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A u crépuscule de ma vie chimères et souvenirs s’entrelacent en une gigue fantomatique drapés

dans les brumes de la vieillesse, fardeau inéluctable qui chaque jour affaisse un peu plus mes
maigres épaules. Sous peu je serai appelé à comparaître par-devant mon Créateur. Je dois confesser
que j’aspire désormais à cet ultime voyage, mais avant de reposer en terre, je me dois de coucher
par écrit l’entièreté du récit de ces années qui bouleversèrent le monde et firent trembler les trônes
des plus puissants monarques de la Terre. Mes compagnons et moi-même in fine, en ces sombres
temps fûmes comme tant d’autres, emportés et ballotés tels des fétus de paille dans les vents
furieux de l’histoire. Nos actions furent tantôt bonnes, tantôt mauvaises, … seul le Très Haut en
jugera.
 
Mais laisse moi Ô lecteur remonter les rivières du temps… Jusqu’à cet hiver de l’an de grâce 1423,
sur les contreforts du Menzec engangués de neige et de glace. Ici notre Compagnon Hospitalier
s’arracha enfin à l’étreinte fiévreuse qui le suppliciait depuis la terrible blessure reçue lors du sac
de Marseille. En son poing fermé il tenait une étoffe immaculée, réhaussée de fines broderies d’or.
Il a toujours soutenu avoir gagné cette étole, qui deviendrait, nous ne le savions encore, la plus
belle et noble bannière de notre temps, au cours d’un songe ou s’entremêlaient les destinées d’une
mystérieuse caravane, d’une lignée maudite, des spectres d’une mère et de son enfant ainsi qu’un
démon moitié homme moitié loup
 
Même au moment de rendre son dernier souffle l’Hospitalier resta fidèle à cette histoire, et je puis
affirmer, qu’il se comporta à jamais en homme d’honneur, sa mort fût… belle et bonne, il fût apaisé
de partir ainsi, je l’espère de toute mon âme.
Pour ma part je ne sais qu’en penser mais je puis dire que mes yeux à présent si affaiblis par le
fléau des ans, furent témoins de tant d’évènements étrangers à la compréhension des hommes…
d’une beauté qu’aucun poète ne saurait esquisser ou d’une malignité tant effroyable qu’une simple
évocation suffiriat à noyer le plus pieux des saints dans les abysses noires de la démence … Que…
Rien ne me semble aujourd’hui inconcevable, convaincu que les mystères de la Création s’étendent
bien au-delà des frontières du monde sensible, de la raison et même de la foi.
 
Mais revenons à notre histoire...En ce mois de Novembre de l’an de grâce 1423 nous avions rallié
l’armée de René Duc d’Anjou alors âgé de 13 ans et remontions la vallée du Rhône, immense
serpent de métal s’ébrouant lentement à travers le linceul blanc de l’Hiver. En Décembre nous
abordâmes la berge orientale de la Saône, traversâmes sans encombre le duché de Bourgogne et les
baillages de Franche Comté, pour atteindre les terres tourbeuses du Saint-Empire Germanique.
Enfin arrivée sur les pentes naissantes des Vosges, l’armée se scinda en deux, Yolande d’Aragon,
ses gens et hommes d’armes poursuivirent vers les plaines d’Alsace à l’est du massif, alors que
nous poursuivions notre voyage avec l’ost ducal vers la marche lorraine plus à l’ouest.

Matthias était d’une humeur maussade, les joues creusées, le teint havre, il ressassait de noires
pensées, la mort de son Père Tancrède, l’avènement de son frère Waleyran à la tête de la maison
Clermont-Tonnerre, le ralliement de ce dernier au parti Bourguignon, la fuite dans la nuit, Diane
laissée en arrière… En reconnaissance des faits de courage menés à Marseille et qui avaient permis
de soustraire aux griffes de la couronne d’Aragon les reliques de Saint-Louis d’Anjou, Yolande
d’Aragon par la bouche de son fils le Duc René d’Anjou lui avait bien concédé la Seigneurie de
Renesson dominant le village de Tresmont dans le Duché de Bar.
 
Suprême privilège certes, cependant Matthias ne pouvait prendre possession de ce fief qu’avec
l’aval de son frère Waleyran, désormais maître de la maison Clermont-Tonnerre. Sur nos bons
conseils, Matthias avait demandé audience au Duc, et de fait à sa mère Yolande d’Aragon, afin de
l’entretenir de ses obligations et devoirs auxquels l’honneur encore plus que le Droit lui interdisait
de se soustraire.
 
Malgré son jeune âge, le Duc René, éduqué et formé par sa mère, l’un des esprits les plus brillants
et alertes du siècle, était déjà d’une intelligence, d’une sagesse et d’une adresse politique, art ô
combien mortel, sans pareil. Ajouter à cela son talent naturel pour les armes, et l’on ne saurait
s’étonner du grandiose destin qui fût le sien accumulant victoires, richesses et titres… Duc
d’Anjou, Comte de Provence, seuls titres par lui portés en l’an de grâce 1423, puis… Duc de Bar,
Duc consort de Lorraine, Roi titulaire de Naples, Roi d’Aragon, Seigneur et comte de guise, et
enfin Roi titulaire de Jérusalem.

René accueillit avec bienveillance et gratitude la démarche de vérité initiée par Matthias. Il proposa
de surseoir, et d’enrôler Matthias et ses gens, et par évident votre serviteur, sous ses bannières le
temps que ses émissaires puissent prendre langue avec Waleyran de Clermont-Tonnerre et recueillir
son plein et entier assentiment. Yolande d’Aragon se fit rassurante… « ce n’est là que chose
politique que cela ne vous trouble pas outre mesure Messire Matthias »… furent ses mots.
 
Mais Matthias pour sa part, demeurait soucieux, sombre, glacial, prisonnier du joug de ses
tourments moraux. Il était à l’image de cet hiver qui n’en finissait plus…
 

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