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Etats dansés «Nous sommes toujours dans un état, Peut-étre l'état particulier dans lequel nous nous trouvons est-il plus clairement représenté par I'émotion que nous éprouvons - Ia joie, le regret, a honte. Ou l'état se manifeste en termes physiques, comme la sensation du vent sur votre visage, d'une pression dans la poitrine, d'un mal de téte, d'une main dans la mienne. Ou en terme d’énergie, comme la sensation de fatigue, de détente ou de stimulation. J'ai commencé a prendre conscience assez tot des différents états par lesquels je passais en dansant. J’ ‘ai remarqué qu’en exécutant un mouvement que je n’aimais pas ou en lequel je ne croyais pas, je ressentais une pesanteur et une résistance dans mes membres. Le“marquage” des pas a commencé a me fasciner ~ non pas son esthétique, mais l'état qu'il crée. Quand on demande A des danseurs de marquer les pas, sent une séquence de mouvements appris, mais sans I'intensité ni le souffle de | afin de garder leur énergie pour le vrai moment. Cette présence physique réduit repétant sans conviction les mouvements, a attiré mon attention, Comment était détacher si facilement de sa danse? Je ne voulais pas m'attacher a cet état de vide. Je donner l'intensité, comme s'il ne s'agissait que de faire travailler un muscle. J'ai aussi remarqué la facon dont j'envisageais la situation de performance, en essayant de camoufler la nervosité et la montée d’adrénaline que je ressentais face au public. Tenter d’inverser mon état émotionnel devint une danse cachée a part entiére. ils repas- la performance, fe des danseurs, I possible de se refusais d’aban- Une fois que vous prenez conscience que vous étes déja dans un certain état lorsque vous dansez, Vous étes prét explorer d'autres états. Chacun intégre tout un univers; alors pourquoi un corps dansant aspirerait-il une modalité unique? Dans mon travail, nous utilisons souvent un exercice intitulé*Changement”, au cours duquel les danseurs passent rapidement d'un état A un autre sans faire de pause ni se laisser d'espace pour réfléchir. Dans cet exercice de danse automatique, vous laissez votre corps exprimer un grand éventail d’états, de voix, de mouvements et de gestes sans les censurer. Il est possible que ce qui surgit alors a a voir avec un tas de choses amassées en écoutant et en regardant le monde, et qui ressortent tout coup comme des échantillons d’expé- riences eréés par votre mémoire et votre corps. Ou peut-étre ce qui surgit est-il complétement fic- tif ou étranger & l'expérience humaine ~ se liquéfier, par exemple. Les états peuvent se manifester dans telle partie du corps ou dans votre seule voix — je les considére comme des fréquences ou des températures plutdt que comme quelque chose qui pourrait facilement étre exprimé par des mots. La mémoire ou le cycle des respirations — de basse et profonde a saccadée, par exemple - peuvent permettre d’accéder aux principes émotionnels d'un état. En le maintenant sans le développer, un état — dans toutes ses contradictions et tous ses aspects - peut informer I’instant. Vous devez vous engager pleinement dans état auquel vous arrivez, quel qu'il soit, en faisant confiance a votre ex- périence avant de pouvoir la nommer. Un état émerge lorsque vous ne pensez plus a ce que vous faites en termes techniques. ‘Quand j'ai débuté mon travail chorégraphique, j’ai commencé a examiner les états qui se mani- festaient dans les habitudes et mouvements prosaiques. Aprés avoir étudié Yvonne Rainer et le Judson Church group, j'ai eu le sentiment que, sur scéne, les mouvements ordinaires dégageaient toujours une sorte de neutralité. Mais quelque part dans les interstices se trouvait un espace ot vous pouviez montrer que les choses vous touchaient. Je voulais explorer ces sortes de mouve- ments en moi et chez les autres et essayer de composer avec eux en laissant mes humeurs et mes émotions contaminer la danse. Chorégraphier des états exige souvent une approche théatrale, ce qui implique la construction de toute une situation. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il y ait un récit ni des personages; l'état est une fenétre donnant sur une réalité autre. Dans mon travail ultérieur, j'ai compris que pour explorer sérieusement les états, il fallait travailler avec ces états 22tbee physiques et émotionnels involontaires — l'état d'un corps malade ou en situation de crise, la perte de contréle (le rougissement, par exemple, ou les tics, la transpiration, la fiévre, les frissons, Vhyper- ventilation). Dans No Longer Readymade, nous les avons traités comme des éléments de mouve- ment en les mettant en forme de maniére tangible dans le matériau chorégraphique. Les états impliquent des choses: ils ont un potentiel narratif. Imaginez que vous avez les mains moites: que faite-vous? Vous pouvez essayer de les cacher, ou étre submergé par I’anxiété. Ce n’est pas juste état dans lequel la personne se trouve qui est intéressant, mais aussi sa relation au fait d’étre dans cet état. Si vous avez honte, cherchez-vous a disparaitre ou essayez-vous de compenser en devenant plus bruyant et plus visible? Vous vous retrouvez dans une situation oi votre corps vit quelque chose, et oit votre esprit fait autre chose en réaction. Un état est une activité et une inten- tion, et Pécart qu’ll y a entre ce que vous projetez et ce qui en ressort effectivement est révélateur. Ma recherche sur les états vient de mon désir de montrer un corps mal assuré, un corps vulné- rable et qui s'interroge. C’est un objectif que de montrer le processus de questionnement dans le mouvement, tout en accomplissant des taches. Peut-étre ce processus suppose-t-il un état premier: “Je ne sais ni oi, ni qui, ni ce que je suis en ce moment.” Cela préside A la tentative de créer une fiction ou de chercher a se souvenir d’un état. Linsistance et l’incertitude sont authentiques; la confusion et le questionnement en font partie intégrante. Dans les piéces ultérieures, des situations émotionnelles et physiques intenses se sont transfor- mées en scénes de groupe. Partager un état extréme sur une certaine durée —tourner sur soi ou trem- bler, par exemple — concentre 'attention d’un groupe, qui, dans ce cadre-Ia, peut alors échanger des énergies tout en explorant un éventail de signification et d’expressions. Parfois, en répétition, nous cartographions le studio en zones d’espace fictionnel. Ainsi, dans Visitors Only, les perfor- mers changeaient d’état selon qu’ils entraient ou sortaient des huit différentes piéces de la maison. Ils entraient dans des états fictionnels, imaginant qu’ils étaient chargés d’énergies et de voix étran- geres. Leur corps accueillait, parfois avec difficulté, différents personnages, différents corps & attitudes. Les performers passaient d’un espace du souvenir a un espace fonctionnel, ordinaire, & une réalité hallucinatoire. ‘ Dans Jes états, vous travaillez avec des relations obliques. Le corps est un champ oli viennent interagir des flux mentaux, des émotions, des énergies et des mouvements, trahissant Vécart we sépare les actions des états, Les frottements et frictions internes créent des liens et des reperc! ; sions inattendus, révélant et maquillant, exprimant la fagon dont les gens tendent genéralene® a controler leur esprit et leurs réactions, Si l'harmonie est parfaite, rien ne transparalt Part et l'observateur ne reconnait pas tout de suite un état; il en pergoit certains aspects ~ as ued tation dans les yeux, par exemple, ensemble lui échappe; certains éléments du tableau Nr quent. Cette opacité partielle stimule a Ja fois imagination du performer et celle du speci®! Meg Stuart 21

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