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14 Ne laissez pas le groupe vous tirer vers le bas ———-o La loi de la conformité Notre caractére présente une facette que, généralement, nous ignorons — notre personnalité sociale, la personne différente que l'on devient lorsqu’on est en groupe. Dans un contexte de groupe, on imite inconsciemment ce que les autres disent et font. On réfléchit différemment ; on se soucie davantage de notre intégration et on s‘efforce d’adopter les croyances des autres. On ressent des émotions différentes, influencées par Uhumeur du groupe. On a tendance a prendre plus de risques, & agir de facon irrationnelle, comme les autres. Cette personnalité sociale peut dominer la personne que nous sommes individuellement. A trop écouter les autres et ad calquer notre comportement sur le leur, on perd progressivement notre caractére unique et notre capacité a réfléchir par nous-mémes. La seule solution est d’en prendre conscience et de comprendre les changements qui se produisent en nous au sein d’un groupe. Ainsi, nous pouvons devenir des acteurs dans la société, capables de nous intégrer et de coopérer avec les autres d un niveau élevé tout en conservant notre indépendance et notre rationalité. Une expérimentation de la nature humaine En grandissant dans la Chine communiste, Gao Jianhua (né en 1952) révait de devenir un grand écrivain. Il aimait la littérature et ses professeurs le félicitaient pour ses dissertations et ses poémes. En 1964, il fut admis au collége de Yizhen, non loin de chez ses parents. Dans cette ville située a plusieurs centaines de kilométres de Pékin, le collége était une « école essentielle » : plus de 90 % des éléves poursuivaient des études supérieures. I] était difficile d’y entrer et létablissement était assez prestigieux. Au sein de cette école, Jianhua était un garcon calme et studieux. Il avait pour ambition d’en sortir au bout de six ans en téte de sa promotion et avec un dossier scolaire suffisamment bon pour étudier 4 l’université de Pékin avant d’entamer la carriére d’écrivain dont il révait. Les collégiens de Yizhen étaient internes. La vie du campus était monotone puisque le Parti communiste encadrait tout, y compris l'éducation. Il y avait des exercices militaires quotidiens, des cours de propagande, des travaux d’intérét général et les cours habituels. Le programme était rigoureux. Au collége, Jianhua se lia d’amitié avec un camarade appelé Fangpu, sans doute le plus fervent communiste de l’école. Pale, maigre et portant des lunettes, Fangpu avait tout de [’intellectuel révolutionnaire. Il avait quatre ans de plus que Jianhua, mais leur amour de la littérature et leur ambition de devenir écrivains les avaient rapprochés. Les deux jeunes étaient toutefois différents. Les poémes de Fangpu parlaient de politique ; il adulait Mao Zedong et voulait reproduire non seulement ses écrits mais aussi sa carriére de révolutionnaire. De son cété, Jianhua ne s’intéressait guére 4 la politique, méme si son pére était un vétéran respecté et un officiel du gouvernement. Quoi qu’il en soit, les deux jeunes aimaient discuter de littérature et Fangpu considérait Jianhua comme son jeune frére. En mai 1966, alors que Jianhua révisait en vue de ses examens, Fangpu lui rendit visite. Il semblait inhabituellement surexcité. I] avait feuilleté les journaux de Pékin pour s'informer sur les tendances dans la capitale et venait de lire un débat littéraire entamé par plusieurs intellectuels renommés dont il devait parler a Jianhua. Ces intellectuels accusaient des écrivains réputés de cacher des messages antirévolutionnaires dans leurs piéces, films et articles de presse. Ces accusations se fondaient sur des lectures de certains passages qui pouvaient étre considérés comme des critiques voilées de Mao. « Certaines personnes utilisent l’art et la littérature pour attaquer le Parti et le socialisme », dit Fangpu. Il expliqua que le sujet de ce débat était l'avenir de la révolution et que Mao devait étre derriére tout ¢a. Jianhua trouvait le sujet plutét ennuyeux et académique, mais il faisait confiance aux instincts de son ami et promit de suivre le déroulement des événements dans les journaux. Les paroles de Fangpu se révélérent prophétiques : en une semaine, tous les journaux chinois s’étaient emparés de ce débat. Les enseignants commencérent a parler de certains articles de presse en classe. Un jour, le secrétaire du Parti de ’école, un homme bedonnant appelé Ding Yi, regroupa les éléves et prononca un discours répétant presque mot pour mot un article 4 lencontre des écrivains antirévolutionnaires. C’était certain, il se passait quelque chose. Les éléves devaient désormais passer de nombreuses heures a discuter des derniers rebondissements du débat. A Pékin, des affiches avec de gros slogans fleurissaient partout, ciblant « la ligne noire anti-parti », Cest-d-dire ceux qui, en secret, essayaient de freiner la révolution communiste. Ding fournit du matériel aux éléves pour qu’ils fabriquent leurs propres affiches et ceux-ci s’exécutérent avec entrain. Ils recopiérent allégrement les affiches de Pékin ; Zongwei, un ami de Jianhua qui était un artiste talentueux, fabriqua la plus belle affiche avec sa_calligraphie élégante. En quelques jours, presque tous les murs de |’établissement furent recouverts d’affiches. Le secrétaire Ding les lisait en souriant et en approuvant leur travail. Pour Jianhua, c’était nouveau et trépidant. Il aimait la nouvelle allure des murs du campus. La campagne de Pékin se concentrait sur des intellectuels locaux que tout le monde connaissait, mais cela paraissait bien lointain a Yizhen. Si la Chine était infiltrée par toute sorte de contre- révolutionnaires, cela signifiait qu’ils avaient sans doute aussi infiltré Pécole, et le seul endroit logique pour les débusquer, selon les éléves, cétait parmi leurs professeurs et la direction. Ils commencérent 4 disséquer leurs cours et lecons en quéte de messages cachés, un peu comme ce que les intellectuels avaient fait avec les ceuvres des écrivains connus. Le professeur de géographie, Liu, parlait toujours des paysages grandioses de la Chine mais ne mentionnait jamais les paroles inspirantes de Mao. Est-ce que ¢a cachait quelque chose ? Le prof de physique, Feng, était né d’un pére américain qui avait servi dans la U.S. Navy, Etait-il impérialiste ? Li, le prof de chinois, s’était d’abord battu dans les rangs des nationalistes contre les communistes pendant la révolution, mais il avait changé de camp la derniére année. Les éléves avaient toujours accepté sa version des faits et cétait le professeur que Jianhua préférait parce qu'il avait un don pour raconter des histoires. Mais avec le recul, il faisait un peu démodé et bourgeois. Etait-il resté un nationaliste contre- révolutionnaire au fond de lui ? Des affiches mettant en doute la ferveur de certains enseignants firent bientét leur apparition. Le secrétaire Ding estima qu’ll s’agissait d’une dérive du débat et décréta Tinterdiction des affiches ciblant le corps enseignant. En juin, le mouvement qui submergeait Pékin et bientét toute la Chine fut baptisé la Grande Révolution culturelle prolétarienne. C’était Mao qui en avait eu initiative avec les articles de presse et il allait devenir le leader du mouvement. Il craignait que la Chine ne revienne a son passé féodal. Les anciens systémes de pensée et daction étaient revenus. La bureaucratie était devenue le berceau d'une élite d’un nouveau genre. Les paysans restaient impuissants Mao voulait sonner Palarme pour raviver esprit révolutionnaire. Il voulait que la jeune génération vive la révolution en direct en la faisant elle-méme. Il proclama que les jeunes avaient « le droit de se rebeller », mais le mot chinois était zao fan, ce qui signifiait littéralement tout chambouler. C’était le devoir des jeunes, disait-il, de remettre l’autorité en question. I] appelait ceux qui cherchaient secrétement a faire revenir la Chine en arriére des « révisionnistes » et il implorait les étudiants de les débusquer et les éliminer de la nouvelle Chine révolutionnaire. Prenant les paroles de Mao comme un appel a passer A laction, Fangpu créa l’affiche la plus osée jamais vue sur le campus. I] attaqua directement le secrétaire Ding. Ce dernier était non seulement le secrétaire du Parti a l’école, mais aussi un vétéran de la révolution et un homme trés respecté. Mais selon Fangpu, interdire de critiquer les enseignants était la preuve que Ding était un révisionniste cherchant a supprimer l’esprit critique encouragé par Mao. Cela fit sensation. On avait appris aux éléves 4 obéir aveuglément aux représentants de Yautorité, surtout les membres respectés du Parti. Fangpu avait brisé ce tabou. Etait-il allé trop loin ? Quelques jours plus tard, des étrangers de Pékin s’invitérent sur le campus. Ils faisaient partie des « comités de travail » envoyés dans les écoles du pays pour aider maintenir la discipline face a la Révolution culturelle bourgeonnante. Le comité de Yizhen exigea de Fangpu des excuses publiques auprés du secrétaire Ding. Parallélement, le comité leva l’interdiction des affiches critiquant le corps enseignant. Et comme dans toutes les écoles de Chine, les cours et les examens furent suspendus. Les étudiants devaient se consacrer a la révolution, sous leur surveillance. Soudain libérés du joug du passé et de lobéissance aveugle si profondément ancrée en eux, les éléves du collége commencérent & sen prendre effrontément aux enseignants qui n’avaient pas fait preuve de zéle révolutionnaire ou qui n’avaient pas été sympas avec eux. Jianhua se sentit obligé de suivre le mouvement, mais il avait du mal : il appréciait presque tous ses professeurs. Cependant, il ne voulait pas qu’on le prenne pour un révisionniste. D’ailleurs, il respectait la sagesse et l’autorité de Mao. Il décida de peindre une affiche ciblant la professeure Wen qui lui avait un jour reproché de ne pas suffisamment s’intéresser a la politique, ce qui avait dérangé Jianhua a l’époque. Il la critiqua aussi gentiment que possible, mais d@autres reprirent plus vigoureusement son attaque contre cette enseignante et Jianhua regretta son acte. Pour satisfaire la colére grondante des jeunes, certains professeurs commencérent A avouer quelques menus péchés, mais cela ne fit qu’accroitre les soupgons des étudiants. Ces derniers devaient faire davantage pression sur les enseignants pour qu’ils leur disent toute la vérité. Un des éléves, surnommé « Petit Bawang » (bawang signifiant « surveillant » parce qu'il aimait donner des ordres), savait comment s'y prendre. Il avait lu la description de Mao sur les paysans qui, durant la révolution des années 1940, avaient capturé les propriétaires terriens les plus connus et les faisaient défiler dans les villages affublés de bonnets d’ane et portant autour du cou de grosses planches de bois sur lesquelles étaient inscrits leurs crimes. Pour éviter ce genre d’humiliation en public, les enseignants allaient certainement se confesser. Les étudiants tombérent d’accord et leur premiére cible fut le professeur Li, celui que Jianhua affectionnait tout particuliérement. Le professeur Li était accusé de feindre son adhésion au communisme. Des histoires commencérent a circuler selon lesquelles il aurait raconté a des collégues ses visites dans les bordels de Shanghai. I] menait visiblement une double vie et Jianhua se sentait décu par lui. Avant la révolution communiste, la Chine était une nation cruelle, et si Li cherchait a revenir 4 cette époque, Jianhua ne pouvait que le détester. Puisqu’il refusait de confesser le moindre crime, Li fut le premier a étre exhibé dans l’école en portant un bonnet d’ane et sa planche de bois autour du cou. Des éléves lui versérent méme de la colle & affiche sur la téte. Jianhua suivit le défilé a distance, cherchant 4 masquer son mal-étre face a Thumiliation de son professeur. Menés par Petit Bawang, les éléves imposérent le méme traitement 4 d’autres enseignants, les bonnets d’dne devenant de plus en plus grands et les planches de bois de plus en plus lourdes. A l'image de leurs fréres et sceurs de Pékin, les éléves mirent sur pied des « réunions de lutte » au cours desquelles ils forcaient des professeurs a prendre la position de Pavion — encadrés par des jeunes qui leur tiraient les cheveux en arriére, ils devaient se tenir 4 genoux, les bras écartés comme les ailes d’un avion. C’était une position trés douloureuse, mais ce supplice semblait faire effet car, au bout d’une heure ou deux, nombreux étaient les enseignants qui se confessaient. Les soupcons des éléves se confirmaient : Vécole grouillait de révisionnistes ! Trés vite, attention des éléves se porta sur le sous-directeur, Lin Sheng. Ils avaient découvert que c’était le fils d’un propriétaire terrien réputé, Il était le troisigme plus haut responsable de l’école. Un jour, Jianhua, qui avait fait une bétise, avait été envoyé dans le bureau du sous-directeur et Sheng s’était montré assez indulgent avec lui, ce quil avait fortement apprécié. Les étudiants enfermérent Lin Sheng dans une piéce oti il devait rester entre deux « réunions de lutte », mais alors qu’il était de garde un jour, Jianhua découvrit que celui-ci s’était pendu. Une fois de plus, Jianhua essaya de refouler son mal- étre, mais il reconnaissait que ce suicide donnait A penser que Lin Sheng ne devait pas avoir la conscience tranquille. Au milieu de tout ce chaos, Jianhua croisa un jour Fangpu, qui était surexcité. Depuis qu’il avait di présenter ses excuses en public a Ding, il faisait profil bas. Il avait passé son temps & dévorer les livres de Mao et Marx, et préparait son prochain coup. Pékin avait donné Yordre aux comités de travail de se retirer de toutes les écoles. Les étudiants devaient former leurs propres comités, choisir un responsable de Pétablissement pour le chapeauter et gérer Pécole A travers le comité. Fangpu voulait devenir le chef du comité des éléves. Il allait faire une révolte ouverte a lencontre du secrétaire Ding. Jianhua ne pouvait qu’admirer son courage et sa persévérance. Par Petit Bawang, qui avait soutiré d'autres confessions des enseignants, Fangpu apprit que le secrétaire Ding avait eu des liaisons avec au moins deux enseignantes, ce qui montrait bien son hypocrisie. C’était lui qui fulminait contre la décadence de l'Occident et qui demandait aux étudiants et étudiantes de garder leurs distances les uns avec les autres. Bawang et Fangpu fouillérent son bureau et découvrirent qu'il amassait des bons d’alimentation et possédait une radio de luxe et de bonnes bouteilles de vin bien cachées. Bient6t, des affiches visant Ding furent collées sur les murs. Méme Jianhua était indigné par son comportement. Evidemment, Ding Yi fut exhibé dans I’école puis dans la ville de Yizhen, portant sur la téte le plus gros bonnet d’ane jamais vu décoré de dessins de monstres et, autour du cou, un lourd tambour. Pendant qu'il frappait le tambour dune main et tenait le bonnet d’Ane de l'autre, il devait chanter « Je suis Ding Yi, démon beeuf et esprit serpent ». Les habitants de Yizhen qui connaissaient le secrétaire Ding étaient interloqués par le spectacle. Le monde avait bel et bien été chamboulé. Au milieu de l’été, la plupart des enseignants avaient fui. Lorsqu’il fut temps de former le comité pour gérer ’école, il n’en restait pas beaucoup pour endosser le réle de président. Aux cétés de Fangpu, le chef des étudiants, un professeur discret et inoffensif, Deng Zeng, fut désigné a ce poste aprés le départ du comité de travail. Tandis que les étudiants progressaient dans leur révolution, Jianhua commencait A se prendre au jeu. Avec son ami Zongwei, il portait de vieilles lances et épées pendant qu’ils patrouillaient dans lécole a la recherche d’espions. C’était comme dans les livres qu’il aimait tant lire. Avec ses camarades, ils marchaient en colonne jusqu’a la ville en brandissant d’énormes drapeaux rouges, des affiches du président Mao, des exemplaires de son Petit Livre rouge. Ils entonnaient des slogans révolutionnaires au son des tambours et des cymbales. C’était trés théAtral, mais ils avaient impression de participer A la révolution. Un jour, ils traversérent Yizhen en détruisant les boutiques et les panneaux de signalisation qui représentaient des vestiges de la Chine prérévolutionnaire. C’est stir, Mao serait fier d’eux. Entre-temps, 4 Pékin, des étudiants avaient formé des groupes pour soutenir et défendre Mao et sa Révolution culturelle ; ils se faisaient appeler les Gardes rouges et portaient un brassard rouge vif. Mao approuva cette formation et des unités de Gardes rouges commencérent a faire leur apparition dans les écoles et universités partout dans le pays. Seuls les plus fervents des révolutionnaires étaient admis chez les Gardes rouges et la concurrence était acharnée pour rejoindre leurs rangs. Grace aux bons états de service de son pére, Jianhua put en devenir un. II devint l'objet d’admiration de la part de ses camarades et des habitants du coin qui remarquaient le brassard qu’il n’était jamais. Mais il y eut une ombre au tableau : alors qu'il rendait visite A ses parents dans la ville voisine de Lingzhi, Jianhua découvrit que les étudiants locaux avaient accusé son pére d’étre un révi se souciait, d’aprés eux, davantage d’agriculture et d’argent que de participer a la révolution. Ils avaient réussi a le faire renvoyer de son poste au gouvernement et lui avait fait subir plusieurs « réunions de lutte ». La famille de Jianhua était donc tombée en disgrace. Méme s'il aimait et admirait son pére et s’inquiétait pour lui, i] angoissait 4 onniste car il Pidée que la nouvelle de la disgrace familiale parvienne jusqu’A son école. Il pourrait perdre son brassard et étre mis a l’écart. Il devait faire attention en évoquant sa famille. Lorsqu’il rentra au pensionnat plusieurs semaines plus tard, Jianhua remarqua des changements radicaux : Fangpu avait consolidé son pouvoir. II avait formé un nouveau groupe, le Corps LOrient est rouge. Ses camarades et lui avaient réussi a renvoyer le président Deng et géraient maintenant |’école tout seuls. Ils avaient lancé un journal, les Infos du front, pour promouvoir et défendre leurs actions. Jianhua apprit également qu’un autre enseignant était mort dans des circonstances suspectes. Un jour, Fangpu rendit visite A Jianhua et linvita A devenir reporter pour son journal. Fangpu avait l’air différent — il avait pris du poids, n’était plus aussi blafard et se laissait pousser une barbe. La proposition était alléchante, mais quelque chose poussa Jianhua la décliner, Cela déplut & Fangpu qui tenta de cacher son irritation sous un sourire forcé. Fangpu commengait a effrayer Jianhua. Désormais, les étudiants rejoignaient le Corps LOrient est rouge en masse, mais en quelques semaines, un groupe rival appelé les Rebelles rouges fit son apparition sur le campus. Leur leader était Mengzhe, un étudiant dont les parents étaient des paysans et qui préconisait une révolution plus tolérante fondée sur la raison et non sur la violence, une forme plus pure de la doctrine de Mao, selon lui. Mengzhe attira un certain nombre d’adhérents, dont le frére ainé de Jianhua, Weihua, qui étudiait aussi sur le méme campus. La popularité croissante de Mengzhe mettait Fangpu hors de lui. Il le traitait de royaliste, de romantique et de contre-révolutionnaire masqué. Avec ses partisans, il saccagea le bureau des Rebelles rouges et menaca aller encore plus loin. Méme si cela allait le séparer de Fangpu, Jianhua envisagea de rejoindre les Rebelles rouges, car il était attiré par leur idéalisme. Alors que la tension entre les deux groupes menagait de tourner a la guerre, un représentant de l’armée chinoise arriva sur le campus et décréta que les militaires prenaient désormais le relais. Mao avait envoyé des unités reprendre le contréle des écoles dans tout le pays. Le chaos et la violence ne se produisaient pas uniquement a Yizhen, mais partout en Chine, dans les écoles, les usines et les bureaux du gouvernement ; la Révolution culturelle devenait ingérable. Bientét, trente-six soldats s’installérent sur le campus. Ils faisaient partie de lunité 901. Is donnérent l’ordre de démanteler les factions ainsi que de reprendre les cours. Les exercices militaires et la discipline seraient également rétablis. Mais trop de choses avaient changé en huit mois. Les étudiants étaient contre ce soudain retour de la discipline. Ils boudaient les cours et les séchaient. Fangpu se chargea d’organiser une campagne pour renvoyer les soldats. Il colla des affiches accusant l'unité 901 d’étre ’ennemie de la Révolution culturelle. Un jour, ses camarades et lui agressérent un officier et le blessérent avec un lance-pierre. Alors que les étudiants craignaient des représailles, Punité 901 fut brusquement rappelée sans explication. Les étudiants étaient maintenant livrés 4 eux-mémes et cela les effrayait. IIs s'alligrent rapidement a l'un des deux groupes. Certains rejoignirent le Corps [Orient est rouge parce qu'il était plus important et proposait de meilleurs postes ; d’autres suivirent les Rebelles rouges parce qu’ils n’aimaient pas Fangpu et Petit Bawang ; d’autres encore choisirent un groupe ou l'autre parce qurils le jugeaient plus révolutionnaire. Jianhua rejoignit ainsi les Rebelles rouges, comme son ami Zongwei. Chaque groupe était persuadé de représenter le véritable esprit de la Révolution culturelle. Ils se disputaient et se battaient. Personne métait la pour les en empécher. Bientdt, les étudiants apportérent des batons pour se battre. On ne comptait plus les blessés. Un jour, des membres du Corps LOrient est rouge firent des prisonniers parmi les Rebelles rouges. Personne ne savait rien de leur sort. Au milieu de cette tension, les Rebelles rouges découvrirent qu'une de leurs camarades, Yulan, était une espionne a la solde de l'autre camp. Furieux, ils l’'attachérent et la frappérent pour qu'elle leur dise s'il y en avait d’autres dans leurs rangs. A la grande surprise de Jianhua qui considérait cela comme une trahison de leurs idéaux, Yulan demeura muette malgré les coups. Elle fut échangée contre les prisonniers retenus par le Corps LOrient est rouge, mais l’animosité entre les deux camps avait désormais atteint son paroxysme. Quelques semaines plus tard, le Corps LOrient est rouge partit de Vécole en masse et établit ses quartiers généraux dans un immeuble de la ville qu’ils avaient réquisitionné. Mengzhe décida de former une équipe commando qui opérerait la nuit dans Yizhen pour surveiller le Corps et procéder A des actes de sabotage. Jianhua fut désigné reporter de l’équipe. C’était un poste excitant. Les rencontres avec Tennemi en ville se soldaient par des batailles & coup de lance-pierre. Puis le Corps captura l'un des commandos, un certain Heping. Quelques jours plus tard, on le retrouva mort a l’hépital. Le Corps lui avait mis une chaussette dans la bouche et l’avait conduit en jeep dans le désert. Il avait suffoqué pendant le trajet. Maintenant, méme Mengzhe en avait assez et jura vengeance pour cette mort horrible. Jianhua ne pouvait qu’acquiescer. Alors que les escarmouches s’étendaient dans toute la ville, les habitants fuirent et laissérent des immeubles entiers en proie aux pillards, Les Rebelles rouges passérent rapidement a offensive. Avec des artisans locaux, ils produisirent des épées et des lances solides. Les victimes s’accumulaient. Finalement, les Rebelles réussirent 4 encercler le bastion du Corps et préparérent offensive finale. Les membres du Corps prirent la fuite, laissant derriére eux un petit groupe de soldats étudiants dans l’immeuble. Alors que les Rebelles leur demandaient de se rendre, au troisiéme étage, une fenétre s‘ouvrit brusquement. C’était la jeune Yulan qui cria : « Je préfére mourir que de me rendre ! » Brandissant le drapeau écarlate des Corps, elle cria encore : « Longue vie au président Mao ! » avant de se jeter par la fenétre. Jianhua la trouva par terre, sans vie, enveloppée de son drapeau. Son dévouement 4 la cause /’étonnait et Vimpressionnait. Contrélant désormais la situation, les Rebelles rouges installérent leur QG dans l’école et préparérent leur défense en vue d’une contre- offensive des Corps. Ils montérent une usine de munitions de fortune sur le campus. Certains étudiants avaient appris a fabriquer des grenades et des bombes artisanales. Une explosion involontaire en tua plusieurs, mais le travail se poursuivit. Zongwei, l’artiste du groupe, en eut assez. Les nobles origines des Rebelles avaient disparu et il craignait Pescalade de la violence. Il partit de Yizhen pour de bon. Jianhua perdit son respect pour ce camarade. Comment Zongwei pouvait-il oublier les blessés ou les morts pour leur cause ? Abandonner maintenant revenait a dire que tout avait été vain. Il ne voulait pas passer pour un poltron comme son ami. En outre, le Corps LOrient est rouge était démoniaque et prét a tout pour reprendre le pouvoir. Ils avaient trahi la révolution. Alors que la vie A lécole reprenait son cours et que les Rebelles rouges consolidaient leurs défenses, Jianhua rendit visite A sa famille qu’il n’avait pas vue depuis longtemps. En rentrant a V’école un soir, il fut abasourdi : il ne vit aucun de ses camarades Rebelles et leur drapeau ne flottait plus sur le toit. Il y avait des soldats armés partout. Enfin, il dénicha quelques camarades cachés dans un batiment. Ils lui racontérent ce qui s’était passé : Mao réaffirmait son autorité une bonne fois pour toutes ; il choisissait son camp dans les divers conflits locaux pour imposer Yordre ; les militaires avaient pris le parti du Corps [Orient est rouge, jugé plus révolutionnaire. Les répercussions s’annoncaient dramatiques. Jianhua et plusieurs camarades tentérent de fuir pour se regrouper dans les montagnes, apparemment 14 ott Mengzhe avait fui. Hélas, il y avait un blocus dans toute la région et on les forca A revenir a lécole, qui s’était transformée en prison surveillée par les Corps. Désormais, les Rebelles s’attendaient au pire. Pour les Corps, était une bande de contre-révolutionnaires qui avaient frappé et tué leurs camarades. Un jour, les membres des Rebelles sur le campus furent rassemblés dans une piéce. Les chefs des Corps, y compris Fangpu et Petit Bawang, entrérent avec des grenades 4 la ceinture. Fangpu tenait la liste noire de ceux qu'il fallait faire sortir de la pice, clairement dans un but funeste. Fangpu se montra indulgent avec Jianhua et lui déclara qu'il n’était pas trop tard pour changer de camp. Mais Jianhua ne voyait plus Fangpu du méme ceil. Son ton amical le rendait encore plus sinistre. Cette nuit-la, ils entendirent les cris de leurs camarades black- listés dans un autre batiment. Ils apprirent que les Corps avaient retrouvé Mengzhe, qu’ils ’avaient battu et raccompagné a ’école ott il était détenu lui aussi. Dans la piéce voisine de celle oti Jianhua et ses camarades dormaient, ils virent Petit Bawang et ses lieutenants couvrir les fenétres de couvertures pour la transformer en piéce de torture. Ils apercurent d’anciens Rebelles rouges partir du campus en boitant, terrorisés a Pidée de parler A quelqu’un. Puis ce fut au tour de Jianhua d’entrer dans la piéce de torture. Il eut les yeux bandés et fut ligoté a une chaise dans une position trés inconfortable. Ses bourreaux voulaient qu’il signe une déclaration de désengagement. Puisqu’il hésitait A signer, ils le frappérent avec un pied de chaise. Jianhua cria : « Vous ne pouvez pas me faire ca ! On est des camarades de classe ! On est tous des camarades de classe... » Mais Petit Bawang ne voulait rien entendre. Jianhua devait confesser ses crimes, avouer sa participation a plusieurs échauffourées en ville et nommer les Rebelles cachés sur le campus. Les coups sur ses jambes pleuvaient, puis ils commencérent a le frapper a la téte. Toujours les yeux bandés, Jianhua craignait pour sa vie et, dans la panique, il dénonca un camarade Rebelle, Dusu. Jianhua finit par étre trainé hors de la piéce et regretta vite d’avoir dénoncé son camarade. II se sentait lache. Il tenta de prévenir Dusu, mais c’était déja trop tard. La torture d’autres Rebelles rouges se poursuivit dans la piéce d’a cété. Son frére Weihua fut horriblement battu. Mengzhe eut la téte rasée et couverte d’affreux hématomes. Un jour, Jianhua fut prévenu que son ancien ami et camarade Zongwei avait été capturé. Lorsqu’il le vit, Zongwei était inconscient. Des plaies de ses jambes coulait du sang en abondance. Il avait été frappé avec des crochets en acier parce qu'il refusait de reconnaitre ses crimes. Comment est-ce que l’inoffensif Zongwei avait pu étre Tobjet d’une telle sauvagerie ? Jianhua courut trouver le médecin, mais lorsqu’il revint, c’était déja trop tard : Zongwei mourut dans les bras de son ami. Son corps fut rapidement emmené et une histoire fut inventée pour cacher la vérité sur sa mort. Jianhua recut l’ordre de ne rien dire. Une enseignante, qui refusa de confirmer la version officielle du Corps LOrient est rouge au sujet de sa mort, fut battue et violée par Petit Bawang et ses partisans. Les mois suivants, Fangpu étendit son pouvoir partout car il gérait Vensemble de Vécole. Les cours reprirent. Le journal Infos du front était le seul autorisé. Lécole elle-méme avait été rebaptisée le collége LOrient est rouge. Le pouvoir du Corps étant assuré, la chambre de torture fut démantelée. Les cours consistaient en grande partie a réciter des paroles de Mao. Chaque mois, les éléves se regroupaient sous une affiche géante du Président et, brandissant leur Petit Livre rouge, chantaient des hymnes & sa longévité. Les membres de LOrient est rouge commencérent 4 réécrire le passé scrupuleusement. Ils montérent une exposition pour commémorer leurs victoires, avec nombre de photos retouchées et de faux rapports de presse pour renforcer leur version des faits. Une énorme statue de Mao, cing fois plus grande que nature, fut érigée au portail de l’école. Les anciens membres des Rebelles rouges devaient porter des brassards blancs sur lesquels étaient inscrits leurs crimes. Ils devaient s’incliner plusieurs fois par jour devant la statue de Mao pendant que leurs camarades leur bottaient les fesses. Les ex- Rebelles, comme les enseignants injuriés, étaient devenus craintifs et obéissants. Jianhua fut forcé d’exécuter des taches ingrates et lorsqu’il n’y eut plus rien a faire au début de I’été 1968, il rentra chez ses parents. Son pére l'envoya avec son frére cultiver des champs dans les montagnes ou ils seraient en sécurité. En septembre, bien décidé a terminer ses études, Jianhua retourna a I’école. Ces quelques mois lui avaient permis de prendre du recul et quand il vit 4 nouveau le collége, il lui parut bien différent : tout avait été saccagé — les salles de classe r’avaient plus de bureaux ni de chaises, les affiches et du platre tombaient des murs ; le labo de chimie ne disposait plus d’aucun matériel ; le campus était jonché de gravats ; il y avait des tombes non identifiées partout ; auditorium avait été détruit par une bombe et il n’y avait plus un seul enseignant réputé pour parfaire l'éducation des éléves. Tout avait été détruit en quelques années, et dans quel but ? A quoi servait la mort de Heping, Yulan, Zongwei et tant d’autres ? Pourquoi s’étaient-ils disputés ? Qu’avaient-ils appris ? Jianhua Vignorait et ce gachis le remplit de dégotit et de désespoir. Avec son frére, Jianhua s’engagea dans l’armée pour fuir ’école et oublier. Au cours des années qui suivirent, il fut conducteur de camion militaire et assurait des livraisons de pierres et de ciment. Avec ses camarades, il vit le lent démontage de la Révolution culturelle, dont tous les anciens leaders tombaient en disgrace. Aprés la mort de Mao en 1976, le Parti communiste reconnut enfin que la Révolution culturelle avait été une catastrophe nationale. Interprétation — Cette histoire et ses personnages sont issus du livre Born Red (1987) de Gao Yuan. (Aprés la Révolution culturelle, Tauteur, en réalité Gao Jianhua, a changé son nom.) II s’agit d’une chronique des événements auxquels il a participé dans son collége pendant la Révolution culturelle. En substance, la Révolution culturelle était la tentative de Mao de changer la nature humaine. Selon lui, aprés des millénaires de capitalisme sous diverses formes, les étres humains étaient devenus individualistes et conservateurs, ancrés dans leur classe sociale. Mao voulait tout effacer et recommencer de zéro. Comme il l’expliquait : « Une feuille de papier blanche n’a pas de tache : on peut y peindre les dessins les plus nouveaux et les plus beaux. » Pour avoir cette feuille blanche, Mao devait bousculer les choses a grande échelle en mettant fin aux habitudes et méthodes de pensée, et en supprimant le respect aveugle des gens pour ceux qui détenaient l’autorité. Ensuite, il pouvait commencer A peindre quelque chose de nouveau et d’audacieux sur cette toile vierge. Le résultat serait une nouvelle génération qui commencerait A forger une société sans classes sociales, qui ne serait pas alourdie par le poids de son passé. Les événements décrits dans Born Red dévoilent dans un microcosme le résultat de P'expérience de Mao — essayez de déraciner la nature humaine et elle refera surface sous une forme différente. Le résultat de centaines de milliers d’années d’évolution et de développement ne peut pas se changer radicalement par un stratagéme quelconque, surtout lorsqu’il implique le comportement des étres humains en groupe qui, inévitablement, se conforme a danciens schémas. (Méme s'il serait tentant de considérer les événements au collége de Yizhen comme révélateurs du comportement d’un groupe d’adolescents, les jeunes représentent souvent la nature humaine dans une forme plus pure que les adultes, qui savent mieux cacher leurs motivations. Quoi qu’il en soit, ce qui s’est produit dans cette école s’est produit dans toute la Chine — dans les administrations, les usines, au sein de ’armée, parmi les Chinois de tous Ages - d'une facon étrangement similaire.) Voici précisément pourquoi l’expérience de Mao a échoué et ce que cela révéle sur la nature humaine. Mao avait adopté la stratégie suivante pour mettre en ceuvre son idée audacieuse : concentrer l'attention du peuple sur un ennemi légitime - ici, les révisionnistes, ceux qui consciemment ou inconsciemment étaient trop attachés au passé. Encourager les gens, notamment les jeunes, a lutter activement contre cette force réactionnaire mais aussi contre toute forme d’autorité bien établie. En luttant contre ces ennemis conservateurs, les Chinois pourraient se libérer des anciens schémas de pensée et d’action ; ils se débarrasseraient enfin des élites et du systéme de rangs. Ils seraient unifiés en tant que classe révolutionnaire, en sachant clairement pourquoi ils luttaient. Mais la stratégie de Mao avait un défaut fatal : quand les gens agissent en groupe, ils ne nuancent pas leurs pensées et n’analysent rien en profondeur. Seuls les individus calmes et détachés peuvent le faire. En groupe, les gens sont émotifs et surexcités. Leur désir primaire est de s'intégrer A cet esprit de groupe. Leur réflexion tend a étre simpliste - le bien contre le mal, avec nous ou contre nous. Ils cherchent une forme d’autorité pour simplifier les choses délibérément le chaos comme Mao Ia fait renforce les chances pour le groupe de tomber dans ces modes de pensée primitifs, puisque les étres humains ont trop peur de vivre dans I’incertitude et la confusion. Créer Regardez comment les étudiants de Yizhen ont répondu a l'appel de Mao : confrontés pour la premiére fois 4 la Révolution culturelle, ils ont simplement pris Mao pour leur nouvelle figure d’autorité afin @étre guidés. Ils ont gobé ses idées avec trés peu de réflexion personnelle. Ils ont imité leurs camarades de Pékin de fagon trés conformiste. En cherchant a débusquer des révisionnistes, ils s’appuyaient sur les apparences — les vétements que portaient les enseignants, la nourriture ou le vin qu’ils buvaient, leurs maniéres, leur contexte familial. Mais les apparences peuvent étre trompeuses. La professeure Wen avait des idées radicales mais a été considérée comme une révisionniste parce qu’elle aimait la mode vestimentaire occidentale. Dans ordre ancien, les étudiants étaient censés obéir sans discuter a leurs professeurs tout-puissants. Soudain libérés de cela, ils sont restés tout aussi émotionnellement liés au passé. Les enseignants paraissaient toujours aussi puissants, mais désormais comme des contre-révolutionnaires intrigants. Les rancoeurs refoulées des étudiants pour avoir été si obéissants se déchainaient en colére et en volonté de punir et d’oppresser a leur tour. Quand les enseignants avouaient des crimes qu’ils n’avaient pour la plupart jamais commis afin d’éviter les représailles, cela ne faisait que conforter les étudiants dans leur paranoia. Ils avaient changé de réle, de ’étudiant obéissant A Toppresseur, mais leur raisonnement était devenu encore plus simpliste et illogique, A ’opposé de ce que Mao avait voulu. Dans la vacance de pouvoir créée par Mao, une autre dynamique de groupe ancestrale a ressurgi : ceux qui étaient naturellement plus convaincants, agressifs et méme sadiques (comme Fangpu et Petit Bawang) se sont mis en avant et ont pris le pouvoir, tandis que les plus passifs (Jianhua, Zongwei) se fondaient dans le décor et devenaient des suiveurs. Les individus agressifs de lécole formaient désormais une nouvelle élite avec ses avantages et priviléges. De méme, au milieu de la confusion que la Révolution culturelle avait engendrée, les étudiants étaient obsédés par leur statut au sein du groupe. Ils se demandaient qui, parmi eux, était dans la bonne catégorie. Etait-ce mieux d’étre issu de la classe paysanne ou du prolétariat ? Comment se sont-ils débrouillés pour intégrer la Garde rouge et obtenir le magnifique brassard qui indiquait leur statut élite révolutionnaire ? Au lieu de pencher naturellement vers un nouvel ordre égalitaire, les étudiants s’efforcaient d’occuper des postes supérieurs. Une fois que toute forme d’autorité a été éliminée et que les étudiants géraient leur école, rien ne pouvait empécher l’étape suivante et la plus dangereuse dans l’évolution de la dynamique de groupe - la division en factions tribales. Par nature, nous, les étres humains, rejetons les tentatives de quiconque de monopoliser le pouvoir, comme Fangpu a essayé de le faire. Cela élimine les opportunités pour d’autres personnes ambitieuses et agressives. Cela crée aussi de vastes regroupements dans lesquels les membres peuvent individuellement se sentir perdus. Inévitablement, les groupes se diviseront en petites factions et tribus rivales. Dans ces derniéres, un nouveau chef charismatique (ici, Mengzhe) prendra le pouvoir, Les membres de la faction s’identifient plus facilement 4 un nombre restreint de camarades. Les liens sont resserrés et se renforcent en luttant contre la tribu ennemie. Les gens peuvent croire quiils adhérent a une tribu ou une autre en raison de leurs idéaux ou de leurs objectifs spécifiques, mais ce qu’ils cherchent avant tout, c'est Je sentiment d’appartenance et une identité tribale claire. Regardez les différences entre les Corps LOrient est rouge et les Rebelles rouges. Alors que l'animosité entre les deux groupes sintensifiait, il était difficile de dire pourquoi ils se battaient, hormis le fait de prendre l’ascendant sur l'autre groupe. Tout acte fort ou vicieux appelait des représailles de Pautre partie, et toute forme de violence semblait complétement justifiée. Il n’y avait pas de terrain neutre ni de remise en question du bien-fondé de leur cause. La tribu a toujours raison et dire le contraire revient a la trahir, comme I’a fait Zongwei. Mao avait voulu créer une citoyenneté chinoise unifiée, avec des objectifs clairs, mais A la place, tout le pays s'est adonné a des guerres tribales complétement déconnectées de la raison d’étre originelle de la Révolution culturelle. Et pour ne rien arranger, le taux de criminalité s’est envolé et l'économie tout entiére a stagné. Personne ne se sentait obligé de travailler ou de produire quoi que ce soit. Le peuple était devenu plus paresseux et vindicatif que sous l’ancien régime. Au printemps 1968, Mao n’avait plus qu’un seul recours : établir un état policier. Des centaines de milliers de personnes ont atterri en prison. Larmée a pris le contréle du pays. Pour restaurer Pordre et le respect de l’autorité, Mao s’est converti en personnage culte. Son image devait étre vénérée et ses paroles répétées comme des prigres révolutionnaires. La forme de répression de Fangpu a l’école — les tortures, la réécriture de l’Histoire, le contréle de la presse — reflétait ce que Mao faisait dans le reste du pays. La nouvelle société révolutionnaire que Mao (et Fangpu) désirait ressemblait désormais au régime le plus répressif et superstitieux de la Chine féodale. Le pére de Jianhua, également victime de la Révolution culturelle, ne cessait de répéter a son fils : « Quand on pousse les choses trop loin, on obtient l’effet inverse. » Quelle lecon en retenir ? Nous pourrions nous dire que cet exemple extréme n’est pas pertinent dans notre vie actuelle ou pour le groupe auquel nous appartenons. Aprés tout, nous naviguons dans des univers remplis de personnes sophistiquées, dans des bureaux high-tech ot tout le monde semble poli et civil Et nous nous voyons pareillement : nous avons des idéaux progressistes et une indépendance de pensée. Mais cest globalement une illusion. Si nous nous examinons plus honnétement, nous devons admettre qu’au moment ot nous mettons les pieds dans notre espace de travail ou dans n’importe quel groupe, nous subissons un changement. Nous passons facilement des modes de pensée et des comportements plus primitifs sans nous en rendre compte. Avec les autres, nous nous demandons naturellement ce qu’ils pensent de nous. Nous ressentons une certaine pression pour nous intégrer, et pour y parvenir, nous commengons a modeler nos pensées et nos croyances selon les orthodoxies du groupe. Inconsciemment, nous imitons les autres membres — apparence, facon de s’exprimer, idées. Nous nous inquiétons énormément de notre statut et de notre rang dans la hiérarchie : « Est-ce que je suis autant respecté que mes collégues ? » C’est une partie primate de notre nature, car nous partageons cette obsession 4 propos du statut avec nos cousins chimpanzés. En fonction des schémas issus de notre petite enfance, nous devenons, au sein du groupe, plus passifs ou agressifs que @ordinaire, révélant les facettes les moins développées de notre personnalité. Quant aux leaders, nous ne les considérons généralement pas comme des gens ordinaires. Nous nous sentons intimidés en leur présence, comme s’ils possédaient un superpouvoir mythique. Quand nous examinons le principal rival ou ennemi de notre groupe, nous ne pouvons nous empécher de nous énerver un peu et d’exagérer ses qualités négatives. Si d’autres membres du groupe sont angoissés ou scandalisés par quelque chose, nous sommes souvent contaminés par Thumeur générale. Tout cela indique subtilement que nous sommes sous l’influence du groupe. Si nous subissons ces transformations, nous pouvons étre certains que nos collégues vivent les mémes. Maintenant, imaginez qu’une menace extérieure vise le bien-étre ou la stabilité de notre groupe, qu’il y ait une crise. Toutes les réactions ci-dessus seraient intensifiées par le stress et notre groupe apparemment civilisé et sophistiqué pourrait devenir explosif. Nous ressentirions plus de pression pour prouver notre loyauté et nous adhérerions a tout ce que le groupe préconise. Nos réflexions sur le rival ou Pennemi deviendraient encore plus simplistes et envenimées. Nous serions submergés par des vagues plus puissantes d’émotions virales, y compris des vagues de panique, de haine ou de mégalomanie. Notre groupe pourrait se diviser en factions a la dynamique tribale. Des leaders charismatiques pourraient facilement apparaitre pour exploiter cette instabilité. Si l’on creuse plus loin, une agressivité latente se cache sous la surface de n’importe quel groupe. Méme si nous nous retenons de nous montrer ouvertement agressifs, la dynamique primitive qui prend le dessus peut avoir de graves conséquences. Le groupe surréagit et prend des décisions fondées sur des craintes exagérées ou une excitation incontrélable. Pour résister a l’attirance vers le bas que tout groupe exerce inévitablement sur nous, nous devons mener une expérimentation sur la nature humaine radicalement différente de celle de Mao, avec un objectif simple en téte — développer la capacité de se détacher d’un groupe et créer un espace intellectuel pour penser de fagon indépendante. Nous commengons cette expérience en acceptant le fait que le groupe exerce une grande influence sur nous. Nous sommes brusquement honnétes avec nous-mémes, conscients que notre besoin d’intégration peut modeler et modifier notre réflexion. Est-ce que cette angoisse ou cette indignation nous est propre, ou est- elle inspirée par le groupe ? Nous devons analyser notre tendance a diaboliser ’ennemi et la contréler. Nous devons nous efforcer de ne pas vénérer aveuglément nos leaders ; nous les respectons pour ce quils ont accompli, mais ne ressentons pas le besoin de les diviniser. Il faut étre particuliérement attentif avec les leaders trés charismatiques, essayer de les démystifier et de les faire atterrir. Cette conscience nous permet de résister et de nous détacher du groupe. En outre, il ne faut pas seulement accepter la nature humaine, mais ceuvrer avec pour la rendre productive. Nous avons tous besoin de reconnaissance et de statut, c’est certain, mais autant les cultiver grace a lexcellence de notre travail. Nous devons accepter notre besoin d’appartenir 4 un groupe et de prouver notre loyauté, mais faisons-le de facon plus positive - en contestant les décisions du groupe qui lui feront du tort 4 long terme, en proposant des avis divergents, en menant doucement et stratégiquement le groupe dans une direction plus rationnelle. Utilisons la nature virale des émotions dans le groupe, mais en jouant sur différentes émotions : en restant calmes et patients, en nous concentrant sur les résultats et en coopérant avec les autres pour faire avancer les choses, nous pouvons commencer a répandre cet état d’esprit au sein du groupe. Si nous maitrisons les cdtés primitifs de notre personnalité dans Tenvironnement animé d’un groupe, nous pouvons émerger en tant qu’individus réellement indépendants et lucides — le point final de Vexpérience. Quand les gens ont la possibilité d'agir a leur guise, ils choisissent généralement d'imiter les autres. Eric Hoffer Les clés de la nature humaine A certains moments de la vie, nous connaissons un regain d’énergie semblable a nul autre, mais nous en parlons ou lanalysons rarement. On peut le décrire comme le sentiment intense d’appartenance a un groupe et nous le vivons souvent dans les situations suivantes. Admettons qu’on se retrouve dans le public lors d’un grand concert, un événement sportif ou une réunion politique. A certains moments, on est submergés par des vagues d’excitation, de colére, de joie, et des milliers d'autres partagent ce sentiment. Ces émotions surgissent en nous de fagon automatique. On ne peut pas les vivre quand on est seuls ou avec quelques autres personnes. Dans ce contexte de groupe important, on peut étre amenés a dire ou faire des choses qu’on n’aurait jamais dites ou faites seuls. Dans la méme veine, imaginons qu’on doit faire un discours devant un groupe. Si le trac n’est pas trop fort et que le public est avec nous, on ressent une vague d’émotion nous envahir. C’est le public qui nous nourrit. Notre voix prend une tonalité que l'on n’a pas normalement, nos gestes et notre langage corporel sont inhabituellement animés. On peut aussi le vivre de l'autre cété, quand on écoute un orateur charismatique. Il semble étre animé par une puissance spéciale qui impose notre respect et nous surexcite. Ou peut-étre qu’on travaille en équipe et qu’on a un objectif essentiel 4 atteindre dans un temps trés limité. On se sent obligés d’en faire plus que @habitude, de travailler encore plus dur. On sent une décharge d’énergie qui vient du fait de nous sentir connectés aux autres qui travaillent dans ce méme état desprit. Il arrive méme que les membres du groupe n’aient plus besoin de se parler — on est tous sur la méme longueur d’onde et on parvient a anticiper les pensées de nos collégues. Ces sentiments ne se manifestent pas de facon rationnelle ; ils nous viennent automatiquement sous forme de sensations corporelles - chair de poule, accélération du rythme cardiaque, vitalité accrue, regain de force. Appelons cette énergie la force sociale, une sorte de champ de force invisible qui touche et unit un groupe d'individus par le partage de sensations et qui crée un sentiment intense de connexion. Si Yon affronte ce champ de force de l'extérieur, cela provoque généralement de angoisse. Par exemple, lorsqu’on voyage dans un pays ou la culture est trés différente de la nétre. Ou lorsqu’on commence un travail dans une entreprise oul les gens semblent avoir une facon propre a eux d’interagir, avec une sorte de langage mystérieux. Ou encore quand on se retrouve dans un quartier d’une classe sociale trés différente de celle 4 laquelle on est habitués - plus aisée, plus pauvre. A ces occasions, on est conscients qu’on wappartient pas a ce groupe, que les autres nous considérent comme des étrangers et, au fond de nous, on se sent mal a l’aise et sur nos gardes, méme s'il n’y a rien de particulier a craindre. On peut observer quelques éléments intéressants de la force sociale : tout d’abord, elle existe a la fois en nous et en dehors de nous. Quand on connait les sensations corporelles précitées, on est quasiment sirs que d’autres personnes dans notre camp ressentent la méme chose. On sent la force intérieure, mais on la considére aussi comme extérieure 4 nous. C’est une sensation inhabituelle, un peu équivalente 4 ce qu’on ressent quand on est amoureux et qu’on fait Texpérience d’un partage d’énergie avec la personne qu’on aime. On peut aussi dire que cette force est variable. Elle dépend de la taille du groupe et de Valchimie entre ses membres. En général, plus le groupe est vaste, plus l’effet est intense. Lorsqu’on se retrouve au sein dun trés grand groupe de personnes qui partagent nos valeurs ou nos idées, on sent un regain d’énergie et de vitalité, ainsi qu’une chaleur collective qui vient du sentiment d’appartenance au groupe. Cette force multipliée dans un vaste groupe a quelque chose d’incroyable et de sublime. En présence d’un ennemi, ce regain d’énergie et cette excitation peuvent se transformer en colére et en violence. Le mélange de personnes spécifique au groupe en modéle aussi effet. Si le leader est charismatique et énergique, cela filtre A travers le groupe ou le rassemblement. Si un bon nombre d’individus ont tendance a ressentir la joie ou la colére, cela modifiera ’humeur collective. Enfin, nous sommes attirés par cette force. La foule nous attire - un stade rempli de supporters, une chorale, une parade, un carnaval, un concert, des assemblées religieuses, des conventions politiques. Dans ces situations, on revit ce que nos ancétres ont inventé et peaufiné — le regroupement du clan, les colonnes de soldats massées devant Tenceinte d'une cité, les spectacles de gladiateurs ou les représentations de théatre. Certes, il y a toujours une minorité qui a peur de ce genre de rassemblements, mais en général, on apprécie les foules de partisans pour ce qu’elles sont. Elles nous donnent Timpression d’étre vivants et vitaux. Cela peut méme devenir une addiction — on se sent obligés de nous exposer encore et encore a cette énergie. La musique et la danse incarnent cet aspect de la force sociale. Le groupe ressent le rythme et la mélodie comme un seul homme. La musique et la danse sont les premiéres formes que nous avons créées pour satisfaire ce besoin, pour extérioriser cette force. Il existe aussi un autre aspect de la force sociale, un effet contraire : c'est quand on connait une longue période d’isolement. Les prisonniers en cellule de confinement et les explorateurs isolés dans des régions reculées (voir le récit de Richard E. Byrd sur ses cing mois d’isolement en Antarctique dans son livre Seul) racontent qu’ils commencent a se sentir déconnectés de la réalité et qu’ils ont limpression que leur personnalité se désintagre. Ils deviennent sujets & des hallucinations élaborées. Ce qu’il leur manque le plus n’est pas seulement la présence des autres autour d’eux, mais le regard des autres sur eux. Au cours des premiers mois de notre vie, nous formons tout le concept de notre personne en regardant notre mére ; son regard nous donnait limpression d’exister ; elle nous disait qui Ton était en nous regardant. Adultes, nous vivons la méme sorte de validation non verbale et ressentons notre personne A travers le regard des autres. Nous n’en sommes jamais conscients car il faudrait connaitre une trés longue période d’isolement pour comprendre ce phénoméne. Il s'agit de la force sociale A son niveau le plus basique - le regard que les autres portent sur nous suffit 4 nous rassurer sur le fait que nous existons, que nous sommes entiers et que notre place est ici. La force sociale peut se ressentir dans les foules et les univers virtuels. Elle est certes moins intense que si l'on se retrouve réellement au milieu d’une foule, mais on sent la présence des autres de facon fantomatique a travers un écran (en nous et hors de nous). On consulte sans cesse notre smartphone comme le substitut d’une paire d’yeux dirigée sur nous. La force sociale chez les étres humains n’est autre qu’une version plus complexe de ce que tous les animaux sociaux connaissent. Ces derniers sont sensibles aux émotions des autres membres de leur groupe, conscients de leur réle et désireux de s'intégrer dans le groupe. (Parmi les primates plus évolués, cela inclut d’imiter ceux qui sont mieux classés dans la hiérarchie pour montrer leur infériorité.) Ils diffusent des signes physiques élaborés qui permettent au groupe de communiquer et de coopérer. Leurs rituels de toilettage resserrent leurs liens. Chasser en meute a le méme effet. Ils partagent une énergie en étant simplement rassemblés. Nous, les humains, semblons bien plus sophistiqués, mais la méme dynamique se produit en nous a un niveau non verbalisé. Nous ressentons ce que les autres membres du groupe ressentent. Nous éprouvons le besoin impérieux de nous intégrer et de jouer notre réle au sein du groupe. Inconsciemment, nous imitons les gestes et les expressions des autres, notamment ceux des leaders. Nous aimons toujours chasser en meute, sur les réseaux sociaux ou tout endroit ou nous pouvons exprimer notre colére. Nous avons nos petits rituels pour resserrer les liens du groupe — les assemblées religieuses ou politiques, les spectacles, les combats. Nous ressentons une énergie collective qui passe par un groupe de personnes sur la méme longueur d’onde. Ce qui est étrange avec cette force que nous avons en nous, c’est de constater combien nous discutons et analysons si peu au sujet @une chose si évidente, si commune dans notre expérience quotidienne. Cela peut s’expliquer par le fait qu'il est difficile détudier ces sensations de fagon scientifique, mais c’est également délibéré : au fond de nous, ce phénoméne nous dérange. Nos réactions automatiques dans un groupe, notre propension a imiter les autres nous rappellent les cétés les plus primitifs de notre nature, nos racines animales. Nous aimons nous imaginer civilisés et sophistiqués, mais aussi comme des individus qui contrélent consciemment ce qu’ils font. Notre comportement en groupe tend a faire voler ce mythe en éclats et les exemples historiques tels que la Révolution culturelle nous effrayent. Nous n’aimons pas nous considérer comme des animaux sociaux fonctionnant sous le joug de compulsions spécifiques. Cela nuit a opinion que nous avons de nous-mémes en tant qu’espéce. Ce qu’il faut retenir, c’est que la force sociale n’est ni positive, ni négative. C’est simplement une part physiologique de notre nature. De nombreux aspects de cette force qui ont évolué il y a si longtemps sont dangereux dans le monde actuel. Par exemple, la profonde méfiance ressentie envers les personnes extérieures 4 notre groupe et notre besoin de les diaboliser se sont développés chez nos premiers ancétres 4 cause des dangers des maladies infectieuses et des intentions agressives des chasseurs-cueilleurs rivaux. Quoi qu’il en soit, de telles réactions de groupe ne sont plus d’actualité au xx’ siécle. En réalité, avec les progrés technologiques, elles peuvent engendrer des comportements d’une violence extréme et génocidaire. Généralement, en fonction du degré auquel la force sociale dégénére notre capacité a penser de fagon indépendante et rationnelle, on peut dire qu’elle exerce une attirance vers le bas, vers des comportements plus primitifs, inadaptés a la situation actuelle. Pourtant, la force sociale peut étre employée a des fins positives, pour atteindre un fort niveau de coopération et d’empathie, pour tirer les gens vers le haut. C’est ce que nous vivons quand, dans un groupe, nous créons quelque chose collectivement. En tant qu’animaux sociaux, le probléme n’est pas tant cette force qui survient naturellement, mais plutét le fait de nier son existence. Nous sommes influencés par les autres sans nous en rendre compte. Habitués a suivre inconsciemment ce que les autres disent et font, nous perdons notre capacité a réfléchir par nous-mémes. Face & des grandes décisions dans la vie, nous imitons simplement ce que les autres ont fait ou écoutons les gens qui dictent la sagesse populaire. Cela peut nous amener a prendre de mauvaises décisions. Nous perdons aussi contact avec ce qui nous rend uniques, la source de notre pouvoir en tant qu’individus (voir le chapitre 13 pour plus de précisions A ce sujet). Conscientes de ces tendances naturelles en nous, certaines personnes choisissent de se rebeller et deviennent anticonformistes, mais cela peut s’avérer insensé et autodestructeur. Nous sommes des créatures sociales. Nous dépendons de notre capacité a travailler avec les autres. Se rebeller pour se rebeller va simplement nous marginaliser. Ce qu’l nous faut avant tout, c’est l’intelligence de groupe. Cette intelligence inclut la conscience de l’influence que le groupe opére sur nos émotions et nos réflexions. En étant conscients de cela, nous pouvons éviter d’étre tirés vers le bas par l’effet de groupe. Et nous comprenons aussi comment les groupes d’étres humains fonctionnent @aprés certaines lois et dynamiques, ce qui facilite notre navigation dans ces groupes. Avec cette forme d’intelligence, nous pouvons mener une danse délicate — nous devenons des acteurs sociaux doués et bien intégrés a lextérieur, alors qu’a l'intérieur, nous gardons une certaine distance et conservons notre mode de pensée. Ce degré dindépendance nous permet de prendre des décisions dans la vie qui concordent avec qui I’on est et avec la situation qui est la nétre. Pour acquérir cette forme d’intelligence, nous devons étudier et maitriser deux aspects de la force sociale : l’effet individuel du groupe sur nous et les schémas et dynamiques que tous les groupes tendent a adopter. Leffet individuel Le désir de s’ tégrer. Admettons que vous intégrez un nouveau groupe, par exemple en changeant de travail. Alors que vous essayez de vous adapter 4 votre nouvel environnement, vous étes conscient que les gens vous observent et vous considérent comme un étranger. Sur le plan non verbal, vous sentez leurs regards vous transpercer pour trouver des indices. Vous commencez a vous demander : est-ce que j'ai ma place ici ? Est-ce que j’ai dit ce quill fallait ? Qu’est-ce quils pensent de moi ? Le premier effet d'un groupe sur vous est le désir de s’intégrer et de cimenter votre appartenance au groupe. Plus vous étes intégré, moins vous défiez le groupe et ses valeurs. Cela minimisera lobservation dont vous faites Vobjet et les angoisses qui Taccompagnent. La premiére facon de le faire, Cest par l'apparence. Vous vous habillez et présentez plus ou moins comme les autres membres du groupe. Il y aura toujours un petit pourcentage de personnes qui aiment se démarquer par leur look, mais qui réussissent a se conformer quand il s’agit d'idées et de valeurs. Toutefois, la plupart des gens sont mal a ’aise quand ils ont Pair différents et font ce qu’ils peuvent pour s’intégrer. On adopte alors les vétements et le look qui envoient les bons messages — je suis sérieux, je travaille bien, j'ai peut-étre du style mais il n’est pas suffisamment original pour me démarquer. La seconde facon de s’intégrer, encore plus importante, est d’adopter les idées, les croyances, les valeurs du groupe. On peut utiliser les mémes expressions verbales que les autres. C’est un signe de ce qui se passe sous la surface. Lentement, nos idées prennent la forme de celles du groupe. Certains peuvent se rebeller contre un tel conformisme, mais il s’agit généralement de personnes qui finiront par étre renvoyées ou marginalisées. On peut garder quelques croyances ou opinions propres qu’on n’exprime pas, mais elles ne concernent pas les problémes importants pour le groupe. Plus on reste dans le groupe, plus ses effets seront puissants et insidieux. Si on observe le groupe de Vextérieur, on remarque une uniformité générale de la pensée, ce qui est assez surprenant puisqu’en tant qu’individus, nous sommes tous différents par notre tempérament et notre milieu. Cela indique qu'une subtile déformation et mise en conformité est en train de se produire. Vous avez peut-étre rejoint ce groupe parce que vous partagiez les mémes valeurs ou idées, mais avec le temps, vous découvrirez, que certaines de vos réflexions, qui étaient légérement différentes de celles des autres et qui reflétaient votre unicité, sont en train de disparaitre lentement, comme un buisson qu’on taille en haie pour qu'il ait la méme hauteur que les autres, et vous constaterez que vous étes accord avec la plupart des opinions du groupe. Vous n’avez pas vraiment conscience de ce qui vous arrive. Vous allez méme nier en bloc le fait que ce conformisme s'est opéré. Vous allez imaginer que vous avez eu ces idées tout seul, que vous avez choisi de croire en ceci ou en cela. Vous refusez de vous confronter & la force sociale qui agit sur vous et vous pousse a vous intégrer et a accroitre votre sentiment d’appartenance. A long terme, il est préférable de confronter votre conformité a la philosophie du groupe afin d’en prendre conscience et de pouvoir contréler le processus dans une certaine mesure. Le besoin de représentation. Ce second effet découle du premier — dans le contexte du groupe, nous sommes toujours en pleine représentation. Non seulement nous nous conformons aux autres sur le plan de l’apparence et de la réflexion, mais nous exagérons notre approbation pour montrer aux autres que nous avons notre place au sein du groupe. Nous devenons des acteurs, fagonnant ce que nous disons et faisons pour nous faire accepter et apprécier par les autres, qui nous considéreront alors comme un membre loyal du groupe. Nos représentations changent en fonction de la taille du groupe et de sa constitution particuliére — patrons, collégues ou amis. Au début, nous prenons un peu de recul pendant ces représentations, conscients par exemple que nous sommes un peu plus obséquieux que d’habitude avec le patron. Mais par la suite, en jouant notre réle, nous commencons a ressentir ce que nous montrons ; notre distance intérieure fond et le masque que nous portons fusionne avec notre personnalité. Au lieu de penser A sourire au bon moment, nous affichons automatiquement ce sourire. Au cours de notre représentation, nous minimisons nos défauts et montrons nos forces. Notre assurance s’accroit. Nous jouons les altruistes. Les études montrent qu’on est plus enclins 4 faire un don ou A aider quelqu’un A traverser la rue quand les autres nous regardent. Au sein du groupe, nous nous assurons que les gens voient que nous soutenons les bonnes causes. Et nous affichons notre avis progressiste bien en vue sur les réseaux sociaux. Nous nous assurons également que les autres nous voient travailler dur et faire des heures supplémentaires. Quand nous sommes seuls, nous répétons tout bas ce que nous disons ou ferons au cours de notre prochaine représentation. Nallez pas imaginer qu’il vaut mieux étre soi-méme ou se rebeller. Il ny a rien de moins naturel que de freiner ce besoin de représentation — les chimpanzés eux-mémes le font. Si vous voulez paraitre naturel, comme si vous étiez en accord avec vous-méme, vous devez jouer le réle. Vous devez vous entrainer 4 ne pas vous sentir nerveux et faire en sorte que votre naturel ne blesse pas les autres ou aille contre les valeurs du groupe. Ceux qui boudent et refusent la représentation finissent marginalisés car, inconsciemment, le groupe rejette ce type d’individus. De toute facon, vous ne devriez pas avoir honte de ce besoin. Vous n'y pouvez rien puisque dans un groupe, nous adaptons inconsciemment notre comportement pour nous intégrer. Mieux vaut en étre conscient, conserver une distance intérieure et vous transformer en acteur supérieur et conscient, capable de modifier vos expressions pour vous intégrer dans un sous-groupe et impressionner les autres avec vos qualités positives. La contagion émotionnelle. Bébés, nous étions particuliérement sensibles 4 humeur et aux émotions de notre mére. Son sourire provoquait le nétre, son anxiété nous contaminait. Il y a fort longtemps, nous avons développé ce fort degré d’empathie pour les émotions de notre mére comme mécanisme de survie. Comme tout animal social, nous savons des le plus jeune Age repérer et ressentir les émotions des autres, et tout particuligrement celles de nos proches. C’est le troisiéme effet du groupe sur nous — Veffet contagieux des émotions. Quand on est seuls, on est conscients de nos changements @humeur, mais dés qu’on intégre un groupe et qu’on sent le regard des autres posé sur nous, on devine inconsciemment leur humeur et leurs émotions, qui, si elles sont assez fortes, peuvent se substituer aux ndtres. De plus, quand on se sent bien avec des personnes et quon a une place parmi elles, on est moins sur la défensive et plus vulnérables a l’effet de contagion. Certaines émotions sont plus contagieuses que d'autres, l’angoisse et la peur étant les plus fortes. Au temps de nos ancétres, si quelqu’un se sentait en danger, il était important que les autres le ressentent également. Mais dans notre environnement actuel ou les menaces sont moins immédiates, c'est plutét une petite poussée d’angoisse qui passe rapidement dans le groupe, déclenchée par des dangers possibles ou imaginés. Parmi les autres émotions trés contagieuses, il y a la joie et excitation, la lassitude et ’apathie, ainsi que la colére intense et la haine. Le désir est aussi trés contagieux. Si l’on voit que les autres veulent posséder quelque chose ou suivre une nouvelle tendance, on est vite rattrapés par cette méme envie. Tous ces effets ont une dynamique auto-réalisatrice : si trois personnes sont angoissées, il doit y avoir une bonne raison. Et on devient la quatriéme personne. [angoisse gagne une réalité que les autres trouvent incontestable. Plus il y a de personnes qui la ressentent, plus elle sera communicative et plus elle deviendra forte en nous sur le plan individuel. Vous pouvez observer cet effet sur vous en analysant les émotions que vous ressentez 4 ce moment-la et en essayant de décrypter Tinfluence des autres sur ces émotions. La peur que vous ressentez est-elle lige 4 quelque chose qui vous touche directement ou est-elle plus secondaire, dérivée de ce que vous avez entendu ou percu chez les autres ? Essayez de le découvrir dés que cela se produit. Sachez quelles émotions sont les plus contagieuses chez vous et comment vos émotions changent suivant les groupes ou sous-groupes que vous fréquentez. Avoir conscience de cet effet vous donne le pouvoir de le contréler. Vhyper-certitude. Quand nous sommes seuls et que nous pensons a nos décisions et projets, des doutes surgissent naturellement. Avons-nous fait le bon choix de carriére ? Avons-nous dit ce qu'il fallait pour obtenir cet emploi ? Adoptons-nous la meilleure stratégie ? Mais dans un groupe, ces doutes, ces mécanismes de réflexion sont neutralisés. Admettons que le groupe ait adopté une stratégie importante. Nous ressentons l’urgence de passer a laction. Débattre et délibérer ne rime a rien. A quoi bon ? Nous ressentons la pression de prendre position et de suivre l'avis général. Si nous sommes en désaccord, nous pourrions étre marginalisés ou exclus du groupe. Nous reculons devant de telles éventualités. De plus, si tout le monde s’accorde a dire que cest la bonne chose 4 faire, nous sommes obligés d’avoir confiance en cette décision. Ainsi, le quatriéme effet sur nous est qu’on se sent plus stirs de ce qu’on fait avec nos collégues, ce qui nous rend d’autant plus enclins & prendre des risques. C’est ce qui se produit dans la frénésie et les bulles du marché financier - tout le monde parie sur le prix des tulipes, l’action South Sea (voir le chapitre 6) ou les subprimes : ce doit donc étre une valeur sire. Ceux qui émettent des doutes sont simplement frileux. En tant qu’individu, il est difficile de contredire les certitudes des autres. On ne veut pas rater le coche. De plus, si on se retrouvait parmi les rares personnes ayant acheté ces actions qui ont perdu leur valeur, on se sentirait ridicules et honteux, tristement responsables avoir été des imbéciles. Mais couverts par des milliers de personnes qui font la méme chose, on se protége de toute responsabilité, ce qui augmente la probabilité de prendre de tels risques au sein d’un groupe. Si, individuellement, on avait des projets clairement ridicules, les autres nous préviendraient et nous raméneraient sur Terre, mais au sein d’un groupe, cest l'inverse qui se produit — tout le monde semble valider le projet, méme le plus farfelu (comme envahir Irak en s’attendant a étre accueillis comme des libérateurs), et personne d@extérieur ne peut nous ramener a la raison. Lorsque vous vous sentez inhabituellement sir de vous et surexcité par un projet ou une idée, prenez du recul et regardez s’il s’agit d’un effet de groupe viral qui agit sur vous. Si vous pouvez vous détacher un moment de votre engouement, vous remarquerez peut- étre comment votre pensée s’emploie a rationaliser vos émotions, confirmer la certitude que vous voulez ressentir. Ne renoncez jamais & votre capacité de douter, de réfléchir et d’étudier les autres options — votre logique en tant qu’individu est votre seule protection contre la folie qui peut envotiter tout un groupe. by Les dynamiques de groupe Depuis le début des temps modernes, on observe certains schémas dans lesquels les groupes d’individus tombent quasi automatiquement, comme s‘ils répondaient 4 des lois physiques ou mathématiques particuliéres. Voici les dynamiques les plus fréquentes que vous pourrez observer dans les groupes auxquels vous appartenez ou que vous fréquentez. La culture de groupe. Quand on voyage a I’étranger, on est conscients des différences culturelles avec notre pays. Non seulement les habitants parlent leur propre langue, mais ils ont aussi des coutumes, des réflexions, des fagons de voir le monde qui varient des nétres. Cela est plus prononcé dans les pays aux traditions anciennes, mais dans une moindre mesure, on peut voir la méme chose se produire dans une entreprise ou un bureau. Cela fait partie de la force sociale qui mélange et fusionne le groupe ensemble en fonction de l'alchimie entre ses membres. Lorsque vous analysez votre propre groupe et sa culture, pensez-y en termes de style et d’humeur générale qui prédominent. Est-ce qu’il posséde une structure libre, avec un style décontracté ? Ou est-il trés hiérarchisé, avec des membres qui craignent de sortir du rang ou de casser la discipline ? Se sentent-ils supérieurs et différents du reste du monde, adoptant une attitude élitiste, ou bien le groupe est-il fier de son populisme ? Se considére-t-il avant-gardiste ou plus traditionaliste ? Est-ce que les informations circulent facilement dans le groupe, donnant une impression d’ouverture, ou bien est-ce que le leadership les contréle et les monopolise ? Le groupe a-t-il une dimension masculine - hypercompétitif, avec une voie hiérarchique plus rigide - ou bien a-t-il un esprit plus fluide, plus féminin, qui préfére la coopération a la hiérarchisation ? Est-ce qu'il semble désuni et dysfonctionnel, avec des membres plus soucieux de leur égo que des résultats, ou bien privilégie-t-il la productivité et la qualité du travail ? Pour répondre a ces questions, ne prétez pas attention 4 ce que le groupe prétend étre, mais analysez plutét ses actions et le ton émotionnel qui domine. Le style du groupe peut présenter diverses nuances de ces qualités, ou une combinaison de celles-ci, mais il aura toujours une culture ou un esprit identifiable. Deux choses sont a garder a esprit : premiérement, la culture sera souvent centrée sur l’idéal que le groupe s'imagine — libéral, moderne, progressiste, hautement concurrentiel, de bon gotit, etc. Le groupe peut ne pas étre a la hauteur de cet idéal, mais en fonction de ses efforts pour l’étre, Pidéal devient un mythe qui lie tous ses membres. Deuxiémement, cette culture refléte souvent les fondateurs du groupe, notamment s’ils ont une forte personnalité. Avec leur style rigide ou laxiste, i estampillent le groupe, méme si ce dernier compte des milliers dadhérents. Mais les leaders qui arrivent dans un groupe ou une société ayant déja sa propre culture se retrouveront complétement absorbés par elle, méme s'il s aimeraient la modifier. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le département de la Défense américain avait un esprit belliciste. Les présidents Kennedy et Johnson avaient tous deux leur propre vision du Pentagone et voulaient en changer la culture. Ils voulaient éviter que Amérique ne s’embourbe dans la guerre du Viétnam. Mais cette culture agressive a fini par modifier leur point de vue et par les entrainer dans le conflit. A Hollywood, de nombreux réalisateurs ont voulu faire comme bon leur semblait, mais ils se sont retrouvés avalés dans une culture profondément ancrée qui préne le contréle hiérarchique et le micro- management des producteurs. Cette culture existe depuis prés de quatre-vingt-dix ans et personne n’a pu la modifier. Gardez a l’esprit que plus le groupe est grand et plus sa culture est bien établie, plus il y a de chances pour qu’il vous contréle plutét que Vinverse. Noubliez pas que, quel que soit le type de culture, et méme si celle-ci a pu ébranler les conventions a sa création, quelle que soit la date de formation du groupe, plus il grossit, plus il devient conservateur. C’est inévitable, car le groupe souhaite toujours conserver ce que les gens ont fait ou construit et s’appuyer sur des méthodes testées et approuvées pour maintenir le statu quo. Cet esprit conservateur larvé signe souvent l’arrét de mort d’un groupe, car il perd progressivement sa capacité d’adaptation. Les régles et les codes. Dans chaque groupe d’étres humains, le désordre et l’'anarchie sont trop anxiogénes. Des normes de conduite et des protocoles ont rapidement été instaurés. Ces régles et ces codes ne sont jamais écrits noir sur blanc, mais ils sont implicites. Si on les viole d’une fagon ou d’une autre, on risque de perdre toute existence au sein du groupe ou d’étre renvoyés sans forcément en savoir la raison. Ainsi, le groupe impose son ordre propre sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours 4 un service de police. Les codes dictent quelle apparence est acceptable, dans quelle mesure il est possible de parler librement aux réunions, le degré d’obéii ’éthique de travail attendue, etc. sance au patron, Quand vous débarquez dans un groupe, faites trés attention a ces codes tacites. Observez ceux qui montent dans le groupe et ceux qui sont déchus - cela vous indique les normes qui déterminent la réussite et ’échec. Est-ce que la réussite tient davantage des résultats ou de la flagornerie ? Observez si les gens travaillent dur quand le patron ne les surveille pas. Si vous travaillez trop dur ou trop bien, vous pouvez étre renvoyé parce que vous discréditez les autres. Inévitablement, il y a des vaches sacrées dans tout groupe - des personnes ou des croyances 4 ne jamais remettre en cause. Tout cela constitue des écueils a éviter cotite que colite. Parfois, il arrive qu'un membre de rang plus élevé serve de facto de policier pour que ces régles et codes soient respectés. Identifiez ces individus et évitez tout conflit avec eux. Cela n’en vaut pas la peine. La cour du groupe. Observez un groupe de chimpanzés dans un zoo et vous remarquerez existence d’un male alpha. Les autres chimpanzés adaptent leur comportement par rapport a lui — servitude, imitation et lutte pour tisser des liens plus étroits avec lui. C’est la version préhumaine de la cour. Nous, les étres humains, avons créé une version plus élaborée avec les cours de l’aristocratie. Dans une cour aristocratique, les subordonnés dépendaient des faveurs du roi ou de la reine pour survivre et prospérer ; lobjectif était de se rapprocher du régent sans aliéner les autres courtisans, ou de se regrouper pour évincer le chef, ce qui a toujours été une aventure risquée. Aujourd’hui, la cour se forme autour du directeur exécutif au cinéma, du grand ponte de lacadémie, du PDG d’une entreprise commerciale, du leader d’un parti politique, du propriétaire d’une galerie d’art, d’un critique ou d’un artiste ayant une influence sur la culture. Dans les grands groupes, il y aura des cours secondaires formées autour d’un leader secondaire. Plus le leader est puissant, plus les stratagémes sont élaborés. Les courtisans semblent aujourd’hui différents, mais leur comportement et leurs stratégies mont pas beaucoup évolué. Il faut prendre en compte certains de ces schémas de comportement. Tout d’abord, les courtisans doivent gagner l’attention des chefs et se faire bien voir d’une facon ou d’une autre. La facon la plus rapide est la flatterie puisque les chefs ont inévitablement un égo trés développé et soif de recevoir une validation de leur amour-propre. La flatterie peut faire des merveilles, mais c’est risqué. Si elle est trop évidente, elle passe pour un acte désespéré et ce stratagéme est immédiatement mis 4 nu. Les meilleurs courtisans savent adapter leurs flatteries en fonction des insécurités du chef de maniére a les rendre moins directes. Ils s’attachent a flatter chez le chef des qualités auxquelles personne n’a jamais vraiment prété attention mais qui demandent encore a étre validées. Si tout le monde fait ’éloge de son sens des affaires mais pas de son raffinement culturel, mieux vaut viser ce dernier. Refléter les idées ou valeurs du chef sans employer ses termes spécifiques peut étre une forme trés efficace de flatterie indirecte. Noubliez pas que la forme de flatterie acceptable varie en fonction de la cour. A Hollywood, elle doit étre plus démonstratrice que dans une académie ou 4 Washington DC. Adaptez vos flatteries 4 lesprit du groupe et faites-les de la facon la moins directe possible. Evidemment, il est toujours malin d’impressionner le patron par votre efficacité et de vous rendre indispensable, mais veillez 4 ne pas exagérer : s'il a le sentiment que vous étes trop doué, il peut avoir peur de dépendre de vous et se poser des questions sur vos ambitions. Ne le faites pas douter de la supériorité qu’il croit avoir. Ensuite, faites trés attention aux autres courtisans. Se démarquer un peu trop, étre trop brillant ou charmant provoquera de la jalousie et des représailles funestes. Ayez le plus de courtisans possible de votre cété. Apprenez 4 minimiser vos réussites, 4 écouter (ou faire semblant d’écouter) les idées des autres. Attribuez-leur le mérite de facon stratégique, faites leurs louanges lors de réunions et prenez en compte leurs insécurités. Si vous devez agir A Tencontre d'un courtisan en particulier, faites-le de maniére indirecte en cherchant a Visoler du groupe, sans jamais paraitre trop agressif. Le propre d’'une cour, est de paraitre civilisée. Sachez que les meilleurs courtisans sont experts en comédie, et que leurs sourires et leurs démonstrations de loyauté ne riment pas a grand-chose. Dans une cour, il faut éviter d@étre naif. Sans tomber dans la paranoia, essayez de remettre en cause les motivations de chacun. Enfin, vous devez connaitre les types de courtisans que vous rencontrerez dans toutes les cours et les menaces qu’ils représentent. Un courtisan agressif mais malin et peu scrupuleux peut rapidement dominer un groupe. (Pour les détails concernant les types de courtisans, reportez-vous a la partie suivante.) Souvenez-vous qu'il n’est pas possible de quitter la dynamique @une cour. Si vous essayez de vous placer au-dessus des jeux politiques ou de la flatterie, vous aurez l'air suspect aux yeux des autres. Personne n’aime les saintes nitouches. Tout ce que vous obtiendrez pour votre « honnéteté » sera d’étre marginalisé. Mieux vaut étre un maitre courtisan et trouver un certain plaisir dans la stratégie de cour.

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