith ov du secteur R d’Emma Rothschild, Et il y a des activités ex-
ternes, dont le produit est destiné a étre échangé & l’extérieur contre
autres biens et services utiles au fonctionnement intérieur du ménage.
"Moon propos est que, comme il existe des ménages dans toutes les so-
cigiés — c’est partout V'unité économique élémentaire -, la répartition
des tdches suivant qu’elles sont internes ou externes au ménage est une
des grilles de lecture les plus importantes de la morphologie des socié-
‘és, et une de celles qui permettent de les comparer sur des bases com-
parables.
Jenignore pas 'objection selon laquelle la nature et a composition
ddes ménages varient d’une société a l'autre, ce qui peut rendre leur
identification difficile. Je n'ignore ni l’existence de ménages non fami-
liaux (chez nous: les couvents, hépitaux, asiles, pensionnats, casernes,
prisons...) ni le fait que la structure des ménages familiaux eux-mémes
soit soumise, dans les sociétés paysannes notamment, & des détermina-
tions politico-économiques trés directes. Mais ce sont I d’autres pro-
bites. Le fait qu’l existe des ménages dans toute société, me semble-
til, est indiscutable, et cela suffit pour affirmer que dans toute société,
il est possible de classer l'ensemble des activités économiques suivant
4qu’elles sont interes ou externes aux ménages. Un classement qui,
bien sOr, differe d’une société & autre et change avec le temps: ¢’est
dans V’examen de ces différences et de ces changements que les choses
eviennent intéressantes.
¥. SIGAUT/ ALIMENTATION ET RYTHMES SOCIAUX, B
Considécons, par exemple, le cas de agriculture, ou plus exacte-
‘ment celui de la production végétale (cueillette comprise). Dans les so-
cigtés Jes plus «primitives» que nous connaissions, celles qui ont sub-
sisté jusqu’a ce sidcle en Australie, en Nouvelle-Guinée, en Afrique fo-
restiare, en Amazonie, etc, Ia production des aliments végétaux appar-
tient toute entigre au secteur ménager. Toutes les opérations, qui vont
de la préparation du champ (s'il y a lieu) 2 la cuisine, font partie du
meme ensemble de taches; tiches réservées aux femmes a l'exception
des plus gros travaux comme l'abattage des arbres pour I’essartage. On
peut dire que, dans ces sociétés, agriculture et la cueillette font partie
Ge la cuisine, ou la cuisine de I'agriculture. En réalité, aucune distine-
tion n'est & faire entre les deux parce que tout ce qui releve de Ia pro-
duction des aliments végétaux releve d'un seul et méme ensemble de
tfiches ménagtres.
‘A Mopposé, dans nos socigtés industrielles d’aujourd’hui,I'agricul-
ture est devenue une activité externe. Les familles d’agriculteurs ne
‘consomment pratiquement plus rien de ce qui est produit sur Vexploita-
tion, Tout est vendu a l'extérieur, et, en dépit de certaines tendances &
la féminisation, qui relévent d'autres mécanismes, la plupart des taches
agricoles sont congues comme masculines. La cuisine n'est plus dans le
‘prolongement de I'agriculture puisque les aliments préparés viennent de
extérieur (ou pour certains d’un potager et d'une basse-cour qui n’ont
plus rien & voir avec I'exploitation proprement dite). Cuisine et agricul-
ture relevent de deux secteurs différents et occupent dans I'espace So-
cial des emplacements qui ne sont plus homologues entre eux.
Je suis conscient du schématisme de cette opposition entre agricul
tures ménagtres et agricultures externes. Mais ce schématisme n'est
gutre évitable & ce niveau de le discussion, et si on I’accepte pour ce
Gurl est, sa validité ne peut pas éte mise en doute. Ce qui importe
@'ailleurs,c’est que ce sch€ma nous donne deux points extrémes, deux
points limites autrement dit, entre lesquels il est possible, théorique-
ment du moins, de placer chacune des agricultures du globe. Et si 'on
regarde les choses d’assez haut, histoire nous montre une évolution
qui, malgré maints détours et maints retours, s'est faite du premier
point vers le second. Des agricultures ménagtres de Nouvelle-Guinée &
hos agricultures industrielles d'Europe ou d’ Amérique du Nord, la
distance en termes de changements techniques parait immense. Mais,
lorsqu’on s"intéresse & lorigine de ces changements, on s'apergoit que
‘es plus déterminants d’entre eux ont été associés & un transfert de I'ac-
tivité concemée d'un secteur dans l'autre. Ila fallu dans de nombreux™ LE TEMPS DOMESTIQUE
eas, en somme, qu’une tche interne (ménagere, féminine) devienne
‘exter (masculine) pour que des changements techniques sy produi-
sent, Quitte ¢’ailleurs & ce qu’apres un certain temps, la tache ainsi
changée réintegre le secteur ménager.
Iin’est pas possible, dans les limites de cet article, de présenter
plusieurs exemples de la fagon dont ce processus s'est déroulé en agri-
culture, Mais I"exemple de la fabrication du pain peut nous suffire.
Dans le Proche-Orient ancien, la fabrication du pain (et la mouture des
grains, qui n’en est pas séparée) est une tiche ménagere et féminine, i
n'y a guére de doute sur ce point. Pour écrastr le grain, on se sert de
deux pierres frottées alternativement l'une sur l'autre — la meule et la
molette des archéologues -, dispositif hérité de la plus lointaine préhis:
toire. Et 18 ot on a besoin d’une production centralisée importante,
dans les palais et les temples par exemple, on n’a d’autre ressource que
d’accumuler les femmes. Dans le monde grec et hellénistique apparais-
sent des boulangeries commerciales. Ce sont dans l'ensemble des
hommes qui y travaillent. Eton assiste en quatre ou cing siécles & toute
une série d’innovations techniques dans la mouture qui aboutissent au
‘moulin rotatif, lequel peut alors étre actionné par un animal, puis par
tune roue a eau. II n'est besoin, pour situer importance de cette inno-
vation, que de rappeler que pendant les dix-huit siécles qui suivront, 1a
roue & eau restera la base du développement de toute l'industrie euro-
péenne. En Afrique du Nord, au Proche-Orient, en Inde, etc, la mou-
ture des grains, qu’elle se fasse &I’aide d’un moulin rotatif& bras dans
Ja maison ou au moulin & eau du voisinage, redeviendra une tache mé-
nagtre et féminine. Dans I’Europe médiévale et moderne au contraire,
Je travail du meunier restera définitivement un travail d’homme; quant
aux autres opérations de la production du pain, elles resteront tiches
masculines dans les villes et sans doute dans les maisons nobles les
plus riches. Dans une partie au moins des campagnes, toutefois, la f2-
brication du pain est redevenue (restée?) tiche ménagere et féminine
jusqu’a la fin du sigcle dernier ou au début de celui-ci. Dans ces ré-
‘gions, les boulangers n’ont fait leur apparition qu’a partir de 1900, ou
‘méme aprés la guerre de 1914-1918, pour disparaitre & nouveau depuis,
les années soixante-dix devant la concurrence des grandes surfaces —
mais c’est une autre histoire.
‘Tout cela n'est qu'un canevas, mais qui me semble pouvoir éclairer
ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine de I'alimentation en géné-
ral. La préparation des aliments, dans la mesure oi elle est congue
F. SIGAUT/ ALIMENTATION ET RYTHMES SOCIAUX 1s
‘comme la tiche ménagtre par excellence, donne aujourd'hui I'impres-
sion d’étre attaquée de toutes parts par des entreprises venant du secteur
textemne au sens donné & ce terme plus haut. Certaines de ces attaques —
la restauration, qu'elle soit commerciale ou collective ~ sont déja an-
ciennes et ont probablement conquis tout le terrain auquel elles pou-
‘vaient prétendre. D'autres sont encore en plein développement: je pense
bien sir, comme tout le monde, au rayon «plats préparés» des super
rmarchés et notamment au succes spectaculaire de 1a formule «surgelés
+ four A micro-ondes». Peut-étre enfin d’autres attaques sont-elles &
venir, comme par exemple la ivraison & domicile de repas tout préparés
dans la petite histoire racontée ci-aprés par Sempé (1989). Si bien que,
lorsqu’on prolonge la tendance qui semble ainsi se dessiner, on est
amené a se demander si nos cuisines ne sont pas destinées & devenir un
accessoire décoratif mais obsolete de nos habitations, jusqu’a peut-€tre
‘en disparaitre completement. Avec cette disparition, ce serait simple~
‘ment un mouvement tendanciel profond, né au Proche-Orient il ya six
ou sept mille ans avec la masculinisation des premitres tiches agri-
‘coles, qui arriverait & son terme.
En réalité ily a bien des raisons de penser que cette prévision ne se
réalisera pas, ou du moins pas de cette fagon trop simple, Nous avons
‘vu, avec exemple de la fabrication da pain, que, dans le domaine de la
préparation des aliments, les tiches pouvaient fort bien réintégrer le
secteur ménager apres en étre sorties. Or, cette seconde tendance est
‘aussi massivement & Pcuvre que la premiere dans les sociétés actuelles
et se manifeste de fagon aussi spectaculaire dans l’équipement électro-
mécanique des ménages. Pour en rester & l'exemple du pain, on sait
qu'un apparel entidrement automatique & fare le pain chez soi a été mis
sur le marché 2a Japon au début de 1987, & un prix d’environ 1500 F
(Ouest France, 6 avril 1987). Cet appareil n'est pas encore commercia~
lisé en Europe, et on peut penser quill n'y aurait guére de succts. Mais
enfin il existe, et il représente une Possibilité qu’on ne saurait exclure
d'un revers de main, Grice & un peu d°électronique, les ménages les
plus snobs du XVI arrondissement peuvent désormais faire leur pain
‘eux-mémes, comme les paysans les plus atardés du centre de la France
Gans les années tente et quarante. Et ce qui, dans le cas du pain, n'est
qu'une virtualité, est depuis longtemps dans d'autres domaines une
réalité. Ruth S. Cowan (1983) a bien montré que, contrairement &l’ar-
‘gumentation constante des publicitaires, I’équipement des wnénages
avait entrainé un alourdissement des tiches de la ménagere.Sempé, Par Avion, Den, 1989
ict 2005 se ime ii poral th Mary ob
Mug: « Veet 420 betes.» Las Anecie Wan pa ie ipa sce eet
is qui consist vous vite 420 heme, ce sige qui fue aoe tees
20 ete 30, por eps te quan hare apa pases ene aa
de is ams ges gu vous om dtintvemon coupe Tenpest 8 D0 ees see
A Neus dons ashi, les intimes, autour dine abe deri, horns un tenga Bk
'asieus, pas de ares. Pus a maindre oder llchante proven de cong
velltusement aménagée, dan clot de mes ami, ae
‘A.2Oht, on & Sonné. Un chinois apporté un diner choi, avec des
leghres chioines, des bagucies, de Talcodl chines, Je me suis tendy conan ee
‘écange musique ue jentendis at de la msigue soe, mae
L’explication de cet apparent paradoxe est, bien stir, que l"équipe-
netgear et ie
peu de legumes, de fromage ou de charcuterie, était probablement pré-
Fr Once em at Hen er
son, et le principal ingrédient état le pain qu'on y trempait,
F. SIGAUT / ALIMENTATION ET RYTHMES SOCIAUX 77
Mais il existe d’autres processus que a diffusion des modéles
bourgeois. Et parmi eux, l'un des plus manifestes actuellement est
peut-tre celui par leque! le secteur marchand renvole au secteur ména-
ger, parce qu'il veut s'en décharger, les tiches qui sont pour {ui les
moins profitables.
des prix plus petits y a pas. Pas parce que c'est
‘moins beau ou moins solide (en fait, ce serait
plutgt plus beau et plus solide) mais parce que
C'est vous gui vous liver, vous qui montez Vos
Publicité Libation, 7 mare 1991 meubles et que c'est toujours ga économise.
Le développement du bricolage de nécessité (par opposition & un
bricolage qui serait de pur loisir, bien que la distinction des deux ne soit
pas évidente) reléve typiquement de cette logique. Une logique qui,
pour une fois, est exprimée sans déguisements et sans détours par la
publicité. Nous vendons aux prix les plus bas du marché, proclament
Certaines entreprises de meubles en kit comme Ikea: cela nous est
possible parce que nous vous demandons de travailler quelques
‘minutes pour monter vous-mémes les meubles que vous aurez. aches,
La force de I'argument est qu’il détourne les soupgons habituels que les
prix bas sont obtenus au détriment de la qualité. Sa substance est qu’en
vvendant les meubles en ki, on évite les coats considérables de sto-
ckage, demballage et de transport inhérents & des objets aussi
volumineux que les meubles.
Or, cette logique est également présente, quoique sous des formes
plus dissimulées, dans le domaine de ('alimentation, Réfrigérateurs et
‘congélateurs ont permis de transférer aux ménages une bonne part des
frais de stockage qui seraient autrement dla charge des distributeurs. Et
cela d’autant plus facilement que les ménages font rarement le calcul
Ges colits réels que représente pour eux cette immobilisation de res-
sources. De plus, l’accroissement des capacités de stockage dans les
‘ménages les incite & acheter par quanttés plus importantes la fois, ce
ui contribue encore & diminuer les charges des distributeurs. D’autres.
ttansferts, enfin, sont tour a fait directs, Dans les supermarchés, par
exemple, ce sont les clients qui doivent se charger eux-mémes dune
bbonne part des tiches qui incombaient naguére au personnel commer-
cial dans la distribution classique, ce qui se traduit par un acctoissement
ddu temps consacré aux achats (Gershuny 1987). Je ne sache pas qu'on
ait venté de chiffrer la part qui revient a ces transferts de charges dans
les prix plus bas que revendiquent sans tréve les grandes surfaces dans
leur publicit. Mais deux choses me semblent sites: cette part ne doit* LE TEMPS DOMESTIQUE
pas étre négtigeable, et au contra de ce qui se passe avec les meubles
en kit, In publicité des grandes surfaces omet soigneusement de la
‘mentionner.
04 cette discussion nous conduit-elle?
Nous sommes partis d’une société dans laquelle chacun vit, mange
et boit selon les usages propres & son état (XVIF sicle) pour arriver, au
terme d'une série de changements fort compliqués et encore incomple-
tement connus, & notre société d’aujourd’hui dans laquelle une norme
unique prévaut: celle des trois repas pat jour, petit déjeuner, déjeuner,
diner.
(Quel est le futur de cette norme commune? Est-lle destinge & durer
ou, au contraire, n’est-elle qu'une tape aussi transitoire que les précé-
dentes dans une Evolution qui va se poursuivre?
1 faudrait, pour répondre, identifier les forces qui sont &'euvre
dans le maintien, provisoire ou non, de I’équilibre actuel. C’est un tra-
vail qui dépasserait largement les limites de cet article et celles de ma
propre compétence. Je me suis seulement demandé si le succés de la
norte des trois repas ne devait pas s'expliquer par le succts d’un mo-
le plus général, celui dea vie de famille heureuse, auquel la public
ne cesse de faire référence. Dans cette hypothése, il s’agirait alors de
savoir sila rEalité est ou non en accord avec le modeéle, c’est-a-dire si
les changements techniques et économiques actuels tendent ou non &
‘modifier la repartition traditionnelle des tiches de préparation des repas
‘entre I'intérieur et 'extéricur des ménages.
Une premitre vision des choses pourrait donner & penser qu’avec
Vindustrialisation de la cuisine et le développement des activités de
service, es activités culinaires intérieures aux ménages sont appelées &
disparaitre completement. Ce qui ne serait que I'aboutissement d’une
Evolution commencée ily a des millénaires avec l’agriculture.
En réalité, comme le montre exemple paralléle du bricolage, il y 8
aujourd'hui d'autres forces, tout aussi puissantes, qui agissent en sens
‘contraire. Que la croissance économique de l'aprés-guerre s'explique
pour une bonne part par I’équipement des ménages, le fit est classique
(Gershuny). Ce qui est plus nouveau peut-ttre, c’est que le secteur
productif (au sens d’Adam Smith) tend aujourd'hui de plus en plus
explicitement & rejeter sur le secteur ménager les activités dont il ne
parvient plus & tirer des profits suffisants. Et bien que ce ne soit pas
dans Ialimentation que ce processus est le plus visible, ily existe bel et
bien.
Devant ce jeu de forces coniradictoires, il serait bien imprudent de
F. SIGAUT / ALIMENTATION ET RYTHMES SOCIAUX be
conclure. Mon impression est que le secteur productif (industriel et
commercial), apres s"@tre longtemps développé aux dépens du secteur
rménager, découvre aujourd'hui qu’il en a besoin et travaille & le conso-
lider. i cela est vrai, le modle de vie famille et la nome des trois
repas qui lui est associe ont de beaux jours devant eux. Mais je ne suis
‘moi-méme pas prét& parier plus qu’un bon repas sur cette hypotiitse.
Références bibliographiques
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‘quotidien, Paris, Le Seuil
Cowan , RS. 1983, More Work for Mother, The Ironies of Household
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Rothschild, E. 1981, «L'innovation et Ia crise économique», exposé au
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Smithy AL 1077 (ITM) The Wealth of Nations, Hardmondswort,
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‘Tessier, A-H. 1793, «Consommations de Paris en objets fournis par
agriculture, in Encyclopédie méthodique, vol. I: Agriculture:
472-484.
‘Valentin, M. 1979, «Physiologie du travail et ergonomic, in M. Daumas
(Gir), Histoire générale des techniques, tome V: Les techniques de la
cilisation industrielle, Paris, PUF: 510-526
‘Wallace , D. M. 1881, Russia, New York, Henry Holt & Co.