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sur 150 au parlement slovaque – ndlr]. Mais il J’ai créé un événement sur Facebook proclamant :
est difficile d’établir un lien direct avec le meurtre « On ne veut pas du retour des années 1990 », c’est-
d’Henry [Acorda]. à-dire les années de terreur du dirigeant Vladimir
Me#iar, durant lesquelles le fils du président de la
République avait été kidnappé. On a organisé une
marche civique de soutien aux journalistes. Ceux qui
travaillaient avec Ján étaient terrifiés, ils ont reçu
une protection policière. On attendait des hommes
politiques qu’ils prennent leurs responsabilités, mais
rien de tout cela ne s’est passé. Au contraire, Fico a
À Bratislava, le 23 mars 2018. © CL
déclaré que les discours du président étaient écrits par
On parle pourtant d’un homme, Robert Fico, des mains étrangères.
supposément social-démocrate et affilié au Parti
socialiste européen, c’est bien cela ? J. S. : Nous avons rendu hommage au couple, sans
revendications politiques, pour montrer notre soutien
Peter Nagy : Il est très difficile de savoir ce en quoi aux familles. Mais face aux absurdités proférées, nous
il croit. On ne sait rien de sa vision du monde ou de avons décidé d’organiser d’autres rassemblements,
son projet pour la Slovaquie. Il se dit social-démocrate pour réclamer une enquête indépendante, mais aussi
et de gauche, mais tout ce qu’il fait est marqué par la démission du gouvernement. Des groupes nous ont
l’opportunisme, que ce soit sa position vis-à-vis des appelés des autres villes du pays et on s’est organisés.
immigrants ou ses mesures pour les retraités. Il utilise On a manifesté une fois par semaine, pendant onze ou
les groupes sociaux vulnérables pour renforcer son douze semaines. Honnêtement, on pensait chaque fois
pouvoir. que ce serait la dernière, mais il y avait toujours une
J. S. : Deux semaines avant l’horrible meurtre de bonne raison de recommencer.
Ján Kuciak et Martina Kušnírová [le 25 février P. N. : Après notre première marche, quand Robert
2018 – ndlr], c’était un grand Européen, en faveur Fico a dit au Conseil de sécurité que nous allions
de plus d’intégration européenne, et trois semaines attaquer les bâtiments publics et toutes ces sornettes,
après la découverte des meurtres, il utilisait subitement nous avons été extrêmement surpris de voir plus de
la narration anti-Soros et se retournait contre les cinquante mille personnes se joindre à nous pour une
manifestants. Mais ce n’est pas sans précédent : seconde manifestation. Ils n’ont pas eu peur de lui
en 2006, l'appartenance du parti au Parti socialiste répondre en descendant dans la rue pour affirmer leurs
européen avait été suspendue, pour être entré en convictions, pacifiquement.
coalition avec les nationalistes du Parti national
slovaque (SNS). « Aujourd’hui, la société civile peut parler à
voix haute »
Comment est né le mouvement Za slušné Slovensko
(Pour une Slovaquie intègre) ? Tout au long du mouvement, le président de
la République, Andrej Kiska, a pris position,
P. N. : J’ai reçu un coup de fil de ma femme durement, contre le gouvernement. Est-il à vos
[Katarína Nagy Pázmány, organisatrice la plus en vue côtés ?
du mouvement – ndlr] qui venait d’entendre à la radio
la nouvelle du meurtre de Ján et de Martina : « Il faut J. S. : Il a conscience de la situation dans laquelle se
absolument faire quelque chose, on ne peut pas rester trouve notre pays, plus que nous encore, car il reçoit les
les bras croisés. » Je le connaissais personnellement, informations des services secrets. Il a été très bon au
on était tous les quatre du même âge. moment de la crise gouvernementale, il a appelé à une
nouvelle représentation, à des changements. Il nous a
reçus officiellement à la présidence, en présence des
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médias. Mais nous ne sommes pas en contact avec lui En Slovaquie, beaucoup pensent que tout se passe à
et nous devons rester prudents, car lui comme nous Bratislava et que tout le monde se fout d’eux, c’est
sommes accusés de travailler main dans la main à la pour cela qu’on doit sortir de la capitale. D'ailleurs,
chute du gouvernement. Peter et moi ne sommes pas de Bratislava.
Vous avez aussi rencontré le nouveau premier P. N. : Demain, nous serons à Trnava, la semaine
ministre, Peter Pellegrini. prochaine à Prešov, Košice…, un peu partout dans le
J. S. : Nous lui avons dit très ouvertement que nous pays. Ce qui est hyper important, c’est d'impliquer les
attendions de lui qu’il restaure la confiance des gens gens dans la politique, et pas seulement pendant la
dans le gouvernement et que les choses ne prenaient période électorale mais tout au long de l’année. Ce
pas cette direction, qu’il s’agisse de la nomination manque d’intérêt et d’implication, c’est exactement ce
de Denisa Saková au ministère de l’intérieur [ex-bras qui a permis à nos politiques de faire tout ce qu'ils
droit du très sulfureux Robert Kali#ák – ndlr], de voulaient, en se disant que de toute façon, les gens ne
la situation des agriculteurs qui protestent contre les regardent pas ou qu’ils se tairont. Ça, ça a changé.
la corruption dans l’est de la Slovaquie, des médias Y a-t-il un avant et un après Kuciak ?
publics sous une pression croissante du pouvoir P. N. : Aujourd’hui, la société civile a une voix et
politique, avec des journalistes évincés de la RTVS ou peut parler à voix haute. Ces prémices de société civile
forcés à propager des fake news. Il nous a demandé dans laquelle les gens s’impliquent, c’est important
du temps. C’était très formel, il n’a pas confiance en pour le futur de ce pays. Plus tard, de simples citoyens
nous et nous n’avons pas confiance en lui. s’engageront et se présenteront pour gagner le vote
populaire et apporter leurs solutions.
J.S. : Les gens ont maintenant l'impression que leur
voix compte, ils ont le courage d’aller manifester
dans la rue. Ils sont très en colère car, vingt-neuf
ans après la « Révolution de velours » de 1989,
on devrait être beaucoup plus avancés dans notre
À Bratislava, le 23 mars 2018. © REUTERS/David W. Cerny processus démocratique. Mais voilà une occasion de
Vous êtes maintenant passés à une autre étape de faire progresser la Slovaquie. Le meurtre de Ján
la contestation et vous organisez des forums un peu Kuciak, c’est une tragédie doublée d’un grand espoir,
partout dans le pays. De quoi s’agit-il ? celui de faire enfin bouger la culture politique de notre
pays.
J. S. : C’est génial d’avoir obtenu la démission de
gens comme Kali#ák et Fico, mais ce n’est pas notre P. N. : Des centaines de gens se sont par exemple fait
succès, c’est celui des milliers de personnes qui se un devoir de descendre dans la rue après l’assassinat
sont mobilisées avec nous. On doit continuer à se d’Henry, le Philippin. Ce n’était pas organisé par nous
battre car il n’y a aucune prise de conscience de mais par « Bratislava bez náckov » [« Bratislava sans
la part de la classe politique. Maintenant, c’est sur nazis » – ndlr]. Je ne suis pas sûr que cela aurait pu
des transformations systémiques que nous devons être possible sans l’expérience des manifestations du
travailler, pour changer la culture politique du pays. printemps.
On doit écouter les problèmes des citoyens et leur faire Y a-t-il un risque réel de dérive autoritaire en
savoir qu’on les écoute. Slovaquie ?
Nous faisons le tour du pays pour rencontrer les P. N. : Quand Fico a fait référence à Soros, on a eu tout
gens, être à leurs côtés, savoir comment ils voient la à coup très peur de tomber dans un régime autoritaire,
situation et ce qu’ils pensent être le mieux pour le pays. comme en Pologne ou en Hongrie. Je ne pense pas que
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cela puisse arriver dans les deux années à venir. Mais J. S. : Mais on n’a pas peur, on sera là pour se battre.
les prochaines élections législatives [en 2020 – ndlr] Il y a des élections locales en novembre, puis les
vont être cruciales, car si Fico les remporte et redevient présidentielles et les européennes, on va se battre pour
premier ministre, c’est la voie qu’il empruntera et il une Slovaquie intègre.
sera difficile de l'arrêter. Boite noire
L’entretien a été réalisé en anglais à Bratislava le 15
juin 2018.
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