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LA NATURE

« C’était au temps où les Dieux existaient, mais où n’existaient pas les


races mortelles. Or, quand est arrivé pour celles-ci le temps où la destinée
les appelait aussi à l’existence, à ce moment les Dieux les modèlent en
dedans de la terre, en faisant un mélange de terre, de feu et de tout ce qui
encore peut se combiner avec le feu et la terre. Puis, quand ils voulurent les
produire à la lumière, ils prescrivirent à Prométhée et à Epiméthée de les
doter de qualités, en distribuant ces qualités à chacune de la façon
convenable. Mais Epiméthée demande alors à Prométhée de lui laisser faire
tout seul cette distribution (…).
En tout, la distribution consistait de sa part à égaliser les chances, et,
dans tout ce qu’il imaginait, il prenait ses précautions pour éviter qu’aucune
race ne s’éteignit.
LA NATURE
(…) Mais, comme (chacun sait cela) Epiméthée n’était pas extrêmement
avisé, il ne se rendit pas compte que, après avoir ainsi gaspillé le trésor des
qualités au profit des êtres privés de raison, il lui restait encore la race
humaine qui n’était point dotée ; et il était embarrassé de savoir qu’en faire.
Or, tandis qu’il est dans cet embarras, arrive Prométhée pour contrôler la
distribution ; il voit les autres animaux convenablement pourvus sous tous
les rapports, tandis que l’homme est tout nu, pas chaussé, dénué de
couvertures, désarmé. Déjà, était même arrivé cependant le jour où ce
devait être le destin de l’homme, de sortir à son tour de la terre pour
s’élever à la lumière. Alors Prométhée, en proie à l’embarras de savoir quel
moyen il trouverait pour sauvegarder l’homme, dérobe à Héphaïstos et à
Athéna le génie ….
LA NATURE
créateur des arts [= la technique], en dérobant le feu (car, sans le feu, il n’y
aurait moyen pour personne d’acquérir ce génie ou de l’utiliser) ; et c’est en
procédant ainsi qu’il fait à l’homme son cadeau. Voilà donc comment
l’homme acquit l’intelligence qui s’applique aux besoins de la vie… »

Platon, Protagoras, trad. Emile Chambry Celle-ci désigne


LA NATURE
Prométhée et Epiméthée sont tout deux des Titans, fils de Japet et de
Clymène. Ils sont aussi les frères d’Atlas (celui qui sera puni par Zeus
et devra porter éternellement la voute céleste sur ses épaules) et
Ménoïstos qui sera foudroyé à cause de sa trop grande arrogance.
Quoiqu’il en soit, Prométhée et Epiméthée sont deux frères totalement
antagoniques. Etymologiquement Prométhée signifie « celui qui pense
en avance » (pro) et Epiméthée « celui qui pense après » (épi). Bref en
d’autres mots Prométhée est un être doué d’intelligence et de ruse
tandis que son frère peut être qualifié comme le dernier des imbéciles.
Or ces deux frères ont été d’une aide précieuse au côté de Zeus lors de
son combat contre les titans. Ainsi pour les remercier il leur confie une
mission hautement importante : celle de la création des êtres vivants,
des mortels ….
LA NATURE
Ainsi Prométhée se voit confier la construction de l’homme et
Epiméthée celle des animaux. Seulement comme nous l’avons vu,
ce dernier est légèrement écervelé et donne aux animaux tout les
attributs nécessaires et vitaux. Il leur fait don de la force, de la
rapidité, de poils, d’écailles, d’ailes, de griffes, d’instinct etc.
Ainsi les animaux ont tout pour être autonomes: ils peuvent
combattre le froid, le chaud, voler, courir, affronter les
prédateurs, se nourrir d’herbes ou de viandes. Epiméthée venait
déjà de créer une sacrée bourde, il avait tout légué aux animaux
en ne laissant plus rien à l’homme qui est nu et dépourvu
d’attributs.
LA NATURE
Alors Prométhée a conçut un homme capable de tenir sur ses
deux jambes, un corps robuste et solide. Mais ces traits n’étaient
pas suffisants pour assurer la survie des hommes. Alors
Prométhée commit la plus grave erreur qui sera fatale pour
l’humanité tout entière. Il décide de voler le feu et les arts aux
Dieux pour les donner aux hommes. Zeus en découvrant le délit,
entra dans une rage folle et enchaîna Prométhée éternellement à
un rocher où chaque jour, l'Aigle du Caucase lui dévore le foie.
LA NATURE
Dans le dialogue intitulé le Protagoras, Platon, le philosophe grec ancien,
propose sa version du mythe de Prométhée. Lorsque les deux titans
Épiméthée et Prométhée sont chargés de distribuer les qualités aux êtres
vivants, le premier (dont le nom signifie, l’imprévoyant, l’oublieux, celui qui
réfléchit ensuite) répartit ces qualités de telles sorte que leur distribution
parmi les animaux soit équilibrée. Personne ne manque de rien, chacun a ce
qu’il lui faut pour s’adapter au climat et pour survivre à ses prédateurs : les
crocs, la force, la vitesse, des ailes pour voler, ou de l’agilité pour grimper
aux arbres. Mais Prométhée constate que l’humanité a été oubliée : les êtres
humains sont nus, et cette espèce dépourvue de tout va disparaitre. Pour que
cela n’arrive pas il leur transmet le feu qu’il va voler aux dieux, il y ajoute la
connaissance des arts.

Un mythe est une histoire qui raconte l’origine


LA NATURE

Un mythe est une histoire qui raconte l’origine


du monde ou d’une société, ou qui fournit une explication à
un phénomène. Le mythe demande une interprétation.
LA NATURE

Exercice
LA NATURE
Réflexion : Réfléchissez aux questions suivantes, en rédigeant quelques
phrases au brouillon et comparez votre travail aux éléments de réponse qui
suivent…

1) Selon vous, que signifie que l’homme est nu après la distribution des
qualités parmi les animaux ?
2) Prométhée vole le feu aux dieux afin d’en pourvoir l’homme, que
symbolise alors le feu dans le mythe ?
LA NATURE
Réponses :
1)
L’oubli de l’homme par Épiméthée l’imprévoyant, la nudité de l’humanité,
rappellent la fragilité de l’homme, le fait que seul parmi les animaux, il ne
dispose ni de fourrure ni de plumes, ni d’écailles pour se protéger du
climat, ni de crocs, ni de griffes pour se défendre, ni d’aptitudes de vitesse
pour fuir les prédateurs, ni d’une fécondité importante pour que l’espèce
puisse perdurer. Cette fragilité originaire, on peut encore la constater chez
le petit être humain qui a absolument besoin de soins pour survivre et d’un
long apprentissage pour commencer à être indépendant. Alors que chez les
autres mammifères quelques heures, semaines ou mois suffisent, chez le
petit être humain, il faut des années avant qu’il puisse se débrouiller tout
seul.
LA NATURE
2)
Prométhée vole le feu aux dieux et le transmet à l’homme, cela signifie que
l’homme ne peut survivre sans la technique. Le feu est le moyen par lequel
l’homme peut éloigner les bêtes sauvages, mais aussi ce qui va lui
permettre de cuire la nourriture, ou encore de fabriquer des armes solides.
Le feu c’est ce par quoi l’homme va commencer à transformer la nature, la
naissance de la culture, de la technique, afin de survivre ; ce sans quoi il
aurait disparu. Le feu est donc ce qui fait sa force :c’est la maîtrise de la
nature, le feu comme élément naturel est maîtrisé par l’homme. Dans un
même temps il est le symbole de la domination de l’homme sur la nature :
l’homme devient plus fort, parce qu’il peut, grâce à ses outils, non
seulement se protéger, mais aussi soumettre les autres animaux.
LA NATURE
Se demander s’il faut dominer la nature, c’est d’abord s’interroger
sur une nécessité : s’il le faut c’est que cela est nécessaire, que cela
ne peut pas ne pas être, ou que cela ne peut pas être autrement. La
domination de la nature est-elle nécessaire ou contingente ? Peut-il
en être autrement ?
LA NATURE
Nécessaire / Contingent :
Est nécessaire,
ce qui ne peut pas ne pas être ou qui ne peut pas être autrement qu’il n’est.
Par exemple : il est nécessaire pour les êtres vivants de satisfaire leurs
besoins vitaux, échanger avec leur milieu pour se nourrir, sans cela ils
meurent.
Est contingent
ce qui est ainsi, mais qui pourrait être autrement. Par exemple un accident
est contingent, il est arrivé, mais il aurait pu aussi ne pas avoir lieu. La
contingence permet de penser non ce qui est (en fait), mais ce qui doit ou
devrait être (en droit).
LA NATURE
Dominer :

C’est contrôler, maîtriser, dompter, par exemple on dit de quelqu’un qu’il a


su dominer ses sentiments, il a donc su les contrôler ; mais aussi asservir,
commander, soumettre. Par exemple si on dit que Kevin domine ses
camarades ou que Napoléon a tenté de dominer le continent européen, cela
signifie qu’ils soumettent à leur volonté, ou essayent de le faire. Le verbe
dominer a donc ce double sens de maîtriser, mais aussi d’asservir.
LA NATURE
Nature / culture :

On parle de la nature, comme de l’environnement, du monde naturel, tout


ce qui n’est ni fabriqué, ni transformé, ni créé par l’homme. Le mot grec
pour parler de la nature est la phusis : qui désigne ce qui croît de soi-même
(verbe croître), ce qui naît et se développe de soi-même. On distingue la
nature de la culture : la culture est tout ce que l’homme produit, fabrique,
transforme, invente, crée.
LA NATURE
1 - Il est nécessaire que l’être humain domine la nature car c’est la
condition de sa survie
a. Dominer la nature par la culture.

On parle souvent de catastrophe naturelle, la nature apparaît


comme une puissance menaçante et dangereuse à laquelle nous
serions soumis. Il est nécessaire que l’homme crée, transforme,
invente pour survivre. Il crée les moyens de sa survie en cultivant
la terre, mais aussi en fabriquant des outils, des instruments qui
lui permettent de se défendre ou de se protéger.
LA NATURE
Mais la force de l’être humain n’est pas seulement tirée de ce qu’il
produit, elle vient aussi du fait que les êtres humains vivent ensemble,
en société. Or cette vie commune n’est pas évidente. Certes la nature,
c’est le monde naturel, extérieur à nous, seulement la nature est aussi
en nous. Le mythe de Prométhée tel que Platon le raconte dans le
Protagoras, ajoute qu’après avoir disposé de la maîtrise du feu et de la
connaissance des arts, les hommes n’arrivent pas à vivre ensemble : «
Ils cherchaient à se rassembler (…) mais quand ils étaient rassemblés,
ils se faisaient du mal les uns aux autres parce que la science politique
leur manquait ».
(Platon, Protagoras, trad. E. Chambry, G.F., p53).
LA NATURE
Les êtres humains n’arrivent pas à vivre ensemble parce qu’ils ne
sont pas naturellement doux, sociables, ils ont en eux des pulsions
agressives qui les conduisent à la violence et à la domination des
autres. Or, dans ces conditions, il semble impossible de vivre
paisiblement ensemble. Ils doivent donc inventer des moyens de
se contrôler, de dominer leur instinct, leur agressivité. Ainsi c’est
par la culture, l’éducation, l’instauration de règles qu’ils
s’organisent pour vivre ensemble et pour maintenir la vie
commune dans le temps.
LA NATURE
« Le mot culture désigne la somme totale des réalisations et
dispositifs par lesquels notre vie s’éloigne de celle de nos ancêtres
animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme
contre la nature et la règlementation des relations des hommes
entre eux. » écrit Freud, dans Malaise dans la culture (1929),
PUF, coll. Quadrige, 1995, p.32.

Une première hypothèse doit ici être développée : la


domination de la nature est nécessaire, elle prend le nom de
culture, et il s’agit de domestiquer la nature.
LA NATURE
Glossaire :

Pulsion : Energie à la limite de l’organique et du psychique qui


pousse le sujet à accomplir une action, cherchant une satisfaction,
dans le but de résoudre une tension venant de l’organisme.
Instinct : Comportement spontané, naturel, orienté en vue de la
survie. Part héréditaire, innée des comportements chez les êtres
humains et les animaux.
LA NATURE
Glossaire :

Domestication : Ensemble des moyens employés par l’homme


pour maîtriser les êtres naturels et les associer à des fins humaines,
ainsi que le résultat auquel ce processus aboutit.
Mais quels sont ces moyens par lesquels l’être humain domestique la nature ?
LA NATURE

Descartes
LA NATURE
Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et
que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai
remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des
principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir
cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer,
autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont
fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles
à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les
écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et
les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres
corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les
divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à
tous les usages auxquels ils
LA NATURE
sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d’une infinité
d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la
terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi
pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le
fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si
fort du tempérament, et de la disponibilité des organes du corps que, s’il est
possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes
plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans
la médecine qu'on doit le chercher.
DESCARTES, Discours de la Méthode, 1637, VI° partie
LA NATURE

EXPLICATION DE TEXTE
LA NATURE
Eléments d’explication :
« Sitôt que » : circonstance temporelle Acquisition de connaissances en
physique (étude la physique i.e. la nature d’après l’étymologie grecque).
« Et que » : précision quant à cette circonstance Mise à l’épreuve,
expérimentation (« éprouver ») de l’efficacité de ces connaissances (face à «
diverses difficultés »)
« J’ai remarqué » : constat encore imprécis de cette efficacité (« jusqu’où
elles peuvent conduire ») « et combien » : précision sur ce constat et, par
conséquent, sur la nature de ces connaissances : elles fournissent des
« principes » novateurs, c’est-à-dire des connaissances fondamentales qui
serviront à de nombreuses autres. Mais en quoi « diffèrent »-elles des
connaissances acquises jusqu’alors ?
LA NATURE
Eléments d’explication :

« …, j’ai cru que » : conséquence de ces circonstances et de ce constat :


dissimuler un savoir efficace serait une faute morale (« pécher ») face à une
loi de générosité qui commande de « procurer… le bien général de tous les
hommes ». Ceci implique que tout savoir efficace n’est pas nécessairement
bon pour l’humanité. Ce bien général de l’humanité apparaît comme un critère
de la divulgation de la science. Mais toute science efficace en pratique pour
faire le bien ne comprend-elle pas le risque d’être efficace aussi en mal ?
Descartes n’est-il pas ici trop optimiste ?
LA NATURE
Eléments d’explication :

« Car » : explication de cette vertu de la physique : elle constitue des


« connaissances…fort utiles à la vie ». Conception non plus simplement «
spéculative » ni contemplative de la science mais utilitariste.
« et » opposition entre la « philosophie spéculative » = théorique Et une
philosophie « pratique » dont Descartes va plus précisément expliquer
l’efficacité (« par laquelle »)
LA NATURE
Eléments d’explication :
Il s’agit de connaître « la force et les actions » des éléments constitutifs de la
nature (feu, eau, air), des corps célestes (astres et cieux) mais aussi « de tous
les corps qui nous environnent ». Cette connaissance doit être distincte c’est-
à-dire que les éléments doivent être bien identifiés dans leur spécificité
(analyse*) afin de comprendre comment ils s’articulent (synthèse*). Cette
précision et cette rigueur permettent alors de connaître le fonctionnement de la
nature que nous n’avons pas créée aussi bien que « les métiers des artisans »
que les hommes ont inventés et dont nous connaissons parfaitement les
rouages. Cette comparaison est éclairante : la nature pourra alors nous servir
aussi bien que nous servent nos machines et nos outils car nous en
connaissons parfaitement le fonctionnement.
LA NATURE
Eléments d’explication :

Cette conception de la science et de son efficacité promeut une vision


utilitariste qui rompt avec le caractère contemplatif de la science antique bien
distincte des techniques. Il s’agit désormais d’exploiter la nature, d’en tirer le
maximum d’effets possibles, « de l’employer… à tous les usages auxquels ils
sont propres ».
LA NATURE
Eléments d’explication :
Descartes peut alors conclure (« et ainsi ») : cette exploitation scientifique de
la nature « peut nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». La
nature n’est donc plus, ou, au moins, plus seulement, un milieu dans lequel
vivent les hommes. Elle est un domaine dont ils sont, sinon les propriétaires
(Dieu seul en serait le légitime et définitif propriétaire peut-être), du moins les
« possesseurs » au sens où, de fait, ils exercent sur cette nature leur pouvoir
qui permet de juguler, de canaliser ou de tirer parti des forces de la nature.
Certes, cette maîtrise n’est que partielle (ils sont non pas « maîtres » mais «
comme maîtres ») de droit (le créateur en est le véritable maître) et de fait :
cette maîtrise est limitée et imparfaite ; les hommes ne peuvent éviter les
catastrophes naturelles (raz-de-marée, éruptions volcaniques, etc.) ni
techniques (incendies, etc.).
LA NATURE
Eléments d’explication :
Descartes ensuite précise (« Ce qui… ») quels avantages cette maîtrise
scientifique et technique de la nature peut apporter aux hommes. Il s’agit de «
l’invention d’une infinité d’artifices » : le mot « infinité » souligne l’extrême
fécondité attendue de ces connaissances en physique. « Artifices » désigne ici
toutes les inventions fruits de la technique humaine (« artifice » renvoie au
latin « factum » signifiant « fait » et « arte » signifiant « selon un art ») ; on
peut penser à des procédés ou à des machines. Ces techniques et ces
inventions sont censées procurer la disparation d’une certaine pénibilité dans
le travail pour exploiter la terre : les « fruits de la terre » renvoient d’abord
aux techniques agricoles mais l’expression « toutes les commodités qui s’y
trouvent » peut renvoyer aussi bien aux éléments naturels (eau, air et feu par
exemple) dont on exploite l’énergie de
LA NATURE
Eléments d’explication :
l’énergie de nos jours qu’aux minerais ou autres matières premières. Toutefois
Descartes oppose (« mais ») à ce premier type de bénéfices un autre qu’il
estime plus fondamental (« aussi principalement ») : la « conservation de la
santé ». En effet, le primat de ce bénéfice se justifie par le fait que nous avons
besoin d’une bonne santé pour tirer parti de tous les autres biens : la santé est
au « fondement de tous les autres biens de cette vie. »
LA NATURE
Eléments d’explication :
Descartes explique cette importance de la santé par le lien entre le corps et
l’esprit : le bénéfice que la médecine apporte à la santé du corps, à la
maîtrise de son « tempérament » et à la bonne « disposition » des organes (le
fait qu’ils soient dans un état susceptible de servir notre volonté au lieu de la
freiner, de l’indisposer) rejaillit sur notre esprit, sa vivacité ou sa
concentration (les maux et douleurs corporelles dérangeraient la réflexion
scientifique et morale). On retrouve la conception cartésienne des « passions »
au sens de tout ce qui est subi par l’âme sous l’effet du corps, conception qui
rend compte de l’union étroite entre l’âme et le corps bien que le corps puisse
fonctionner seul, sans l’intervention de l’esprit (l’âme et le corps étant deux «
substances distinctes »)
LA NATURE
"La philosophie spéculative est, comme on a vu, la connaissance de la
vérité, ou de ce qui peut vraiment et solidement contribuer au bonheur de
l’homme. La philosophie pratique est cette connaissance appliquée à la
conduite de la vie. La philosophie spéculative dépend de la justesse de nos
idées, de nos jugements, de nos expériences ; la philosophie pratique
dépend de notre organisation particulière, de notre tempérament, des
circonstances où nous nous trouvons, des passions plus ou moins fortes que
nous avons reçues de la nature et des obstacles plus ou moins puissants que
nous rencontrons pour les satisfaire."

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Essai sur les préjugés, 1770, Chapitre XII,
in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 120.
LA NATURE
1) Descartes distingue deux types de connaissances : celle qu’il veut
promouvoir et celle dont il veut se distinguer. Différenciez-les dans un
tableau.
2) Descartes écrit : « j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans
pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer (…) le bien
général de tous les hommes. »
a. Pourquoi des connaissances seraient-elles tenues cachées ?
b. Y a-t-il une loi qui nous oblige à procurer le bien général de tous les
hommes ? D’où vient-elle ?
LA NATURE
3) Il affirme que par la connaissance de la physique nous pourrions «
nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » : qu’entend-il
par là ?
(Cherchez la réponse dans la suite du texte et proposez des exemples).
4) Quelle connaissance Descartes met-il au-dessus de toutes les autres ?
Pour quelles raisons ?
Éléments de réponse : LA NATURE
1) Tableau
La physique La philosophie spéculative

Connaissance fort utile à la Les principes dont on s’est servi


vie jusqu’à présent
Philosophie pratique qu’on enseigne dans les écoles
Notons que Descartes s’oppose à la tradition de l’enseignement des
sciences. Ici, il insiste sur l’importance de ne pas séparer la théorie (le
savoir enseigné dans les écoles, les principes) et la pratique : les
connaissances scientifiques ont des applications pratiques directement
utiles, et même nécessaires, ainsi l’homme ne subit pas sa condition
naturelle, n’est pas sous la tutelle de la nature : c’est lui qui la domine.
LA NATURE
2) a. Des connaissances pourraient être tenues cachées car elles entrent en
contradiction avec celles qui sont enseignées dans les écoles et révèlent une
certaine conception du monde, de la nature.
Si elles remettent en question cette conception du monde, elles peuvent
valoir à celui qui les diffuse de sérieux ennuis avec les autorités
ecclésiastiques et politiques.
En 1633, Galilée est condamné pour avoir défendu l’héliocentrisme,
Descartes alors renonce à publier son Traité du monde et de la lumière.
Descartes est donc conscient des menaces qui pèsent sur les progrès de la
science, et ne se distingue « des principes dont on s’est servi jusqu’à
présent » que de façon allusive pour ne pas risquer la censure.
LA NATURE
b. La loi à laquelle fait allusion Descartes, n’est pas une loi positive, elle
n’est écrite nulle part.
Il suit en réalité un principe moral selon lequel nous devrions agir toujours
en vue du bien-être de l’humanité.
Il est ici implicitement affirmé que la connaissance mise au service du
progrès technique ne peut que servir l’humanité.
On peut affirmer que Descartes a foi dans le progrès de la connaissance et
de la technique mises au service de l’humanité.
LA NATURE
3) C’est le sens de son affirmation : par la connaissance de la nature (la
physique étant la science de la nature), les êtres humains pourraient donner
des buts utiles, mettre à leur service les forces de la nature.
Il parle de « la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres et des
cieux et de tous les autres corps qui nous environnent ».
En effet la connaissance des forces des astres nous a par exemple permis de
construire des usines marémotrices afin de produire de l’électricité comme
celle de la Rance.
LA NATURE
4) Descartes met au-dessus des autres la connaissance de la médecine qui
permet la conservation de la santé.
Il le justifie en disant que la santé « est sans doute le premier bien et le
fondement de tous les autres » ; il est donc d’abord question pour l’homme
de sa survie.
Mais c’est aussi parce que la santé est le fondement même du progrès : elle
pourrait « rendre les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été
jusques ici ».
Autrement dit c’est par la connaissance du vivant, du corps humain et de
son fonctionnement que l’on va pouvoir non seulement conserver la santé,
guérir les maladies, mais aussi entamer un véritable progrès pour
l’humanité, car la santé déterminera les progrès dans les autres domaines de
la connaissance.
LA NATURE
c. La culture : la connaissance, l’éducation, la technique, sont la marque de
la maîtrise de l’homme sur la nature, dignes d’admiration et conditions de
son développement en tant qu’espèce
Ainsi la culture permet-elle de dominer, de domestiquer la nature aussi bien en
nous et hors de nous. Il s’agit d’abord de s’associer pour survivre ensemble, de
s’organiser, d’instaurer des règles, qui sont décidées et non de vivre sous
l’impulsion de la nature, de l’instinct ou des pulsions. Il s’agit ensuite de
connaître la nature en dehors de nous, le milieu dans lequel nous vivons (les
forces naturelles) et en nous (le corps humain, le vivant, le milieu interne de
l’organisme) afin de s’en servir. Il s’agit donc enfin d’assigner une fin (un but) à
des forces qui sont présentes et, au départ, indépendantes de nous, mais que nous
pouvons posséder (par la connaissance) et maîtriser (mettre à notre service) pour
nous assurer non seulement la survie mais aussi le confort, une existence plus
facile, voire même agréable.
LA NATURE
C’est en ce sens que John Stuart Mill, dans son œuvre intitulée, La Nature
(1874), nous invite à « reconnaitre que les puissances de la nature sont
souvent en position d’ennemi face à l’homme, qui doit user de force et
d’ingéniosité afin de lui arracher pour son propre usage le peu dont il est
capable », et « que l’homme mérite d’être applaudi quand ce peu qu’il
obtient dépasse ce qu’on pouvait espérer de sa faiblesse physique comparée
à ces forces gigantesques. »
LA NATURE
Dans un premier temps il semble tout à fait nécessaire de dominer la
nature : cette domination est l’œuvre de la culture qui désigne tout
processus mis en œuvre par l’humanité afin de modifier, améliorer,
organiser ce qui est déjà là, en nous et hors de nous : la nature.
Ainsi les êtres humains ont-ils besoin d’éducation, de règles, de
connaissance et d’ingéniosité pour réussir à dominer la nature, s’assurant
ainsi non seulement les conditions de leur survie, mais surtout celles d’une
vie meilleure dans laquelle les progrès scientifiques et techniques assurent à
l’humanité santé et confort.
Seulement, cette volonté de domination peut-elle parvenir à ses fins ? Peut-
on concrétiser le projet de maîtrise de la nature au service du bonheur de
l’humanité ? Est-il souhaitable de dominer la nature ? Ce projet de
domination ne menace-t-il pas et la nature et l’humanité ?
LA NATURE
2 - Vouloir dominer la nature nous conduit à la détruire alors que nous devrions
au contraire, la respecter, la prendre comme modèle, et vivre en harmonie avec
elle
a. C’est en réalité l’entrée dans la culture qui a fait le malheur de l’humanité
En cherchant à dominer la nature, à faciliter leur existence, à rendre les tâches
quotidiennes plus aisées et, de manière générale, leur vie plus confortable, les
êtres humains se sont dénaturés. Ils n’en ont pas eu conscience, en jouissant
d’abord de leurs inventions, mais ils se sont pris à leur propre piège : rendus
dépendants de ces artifices, ils sont les artisans, non de leur liberté par la
domination de la nature mais de leur asservissement à de nouveaux besoins et de
leur malheur. Cette dénaturation progressive, les a affaiblis, ils y ont perdu leur
liberté et leur bonheur naturels.
LA NATURE Texte de Rousseau
« Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés,
et les instruments qu’ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant
d’un fort grand loisir l’employèrent à se procurer plusieurs sortes de
commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu’ils
s’imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu’ils préparèrent à
leurs descendants ; car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amollir le corps et
l’esprit, ces commodités ayant par l’habitude perdu presque tout leur agrément ,
et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint
beaucoup plus cruelle que la possession n’en était douce, et l’on était
malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder. (…)
LA NATURE
Mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès
qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux,
l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les
vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de
la sueur des hommes , et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la
misère germer et croître avec les moissons
La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit
cette grande révolution. »

Jean-Jacques Rousseau, Essai sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes, IIe Partie, GF, pp.114-119.
LA NATURE
Dans cet extrait Rousseau présente les hommes justes sortis de l'état de nature, dans
lequel ils vivaient isolés et paisiblement. La description insiste d'emblée sur l'idée que
des "commodités" -entendons par là des objets et outils pratiques, d'usage facile, qui
rendent l'activité plis aisée au quotidien- ces commodités sont donc un "joug". Le joug
est, au sens propre, la pièce de bois que l'on met sur la tête des bœufs pour les atteler, au
sens figuré, c'est une contrainte. Autrement dit, ce qui nous semblerait à première vue
produire de la facilité, et donc nous libérer des contraintes des activités les plus
pénibles, de notre dépendance à l'égard de la nature, Rousseau le présente
paradoxalement comme contraignant. Pourquoi est-ce contraignant? La réponse est dans
la suite du texte : c'est parce que l'humanité prend l'habitude du confort et de la facilité
qu'elle est contrainte, non seulement le confort nous amollit, il nous affaiblit, mais en
outre nous n'en jouissons pas. En effet, au lieu d'en profiter, l'habitude d'une vie
confortable ne nous apparait plus qu'une chance, au contraire, nous nous mettons à en
avoir réellement besoin parce qu'elle nous a affaiblis : nous avons perdu l'habitude de
faire des efforts, nos muscles et notre squelette se fragilisent ainsi. Rousseau ajoute que
si jamais nous étions privés de ces conditions
LA NATURE
confortables, alors elles nous manqueraient : ceci lui permet donc d'affirmer que nous
en sommes devenus dépendants. Si la liberté est pensée comme indépendance, alors
cette dépendance est liberticide. Par conséquent, loin de nous libérer de la tutelle de la
nature, les inventions techniques, les articles, tout ce qui rend notre activité plus rapide,
facile, efficace, est au contraire, selon Rousseau, la source de notre faiblesse et de notre
malheur.
LA NATURE

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