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BIBUOTHEQUE Aduersus Marcionem 1,29 Deux états de la rédaction du traité On sait que le texte de l’Aduersus Marcionem que nous lisons est celui d'une troisitme édition « revue et augmentée » par Tertullien lui-méme. Le début du premier livre du traité nous renseigne en effet brigvement sur I’histoire de cette publication en trois temps, échelonnée vraisembla- blement sur une dizaine d’années au moins!. Tertullien avait écrit A la hfte un ouvrage contre Marcion, dont il préparait une seconde édition plus complete. Mais il perdit son manuserit, victime d’un ¢ frére »? qui en fit une copie défectueuse et la répandit dans le public. Pour pallier les inconvénients de cette édition « subreptice »°, ‘'ertullien entreprit alors 1. On admet généralement que Ja premiére édition a paru vers 200 et la troisi&me (livres T A TV) en 207-208, le livre Vayant paru un peu plus tard, aprésleDe res, mort, La date de la 3° édit, du livre I nous est fournie par Tertullien (I, 15, 1) : af nunc quale est ut dominus anno quinto decimo Tiberi Caesaris reuelatus sit, substantia uero anno quinto decimo iam Seueri imperatoris nulla omnino comperta sit ?, soit 207-208, Encore faut-il remarquer que cette précision chronologiqne n'implique pas nécessairement qu'il s'agisse de sa 3° édit. ; si on I’adimet, c'est parce que, en I, 1, 7, Tertullien annonce qu'il réfutera prochainement les hérésies en usant de Vargu- mient de la prescription, ce qu'il a déja laissé entendre dans I’Apologeticum (47, 1: 9-10) ; il faut done penser, sous peine de dater le De praescriptione uprés 207-208 hypothése difficile & admettre, cf, P. de Labriolle, édit. du De praes., p. XI), que la remarque faite en I, 1, 7 a été maintenue bien qu’elle ne correspondit plus la réa- lité lors de la 3° édit, Ceci vaut également pour Adu, Mare. III, 24, 4 oit ‘Tertullien présente l’expédition de Septime Séyére en Judée (198) comme ayant eu lieu « ré- cemmient » (proxime). D’autre part, sur 1a date de composition des livres II, IIT et IY, l'accord est loin d’étre réalisé. — Sur tous ces points, voir le tableau chronologi- que fort commode qu’a dressé M.R. Braun dans sa thése Deus Christianorum, Paris, 1962, pp. 567-577. * 2, Selon M.G. Quispel, ce « frére » serait le compilateur de la deuxiéme partie de V'Adu. Iudaeos (De bronnen van Tertullianus’ Aduersus Marcionom, Leiden, 1943, pp. 1-21 « De uitgave van Adu. Mare, »), Mais plus récemment, MM. Saflund et Trinkle ont défendu la thése de V'unité et de l’authenticité de lAdu, Iud, (G. SkrLUND, De Pallio und die stilistische Entwicklung Tortullians, Lund, 1955, pp. 122-206 ; H, TRANKLE, Q.S.F, Tortulliani Aduersus Tudaeos, Wiesbaden, 1964, pp. XI-GXVIL) 3. J’emprunte cette expression 4 M, H.-I, Maxrou, La technique de Védition & Vépoque patristique, p. 209 (dans V. Chr, 3 (1949) pp. 208-224), Une mésaventure comparable est arrivée & saint Augustin pour ses Adnotationes in Iob : cf. Retvacta- Hones, 39 (CSEL 36, p. 143). Cet exemple est cité par M, Marron, ibid, 2 gy 7 J FREDOUILLE d'écrire une troisitme édition et profita de l'occasion pour compléter et aiméliozer gon traité!, Aussi prend-il la précaution de prévenir ses lecteurs quiils doivent désormais considérer cette troisiéme et derniére édition comme la séule valable. | Moins favorisés que ses contemporains, nous sommes réduits, dans la plupart des cas, A émettre des hypothéses sur les modifications d'ensemble ou de détail que Tertullien a fait subir 4 son texte, Kerits pendant une période tourmentée de sa vie, puisqw’il subissait alors de plus en plus fortement l’attraction du montanisme, les états successifs de 1'Aduersus Marcionem auraient été pour nous riches d’enseignements de tous ordres, méme si nous pouvons penset que, pour l'ensemble, son passage au monta- nisme n'a pas di modifier profondément sa réfutation de Vhérésie mar- cionite®, Néanmoins, et étant donné I’importance du traité dans I’ceuvre de Tertullien, nous aurions eu des témoignages irremplagables sur ses méthodes de travail et 1l’évolution de sa pensée*, Or il nous semble, précisément, que le chapitre ag du livre I laisse appa- raitre deux états de sa pens¢e, sur un sujet qui lui tenait particuligrement A coeur, et que la «soudure » dans le texte reste visible. ‘Tertullien termine son premier livre, of il a montré I'identité du Diew de !’Ancien et du Nouveau Testament, en soulignant ’inconséquence de Marcion; qui maintient le sacrement du baptéme tout en professant un dualisme absolu et le pouvoir salvifique de la foi seule, sans autre média- tion’. Au surplus, I'hérétique imposait des conditions trés rigoureuses A 4, Par exemple, d'aprés Adu. Marc. IL, 1, 1 on peut déduire que les livres I et II de la 3° édit. n’en formaient qu'un précédemment, et selou toute vraisemblanee de moindre étendue. M. Quispel pense que ces additions représentent les livres LV et V; sur cette hypothese, voir les réserves de M. J.W, Ph, Borleffs dans I", Chr. 1 (1947) P. 193, n. 5. En revanche, il ressort nettement de la these de M. Quispel que, pour chaque édition, Tertullien a utilisé une source nouvelle (Irénéc, Justin, Théophile d'Antioche, les ‘Antitheses de Marcon). 5. Pour Monceaux (Hist. Lilt. Afrique Chrét. £, Paris, t90t, p. 201) « les livres Contra Marcion... pour Vensemble sont entitrement conformes & la doctrine de V'Bglise ». Ex fait, il n’y a pas, dans ce traité, que des références au Paraclet, mais aussi des déviations doctrinales (régne du Paraciet, prophéties uouvelles, noces uniques) ‘Toutefois, il reste vrai que, devenu montaniste, Tertullien a conservé « inentamés Presque tous les articles de sa foi ancienne », (P. de LAuxtonit, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 463). Récemment, on amis en Iumiére les rapprochements qui existent entre le montanisme ct la théologie de l’Figlise asiate : ef, K, ALAND, Dey Montanismus und die Kleinasiatsche Theologie, dans Z.N.T.W., 46 (1453), 109-116 : J. DANTET,OU & H.-L Marrou, Nouvelle histoive de I’ Eglise I, Paris, 1963, pp. 131-134. 6. Kroymann a tenté de discerner dans certains passages des livres I et II des traces de xédactions successives, mais sans succes’; cf, A. Brtt,, Zur Evkldrung und Toxthritin des x, Buches Tertullians « Aduersus Marcionem » (T.u.U., 38. Band Heft 2), Leipzig, 191t, p. 8: ¢ in den von Kroymann angenommen Dubletten finden wit nitgens die Differenzen zwischen montanistiseber und kirchlicher ‘Tendenz, » 7 CE RP, Refoulé, éd, du De baptismo, Paris, 1952, p, 1. ADVERSVS MARCIONEM 1,29 i la réception du baptéme’, auquel n’étaient admis que « des vierges, des veuves, des célibataires ou des personnes mariées qui se séparaient ». Cette discipline fournit & notre auteur loccasion d’un sarcasme facile : « comme si, ajoute-t-il, tous ces gens continents n’étaient pas le fruit de union conjugale »® ; transition commode, qui lui permet d'aborder la réfutation d’un autre point important de la doctrine de Marcion : Ia con- damnation du mariage". Voici le texte : 29, 1 ...Sine dubio ex dammatione coniugii institutio ista (= Je baptéme selon Marcion) constabit. — 2 — Videamus, am iusta, non quasi destructuri felicitatem sanctitatis, ut aliqui Nicolaitae, adsetfores libidinis atque Iuxuriae, sed qui sanctitaten sine nuptiarum damia- tione nouerimus et sectenmr et praeferamus, non ut talo boaum, sed ut bono melius.Non enim proicimus, sed'deponimus nuptias, nec praescribimus, sed suademus sauctitatem, seruantes et bonum et melius pro uiribus cuiusque sectando, tune detique contugum exerte defendentes, cum inimice accusatur spurcitiac nomine in destructionem creatoris, qui proinde coniugium pro rei hottestate benedixit incre- mentum generis human, quemadmodum et uniuersum conditionis in integros et bonos usus. —- 8-—- Non iceo autem et cibi daninabuntur, quia operosins exqnisit! in gulam committunt, tine) nee westitus ideo accusabuutur, quia pretiosius comparati in ‘ambitiouem tumescunt. Sic nec matrinonii res ideo despuentur, quia intemperantius diffusac in Iuxuriam inardescunt, Multum differt inter canisam et culpam, inter statum et excessum. — 4— Ita huiusmodi nou institutio, sed exorbita- tio reprobanda est, secundum censuram institutoris ipsius, cufus est tam : crescite of multiplicamini#, quam et : non adullevabis et uxorem proximi tui non concupisces*?, morte punientis ct incestam, sacrilegam atque monstrosam in masculos et in pecudes libidinum iusaniam' $ed et si nmbendi iam modus ponitur, quem quidem apud nos spiti- tolls ratio paracleto auctose defendit, Gnu 4m fide tatthmontum Bracscribens, ‘elusdem eit modum figere, qui modum aliquando iffuderat ; is colliget, qui sparsit ; is cacdet siluam, qui plantauit ; is metet segetem, qui seminauit ; is dicet : superest, ul et qui uxores habent sic sint atque si now habeant*, cuius et retro fult : crescite et mulliplicamini*® ; eiusdem finis, cuius et initium, — § — Nou tamen ut accusanda caeditur silua, nec ut danmenda secatur seges, sed ut tempori suo parens. Sic ct conubii res non ut mala securem et faleem admittit sanctitatis, sed ut matura defungi, ut ipsi sauctitati reseruata, cui cedendo praestarct esse. Vude iam dicam deum Marcionis, cumi matrimonium ut malum et inpadicitiae negotium reprobat, aduersus 8, CE Adu. Mare, IV, 11, 8 et EpiwHanw, Haver, 42 (PL 41, 695 sqq.). D’ailleurs, on sait que ‘Tertullien, suivi plus tard par Cyprien, ne reconnaissait pas le baptéme des hérétiques (Bup!. 15, 2; Cve., Ep. 70 & 71). Sur V'historiqne de cette controverse, voir DTC 2, x col. 219-233, art de G, BAREIER. 9. I, 29, 1: non tingitur apud itlum caro, nisi uirgo, nisi uidua, nisicacleps, nisi diu- ontio baptismé mercata, quasi non etiam spadonibus ex nuptiis nata. ro. Pour Marcion, le mariage est l'ceuvre du Dien créateur de I'AT. Cf, A, von HARNACK, Marcion ! Das Evangelium vom fremden Gott, Leipzig, 1921, passim. 11. Gen. 1, 28. 12, Exod, 20, 14317. 13. CE Lew, 20, 11-17. 14. 1, Cor. 7, 29. 15. Gen, 1, 28, 4 J-C. FREDOUILLE ipsam facere sanctitatem, cui uidetur studere. Materiam enim cius etadit, quia si nuptiae non erunt, sanctitas sulla est. — 6 — Vacat enim ‘abstinentiae testimonium, cum licentia eripitur, quoniam ita quacdam in dinersis probantur. Sicut ct uirius in infirmitate perfici- fi, sic ct abstinentia nubendi in facultate dinoscitur. Quis denique abstinens dicetur sublato eo, a quo abstinendum est ? Quae tempe- rantia gulae in fame ? Quae ambitionis repudiatio in egestate ? Quae libidinis infrenatio in castratione ? — T —Iam uero sementem generis humani compescere totum nescio an hoc quoque optimo deo congrnat. Quomodo enim saluum hominem uolet quem uetat nasci, de quo nascitur auferendo ? Quomodo habebit in quo bonitatem suam signet, quem esse non patitur *Quomodo diliget cnius originem nou amat!? ? S'il est un point de la disciplina fidei sur lequel le passage de ‘Tertullien au montanisme n’a pas modifié profondément les vues qu'il avait déja auparavant, c’est bien la question du mariage. Dés l’époque ot il écrit VAd uxorem’8, on peut dire qu'il professe des opinions fort proches de celles qu'il reprendra, en Jes accentuant encore, dans ses deux autres traités, d’inspiration montaniste, le De exhortatione castitatis et le De monogamia, Or, ce qu'il y a d’étonnant dans la premiére partie de ce texte (§§ I-4 ... gnsaniam), qui, & notre connaissance n’a pas été jusqu’ici analysé avec assez de rigueur™, c’est le vocabulaire nuancé et juste que ‘Tertullien utilise pour soutenir le point de vue orthodoxe de 1’Eglise sur Je mariage. Sans rabaisser les mérites de la continence comme le faisaient les Nicolaites, qualifiés ici d’adsertores libidinis atgue luxuriae, il pense que la felicitas sanctitatis ne doit pas entrainer la condamnation du mariage. Entre chasteté et mariage, il y a la différence qui sépare le melius du bonum. Cette définition, qui nous parait capitale, est reprise deux fois (§ 2), 16. 2 Cor, 1, 9, 17. Nous reproduisons le texte de I'édition Kroymann (CSEL 47), repris dans CCL t, of sont données quelques corrections proposées depuis par les critiques, — Nous avons « coupé » le texte a la fin du § 7 ; en effet les §§ 8-9 ne présentent pas intérét pour nous ici, Afin de rendre notre exposé plus clair, nous avons adopté cette disposition en trois alinéas, 18. Les deux dates extrémes proposées pour ce traité sont 198 (Harnack) et 207 (Noeldechen), M. Braun voit justement dans cet ouvrage le dernier de la ¢ période catholique » de auteur, avant l'ddu. Marc. (op. cit. p. 571) 19. Cf. P. de Labriolle, op. cit. p. 393. 20. P. de Labriolle, tid. p. 396, qui résume plus qu’il ne traduit la premiére partie du § 2, Vinterpréte comme un «sacrifice consenti» dont ‘Tertullien s'est dédommagé « par d’éloquentes apostrophes dont l'efit frustré une autre attitude », Cette explication nous parait insuffisante. Le R.P, Le Saint reprend 4 pen prés la méme 4dée) Tertullian, Treatises on Marriage and Remarriage, A.C.W. 13, London, 1951, p. 41). A. Bill (op. cit, pp, 92-94) analyse le chap. 29, mais sans en tirer de conclusions particuliéres. ADVERSVS MARCIONEM 1,29 5 et nous n’en trouvons pas ailleurs l’équivalent chez Tertullien, non plus qu'un contexte aussi modéré de ton et de pensée®, En effet, dans 1’Ad uxorem (I, 3, 2), aprés avoir concédé que le mariage est un bien, il rappelle aussitét que l’Apétre le permet seulement « a cause des pidges de la tentation » et qu'il préfare « quelque chose de supérieur a ce bien ». Cette restriction conduit en fait Tertullien 4 déprécier le mariage, auquel seule sa comparaison avec le mal peut donner quelque valeur, et il ajoute : « Quel est donc ce bien, je te le demande, qui doit toute sa recommandation au mal avec lequel on le compare; en sorte qu'il est meilleur de se marier parce que briiler est pire ? »®®, Ce raisonnement, par lequel Tertullien rabaisse le mariage en n’y voyant qu’un « moindre mal », sera repris et développé dans le De exhortatione castitatis et le De monogamia : « D’ailleurs si une chose n’est déclarée bonne que par compa- raison avec un mal, je la tiens moins pour une chose bonne que pour un mal inférieur qui, obscurci par quelque mal plus grand, se voit attribuer le nom de bien... ‘ I! vaut mieux se marier que de briiler ’. Cette parole doit étre interprétée en ce sens : il vaut mieux étre privé d'un ceil que d’en perdre deux. Laisse-la la comparaison, tu ne pourras pas dire : ¢ il est meilleur d’avoir un seul ceil’, parce que cela n'est méme pas bon »®, On peut donc penser que de 1’Ad uxorem au De exhortatione castitatis et au De monoganuia™ ‘Tertullien n'a cessé de considérer le mariage comme un «moindre mal» : il ne tire ses mérites, en quelque sorte négatifs, que de sa comparaison avec les écarts de la sexualité qu'il peut empécher. Or, tout autre est la définition qu'il propose dans le texte dont nous nous occupons : le mariage y est présenté comme un bien en soi, inférieur seulement a tm « mieux » qui est la continence. Le point de vue nous parait a1. I/éloge du mariage qu’on peut lire dans Ad wrorem II, 8, 6-9, est écrit dans un esprit différent : c’est en quelque sorte une page, fort belle du reste, sur la spiritualité du mariage qui unit deux chrétiens, pat opposition aux mariages mixtes que Tertul- lien condamae, Quale hoc bonuin est, ovo te, quod mali comparatio commendal, wi ideo melius sil mubere, quia deterius est uri ? (6d, Kroymann, CCL 1, p. 375) 23. De exh, cast, 3, 8-10 : Ceterum si per mali conlationem cogitur bonum dici, non tam bonum est quam genus mali inferioris, quod a superiore malo obscuratum ad nomen boni impellitur... Ita melius est nubere quam uti (1 Cor. 7, 9) sic accipien- dum est, quomodo snelius est wno oculo quam duobus carers ; si tamen a comparatione discedas, now erit melius unum oculum habere, quia nec bonum. (éd, Kroymann, CCL 2 p, 1020), Commentant ce passage, le P. Le Saint écrit: « Tertullian is unable to see, or unwilling to admit, that a thing can be « good » and « less good » at the same time ». (op. cit, p. 137 n. 24). Précisément, nous trouvons cette distinction dans le texte que nous étudions ici (§ 2). — Dans De monogamia 3, 4-5 Tertullien amplifiera encore le raisonnement du De exh, cast. 3, 8-10. 24, Méme rigorisine bien entendu dans le De pudicitia, qui est peut-étre le dernier traité de ‘Tertullien. Cf. 16, 12 : Si wis omnem notitiam apostoti ebibere, intellege, quanta secure censurac omnem siluam libidinum cacdat et evadicet et excaudicel, ne quidquam de vecidino jruticare permiltat, aspice illum a iusta fruge naturae, a matrimonii dico pomo, animas iciunare cupientem, (éa, Dekkers, CCL 2, p. 1313). 6 JC. FREDOUILLE done totalement différent, et différent en conséquence le prix attaché au mariage. C’est exactement la thése que défendra saint Augustin, en des termes comparables 4 ceux de Tertullien : « Nous ne disons pas que le mariage est un bien relatif, un bien par comparaison avec la fornication. Autrement nous aurions 14 deux maux dont le second serait pire que le premier... Le mariage et la continence sont deux biens dont le second est meilleur que le premier », ou encore : « Mariage et virginité sont deux biens dont le second est plus grand que le premier »?3, Il faut aussi remarquer que Tertullien présente ici te mariage et la continence comme deux états que chacun est libre d’embrasser en tenant compte de ses forces. Si la sanctitas est préférable, elle ne saurait relever dun « précepte », mais seulement d’un « conseil ». Le contraste est grand avec les termes dans lesquels il commente, dans I'Ad uxorem, les versets ot saint Paul dit sa préférence pour la chasteté?® : « Je puis l’affirmer : ce qui n'est que permis n'est pas un bien... Que certaines choses ne soient pas défendues, ce n’est pas une raison pour les désirer ; d’ailleurs, c'est déja les défendre que de leur en préférer d'autres. Préférer ce qui est supérieur, c’est interdire ce qui est inférieur 92”, Qualifié de dedecus uolup- tuosum, englobé parmi les friuola et les spurca®®, le mariage sera assimilé a Vadultére dans le De exhortatione castitatis®®, mais on peut penser que ‘Lertullien, emporté par la passion et I’éloquence, a dépassé sa pensée. Ainsi ume différence radicale de conception sépare notre passage du De exhortatione castitatis ou du De monogamia, mais la différence avec Y'Ad uxorem est presque aussi grande. Tertullien affirme méme ici, ce qui peut parattre surprenant sous sa plume, que « le mariage ne doit pas étre repoussé avec mépris parce que De bono coniugali 8, 8: Quod (= nuptiae) non sie dicimus bonum ul in forni- cationis conparatione sit bonurm + alioquin duo mala erunt quorum alterum peius. duo bona sunt conubium et continentia, quorum alterum est melius, ; id, 23, 29: Nuptiae quippe et wirginitas duo bona sunt quorum alterum maius. (CSEL. 41, pp. 198 et 224) Nous avons suivi la traduction de G, Combes (Bibl, August., Paris, 1948, vol. 2 De méme saint Jérdme, Adu, fowinianum, 1, 13 (PL 23, 232), repris dans Ep. 49, 7 {éd. Labourt, IT, p. 127): Tandum est igitur ‘inier nuptias et uirginitatem... quantum inter bonum et melius, — Cette distinction, qui deviendra classique (cf, J. GAUDEMH?, L'Eglise dans !'Empire Romain (1vt-v° s.}, Paris, 1958, pp. 515-520), se trouve pour la premiére fois dans saint Paul, 1 Cor, 7, 38: [gifur el qui matrimonio iungil uirginem swam bene facit, et qui non iungit metius facit. Tertullien se référe une fois & ce verset (De pud. 16, 20), mais en le sollicitant : Sic melius jacere pronuntial uirginis conserua- torem quam erogatorem, {CCL 2, p. 1314) ; iLn'y a plus trace dit bene facit, Sur Vinter- prétation de ce verset ,voir P. ADNKS, Le Mariage, Tournai, 1963, p. 37 (hibliogra- phie), 26. 1 Cor. 7, t-8. 27. 1, 3, 4-5 : Possum dicore : quod permittitur, bonum non est... Non proplerea appelenda sunt quacdam, quia non uetantuy, etsi’guodammodo uelantur, cum alia illis pracferuntur ; praelatio enim superior> dissuasio est injeriorum,.. (6d. Kroymann, CCL 1, p. 376). 28, Ad uxorem I, 1, 4-5. 29. 9, 4. ADVERSVS MARCIO? VEM 1,29 7 Vardeur des sens s’y enflamme »® ; plus tard, dans un contexte comparable, tout en maintenant sa distinction entre I’usage et l’abus (stalus et excessus), il se montrera plus intransigeant : Natura weneranda est, non erubescenda . Concuditum libido, non condicio foedauit™. Einfin, Tertullien conclut cette partie de son exposé sur le mariage, en citant deux textes de I’Ancien Testament, Genése 1, 28 (« Soyez féconds, muttipliez. ») et Exode 20, 14 ; 17 (« Tu ne commettras pas d’adultére. ‘fu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. »), qui ui paraissent complémentaires et qui justifient et définissent, A ses yetrx, ce point de la disciplina fides. Rien donc que de parfaitement orthodoxe dans ce passage. Or, cette justesse du point de vue et cette modération dans l’expression ne se retrouvent pas ailleurs dans son ceuvre, méme dans les cas oti, contre les hérétiques, il doit prendre la défense du mariage. Une telle constatation nous invite 4 penser que ces lignes ont été écrites en vue de la premitre édition de l'Aduersus Marcionem. D’autre part, les contrastes que nous avons relevés avec des passages paralléles del'Ad uxorem montrent qu’ elles traduisent un moment de la réflexion de Tertullien nettement antérieur A celui que refléte ce dernier traité?, Méme si l'on suppose que notre auteur a modéré ici son rigorisme naturel parce qu'il réfutait la conception mat- cionite du mariage, il parait difficile de penser qu’il soit allé jusqu’é défendre, pour répondre aux seules exigences d'une dialectique temporaire, une thése a laquelle il n’adhérait pas 4 ce moment-la, Notre passage cons- titue en effet un tout cohérent, mesuré et nuancé, dont on ne saurait rendre compte qu’en admettant qu'il exprime bien la pensée de son auteur. Autre chose est de se plier aux nécessités de la polémique, autre chose d’écrire ce que l’on ne pense pas. Mais, comme s'il était pris de remords, Tertullien revient sur les limites quwil convient d’imposer a l'état de mariage : Sed el si nubendi iam modus ponitur... Cette fois, les restrictions qu'il apporte sont de résonance montaniste, I rappelle I'enseignement du Paraclet et signale le devoir de ne contracter qu'un seul mariage, Cette question délicate, qu'il niavait pas abordée précédemment, sera au centre des traités Ad uxorem, 30. Cf, encore saint Augustin, id., 6, 5:17, 19 5B. Atves Praia, La doctrine du mariage selon saint Augustin, Paris, 1930, pp. 35-37- 31. De anima 27, 4 32. On date généralement la ire édit. de "Adu. Mare, avant YAd uxorem + enire les deux, Tertullien, sur la question du mariage, a, nous semble-t-il trés nette- ment éyolué et les opinions défendues dans I'd wrorem sont fort proches de cell de De exh, cast, et De monogamia, Peut-etre conviendrait-il de faire remonter la rf édit, de l'Adu. Mave. vers 108. 33. Tertullien présente ici Vobligation des noces uniques comme émanant du Paraclet (cité pour la premiére fois) : mais dés I'd uxor., il n’était guére favorable aux secondes noces : praccipio igitur tii, quanta continentia potes, post excessunr ‘anosivum renunties nuptiis (I, 1, 4). 8 J.-C. FREDOUILLE De exhortations castitatis et De monogamia. Dans ce nouvea. développe- ment, nous voyons Tertullien commenter tout différemment le verset I, 28 de la Genése : le complément indispensable en est désormais a ses yeux le verset 7, 29 de la Premitre Epttre aux Corinthiens : « Reste donc que ceux qui ont femme vivent comme s’ils n’en avaient pas ». Pour justifier cette nouvelle exégése, il rappelle le développement du plan divin dans lequel il distingue, ailleurs, les trois grandes phases : le temps de la loi naturelle, le temps de la loi écrite, enfin celui de la nouvelle alliance™. Plus tard, il complétera sa théologie de I’histoire en y adjoignant une quatriéme phase, celle du Paraclet®®. Il importe de remarquer qu’il fonde désormais son rigorisme sur ce verset paulinien en affirmant qu’il périme Je verset de la Gendse. Cette facon d’opposer 1 Cor. 7, 29 & Gen. 1, 28 est tout A fait caractéristique de son montanisme et se retrouve dans les textes ot il rabaisse le mariage*’, Bien entendu, dans les lignes suivantes (§§ 5-6), Tertullien ne se montre pas aussi intransigeant a I’égard du mariage que dans les trois traités consacrés aux problémes qu'il pose ou que dansle De pudicitia (chap. 16). L/explication de cette réserve relative nous parait simple : s’adressant 4 des hérétiques qui condamnent absolument l’union conjugale, Tertullien est bien obligé de la défendre, voire de la réhabiliter. Mais cette réhabili- tation ne contredit pas ce qu'il en dit dans les traités auxquels nous venons de faire allusion, car, ici et 14, sa conception demeure fondée sur ce verset patlinien (x Cor. 7, 29)%7. Si le mariage était interdit, il n’y aurait plus de probléme. Mais parce qu'il est permis, la vertu peut montrer sa force en y renoncant : si #uptiae non erunt, sanctitas nulla est. Vacat enim absti- nentiae testimonium, cum licentia eripitur. Le mariage n'est pas, comme pour Marcion, une « ceuvre d’impudicité » dont le Dieu de l’Ancien ‘Testa- ment serait l’auteur ; il est destiné a servir d’épreuve A la chasteté et permet au chrétien d’exercer sa liberté®8. Ainsi ce qui, de la part de Tertul- lien, aurait dé étre une apologie des nuptiae ressemble plutot a un éloge de Pabstinentia. 34. Adu, Indaeos 2 et Ad. uxor, I, 2 par ex, 35. De res. morluorum 63 ; De fuga in pers. 1; 14 ; De monogamia 2; A. d’ALus, La Théologic de Tertullien, Paris, 1905, pp. 449-451 ; 8. OTTO, « Natura s und « Dis positio », Untersuchung zur Naturbegrifje und zur Denkjorm Tertullians, Miinchen, 1960, pp. 182-275, 36. Comme le fait trés justement xemarquer M. J.H. Waszink (Q.S.1", Tertulliani De Anima, Amsterdant, 1947, p. 350), dans De exh. cast. 6, 6, De monogamia 7, 3 et De pud. x6, 19, qui sont tous trois « montanistes », Tertullien déclare que 1 Cor. 7, 29 abroge Gen. 1, 28, Si dans De anima 27, 4-0, également d’époque montaniste, ‘Tertullien cite Gen. 1, 28 seul, c'est en raison du contexte (il y démontre la formation simultanée du corps et de Ame en s'appuyant sur I’Beriture). 37. 1 Cor. 7, 29 est cité une fois dans Ad wxor, deux fois dans De exh. cast., trois fois dans De mon, et une fois dans De pudicitia. 38. De exhort. cast. 2, 3 » Cum wtrumque ex prasceptis eius (= Dei) didicerimus, quid nolit et quid welit, iam in nobis est woluntas et arbitrium eligendi alterum, sicut soripium est ; « Rove posui ante te bonum et malum ; gustasti enim de agnitionis arbore », (CCL 2, p. 1017). C¥. 8, OTTO, op. cit. pp. 59849. ADVERSVS MARCIONEM 1,29 9 La différence des points de vue entre la premiére et 1a seconde partie de ce chapitre 29 ne fait donc pas de doute. Elle nous semble ne pouvoir s’expliquer que par la juxtaposition de deux états de la rédaction du traité, reflétant eux-mémes deux moments bien distincts dans l’évolution de la pensée de 1’auteur. Comment, en effet, imaginer qu’a quelques lignes d'intervalles, dans une page destinée en principe A des adversaires du mariage, ‘Tertullien s’exprime de maniére si opposée ? Avouons que s'il avait rédigé cette page d’un seul mouvement, notre auteur atrait fait pretve d’une grande maladresse, en leur exposant une doctrine en évolu- tion et, finalement, manquant de fermeté, qui ne pouvait pas ne pas dévoiler aux marcionites les divergences de la communauté catholique ou les leur confirmer. Tertullien savait trop que la diuersitas et 1a uarietas sont le signe certain de l’evror®®, pour ne pas les dissimuler, d'une maniére ou d’une autre, a ceux qu’il combattait. Aussi nous parait-il raisonnable de penser que la seconde partie de notre texte n’appartenait pas a la rédaction primitive : nous verrions volontiers dans |’articulation Sed et si... la « soudure » de cette addition postérieure. Pouvons-nous aller plus loin ? — Aprés avoir montré que la « chasteté se reconnait A la possibilité de ne pas la pratiquer », Tertullien, lachant la bride & son tempérament de rhéteur, poursuit par une série d’interroga- tions, qui peuvent ne sembler qu’un exercice de variation sur un méme théme. Elles le sont en effet. Mais elles ne se présentent pas dans n’im- porte quel ordre. Les quatre premiéres iflustrent l'idée que Tertullien vient de développer au début du paragraphe 6 : l’exercice d’une vertu suppose la possibilité de faire le contraire"? : « Comment done étre appelé chaste si l'on vous enléve ce dont vous devez vous abstenir ? Comment. mettre un frein 41a gloutonnerie quand on est dans la famine ? Comment répudier le luxe dans l'indigence ? Comment modérer la passion quand Ja chair est mutilée ? » Puis, une sorte de pause : il est impossible de con- cilier la condamnation du mariage et l’idée d’un Dieu bon et providentiel. Ce théme est repris dans trois phrases interrogatives (§ 7), dott il ressort que, pour Tertullien, méme si !’on tient compte de l’emphase oratoire, Ja procréation est un bien voulu par Dieu qui manifeste ainsi sa bonté. Tes deux séries d’interrogations et l’idée qu’elles illustrent ne sont pas contradictoires. Néanmoins, cet éloge de la procréation surprend, venant immeédiatement aprés l’éloge de la chasteté ; et surtout, 1’« argument de la 30. Cf, Ad nal. IL, 2,1; Apol. 47,9; De praes, haer. 37,7; 4%, 4; De mon, 2, 3 ete... 40. Ci, Rhet, Her. 4, 54 et 58 : Expolitio est cum in eodum loco manemus et aliud atgque aliud dicere widemur.,. adiuuat et exornat ovationem. 4t. Démarche analogue chez Sénéque, De wit. beata 22, 1: Quid autem dubii est, quin haec maior materia sapionti uiro sit animum oxplicandi suum in diuitiis quam. in paupertate, cum in hac unum genus wirtutis sit non inelinari nec deprimi, in ditcitiis ot lemperantia et liberalitas et diligentia et dispositio et magnificentia campum habet patentem ? — ‘Tertullien adapte, sans donte, un développement a'école, to J-C. FREDOUILLE procréation » est celuidd méme que Tertullien préte ailleurs, pour le mieux réfuter, a un interlocuteur fictif chargé de défendre le mariage et son fondement théologique!?, Comment justifier des volte-face si appa- rentes ? On pourrait sans doute se contenter d'une explication générale comme on Je fait peut-étre trop souvent A propos de Tertullien, en admettant la liberté, pour Vorateur, de défendre tour a tour des théses oppos¢es*, Mais nous pouvons proposer une autre explication, mieux appropriée a ce cas précis, et done préférable : Tertullien aurait écrit ces lignes (§ 7), oft il montre que l’idée d'un Dieu bon et la condamnation du mariage sont inconciliables, en méme temps que la premiére partie de cette page (§§ 1-4 ..insaniam), dans laquelle il a défendu la dignité du mariage, ceuvre du Créateur et dont, a bien y regarder, elles sont le complément, sur le mode oratoire, mais selon la méme ligne de pensée!*, Autrement dit, Tertullien, en récrivant son ouvrage contre Marcion, pourrait bien avoir inséré les paragraphes 4 (Sed et si...) 4 6 au milieu d'un texte qui ne marquait plus avec assez de force, a son gré, la supériorité de la continence et ne correspondait donc plus exactement au stade qu'avait atteint, & ce moment-la, l’évolution de sa propre doctrine. Il aurait alors éprouvé le besoin d’y joindre le correctif que Ini dictaient ses nouvelles tendances et qu’il avait déja exprimées dans 1'Ad uxorem. Il aurait toutefois atténué I’hiatus que faisait apparattre cette juxtapo- sition des deux commentaires de Gen. 1, 28, si différents dans leur inspi- ration, et cela de deux manitres ; en modérant son rigorisme, du fait méme qu'il polémiquait contre Marcion, mais surtout, en donnant au chapitre 29 une ordonnance qui rendait malaisée & déceler, au cours d’une lecture rapide, Vopposition entre ces deux états de sa réflexion. En effet, tel qu'il nous est parvenu, le chapitre 29 présente une construction cohérente, en apparence du moins ; I) La doctrine chrétienne du mariage (§§ 1-5 upraestaret esse). a) La dignité du mariage (§§ 1-4 ... insaniam), fondée sur des versets de I'Ancien Testament b) Le modus nubendi (§§ 4, Sed et si... et 5, jusqu’a praestaret esse), justifié par saint Paul et son prolongement montaniste. II) Attaques contre Marcion (§§ 5 Vnde iam dicam... et suivants) : a) La condamnation du mariage supprime la materia castitati d. uvor. I, 5, 1; De exh, cast. 12, 3; Demon. 16, 4. 3 De or. 2, 7, 30°: nos contrariae saepe causas dicimus, ; Cluent. 50, 139: Si causae ipsae pro se loqui possent, nemo adhiberet oratorem, Nune adhibenvur ui ea dicamus non quae nostra wuctoritate constituantur, sed quae ex ve ipsa causa ducantur, Voir & ce sujet Jes analvses de M.A. Michel dans sa thése, Les rapports de la Rhétovique et de la Philosophie dans I’ Euvre de Cicéron, Paris, 1960, chap. ILI: ¢ Probare : Dialectique et Vérité ». — P. de Labriolle compare Tertullien a un o avocat qui, d’un dossier a l'autre, fait servir 4 des démonstrations contradictoires les mémes arguments, les mémes tirades. » (0p. cit. p. 397). 44. Nous ne prétendons pas que ces deux morceaux étaient joints tels quels : tonte addition suppose un remaniement (voir plus bas). Mais ils nons paraisseut pou- voir constituer un ensemble cohérent, ADVERSVS MARCIONEM 1,29 IL b) Eile est en contradiction avec la conception d’un Dieu bon. — De plus, des reprises d’expressions unifiaient l'ensemble : par exemple, conubit res {§ 8) répond a matrimonit res (§ 3) ; non ut mala (§ 5) & non ut malo (§ 2) ; sanctitati veseruata (§ 5) & seruantes et bonum (§ 2) ; impudicitiae negotium (§ 8) & spurcitiae nomine (§ 2), Pareillement, les deux séries d’interroga- tions que nous avons distinguées (§§ 6 et 7) allaient dans le méme sens. Ainsi, ce plan d’apparence logique (mais ott il reste possible de retrouver des arguments reflétant 1’évolution de ‘Tertullien sur la question), cette homogénéité stylistique contribuaient a donner l'impression d’une unité de pensée, D’autre part, les marcionites, méme s'ils n’étaient pas tout & fait dupes de cet effort, voyaient sans doute leur pouvoir de réflexion détourné par la polémique de cette page, oi les attaques doctrinales, soulignant les contradictions de leur dualisme radical, se changent vite en sarcasmes (§8) ; aprés l’exégése, la polémique, et Tertullien termine le livre I de 1’ Adwersus Marcionem comme il l’a commencé, sur des inyectives. Quant aux chrétiens, dont Tertullien nous répéte qu’ils étaient souvent une grande ignorance dans le domaine de leur foi, et par 1a-méme une proie facile pour I'hérésie*®, ils devaient étre dans leur majorité, bien inca- pables de suivre ces discussions. Et mieux que tout raisonnement, la violence polémique et satirique de Tertullien devait étre susceptible de les confirmer dans leurs convictions ou d’entrainer leur adhésion. Ces quelques réflexions sur un témoignage, précis et limité, de I’évolution de Tertullien dans ses positions 4 l’égard du mariage, nous invitent, paradoxalement, a mitiger le grief, qu'on lui adresse souvent, de s’étre contredit sur ce sujet. En effet, les critiques interprétent cette page, dans son ensemble, comme une de celles ott il défend I'union conjugate ; ils y joignent quelques autres passages!?, également susceptibles de De bapt.1, t ; De pracs. haer, 2, 7-8; De pae, 5; De res, mort, 2, 11; Seor. 1, 55 Monceaus, op. cit. p. 338. Les teaités anti-hérétiques s'adressent aux hérétiques dont ils combattent les erreurs, mais aussi aux chrétiens qu’ils mettent en garde contre elles, en les instruisant ct en approfondissant leur foi, Dans une page comme celle-ci, ‘Tertullien pensait sans doute antant aux chrétiens qu’aux marcionites. 46. D'Alés affirme : « Tertullien a beaucoup écrit sur le mariage, et sur aucun sujet il ne s'est tant contredit » (op. cit. p. 370) : le P. Le Saint fait sien ce jugement (op. cif. D. 41) ; H. Preisker écrit : « Bs ist einfach, ‘Tertullians Stellung zur The heraus- zustellen, Man ntuss sich bei jedem solchen Versuch wergegenwirtigen, das ‘Tertul- lians Anfassung in sich widerspruchsvoll ist-auch wieder ein getreues Abbild der Schiitzung der Ehe in der Christenhelt, die zwischen Auerkennung und Verwerfung, Duldung und Verurteilung hin und her schwankt, » (Christentum und Ehe in den ersten drei Jahrhunderten, Berlin, 1927, p. 187) ; enfin L. Bosshardt tout en relevant 4 une opposition flagrante » dans ses déclarations, reconnait qu’elles s‘expliquent + partiellement par une évolution de sa pensée, qui tend & un ascétisine de plus en plus rigoureux » (Essai sur l'Originalité et la Probité de Tertullien dans son traité Contre Marcion, Florence, 1921, p. 170). 47. Adu, Mare. YL, rt, 6-0 ; TV, 23,75 Vs 7 5-3; V,15,3; Dean. 27, 4-93 De carn, 4s De ves, mort., 5. 12 J.-C, FREDOUILLE constituer avec lui un dossier favorable, et les opposent globalement aux textes connus de I’Ad uxorem du De exhortatione castitatis, du De monoga- mia ou du De pudicitia, Mais, tout d'abord, si !'on veut bien admettre nos conclusions, on ne saurait donner une interprétation globale et simplificatrice de ce chapitre 29 : il faudrait y distinguer deux moments, bien distincts par leur date et, plus encore, leurs positions doctrinales, de la pensée de Tertullien en matiére de théologie du mariage. D’autre part, dans les traités sur le mariage et les secondes noces (Ad uxorem, De exhortatione castitatis, De monogamia, et également De pudi- citia), on suit une progression dans le sens d’une plus grande intransi- geance, qui se manifeste au niveau de l’expression, plus brutale, plus ca- tégorique, sous l'influence du montanisme, conjuguée, vraisemblablement, a celle de Méliton‘®, Il convient du reste, de faire la part, dans ces trai- tés, de l’emportement de cet homme violent. Car, en dépit des outrances, le fondement scripturaire de sa doctrine reste identique ; méme si on le déplore, notre orateur est toujours exposé a se laisser entrainer par les mots, sans pour autant qu’il soit possible de l’accuser de contradictions. Enfin, nous ne pensons pas que l’on puisse mettre sur le méme plan, le chapitre 29 du premier livre de 1’ A duersus Marcionem et les autres passa ges ott Tertullien est amené a prendre la défense du mariage : dans celui-1a, ou plus exactement dans les §§ 1-4, nous avons reconnu une position nuancée, ott les mérites respectifs de la sanctitas et du conubium étaient analysés en termes justes ; dans ceux-ci, la perspective est différente : il s'agit, pour Tertullien, de ne pas céder sur un point de la regula fidei, et c’est pour défendre sa foi en un Dieu unique et bon, le dogme de 1’Incar- nation ou de la Résurrection qu'il en vient a réhabiliter la chair on le mariage’, Face a l’ascétisme marcionite, doctrinalement hérétique puis- 48, Voir J. Danritov, Bulletin d'Histoire des Origines Chrétiennes, dans Rech. Se. Retig., 49 (1961), 564-620, p. 504. 49. Nous ne pouvons pas entrer dans le détail, mais nous faisons remarquer que ! 1) en Adu. Maye, 1V, 11, 6-9 Tertullien répond & Marcion qui prétendait qu'une naissance réelle du Christ aurait dégradé la inajesté divine ; 2) en Adu. Marc. IV, 23, 7, il réfute objection selon laquelle Ia bonté du Dieu de 1’A.‘T. ne se serait pas étendue aux enfants, alors qu’en réalité l'amour du Christ pour eux est le méme que celui du Créateur ; au contraire, comment le Dieu de Marcion, qui interdit le mariage, peut-ii, fui, aimer les enfants? 3) en Adu. Marc. V, 7, 58 rappelant qu'il faut honorer Diew dans son corps, promis la résurrection, il inontre que la meilleure fagon de le faire c'est de préférer 1a continence au mariage, qui est tontefois permis : mais la répudiation est interdite par le Christ, Tin exigeant de ses cathécuménes qu’ils se séparent, Marcion, en fait, use de la permission de la loi mosaique, que le Christ aabolie. 4) en Adu, Mare. V, 15, 3, Tertullien se référe & 1 Thess, 4, 3, Hace est enim uoluntas Dei, sanctificatio uestra ; ut abstineatis uos a fornicatione, et souligne expres- sément que Paul distingue matrimonium et stuprum, La Insure est opposée a la sainteté, non le mariage. Et Tertullien glisse cet aveu intéressant : Desiructores enim dei nuptiarum, non sectatores castitatis retundo (V, 15, 3). 5) dans De an. 27, 4-9, il est amené i prendre la défense du mariage, dans un passage sur la génération of il montre que Vame et le corps ont une origine simultanée ; efsi duas species canfin ADVERSVS MARCIONEM 1,29 43 que fondé sur un dualisme absolu, l’ascétisme de Tertullien se présente comme une tendance extréme, mais toujours justifiable, qui s'appuie sur Vidéal paulinien de la virginité. Nous ne voyons done pas que notre auteur se contredise en réhabilitant le mariage quand il s'’adresse 4 Marcion ou A certains gnostiques et en pronant la supériorité de la continence quand il parle aux chrétiens™. TI s'adresse aux premiers en « docteur » pour qui le mariage suppose une théologie du Dieu unique, de la chair, de la création, de I’Incarnation ; il parle aux chrétiens en « pasteur » qui voit dans la virginité un idéal de vie. Avec les hérétiques, il se place sur le plan de la regula ; avec les chrétiens, sur celui de la disciplina®}, $'il semble parfois qu’il y ait paradoxe, il est moins le fait de Tertullien que la conséquence du paradoxe méme de la vie du Christ, « né d'une femme », mais « vivant dans la virginité » et témoignant par 1a d’ une valeur supérieure au mariage »52, Jean-Claude Frevoum.i Paris lebimur seminis, corporalem et animalem, indiscrelus tamen uindicamus of hoc modo contemporales eiusdemque momenti. Ne itague pudeat necessariae interpretationis, Natura weneranda est, non erubescenda,.. 6) en De cara, 4, clest le dogme de VIncarnation qu'il défend. 7) enfin dans Dv res, mort, 5, s'adressant & tous les héréti- ques qui méprisent Ia chair et nient Ia résurrection, ‘Tertullien leur montre qu’elle est Louvre de Dieu. —- On le voit, dans tous ces passages (oi, il faut le remarquer en passant, on ne retrouve ni les analyses nuancées et justes des §§ 1-4 étudiés ici, ni non plus les résonances montanistes et les réserves marquées du § 5, et cette observation nous parait aller dans le sens de nos conclusions), ce n'est pas sa propre conception que ertullien expose : mais, A propos de tel ou tel point fondamental sur lequel chrétiens et hérétiques s'opposaient, il est amené A défendre 1a condition charnelle de Phomuue ou le mariage, en montrant qu’ils sont l’ceuyre du Dien unique. Tl nous semble done difficile de souscrire & ce jugement de C, Guignebert : « (‘Tert.) est essentiellement homme du moment... Il en vient 4 réhabiliter la chair, tout sim- plement parce que Marcion, son ennemi, la ravale,,, Marcion interdit le mariage et proscrit ia génération ; cela suffit pour que Tertullien reprenne & son compte toutes Jes idées de saint Paul et que méme il les exagére, pour en accabler I'adversaire, » Tertullien. Etude sur ses sentiments Végard de Empire de la Société civile, Paris, 1901, p. 288-289) 50. Saint Jérdme dit trés bien : aliler fovis, aliter domi loguimur... Aliud esl docere discipulum, aliud aduersarium uincere. (Ep. 49, 13, 6d. Labourt, IT, p. 135), précisément 4 la suite de sa controverse contre Jovinien sur le mariage. Cf. F. Cavaniura, Saini Jérdme, Sa Vie et son Giuvye,, Louvain-Paris, 1922, I, x, pp. 151-164. 51. Sur la distinction que fait ‘Tertullien entre Ia disciptina et Ia regula, lire, en dernier lieu, les analyses précises de M, Braun, o. /. pp. 423-425. 52. C. WIENER, art. ¢ Mariage », dans Vocabulaire de Théologie Biblique, sous la direction de X. Léon-Dufour..., Paris, 1962, col. 580. C. Litteras Petiliani TI, xi, 48 et le monachisme en Afrique Au cours de ses controverses avec les Donatistes, Augustin eut affaire, autour des années 400, 4 un adversaire particuligrement coriace, Petilianus, évéque de Constantine. Ce dernier avait écrit une Lettre pastorale — Epistula ad presbyteros et diaconos — ott il soutenait avec agressivité Ia these donatiste concernant le baptéme. L/évéque d’Hippone répondit dabord briévement, puis d’une fagon beaucoup plus développée en citant le texte de son adversaire avant le sien propre. Petilianus répondit & son tour dans une Lettre 4 Augustin oi il s’en prenait a la personne méme de 1’évéque d’Hippone. Mais cette fois, son texte ne nous fut pas conservé par Augustin : il y fait cependant assez d’allusions dans ce qui constitue le Livre II du Contra Petilianum pour que nous puissions en avoir quelque idée', Or parmi les multiples accusations que Petilianus a formulé contre la personne méme d’ Augustin, I’une d’elles a eu une grande fortune ; 1a voici : Deinceps perrexit ore mialedico in uituperationem monasteriorum et monachorum atguens etiam me, quod hoc gemus uitae a me fuerit institutum, Quod genus uitae ominino quale sit, nescit ; uel potius toto orbe notissimun nescire se fingit?. Cette note a simplement pour but de proposer une appréciation de ce témoignage en fonction du seul contexte de ce Livre TIT du Contra Peti- lianum. Faisons tout d'abord le point des opinions récentes concernant la fondation du monachisme africain par Augustin. 1. Le Contra Lilleras Petiliani est édité dans 1a collection de la Bibliothique Augustinienne, volume 30, Desclée De Brouwer, 1967. 2. Ch C. Litt, Pet., LIL, sr, 48: « Cette bouche dégbordante dinsultes s'est mise 4 blAmer moines et monastéres me reprochant aussi d’avoir institué ce genre de vie ; or Petilianus ne sait pas du tout quel est ce genre de vie ; ou plutot il fait semblant dignorer ce qui est connu de tout univers », 10, BERNARD QUINOT Enregistrant immédiatement ce témoignage d’un ennemi, certains ont vu dans ce passage la preuve formelle que saint Augustin avait été initia teur du monachisme en Afrique : ainsi J.M. pg Estan, Testimonio positivo de Petiliano sobre la inexistencia de monacato en Africa antes de S. Agustin3, croit pouvoir négliger la protestation que I’'ivéque d’Hip- pone formule lui-méme pour déduire du texte qu’Augustin est le véritable fondateur du monachisme africain ; il corroborrait ainsi les conclusions de ses deux articles précédents dans La Ciudad de Dios dont le second Un cenobitismo preagustiniano en Africa* concluait par la négative, réservant a Augustin la paternité du monachisme en Afrique. Certes cette thése pouvait s’appuyer sur deux grands noms: Dom Bxssx, Les moines de UAfrique romaine’ et P. MONCEAUX, Saint Augustin et saint Antoine®. Mais une meilleure connaissance de |’ Afrique chrétienne allait infirmer cette théorie. Tout d’abord, on découvrit l’existence d’un monachisme qui ne devait rien A Augustin puisqu’il existait das la seconde moitié du Ive siécle? ; d’ailleurs Augustin lui-eméme le combattit dans son De opere monachorum® écrit vers l’an 400 : il s’agissait de moines qui sous prétexte de prier sans cesse et d’imiter les oiseaux du ciel, refusaient de travailler et attendaient des fidéles leur subsistance ; d’ot le nom de moines « euchites » qu’ Augustin leur donne dans son De haevesibus® en référence a saint Epiphane qu'il nomme explicitement. Il y a tout lieu de croire que ce n’est qu’en rédigeant ce dernier ouvrage, en 428, qu’ Augus- tin a fait le lien entre les moines oisifs de Carthage et les Messaliens de Syrie, victimes des mémes aberrations, dont le Panarion d’Epiphane 1ui révélait l’existence et du méme coup la filiation. C’est ce qui ressort de Yétude de G. Folliet donnée dans une communication au II® Congrés de Patristique d’Oxford, Des moines enchites & Carthage en 400-401, Le méme auteur reprenait l’ensemble de la question dans un article trés documenté, Aux origines de l’ascétisme et du cénobitisme africain™, sans négliger l’originalité propre au monastére d’Hippone, a savoir, comme le rticle paru dans Studia monastica, 3, 196t, pp. 123-136. . CE, La Ciudad de Dios, vol, CLXXI, 1958, pp. 161-195. . Paris, 1903, 2 vol. 6. Dans Miscellanea gostiniana, Rome, 1931, t. IL, pp. 61-89. 7. Epiphane le signale vers 374-377 dans son Panarion, hérésie So, éd. Karl Holl, Leipzig, 1933, p. 484, 8, CE CSEL, 41, pp. 429-596; BA 3, pp. 395-515. 9. CE. De havresibus, wit, PL. 42, 40-41. ro. Cf. Studia Patristica, T.U., 1964, 1957, t. II, Berlin, pp. 386-399. 11, Article paru dans Saint Mavtin et son temps, Mémorial du XVie centenaite des débuts du monachisme cn Gaule, 361, Studia Anselmiana, 46, Roma, Herder, 1961, DP. 25-44. oute C, LITTERAS PETILIANI Ill, XL, 48 17 note Possidius'’, la mise en commun de tous les biens!8, G. Folliet montre particuligrement par le témoignage des Conciles qui s'en sont occupés, que le cénobitisme non seulement féminin mais aussi masculin existait en Afrique avant le retour d’Augustin™. L’Eglise donatiste d’ailleurs possédait elle-méme ses continentes et ses sanctimoniales groupés sous la dénomination de « circumeelliones 16. S'il y avait encore une hésitation 4 avoir, elle serait dissipée par la derniare étude consacrée a ce sujet!® par R. Lorunz, Die Anfiinge des abendlindischen Ménchtums im 4. Jahrhundert. Avec G. Folliet, il refuse de prendre le passage du C. litt. Pet. comme une affirmation formelle en faveur du rdle initiateur d’Augustint?. Que signifie donc l’accusation de Petilianus, vitupérant sur les moines et les monastéres, reprochant 4 Augustin d’avoir institué ce genre de vie ? Faut-il y voir simplement une protestation contre l’organisation qu’aurait donné Augustin A wme coutume déja existante, en fixant le monastére, en séparant hommes et femmes, en en faisant une sorte de séminaire, bref, s’agit-il d’une réaction de conservateur contre tout ce qui innovait sur lidéal de 1’Eglise des martyrs ? C'est la solution adoptée par P. Monceaux", Ou alors, puisqu’Augustin avait critiqué « la fureur des circoncellions, le culte sacrilége et impie rendu aux cadavres de suicidés, les bacchanales de (leurs) ivrognes »!°, Petilianus lui rendrait tout bonnement la monnaie de sa piéce ; dans ce cas, !’Enarr. in, Ps. 132 serait un autre épisode de cet échange aigre-doux : « Quam bonum... habitare fratres in unum, Ex uoce huits psalmi appellati sunt et monachi, ne quis uobis de isto nomine insultet catholicis. Quando uos recte haereticis de circellionibus insultare coeperitis, ut erubescendo saluentur ; illi uobis insultant de monachis... »?°, 12, Cf, Vila Sancti Augustini, V, t, PL, 32-37. 13. Cf. Serm, 355, 2, P.L., 39, 1560. 14. Art, cité pp. 33-34. 15. CE C. ep. Parm. UL, 1x, 19, B.A., 28, p. 311: sur la signification assez flottante du terme circumcelliones, voir le résumé a'Y, Concax, dans VZniroduction générale aux Traités antidonatistes, B.A. 28, 1963, pp. 32-37. 16, Ch, Zeitschrift fir Kirchengeschichte, 77, 1966, Pp. 1-61. 17, Certes le probléine du cénobitisme africain au Iv@ sidcle serait résolu si fragments publiés par Haun, Tyconius-Studien, Leipadg, 1900, p. 68 et étu par E, TENGStROM Donatisten und Katholiken, Goteborg, 1964, p. 58, pouvaient étre effectivement attribués a Tyconius : il y est question de circoncellions qui menaient vie commune en un méme lieu, aposiolico more ; mais dans quelle mesure Beatus de Tiebana qui rapporte ce texte ne V’a-t-il pas amplifié Ini-méme ? On trouvera un compte-rendu de cet ouvrage dans le Bulletin augustinien pour 1964, RELA, 12, 1966, p. 280 sv, 18, CE, Histoire Littévaire de U'Ajrique chrétienne, VI, p. 47. ro. CE. C, ditt, Pet. I, xxxv, 26, 20, Cf. En, in Ps, 132, 3, P.L., 37, 17503 avant 405. 18 BERNARD QUINOT il IL y a peut-étre une autre solution : Petilianus n’entendrait nullement accuser Augustin d’avoir importé le monachisme en tant que tel en Afrique mais il lui reprocherait d’en propager une forme suspecte sinon abominable : puisqu’a ses yeux, l’Evéque d’Hippone n'était qu'un manichéen camouflé, quiil était dans cette secte honnie, non seulement un élu mais méme, disait-il, un prétre!, pourquoi son monastére d'Hippone ne serait-il pas un conventicule semblable A celui ott se réunissaient tes Manichéens de Carthage dont parlent les Confessions, que Petilianus avait entre les mains®®. Sous couleur de vie austére, hoc genus vitae se préterait A toutes sortes abominations qui motiveraient pleinement les griefs formulés par Megalius, évéque de Calama, quand il fut question de ordination épisco- pale d’ Augustin”. Si cette hypothase se révélait exacte, elle aurait l'avan- tage de lier l’accusation de Petilianus « sur les moines » att th&me majeur de ses attaques contre Augustin. Or l’examen du contexte et le regroupement des diverses accusations de Petilianus permettent, croyons-nous, d'étayer suffisamment cette hypothase pour la rendre vraisemblable. Mise en garde préliminaire. Remarquons tout d'abord avec quel soin Augustin prépare l'esprit de ses lecteurs ; les accusations portées sur son compte sont tellement infamantes — quicumgue maledicta legistis, quidquid in ipsa frumenta maledictorum calumniarumque iactaverit* — qu’ils doivent s‘attendre aux plus graves calomnies®® puisque Petilianus, n’ayant rien A opposer a la vérité et, s’en prenant & la personne, s’est fait un habile artisan de ces armes de gauche qui sont, selon saint Paul, ignominie et infamie®. Or Augustin a choisi de ne pas répondre aux malédictions proférées contre lui; de toute fagon, le catholique sait bien que les dons de Dieu ne sont pas conditionnés par l'état de conscience du ministre : « cum enim hoc datur quod Dei est, sanctum dat etiam non sancta conscientia » ; aussi « quel que nous soyons, vous étes en sécurité »°7. Néanmoins, pour tr. CE. C. litt, Pet., LIT, xvut, 20. 2, CE Ibidem. Pour les Confessions, cf. IIL, x, 18 et IV, 1,1; B.A. 13, pp. 397 et 23. CE. C. lit, Pet., LIL, xvi, 19. Sur cette réputation faite 4 Augustin dans les milienx donatistes, voir M. P. COURCELEN, Recherches sur les Conjessions, Paris, 1950, PP. 172 sq. 24. CE. C. litt, Pot., IIL, 11, 13, xu, 13 ; of. encore xt, 14 et XIV, 15. 25. CE. IIT, vu, 8. 26, Cf. TIT, x, 1 et war, 13-r4, citamt IZ Cor, vt, 7-8, 27, Cf, II, var, 9. C. LITTERAS PETILIANI Il, XL, 48 19 que son silence ne puisse étre inteprété comme un aveu tacite, Augustin prend soin de déclarer globalement son innocence, pour la période de sa vie qui s'est écoulée depuis son baptéme : « nihil eorum quibus Petilianus, tempus uitae posteaquam in Christo baptizatus sum, criminatus est, mihi conscius sum »°. A Vaudace de son adversaire qui est allé jusqu’a l'accuser de fautes cachées — etiamsi forte in occul/o tales simus, quales nos puari cupit inimicus?* —, Augustin oppose fermement le témoignage que lui rend sa propre conscience, livrant du méme coup le théme dominant des accusations dont il est la victime : « restant ea quae occulta sunt hominis, ubi sola conscientia testis est, quae testis esse apud homines non potest. In his me Petilianus manichaeum esse dicit, loquens de aliena conscientia : hoc ego me non esse dico, loquens de mea conscientia »39, Fagon de procéder. Plutét que de se disculper, Augustin préfére utiliser une autre méthode : montrer que la raison profonde des injures accumulées par Petilianus est Vimpossibilité ott il se trouvait, de répondre valablement 4 la question fondamentale que Iui avait posée Augustin, dans sa premiére réponse & la Lettre Pastorale ad presbyteros et diaconos, Or ceci nous livre comme Ja trame ou le fil conducteur permettant de relier les diverses accusations qu'au fil de la plume nous rapporte Augustin lisant le pamphlet de son adversaire et constatant de temps en temps qu’injures et accusations ne sont qu'un prétexte pour faire oublier 1a fametse question qui reste finalement sans réponse. Et c'est a Vintérieur de ce cadre que se trouve, parmi d'autres, l’accu- sation concernant moines et monastéres... Mais sa place n’y est pas située par hasard. Une lecture attentive du texte permet de déceler, sinon un plan rigou- reux du moins une composition dont le mouvement se reproduit plusieurs fois selon un ordre A peu prés régulier — d’abord Augustin pose ou rappelle la question 4 laquelle, pense-t-il, Petilianus ne peut répondre sans ruiner la thése donatiste du ministre du baptéme : c’est le moment a. — puis il montre quel subterfuge — c’est souvent une nouvelle accusa~ tion — ou quel prétexte a pris son adversaire pour éluder la réponse en détournant l’attention : c'est le moment b. — enfin, démasquant la manceuvre, Augustin constate que rien n'a été répondu a sa question : c’est le moment c. 28, CE IIT, mt, 3. 2g. CE IIT, vir, 8 30. CE IIT, x, 11. 31. CE IID, xry, 15, reprenant le texte du Livre t, 1, 2 - 11, 3, 20 BERNARD QUINOT Premviéve application : cf. xv, 17 - XVII, 21 a — « Videte utrum quaerenti mihi responderit unde sit abluendus qui accepit baptismum, cum dantis polluta conscientia est, et hoc ignorat accipiens »®2, Pour poser sa question de facon plus contraignante, Augustin ajoute le mot sancte que Petilianus l’accusait d’avoir omis*?. 6 — Mais Petilianus s’en prend 4 la dialectique, compare Augustin au rhéteur Tertullus, qui accusa Iapdtre Paul (ef. Act. xx1v), puis Vaccable des soupgons dont on chargeait volontiers les manichéens, rappe- lant les hésitations de Megalius de Calama quand il fut question d’ordonner Augustin évéque, utilisant de fagon tendancieuse les faits rapportés dans les Confessions* ; il le dénonce enfin comme voleur de ces deux mots sancte et sciens qu’Augustin aurait supprimés, parce qu’ils le génaient, du texte de Petilianus. c — Ilest bien évident, fait constater Augustin, que rien de tout cela ne concerne la réponse A la question posée. Deuxiéme constatation : cf. X1x, 22 - XXU, 25 a — Comme si!'interlocuteur l'invitait 4 reprendre la lecture, Augustin reprend le texte, et pour supprimer toute contestation préalable, il pose ta question en ajoutant les deux mots qu'on I’accuse d’avoir enlevé ; « dicat nobis non eat in alind, non obtendat nebulas imperitis | »°5 b — Mais Petilianus le taxe maintenant du « damnabile ingenium » de Carnéade, ce phitosophe gree si habile 4 faire douter de la valeur de nos perceptions, sous prétexte qu’ Augustin a émis des hypotheses invéri- fiables avec ses « Quid si lateat dantis conscientia et fortasse maculosa sit ? »86, ¢ — Manceuvre que tout cela, ott l’on semble traiter de la question a laquelle, en fait, aucune réponse n’est donnée. Troisiéme esquive de Petilianus : cf. xx1t, 26 - XXVI, 31 a — Puisque ces mot quid si et fortasse font difficulté, Augustin les supprime et sans oublier les mots sancte et sciens, soit-disant omis, voila de nouveau la question : « dicatur unde, et ibi causa baptismi patebit | »37, 32. Cf, ILL, xv, 17, 33. Cf. IT, xv, 28, 34. CE. IIL, Xvi, 19-20, 35. CE. IIL, xx, 23. 36. Cf. IIT, xxt, 24 37. Cf. IIL, XxM, 26 C. LITTERAS PETILIANI III, XL, 48 21 b — Nouvelle dérobade : Augustin n’avait-il pas supprimé sciens parce qu'il ignorait justement la conscience de son baptiseur, de son inguinator, dit Petilianus. Belle occasion de revenir sur le passé mani- chéen d’Augustin : n’a-t-il pas été compromis dans Je procés des mani- chéens de Carthage ? Le bruit ne courait-il pas chez les Donatistes qu'il avait en fait regu un baptéme manichéen ?3* ¢ — Force est pour l’instant de constater une nouvelle fois qu’en dehors de ces calomnies, aticune réponse n’est donnée : « quid ista requirimus ?... Numaquid hine inuenturi sumus unde sit accipientis abluenda conscientia, qui maculosam dantis ignorat... ? »8° Quatriéme interrogation : cf. XXVI, 32 - XXXII, 37 a — Reprenant une fois de plus sa question, Augustin cite quelques lignes de Petilianus qui laissent espérer enfin une réponse car elles sem- blent prendre en considération le cas proposé par Augustin : celui du baptisant qui ignore le manque de foi vrai chez son baptiseur!, b — Mais la réponse ne se situe pas du tout au méme plan et Augustin va montrer longuement qu'elle ne résout rien : « intelligo te ignorare ordinem sacramenti, hoc tibi breuiter dico : et tu baptistam discutere, et ab eo discuti debuisti », a dit Petilianus. Et il apportera des exemples tirés de ’Ecriture montrant selon lui avec quel soin it faut examiner celui dont on sollicite le baptéme : pour iflustrer sa monition, il citera méme des noms de contemporains comme celui de Quotvultdeus, accusé de mauvaise conduite. ¢ — Augustin prendra la peine de réfuter ces arguments mais de telle fagon que le lecteur ne perde jamais de vue le but pourstivi : ainsi pourra-t-il constater A nouveau ou que I’on est A cdté du sujet : guid hoc ad vem ? quid hoc ad causam ?* ou que la réponse attendue n’est pas encore élaborée : « quaerite diligenter quid ille vesponderit. Invenietis etiam conuicta conuicia »#. Et Augustin, de questionner de plus belle. Cinguidme constatation ; cf. xxxut 38 - XL, 47 a — Faisant le point de cette longue joute, rappelant les concessions qu'il a faites, discutant rapidement quelques citations passe-partout de Yopposition donatiste*®, Augustin a patiemment replacé sa question. ILa cité a son tour le cas vécu d'un évéque donatiste qu’on a dé déposer 38. Cf. IL, xxrv, 28-30, 39. Cf. TIE, xxvr, 3r. 40. Cf. IIL, xxvir, 32. ar. Cf, IIT, xxrx, 34. 2. Cf TIT, xxxr, 36. 43. Cf, TIL, XXxmm, 38-39. 22 BERNARD QUINOT de Thubursicubur#! et son texte 1 ergo ad hoc respondens, quod ab pour sa conduite indigne : Cyprianu: est jalonné de phrases de ce genre : « ni eo tam instanter inquiritur ». b — Pourtant, Petilianus a approché de plus prés du centre de la discussion en reprochant aux catholiques de déclarer « saint le baptéme d'un pécheur »48 et surtout en abordant la question des Maximianistes ralliés, c’est-a-dire de ce schisme 4 l'intérieur méme du Donatisme et dont les fauteurs avaient ensuite été réadmis sans aucune rebaptisation. Ce n'est pas le lieu d’analyser ici la longue discussion qu'entreprend Augustin pour défendre l/honneur de I’Biglise et montrer la contradiction dans laquelle, selon tui, s’enferre Petilianus!®. ¢ — Constatons simplement qu'une fois de plus, l’évéque prend ses lecteurs A témoin : « uidete... quemadmodum Petilianus nec ad ea ipsa responderit quae sibi ita proponit ». Sixiéme application : cf. xt, 47 - XLt, 49 a —~ Paisant alors une récapitulation rapide, Augustin formule done de nouveau sa question et reprend le texte de son adversaire : deinceps perrexit ore maledico... & — C'est alors que se place l’accusation de Petilianus au sujet du monachisme, accusation suivie aussitot de plusieurs autres : !’une, selon laquelle Augustin aurait dit que le Christ baptise Iui-méme visiblement les chrétiens ; 1a seconde, reprochant a l'évéque d’Hippone d’avoir appelé le Christ medium Trinitatis ; les autres, sen prenant A d'autres affirma- tions péchées dans l'écrit augustinien!, De ce fatras, Augustin ne reprendra que la seconde accusation et s'attachera a démontrer que Petilianus s'est livré pour cela A une grave manipulation de son texte*. ¢ — Pour l'instant, parvenu au terme de la lecture du pamphlet : postremo conclusit epistolam... \'véque d’Hippone constate une derniére fois : « His igitur diligenter consideratis atque discussis quod ex ea ipsa epistola quam scripsit, satis dilucide apparet, Petilianus non respondit omnino ad quod in epistola mea primitus posui ». Ila préféré insana potius anhelasse conuicia 14 Lallusion au sujet du monachisme africain. Cest dans ce contexte d’accusation et de critique méchante que se trouve l’allusion pétilienne au réle d' Augustin dans le monachisme africain. 44. CE IIT, xxxtv, 4o. 45. Cf IIT, xxxv, 41 46. CE IIT, xxxvr, 42-46. 47. CE TIT, xx, 48. 48. CE ILI, xtv, 54 —X 49. CE TIT, x0, 49. WX, 58. C. LITTERAS PETILIANI III, XL, 48 23 Aussi, non seulement cette allusion doit-elle étre comprise de fagon péjorative pour Augustin, mais encore peut-on penser, a voir les singu- ligres méthodes de controverse de Petilianus, que celui-ci n’a pas cité Vceuvre monastique d’Augustin, simplement parce qu'elle tui déplaisait personnellement mais parce qu'elle pouvait donner matiére A une nouvelle calomnie. Iexpression ore maledico, dont Augustin qualifie alors les dies de son adversaire, ne se retrouve-t-elle pas un peu plus haut® et ailleurs sous des formes voisines : « omissis maledictis, inanium calumniarum et acerrimorum maledictorum impetus, insana conuicia5' », laissant claire- ment entendre qu'il s’agit alors de graves déformations de la vérité ? Aussi, A notre avis, I’allusion au sujet du monachisme doit-elle s’inter- préter en liaison avec les autres accusations de manichéisme. Dans ce domaine, Petilianus ne majore-t-il pas tout ce qu'il peut : Libentissime exaggerel impudicitias Manicheorum easque in me latrando detorquere conetur, estime globalement Augustin®. c’est ainsi qu’en s’en tenant au contenu du seul Livre III du Contra Petilianum, il considére Augustin comme frappé d’exil par le proconsul Messianus parce que son nom a été cité au procés des Manichéens de Carthage par un ami ; de 1a, il insinuera que le baptéme qu'il a recu ne pouvait étre que celui d'un manichéen camouflé, son inguinator®® ; bien plus, a partir des allusions des Confessions, ne fait-il pas d’Augustin un prétre manichéen ?54 Ne l’accuse-t-il pas, dans le méme passage, de tentatives de corruption de femmes mariées et ces bruits infamants seraient parvenus jusqu’é Paulin de Nole et lV'auraient ébranlé dans son estime pour Augustin, selon l'hypothése émise par M. Pierre Courcelle®®. Dans une telle ambiance, l’instauration d’un monastére 4 Thagaste puis 2 Hippone aura paru a Petilianus comme la réalisation par Augustin de ce projet élaboré 4 Rome et dont parlent les confessions®*, Ascétisme de facade, dont il n’était pas difficile de laisser sous-entendre quel genre de vie — hoc genus witae — il cachait5?, Tout au moins pouvait-on concéder & Petilianus de soupconner le monastére d’Hippone d’étre un foyer manichéen : Profuturus et Fortunatus, n’étaient-ils pas tous deux d’anciens manichéens et n’avaient-ils pas tous deux habité le monastére d’Hippone avant de devenir, l'un succédant a l'autre, évéques catholiques de Constan- 50. Cf IIL, liud nihil egisse uisus est ore maledico... 5r, Cf. IIL, xvi, 32, XXVMT, 33, X11, 49. 52. Cf, III, xvi, 19. 53. Cf. IIL, xvr, 19, xxv, 30, xx1v, 28. 54. Cf, ITT, xvu, 20; allusion aux Conj., IV, 1, 1. 55. Cf. Paulin de Nole of la gendse des Confessions, dans Les Confessions et 1a lradi- lion littéraire, Paris, 1963, p. 567. 56. Cf. Con/., VI, xtv, 24 ; sur les easais de « monastére manichéen » i Rome voir PL CouRCHLLE, Recherches sur les Confessions, Paris, 1950, p. 178-179. 57. Sur les scandales causés par les Manichéens, ef. Conira Faustune, V, 5-7, CSEL, 25, p. 277, De moribus Manich,, XIX, 68, BA., 1, p. 355. 24 BERNARD QUINOT tine ? D’ailleurs Petilianus les accusera en 408-409 d’étre demeurés mani- chéens camouflés®s, On comprendrait, si cette hypothése est exacte, pourquoi Augustin proteste contre ces soupgons sur le genre de vie qu’on menait A Hippone en prenant 4 témoin tout l’univers : foto orbe notissimum®®, Remarquons dailleurs qu'il a déja fait appel deux fois 4 des témoins ; quand il s'est agi des faits rapportés par les Confessions, Augustin prend a témoin ses lecteurs que Petilianus trompe ou se trompe® ; et pour prowver qu’il n’a pas été compromis et frappé d’exil dans le procés des Manichéens de Carthage, Augustin propose mulios claros in saeculo wiros testes locuple- tisstmos totius illius temporis witae meac®'. Cette imtention de Petilianus d’accentuer par tous les moyens le mani- chéisme d’Augustin se trouve clairement soulignée par les expressions curieuses qu’emploie 4 son sujet Augustin chaque fois qu’il s’agit d’accu- sations de pratiques manichéennes : nescio guo nouo et suo ture — uel nescius uel oblitus® — ignorat uel potius abutitur ignorantia plurimorum — nesciens aut nescive se fingens — uel falsus uel fallens®® — ou encore falsum quod si non ipse confinwit — certe maleuolis fingentibus maleuole credidit®*, Or c'est une expression du méme genre : nescit, uel potius nescire se fingit qui qualifie le passage sur le genre de vie des moines ; Augustin suggere ainsi quel crédit il faut accorder aux accusations de son adver- saire : il ne faut donc pas en accorder plus a celle-ci qu’a celle-Ia. En conclusion, il ne semble pas que ce propos de Petilianus, tel qu'il nous est rapporté dans le troisitme Livre du Contra Litteras Petiliani, pttisse étre regu comme un témoignage dont 1a valeur historique soit recevable. Augustin a d'autres titres A notre respect et nous avons d’au- tres raisons de Iui rendre hommage pour que nous laissions tomber celui-ci sans regret. Bernard Qurvor. 58. Cf, De unico Baplismo, XVI, 29, CSEL, 53, p. 31. Surl’existence de manichéens secrets parmi les catholiques, tel Victorinus, sons-diacre de Mallia, cf. Ep, 236, 1, CSEL, 67, p. 524. Sur organisation du manichéisme a Vimitation de la hiérarchie chrétieune, cf. H.-Ch. Poxcu, Le Manichdisme, Paris, 1949, p. 86, et note 362 ; G, Wipencws, Mani und der Manichdismus, t96t, p. 100. 59. Cf. C, litt, Pet., IIT, xt, 48, 60. Cf. III, xvm, 20. 6r. Cf IIT, xxv, 30, 62. Cf IIT, xvr,'r9, 63. CE IE, xvrt, 64. CE IIT, xxv, 30, Les interlocuteurs d’Augustin dans le De diuinatione daemonum Qui étaient les interlocuteurs d’Augustin dans la discussion qui est A Vorigine du De divinatione daemonum ? Voyons si la mise en scéne du débat, telle qu'elle est rapportée, peut nous fournir quelques précisions. 1, 1 — Quodam die in diebus sanctis octayarum cum mane apud me adessent multi fratres laici christiani, ct in loco solito consedissemus, ortus est sermto... Van Antwerp suppose que les laics dont il est question, sont des mem- bres de la petite communauté rassemblée autour d’Augustin A Hippone, A savoir Alypius, Evodius, peut-étre son frére Navigius, son neveu Patricius et Romanianus'. Cette supposition nous parait des moins probables, Avec Geerlings nous préiérerions dire avec plus de circonspection : il n'y a aucune certitude sur l'identité de ces fréres. Nous ne savons pas davanta- ge siils étaient originaires d’Hippone. Augustin recevait fréquem- ment des visiteurs venant d’ailleurs. Que cette rencontre ait eu lieu i loco solito, comme il est précisé, ne signifie pas nécessairement que I’ivé- que se soit déja entretenu avec les mémes personnages. Ces mots peuvent trés bien désigner I’endroit habituel ott Augustin recevait ses visiteurs*. T’heure matinale de 1a discussion et le fait qu’elle ait eu lieu pendant Yoctave laissent 4 penser que les visiteurs étaient probablement des habi- tants d’Hippone®, L’organisation du débat telle qu'elle est rapportée ne permet pas d’en dire plus ; voyons maintenant quel en fut l'objet et ce que nous pouvons en tirer. 1, 1 — Ortus est sermo de religione christiana adversus praesumptionem et tamquam miram et magnam scientiam Paganorum, quem recordatum 1. Engene I. vAN ANTWERP, S!, Augustine, The divination of demons and Care for the dead. Washington 1955, P. 4. 2, Dr. HJ. GHMRIANGS, De anliche daemonologie en Augustinus'geschri/t « De divi- nalione daemonumn v's Gravenhage 1933 pp. 141, 142. 3. Ibid, p. 142, 26 N DER LOF atque completum litteris mandandum putavi, non expressis contradi- centium personis, quamvis christiani essent et magis contradicendo quaerere viderentur quid paganis responderi oporteret. Geerlings prend ces mots a la lettre. Evidemment, dit-il, Augustin ne veut pas jeter le discrédit sur ses visiteurs en soulevant des doutes concer- nant la pureté de leur doctrine‘. Et van Antwerp interpréte ce passage dans le méme sens5, Cela ne nous parait pas possible, car manifestement les interlocuteurs ne jouent pas le réle d’adversaires paiens. Quel paien concéderait qu'il fut mis fin au culte paien parce que celui-ci déplaisait & Dieu ? 1, 5 — Dictum contra est, concedendum esse nunc ista recte non fieri, imo ideo prorsus fant nox Fieri, quod omnipotenti mune displicent ; verumtanen Placuisse cum fierent : nos enint neseire unde tune placuerint, nunc antent unde displiceant ; dum tamen certum sit, nec tune fieri ‘potuisse nisi placuissent omnipotenti, nec nunc cessass¢ nisi displicuissent omnipo- tenti. Ou quel paien prétendrait que c’était & juste titre qu'on avait prohibé le culte paien, parce que le cérémonial n’était déja plus conforme aux préceptes des Libri pontificales ? mM, 5 ~~ Sacra enim illa, inquit, non fiunt, quae pontificalibus conscripta sunt libris : ea quippe tune recte fiebant. ea tunc Deo placere denronstraban- tur, eo ipso quod ab omnipotente ac iusto fieri sineébantur : si quid autem nunc prohibitorum sacrificiorum fit occulte atque illicite, non est illi pontificali sacrificiorum generi comparandum, sed in eo deputandum quod etiam: nocturno fit tempore ; cum haec omnia illicita ipsis pontifi- calibus libris certum sit prohiberi atque damnari. Nous concluons que les interlocuteurs d’Augustin, demeurant proba- blement a Hippone, étaient des chrétiens inexpérimenteés, et que, par consé- quent, ils s’expriment comme des chrétiens qui avaient récemment quitté le paganisme. Augustin les protége pastoralement en faisant remarquer qu'ils jouent manifestement un réle. Mais il prévient aussi ses lecteurs en laissant entendre que ses interlocuteurs n’expriment pas ici des idées en tout point chrétiennes. Une troisigme donnée nous est fournie par un autre passage de ce livre. Nous apprenons que peu nombreux sont les paiens qui essaient encore de défendre leurs superstitions d'un age révolu ou de faire parade de leurs fausses doctrines. Nous voyons que le nom méme des paiens est effacé & jamais et que le nombre des adorateurs des dieux décroit d’année en année®, 4. Tbid., p. 144. 5. VAN Aytw 6, Jean Lamorry lée-Louvain 1962, p- op. cit.. p. Le mythe de Rone « Ville Eternelle » et Saint Augustin. Hévet ‘MONUM » 8 dA PROPOS DU « DE DIVINATION 7 Eant nunc isti, et adhuc contra christianam religionem et contra verumt Dei cultum vanitates pristinas defensitare audeant, ut cum strepitu rum est in Psalmo, dicente Propheta ; aequitatem. Increpasti gentes, et periit impius ; non in aeternum, et in saeculum saeculi. Inimici defecerunt frameae in finem, et civitates eorum destruxisti Periit memoria eorum cum strepitu, et Dominus in aeternum permanet " Necesse est ergo ut impleantur omnia haec : nec quod adhiuc audent ips pauci qui remanserunt, vaniloquas suas ostentare doctrinas, et Christianos tanquam imperitissimos irridere, moveri debemus, dum in cis impleri ea quae praedicta sunt videamus. X. 14 — Irrideant ergo, quantum possunt, tanquam imperitiam et stultitiam nostram, et iactent doctrinam et sapientiam suam. Ilud scio, quod isti irrisores nostri pauciores sunt hoc anno, quam fuerunt priore anno. Ex quo enim fremuerunt gentes, et populi meditati sunt inania adversus Dominum et adversus Christum eius, quando ab eis fundebatur sanguis sanctorum et vastabatur Ficclesia, usque ad hoc tempus et deinceps quotidie minuuntur, Sty Augustin, aprés avoir cité une prophétie sur les persécutions qu'a endurées I'figlise, termine en déclarant : X. 14 — Legant tamen haec nostra, si dignentur et cunt ad nos contradictiones corum pervenerint, quantum Dominus adiuvat, respondebinmus Il faut, semble-t-il, prendre cette phrase dans un sens ironique que lui confére U’hypothétique si dignentur, car ! Evéque estime que jamais ne [ui parviendra une réponse a son traité. Ce cas n’est d'ailleurs pas unique, car dans d'autres ceuvres écrites avant 410, nous le voyons adopter la méme attitude’. Dans la Leftre XVII,5 : Augustin refuse de donner des éclaircissements 4 un adorateur des dieux. C'est, semble-t-il, parce que & ce moment il pense que les paiens ne sont plus qu’un petit nombre et qu'ils devront bientét abandonner leur culte*. Et dans la Lettre CI Augustin ne se prive pas de dire A Deogratias qu'il aurait préféré qu’il répondit Iui-méme plutét que de faire appel a Ini. Mais en 410 Poveque d’Hippone se voit contraint de changer de tac- tique. Devant les accusations dirigées par les paiens contre les chrétiens a la suite de la chute de Rome, il entreprend sa vaste somme contre les paiens qu’est la Cité de Diew pour cléturer une polémique séculaire!?. Ce changement d’attitude ressort également de la comparaison que l’on peut faire entre le De consensu evangelistarum composé en 400 et le Sermo 296 préché aux fidéles d'Hippone en 410! La plupart des historiens comme Bardenhewer, Portalié, de Labriolle, ‘Tixeront”, Bardy '%, Geerlings datent le Ne divinatione daemonum entre 7. Ibid, p. 20, 8. fhid., p. 33. 9, Lbid., p. 34. 10. Ibid. p. 38. tt. bid. p. 30. my ANTWERP, op. cil., pp. 3.4. 13. Euores de Saint Augustin 10; Mélanges doctrinaus, Paris 1952, p. 647. 28 L-J. VAN DER LOF 406 et 411. Geerlings accorde cependant qu’il a peut-Ctre été écrit avant Ja prise de Rome en aofit 4104. Altaner s’en tient 4 41125, Van der Meer 4 409", et Marrow 4 40617. Maisil y a un fait, c’est que ce livrene mentionne pas la chute de Rome. A notre sens, compte-tenu de ce que nous avons dit jusqu’ici, cet écrit paratt dater d’une période ott beaucoup de personnes quittaient le paganisme pour passer au christianisme. Peut-on aller plus loin et arriver & déterminer en quelles années ce rafliement a la religion chrétienne s'est effectué ? Pour combattre la divinatio Augustin avait fait appel jusqu’ici A des arguments théologiques ou moraux. Dans fe second livre du De doctrina christiana il assimile la divinatio 4 1a magie et il la condamne comme étant une servitude mortelle pour la vie spirituelle, comme une source de curio- sité et d’angoisse, comme ume perte du sentiment de responsabilité. «Quae tamen plena sunt omnia pestiferae curiositalis, cruciantis sollicitudinis mortiferae servitutis » (II, xxiv, 37)! Diaprés le De div. daemonum les arguments des interlocuteurs sont tout différents. Nous avons vu que le motif de leur éloignement du paga- nisme était double. Les Libri pontificales n’autorisaient plus la pratique du culte paien qu’ils condamnaient formellement. Le culte paien avait été mis hors 1a loi. , 4 — Contra hoc dictum est, ininsta quidem esse nunc ista, non tamen mala ; et ideo iniusta, quia contra leges quibus prohibentur fiunt ; ideo autem non mala, quia si essent mala, nunquam Deo utique placuissent : porro si nunquam placuissent, nunquam et facta essent, illo non sinente qui omnia potest, et qui talia non contemneret. Comme 1’a fait remarquer Geerlings, les termes iniustus et malus sont ici séparés et ont un sens trés différent alors qu'on les trouve déja au début du traité sur 1a bouche des interlocuteurs mais réunis et ayant 4 peu prés la méme signification : alioguin Omnipotens et Iustus ea fieri non permitteret, si mala et iniusta essent (I; 2). Relevons aussi l’insistance mise sur le mot nune ; maintenant les divinationes sont iniusta non tamen mala, elles deviennent injustes « parce qu’accomplies a l’encontre des lois qui les prohibent ». Imiustus a ici un sens juridique et non plus moral, il, s'appli- que a des actes contraires au droit, aux lois!”, Nous sommes done A un moment ott le paganisme est condamné par I'empereur et par Diett et ERLINGS, op. cit., p. 104. 15. B. AVtANER, Patrologie, Freiburg 951, p. 336. 16. P. VAN DER Mxer, Augustinus de sielzorger, Utrecht-Brussel 1049, p. 84. 17. Joseph BARnEL, -lurelius Augustinus Enchiridion, Diisseldorf 1960. p. 246. 18. Voir aussi Ad. Simpl. 2, qu. 3; De Trin, III, 7 ; De div, daem., II, 5 et VIL, 11; De civ, Dei VIII-X passim XI, 6 et 8; cf. PJ. Gr. TER HAAR, De divina~ tione daemonum, dans Mi gustiniana, Nijmegen, 1930, p. 335. 19, GERRIINGS, op. cit., p. 157. A PROPOS DU « DE DIVINATIONE DAEMONUM » 20 devenu illégal, alors que, antérieurement a 1a condamnation par les lois, et non avant le christianisme comme le dit van Antwerp*®, la religion paienne était bonne. C’est donc avec la promulgation des nouvelles lois que les interlocuteurs d’Augustin ont passé au christianisme. Ceci nous reporte au plus tot en 399, année ott fut ordonnée par les comtes Gaudentius et Iovius la fermeture des temples de Carthage et la des- truction des statues des dieux. Ces mesures n’affectérent guére les petites bourgades et encore moins les campagnes ott le paganisme demeura majoritaire*! alors que dans les villes le christianisme 1l’emportait”®. Ti fallut l'intervention auprés de l’empereur du concile de Carthage de 4or, pour obtenir l’application plus stricte des lois ordonnant Ja destruction des lieux de culte paiens hormis les ceuvres d’art**, Quant a Ja démolition des chapelles domestiques, derniers remparts du paganisme’4, elle ne fut ordonnée qu’en 407-408. C’est donc aprés 399 et avant la discussion que rapporte le De div. daem. que les interlocuteurs d’Augustin ont embrassé le christianisme. En effet, en 399 at plus tot on peut parler de la fin du culte paien. Bardy donne de la discussion le commentaire suivant : « Toute cette discussion est extrémement curieuse. On s’étonne de voir des chrétiens prétendre avec autant d’assurance que les cultes paiens, avec leurs oracles et leurs sacrifices, ont été bons autrefois et que Dieu les a approuvés puis- qwil les a tolérés, Cela revient a dire que toute religion est bonne, aussi longtemps qu’elle peut étre librement pratiquée. Saint Augustin n’a pas de peine 4 réfuter ce sophisme. Mais il est curieux qu’il se soit trouvé, au début du vé si&cle, des chrétiens pour le formuler'’?5. En effet cette discussion est curieuse, Mais, en revanche, le fait qu'elle ait eu lieu au commencement du vé siécle n’est pas surprenant, car c’est seulement a ce moment qu'elle pouvait s'engager sérieusement. Les interlocuteurs d’Augustin disent clairement (11,3) qu’une des raisons de leur abandon du paganisme fut l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient d’en prati- quer convenablement le culte. Enfin de leurs remarques nous pouvons déduire une autre donnée. Le fait qu’ils aient quitté le paganisme en raison des interdictions impériales et de la pratique impure du culte prouve qu’ils étaient de culture romaine. La pratique de la religion romaine ne visait pas « la satisfaction des besoins religieux des citoyens, mais le maintien et, si c'est nécessaire, le rétablisse- ment dela pax deorum, les bonnes relations entre I’Ftat et les dieux. Pour atteindre ce but on croit indispensable une exécution infaillible et cons- 20. VAN ANTWERP, op. cil. D. 4. 21, Marie-Madeleine Gurr The lije of the North Africans as revealed in the sermons of St. Augustine, Washington 1931, p. 118. 22. VAN DER MEER, op. cil., p. 42. 23. CEERIINGS, op. cif., p. 100, 2. Dr, H. WAGENvooRt, Varia Vita Groningen 19464, p. 88. 25, G. Barby, daus Quvres de saint Augustin, vol. 10, p. 77%. jo L.-J. VAN DER LOF ciencieuse de tous les actes du culte #6. Or telle est bien la position des nouveaux chrétiens auxquels Augustin a affaire dans le De div, daem. En conclusion nous croyons pouvoir dire que les interlocuteurs d’Augus- tin dans le De div. daem. étaient probablement: originaires d’Hippone. Us avaient da embrasser le christianisme en méme temps que beaucoup de paiens aprés 399. Leur pensée porte Yempreinte de la culture romaine. S'ils étaient indigénes, ils appartenaient toutefois & cette minorité latinisée dont faisait partie Augustin lui-méme. L.J. VAN DER Lor. 26, Winkler Prins Encyclopaedie Vol, 16, Amsterdam-Brussel 1953, i.v. Romeinse godsdienst : Dr, W. Wiersma pp. 133, 134. 27. W. H.C. FREND, The Donatist Church, A.Movemeni of Protest in Roman North Arriea, Oxford 1952, p. 233- Pénitence et réconciliation des Pénitents M@aprés saint Augustin* - | Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. — Bien- heureux les miséricordienx, parce qu’il leur sera fait miséricorde, Quand saint Augustin, encore prétre, commente pour la premiére fois les Béatitudes selon saint Matthieu, dans le De sermone Domini in monte (en 394), il établit une équivalence entre la troisiéme Béatitude, celle des larmes, le troisitme Don du Saint Esprit, le Don de science, la troisitme demande du Pater — « Que votre volonté soit faite » — et la promesse de recevoir de 1'Esprit-Saint la consolation. — La cinquiéme Béatitude, celle de la miséricorde, entre 4 son tour en relation avec le cinquiéme Don du Saint Esprit, le Don de conseil, avee la cinquitme demande du Pater — « Remettez-nous nos dettes, comme nous-mémes les avons remises 4 nos débiteurs » — avec la promesse d’obtenir miséricorde pour nos péchés, Il existe donc une bienheurense science qui nous conduit 4 pleurer nos fautes et un bienheureux reméde qui nous en délivre. Cette méditation sur les Béatitudes est au point de départ de l’enseigne- ment de saint Augustin sur la pénitence ; elle donne la tonalité de ce qui fut, a ce plan, pendant trente-cing ans, son comportement pastoral d’évé- que. Le terme de pénitence comporte pour nous de multiples significations : asctse, expiation volontaire ou imposée, rite sacramentel, Nous concen trerons ici notre attention sur ce que fut pour saint Augustin et I’église d'Afrique, auxtve et vé sidcles, la pénitence au plan liturgique et sacra- mentaire. Le souci qui a dirigé ce travail a été de rechercher quelles étaient les sources scripturaires de l’enseignement de saint Augustin sur la pénitence : par cette voie d’approche, il nous a semblé que se dégageaient A la fois un classement ordonné des textes de saint Augustin sur la pénitence, un * Cet article est le texte développé du Muster Thwme présenté & Oxtord, Fourth International conference on Patristic Studies, 18 sept. 1963. A.-M, LA BONNARDIERE ensemble de rites liturgiques trés cohérent, une théologie riche de seve évangélique. Plusietrs de nos prédécesseurs ont déja tenté de réunir les textes de saint Augustin sur la pénitence : qu’il nous suffise d’indiquer ici l’excellent recueil de B. Poschmann!. On peut distinguer, dans I’ceuvre d’Augustin, trois groupes de textes concernant la pénitence : 1° — It y a les documents fournis par les prédications qu’exigeait la liturgie : les sermons d’entrée en Car€me traitent de la pénitence quadra- gésimale®. Les sermons sur le Symbole, préchés sans doute une quinzaine de jours avant Paques, comportent l'étude de l'article du Symbole sur la remissio peccatorum®. Les sermons qui transmettaient aux catéchuménes les paroles de 1’Oraison dominicale exposent longuement Ja cinquitme demande sur la remise des dettes*. Certains sermons ont été préchés 4 Voceasion de jetines réclamés soit par la vigile d'une féte chrétienne (celle de saint Cyprien particuligrement)®, soit par le déroulement d’une féte paienne®. Les sermons 351 et 352 sont spécifiquement des sermons de Paenitentia. 2° — Ilya les documents fournis par les réfutations d’hérétiques qui, d'une maniére ou d’une autre, attaquaient les pratiques pénitentielles, qu'il s'agisse de rigoristes comme les Donatistes ou les Lucifériens, qu'il s'agisse de laxistes comme les miséricordieux, ou qu'il s’agisse de courants nouveaux comme celui du pélagianisme. Ces documents sont trés dispersés A travers l'ceuvre de saint Augustin ; ils peuvent étre heureusement regroupés, grace 4 la méthode scripturaire, parce que l’habitude de chaque secte hétérodoxe était de fonder son argumentation sur un ou plusieurs versets de I’icriture, dont saint Augustin rétablit la saine exégése et démontre la conformité avec d’autres passages de l'un et de Vautre Testament. 3° — Ilya des documents 4 recueillir dans la correspondance de saint Augustin : réponses 4 des consultations touchant directement ou indirec- 1. BL Poscuaay: Augustini, Textus selecti de Paenitentia — Viorilegium Patristicum, fase. 38, Bonn 1934. 2, Sermones 205-206-207-208-209-210, 3. Sermo Guelf. 1, 9 (alias sermon 213) ; — Sermo « de Symbolo » 1, 7 (15) — Sermo 214, 11 ; ~~ on retrouve la mame étude dans des ceuvres oit saint Augustin reprend l’exposé du Syntbole : De fide ef symbolo 10-11 ; — De agone christiano 30, 32; — De doctrina christiana t, 18 (17) ;— Enchiridion 17, 64 et 22, 83 — Pout le Sermo 215, voit note (25). 4. Btude de Matth, 6, 12 dans les Sermons sur le Pater : 56, 7 (t1) ; $7, 8 (8) ; 58, 5 et 6; 59, 4 (7). 5. On jedinait la veille de la féte de saint Cyprien : cf, Sermo Frang, 5 ;—- En, in Ps, 42,9. 6. En, in Ps, 98, 5:4... et si dolemus illos, oremus pro illis ; et ut exaudiamur, ieiunemus pro illis. Non enim nos notra ieiunia celebramus per dies festos illorum. Alla sunt ieiunia nostra quae celebramus per dies Paschae futuros, per alia atqne alia quae sollemnia nobis sunt in Christo ; per istos autem dies adhoc ieiunamus, ut quando ipsi laetantur, nos pro illis gemamus ». PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 33 tement une question d’ordre pénitentiel : jetine du samedi (Epistula 36) ; — probléme de la communion quotidienne (Epistula 54 4 Januarius) ; — perplexité d’Augustin en face du choix qu’il doit faire entre punir ou ne pas punir (Epistula 95 & Paulin de Nole) ; — les évéques ont-ils le droit Wintervenir pour les coupables auprés des magistrats civils et une telle intervention est-elle saine pour la morale publique ? (Epistula 133 A Ma- cedonius) ; — admonestation sévére A un jeune et bouillant évéque qui a excommunié toute une famille (Epistula ‘250 & Auxilius) ; — probl&me dela pénitence de saint Pierre (Episiula 265 4 Seleuciana) ; — exposé com- plet sur tout ce qui concerne la pénitence, dans le cadre de Yexplication du Symbole, envoyé 4 Laurentius dans !’Enchividion (De fide et spe et caritate)’. Ce premier essai de regroupement des documents augustiniens a pour but de montrer que les textes de saint Augustin sur la pénitence doivent étre replacés, chacun, dans son cadre historique et que 1a confrontation des contextes promet d’étre aussi fructueuse que celle des textes pour interpréter doctrine et faits. C’est done A saint Augustin lui-méme que nous sommes redevable du plan que nous allons stivre dans notre exposé : I — Léconomie de a rémission des péchés. II — Modalités de la pénitence ou signification du pouvoir de lier de l'Rglise. IIL — Les rites du pardon et le pouvoir de délier. 7. 1 Enchividion 4 Laurentins, intitulé par saint Augustin dans les Retractationes t De fide, spe ed cavitate, comporte en effet trois parties, correspondant aux trois vertus théologales : 19 étude du Symbole (de fide) : du chapitre 3, 9 au chapitre 30, 11 — 2° étude de I’Oraison dominicale (de spe) ; 30, 114 A 31, 117 ; — 3° étude de loi de l'Esprit-Saint (de cavitate) : 31, 117 4 33, 122, La premiere partie du traité se subdivise en antant de sections qu'il y a d’atticles dans le Symbole, done en douze sections, a section concernant la remissio peccatorum s'étend du chap. 17, 64 au chap. 22, 83, Elle comprend trois sous-sections : Bapléme (17, 64), Pénitence maieure (17, 64 & 19, 70), excommunicatio (17, 65) ; — pouvoir de l'figlise et Esprit-Saint 17, 65) ;— en fonction du jugement futur (r7, 66) ; erreur des miséricordieux (18, 67 219, 70). Pénitence quotidienne : en quoi elle consiste (19, 71 4 19, 74) ;— erreur sur Vaumdue (20, 75 & 20, 77), L’étude sur la remissio peccatorum se termine par trois anises au point, l'une sur Ia distinction des péchés (21, 78 & 21, 80), l'autre sur les causes des péchés (21, 81-82), Ia troisitme sur le péché contre le Saint Esprit (22, 83). Un ce bref et dense résumé, saint Augustin reprend les difficultés déja traitées dans des ceuvres antérieures ct donne 1a solution & laquelle il est arrivé en 422, — Aw cours de ce travail nous soulignerons les rapprochements entre 'Enchiridion et les couvres plus auciennes. — Il nous semble que les divisions et sous-titres adoptés par J. Riviére dans son édition de I'Enchividion (Bibliotheque Augustinienne, +, 9) ne respectent pas suffisamment les articulations mémes du développement de saint Angustin, 34 A-M, LA BONNARDIERE I. L'ECONOMIE DE LA REMISSION DES PECHES Saint Augustin a exprimé comment il concevait l'économie de la résmis- sion des péchés en une phrase lapidaire : « Haec Ecclesia... claves accepit regni coelorum, ut in illa, per sanguinem Christi, operante Spiritu Sancto, fiat remissio peccatorum v8, A, Per sanguinem — Saint Augustin conclut le treiziéme livre du de Tri- Christi nitate en affirmant que la remissio peccatorum... non fit nisi per eum qui sanguine suo vicit principem peccatorum®: la rémission des péchés ne se fait que par Celui qui de son sang a vaincu le prince des péchés. Ce n’est pas 14 une réflexion accidentelle. Nous savons que chaque année, au. cours de la Semaine Sainte (était-ce le mercredi ou le vendredi ?)", une lectio certa de 1’Bglise d’Hippone (et donc assurément de toutes les communautés chrétiennes d'Afrique) était la Passion du Seigneur, selon I’Evangile de saint Matthieu, Parmi les versets propres A cet Fivangile, se distingue celui qui exprime la consé- eration du calice par le Christ : « Car ceci est mon sang, le sang de l’al- liance, qui va étre répandu pour une multitude en rémission des péchés » (Maitth. 26, 28). a mention « en rémission des péchés » jointe a celle de Veffusion du sang ne se trouve ni dans les textes paralléles de Luc et de Marc, ni dans le récit paulinien de la premiére Epitre aux Corinthiens (ICor. rr, 19). Ce verset matthéen est unique : la célébration de la Passion du Seigneur le rappelait chaque année & l’attention de l’évéque Augustin et de ses chrétiens. 8. Sermo 214, rx ; article du Symbole sur remissio peccatorum : « Ipsa (Ecclesia) est quae in hac fide, quam audistis, fructifieat et crescit in universum mundum (Col. x, 6). Ecclesia Dei vivi, columna et firmamentum veritatis (I Tim. 3, 15) : quae malos in fine separandos, a quibus interim discedit disparilitate morum, tolerat in communione Sacramentorum, Haec propter sua frumenta inter paleas modo gementia, quorum in novissima ventilatione massa horreis debita declarabitur, claves accepit regni caelorum ; ut in illa per sanguinem Christi, operante Spiritu Sancto, fiat remissio peccatorum, In hae Ecclesia reviviscet anima, quae mortua fuerat peccatis, ut convivificetur Christo, cnius gratia summus salvi facti », 9. De Trinitate 13, 20 (26) yo, Mercredi ou vendredi ? nous traiterons ce probléme dans un travail ultérieur, dans le fascicule de la Biblia augustiniana sur l’Evangile de Matthieu, tr. La Passion selon saint Matthieu était ue la Semaine Sainte Hippone : cf, Sermo Guelf. 9, x (lundi de Paques) : ¢ Recolite, carissimi, quae audicritis, quando ejus Passio legebatur’» (suit la citation de Maith, 27, 40-42-43) ; — Sermo 232, x (1) (mardi de Paques) : « Passio autem quia uno die legitur, non solet legi nisi secundum Maithacum ». Saint Augustin rappelle qu'il a essayé de faire lire la Passion selon les autres évangélistes ; mais son peuple s'est trouvé désorienté et il a renoncé A Vessai, Ou peut sans doute considérer le Sermo 28 sur 1a Passion selon saint Jean comme un Sermon de Semaine Sainte, PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 35 Or, il se trouve que ce verset desaint Matthieu est englobé presque litté- ralement, au canon de la messe, dans les paroles de la consécration du catice : « De méme, apres le repas, il prit ce préciewx calice dans ses mains saintes et adorables, vous rendit graces encore, le bénit et le donna a ses disciples en disant : Prenez et buvez en tous, car ceci est le calice de mon sang, le sang de J’alliance nouvelle et éternelle, le mystére de la foi —, qui sera versé pour vous et pour la multitude des hommes en rémission des péchés »!#, Respectuetx comme il I’était des lois de l’arcane, saint Augustin ne nous a gardé nulle part le texte exact des paroles de la consé- tion, telles que lui-méme les pronongait en célébrant 1’Eucharistie. Le nombre de références aux quatre récits de l'institution eucharistique est minime dans l’ceuvre de saint Augustin™. Cependant, si les paroles de la consécration ne sont pas transcrites, elles apparaissent comme transposées en filigrane, au moins dans un sermon adressé aux néophytes ; il s'agit du Sermon 227 : « Je vous avais promis, & vous qui étes baptisés, un sermon oi je vous exposerais le sacramentum de la table du Seigneur, que maintenant vous voyez, et dont, la nuit passée, vous avez été rendus participants, Vous devez savoir ce que vous avez regu, ce que vous recevez, ce que quotidiennement vous devez recevoir. Ce pain que vous voyez sur l’autel, sanctifié™ par la parole 12. Traduction d’aprés B, Bort ct Ch. Mourmans, L’Ordinaire de la Messe, (iitudes liturgiques 2), Paris Louvain 1933, p. 8. 13. Si nous mettons & part les deux versets Madth. 26, 28 et I Cor, 11, 29 dont les motifs de fréquence dans l’couvre d'Angustin seront donnés plus loin, les allusions aux récits de institution de I’Eucharistie se raménent an maigre bilan suivant —— pour Mare 14, 22-25 : allusion en De cons. Evang. 3, 1 (2-3) — pour Luc 22, 15-1 {propre 4 Inc) : Jésus a désiré manger la Paque : De docir. clivist. 2, 3 (4) ;— En, in Ps, 20, 3; — En. in Ps, 68, 8, 2, 6; — de Ciu, Dei 14, 9—- pour Luc 22, 19-21 (versets de Vinstitution) ; Adn, in Lob, 37, 5 — De cons. Evang, 3, t (2) ;— Epist. 54, 5 (6); — En. in Ps, 10, 6 (all, aux évangélistes) : — In Io. tr, ev, 62, 3. — pour Matthieu 26, 26: Bist. 36, 24 (all.) ; — Epist. 44, 5 (10) (all.) ;— Contra ddim, 12, 3; — Epist. 54, 5 (7) i — De cons. Ev. 3, 1 (2) — De bapt, 7, 50 (98) (citation de saint Cyprien) ; — En. in Ps, 33, . 1, 10 ;— Coll. cum Max. 14, r4 (citation de Maximinus) ; — Contra Max, 2, 14. On remarquera que le verset Maith, 26, 26n'apparait dans la prédication que dans I'En, in Ps. 33. — pour Matthiew 26, 27: Epist. 36, 24 reed cons. Boang, 3 1 (3) i De apt. 5, 50 (o8) (saint Cyprien) ;— En. in Ps. 33 (of. 2 26) — pour Matthieu 26, 29: En, in Ps, 8, 2; Quasst, in Evang. 1, qu. 433— a Paul U Cor. 11, 23 & 26: deux allusions en quaestio 6t, 2 et Sermo 51, 22 (32); I Cor, 11, 27-28 : Contra Adim. 17, 3; Contra Crease, 1, 25 (30) ; In To. iv, ev, 62, 5; Sermo 227. r4. Le fait que saint Augustin appelle sanctificatio le consécration du pain et du vin nous semble ressortir de 1a confrontation du Sermo 227 avec I’Epist. 149, 16: Paulin de Nole avait demandé & saint Augustin le sens des mots : obsecrationes, orationes, interpellationes, gratiarum. actiones dans 1 Tim. 2, 1. Augustin répond en décrivant la célébration eucharistique : au sujet des orationes, il dit ¢ orationes, cum benedicitur et sanctificatur et ad distribnendam comminuitur » sous ces trois termes, on reconnait les trois gestes du Christ 41a Céne, le mot sanctificatur corres- pond aux paroles de V'institntion, comme saint Augustin le laisse entendre dans le Sermo 227 : « panis.,. sanctijicatus per verbum Dei.,. quod habet calix sanclificatum per verbum Dei». Dans les deux cas, saint Augustin ajoute que 'Oraison dominicale 30 A.-M, LA BONNARDIERE de Dieu, c'est le Corps du Christ (corpus Christi). Ce calice, ou plutét ce quil y a dans le calice (quod habet calix), sanctifié par la parole de Dieu, c'est le sang du Christ (sanguis est Christi). Par ces choses (per ista), le Seigneur, le Christ a voulu manifester (commendare)!® son corps et son sang que pour nous il a répandu en rémission des péchés (quem pro nobis fudit in remissionem peccatorum) »1®, I nous parait clair que, dans ce texte, il faut entendre l’expression répétée deux fois, « sanctifié par la parole de Dieu » comme signifiant la premiére fois ; « sanctifié par la parole : Prenez et mangez-en tous, car ceci est mon corps » et la seconde fois ; « sanctifié par la parole : Prenez et buvez-en tous, car ceci est le calice de mon sang... » ; en employant. les mots « parole de Dieu », saint Augustin aurait fait allusion aux paroles consécratoires sans les prononcer elles-mémes. Méme si cette interpréta- tion ne parait pas probante, il reste que saint Augustin termine son exposé atx néophytes sur la consécration du calice par le rappel de la parole du Seigneur, telle qu'elle se trouve en Matthieu 26, 28. Il existe pour lui un étroit rapport entre I’effusion du sang du Christ sur la Croix, annoncée par le Seigneur et rappelée dans 1a liturgie de la Semaine sainte, et cette méme effusion du sang du Christ commémorée dans Ja célébration eucha- ristique. De part et d’autre, il est dit que cette effusion se fait in remis- sionem peccatorum. I nous faut done envisager comme des rémtiniscences jumelles de la Passion et de I’Eucharistie les nombreuses allusions que Yon peut recueillir, au tong de l’ceuvre de saint Augustin, a l’effusion du sang du Christ, par laquelle sont pardonnés les péchés. Une enquéte serrée sur l'utilisation faite par saint Augustin des textes néotestamentaires consacrés 4 la rédemption par le sang du Christ nous a prouvé que, en dehors du verset Mat. 26, 28, il ne s’était intéressé qu’a. un autre texte!? : souvent saint Augustin lie l’allusion a l’effusion du sang est alors dite ¢ quam totam petitionem fere omnis Ieclesia dominica oratione cou cludit (Epist. 149, 16) 9; —¢ecce ubi est peracta sanctificatio, dicimus orationen. dominicam (Sermo 227) ». 15. Pour Vétude du mot commendare dans saint Augustin, voir G. Lacorpni, La Doctrine del’ Euchavistie chez saint Augustin, p. 66-68 ; — P.', Cameron, Réalisme et symbolisme dans la doctrine eucharistique de saint Augustin, p. 188, uote 8. 16, Nous précisons que l'expression : sanguis... effundetur in remissionem pocca- Jorum ne se trouve qu'en deux lieux : Maith, 26, 28 et Canon de la Messe : paroles de la Consécration du vin, 17. Les commentaires augustiniens des versets sur sanguis Christi ef remission dos péchés peuvent se classer ainsi : 1) Les versets que saint Augustin n’a jamais cités : Actes 20, 28 ; ~ Ephes. t, 7; — Apos. 1,5 ; — Hebr. 10, 19-29 ; 12, 24; 13, 12-20. 2) Les versets ciiés rarement et sans commentaire : Ephes, 2, 13 (De pec. 1, 27-46 ;— Sermo 37, 21) ;— Rom. 3, 25 (De peco. 1, 27, 43— De spir, et lilt, 13, 21) ; — Apoc, 5, 9 (De pecs. 1, 27-51) ;— Hebr. 2, 14 (De Pecs. 1, 27-50 ; En, in Ps, 118, 8. 16, 6) ; — Hebr, 9, 12-14 (Qu. in Heft; 11,129) ;— 3) La mention du sang est absente de 1a leon augustinienne du verset Col. 1, 14 5 4) Deux versets sont cités en relation avec Matth. 26, 28 : I Io. 1, 7 (In Io, ep. tr. 4, 5) et Rom, 5, 9 (le fragment : iustificali nunc in sanguine ipsius n'est commenté A propos du sang du Christ que dans : de Trin, 13, 10; — Cont. duas pel. epist. 4, 4 (8); — Opus imp. 2, 172 (A). PENITENCE ET R ONCILIATION DES PENITENTS 37 du Christ en rémission des péchés, a celle dela valeur précieuse de ce sang, attestée par la premiére Fipitre de Pierre : « Sachez que ce n’est par tien de corruptible, argent ou or, que vous avez été affranchis de la vaine conduite héritée de vos pares, mais pat un sang précieux, comme d’un Agneau sans reproche et sans tache, le Christ » (I Pety. 18-19)18. Le sang innocent du Christ a été le prix versé pour l’annulation de nos dettes, pour la destruction du chirographum peccatorum (allusion A Col. 2, 14)¥. 5) Quant & 1a formulation aberrante de Rom. 3, 24 (sous la forme : iustificati gratis per sanguinem ipsius, au lien de per gratiam )qui suit quatre fois la citation de Ron. 3 23 (De nat. et gratia 1, 1 et 4, 4; — En. in Ps, 18, s, 2, 2; — Ou, in Hept. 1V, 33), elle ne donne lieu & aucune explication de sanguis Christi. On voit que le bilan est négatif A peu prés totalement, sauf pour Matih, 26, 28 et I Peir, t, 18-19, 18, Allusions jumelées & Matth. 26, 28 et XI Petr. t, 18-19 : En. in Ps, 63, 18: quia ideo sanguisille fusus est ut esset pretium redemptorum, Conj. 9, 13 (36) : Quis ei refun- dct innocentem sanguinem ? quis ei restituet pretium quos nos emit, ut nos auferat ei ? En, in Ps, 95, 5: Venit Redemptor ct dedit pretium : fudit sanguinem sunm, emit orbem terrarum... Sanguis Christi, pretium est. En. in Ps. 146, 4: Porta, inquit, tecum saccum, ferto ibi pretium captivorum, Induit enim se ille mortalitatem catnis, et ibi erat sanguis quo fuso redimeremur. En. in Ps. 138, 2; fuso innocente sanguine, quod est pretium nostrum, redemit nocentes a captivitate, in qua detinebamur a diabolo, En, in Ps, 73, 25 : non erat fusns sangnis pretiosus, quo deleretur chiro- graphum smortis nostrac : promisit, exhibuit, En, in Ps. 26, 8. 2, 2: Nou enim inveni- ret practer se mundissimam rationalem yictimam, tamquam Agnus immaculatus fuso sanguine suo redimens uos. Epis/. 157, 3 (22) : aut quo pretio redimuntur, nisi Christi sanguine, de quo apertissime seriptum est quod in remissionem effusus sit peccatorum ? Ea. in Ps, 71, 16: Ab his usuris redimuntur animae pauperum, sanguine illo qui fusus est in remissionem peccatorum, Epist. 175, 6 (Synodale du Coneile de Carthage de 416 : cette lettre est d’Auréle de Carthage, non d'Augustin) : inquiunt (pelagii)... quod in eis (parvulis).,. nee salvetur vel tanto pretio redimatur.., nec pto eis fusus est sanguis in remissionem legitur peceatorum, De Trin, 13, 15 (19): ...quos Christus ab omni debito liber indebite fuso suo sanguine redemisset. Contra Tul. 3, 3 (9) : Ubi enim redemptio sonat, intelligitur et pretium : et quod est hoc, nisi pretiosus sanguis Agni immaculati Iesu Christi ? De hoc autem pretio quare sit fusum, quid interrogamus alium ? Redemptor ipse respondent, dicat ipse mercator : Hic est, inquit, sanguis mens, qui pro multis effundetur, in remissionem peceatorum, Opus imp. contra Tul, 5, 9 (4): quid est enim, nisi sanguis Agni immaculati qui cur sit effusus clamat ipse Agnus ? Aunon Ipse ait : Hic est sanguis meus qui pro multis effundetur in remissionem. peccatorum, 19. La relation entre Maith, 26, 28 et Col, 2, 14 se retronve treize fois : Conf. 9, £3 (36) : ...unde sciret (Monica) dispensari victimam sanctam, qua deletum est chiro- grafum, quod erat contrarium nobis,.,. Quis ei refundet innocentem sanguinem ? En, in Ps. 149, 9 : Quid tam beneficum, quam sanguine insto delere ehirografim peceatoris ? Sermo Denis 4, 2: ... et effuso sanguine sine peccato peccati chirografim deleretur.., De pec. mer. ef rem, 3, 30 (49) : ut fuso sanguine sine culpa omnium cniparum chirografa delerentur,.. Hn, in Ps, 103, 8, 4 (8) : fundat sanguinem suum, deleat chirografum nostrum, En, in Ps, 109, 11 : ...et per mortem tuam deleretur chirografum peccatorum.,. sanguine tuo peccata gentium diluisti,,. En. in Ps, 138, 2: fuso innocente sanguine, qnod est pretium nostrum... donans nobis delicta, et ipso pretio nostro sanguine suio delens chirografum quo debitores tencbamur. Zn. in Ps, 73, 25 : non erat fusus sangnis pretiosus, quo deleretur chirografum mortis nostrae : promisit, exhibuit, En. in Ps. 88, s, 1, 1¢: neque enim eum non vulneraret sanguis tans, qui fusus est ut deleret chirografum peceatorum, Unde enim super- biebat, nisi quia cautionem contra nos tenebat ? Hanc tu cautionem, hoc chirogra- fum tuo sanguine delevisti, En. in Ps. 67, 30 ; et sanguine suo delendm nostrorum 38 A-M. LA BONNARDIERE B. Operante L/oraison de la postcommunion du mardi de Spiritu sancto Pentecdte, telle qu’on la lit aujourd’hui, renferme la mention que Ipse (Spiritus Sanctus) est remissio omnium peccatorum. Pareille sentence semble étre un écho de l’enseigne- ment de saint Augustin. Bien qu'il ait coutume d’affirmer avec insis- tance que la libération des péchés est l’ceuvre de toute la Trinité (Liberet nos Trinitas a multitudine peccatorum — dit-il dans le sermon Guelferby- tanus I sur le Symbole)® il remarque que par appropriation remettre les péchés appartient tout spécialement au Saint Esprit : « Ipsa (Ecclesia) namque proprie Spiritum sanctum pignus accepit sine quo non remit- tuntur ulla peccata, ita ut quibus remittuntur consequantur vitam aeternam x2), Au cours du Sermon 71, dans lequel saint Augustin s’est efforcé de débrouil- ler La difficile question du blasphéme contre le Saint Esprit, il remarque combien il convenait que les péchés, puisqu’ils ne sont remis qu’au sein de 1’Rglise, le fussent par 1’Esprit, grace a qui l’Eglise est rassemblée dans l’unité®?, La discussion contre les Donatistes obligea saint Augustin A appro- fondir ce point de théologie. L’objet de la querelle était le réle exact joué par le ministre dans l’administration du Baptéme : la péricope scrip- turaire en jeu était tirée de 1’Rvangile de Jean : « Accipite Spiritum Sanctum : si cuits vemiseritis peccata, remittentur illi ; si cuius tenueritis, tenebuntur » (Io. 20, 22-23). En expliquant ces versets, saint Augustin insiste sur leur structure littéraire : « Le Seigneur a dit d’abord : Acctpiie Spiritum Sanctum et immédiatement aprés il a enchainé (continuo su- biectt) : si cuts ila ainsi manifesté que la rémission des péchés trans- mise par le minitre était opérée par l’Esprit Saint »°8. chirograium peccatorum,.. Ey, in Ps. 61, 22 ; Bia, fratres, opus erat sanguine insti ad delendum chirografum peceatorum. Jn Io, fr. ev. 52, 6: Possidebat ergo diabolus genus humanum, et reos supplicioram tenebat chirografo paccatorum... per Christi autem fidem, ...per eius sanguinem, qui in remissionem fusus est peccatorum, millia credentinm a dominatu liberantur diaboli... Sermo Guel/ 6: ut chirografum quo rei tenebamur ejus sanguine deleretur, Dans I'Tn Jo. ep, ir, 1, 5, méme théime, mais le mot ¢ chirografum » est absent. Par cette expression presque stéréotypée qui réunit une allusion 4 Col, 2, 14 et & Matth, 26, 28 saint Augustin affirme le réle de médiation du Christ qui a détruit par son sang Ia eédule de notre dette. I] est & remarquer que saint Augustin met 4 pen prés toujours le mot + péché » au pluriel et que Je contexte de Vexpression ne traite pas du péché originel, Il reste fidéle au sens paulinien du texte qui vise les péchés personnels. — C’est seulement dans le Contra Tul. 1, 6 (26) et 6, 25 (82) que saint Augustin, commentant un texte de saint Jean Chrysostome, lui emprunte Vexpression Chirograjum paternum et étudie Col, 2, 14 par rapport au péché originel, 20, Cf, Sermo 7x, 17 (28) : « Quam remissionem cnm ‘Trinitas faciat, proprie tamen ad Spiritum Sanctum intelligitur pertinere ». 21. Enchividion 17, 65. 22, Sermo 71, 17 (28) : « Sic et peceata, quia practer Ecclesiam non dimittuntur, in eo Spiritu dimitti oportebat, quo in unusa Ecclesia congregatur », 23. Cette remarque sur Ja construction fle Io, 22-23 se retrouve : Contra epist Parr. 2, 11 (24) ; — Sermo 295, 2 (2) ; -- Sermo 99, 9 (9); — Epist. 185, 49; -—~ In To. ev, tr, 122, 4. PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 39 Gon Oa voit immédiatement Ia relation étroite qui unit la Ecclesia seconde et la troisiéme étape de l'économie de la rémission des péchés. La vemissio peccatorum a son lieu : lBglise. Saint Augustin apporte deux preuves fondamentales : la premigre est tirée de Vordre des articles du Symbole de foi, 1a seconde de la collation du pouvoir des clefs a Pierre par le Christ. 10 —— La seconde partie du Symbole de la foi présente dans l’ordre suivant les trois articles : je crois au Saint Esprit ; a la Sainte Bglise, a la rémission des péchés. I/implantation de Varticle sur 1’Figlise entre Yarticle sur le Saint Esprit et celui sur 1a rémission des péchés est soignen- sement mise en relief par saint Augustin ; de 393, dans le De fide et symbolo, jusqw’a 422-423, dans l’Enchiridion, saint Augustin respecte cette cons- truction du Symbole a travers sept textes de dates trés diverses : Sermones 213 et 214, de Symbolo I, De doctrina christiana, De agone christiano, Sermo 99, De fide et operibus®*, — Deux textes font exception a cette régle : les sermons 212 et 215, l'un en omettant l'article sur I’Fglise, Vautre en le renvoyant 4 la fin du Symbole. Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans une discussion relative 4 l’authenticité augustinienne de ces textes®5 : contentons-nous de dite qu'ils ne suffisent pas a infirmer le fait que représente l’enseignement pastoral normal de saint Augustin. En effet, saint Augustin ne se contente pas de respecter Vordre : Esprit- Saint - Riglise - Rémission des péchés ; il donne a cet ordre sa signification : il explique pourquoi I’figlise est nommée aprés 1’Esprit-Saint, pourquoi elle est nommée ayant la rémission des péchés, yiubole classés dans l'ordre ; Esprit-Saint ~ glise 24, On retrouve les articles du § ~ Rémission des péchés dans : Sermo Guclferbytanus 1 (alias sermo 213) ;— Sermo 214 j— de Symbolo 1, 6 (14) ; — de Fide et Symbolo 19 & 25; —~ de agone christiano 20, 31; — Enchiridion 15, 56-57; — de doctrina christiana r, 15 (4) & 18 (17) ; — de Jide et operibus 9, 14; — Sermo 99, 9 (9). 25, Les deux sermons 212 et 215 sont aberrants par rapport A Ja maniére normale de saint Augustin d’expliquer le Symbole. Sans entrer ici dans I’exposé des anomalies de ces denx sermons (ce m’est pas le liew ici : nous nous proposons de donner ulté ricurement une note A ce sujet) nous remarquerons seulement ce qui concerne les articles sur le Saint Esprit et sur I’figlise : le sermo 212 supprime complétement Varticle sur I'Iiglise ; le sermo 215 rejette l'article sur I’Higlise & la fin du Symbole : « Videlis certe, carissims, etiam in ipsis sancti symboli verbis, quomodo, conclusion’ omniwm regularum, quae ad sacramentum fidei pertinent, quasi supplementum quodam additum, ul diceretur : per sanctam Ecclesiam », Pareille formulation, tellement étran- gére a l'ecclésiologie angustinienne, a pour répondants les trois exposés sur I' iglise qu'on trouve dans les sermons de Symbolo attribués A Quodvultdeus par dom Morin : de Symbolo Ii, 13, 24 : » Sancta ecclesia, in qua omnis huius sacramenti lerminatur auctovitas » ; de Symbolo IIT, 12, 13 : « Ideo sacramenti huius conlusio per Ecclesiam terminatur, quia ipsa est mater jecunda,.. » ; de Symbolo IV, 13, 13 : « Propterea huius conclusio sacramenti per sanctam ecclesiam terminatur », Queiques termes se retrou- vent identiques dans les quatre formules : conclusio (du Symbole), sacramentinn (synonyme de Symbole), per sanclam ecclesiam ; ces trois termes sont absents des neuf textes authentiquement augustiniens, 40 A.-M, LA BONNARDIERE I/Fglise est nommée aprés I’Esprit-Saint, parce qu’il convient que le temple soit nommé aprés Celui qui I’habite. Souvent l'article du Symbole sur l’Esprit-Saint donne 4 saint Augustin l’occasion d’exposer le mystére de la Trinité : c'est bien le lieu de le faire, puisque le début du Symbole a été consacré 4 ce qui caractérise le Pare et le Fils. L’appellation de temple de Dieu, attribuée 1’Eglise, concerne donctantét la Trinité toute entiére, tant6t {Esprit Saint plus spécialement. Les versets scripturaires alors évoqués sont les péricopes pauliniennes de la Premiére Epitre aux Co- vinthiens : — 3,16-17 : « Ne savez-vous pas que vous étes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un altére le temple de Dieu, Dieu l'altérera. Car le temple de Dieu est saint et ce temple, c’est ‘vous 978, — 6, 19-20 : « Ne savez-vous pas non plus que votre corps est le temple du Saint Esprit qui est en vous, et qui vous vient de Dieu ? et que vous ne vous appartenez pas ? Vous avez été achetés assez cher! Glorifiez donc Dieu dans votre corps ». Il faut savoir que ces textes étaient les appuis scripturaires de la démons- tration de 1a divinité du Saint Esprit que saint Augustin opposait aux Ariens*’. En effet, saint Paul dit que 1’Esprit-Saint a en nous son temple : s'il n’était_qu’tine créature, Il n’aurait pas de temple : donc le Saint Esprit est Dieu. Or le temple en question, c’est nous, Saint Augustin varie les termes : les temples du Saint Esprit sont tantdt les fideles, tant6t les christiani ou les rvenati : le théme, dont la résonance est le plus sottvent personnelle et individuelle devient communautaire particuligrement dans les commentaires du Symbole ot il sert en quelque sorte de charniére entre l'article sur 1’Esprit-Saint et l'article sur 1’Figlise2® : « Un ordre correct du Symbole, dit saint Augustin dans l'Enchiridion, demandait qu’a la Trinité succédat I’Eglise comme al’habitant sa maison, & Dieu son temple, au fondateur sa Cité... L’Esprit-Saint, s'il était une créature au 26. L’affirmation, li€e A 1 Cor, 3, 17>, que I’Figlise est le temple de Dien se retrouve en: En, in Ps, 5,8 ;—9, 12; — 10, 73 ad Simp. I, qu. 2, 2 ;— Contra Faustum 13, 13; — De bapt. 7, 51 (99) ; — Sermo 337, 3; — En. in Ps, 121, 4; —~ 126, 3 ; — 130, Li = 137, 45 — Sermo 363, 3; — En. in Ps. 67, 33; 78, 4 ;— 82, 10; 111, 1;— de Civ. Dei to, 3; — Sermo 15, t ;—~ In Io, tr. ev, 68, 2; —~ de Civ. Dei 17, 8 (3): — Contra Tul. 6, 14 (48). 27. La péricope I Cor. 6, 19-20 est quinze fois citée comme preuve de la divinité du Saint Esprit : de Trin, 1, 16 (13) ; 2, 13 (23); 7, 3 (6) ; — Epist. 170, 2; 1738; 238, 4 (21); — Contra serm, Arian. 20 et 29 (27) ; — Coll. cum Max. 14: Contra Max. 2, 2t (1) ;-—~ Sermo 214, 10 ; — Enchiridion 15, 56 ; — Sermo Morin 3,41 — de Symb. 1, 5 (13). L’Esprit-Saint a droit au culte de iatrie (Deut, 6, 13) de Trin, 1, 6 (3) ; — Epist. 170, 2 ; — Epist. 1738 ; — Contra serm. Aria. 20 et 29 (27). — Le verset I Cor, 3, 16 prouve que I’Rsprit-Saint est Dieu, puisqu'll a un temple: de Trin. 7, 3 (6) ; — Enchividion 15, 56;— Coll. cum Max. 14 ;-— Contra Max, 11, 21 (1) ;— Contra Tul. 6, 13 (40) }~ Sermo 99, 9 (9). 28, L’glise est le temple du Saint Esprit; on trouve cet enseignement donné dans les commentaires du Symbole ; de Symb. 1, 6 (14) ;— Sermo Guelf. 1, 7 (7) ; — Sermo 214, 11; — Enchividion t5, 56-57. PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 41 lieu d’étre le Créateur, serait, A n’en pas douter, une créature raisonnable : c'est en effet 1a créature la plus haute ; et c'est pourquoi dans la regula fider il ne serait pas placé avant I'Eglise, parce qu'il appartient tui-méme ‘a I'Biglise, A la partie de PTiglise qui est dans les cieux ; et il n’aurait pas de temple, mais fui-méme en serait un aussi. Or, il a un temple, Lui de qui lApétre a dit : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de T'Esprit-Saint... » — Et saint Augustin de conclure son raisonnement : «Le temple de Dieu, c’est-A-dire de la ‘Trinité souveraine tout entiére, est 1a sainte Figlise universelle, celle de la terre et celle du ciel » ( Enchi- vidion 15, 56). Ainsi done c’est dans lViglise que le Saint Esprit qui l'habite opére la rémission des péchés : « Deus ergo habitat in templo sancto suo, hoc est in sanctis suis fidelibus, in ecclesia sua : per eos dimittit peccata ; quia viva templa sunt » (Sermon 99, 9). 20 — L,'iglise a regu du Christ le pouvoir des clefs : « Haec (ecclesia) claves accepit regni caclorum, ut in illa, per sanguinem Christi, operante Spiritu Sancto, fiat remissio peccatorum. In hac ecclesia reviviscet anima, quae mortua fuerat peccatis, ut convivificetur Christo, cuius gratia sumus salvi facti®® », Saint Augustin attribue plusieurs fois 4 1'Eglise tout entire le verset de Matthieu 18, 18 : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu dans le ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu danse ciel pour délié, Mais Vhabitude la plus fréquente de saint Augustin est de rappeler 1a Confession de Césarée. Quand le Christ donne le pouvoir des clefs a Pierre, c’est a l’Figlise qu'il le donne. Pierre ecclesiae personam gerit. Nous avons déja eu l'occasion d’exposer comment saint Augustin comprenait la péricope matthéenne 16, 13 23° : qu'il nous suffise de rappeler que saint Augustin interpréte le verset Math. 16, 19 au sens de VEglise dans son intégralité : « Ubi remissio peccatorwm, Ecclesia e: Quomodo Ecclesia ? illi enim dictum est ; tibi dabo claves regni caelorum : et quae solveris in terra, soluta erunt et in coclis ; et quae ligaveris in terra, Higata erunt et in coelis ». (Math. x6, 19). « Qua diffunditur ista remissio peccatorum ? per omnes gentes, incipiens ab Terusalem » (Luc 24, 47)%%, Dans un sermon du 29 juin, saint Augustin rapproche les trois textes évangéliques relatifs 4 la collation du pouvoir des -clefs — Jo. 20, 22-23 — Maith. 16, 19 — Maith. 18, 15-18. Tl en montre 1a parfaite concordance et termine Ia confrontation par la formule : « Columba ligat, columba solvit, aedificium supra petram ligat et solvit »*8, 29, Sermo 214, 11. 30. Cf. de Dooty, christ. t, 18 (7) ;— En. in Ps, ror, 8. 2, 3;— In Io, tr, ep. 10, 10 ; — Sermo 295, 2 (2) ; — Sermo 214, 11 ; — Bpist. 185, 45 : en tous ces textes, Vaccent est mis sur Ia remise du pouvoir des clefs de I'tiglise dans son universalité : méme quand il s'agit de Pierre (Sermo 295, 2), c’est pour dire qu’en lui, c'est I'unité de Riglise qni regoit les clefs. Saint Augustin s'appuie A la fois sur Maitit. 16, 19 et sur Matih, 18, 18 on tantot sur un tantot sur Vautre, leur donnant méme valeur. 31. A.M, La BONNARDINRE, Tu es Pelvus, La péricope Matthieu 16, 13-23 dans Pauvve de saint Augustin, dans Trenikon, t. XXXIV, 4¢ trimestre 1961, p. 451-499. 32. In Jo, tr. ep. 10, 10, 33. Sermo 295, 2 (2), 42 A.-M, LA BONNARDIERE Pouvoir de lier, pouvoir de délier : comment concrétement, 1'Eglise exerce-t-elle ces pouvoirs ? envers qui et par qui ? Il. LES MODALITES DE LA PENITENCE OU SIGNIFICATION DU POUVOIR DE LIER DE L’RGLISE On lit au Livre des Proverbes : « Il y a trois choses et il y en a une qua- trigme... » (Prov. 30, 15) L'enseignement de saint Augustin sur la pénitence, écho de sa pratique pastorale, comporte trois parties et il en comporte une quatriame... Cette quatriéme partie nous montrera trés particuliérement a quel point nous avons 4 faire aux problémes vivants d'une communauté d’Kglise, et non pas 4 um exposé purement didactique. Mais n’anticipons pas. Nous allons done envisager successivement : — la pénitence ante-baptismale ou pénitence des catéchuménes ; — la pénitence quotidienne des fideles, c'est-A-dire des baptisés ; — la pénitence exceptionnelle de ceux qui sont appelés, comme le dit saint Augustin, proprie paenilentes ; — les cas « qui font probléme », A. La pénitence pré-baptismale a) Quels étaient Jes sujets de cette pre- ou pénitence des catéchumanes mire pénitence ? A la premitre péni- tence, étaient soumis les candidats au Baptéme, adultes, en possession de leur libre arbitre : par conséquence logique, en étaient exclus les petits enfants présentés au Baptéme par leurs parents“, Si nous cherchons maintenant comment des hommes et des femmes en arrivaient a venir s'insctire au rang des catéchumeénes, il nous faut — débordant le th8me proprement dit de la pénitence — envisager le riche enseignement de saint Augustin sur la conversion et sur cet appel mystériewx et cach¢ qui consiste de la part de la miséricorde divine @ inciter quelqu’'un & la pénitence. Saint Augustin savait ce qu'il en était d’expérience et il a traduit les avances de Dieu envers Iui-m&me en scandant le livre des Confessions au moyen des différents moments de la Parabole de l’Enfant Prodigue : tes étapes du prodigue affleurent dans les Confessions, chacune marquant une des étapes essentielles du 34. Sermo 351 munes : nondum 2): « ab hac paenitentia, cum baptizantur, soli parvuli sunt im- m uti possunt libero arbitrio », PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 43 retour d’Augustin vers la maison du Pére®5, Mais ce n'est pas le liew ici Winsister sur le théme de la conversion ; qu'il nous suffise de remarquer avec saint Augustin, que l'initiative appartient 4 Dieu : c'est un don de sa miséricorde. b) Pour ceux qui viennent ainsi s'inscrire au rang des catéchuménes, leur démarche fondamentale est de se reconnaitre pécheurs : c'est propre- ment la confessio, la reconnaissance qu'un homme fait de sa responsabilité personnelle dans le péché. Face aux manichéens qui mettaient en cause fa « gens tenebvarum » ; face aux astrologues (les mathematici)®* qui met- taient en cause les planétes (Venus, Mars, Saturne...) ; face aux donatistes qui revendiquaient la sainteté de leurs prétres ; face A toutes ces sectes de « purs », saint Augustin affirme la responsabilité personnelle de l'homme qui commet un péché : c'est le sens précis que revét pour lui le verset 5 du Psaume 40 : « Ego dixi : Domine, miserere met ; sana animam meam, quoniam peccavi tibi: ego... peccavi libi : c'est moi qui ai dit : j'ai péché ». Quand saint Augustin insiste sur ses propres péchés oui exhorte ses audi- teurs a la confessio il ne le fait pas, comme certains l’ont cru, par une sorte d’obsession plus ou moins morbide ou par le désir exclusif de ma- nifester sa contrition personnelle ; il le fait pour réfuter des opinions erronées qu'il connaissait bien et dont il savait la fAcheuse influence sur des lution de la conversion de saint Augustin, telle qu'il la raconte au cours s ons, est jalounée par le rappel des étapes de la Parabole de l'enfant pro- digue : Con, 1, (8 (28) : allusion A Luc 15, 13-12-22 (l'enfant s'est éloigné de 1a face de Dien dans ia passion ténébreuse, c’est-i-dire dans le péehé : l'éducation cortup- trice regne & lécole par Augustin Iui apprenait & bien parler et non & bien vivre). Conf. 2, ro (18) : allusion a la regio agestatis (Luc 15, 14), évoquée comme le lot com aun @I'adolescence de enfant prodigue et A celle d’Angustin, Con/. 3, 4 (7): allusion A Luc 15, 18 (l'enfant se léve pour revenir vers son pére ; Augustin lit I'Horlensius de Cieéron et briile de désir de la sagesse : ef surgere coeperam ul ad te vedirem), Con). 3, 6 (12) : allusion & Luc 15, x6 (l'enfant paissait les pores : Augustin s’aventure chez les manichéens et pérégrine loin du Seigneur). Conj. 4, 16 (30) : allusion A Lue 15, 13 (enfant dissipait les biens qu'il avait reus de son pére : Augustin riche en dons intel~ lectucls, au point de comprendre seul les Caiégories d’Aristote, gaspille ses talents). Conf. 8, 3 (6) et 3 (8) : allusion au retour de I’enfant prodigne (le pére se réjouit : Augustin écoute de la bouche de Simplicianus le récit de la conversion de Victorinus et il prend conscience de la joie de Dien au retour du pécheur : « gui morluus eral et revisit, perieral et inventus est (Luc 15, 24) ». L'allusion Ale gaudium sollemmitatis domus uae évyoque le Baptéme. Conf. to, 31 (45) : rappel du retour du prodigue ; 6 Sed memento, Domine, quia pulais sumus, et de pulvere fecisti hominem, et perierat ef inventus est (Luc 15, 24) , Augustin ne se fie qu’au Seigneur, 36, Saint Augustin distinguait avec précision les astronomes (véritables savants) et les mathematici on tireurs d' horoscopes (cf. de diversis quaest. 83, qu. 45 — AAdversus inaikematicos ~~ et Confessions 5, 3). Les seconds rejetaieut la responsabilité des péchés sur les planetes : Vénus ou Mars ou Saturne ou les étoiles ; ils avaient coutume aussi d’invoquer la fortune, le destin ou le diable, Augustin fustige tous ces diseurs de sornettes en unc série de textes ot l'on retrouve plus ou moins compléte l’énumé- ration susdite : Sermo 20, t 4 3;— Confessions 4, 3 ;— En, in Ps. 40, 6; — En. in Ps, 31, en, 2, 16; — En. in Ps, t4o, 9 et tt; — Sermo 29, 3 (3) ; Sermo Mai 17; — En, in Ps, 128, 0; —~ de continentia 5 et 7.— Or dans tous ces cas saint Augustin s’appuie sur Psaume 40, 5 pour rappeler que le péché est le fait de la libre volonté de "homme, 44 A.-M, LA BONNARDIERE consciences toutes prétes a saisir un motif de s’exctser de leurs fautes, quite & en rendre coupable Dieului-méme®’. Quant aux péchés précis que le Baptéme va effacer, saint Augustin ne les détaille pas : les catéchuménes n'ont pas a en faire l’aveu, mais 4 s’arracher A leur emprise : le Baptéme efface toutes les fautes commises avant dele recevoir®* : doctrine que saint Augustin répéte sans cesse en évoquant, selon les données traditionnelles, le passage de la Mer Rouge par les Hébreux. Le Baptéme, regeneratio et renovatio, délivre de tout péché, qu'il ait été apporté en naissant (in- generaius) ou commis au long de Ja vie (additus)*®. A l’époque pélagienne, saint Augustin met davantage l’accent sur le péché originel, mais il reste que lorsqu’il préche a des catéchuménes adultes, il les convie essen- tiellement au repentir de leurs péchés actuels!®, c) Ce sont les évéques qui ont la charge de faire observer la pénitence pré-baptismale : les praepositi sont les gardiens de la disciplina eccle- siastica : saint Augustin s'est fort bien expliqué A ce sujet dans le De fide et opertbus*! destiné a réfuter une these en vertu de laquelle certains laxistes voulaient qu’on conférat le Baptéme a des candidats vivant en état de concubinage, quitte a leur apprendre par la suite les lois de I’Figlise concernant le mariage. Le De fide et operibus date des années 412-413 ; déja auparavant les nécessités de la lutte contre les donatistes avaient obligé saint Augustin & déterminer le réle exact du ministre vis A vis du 37. Confessions 4, 3 (4) : ¢ Bonum est enim confiteri tibi, Domine, et dicere : miserere mei, cura animam meam, quoniam peccavi tibi neque ad licentiam peccandi abuti indulgentia tua... Quam totam illi salubritatem interficere conantur, cum dicunt : « de caelo tibi est inevitabilis cansa peccandi + et « Venus hoc fecit aut Satur- nus aut Mars », scilicet ut homo sine culpa sit, caro et sanguis ct superba putredo, culpandus sit autem caeli ac siderum creator et ordinator. Et quis est hic nisi Deus noster, suavitas et origo iustitiae, 38. De Symtolo x, 7 (15) ;—- Enchiridion 17, 64. 39. Enchiridion 17, 64 : « Excepto quippe Baptismatis munere, quod contra originale peccatum donatum est, ut quod generatione attractum est, regeneratione detrahatur ; et tamen activa qnoque peceata, quaecumque corde, ore, opere commissa invenerit, tollit : hac ergo excepta magna indulgentia, unde ineipit hominis renovatio, in qua solvitur omnis reatus et ingeneratus et additus; ipsa etiam vita caetera iam ratione utentis aetatis, quantalibet praepolleat fecunditate iustitiae, sine peccatorum remissione non agitur ¥, 40. Habituellement et massivement, le lien Baptéme - péché originel est mis en relief A propos de la question du Baptéme des petits enfants, question que nous Lais- sons ici entigrement de cété, (Question « disputée » de la controyerse avec les Péla- giens) 4t. Le vocable disciplina a de multiples valeurs dans la langue augustinienne, Saint Angustin traite trés spécialement de la disciplina ecelesiastica dans les ceuvres suivantes (nous donnons les textes essentiels) : Ep. ad Rom, inch, exp. 13 — Contra ep. Parm, livre 3, 1 & 16 ; — Sermones 47, 5 ;— 57, 135 251, 1 ;— 82 et 83 (qui trai- tent particuligrement ce théme) ; 351, 2 (2) ; 164; Epistulae 78, 7-8 et 185, 10 (45) }—~ ad Don, post Goll. 28 ; — En. in Ps, 102, 4 ; — De fide at operibus (c'est un des themes du traité), — Retract, 2, 17. PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 45 Baptéme®. En vertu de quels pouvoirs, les évéques imposent-ils les régles de la pénitence ? En vertu d’une tradition qui leur vient des Apdtres, et par eux du Christ, les évéques ont barre sur la disciplina : malgré toute leur condescendance pour la fragilité humaine, les Apétres, & la suite du Christ, ont été attentifs 4 pratiquer A la fois la miséricorde et la sévérité. Saint Augustin met en relief l’exemple de Pierre accueillant les juifs convertis a la suite des prodiges de 1a Pentecéte, mais atterrés A la pensée de l’énormité du crime qu’ils avaient commis : « Faites pénitence et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour !a rémission de ses péchés et vous recevrez alors Ie don du Saint Esprit » (Actes 2, 37-38)". Telle est la charte du catéchuménat : ainsi, a coutume alors @ajouter saint Augustin, ceux qui se soumirent A la pénitence purent boire le sang qu'ils avaient répandu : claire allusion 4 la pratique liturgique de la réception de l’Eucharistie suivant immédiatement le Baptéme*. 42. Les textes qui, dans la liste précédente, 351, 2 (2) — le De fide et operibus. 43. De fide et operibus 8, 12: « Sed in Actibus Apostolorum Petrus, inguiunt (c'est- A-dire les laxistes), sic allocutus est illos qui.verbo audilo baptizati sunt uno die tria millia, ut eis sola fidens, qua in Christwin credorent, praedicaret, Qui cum dixissent + « Quid jaciemus ? > vespondit eis : « Agite paenitentiam, ef baplizetur unusquisque vestrum in nontine Domini Iesu Christi in remissione peccatorum, ct accipielis donus Spiritus sancti» (Act, 2, 38). Cur ergo non advertunt (toujours les laxistes) quod dictum est « Agite paenitentiam » ? Ibi est enim vitae veteris exspoliatio, ut nova induan- dur qui baptizantur. Cui autem fructuosa est paenitentia, quac agitur de mortuis operibus, ‘si in adulierio perseveret aliisque sceleribus, quibus dilectio mundi huius iavelvitur ? + Ce texte du De fide ef operibus est un écho d’un enseignement trés familier A saint Augustin, Il répete fréqnemment dans sa prédication que 1a pénitence a été Ja consigne donnée par Pierre aux Juifs repentants apres la résurrection du Christ : non sculement ce rappel est lié 4 Yenseignement sur la pénitence ante-baptismale dans les sermons consacrés explicitement i la pénitence (Sermo 351, 2; — Sermo 352, 2) mais encore l’Episiula 265 (écrite A Seleuciana, au sujet de la pénitence de Pierre), ‘qui reprend V'enseignement: habituel sur les trois pénitences, présente ainsi la pre- midre : « Agund enim homines ante Baptismum paenitentian de suis prioribus peccatis ita amen, ui etiam baptisentur, sicut scriptum est in Actibus Apostolorum, loquente Petro ad Iudaeos et dicente : Agite paenitentiam... peccata vestra », 1,a relation entre la préparation ascétique au Baptéme ct le rappel des consignes de Pierre en cles 2, 37-38 est done normal, Ii n’est done pas étonnant que cette relation soit rappelée par exemple dans les cas of saint Augustin traite d’un verset psalmique exhortant Ala conversion (Ex. in Ps, 93, 8 ; — 73, 22 | — 108, 19). 44. Saint Augustin rappelle souvent Actes 2, 37-38 en insistant sur le fait que les premiers juiis pénitents recurent le Baptéme et burent le sang du Christ : « Judaei tamen ewm occiderunt et multi in eum postea crediderunt et biberunt eius sanguinem : dimissum est illis peccatum quod commiserunt » : cette phrase qui se trouve dans le do Symbolo 7, 15, & Valinéa sur l'article concernant la yemissio peccutorum (phrase ici non accompagnée de Act. 2, 37-38) revient, presque inchangée et accompagnant Actes 2, 37-38 en : Sermo So, 1: paenitentiam egerunt, gratiam invenerunt, et credentes sanguinem biberunt quem saevientes fuderunt, Sermo 352, 2: Eum colendum quem crucifixerunt ut cius iam sanguinem biberent credenies, quem [uderant saevienies. Sermo Mai 26, 2 ; ...illi orgo sanguinem pretiwn prius suum fuderant, post et biberunt. En, in Ps, 93, 8: juderunt pretium suum ut biderent pretium suum, En. in Ps, 45, 4: Medicum vel postea cognovistis, iam securi bidite sanguinem quem fudistis, En, in Ps, 58, 8. 1, 15: Ile sic voluit mori ut sanguine suo cliam ejfusores ciusdem sanguinis redimeret ; fudistis sacvientes, bibite confidentes, In To. ev. fr. 31,9 + Quousque biberent concernant le Baptéme sont le Sermo 46 A-M, LA BONNARDIERE d) Mais cette pénitence préchée par saint Pierre et, a sa suite, par saint Augustin, est-elle une punition ? Le moment est venu de préciser la signification du mot faenitentia quand saint Augustin l'applique aux exercices afflictifs qui précédent le Baptéme. Ils n’ont pas le méme carac- tére humiliant que ceux qui sont réservés aux pénitents. La pénitence des catéchuménes, c'est une conversion des meeurs destinée A faire passer (ivansitus : le symbolisme de la Mer Rouge est sous-jacent) les candidats au Baptéme d'une vieille vie de péché et d’habitudes paiennes & une vie toute neuve de paix et de comportement chrétient®, Le terme sans cesse repris est celui de renovatio et le groupe scripturaire qui sous- tend cet enseignement est celui des textes pauliniens sur les deux hommes, Vextérieur et Pintérieur, le vieux et le nouveau, le terrestre et le céleste!®, Pareille renovatio ne se fait pas en un jour ; aussi le catéchuménat était-il plus ou moins prolongé, selon les dispositions des candidats. Ils étaient fréquemment exhortés 4 cette componction de l’esprit qui avait submergé l'ame des premiers catéchuménes de saint Pierre (Actes 2, 37% : compuncti sunt corde)*”, Les exercices pénitentiels s‘intensifiaient au cours du dernier caréme précédant le Baptéme. Le programme en était la trilogie tradition- nelle : jetine - auméne - prigre : les textes de saint Augustin sur cette trilogie sont trés nombreux", La série de base est celle des six sermons Sanguinem quem fuderant, de sua salute desperaverunt, Sermo 77, 3.4: Ad mensam Domini accesserunt, et sanguinem quem sacvientes fuderunt, credentes biberunt, La liste des citations de ce théme (en manifestant une constante des méthodes rédac- tionnelles de saint Augustin : méme sentence lige 2 méme verset scripturaire) nous prouve I'étroite relation Baptéme-Eucharistie au temps de saint Augustin et sans doute aussi Vhabitude de 1a communion sous I’espéce du vin (au moins pour les néophytes). 45. CE. LA, IvNoMas, La Liturgie des premiers siteles, chap, 7 et 19 (le Baptéme), 40. Le vocable renovafio appartient aux versets pauliniens Cal. 3, 9-10 ;— IL Cor. 4, 16; — Ephes, 4, 23 ; — Rom, 12, 2, — Ces versets, qu’ils soient utilisés seuls ou qwils soient liés ensemble, occupent une place considérable dans I'enseignement de saint Augustin qui les rapproche de I Cor. 15, 47-49. La premitre pénitence en- gendre un homme nouveau ; voir tout particuligrement ; Sermo 351, 2 (2); — Sermo 352, 21 — In Lo. ev. tr. 5, 12; 8,23 9,6;— In, Lo. ep, tr, 1,10 De fide et oper. 1, 25 6, 8-9; — 8, 12; — 27, 49} — Enchiridion 17, 64 ; — Sermo 216, 2{2). — Par contre la péricope Hebr, 6, 1-2 qui traite des débuts de Ia vie chrétienne u’est citée que trois fois par saint Augustin : Ep. ad Rom. inch. exp. 19 ; — De fide et oper. 11, 17 5 — In To. ev. Tr. 98, 5. 47. Citations de doles 2, 37% et allusions A la componetion de V'esprit (souvent le verset psalmique 31, 4 qui renferme le mot spina accompagne Actes 2, 37) : Sermo. 352, 2; — Sermo. 77, 2 (4) ;— Sermo, 175, 4 (4) ; — De Trinitate 2, v7 (31) — En. in Ps, 121, 17; — En, in Ps, 74, 7; — Bn, in Ps, 45, 4; — Sermo. 316, 3 (3) i — En. in Ps. 93, 8; — 73, 22 i— $8, 8. 1, 15; — In Lo, ev. tr. 31, 0; —~ In To. ev. tr, 40, 2;— En. in Ps. 77, 44; 108, 19; — Qu. in Hept, II, qu. 154; — VIL, qu. 49 (x8). 48. La trilogie auméne - priére- jefine se retrouve exactement daus les six sermons ouverture de caréme, sans que saint Augustin s‘astreigne & respecter le méme ordre dans Vénumération des trois pratiques : Sermo 205, 2 (ioiunando, eleemosynis, addite praeroganio) — Sermo 206, 1 (orationibus, ivinnits, eleemosynis)— Sermo 207, t (elec mosynis et ieiuniis alque orationibus) —' Sermo 208, t (ieiuniis ef ovationibus et eleemosyniis) — Sermo 209, 2 (arationes, eleemasynae, ieiunando) — Sermo 210, 6 RECONCILIATION D. PENITENCE 47 d’entrée en caréme que nous possédons ; ces sermons s’adressaient en méme temps aux fideles (les baptisés) présents : tous célébraient le caréme de la méme maniére. L/insistance du prédicateur porte sur le jetine ; jetine alimentaire et abstinence sexuelle. Le rappel des trois jetines bibliques de Moise, d’Blie et du Seigneur permet a saint Augustin d’expli- quer le sens de la quarantaine et d’évoquer la théophanie de Ia ‘Transfigu- ration et la robe éclatante du Christ, image de I’Bglise purifiée, montant de la fontaine baptismale. A la trilogie de I'auméne, du jetine et de la priate, se joignaient pour les catéchumenes les rites des scrutins et des exorcismes. Tout cet ensemble était dominé par une grande espérance, par une tension vers I’Eucharistie : « On apprend aux catéchumanes, dit saint Augustin, dans le De fide et operibus (6, 0), ce que doit étre la foi et la conduite du chrétien ; aprés quoi, s’étant éprouvés eux-mémes, ils mangeront de la table du Seigneur et ils boiront de son sang, car celui qui mange et boit indignement mange et boit son jugement » (1 Cor. x1, 29). B. La pénitence quotidienne Si nous devons fouiller l'ceuvre de saint des fideles, des baptisés Augustin pour parvenir 4 retrouver son enseignement concernant soit la pénitence avant le Baptéme, soit la pénitence majeure des « pénitents », il nous faut en revanche éviter d’étre submergés sous l'abondance des textes relatifs A la pénitence quotidienne. Il n'est pas étonnant que l’évéque se soit préoccupé surtout du progrés spirituel des baptisés : ils représentaient le gros de ses ouailles, entre la petite équipe des catéchumeénes et celle des pénitents. Is avaient aussi la vie devant eux, alors que l'état de catéchumeéne et de pénitent est temporaire. Aux derniers jours de la formation des néophytes, l’évéque, chaque année, les enjoint avec tremblement de ne pas se mettre dans le cas d’avoir a recourir & la pénitence majeure ; mais, avec la méme véhémence, il les exhorte & pratiquer désormais la pénitence quotidienne. Le mot quotidie devient un leitmotiv dans les documents que nous explorons ici péchés quotidiens, pénitence quotidienne, baptéme quotidien, priére quotidienne. De quoi s’agit-il ? (ieiuniis, eleemosynis, orationibus). — On s'apergoit donc que saint Augustin n’a pas le souci de respecter ordre suivi par saint Matthieu dans le Sermon sur la Montagne (Maith, 6, 2 418: aumone - priére - jefine : on le trouve cependant, non seulement dans fe de Serm, Dom. in monte 2, 2 X12, mais aussi dans 1’En. in Ps. 118, s et dans I'Epistuia 220, 11); saint Augustin n’a d’autre part nullement l'intention d’éviter Vordre rabbinique (pritre - jefine ~ aumdne) tel qu'il se trouve en Tobie t2, 8 (Bonu est oratio cum ieiunio et eleemosyna) : voir Epistula 36, 8 ct 48, 3. Eu période de caréme, Vinsistance d’Augustin porte sur le jefine, On retrouve la méme relation en un jour de vigile de saint Cyprien (Zn. in Ps, 42, 8), Quand saint Augustin relie La trilogie en question a l’oraison dominicale et 3 1a pénitence quotidienne, accent est mis sur Youtndne : Sermo, 351, 3 (6) ; — Contra epist. Parm, 2, to (20); — Sermo. 9, tx (9) En, in Ps. 66, 7 ;-— De peri. iust, hon, 8, 18 ; — Epistula 265, 8;— Opus imp, 2, 212 (A) 43 A-M, LA BONNARDIERE Les péchés ‘Tout d’abord, il faut en convenir, les baptisés péchent quotidiens encore : ces péchés sans doute ne sont pas graves, mais ils sont fréquents : a leur sujet, trois comparaisons illustrent l'affirmation de saint Augustin : ils sont menus comme des gouttes de pluie, petits comme des grains de blé ou de sable (ou comme des puces...), fins comme les fentes d'un bateau. Or, accumulées les gouttes d'eau donnent pluies et torrents ; les grains s’élévent en une masse ; les bateaux, sous Vinfiltration de l’eau, finissent par couler. I] ne convient donc pas de prendre A la légére les petits péchés quotidiens**®. Nous avons tenté de rechercher, pour en dresser la liste, les diverses catégories de péchés quotidiens, vis 4 vis desquels saint Augustin met en garde ses fidéles : il y a d’abord tous les péchés de Ja langue, ceux qui tombent sous la condamnation du Christ, dans le sermon sur la mon- tagne : « Quiconque dit & son frére : fatwe (tu es fou) en répondra au sanhédrin... » (Matih. 5, 22 & 24). I y a le péché qui consiste 4 appeler ses fréres en justice — a multiplier les procés — et que condamne saint Paul dans la premiére Epitre aux Corinthiens, (I Cor. 6, x a 6)54. I y a les excés dans lesquels peuvent tomber les époux en leur vie conjugale et que saint Paul tolére comme fautes vénielles (I Cor. 7, 6) ®*. Il existe en- fin toute la catégorie des péchés intérieurs, commis par la pensée™, 49. Enarratio in Psalmum 129, 5 : « Sed dicis : minora sunt, nsinuta sunt, sine quibus non potest esse ista vita. Congere winuta, et faciunt ingentem acervum. Nam et grana minuta sunt, et tamen massam faciunt ; et guttae minutae sunt, ct flumina implent, et moles trahunt », Sermo 9, 17 : « Noli illa contemnere quia minora sunt ; sed time, quia plura sunt, Attendite fratres mei, Minuta sunt, non sunt magna. Non est bestia quasi leo, ut uno morsu guttur frangat. Sed plerumque et bestiae minutae multae necant, Si proiciatur quisque in loco pulicibus pleno, numquid non moritur ibi ?,.. + 6... Quam minutissima sunt grana harenae ! Si harenae amplius in navi mittatur, mergit illam ut pereat, Quam minutae sunt gut- tae pluviac | Nonne flumina implent et domos deicinnt? Ergo ista nolite contemnere », Cf. aussi : In Zo. ep. tr. 1, 6 ;— En. in Ps. 66, 7; — Sermo 56, 8-9 ; — Sermo 58, 9 (ro) ;— Sermo 278, 13 ; Sermo Wilmart 2, 6 ; — Epistula 265, 8 ;— En, in Ps, 118, 8. 3, 50. La relation entre Malth. 5, 22% (Si quis dixerit jrairi suo : Fatue, reus evié gehonnae ignis) et Maith. 6, 12 (considéré comme le moyen de pénitence) se retrouve en : Confessiones y, 13 (34) i En. in Ps, 125, 5; — En. in Ps. 140, 18 ; — Sermo 347, 3 (3) (Lua 6, 37 remplace Math, 6, 12) ; "De Civitate Dei 2t, 27 (2); — Enchiri- dion 21, 78-79. 52. Cf Enchividion 21, 78 ; — Sermo 351, 5. 52, Dans le De bono viduijatis, ayant cité 1 Cor. 7, 6 (secundum veniam dico, non secundum imperium), saint Augustin fait remarquer que saint Paul, en sexpri- mant ainsi, ne peuse ni au coniugium, ni a la fides, ni au sacramentum (qui sont les trois biens du mariage), mais entend parler de illo immodico carnis usu, qui in infirmitate coniugum agnoscitur et interventu Loni nuptialis ignoscitur. — Dans le mémie sens, yoir Sermo 351, 5 et Enchiridion 21, 78-79. Dans d’autres textes o0 il énumére les peccata quotidiana, saint Augustin sans citer le texte paulinien mentionne les ¢ excds » tolérés comme fautes légéres dans la vie conjugale ct rappelle aux époux les tablettes de leurs contrats de mariage : Sermo 9, 18 : « Cun ipsa uxore si oxceditur concumbendi modus procreandis lideris debilus iam peccatum est. Ad hoc enim ducitur uxor : nam id etiam tabulae indicant ubi scvibitur : liberorum procreandorum causa, PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 49 La pénitence A péchés quotidiens, il faut une pénitence quotidienne : quotidienne elle est essentiellement assurée par la récitation de VOraison dominicale, au cours de 1’Assemblée liturgique. L'attention exceptionnelle que saint Augustin manifeste pour ce rite prouve l'importance qu'il lui attribue. La pénitence quotidienne est attachée tout spécialement a la prigre qu’exprime le verset du Pater : « Remetiez nous nos dettes comme nous les remeitons a nos débiteurs » (Matth. 6, 12). Nous avons pu dénombrer dans I’ceuvre de saint Augustin 185 commentaires de ce verset®4 ; ils se répartissent en deux groupes ; les commentaires catéchétiques et liturgiques et les commentaires polémiques ; ces derniers représentent une défense de la saine interprétation de 1l’Oraison dominicale vis-a-vis des pélagiens. Qu’il s'agisse spécialement de ce verset (Matth. 6, 12) ou qu'il s’agisse des autres versets du Pater, saint Augustin affirme constamment la quo- tidienneté de l’Oraison dominicale®®. Quando tu uli uxore amplius quam necessitas procreandorum liberorum cogit volusris, tam peccatum est, Et ipsa talia peccata quotidianae elemosynae mundant ». — Volz : Sermo 278, 9 (9) ; Sermo 51, 13 (22) En. in Ps, 80, 21, — Test a remarquer que saint Augustin s‘adresse au mari seulement et non & la femme, 53. Le texte le plus explicite sur les péchés commis en pensée fait partie du livre 12° du De Trinitate ; saint Augustin distingne en l'homme le sens charnel et la raison : lorsque le premier consent seul A V'attrait du fruit défendu, c'est comme si la femme seule péchait (sic habendum oxistimo velut cibum vetitum mulier sola comederit). Et Augustin d'enchainer : « Nec sane, cum sola cogitatione mons oblectatur illicitis, non quidem decernens esse facienda, lenens tamen et volvens libenter quae statim ut attigerunt animum respui debuerunt, negandum est esse peccatum, sed longe minus quam: si ot opere statuatur implendum, Et ideo de talibus quoque cogitationibus venia potenda ost, pectusque percutiondum, algue dicendum : « Dimitie nobis debita nostra » faciendumque quod sequitur, atque in ovatione iungendum : « sicut of nos dimittimus debitoribus nostris » (Math. 6, 12). Ainsi done le péché commis en pensée n'a pas la gravité de l’acte commis : il demente sous la seule sanction de la pénitence quotidienne de l'oraison dominicale. Saint Augustin note souvent l'extr@me rapidité des fantes de pensée : volaticam cogitationem (sermo 155, 0) ;— quod facillimum aigue celerrimum est cogitando (Contra duas ep. pelag. t, 13 (27) ; — aut volatili cogitatione peccetuy (De Civ, Dei 19, 27) .Voir encore : En, in Ps, 140, 18-19 ; — Sermo 83, 4 (4); — Sermo 56, 8 (12) ;— Sermo 261, 9 ; — Enchiridion 21, 78, Tl est cutieux de constater que, par rapport & des temps ultérieurs, saint Augustin minimise la gravité des péchés de pensée (de ceux dit moins qui ne passent pas du tout a l’acte). 54. En attendant fa liste définitive qui sera donnée dans le fascicule de saint Matthieu de la Biblia Augustiniana, nous rappclons qu’une premiére liste des cita~ tions de Maith, 6, 12 existe & la suite de notre article sutr Les commentaires simultanés de Mat. 6, 12 ef de I Io, 1, 8 dans Vawure de saint Augustin dans Revue des études augustiniennes, I, 1955, p. 129-147. 55. Sermon 58, 5 (6) : Remissto peccatorum una est, quae semel datur ; alia, quae quotidie datur, Remissio peccatorum una est quae semel datur in sanco baptismate ; alia, quae quamdiu vivimus hic, datur in Dominica Oratione, Propter quod dicimus : Dimitte nobis debita nostra (Math, 6, 12). — Nous avons relevé plus de trente fois Je mot quotidie accompagnant une citation de Matih. 6, 12 : Contra ep. Parm. II, 10 (20) ; — Sermo 59, 4 ; — Sermo 83, 4 ;— Sermo Guelf. 9, 3 ;— Sermo 352, 2 (7) : — De pece. mer. ILI, 13, (23); — En. in Ps. 103,8, 1, 19;— En. in Ps. 66, 7:—Defide et oper. 26, 48 ; — Sermo 58, 5 (6) ; De symbolo 7, 15 ; — Sermo 9, 13 (21) ;—— Sermo 50 A-M, LA BONNARDIERE D’autre part, la célébration eucharistique semble bien avoir été quoti- dienne en Afrique au temps d’ Augustin. Son ceuvre nous en fournit les preu- ves manifestes. Le diacre Januarius avait consulté saint Augustin sur l’op- portunité de recevoir ou non I’Eucharistie tous les jours ; dans sa réponse — (Epistula 34) — Augustin répond que, la paix du Christ étant sauve, chacun peut agir selon sa foi personnelle ; il ne dément aucunement que l'Eucharistie soit quotidienne. C’est surtout dans ses commentaires du verset du Pater sur le pain quotidien qu'il arrive 4 saint Augustin de mentionnet la célébration quotidienne de I’Eucharistie®*, — Il se trouve que les allusions faites si fréquemment par saint Augustin a I’appel adressé aux fidéles avant la Préface (Swrsum cor) soient accompagnées d'une glose affirmant la quotidienneté de la Préface : « Audis quotidie, homo fidelis, sursum cor » (Sermon 311, 18) ; —« Quotidie quidem audis breviter quando tibi dicitur : Sursum cor » (Sermo 25, 7). — Un jour de Paques (Sernvon 227) saint Augustin dit aux néophytes : « Vous devez savoir ce que vous avez regu, ce que vous recevez, ce que vous devez recevoir guotidie »,— Un autre document est particuli@rement caractéristique : vers année 429, Vévéque Honoratus qui avait demandé 4 Augustin si l’évéque devait fuir ou non devant l’arrivée des Vandales, s’attire cette réponse : « veniet enim lupus... qui plerumque fideles apostatas esse persuasit, quibus cotidianum ministerium Dominici corporis defuit » (Epistula 228, 6). — Enfin, dans le Sermon 58 sur le Pater, parvenu au verset qui nous occupe (Maith. 6, 12) saint Augustin dit clairement : « Vous devez dire quotidien- nemient l’Oraison (dominicale) quand vous serez baptisés. Dans 1’Kglise, en effet, a l’autel de Dieu, on dit tous les jours cette priére du Seigneur et tous les fidéles ’entendent ; ... si quelqu’un d’entre vous n’a pas pu la retenir parfaitement, en l’entendant quotidiennement, il la retiendra » Guelf 33, « ; — Sermo Wilmart 2, Spist. 186, 33 ; — Sermo 7, 5; — Sermo 135, 6 (7) ; — Sermo 155, 9 (y) : — Sermo 256, 1 ; — Sermo 261, 10 ; — Sevmo 351, 3, (6) 5 — De nupt. 1, 33 (38) ; — Contra duas ep, Pel, IIL, 6 (16) ;-~ Quaest, in Hept. VIF, 49 (26) ; Tract. in Lo. Ev. 56, 4 ;—- De continentia 1c, 25 ;— Contra Iulianum I, 10 (33) ;—De Civ, Dei XXI, 22 et 27 (1) ;— E De corrept. et gratia 35; — Sermo Frang.o, Opus imp, I, 7¢ ( IT, 116 (A), L’étude des autres versets de !’Oraison dominicale (particuligrement Math. 6, 11 et Math. 6, 13) entraine @ faire une constatation analogue ; e’est un leitmotiy pour saint Augustin daffirmer la quotidienneté de la récitation de I’ Oraison dominicale. 56. Saint Augustin interpréte Matth, 6, 1c (Panem nosirum quotidianum da nobis hodie) de trois maniéres différentes : pain matériel, pain eucharistique, pain spirituel (Parole de Dieu), — Dés le premier texte (De sermone Domini in monte I, 7, 25), Augustin, traitant de Masth. 6, 11, dit ¢ Panis quotidianus, aut pro iis ommibus dictus est, quae huius vitae necessitatem sustentant,.., aud pro sacramento corporis Christi, quod quolidie accipimus, aut pro spirituali cibo de quo... ». — Cf. II, 7 (26; 10 (37). — Voir Sermons 56, 6 (10) ; — 57, 7 (7) ;— 58, 10 (12), On peut remonter a saint Cyprien : De dominica oratione 18, 57. On peut encore ajouter un texte tiré du De Civitate Dei X, 20: « Per hoe et sacerdos est, ipse offerens, ipse et oblatio, Cuius rei sacramentum cotidianwm esse voluit Ecclesiae sacrificium, quae cunt ipsius capitis corpus sit, se ipsam per ipsum discit offerre », PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 3t (Sermon 58, 10). Il nous semble donc indubitable que la célébration de T'Eucharistie ait eu lieu tous les jours 2 Hippone au temps d’Augustin. L'Oraison dominicale faisait partie de la célébration eucharistique et sa récitation prenait place avant la participation au corps et au sang du Christ : c'était un acte communautaire et liturgique®. L/aspect pénitentiel de ce rite apparait dans Vhabitude, souvent signalée par saint Augustin, qu’avaient le célébrant et les fidéles de prononcer, en se frappant la poitrine, le verset : « Remettez-nows nos dettes comme nous les vemeltons & nos debiteurs »®®, Sila premitre partie du verset représentait un aveu, la seconde constituait un engagement ; et saint Augustin insiste sdrement plus encore sur le second aspect que sur le premier. Le pardon des offenses, la remise des dettes Ini apparait comme le signe distinctif du chrétien. Au moment ot tous les fréres ensemble récitent I’Oraison du Seigneur, chacun, en son for intérieur, lié A Dieu comme par un pacte® est pardonné dans la mesure ott il pardonne. effort moral de la imiséri- 58. Les textes qui indiquent le fait et ia place de la récitation du Pater au cours du sacrifice cucharistique ne sont pas tres nombreux, 11 s’agit de plusieurs sermons : sermo Denis 6 et sermo 227, préchés un jour de Paques ; sermo 58, 10, préché le jour de Ja tradition du Pater ; seymones 49, 8 ; 17, 5 ; 181, 4. Deux autres textes sont précieux : le Tractatus in Io, ev, 26, 14 et surtout ’Epistula 149, 16 (adtessée A Paulin de Nole). Le sermon 58 semble laisser entendre que les fidéles se contentaient d'écou- ter !Oraison dominicale (In Heclesia enim ad altare Dei quotidie dicitur ista dominica oratio, et audiunt illam fideles) ; mais la phrase citée est préeédée de l'expression : « Oratio quotidie dicenda est vobis, cum haptizati fueritis », —- Le verbe dicere signifie habituellement ¢ exprimer pat la parole », On Te retrouye explicitement dans plu- sieurs autres textes : « Deitide dicitur dominiea oratio, quai iam accepistis et reddi- distis » (Sermo Denis 6, 3) ; « Interrogenms si cst ibi caritas intus. Videatmus si non labia sonant, sed et pectus, cum dicimus : Dimitte nobis... (Matth. 6, 12) » (Sermo 47, 23); ¢In ipsa quoque Oratione domiuica, quae quotidiana est nostra mundatio, quo fructu, quo effectu diceretur : Dimitle nobis... nisi ab eis qui baptizati sunt dice- tur ?o (De nupé, et concup. I, 33, 38) ;—— vAntequam ad altare accedatis, attendite quid dicatis : Dimitte nobis... natn si non dimittis, mentiris et ei mentiris quem non fallis + (Tractatus in To. ev, 36, 11). — Dans le sermo 49, Augustin met en scéne le chrétien qui, n’ayant pas pardonné de cur A son adversaire, en arrive au moment du Pater, au cours de la Messe: « Venictis enim ad verba ista orationis : quomodo ea dicetis ? quomodo non dicetis ? Postremo interrogo : Dieetis au non dicetis ? Odisti, et dicis ? — Respondebis inihi : « Ego non dico »-~ Oras, et non dicis ? odisti et dicis ? oras. et non dicis ? En cito responde, Ergo si dicis, mentiris : si uon dicis, nihil mereris. Observa te, attende te ; modo es oraturus, dimitte ex toto corde » (Sermo 49, 8), 59. En récitant Matth, 6, r2, on se frappait Ia poitrine : Contra epist. Parm., II, 10 (20). — En, in Ps. 54, 14; — En. in Ps, 103, 8. 3, 18; — Sermon Frangipane 9, 53 — En, in Ps, 38, 14 ; Do Trinitate XU, 12 (18) ; Contra Iul, 111, 21 (48) ; Sermo 351, 6. — Saint Augustin falt souvent remarquer qwen entendant seulement le mot conjessio, le peuple chrétien se frappe aussitdt la poitrine : Sermo 29, 1 ; — Sermo 67, 1j;— En. in Ps, 117, 1; — 137, 1; — T40, 18; — 147, 18. 60. Le terme de pactum lié i Matth, 6, 12, se retrouve en: Sermo 352. 2 (7) }— Sermo 83, 4 (4) i— Sermo 114, 5; — Sermo 56, 0 (13) ; — Sermo 278, 6 (6);-— In Lo. ep. tr. 7, 1 52 A.-M. LA BONNARDIERE corde est pour ainsi dire élevé au niveau de rite liturgique et constitue la préparation immédiate 4 la participation du corps et du sang du Christ. La prédication sur le pardon des offenses dans sa relation avec l’Oraison dominicale joue un role considérable dans la pastorale de saint Augustin. C'est stirement le point le plus important de tout son enseignement moral. D'emblée il donnait 4 sa communauté d’Hippone la séve 1a plus pure du christianisme, Aussi ne se lasse-t-il pas de rappeler l’exemple du Christ en croix priant pour ses bourreaux (Luc 23, 34), celui de saint Etienne, le premier martyr (Actes 7, 58-59), et enfin le verset de saint Matthien qui montre Dieu faisant lever le soleil également sur les justes et les injustes (Matth. 5, 44-45). Nous tenons 14 un des floriléges de versets bibliques les plus commentés par saint Augustin. Sans doute saint Augustin adjoint-il souvent 4 1’Oraison dominicale le jefine et ’auméne pour compléter le programme de la pénitence quo- tidienne des baptisés*?. Il le fait — liturgiquement — encore — surtout pendant le caréme, mais aussi au cours de l'année, insistant en caréme sur le jedne et sur l'auméne en tout temps ; mais il revient toujours au pardon des injures comme étant l’auméne par excellence®*, La pénitence quotidienne est vraiment celle par laquelle nous oublions les injures pour pardonner A nos fréres, avant de participer au corps et att sang du Christ. Tl sera plus facile désormais de comprendre pourquoi, en face des péla- giens qui prétendaient qu’un juste pouvait réciter le Pater par humilité feinte, sans prendre A son compte pour Iui-méme l’aveu d’avoir péché, saint Augustin réagit avec véhémence. La défense du Pater tient dans le recueil des ceuvres antipélagiennes une place aussi importante que la discussion sur le péché originel. On veut, s'écrie saint Augustin, nous arracher le Pater®. Dés lors, son enseignement sur l’Oraison dominicale, plus que jamais, se présentera aussi comme une pédagogie de la véracité : Je Pater nous demande un triple effort de lucidité : reconnaissance con- 6:. La trilogie auménes - priére - jefines est liée sfirement 4 la pénitence quotidien- ne et A Maith. 6, 12 dans les textes suivants : Sermo 351, 3 (6) ;— Sermo 9, 17 et 21; — Contra epist, Parm, I, 10 (20) ; — En, in Ps, 66, 7 ; — De perf. iust, hom, 8, 18; — Epist. 258, 8; — Opus imp. contra Iul, IT, 212 (A). 62, Le pardon des offenses est considéré comme I'auméne par excellence : De perf. iust. hom, 8, 18 ; — Sermo 261. 10 ; — Sermo 208, 2 ; — Sermo 58, 9 (to) ; Tractalus im Io, Ev. 124, 5 ;— De Civitate Dei 21, 22 ; — Enchiridion 19, 73-74. 63. On peut considérer leuseignement pélagien sur le Pater a l'aide des textes suivants : De pec, mer, et vem, II, t0 (13) } —~ De natura et gratia 18, 20 ; — Epistula 176, 2 (synodale du Coneile de Milev en 416) ; — Epistula 178, 3 ;-— De gestis Pelagii 24, 26, 27, 28 ; — De gratia Chvisti I, 4 (5) ;— Contra Tulianum IIT, x (2) ; IV, 3 (29) + — Sermo 181, 2 ; — De haeresibus 88 ; — De dono persev. 5, 8, — Saint Augustin a réfuté les prises de position pélagiennes en affirmant sans se lasser I’nniversalisme de Ja condition pécheresse de l'homme, PENITENCE ET RECONCILIATION DES PENITENTS 53 vaincue de nos péchés, refus de la fausse humilité, pardon sans réticence intérieure. C’est une éducation de la rectitude du cceur, grace a laquelle la confession des péchés, au cours de I’Oraison dominicale, prend toute sa valeur. (a suivre) AM. 1A BoNNARDIERE 64, Ce travail était terminé quand nous avons pris connaissance de l'article de ‘M. F, BERROUARD, Pénitence de tous les jours selon saint Augustin, pau dans Lumidre et Vie, n° 70, Nov.-Déc. 1964, p. 75-100. —- Nous avons le plaisir de constater 1a convergence de nos deux travaux, Le R.P. Berrouard cite abondamment des textes tongs de saint Augustin. Il insiste moins que nous ne I’avons fait sur le rite liturgique du Pater et il admet une récitation fréquente et privée du Pater. — Il n'est évidem- ment pas exclus que les fidéles aient récité privément le Pater chaque jour ; cependant saint Augustin ne fait nulle part une allusion précise A cette priére privée. — 1 est caractétistique qu'il emploic presque toujours la premitre personae du pluriel (dicimus.., ut dicamus) pour introduire 1a citation de Maith. 6, 12; ilrépete sonyent que les évéques et les fidéles disent ensemble Matéh. 6, 12; il met le chrétien non véridique en sa pensée intime em face de ses responsabilités quand il arrivera, lors de la réci- tation du Pater, & Muth, 6, 12.— En tous ces textes, il est manifeste que saint Angustin fait allusion au rite liturgiqne qui se déroulait chaque jour, S. Agostino e gli Ariani ‘Ira le numerose opere scritte da Agostino in polemica con gli eretici, quelle indirizzate contro gli Ariani occupano un posto ben modesto, Fra queste, infatti, non possiamo comprendere il De Trinitate, in quanto pur trattando in maniera ampia e sistematica gli argomenti che proprio la crisi ariana aveva reso di stringente attualita, questa opera non fu scritta espressamente per combattere gli eretici ma piuttosto per costi- tuire una vera e propria summa su uno dei dogmi fondamentali della religione cristiana : per questo motivo Agostino, anche se ha costante- mente tenuto presenti le tesi ariane sull’argomento, ha preferito dare al stio scritto il tono di un’esposizione di teologia positiva piuttosto che di confutazione di tesi avverse!. Ma se si eccettua questa opera veramente fondamentale, I'attivita svolta da Agostino in dichiarata polemica con gli Ariani si riduce a poco : al Contra sermonem Arianorum ed alla Collatio cum Maximino Avianorum episcopo, integrata dai due libri Contra Maxi- minum, con Vaggiunta di qualche lettera e qualche sermone?. Si tratta di ben poca cosa, se pensiamo a quanto Agostino ebbe modo e occasione di scrivere contro Donatisti Manichei e Pelagiani, e per questo non ci dobbiamo meravigliare nel constatare quanto poco gli scritti antiariani abbiano attirato I’attenzione degli studiosi. Eppure essi non mancano di suscitare un certo interesso, 1a dove si consideri che per loro mezzo ci viene offerta la possibilitA di accostarci di prima mano a fonti molto importanti per 1a conoscenza dell’arianesimo occidentale agl’inizi del v secolo® e, per quanto riguarda pit specificamente fa posizione di 1. Com’é noto, Agostino attese a questa sua opera a pid riprese ¢ non la compose, come la massima parte dei suoi setitti, per aderire a qualche invito che gli era stato rivolto, ma di sua iniziativa, 2, Ricordiamo, fra l’altro, serm. 117, 135, 139, 140, 183, 226, 341, 380 ; Tract. in Jo, 18, 20, 26, 71. Tra le epistole ricordiamo quelle relative alla disputa con Pascenzio, soprattutto la 238. 3. Si tenga presente che i mss. che ci hanno tramandato il Contra sermonem Aria- noyum lo fanno precedere dal Sermo Avianorwm che Agostino intese confutare nel suo seritto, 56 M, SIMONETTI Agostino, di inquadrare la sua polemica nefl’ambito pit vasto dell’intensa attivita letteraria antiariana che si sviluppd in Occidente negli ultimi decenni del rv secolo ed i primi decenni del v: in tal modo si potra tilevare fino a che punto la polemica di Agostino si inserisce nel solco della tradizione e fino a che punto, invece, si vale di elementi nuovi ed originali. Per tali motivi ritengo non inutile esaminare, sia pur breve- mente, sotto questo duplice punto di vista le opere sopra ricordate‘. 1. — IL “ SERMO ARIANORUM ” Si tratta di un breve scritto che nei codici @ tramandato prima della confutazione agostiniana: sembra provenire dalla scuola di Ulfila e possiamo pensare ad una sua diffusione fra i Goti ariani scesi in Italia con Alarico ed Ataulfo®. Lignoto autore del Sermo Arianorum® non si limita a trattare dei rapporti fra il Padre ed il Figlio, ma in armonia con la nuova dimensione che Ja polemica aveva acquistato nella seconda meta del IV secolo, prende in considerazione anche lo Spirito Santo, dandoci cosi una visione globale dei rapporti intercedenti fra le tre persone della Trinita. A differenza di Aezio, ma pur sempre in linea con I’atteggiamento di Eunomio, egli non abusa dei termini di ingenerato e generato in luogo di Padre e di Figlio’, ma sa opportunamente sfruttare, secondo la pit autentica tradi- zione ariana8, la differenza che intercorre fra i concetti di ingenerato e generato per sottolineare la irriducibilita della natura del Padre a quella del Figlio® : 31 unigenitus Deus alius est ab ingenito, dove alius, sulla base di tutto il contesto™, ha ilsenso forte di‘ diverso, éstraneo ’, e non solo quello di ‘ distinto, numericamente altro ’11, Il rapporto che collega il Figlio al Padre é sistematicamente enunciato come tn rapporto di generazione, e nettamente contrapposto al rapporto 4. Occasionalmente faremo riferimento a qualche punto dei sermoni e delle Iettere di cui an, 2, 5. Cir. HE, Giesecke, Die Ostgermanen und der Avianismus, Leipzig 1939, p. 51 88. 6, Era ignoto anche ad Agostino : cir. Reiy. II, 52 ...sine nomine auctoris. sui. 7. Questa tendenza degli Atiani era stata vivacemente attaccata da Atanasio ¢ dagli Omeousiani verso 1a meti del secolo. in quanto priva di adeguati sostegni scritturistici. - 8. Questo concetto & gia posto in rilievo nella lettera di Eusebio di Nicomedia a Paolino di Tizo : cfr. Opitz, Urkunden zur Geschichte des avianischen Stveites, Berlin 1934, P. 16. 9. Si tenga presente che i termini ed i concetti di Padre e Figlio si richiamano vicendevolmente (il Padre & tale in quanto ha generato il Figlio), 1A dove quelli di ingenerato e generato si escludono. To, Addurremo tutta l'espressione fra breve. 11, Alius qui corrisponde all’ 6hocxspéis Etep0G di Eusebio di Nicomedia (Opitz, P: 16, 4) ¢, in definitiva, pud essere accostato al significato di dvopotos, S, AGOSTINO E GLI ARIANT 57 che collega lo Spirito Santo al Figlio, che @ definito come un rapporto di creazione : ro Exgo Filius a Patre est genitus ; Spiritus Sanctus per Flinn est ae bet immobiliter et impassibiliter volens Filium genuit ; Filius sine labore et fatigatione sola virtute sua Spititum fecit'*. Ma le modalita di questa generazione non vengone mai chiarite, e questo atteggiamento ci riporta ad Ario stesso che sulla base di Prov. 8, 22 aveva posto l'uguaglianza generare = creare = stabilire?? : sulla base di analogo ragionamento di Eunomio", possiamo ritener per certo che l’autore del Sermo, contrapponendo la generazione del Figlio alla creazione dello Spirito Santo e delle altre creature, intendeva soltanto rilevare il fatto che il Figlio era stato generato (= creato) direttamente dalla volonta del Padre, 14 dove lo Spirito Santo e le altre creature erano state create dal Figlio per volonta del Padre'®, Egli si preoccupa soltanto di chiarire che il Figlio non @ parte del Padre!® e di sottolineate che la sua generazione deriva da un atto libero della volonta di questo!”. Rispetto al Padre il Figlio @ caratterizzato non soltanto da sostanza distinta!®, ma anche da diversa natura e condizione : 31 Filius natura et ordine, gradu et affectu, divina dignitate et potestate inigenitus Dens alius est ab ingenito', 12, Cfr, ancora, per generatio e generare, i cc. 7 ¢ 33. Il Fighio & considerato creatore dello Spirito Santo in quanto ereatore diretto di tutte le creature 3 Voluniate et prascepto ipsius (scil, Patris), caclestia et tervestvia... ex nullis extantibus, ul essent, sua virtute fecit, Cir, ancora ec, 4 @ 27. 13, Fra i documenti vieini cronologicamente ¢ ideologicamente al Sermo cit, lo stesso concetto in frag, Arian, 17; PI, 13, 623 : (Deus) Filium sibi creavit fundavit genuit fecit. 14, Chr, Apol. 15 ¢ 17. Lo stesso concetto & in Ulfila, dalla eui senola, con ogni pro- babilita, deriva il Sermo : cfr. PLS 1, 704... e Patrem quidem creatorem esse creatoris, Filium vero creatorem. esse totius crealionis, 11 serm, 380 di Agostino ci informa che, fra altro, gli Ariani si valevano anche delle parole del Battista riferite a Cristo gui ante me factus est (Io, 1, 30) per sostenere che Cristo era una creatura, e contrappo- nevano al Verbum erat apud Deum (Io. x, 1), addotto dagli ortodossi, terra erat di Gen. 1, 2: Si propterea — inguiunt — dicis Verbum factum non esse quia dictum ast ; Verbum erat, nec terva facta est, quia dictum est : Terra erat. 15. Cir, 2 ante ommia saecula constitutus, e, per l’attivita creatrice del Figlio, i passi citati an, 12, 16. Cir. 23 Non est pars nec portio Patris Filius. Fin dall'inizio della crisi ariana fu obiettato agli ortodossi che il considerare Padre e Figlio partecipi della stessa sostanza ¢ natura comportava la scissione della monade divina in due parti, 17. Cir, 26 Pater immobilitey et impassibiliter volens Filium genuit © ancora cc. 2 € 34. Che il Figlio fosse stato generato dal Padre per atto libero di volonta era concetto corrente nella teologia prenicena, 18, Cfr. 27 Ergo havc trium substantiarum Patyis et Filié et Spiritus Sancti distinctio et trium revum. 19. Sul valore di sostanza si poteva cayillare, in quanto il corrispondente greco ipostasi indicava una realt individuale e quindi si potevano intendere le due sos- tanze del Padre e del Figlio alla maniera con eni gli Orientali ortodossi parlavano di due ipostasi distinte. Ma ogni equivoco era impossibile a proposito del termine natura : dire il Figlio di natura diversa rispetto a quella del Padre significava renderlo estratico a questi,

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