Texte N° 5: Extrait de louvrage de
2
La théorie des cofits de transaction
et ’intégration verticale
De maniére générale, une entreprise est dite verticale-
‘ment intégrée si elle controle plus d'un des stades succes
bien, Elle n’est pas verticalement
intégrée si elle achéte auprés d’autres entreprises les fac~
tcurs de production, les biens ow les produits dont elle a
besoin pour fabriquer ou distribuer ses propres produits.
‘On distingue différents types d'intégration verticale
= Vintégration en amont, lorsque Pentreprise integre
rétape précédente de production ; un abattoir se charge
«du transport de betail des agriculteurs vers l'abattoir
'inégration en aval, lorsqu‘elle intégre I'étape sui
vante : abattoir se charge de la distribution de la viande
chez. les grossistes et (ou) les détaillants;
— T'intégration latérale', lorsqu’il s’agit "une étape se
situant au méme niveau : une entreprise "informatique se
charge de la fabrication des différents composants d'une
unité centrale,
Pour intéprer une étape nouvelle, une enireprise peut
1, De Vaveu d’O, Williamson (1994), la distinction entre integration
latérale et ntspration en amon! est quclque peu arbitra, Pours part,
ilreserve le ere intgsration en ammant.ce qui elbve des maids pre
mnibees En revanche, il convient de bien distinguer intégration Lara
‘integration horizontal, cette deriere consistant par exempe acqus-
Firune entreprise qi est engagée dans la mame etape di process,
0. Bouba-Olga
économie de fentreprise
Ed Seuil 2003
a Les approches néo-insitutionnalistes
décider de la développer en interne (croissance interne)
‘ou procéder a l'acquisition d'une entreprise existante qui
fabrique le produit en question (croissance extemne).
La question essentielle est celle du < pourquoi » de l'in-
‘égration : pourquoi faire un bien intermédiaire plutot que
de le faire faire? En des termes plus conceptucls. pourquoi
passer par la firme plutot que par le marché? Question,
importante 2 Taguelle ni la théoric néoclassique, ni la
théorie de agence ne répondent de maniére convain-
cante. La théorie néoclassique assimile Pentreprise,
centité éminemment collective, a un individu : le produc-
teur. Elle ne s'interroge pas sur son « épaisseur » mais
Vassimile 2.un point, La théorie de l'agence, quant ace,
apporte certes tne réponse, mais elle consiste & dire que
la firme n’est rien d’autre qu’un nceud de contrats inter-
individuels. Vision ultra individualiste qui considére la
firme et le marché au sens habituel comme des formes
coneurrentes de marché (A. Alchian, D. Demetz, 1972)
la firme, selon ces auteurs, n’a pas d’existence véritable ;
ce ne serait qu’une «fiction Iégale », la scule réalité
importante étant celle de I’existence dune multitude de
relations contractuelles interindividuelles.
autres analyses apportent des réponses plus intéres-
santes. Un premier ensemble s‘appuie sur les résultats de
la microgconomie néoclassique pour affirmer que linté-
gration vise a bénéficier d'un pouvoir de monopole, & éri-
gor des barritres a l'entréc de Vindustrie, qui permettront,
ensuite de jouer sur les prix.
Tlest clair en effet qu'une entreprise en situation de
‘monopole, n’étant pas soumise a la pression de la concur-
rence, dispose dune grande marge de manceuvre dans la
fixation de ses prix. Du point de vue collectif, ces prix
Glevés sont néfastes parce que les acheteurs en patissent,
mais aussi parce que Ie volume des ventes est réduit : cor
tains acheteurs sont alors évineés du marché?
2. On peut également ajouter qu’au-cela des prix, la situat
La théorie des colts de transaction 65
D’autres comportements. stratégiques plus. subtils
toujours interprétables dans le cadre de 1a « branche »
du monopole, peuvent également émerger. Prenons,
exemple du prix de transfert d'une multinationale : deux
entreprises indépendantes, E1 et E2, fubriqwent des biens,
complémentaires. Chacune est localisée dans un pays di
ferent : El dans le pays A, qui taxe & hauteur de xA % le
chiffre d'affaires des entreprises, et E2 dans le pays B.
dont la fiscalité est plus faible (xB < XA). L'entreprise E2
est incitée A intégrer lentreprise Bl ct a fixer le prix de
transfert du bien fabriqué par El et vendu a E2 au niveau
le plus bas possible. Le chiffre d’affaires de E1 est alors,
minimal, le chiffre d'affaires de E2 maximal, l'intégra-
tion permettant ainsi d'accroftre le bénéfice aprés impor.
On peut bien sir condamner ces pratiques (probleme de
opposition firmes transnationales-Etal) ou critiquer,
dans une logique libérale, l'existence méme de l'impét.
‘Quoi qu'il en soit, on voit comment I’intégration permet
de tirer avantage de 1a fixation des prix de cession i
Compte tenu des résultats de lanalyse microgcono-
mique sur le caractére sous-optimal des situations de
monopole, on préconisera logiquement de lutier contre
Vintégration, en développant des politiques entitrusts,
(Sherman Act aux Ftats-Unis dans les années 1930. poli-
tique do Bismarck en Allemagne visant a lutter contre les
cartels...). Dans le méme sens, la politique de la concur-
rence développée par I’Union européenne dans un cadre
juridique précis vise & éviter les entraves Ala concurrence.
et les situations d’abus de position dominante
Un second ensemble d’analyses plaide pour l'efficacité
économique de Vintégration
= Ies interdépendances technologiques, d’abord, inter-
disent de séparer certaines Stapes du processus : par
‘exemple, dans la sidérurgie, les lingots sortent de l'acié-
le 'mcite pas prenre des décisionsefTicaves en matitre de
‘hove des produits ou de qualite66 Les approches néo-institurionnalistes
rie et sont immédiatement lamings & chaud, ce qui génére
des économies d"énergie. La s€paration des tapes sup-
poserait d’attencre le refroidissement des lingots, de les
transporter, de les refaire chauffer avant de les laminer,
stratégic clairement non optimale ;
— plus généralement. les €conomies de variété, qui résu-
ment l’avantage de réunir dans une méme entreprise la
fabrication de biens complémentaires afin de bénéficier
interdépendances de différentes sortes (technoloziques,
commerciales, en termes de R&D, elc.), expliqueraient
Vintégration
=e cyele de vie des produits, ensuite, fait que les firmes
une industrie naissante ne peuvent trouver, dans cer-
tains cas, les biens intermédiaires nouveaux dont elles ont
besoin. Elles sont done conduites a intégrer les étapes de
fabrication de ces biens (corollaire de cette proposition :
on devrait observer un processus de désintégration vert
cale & mesure que l"industrie vieillit)
—L’aversion pour le risque des firmes, face aux varia
tions de la demande et (ou) face a la scurité des sources
@’approvisionnement les incite également intégrer les,
étapes concemées atin de réduire lincertitude qui pese
sur clles;
—une demiére analyse, enfin, qui est au cocur de ce cha-
pitre, explique I’intégration par la volonté des firmes
d’économiser sur les cotits de transaction.
La théoric des cotts de transaction, qui est aujourd’hui
considérée comme l'une des principales théories de l’en-
treprise, ne rejette pas les autres explications en termes
d'efficacité : elle avance d’autres arguments, mais tente
également de les dépasser en les intégrant. Il s'agit
en quelque sorte de réunir dans une méme analyse un
ensemble de propositions partielle.
La théorie des cots de transaction o
*,UN PRECURSEUR : RONALD COASE,
Chronologiquement antérieure a la théorie de agence,
‘analyse de R. Coase a été développée dans un article de
937 paru dans Economica, intitulé «The Nature of the
sirm ». Avant lui, sil’on suit le raisonnement de I'éole
\oclassique, ou plus précissment "argumentation relative
marché a la criée de ’un de ses peres, Leon Walras, on
‘onsidére que les échanges marchands se déroulent selon,
a séquence suivante : un individu centralise les offres et
es demandes qui émanent du marché et propose un pre-
nier prix. Les offreurs et les demandeurs se positionnent
ilors par rapport & ce prix, S'il existe un déséquilibre
ontre l’offre et la demande, individu propose un nouveau
vrix :si'offre et supérieure ala demande, le nouveau prix
‘era plus faible: si la demande excéde I'otfre, le prix sera
‘upérieur. Le processus se poursuit, par titonnements,
‘usqu’ a l’égalisation de l’offre et de la demande.
On voit done qu'un individu collecte "information,
sffectue des calculs, redistribue de T'information... Il
sectue de fait différentes activités nécessaires & l'ebten-
jon de I'équilibre, Or, point essentiel & partir duquel Coase
‘a bitir son analyse, ces activités qui sont indispensables
11a coordination marchande ont un coat, que d’ autres
auteurs nommeront plus tard « cofts de transaction ».
lus précisément, les coats d’utilisation du marché peu-
sent Gtre classés en trois catégories +
= les coits de recherche et d'information : désireux:
Vacheter une automobile, je dois collecter de linforma~
‘jon sur les différentes oftres, me déplacer chez différents
‘oncessionnaires. essayer et comparer les véhicules... ce
‘me cofite notamment en temps et en transport ;
les coiits de négociation et de décision. Les caracté-
tistiques du contrat & mettre en ceuvre entre offreur et
Jemandeur sont parfois complexes : quelles quantités
4Aoit-on fournir, a quelle échéance, quelle qualité du bien,
68 Les approches néo-institutionnalistes
A.gucl prix, avec quelles garanties. etc, si bien que le pro-
ceessus de décision peut tre long et cotiteux ;
— des coats de surveillance et de contréle : une fois le
contrat conclu, il faut sassurer de son respect.
Or, fait remarquer Coase, dans le monde réel, les
acteurs ont le choix entre deux grands modes de coordi-
nation, le marché ct la firme, « qui forment ensemble la
structure institutionnelle du systeme économique ». Alors
que le marché est un mode de coordination déceniralisé
reposant sur un mécanisme de prix, la firme, explique-t-
iL est un mode de coordination centralisé reposant sur
Tautorité : si un employé, dans une entreprise, se déplace
du service x vers le service y, ce n'est pas a cause d'un
changement de prix relatif, mais bien parce qu’on lui
ordonne de le faire, Dans ce cas, le sysitme de prix a dis-
paru, il est remplacé par un autre mode de regulation,
Pautorit
De ce fait, il peut tre économiquement intéressant
de passer par la firme plutot que par le marché afin
«économiser sur les codts de transaction. Mais, bien sar,
Latilisation de La firme est clle-méme cofitcuse : plus
Fentreprise est grande, complexe, et plus ilest difficile de
coordonner efficacement, par l’autorité, les activités. Le
choix entre marché et firme dépendra dane finalement de
Ja comparaison entre les cofits de transaction et les cots
organisation interne.
Dans la figure ci-contre, les étapes E1, E2... B5 ne sont
pas rangées dans Vordre du processus productif, mais par
ordre décroissant de coat de transaction : Iétape El est
celle qui permet a ’entreprise d’économiser le plus sur
les colts de transaction, autrement dit de dégager la
recette économique marginale la plus Forte. Lintégration
de l'étape E2 dégage une recette économique marginale
importante, mais plus faible que pour I’étape E1, et ainsi
de suite, De ce fait, par construction, la courbe des
recettes est décroissante
Parallélement, au fur et & mesure de la croissance de la
taille de l’entreprise, le coat d’ organisation interne croft.
La théorie des cots de transaction o
“Marehé vs firme dans analyse de Coase
|
Test faible lorsque seule I’étape El est intéerée, il aug-
mente avec |'intégration de E2, puis de F3, FA, etc
L’étape E3 est Ie point d’équilibre : avant, la recette
marginale est supérieure au cot marginal, on int@gre
done El et E2; apres, le cot dépasse la recette, on passe
par le marché; en E3, il y a indifférence entre firme et
marché. La limite de la firme est done atteinte lorsque les
cotits marginaux de coordination par le marché sont
égaux aux costs marginaux de coordination par la firme.
Raisonnement simple et puissant, qui demande cepen-
dant A étre approfondi : Coase décrit les différents coits
de transaction (coos de recherche et (information, coats
de négociation ot de décision, coats de controle et de sur-
veillance), il aftirme, de méme, que les coats 4” organisa
tion interne augmentent avec Ia taille, mais il n’explique
pas trés précisément Vorigine de ces cots: dans quels
cas vontrils étre élevés, dans quels cas seront-ils plus
faibles? C’est O. Williamson (1975, 1985) qui va se
livrer & cet approfondissement en identifiant les variables,
clés a la base des différents colts repérés par Coase.Dw Les approches néo-insltudonnalistes
IL LA THEORIE DES COUTS
DE TRANSACTION
Williamson concentze son analyse sur les codits de tran-
saction, en considérant le processus productif comme un
ensemble donné d’étapes technologiquement séparables,
Ia transaction étant le transfert d’un bien ou d'un service,
résultat (Pune étape, vers I’étape suivante. transfert éven-
tuellement couteux.
Représentatton sehematique
‘un processus productif
Dans exemple ci-dessus, le processus productif ctudié
est décomposé en cing étapes. Les étapes E2 et E3 sont
supposées « technologiquement non séparables », si bien,
{que I'intégration s'impose. On retrouve en fait e premier
argument relevant de la branche de l'efficacité évoqueé en,
introduction’. L’attention va done se porter sur les tran-
sactions entre les étapes F1 et B2, E3 et B4, E4 et BS.
Méthodologiquement, Williamson identifie dans un
premier temps les facteurs & lorigine des cofits de tran-
saction, puis, dans un deuxi¢me temps, il évalue Papti-~
tude des différents modes de coordination, qu'il nomme
3, Nous reviendrons en conclusion sur ce point, qui est &T'erigine
une des limites de Fanalyse des cod de transaction.
La théorie des cots de transaction nm
«structures de gouvemance », & économiser sur co
Colts. Se limitant initialement 2 la comparaison mazche-
firme, ses travaux les plus récents envisagent autres
structures « hybrides »
A. Hypotheses comportementales
et attributs des transactions
Les facteurs & 'origine des colts de transaction sont
ligs d’unc part aux comportements des individus et
autre part aux caractéristiques ~ ce qu'il appelle les
‘cattributs » — des transactions. Sagissant des comporte-
meats, Williamson considére que les individus agissent
en rationalité limitée et sont foncigrement opportunites.
Parallélement, il caractérise les transactions en s’ap-
puyant sur les notions de spécificité des actifs, de ire:
quence et dincertitude.
1. Rationalisé limitée et opportunisme
Les hypothises comportementales sont proches de
celles retenues par la théorie de lagence. Williamson
suppose d'abord que les individus agissent en rationalité
Timitée, Ce concept essentiel, développé par H. Simon
(1991), signifie que les capacités physiologiques des
individus sont trop réduites pour recevoir, emmagasiner
ct traiter une information riche et complexe®. De ce fait,
les individas ne peuvent recenser l'ensemble des alterna-
tives présentes et futures qui s"ofrent A eux pour procé-
der ensuite A une maximisation de leur fonetion d”utilits
4. Pour les travaux en frangais de H. Simon, voir par exemple
Sciences des ystemes, sciences de I arificiel, 991, Bordas.
‘5 Au-deladu probleme de la complexité du monde», 'existence
‘une inceritude ralicale jusfie Mbypothise de rational limite
des individis. L"incerttade, pour Williamson, est un des artnbuts
‘essentiols ds transactions (le point suivant).
n Les approckes név-institutionnalistes
Les individus raisonnent plutdt sur un sous-ensemble de
Vinformation et adoptent un comportement qu’ils conser-
‘ent tant qu’ is sont satisfaits, La rationalité limitée signi-
fie bien que les acteurs sont rationnels ~ ils ne prennent
pas de décisions qui les desservent — mais que informa
tion qu’ils utilisent pour décider de leur comportement
est volontairement limitée. Implication immédiate : les
contrats que les lus vont conclure ensemble sous
Phypothtse de rationalité limitée sont nécessairement
incomplets,
Implication suivante, qui nous améne & la seconde
hypothése comportementale, rincomplétude des contrats
‘ouvre la voie a opportunisme. Comme pour la théorie de
agence, Williamson pose l'hypothese que les compor
‘ements des individus sont foncitrement opportunistes ct
s’appuie également sur Ia distinction entre opportunisme
ex ante ef opportunisme ex post qui débouchent sur les
problemes de sélection adverse et d’aléa moral (cf. le
premier chapitre pour plus de détails).
2. Spécificité des uctifs, fréquence er incertitude
Williamson se penche ensuite sur la question des attri-
buts des transactions. L'attribut essemtiel, dans son
schéma d’analyse, est la spécificité des actifS impliqués
dans la transaction.
‘Des acts sont dits spécifiques quand ils correspondent
un investissement durable devant étre entrepris pour
soutenir une transaction particuliére, et que cet investis-
sement n'est pas redéployable sur une autre transaction. Le
premier auteur a avoir mis en évidence cette notion de spé-
ificité est A. Marshall (1890): « Celui qui dirige une
affaire a une connaissance des hommes et des matériels
qu'il pourrait dans certains cas vende & un prix élevé &des
firmes rivales. Mais, dans d'autres cas, son expérience
n’aura aucune valeur en dehors de activité on il est dja.
‘Alors, son départ lui ferait peut-étre perdre plusicurs fois
Te montant de son salaire, car probablement il ne pourrait
La théorie des cotts de transaction 7
pas avoir ailleurs la moitié de son salnire®. » Plus pros de
nous, R. Boyer d&veloppe la méme idée quand il alfisaae
qu'un « ouvrier de Nissan aura beaucoup de mal taller tnt
vailler chez Toyota : cela a beau @tre le mén les
routines de Nissan sont totalement différentes de celles de
‘Toyota’ ». Bn sappuyant sur la terminologie de William
son, nous dirons que l’employé de Nissan est doté d'un
capital humain spécifique, non redéployable de manitre
économiquement efficace chez Toyota.
Les actifs spécifiques peuvent ensuite étre décomposés
en cing catégories :
— les actifs physiques spécifiques -ils‘agit d"immeubles
cet de machines ne pouvant étre utilisés que pour une acti-
vité précise. Par exemple, les fours dans lesquels S
Gobain fabrique le verre ne peuvent étre utilisés pour une
autre activité;
— les actifs bumains spécifiques : main-d"euvre ayant
tune qualification tres particuligre. C'est exemple de
Femployé de Nissans
— Ies actifs situés en un lieu spécifique : certains actifs,
parexemple des minerais, se trouvent dans des lieux par-
ticuliers et ne peuvent étre déplacés sans avoir & suppor-
ter des cofts de transport prohibitifs ;
les actifs dédiés : ils sont destinés a répondre & La
demande d'un client précis, et de lui seul ; il n’existe pas
de demande en dehors de la demande formulée par ce
ient. On oppose le qualificatif « dédié » au quahficatif
«standard». Par exemple, pour répondre & Ja demande
de pneus équipant un véhicule haut de gamme de Renault,
Michelin dévcloppe une machine spécifique qui ne peut
{rte utilisée que pour ces pneus : la machine est un actif
dédié aux pneus Renault:
6.A. Marshall, Principles of Economics, p. 626 de la uititme 6i-
tion 1948),
"7. Interview & Alternatives économiques, bors-sétie n° 43, 1" t=
‘mestre 200)" Les approches néo-insttutionnalistes
— les uctifs ineorporels : ce sont par nature des actifs
spécifiques, comme les brevets, les fonds de commerce,
Jes marques. Un brevet ¢’invention sur un produit donné
n'est d’aucune utilité pour fabriquer un autre bien,
A chaque fois, c’est le degré de spécificité des actifs
qui importe : un actif parfaitement spécifique ne peut sou-
tenir qu'une transaction et une seule, un actif parfaite-
‘ment génétique peut soutenir l'ensemble des transactions
existantes, et, entre ces deux cas extremes, des degrés
plus ou moins élevés de spécificité sont envisageable:
Implication forte, le coat d’acquisition des actifs soure-
rant une transaction est d’autant plus imécupérable que
les actifs impliqués sont spécifiques. Cette notion d'ieré-
cupérabilité peut étreillustrée simplement en considérant
un individu désireux d’aménager un bureau : pour ce
faire, il achéte des meubles et de la peinture. Si, apres un
temps donné, i abandonne ceite pitce, il pourra récupé-
rer en partie le colt d’acquisition des meubles cn les
revendant sur un marché d'occasion. La peinture, en
revanche, une fois appliquée sur les murs, ne pourra eure
revendue : son coiit est dit « irrécupérable » (ou « irré-
couvrable »). Comme une machine parfaitement spéci-
fique, nous l'avons dit, ne peut étre utilisée dans aucune
autre transaction, ni revendue sur un quelcongue marché
de occasion, la somme initialement engagée pour son
acquisition est entigrement perdue. De ce fait, le risque
pris par I’entreprise lors de son investissement est d'au-
{ant plus important qu’ il vise des actifs plus spécifiques,
dont le cost est plus irrécupérable.
En quoi cette spécificité des actifs, et donc cette irrécu-
pérabilité des colts, est-elle problématique dans le choix
marché-firme ? Logiquement parce que Ion risque d’étre
confronté 4 un comportement opportuniste du partenaire :
imaginons que, 2 la tte dune enireprise donnée, on sous
traite une partie de I'activité et que cela implique que le
sous-traitant investisse dans une machine speciale et co
tcuse, spécialement dédiée a la production du bien vendu
par Jé donneur d’ordre. Au bout d'un certain laps de
La théorie des cofts de transactio 1s
temps, le sous-traitant pourrait dire que, finalement, Ie
prix négocié initialement doit étre revi hI hausse, et
menacer Ie donneur d’ordre de rompre le contrat, Ce der-
niet sera prisonnier du sous-traitant, qui est le soul & dis-
poser de la machine spécifique. Inverscment, le donneur
dordre Iui-méme peut faire preuve dopportunisme ex
faisant pression a la baisse sur les prix =e sous-traitant ne
peut rien faire d’autre de sa machine (plus la machine est
spécifique, moins la clientdle est diversifiée) et, si le don-
neur dordre menace de rompre le contrat, il risque de
perdre l'ensemble des fonds engazés initialement. Des
exemples similaires pourraiont étre développés pour les
autres catégories d’actifs spécifiques, certains rejoignant
les analyses de la théorie de l'agence : un salarié doté
d'un capital humain spécifique — il s'est rendu indispen-
sable — pourra demander une rémunération supérieure.
Un exemple quelque peu différent est développé par
D. Carlton ct J. Perloff (1998) : opportunisme redouté ne
provient plus du partenaire éventuel, mais d'un concurrent,
qui cherche a exploiter Vexistence dactif spécifiques.
Dans les années 1980, deux fabricants de lectcurs de dis-
‘quettes, Conner Peripherals Inc. et Seagate Technology.
s'approvisionnent chez le méme fournisseur d'un compo-
sant critique entrant dans la fabrication des lecteurs, Impri-
mis Technology Inc. Ce demier est le plus important des,
trois fournisseurs de ce composant, Seagate a alors racheté
Imprimis Technology et ce dernier, une fois racheté, a
refusé de conserver Conner Peripherals comme client.
Conner était & l’évidence pénalisé, devant la difficulté de
trouver rapidement un fournisscur de ce composant cri
tique, assimilable a un actif physique spécifique, ot décida
logiquement de porter plainte, en 1990, contre Seagate.
Williamson montre ensuite que la seule condition de
spécificité des actifs ne suffit pas pour poser probleme,
tune condition d’incertitude devant également étre véri-
fige. Cette notion dincertitude renvoie, en économie, ala
conceptualisation de l'avenir, qui peut étre certain, risqué
ou incertain
6 Les approches néo-institutionnalistes
= quand l'avenir est certain, comme dans le modéle
néoclassique de base, les individus peuvent adopter un
comportement d ‘optimisation (intertemporelle dans le cas
¢’un modéle dynamique) de leur fonction 4 utilité
= quand Vavenir est risqué, on dit aussi « faible-
ment incertain s, les individus ne connaissent pas avec
exactitude le futur, mais seulement en probabilité
Par exemple, dans le modéle néoclassique, on peut sup-
poser que les individus ne connaissent pas exactement le
prix du marché @ venir : le prix peut étre PI avec une
probabilité de 0.6 ct P2 avec une probabilité de 0,4. La
firme ne va pas maximiser son profit, mais l’espérance
de son profit : imaginons que, quand le prix est Pl, le
profit soit égal & 100 et, quand le prix est P2, le profit
soit égal 2 200, Dans ce cas, le profit espéré est de
0,6 x 100 +0,4 200 = 140,
~ cafin, iJ peut exister une incertitude plus forte, que
on qualifie ala suite de F. Knight (1921), d°s incertitude
radicale », et qui est la situation dans laquelle les indivi
‘dus ne peuvent mesurer lincertitude car ils ne peuvent
connaitre les états du monde & venir, $i I’on ne sait pas ce
que les consommateurs mangeront A échéance de dix ans
= les produits actuels’? des produits transgéniques ? des
produits traditionnels? d’autres produits non encore
inventés? quels volumes de production pour chacun? —
Lentreprise se verra confrontée a des problémes dopti-
misation de ses décisions.
‘Comme nous l’avons signalé précédemment, Vincer-
titude radicale est un des déterminants du caractére
limité de la rationalité des individus : non seulement on
ne peut traiter toutes les informations disponibles, mais,
en plus on ne peut pas connaiitre les informations futures
qui seront déterminantes & |’avenir. Ne serait-ce que
parce que, pour reprendre l'argument de K. Popper
(1973), on ne peut connattre les résultats que nous
“obtiendrons au cours de I’accroissement de nos propres
connaissances.
Pour en revenir & l'analyse de Williamson, en l'absence
La théorie des cofts de ransaction n
incertitude, notamment sur les comportements & venir
des partenaires potenticls, le risque d opportunisme di
paraft : on sail. a V'avance, si le partenairs seta ou ue seta
pas opportuniste, ou l'on sait, tout au moins, prévenir
arfaitement lopportunisme lors de la rédaction du
contrat (qui est alors complet). De mani¢re symétrique,
‘on remarquera que Vincertitude n’est pas problématique
lorsque les actifs impliqués dans la transaction ne sont
pas spécifiques : si le partenaire adopte un comportement
‘pportuniste, je peux me toumer vers un autre partenaire
qui dispose des memes actifs. C'est donc seulement
lorsque l'on observe conjointement une incertitude radi-
cale et une spécificité des actifs que Pon peut etaindre
Mopportunisme.
‘Troisiéme et demidre condition : celle de fréquence. Si
la fréquence des transactions est faible, dans le cas limite
si la transaction n’a lieu qu’une seule Tois, on ne redou-
tera pas opportunisme du partenaire, méme en cas de
spécificité des actifs et d’incertitude radicale, puisque,
Téchange une fois effectué, on ne le reverra pas. On est
finalement conduit au schéma général suivant
Incertude requence + Spice
Risque epponvnisne
B, Les déterminants du choix marché-firme
Deuxidine étape de l’analyse, il convient maintenant
d’évaluer |’aptitude des différents modes de coordination
a économiser sur les cotits de transaction, Ces modes de
coordination, Williamson les nomme « structures de gou-
vernance », ia gouvernance étant le cadre contractuel
explicite ou implicite dans lequel se situe la transaction.
En occurrence, on se concentre dans ce point sur les
deur structures de gouvernance que sont le marché, d°unte
pari, et la firme, d’autre part.8 Les upproches név-insiutionvaatisies
Williamson suppose un degré suffisant d’incertitude et une
fréquence élevée des transactions. Fn bloquant les valeurs
de ces deux variables, on comprend que le choix dépend
fondamentalement du degré de spécificité des actifs.
Lorsque les actifs sont faiblement spécifiques, les acteurs
ne sont pas incités 3 intégrer, car le marché, dit-il, 6vite les.
distorsions bureaucratiques et délivre de meilleures inci-
tations, Mais, mesure que la spécificité croit, une des par-
tics prenantes peut avoir intérét& ne pas respecter, ex post,
ses engagements, autre partic suppertant alors un coat
irrécupérable. Ce risque croissant d opportunisme ex post
contraint ex ante les choix d’investissement et de leur
structure de gouvemance, si bien qu’au-dela d'un certain
degré de spécificité, la scule solution recevable est de
décider d'une intégration verticale afin d’annuler Ie
risque d’opportunisme.
‘AG est la différence des coiits de 1a gouvernance par la
irme (G,) et de la gouvernance par le marché (Gy) : AG
= G-Gy. Si AGO, le marché est préférable a la firme.
Pour une spécificité nulle (origine de axe des abscisses).
Jes distorsions bureaucratiques et les meilleures incita-
tions du marché font que ce dernier est préférable : AG
{B>0, Jusqu’au point k, le marché est préférable, en k, il
ya indifférence, au-deld, la firme est préférée.
Cependant, jusqu’a présent, les differences de cotits de
production ont été négligées: on a considéré implicite-
ment que fabriquer le produit soi-méme ou le faire fabri-
‘quet par une autre entreprise était strictement équivalent
de ce point de vue. Or, dés qu'il existe des possibilités
d économie d’échelle o de gamime, cette hypothese n'est
pas tenable.
L’existence d’économies d’ échelle signifie que le coat
unitaire de fabrication du bien diminue & mesure que
échelle de production augmente. Les économies de
gamme (on dit aussi « économies d’envergure » ou « éco-
homies de variété ») signifient que les cots unitaires de
fabrication de deux biens x et y sont plus faibles lorsqu’ils,
La théorie des colts de transaction 7m
Comparaison des codts de gouvernance
fe
sont réalisés parla méme entreprise, plut6t que lorsqu’ ils,
sont produits par deux entreprises différentes, en raison
notamment des synergies possibles & certaines étapes du
processus (R&D, marketing...).
‘Selon Williamson, Ie marché, qui permet d’agréger les
demandes diverses qui en émanent est en mesure de per-
‘mettre ces économies. Par exemple, si un méme fabricant
‘de pncumatiques (disons Michelin) approvisionne diffé-
rents constructeurs d’automobiles (Peugeot, Renault,
Volkswagen. .), son échelle de production est nécessai-
80 Les opproches néo-institutionnalistes
‘Comparaison des coits de production
rement plus grande que celle qu’observerait l'un d’eux
cn intégrant I étape de fabrication de ses propres pneus,
Les économies d’échelle que réalise Michelin sont donc
plus importantes, Dans ce cas, Renault, Peugeot et
‘Volkswagen ont imiérét A externaliser aupres de Michelin
Ia fabrication des pneus*.
8. Novs dSvelopperons au chapitre trois d'autres éléments qui
cexpliquent l'extemalisation
La théorie des cofts de transaction aI
‘Comparatzon des conts de production et de gouvernance
(0. Witinmae(1990 p12,
Cependant, & mesure que la spécificité des actifs aug-
mente, les possibilités d’agrégation diminuent : la limite,
si Renault demande des pneus hautement spécifiques qui
ne sadaptent que sur un modéle tres précis de vehicule,
Michelin ne pourra pas agréger cette demande & d'autres
demandes similaires, qui, par définition, n’existent pas. I
Tui faudra concevoir le pneu, acquérit des machines
dédiges a sa fabrication, etc. En termes de cott de pro-
duction, i est alors indifférent pour Renault de produire en
inteme ces pneus ou de les sous-traiter 4 Michelin,82 Les approches néo-instituionnalistes
AC est la diffrence des codits de production en passant
par a firme (C,) et des coats de production en passant par
Je marché (C,). AC est fortement positif quand la spécifi-
cité est faible, puisque les possibilités d’agrégation sont
trés élevées. AC décroit et tend asymptotiquement vers
‘ér0 : lorsque les actifs sont parfaitement spécifiques (cas
limite), ily a indifférence entre marché et firme”.
Le choix final, en présence d’économies d’échelle et
(ou) de gamme, repose sur la comparaison complete des
colits de production et des cots de gouvernance :
‘AG +ACest une droite qui coupe I'axe des abscisses en
k*, Avant ce point, le marché est préféré, apres ce point,
‘on passe par la firme, en k*, il y a indifference. k* est
supéricur a k car l'existence d’économies d’échelle et
(ou) de gamme confére au marché un avantage supplé-
mentaire qui disparait dans le cas inverse.
Cette analyse approfondie a deux implications com-
plémentaires fortes : Ia question « faut-il plus ou moins
¢Vintégration ? » n’est pas pertinente dans l"absolu :Tinté-
gration est économiquement efficace dans certains cas
(actifs hautement spécifiques), et €conomiquement inef-
ficace dans d'autres cas (actifs faiblement spécifiques).
De ce fait, les politiques antitrust doivent envisager, &
été du motif d’obtention d’un pouvoir de monopole,
existence éventuelle de motifs transactionnels. La ques
tion devient plus complexe et il conviendrait, dans chaque
cas, d’évaluer précisément le degré de spécificité des
actifs impliqués pour trancher dans |"interprétation.
9. Cette conclusion peut surprendre : intemmalisation ‘est jamais
rentable, En fait, faut se souvenir que Williamson se focalise sur ls
(question de Vintégration d’étapes technologiquement séparables:
Dans T'hypothese inverse (les élapes ne sont pas technologiquement
separables en raison de [existence dinerdépendances technolo-
‘gigues), la firme est supérieure au marché, comme il le mentionne au
;
~ « ContrGler la distribution, c’est aussi, pour LVMH,
s’épargner des déconvenues au moment des soldes, s’as-
surer de ne pas retrouver ses produits dans les réseaux de
discount »;
— « En possédant ses propres magasins, le groupe dis-
pose également d’une visibilité parfaite sur les ventes et
connait en ternps réel le succes de tel ou tel produit. D’od
la possibilité de réorienter la production ct de réaliser
importantes Economies sur la logistique. “Si nous
avions recours & des franchisés, nous serions incapables de
savoir ce qui se vend bien, il serait tres difficile de bien
gérer notre production et nos réassorts”, commente Yves
Carcelle » (président de la branche mode et maroquinerie).
Dans le cadre d’une interprétation @ fa Coase, on
retrouve a l’évidence des facteurs & lorigine des coats de
transaction, notamment des coats de collecte de Vinfor-
mation (visibilité sur les ventes, réaction en temps réel),
et des cotits de surveillance et de controle (probleme du
comportement des franchisés ou des patrons de magasins
multimarques), Le marché, ou méme la structure hybride
14. Cette citation, et celles qui suivent, sont extrates de 'article du
Figaro Entreprises menticnne ci-dessus. Certaines émanent de res-
ponsables de LVMH, d”autres de 'auteur de l'article90 Les approches néo-insttutionnatises
qu'est Ie systéme de franchise. sembleraient plus cou:
eux et n’assureraient pas une lexibilité aussi grande que
Fintégration,
On déctle également les notions clés de Williamson :
1) la fréquence ces transactions ne fait aucun doute;
2) Pincertitude semble forte, qu’elle porte sur I"évolution,
de Ia demande ou sur les comporternents des franchises;
3) Vopportunisme est implicitement redoute : crainte de