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Le symbole de la baguette dans Vart paléochrétien Dans Viconographie paléochrétienne revient avec insistance le motif, étrange & nos yeux, dun personnage qui opére un miracle avec une baguette a la main. Le moderne, qui ne connait plus guére que la baguette du chef d’orchestre ott celle des fées de son enfance, a tendance a y voir immédiatement une baguette magique. Cette assimilation le choquera ow fe comblera aise, selon qu'il sera désireux de prouver Poriginalité du christianisme ou friand d’établir des rapports entre le christianisme et le paganisme antiques. Mais n’est-ce pas aller un peut vite en besogne ? Une étude attentive de nos différents documents (peintures des catacom- bes, sarcophages et objets variés) interdit cette simplification®. La question, on le voit, est minime. Elle a pu sembler étre dlucidée par Wilpert, quia reconnu en cette baguette la baguette du thaumaturge, ou wirga wirtutis®, suivi en cela par la plupart des érudits*. On n’a cepen- dant jamais cessé de revenir sur cette question avec le sentiment qu'elle 1. DACL, s.v. Baguette (EH. Imcizrcg), pour la premiére attitude, et A. HER- MANN, Agyptologische Marginalien 2uy spdtantihen Ihonographie, dans Jahrbuch fiir Antike und Christentum, 5, 1962, p. 60-69, pour la seconde. 2. Dans la suite de i'article, les ouvrages suivants seront cités en abrégé : J. Wayrert, Le Pitture delle Catacombe Romane, 3 vol., Roma, 1903 (WILPERI, P, J. WinPERt, Sarcofagi Cristiani Antichi, 3 vol, Roma, 1929-36 (WILPERT, S. DxICHMANN-BOVINI-BRANDENBURG, Repertorium dev Chwvistlich-Antikon Sarhophage, T. I, Rom und Ostia, 2 vol., Wiesbaden, 1967 (DErcamann, suivi d'un numéro). GaRruccr, Storia dell’arie cristiana dei primi VIII secol’; Vetri ornati di figure in oro, Roma, 1858 (GaRRuccr, Storia; Vetri). RAC = Rivista di Avcheologia Cristiana. 3. J. Wupent, Le pitture delle catacombe vomane, Testo, I, p. 41; Mélanges JvB. De Rossi, 1923-1924, p. 17-18. 4, Mgr pu Bruvne a fait & plusieurs reprises une mise an point bibliographique de la question : L'imposition des mains dans art chrétien ancien, dans RAC, t. 30, 1943, P. 114-115, 1. 1 et p. 172, u. 2. Les lois de l'art chrétion comme instrument herméneutique, 2, dais RAC, t. 39, 1963, P- 14,0. 5. 4 MARTINE DULAEY wétait pas définitivement réglée®. De fait, l’enjeu est plus important qu'il ne semble au premier abord : ce motif restreint est un sujet de choix pour étudier, précisément et concrétement, quels rapports entretenaient le christianisme ancien et le paganisme ambiant ; il permet de juger sur pidces, et presque de toucher du doigt, la fagon dont les chrétiens se sont situés par rapport Piconographie de leur temps, au moins en ce qui en concerne les thémes. Quelle était donc la signification de cette mystérieuse baguette ? L/interprétation rencontre une grosse difficulté : la plupart de nos docu- ments, nombreux, sont peu éclairants parce qu’ils représentent presque toujours les mémes scénes. Il est aisé d’affirmer qu’il s’agit de la baguette magique ou de la verge du thaumaturge ; mais encore faut-il le prouver. Pour sortir la question de Porniére ot elle se trouve, il faut en quelque sorte contourner la difficulté : au lieu de regarder fixement les scénes habituelles, rechercher les cas-limites ot la uirga a été utilisée dans des représentations négligées jusqu’ici. Il n’y a pas qu’en mathématiques que le passage au cas-limite est de bonne méthode : en voyant A quelles représentations a pu étre étendu Pusage de la baguette, nous compren- drons mieux sa signification premiere. Cette étude part donc de l’analyse des images elles-mémes. On ne saurait cependant pas chercher ici une présentation méthodique de documents qui n’ont d’ailleurs, pour la plupart, de secret pour personne ; um exposé chronologique était peu éclairant, et la présentation séparée des images d’un cété, des documents de Vautre, artificielle. C'est la nature méme du sujet qui a exigé un va-et-vient entre images et docu- ments. Dans cet article, en effet, il s’agit de juger si la baguette est un objet magique ou un symbole, et si c'est un symbole, d’en dégager la signification exacte. Qu’on veuille bien n’y pas chercher autre chose. I.— SYMBOLE CHRETIEN, NON OBJET MAGIQUE I. Répertoire des scénes ots apparaissent les baguettes. La uirga apparait généralement dans un certain nombre de scénes bien déterminées qu'il importe avant tout de répertorier. Je les classe ici par ordre de fréquence®. 5. Citons parmiles études les plus récentes, outre les articles cités de Mgr DE BRUYNE: P. VAN Moorskt, II miracolo della voccia nella leitevaiura ¢ nell’arte paleocristiana, dans RAG, t. 40, 1964, p. 221-253. A. FERRUA, Una nuova regione in S. Mercellino ¢ Pieiyo, dans RAC, t. 44, 1968, p. 60 sq. U. FASOLA, Osservasioni su una pittura del Cimitero Maggiore, dans Miscellanea Belvederi, Roma, Citta del Vaticano, 1954-1955, p. 287-302. 6, Je passe sous silence le théme du passage de la mer rouge ot la wirga semble n’ayoir qu'une fonction narrative : on la trouve déja dans la synagogue de Doura- LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 5 10, Scénes o% la « uirga » est presque constante. a) ds les origines et ensuite dans tout l'art paléochrétien. — Le miracle de la source : Un personnage, Moise ou Pierre, vétu de tunique et pallium, frappe d’une sirga un rocher d’ot coule de eau’. P. Van Moorsel en a répertorié 241 exemples®. — La résurrection de Lazare : Le Christ, vétu de tunique et pallium, touche d'une wirga la téte d'une petite momie qui apparait dans 'embra- sure de la porte d’un édicule funéraire®. — Le miracle des pains : Dans les catacombes, cette représentation comporte presque toujours la wirga ; le Christ, vétu de habit sacré habi- tuel, dirige une wirga vers des paniers remplis de pains qui sont placés & terre et le plus souvent disposés A sa gauche et a sa droite : 4431. Ultérieurement, sur les sarcophages, cette représentation est largement concurrencée par l'image du Christ imposant les mains sur les pains que tui tendent deux disciples. La wirga n’apparait plus alors que dans environ 25 % des cas", — Le miracle de Cana : Le Christ, vétu de Uhabit sacré, touche d'une baguette l’une des six jarres disposées a ses pieds!. Ce miracle apparait avec la méme fréquence que le précédent, dont il partage la signification ; il ne se rencontre presque jamais dans les catacombes!8, mais sur les sarcophages et objets variés, i est trés fréquent!4, Europos. Pour les exemples chrétiens en peinture, cf. A. FERRUA, Le pitture della nuova Catacomba della Via Latina, pl, 37 et 125 ; en sculpture, WILPRR', Sarco/agi Cristiani Anticht, Tav. 97, 43 97, tj 209, 1 etc... 7. Sur identification du personnage qui frappe la roche, on trouvera dans P. VAN Moorset, JI miracolo della roccia..., p. 238-239, la bibliographie nécessaire. 8. Ibidem, p. 221. Depuis lors, d'autres exemples sont venus au jour. Voir par exemple A. FERRUA, Una nuova regione in S, Marcellino 6 Pietyo, dans RAC, t. 44, 1968, p. 63 et p. 76; RAC, t. 46, 1970, p. 52. 9. DACL, s.v. Lazare. Cf. aussi A, HERMANN, 4 gyptologische Marginalien..., p, 60. Exemples récents au cimetiére de Pierre Marcellin : A. Purrua, RAC, t. 44, 1968, Pp. 625 P. 74 ro. Cf. par exemple au Cimetiére de Pierre et Marcellin, WiLPER?, P. 45, 1. A, FER- RUA, Una nuova regione in S. Marcellino e Pietro, p. 64, fig. 29. Voir DACL, s.v. Pain ; Lexikon dev chvistlichen Ikonographie, s.v. Brotuermehrung. 11, Sur ce deuxiéme type de représentation, cf. L. DE BRUYNE, L'imposition des mains dans Vart antique, dans RAC, t. 20, 1943, p. 125, 2. 3. Voir par exemple DEICHMANN-BOVINI-BRANDENBURG, Repertorium der Chrisilich-Antiken Sarkophage. TI, Rom und Ostia, Wiesbaden, 1967, I (Tafel), 6. 1. 12, DACL, 8.v. Cana (miracle de). Un exemple parmi d’autres : sarcophage du cimetigre de Novatien, DEICHMANN, n° 665 (rer tiers du rv¢ sidcle). 1g. Deux exemples toutefois au cimetitre de Pierre et Marcellin : WiiPERt, P. 57 (qwiil date du 1v° sidcle) ; ibid., 186, r (av? sidcle) : dans cette derniére représentation, pour bien souligner le parallélisme avec ta multiplication des pains, c'est 7 jarres et non 6 comme dans le texte de 1’Evangile qu’a représentées le peintre ; de méme sur un des panneaux de le porte de Sainte-Sabine. 14, Verres : Garrucct, Velri, 7, 4; 1, rete... Ivoire de Londres (F.A. Burt, Cata- logue of Tvories, 1923, p. 35, pl. 7 (28). Les exemples les plus nombreux se trouvent sur les sarcophages : DRICHMANN, 665 ; 520 ; 42 ete... 6 MARTINE DULAEY b) au ve siécle. x) Résurrections : — du fils de la vewe de Naim ; Le Christ touche @une baguette la téte d'un petit personnage nu (ou dune petite momie), qui est couché par terre et se redresse A moitiélé, — des ossements desséchés (vision d’ Ezéchiel). Cette scdne se distingue de la précédente en ce qu’A cdté du petit personnage que touche le Christ de sa baguette, on voit des tétes par terre!7, ou encore d’autres petits petsonnages nus!8, 2) Cycle de Pierre : — Annonce du reniement de Pierre. Type le plus fréquent (environ 15 exemples) : entre Pierre et le Christ, le coq ; Pietre a la wirga dans la main gauche et fait de la droite le geste de l’embarras, tandis que le Christ fait vers Ini le geste de la parole”, — Premiére arrestation de Pierre (une dizaine d’exemples) Pierre, flanqué de deux policiers, a la wirga dans la main gauche2, 2° Scénes oit la baguette apparatt exceptionnellement. a) Le « personnage a la baguette » : un personnage, vétu de Phabit sacré, brandit une baguette qu’il tient de la main droite. Il y ena une vingtaine d'exemples”. b) Scénes de guérison : une dizaine d'exemples ; guérisons de 1’hémor- roisse, de aveugle-né, du sourd-muet et du paralytique®, ¢) 6 scénes of la wirga n’apparait qu’une fois®?, d) Des scénes syncrétistes ou paiennes dont l'interprétation est dou- teuse™4, 15. Ou de la fille de Jaire ? dans certains cas, le petit personnage que touche le Christ de sa baguette semble féminin (WuLPER?, S. 123, 3) 16, DEICHMANN, 2° 9 ; 42 ; 60. RAC, t. 6, 1929, p. 217. WILPERT, S. 227, 2 (Arles) ; 123, 3... 17. Ces membres épars, on les trouve déja sur la fresque de la synagogue de Doura- Europos ; des gemmes étrusques représentant des sctnes de nécromancie comportent aussi des t&tes par terre : cf. J. ps Waryx, The magic stajf or rod in Greco-Ttalian Antiquity, Gent, 1927, fig. 12-17. On les trouve aussi sur un verre du British Museum : Zur christlichen Kunst, 28 (x95), pl. 9. Exemples de la scéne avec la baguette : DEICHMANN, 5; 12 4; 14 (Latran)... 38, WinPErt, S. 206, 7 ; 184, 1. 39. Exemple : DrIcHmann, 77. Cf. p. 40. 20, Ex : DRICHMANY, rr, CE, p. 39. ar. Ch p. a7, 22. Ch p. 23. 23. Cf. p. 26. 24. En particulier celles du mausolée de Clodius Hermes & St-Sébastien. Cf. p. 24. LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 7 De cette tentative de classification, il ressort en premier lieu que la wivga apparait dans des scénes qui sont essentielles pour la catéchése chrétienne : miracle de la roche, symbole du baptéme®®, résurrection de Lazare, qui exprime la foi en la vie étemelle, miracle des pains ou de Cana, dont la signification eucharistique est difficilement discutable. Elle appa- rait d’autre part dés les origines de Part chrétien : avec le miracle de Ja source, la résurrection de Lazare est un des thémes les plus fréquemment traités par l'art préconstantinien®’, Enfin, il apparait impossible de res- treindre l'usage de la wirga & un certain nombre de lieux bien définis dont on pourrait contester le caractére orthodoxe” : la wirga se rencontre au moins dans 16 cimetiéres romains, et le nombre de scénes 4 baguette que Y’on y rencontre est généralement proportionnel au nombre des pein- tures du cimetiére...% ; un cimetiére de Naples®® en présente également des exemples®?, Du fait que la wirga apparait dans des scénes essentielles de la catéchése chrétienne, ceci das les origines, et qu’elle est largement répandue en des lieux divers, il faut déduire que les chrétiens l’employaient absolument sans arriére-pensée, Il est done infiniment peu probable que cette baguette ait amené dans leur esprit un quelconque rapprochement avec la baguette magique, surtout si fon songe que accusation de magic est une de celles qui étaient le plus souvent portées contre eux dans les premiers sicles, et qu’ils ont toujours cherché a s’en défendre, Quelle est alors sa signifi- cation ? 25, Ainsi que I’ clairement établi P. van Moorse, I! mivacolo della roccta, art, it. 26. Cf. Th, Krauser, Zur Entstehunsgeschichte der christlichen Kunst. 4, dans JAC, t. 4, 1961, p. 134. Apres le cycle de Jonas qui occupe la premiére place. 27. Ainsi que I’'a déja noté Mgr px BRuvNE, Les lois de V'art paléochrétion... dans RAC, t. 39, 1963, p. 14. 28. Au cimetiére de Pierre et Marcellin, j’en ai rencontré 31 exemples, plus 5 dou- teux. Citons seulement des exemples découverts aprés le reoueil de Wilpert : RAC, +. 7, 1930, p. 227, fig. 14 ; RAC, t. 9, 1932, p. 26, fig. 5 ; p. 31, fig. 9; p. 32, fig. 10. RAC, t. 44, 1968, p. 61, fig. 27 ; p. 63 ; D. 64, fig. 29 | P. 74; P. 76, RAC, t. 46, 1970, Pp. 52. Aut cimetiére de Domitille, 26 exemples ; 10 4 Callixte, ete... 29. H, ACHEIIS, Die Katacomben Neapolis, Rome, 1936, Taf. 19 ; 21. 30. H. ACHEIIS, Rémische Katakomberbilder in Catania, Berlin-Leipzig, 1932, taf. 12, 14 15. 31. ARN, adv, nat., I, 43 (PL 5, 773). DACL, s.v. Accusations contre les Chrétions, col. 271-274. Ou alors il faudrait imaginer que, de méme que des Chrétiens se sont appelés Asellus etc... en retournant fitrement contre les Paiens leurs calomnies, ils ont ici aussi repris la wirga de leurs magiciens, mais en lui donnant une signifi- cation autre... 8 MARTINE DULAEY IL. Origine biblique. 1°, Premier argument : l'étude du contexte, Une premiétre constatation s’impose, que l'on pourrait formuler ainsi : Dans art chrétien ancien, une « scéne a wirga » apparait rarement seule, que ce soit dans les catacombes, sur les sarcophages ou méme sur les petits objets. Parfois méme la baguette réapparait avec ume insistance surprenante, Sans doute, dans les catacombes, il est rare de trouver plus de deux scénes 4 baguette dans une méme unité picturale®, et le eubicu- jum de Veratius Nicatoras, au cimetiére des Asiatiques, ott sur les quatre scénes décorant le plafond il y avait quatre scénes A baguette, est Vexcep- tion®®, Mais sur un sarcophage on trouve une fois jusqu’a 6 scénes of apparait la wirga®4, une autre fois 5%, et les exemples de sarcophages présentant quatre sc&nes & baguette ne sont pas rares®*, Sur un fond de verre doré d’Oxford, of quatre scénes sont disposées autour d’un médaillon représentant un couple, il y a une baguette dans chacune des scénes9?, Sans doute s'agit-il 14 d’exemples extrémes. Pourtant, déja dans la peinture des catacombes, il est fréquent de trouver, disposées de facon rigoureusement symétrique, deux scénes od apparait la wirga, comme par exemple dans cette peinture du cimetiére de Pierre et Marcellin oit le peintre a mis en pendant une représentation du miracle de Cana et une représentation de la multiplication des pains®®. Dans Ja grande majorité des cas, c’est le miracle de la source qui est ainsi mis en relation avec une seconde « scéne a baguette », qui est généralement ja résurrection de Lazare®, Parfois les deux scénes sont peintes symétriquement aux deux 32. 3 sur un cubiculum du Cimetiére de Pierre et Marcellin : WipErr, P. 45 et 60. Je laisse volonteirement de ebté le cas de ’hypogée des Aurelii, 33. Dessin dans Bullettino di Archeologia Cristiana, t. 4, 1886, pl. 2, Résurrection de Lazare ; miracle de Cana; miracle de la source ; ¢ personage A la baguette », 34. DBICHMANN, n° 42 (Latran) : Résurrection de Lazare ; Résurrection du fils de la veuve ? Miracle de la source ; arrestation de Pierre ; miracle de Cana ; miracle des pains, 35. WILPERT, S. 226, 2 (Rome ; cimetiére prés de S, Lorenzo) : Miracle de Cana ; résurrection du fils de la veuve ; résurrection de Lazare ; annonce du reniement de Pierze ; miracle de la source ; multiplication des paius par imposition des mains. 36. WiLPERE, S. 113, 2; 112, 3; 127, 2; DEICHMANN, n° 23 a; rIr.., ete, 37. Oxford, collection Pusey House = R. GarRucet, Velri, 1858, tav. 1, 3. ustton du paralytique ; miracle de la source ; résurrection de Tazare ; Adam et e. 38. Wrrerr, P, 186, x (tv® sidcle), 39. Par exemple A Domitille : WiirERt, P. 190 ; 192; 198... Pierre et Marcellin Ibid. 45, 1. Ce rapport a déja été souligné par E, Stommnt, Beilrige zur Ihonographie der Konstantinischen Sarkophagplastik p. 81 sq. = Theophaneia 10, Bonn, 1954) et récemment par P, vAN Moonset, I miracalo della roccia, p. 235-236. LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 9 extrémités d’un méme arc d’arcosolium", ou aux deux angles d’un méme sarcophage“!, P, Van Moorsel a récemment mis en lumiére ces parallé- lismes qu’il a étudiés méthodiquement®. Il est méme arrivé qu’un peintre juxtapose les deux scénes dans une méme image, comine c'est le cas dans une fresque du cimetiare de Pierre et Marcellin48, Quelle est la signification de ce rapprochement" ? Pen nous importe ici ; fit-il purement fortuit et dé au seul fait qu'il s’agit 14 de deux thémes fondamentaux de la catéchése antique ot il s’est trouvé par hasard qu’apparaissait la wirga‘®, n’efit-il son origine que dans le besoin esthétique de symétrie*, important pour nous est qu'il existe. Car il permet de conclure que ta signification de la uirga est la méme dans les deux cas. Il n’est pas vraisemblable en effet que, dans un méme ensemble un méme terme iconographique ait des sign cations différentes. art des catacombes n’est pas un art précieux pour se complaire en de telles subtilités : c’est un art qui veut avant tout étre compris, Ainsi, Panalyse du contexte nous protive que la wirga que le Christ a dans les mains dans nos représentations est la m&me que la wirga de Moise qui en est vraisemblablement Porigine. Cela n’est d’ailleurs pas pour nous surprendre, Moise ayant été ancienne- ment considéré comme le « type » du Christ. Déja dans la pensée juive, on voyait le Messie 4 venir comme un nouveau Moiset?, Dés le Nouveau Testament, les chrétiens ont repris cette exégése typologique™ : les chrétiens sont baptisés dans le Christ comme les Juifs I’ ont été en Moise! ; comme Moise était le ministre de P’'ancienne Alliance, le Christ est ministre de la nouvelle Alliance’?. Le Christ est le nouveat: Moise5!, Ce théme sera 40. dans 7 fresques ; cf. P. VAN Moonsny, art. cit., p. 234. 41, Ibid., p. 235 ; sur 29 des 69 sarcophages qu'll a recensés. 42. Ibid. L’anteur a étudié ce parallélisme sur 31 des 75 fresques représentant le miracle de la roche, sur 4r des 81 sarcophages et 4 des 24 verres ; il conclut : + é quindi inuegabile un parallelismo fra questi due temi ». 43. WiPErt, P, 166, 1. 44, P. VAN Moorsnt, II miracolo della roccta, p. 236 pense que la clé du rappro- chement est A chercher daus le concept johanuique du baptéme comme nouvelle naissance, Ce n’est pas impossible. 45. A.G. Martimort, L'iconographie des catacombes et la catéchise antique dans RAC, t, 25, 1949, p. 1r1-113. 46. Ainsi que nous le voyons, pour deux scénes a wirga stir un pantiean des portes de Sainte Sabine, au début du V° siacle, oi la disposition de la multiplication des pains et du miracle de Cana est rigoureusement symétriqne. Sur la structure de ce panneau, voir F. Darsy, Les portes de Sainte-Sabine, dans RAC, t. 37, 1961, p. 36; p. 41. 47. J. Jeremrs, dans Krrrex, s.v. Mavotis, col. 864, 865. 48. Ibid., col. 864-867. Typologie trés répandue a1’époque du Nouveau Testament, 49. 1 Co 10, 2. 50, He 9, 15. 51. J, JEREMIAS, art, cit,, col. 871 : cette typologie était connue du Christ Ini-méme, puis de la communauté primitive (col, 873-874). 10 MARTINE DULAEY encore fréquemment développé par les Péres, pour qui la traversée de la mer Rouge sous la conduite de Moise était Pimage du baptéme A la suite du Christ®*. Ils verront de méme dans la libération d’Egypte et dans PExode la figure de la rédemption du péché par le Christ®, Ainsi c’est donc, en tant qwil est le nouveau Moise que le Christ a regu. la baguette dans nos représentations. Les Anciens n’ont pas songé un instant & la baguette magique, une étude morphologique de la baguette nous en donnera une pretrve supplémentaire, 2°. Deuxiéme argument : la forme de la baguette. La wirge apparait en effet dans nos documents sous les formes les plus variées : baton, badine, courte verge courbe (Pl. 1), canne, longue baguette courbe, ou longue gaule rigide®4, on trouve toutes les variations possibles. Pourquoi ? Les raisons techniques n’en sont pas exclues’S, Ainsi, la baguette domine dans les peintures, tandis que sur les sarcophages, le baton est de loin te plus fréquent. On peut donc penser qu’en raison de la fragilité du marbre, les artisans ont épaissi les baguettes jusqu’a en faire des batons. Pourtant, dans les peintures des catacombes, les batons ne sont pas rares non plus®®, Peut-étre faut-il alors conclure a une influence des représentations des sarcophages sur les peintures des catacombes ? Deux peintures du cimetiére de Domitille5? le suggérent, mais on ne saurait Vaffirmer dans tous les cas. D’ailleurs, cela ne rend compte que de deux variantes, la baguette et le baton. T/alternance du baton courbe et du baton droit est tout aussi trou- blante, Seraif-elle due 4 [influence d’un modale iconographique paien ? Le sel baton courbe que connaissaient les Anciens était le lituus des 52, TERT. bapt. 9 (CSEL, t. 20, 1, p. 208, 10) ; cf. aussi J. DANDéLOU, Traversde do la mer rouge ef baptéme dans les premiers sideles, dans Recherches de Science reli- gicuse, t. 33, 1946, p. 482 sq. 53. Sur cette symbolique de I’Hgypte, voir les références rassemblées par HL De Lunac daus son édition des Homdlies sur I’ Exade a’ Origtne (SC, t. x6, p. 79). 54. Batom : Witrert, P. 115 ; 240, 1. 8. 226, 2, DEICHMANN, n° 162. Badine Witrert, P, 46 b; DEICHMANN, n° 668, 677, 2. Courte verge courbe : WiPERt, P. 1 RAC, t. 44, 1968, p. 76. Canne : RAC, t. 9, 1932, p. 32, Longue baguette courbe : Winrert, P. 237, 2. Longue gaule rigide : WirpErt, P. 158, 2; RAC, t. 5, 1928, P. 177 ; t. 46, 1970, P. 52. 55. Il-m’y a évidemment pas daus la vie courante un modéle standard de la baguette, et une certaine variation est naturelle. Qu’om pense par exemple aux deux fragments sculptés récemment découverts dans 1a catacombe de Vibia : la férule du pédagogue y est une fois un petit baton mince, une antre fois une baguette plus longue. Ces variations ne suffisent cependant pas & rendre compte de toutes nos ‘baguettes. 56. Sarcophages : WILPERT, S. 3, 4; 8, 4 ; etc... DRICHMANN, 665 ; 621 ete, Fres- ques : WinrERt. P. 115 ; 240, 1 ; 196 ; RAC, 1928, p. 218-219, 57. WILPERT, P. 240, 1 ; 196. LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN ir augures ; en principe, son extrémité trés recourbée le rend trés différent de nos wirgae courbes®*, mais il arrive dans certaines représentations qu'il ressemble, méme dans la fagon dont il est tenu, aux cannes que l’on voit parfois sur les sarcophages®®, ‘Toutefois, ce lituus avait un usage tras restreint®, et il serait peu vraisemblable d’y reconnaitre l’origine des uirgae courbes. Lincohérence que nous constatons dans la figuration de la wirga nous donne en tout cas un nouvel argument pour affirmer que les Anciens ne Ja confondaient pas avec la baguette magique. Car cette derniére est une baguette courte et rigide ; son type est bien défini, et l'on en a des repré- sentations sur des vases anciens"' ou sur un des stucs de la basilique pythagoricienne de la Porte Majeure. La variété des types de baguette exclut qu'il y ait 4 Yorigine un objet déterminé, que ce soit la baguette magique, ou, comme 1’a proposé plus récemment, la baguette dont on se servait dans certains rites funébres égyptiens pour ouvrir la bouche des morts et leur permettre ainsi de vivre dans l’au-deld®8, A lorigine de la uirga, il ne peut y avoir qu’une image mentale que l’on a voulu exprimer. Un autre fait est frappant : il n’y a pas toujours de différence entre Je baton du berger qu’on voit dans les mains du Bon Pasteur et notre uirga. Parfois, Cest ce baton, ou pedum, qui est représenté comme une longue gaule analogue & certaines wirgae" ; parfois, c'est Ia uirga qui est une canne® et ne différe pas de certaines images du pedum a Pextrémité légérement recourbée®®, Dans certains cas, méme, le baton du Bon Pasteur 58. DAREMBERG-SAGIAO, s.v. lituus. Il est pen vraisemblable d’imaginer un rapport entre ce baton courbe et l'espéce de boomerang qui, au dire de F. Lexa, La magia dans U' Egypte Antique, t. I, p. x11, était la seule bagnette magique que connaissaient Jes ancients Egyptiens. 59. J. De Wautn, The magic staff or vod in Greco-Italan Antiquity, tig, 18 et 19, fig. 7. De Waele, Ibid., p. 170 s'est demandé si le lituus ne dérivait pas du pedum, mais n'a pu parvenir A une conclusion, 60. DAREMBERG-SAGrI0. s.v. Lituus : il était Vinsigne de l’angurat ; dans Jes peintures funéraires étrnsques, on le trouve parfois comme insigne de la dignité du défunt, 6. Amphore de Berlin et cratére de Bologne reproduits dans J. pp WAELE, The magic staff... fig. 7 et 8. 62, E. Stone — No. Jorarre, The Stwccoes of the Underground Basilica near the Porta Maggiore, dans Journal of Hellowic Studies, t. 44, 1924, p. 85. 63. Thése d’A. HuRMann, art, cif, Pour que ce ftit vrai, il faudrait que la baguette nlait aucune signification dans 1a société romaine ; il faudrait surtout, pour parler de modéle iconographique, que la baguette funéraire égyptienne ait été fréquemment représentée, ce qui n’est pas le cas. 64. WiirErt, P. 66 (Crypte de Tucine) ; [bid., 51 (Prétextat), Garruccr, Storia, 2, 97, 2 (Naples). Sur l'existence du pedum congu comme um long baton droit, cf, DACL, s.v, Pasteur (bon), col. 2303, fig. 9879 ; 9880. 65. WinPERr $. 29,3 (Alger), fin rve siécle. 66. Le pedwm est généralement plus long (DACL, s.v. Pasteur (bon), col. 2303 avec fig.), mais dans l’exemple de la nécropole de Cyréne (DACL, t. 3 (2), fig. 3479), le pedura est une canne que le Bon Pasteur tient derrlére la téte, Inversement le baton 2 MARTINE DULAEY n’est rien d’autre qu'une baguette : sur un sarcophage du Latran daté de la fin du mr® siécle, c’est un baton effilé au bout, tenu comme une uirga®? ; sur un fond de verre, que l’on situe entre le troisitme et le cinquiame siécle, un personage vétu en berger, une brebis sur Pépaule, tient dans la main droite un baton qui ressemble A une baguette avec le méme geste que les « personages A la baguetteS® », Dans ces derniers cas, il y a manifestement interférence entre le baton du berger et la wirga. Comment est-ce possible ? En fait, les variantes et les confusions que nous venons de voir s’éclairent quand on considare que les différents artistes ont voulu illustrer la baguette de Moise. A P'unique mot wirga, entendu dans le texte sacré, correspon- daient plusieurs réalités. Virga peut désigner une tige (Is 11, 1 ; Nb 20, 8) ; une férule, ou baguette de bois sec (Ps 88, 32), le baton du berger (Mi 7, 14 ; Ps. 22), ou celui du voyageur (Mc 6, 8). Il ne faut d’ailleurs pas incriminer ici la pauvreté du vocabulaire du traducteur : déja dans la Bible hébraique, les différents termes étaient interchangeables®®, Et surtout, il est important de le noter, dans le cas méme du miracle de la source, le texte biblique encourageait les incertitudes. Le récit de l'Exode (17,5) dit que Moise frappe le rocher de la wirga « dont il frappa le fleuve », wirga qui n’est autre que son baton de berger”® ; tandis que dans le récit du Livre des Nombres (20, 1-13), il s’agit de la wirga d’Aaron qui, ayant bourgeonné, était devenue un signe pour les enfants d’Israél : ce récit invitait donc plutét 4 imaginer une tige d’arbuste, et non la baguette de bois sec qu’évoque par priorité la wirga. Il n'est done pas indifférent de noter que hésitation entre une longue tige courbe et une courte ba- guette apparait das les origines de Part chrétien”!, et qu’on la retrouvera jusqu’au Ve sidcle”2, La wirga de nos représentations est done bien a Porigine te baton de Moise. En entendant dans le texte sacré le mot wirga, les artistes ont imaginé tes batons les plus variés, de méme qu’en entendant parler de Parca de Noé, ils l'on représentée comme un coffre. Les différentes repré- sentations prouvent de plus qu’ils ne considéraient pas la verge de Moise de berger peut ressembler aux + baguettes » des sarcophages, ainsi le baton de Jacob dans une des mosaiques de Sainte-Marle-Majeure : C. Cuccuettt, I Mosaici della Basilica di S. Maria Maggiore, Rome 1956, tav. 22. 67. DEICHMANN, n° 71. 68. Garruccr, Vetri, 6, 7. Ex. similaire sur um jaspe de Londres, date du me res. C, FORTNUM, Avchazol, Journ. t. 26, 1869, p. 141 ; t. 28, 1871, p. 275. 69, STHINMUEMLER-SULLIVAN, Catholic Biblical Encyclopedia, New York, 1956, s.v. Rod, 70. Ex 3; Ev 4,2. 7i. Wiper, P, 45,2513; 46D; 46 a. 72. Longue baguette courbe d’un Moise-Pierre & Callixte (WIPER, P. 237, 2) ou du Christ lors de le résurrection de Lazare, via Latina (FERRUA, Le pitiuve della nuova catacomba.., tav. 85), ou A Pierre et Marcellin, RAC, t. 44, 1968, p. 74. LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 13 comme une baguette magique. Pour linterpréter, il n’est pas inutile de chercher ce que pouvait signifier la baguette dans le monde antique. IIL. La signification de la baguette dans la vie quotidionne des anciens. Est-il évident que pour un Ancien la wirga évoque avant tout la baguette magique ? Dans la civilisation antique, la wirga a de multiples utilisations, dans lesquelles transparait toujours une méme signification fondamentale : la wirga est instrument, puis symbole du pouvoir au sens large du terme”, pouvoir sur les hommes et sur les bétes, et, par extension, pouvoir sur les choses. Avant tout, la wirga est une arme, instrument du pouvoir que l’on exerce en fustigeant. C’est au moyen d’une wirga que I’on dressait et dirigeait Jes chevaux’4, Au moyen d’une baguette, généralement appelée ferula, on fouettait les esclaves désobdissants et Jes écoliers chahuteurs?®. De ces verges par lesquelles le maitre d’école tentait de faire respecter son pouvoir, des Anciens gardaient souvent un souvenir cuisant : 4 ’époque od il écrivait les Confessions, saint Augustin s’en souvenait encore en frisson- nant?®, Nul doute dans ce cas que l’image de ces baguettes ne s'imprimat avec force dans !'imagination des Anciens. Instrument de castigation A Lorigine, la baguette est souvent devenue par la suite plus symbolique que réelle ; déjA pour le maitre d’école, Martial nous laisse entendre qu’elle était l'insigne de son pouvoir lorsqu’il parle des « tristes férules, qui sont le sceptre des pédagogues?? », De méme, cété de leurs faisceoux destinds @ la castigation, les licteuts portaient une baguette qui était P'insigne de leur pouvoir#®, La baguette du cursor qui précédait les personages importants pour leur faire place était éga- lement & mi-chemin entre utilisation concréte et le symbole”, C’est 73. J. Du WaErR, The magic staf}... p. 51-54. W. HENRY, dans DACL, s.v. Baton, col, 621. 74. FRON?. 4, 5, 16 : « uirga qua ad regendum equum usus est ». Var, MAx., 3, 2, 12. MART, 9, 22, 14. C'est de cette baguette que Balaam fouette son ane, par exemple a la catacombe de la Via Latina : FERRUA, La pilture... tav. 26 } 104. 75. PEAUT. bach. 8 (wirga) ; Hor. sal. 1, 3, 120 (jerula). Ivv. 1, 15; 6 479 PRUD. cath., Prot. 7-8. Cette baguette est parfois représentée sur des sarcophages ; cf, H, I, Marrow, Mousikos Anéy, Grenoble, 1937, p. 44} P 277, 1. 26. 76. AUG. conf. 1, 9, 14-15 (BA, t. 13, p. 299-301). 77. Mart. 10, 62, 10: « ferulae tristes, sceptra paedagogorum ». 78, DAREMBERG-SAGIIO, s.v. vindicta, p. gro-g1t : 2 figures. J. DE Want, The magic staf... p. 127. 79. Ov. érist, 5, 6, 32. Représentation figurée sur un sarcophage chrétien, fin 11° sié- cle : DEICHMANN, n° r19, 14 MARTINE DULAEY aussi le cas de la baguette que portaient le surveillant de la palestre®, le chef des domestiques d'une riche maison, et le lanista, chef des gladia- teurs®, Dans la Passion de Félicité et de Perpétue, cette wirga est placée dans les mains de Dieu qui regarde combattre ses athletes, et elle est le symbole de son autorité souveraine dans ce combat spirituel®, Des l'Antiquité, la wga a pu avoir un sens purement symbolique. A Rome, anciennement, elle indiquait le haut rang d’un personnage® ; un baton Wivoire était insigne des wiri triumphales®*, et méme des consuls Al’époque impériale®> : baton ou sceptre, il n’y a pas toujours de différence. Cette baguette de commandement, qui a peut-étre son origine dans le fait que les sociétés antiques étaient des sociétés de gérontocratie ot Ja canne de vieillesse aurait fini par symboliser le pouvoir, les Grecs la plagaient dans Jes mains de leurs juges**, Dans cette utilisation, il semble que les Romains Pignoraient dans la vie de tous les jours? ; mais ils connaissaient la wirga des juges des enfers, puisque nous la voyons représentée a plusieurs reprises dans la peinture funéraire®, Ainsi donc, la uirga avait une signi- fication vivante dans la société antique ; c’était la baguette de comman- dement et elle était devenue un véritable symbole. De cette uirga symbole du pouvoir, découlent quelques usages parti- culiers de la baguette. Tout @abord, elle était Pembl&me de Penvoyé : conférée par qui détenait le pouvoir, elle signifiait que le messager était protégé par ce pouvoir®®, Les hérauts grecs la portaient® ; et si les ambas- sadeurs latins Pignorent®, les Latins connaissaient du moins la baguette 80. J. CARCOPINO, La basilique de la Porte-Majeure, Paris, 1927, p. 117-118, et pl. 12, 81. Avon, 14, 6, 17 (éd, Calletier-Fontaine, 1968, p. 77) : « ita praepositis urbanae familiae sua pensa digerentibus sollicite, guos insignes jaciunt wirgae dexteris apta- tae». REPW, s.v. Lanista, col, 630, 20 : plusieurs attestations, Représentation sur un fond d’or : GaRRUCCT, Vetri, 34, 7. 82. Pass. Perp. 6, 8 (éd. Van Beek, p. 26) : « ferens uirgam quasi Janista », Cette baguette du lanista est représentée sur un fond de verre : GarRucct, Vetri, 34, 7 83. Praut. cas. 975 (scipio) : « Vnde ornatu hoc uenis ? quid fecisti scipione, aut quod habuisti pallium ? » 84. PLIN, naé., 28, 2, 4 (25) } Liv. 5, 41 sq. VAL. Max. 4, 4, 5. 85. AMM. 29, 2, 15. 86. J. De Warns, The magic staff..., p. 120. 87. Ibid. p. 124. 88. Sur l'existence du sceptre du juge des enfers, cf. pe WAELE, Ibid., p. 122-123. Ou le voit représenté & la catacombe de Vibia : Witrmrt, P. 132, 2. Mansolée de Clodius Hermés a St-Sébastien : reproduction dans H. LintzMann, Petrus und Paulus ‘im Rom, taf. to et p. 303. 89. J. pe Wann, The magic stajf..., p. 5% sq. 90. Ibid., p. 78 sq. or. Tbid., p. 75 (il discute les exemples qu’on avait pu invoquer). LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 15 de envoyé par celle que portait Hermés, messager des diewx®, On retrou- vera cette baguette de l’envoyé chez les Francs, selon le témoignage de Grégoire de Tours® et c’est peut-étre ainsi qu’il faut interpréter le baton dambre noir trouvé dans certaines tombes mérovingiennes™. La uirga a pu également symboliser un certain pouvoir spirituel, car nous la trou- vons dans les mains des prétres dans le territoire italique®5. Les flamines qui se rendaient au sacrifice portaient une wirga avec laquelle ils tenaient les hommes 4 distance pour prévenir toute impureté rituelle ; cette wirga wétait pas seulement d’ordre pratique, elle avait une signification rituelle ; les Latins l'avaient oubliée, mais gardaient le souvenir de son existence puisqwils avaient substitué 4 Pexplication rituelle une explication his- torique®®, Il ne semble pas, cependant, que la baguette ait été utilisée dans les cérémonies (initiation, comme certains l’ont voulu®?, et son utilisation dans les mystéres dionysiaques reste problématique®™. Surtout, le geste de toucher d’une baguette est symbole de libération, ceci par une extension du sens de la baguette de commandement, Chez les Juifs, quand le roi tendait sa wirga aurea vers un condammé a mort, c’était signe qu’il Ini faisait grice®, A Rome en particulier, ce geste est bien connu : lors de l’affranchissement d’un esclave par manumissio, !adsertor in libertatem (ami du maitre de Pesclave et plus tard magistrat) touche it de la baguette, appelée windicta, la téte de Vesclave, daprés un rituel juridique qui s'est conservé jusque sous Justinien ; selon un bas-relief antique, la windicta était une baguette au bout amincil00, Enfin, et toujours dans le rituel juridique romain, la baguette pouvait étre symbole du pouvoir que l'on avait sur les choses. De la haste que Pon plantait en terre lors de la vente aux enchéres sub hasta, haste qui pouvait dans certains cas étre remplacée par la uindicta, Gaius dit qu’elle est le symbole de la propri¢t@“!, Dans Paction légale per uindictam, on touchait l'objet litigieux de la baguette pour affirmer que l'on avait 92. Baguette ef caducée, méme si le caducée n'est qu'une trausformation de la baguette. Cf. H. RaINGEARD, Hermas Psychagogue, p. 535. 93. GREG, TVR. Hist, Franc. 7, 32 (MGH, Ser. rer, Merov, p. 352, 1. 7) « Lega- tos... cum uirgis consecratis iuxta ritum Francorum, ut scilicet non contingerentur ab ullo, sed exposita legacione cum responsu reverterentur 9, 94. E. SALIN, La civilisation mérovingienne, t. IV, Croyances, Paris, 1959, p. 90-92. 95. J. Di Wanrn, The magic staff... p. 180-181, 96, DAREMBERG-SAGTIO, s.v. flamen, p. 1167, fig, 3095. ps Wart, [bid., p. 177. 97, Sur ce probléme, cf. DE WaELE, bid., p. 62, n. 5. 98. P, Bovanct, Ména-Hécate dla Villa des Mystéves, dans RAC, t. 42, 1966, p. 57- 7 99. Esther, 4, 11. 100. DAREMBERG-SAGI0., 8.v. vindicia, col. 909-910, s.v, manumissio. Ibid., s.v. vindicta, col. 909 avec la figure. Tox. Garus, instit, 4, 16: ¢ signum quoddam iusti dominii » (DaREMBRRG-SAcIIO, S.v. hasta, col. 42 et 43). 16 MARTINE DULAEY pouvoir sur elle, Ce dernier exemple nous prouve que pour un ancien, toucher un objet d’une baguette n’implique pas automatiquement que Yon songe A une baguette magique, méme si les Anciens la connaissaient103 et y voyaient, quand elle était dans la main des dieux, le symbole de leur pouvoir bénéfique sur les hommes!4, Ainsi donc, il existait dans PAntiquité romaine une symbolique profane de la baguette, et toute baguette n’apparait pas baguette magique aux yeux des Anciens, Reprocher aux chrétiens des premiers siécles de l’avoir mise dans les mains du Christ sous prétexte qu’elle pouvait alimenter les calomnies des paiens qui ne voulaient voir en lui qu’un magicien comme les autres, c’est commettre un anachronisme. Dans le contexte de la civilisation classique, cet objet, symbole du pouvoir, ne pouvait choquer, IV. La baguette selon les textes chrétiens anciens. Quelle était, selon les chrétiens de l’Antiquité eux-mémes, la significa- tion de la wivga ? Dans 1’Ancien Testament, son sens est clair, elle est le signe et l'instrument du pouvoir surnaturel que Dieu donne & Moise : «Quant a ce baton, prends-le en main, c’est par lui que tu opéreras des prodiges »!98, De quels prodiges s’agit-il ? De miracles matériels surpre- nants : la baguette de Moise est bien celle du thaumaturge!*. Mais das Porigine, ies chrétiens ont compris que « tout cela leur arrivait en figure » pour l’instruction des générations 4 venir, et saint Paul a reconnu dans les prodiges concrets de Moise le symbole des graces du Nouveau Testament ; la uiyga du Christ opére des miracles plus extraordinaires encore, mais a coup sir moins voyants que ceux de Moise!7. On ne peut plus alors parler de « baguette du thaumaturge ». De fait, pour jes chrétiens de l’Antiquité, la wirga symbolisait plutét le pouvoir spirituel en général, et P'exégése ancienne a tantdt mis Paccent sur la notion de pouvoir en elle-méme, tantét elle a cherché a expliciter la nature spirituelle de ce pouvoir. D’une phrase de Clément de Rome, 102, DAREMBERG-SAGIIO, s.v. vindicta, col. gog. Il semble qu’é lorigine, la baguette symbolisait l’arme dans ce combat simulé. 103, DE WAEIE, The magic sta/j..., p. 132-154. Elle semble par contre avoir été incomnue en Egypte a l’époque aucieune : F. Lexa, La magie dans I’ Egypte antique, t. I, p. rrz (ef. pl. 1, fig. 86 : on utilisait le boomerang). ro. CIC, off. 1, 258: ¢ uirgula dinina », qui dispense prospérité etc... Dans le cas du baton d’Asclépios, il semble qu'il n’exprime pas un pouvoir magique de guérison, mais un pouvoir bénéfique en général : pr WantE, The magic stajf..., p. 91-96. 105. Ex 4,07: € wirgaim quoque hanc sume in manu tua, in qua facturus es signa 9. 106. 4 thaumaturge » est géuéralement péjoratif en frangais moderne : le thanma- turge est celui qui prétend faire des miracles. 107. I Co 10, x1 : ¢ haec autem omnia im figura contingebant illis »; I Co ro : baptéme, eucharistie. PL r—~ Person (ci muni (une petite baguette courbe cmbe de Commodilie). PL. 2— L’Agnean iuitiptic les pains avec 1a « nirga » (Catacombe de Commodilte). ésurrection de Lazare : le Christ tient 1a « uirga » dans la main gauche (Catacombe de Callixte). “(wear A np waHamp apsnyy ywoWeTPNje | UVAzeT Ne JWEWMIUUEPUY “s aL Mp eeqdooreg) “qSEII UP }HEF Fb TOAnod np spoqurss “« eBxm » vy yweUD, axxo : maHpzUE oNISTY “ened ap aperur ay arado ya areze7y ayosnssax yspmmD of ‘¢ wBxm » vf oaAy : anazapdns onsBay — + 1a LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 17 Alafin du ret sidcle, on peut déduire que la wirga était seulement considérée comme le symbole du pouvoir": c’est le Christ lui-méme qui y est appelé « uirga de la puissance de Dieu », Et si l'on admet que I’on puisse retrouver dans la Clé éditée au xrx® par le cardinal Pitra des échos de la Cié de Méliton, on retrouverait cette interprétation dans la seconde moitié du ure sidcle!®, Varga, au ive siécle, est encore « symbole du pouvoir » chez Augustin"? et chez Cyrille d’Alexandrie, Le Pseudo-Denys attribue a la wirga la méme signification quand il dit que les baguettes que tiennent les anges sont le « symbole de leur royale autorité »!1%, Une autre interpréta- tion, attestée chez Origéne!® et Augustin" voit dans la uirga le symbole de la croix ; cette dernire interprétation rejoint un symbolisme chrétien trés ancien!25, et elle recoupe finalement la précédente, la croix repré- sentant le pouvoir de rédemption du Christ. D’autres, comme Grégoire de Nysse, ont cherché a préciser la nature de ce pouvoir: selon lui, la wirga de Moise (qu’ilappelle tantétpaxtpia, baton, tantot fapinc, baguette, en suivant les fluctuations du texte biblique), est la foi, qui fait jaillir Peau du rocher ou sortir les Hébreux d’Tigypte!!® ; ou bien encore, c'est l’enseignement de la foil!” et la force morale et spiri- tuelle qui en découle™8, Enfin, dans le De mysteriis d’ Ambroise, la wirga est symbole du pouvoir par lequel Dieu peut consacrer le pain et le vin, Pour prouver qu’au moment de la communion c'est bien le corps du Seigneur et non plus seulement du pain que regoit le fidéle, Pévéque de Milan utilise un argument qui ne convaincrait qu’ demi les modernes... Puisque la wirga de Moise a transformé la nature des choses quand elle s'est changée en serpent, quand elle a « solidifié » la mer rouge ou frappé 108. CEEMEN' DE ROME, PG, t. I, 240 : ¢ uirga potestatis Dei », selon la traduction latine qui date probablement du début du u® sidcle : J. Quasimn, Introduction aux Pires de UE glise, p. 6t. (Texte cité dans DACL, s.v. baton, col. 623). 109, Métaton, Clé, 7, 34 (PIERA, Spicilegiur Solesmonse, t. 2, p. 388). 110. AuGUStIN, En. in ps. 44, 17-18: 1a wirga y est a la fois férule du maitre et signe de la puissance de Dieu. AUGUSTIN, serm. 352 (PL, t. 39, 1553-54). Ir, CYRILLE D’ALKXANDRIB, glaphyr. 2 (cité dans DACL, s.v. Baton) : dit que la wirga est pour certains « regni symbolum », tandis que selon V'interprétation la plus courante, wirga représente le Christ, I! relic d’ailleurs les deux interprétations : ¢ per filium enim imperat uniuersus Dens ac pater + 112, PsEuD0-DEnvs, de caclest. hievarch. 15 (PG, t. 3, 333) : tag 8é ad PEB8ODs, tO Baordixdy Kal frepoviKdy Kai ed0éa th ndvta mepaivove. 113. OnrGkwx, Homdlies sur les Nombyes, 9, 4, 7 (SC, t. 29, p. 179) : c'est le Christ qui est le véritable Aaron, car sa wirga, 1a croix, a bourgeouné, 1X4. AUGUSTIN, Quaest. in num. 35 (PL, t. 34, 737) : « quod uirga petra percntitur crux Christi figuratur », Quopvurrpmus, De cataclysmo, 6 (PL, t. 40, 696). 115. J. DANTELOU, Les symboles ohrétions primitifs, Paris, 196, p. 44: dansl'arbre, le bois en général, les Chrétiens voyaient la croix. 116, GReCoIRE DE Nvssu, Vie de Moise, 2, 124 (SC, t. I bis, p. 67): Baxmpta thig miotamc... ; H UBSog tiig m. » Cette exégase est déja sous-entendue dans He 11, 29, 117. Grigory py Nyssz, Vie de Moise, 2, 36 (p. 41) : « tov Myov tic mlotems » 1x8, Ibid, 2, 64 (Pp. 49); 2 73 (PB. 51) 1 #4 THs Gpettic 480s » 18 MARTINE DULAEY le rocher, alors que ce geste n'est jamais qu’une « bénédiction humaine », combien plus la « consécration divine » a-t-elle ce pouvoir" ! Pour saint Ambroise, donc, toucher dune baguette équivaut a T'imposition des mains, c'est une bénédiction et une consécration!°, La uirga est ici symbole du pouvoir de Dieu dans un sens bien précis, Ainsi, selon ces textes la uirga apparait toujours comme symbole du pouvoir spirituel du Christ ou de la foi chrétienne. Les textes, cependant, sont relativement peu nombreux : la wirga, qui n’était qu'un détail, a en fait peu inspiré les exégétes anciens, et plus que dans les élucubrations intellectuelles des Anciens, c’est dans leurs réves et leurs visions que nous trouverons des éclaircissements. Dans ces réves apparait tout d’abord la baguette d’autorité, symbole du pouvoir souverain de Dieu : c'est a ce titre que Perpétue la voit entre Jes mains de Dieu dans la vision de l’amphithéatre!!, De méme, dans une des visions d’Hermas, quand le Christ vient superviser la construction d'une tour qui est l’Figlise, il tient a la main une baguette : ce nest pas seulement la baguette de Parchitecte™, puisque lorsqu'il en frappe les pierres, celles-ci se révélent brusquement ce qu’elles étaient réellement sous tine apparence trompeuse : fendillées, irréguliéres...129 ; cette baguette exprime le pouvoir du Christ, en l’occurrence son pouvoir de révéler la vérité des étres, Est-ce en tant qu’architecte que saint Vaast en est gratifié dans la vision de saint Aubert racontée par Alcuin!®! ou en tant quenvoyé de Dieu ? Car on voit souvent la baguette dans la main des envoyés de Dieu. Dans une autre vision d’Hermas, c’est la femme vénérable qui symbolise Viglise qui tient 4 la main «une baguette éclatante!5», Dans le réve de Mégétia, relaté au rv? siécle dans les Miracula scti Stephani composés A Uzalis & Vinstigation d’Augustin, saint Etienne donne 4 Mégétia, pour x19, ABR, myst. 9, 50 (SC, t. 25 his, p. 185 sq). x20, On ne saurait oublier que ce texte est contemporain des sarcophages qui utilisent indifféremment l'imposition des mains ou 1a baguette lors de la multipli- cation des pains (sur ce point, of. 1, Dx BRUYNE, L’imposition des mains dans l'art chyétien ancien, dans RAC, t, 20, 1943, P. 113-212. rz. Pass. Perp. 6, 8 (Van Beek, p. 26). 122. Cette baguette de larchitecte, nous ia trouvons dans une des peintures funéraires de l'hypogée (probablement paien) de Trebius Iustus A Rome (fin T° s.) : Trebius Iustus, devant une maison, tient une longue perche qui lui arrive au menton ; Vautre personmage, qui tient une courte virga dans la main droite est peut-étre le chef des ouvriers. Cf. C. CRCCHELLI, Monumenti cristiani-eretict di Roma, Rome, 1944, Pp. 139-140 et planche 42. 123, HERMAS, Pasteur, 85, 3 (SC, t. 53, p. 307). © 64506 ». x24. ALcvinvS, Vita Vedasti, MGH, Script, merov., t. 3, p. 426, 1. 10: « Vidit eminus trans fluniolum qui Crientio uocatur uirum proefulgidum, uirgam manu tenentem, basilicae locum metiri ». (Situé vers 686). 325. HERMAS, Pasteur ro, 4 : (SC, t. 53, p. 103). ¢ A4BSov tva Aaumpay 0, LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 19 dutter contre le dragon, une verge!®6, symbolisant le pouvoir surnaturel qui lui est octroyé contre les forces du mal. Il n’est pas indifférent de noter que le méme symbole apparait dans Ja religion mazdéenne: dans un réve, cette baguette qui est aussi symbole de prophétie, sert a mettre en fuite des animaux qui menagaient l'enfant Zarathoustra™, A partir du rv° siécle, @ailleurs, 1a wirga, souvent en or ou en quelque autre matiére précieuse, apparait réguliérement dans les mains des saints envoyés en réve aux hommes. Dans la lettre de Lucien, prétre de Palestine qui relate 4 P'Occident l’invention des reliques d’Etienne, Lucien note que, lorsque il est appara en réve pour désigner [emplacement de la tombe du protomartyr, Gamaliel tenait 4 la main une verge d’or!?’. La baguette est entre ses mains Je symbole du pouvoir spitituel qui Ini a été confié par Dieu plus que la « baguette du thaumaturge ». Avec la wiyga nous sommes bien en face d'un authentique symbole, La baguette de Moise est devenue, conformément a Pexégése des Anciens, un véritable symbole. Cela n'a été possible cependant, que parce qu'il existait une symbolique profane de la wirga ; sans quoi nous n’aurions ett qu'une allégorie privée de vie, et elle ne serait pas réapparue avec cette insistance dans les réves des Anciens, Mais quelle était la signification de ce symbole ? La symbolique profane, les textes anciens, tendent a nous faire admettre une signification plus large que celle que Pon attribue généralement a la uirga. Reste maintenant a savoir si I'étude des différentes scénes ot apparait la wirga donnera des résultats convergents. Il. LA SIGNIFICATION DU SYMBOLE D’APRES LES REPRESENTATIONS FIGUREES CHRETIENNES I. La baguette utilisée sur les objets ot les moris : « wirga thaumaturgica»? a) Les objets, Parlant de la baguette, Wilpert soulignait fortement que son usage était presque exclusivement réservé aux objets inanimés et aux morts!*, Quand il s'agit des objets, son usage est pratiquement limité aux représentations du miracle des pains et du miracle de Cana. Il n'y a & ma connaissance qwune exception : sur un bassin de Constantinople daté du rv® siécle, le 126. Reuelatio Soli Stephani, PL, t. 4x, 809 : « nirgam auream in manu haben- tem » 128, CE, P. SAINTYVES, Les vierges Méres ot les naissances miraculeuses, Paris, 1908, pe 37%, 127. Miracula Scli Stephani, PL, t. 41, 847 : « arrepta in tempore uelut uirga oblata », 129. Wirunt, P. ‘esto, p. 41. 20 MARTINE DULAEY Christ, reconnaissable 4 "habit sacré et au nimbe, tient dans la main gauche une baguette au repos, tandis que de la droite il fait un geste vers un arbre, ott l'on doit probablement reconnaitre avec E. Michon le figuier stérile de 'ivangile!®° : la baguette-sceptre est ici utilisée comme un attribut symbolique de la puissance du Christ, 14 oh Viconographie ultérieure utilisera le rouleau'!. Dans le miracle des pains ou celui de Cana, la wirga est Péquivalent du geste de Pimposition des mains, ainsi que a montré Mgr de Bruyne!*, La wi7ga apparait au me siécle dans le miracle des pains, et au 1v® siécle dans une représentation eucharistique Proprement dite28 : elle est dans ce cas attestée plus anciennement que Pimposition des mains, geste qui A Torigine était réservé aux vivants et n’est pas attesté par les textes dans la liturgie eucharistique avant Hippolyte!#4, Selon les genres et les époques, on trouve l'une ou autre expression : dans les peintures des catacombes, la wirga est presque constante dans les miracles des pains, méme au rv? siécle!85, alors qu’ la méme époque, sur Jes sarcophages, les mémes représentations comportent environ a 75 % Timposition des mains!®*, D’ailleurs, un sarcophage du Latran, daté de la premiére moitié du 1v® siécle, prouve de fagon évidente l'identité des deux symboles : la scéne de la multiplication des pains y est curieusement dédoublée ; le Christ y est représenté deux fois : une fois il touche d’une wirga un panier rempli de pains, une autre fois il fait le geste de P'imposi- tion des mains sur ie poisson et le pain!8?. Le geste de toucher d'une baguette a donc Ja méme signification que imposition des mains qui est dans Viconographie selon Mgr de Bruyne, «un rite symbolique de la collation des graces surnaturelles! », Ilressort aussi du texte du De myste~ riis cité plus haut, et d'une fresque de la catacombe de Domitille (PL 2) ot c'est PAgneau qui multiplie Jes pains au moyen d’une longue et fine baguette qu'il tient de la patte droite!8*, qu’en cette deuxiéme moitié du iv® siécle, la baguette est simplement symbole de consécration. Ces représentations évoquaient-elles chez les chrétiens anciens la baguette magique ? Rien n’est moins sir: la baguette du rituel juridique suffirait 330. E. Micon, Bassins chrétiens, Paris, 1916, p. 41 et pl. 3, x. 331. Selon un sondage fait dans le fichier iconographique de Princeton & la Bibliothaque Vaticane. 132. L. Di BRUNE, L’imposition des mains dans l'art chrétien ancien, dans RAC, t. 20 (1943), Pp. IX4-115, Hh. 3. 133. WILPER?, P. 45,0; 54, 2; 68 ; Wu-PErt, P. 265, 134. X. Lfon-Durour, Vocabulaive de théologie biblique, Paris, s.v. + imposition des mains », 135, Une exception : au cimetiare de Domitille, WurERT, P. 228, 136. I. DE BRUYNE, L'imposition des mains... p. 114-175 ; p. 108-204. 337. WIRPERY, S. 218, 2, 138. L, DE BRUYNE, L'imposition des mains..., p. 17 sq. 339. A. Ferrva, dans RAG, t. 34, 1958, p. 35, fig. 28; p. 40 pour la datation. LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 2r en effet a expliquer. Comme les plaideurs dans les procés ott il s’agit de récupérer un objet litigieux, le Christ, en étendant sa baguette vers le pain et vers les jarres de vin, indique qu'il a plein pouvoir sur ces objets et qwil Pexerce. Si la baguette du Christ dans ces représentations eucharis- tiques est a lorigine la baguette de Moise le thaumaturge, les chrétiens en ont restreint Pemploi a des usages compréhensibles aux hommes de leur temps, en particulier grace au rituel juridique. La wirga chrétienne, symbole ici de consécration, n’est qu’un aspect de la symbolique profane de la baguette signe du pouvoir en général. Et si l'on y réfléchit, son usage dans Ticonographie paléochrétienne tend a résoudre un probléme pratique : il faut exprimer qu'il y a miracle, Ceci pourrait s’exprimer par le geste de l’imposition des mains ; maispour que le Christ étende les mains sur le pain, il faut qu'il soit a sa hauteur ; sur les sarcophages, les sculp- teurs ont résolu ce probléme en le faisant apporter par des disciples : ce motif est plus complexe et n’apparatt qu’au rv° siacle. La baguette semble done étré ici le prolongement de la main; par 1a elle est Péquivalent ancien des fléches et des pointillés qu’utilisent l'occasion les modernes bandes dessinées pour indiquer qu’un personnage agit sur un objet. Le probléme est le méme dans la représentation du miracle de Cana: aurv® siécle, époque ot se diffuse ce théme, imposition des mains sur les choses est bien acclimatée. Mais pour que le Christ impose les mains sur les jarres, détail d'ailleurs absent du texte évangélique, il faut qu’elles soient a sa hauteur : or, le texte parle de « lapideae hydriae » qui évoquent un réci- pient imposant qu’on avait sans doute de la peine A imaginer porté ; le fait est qu'il n’est pas un exemple, ott elles le soient, et le miracle de Cana est toujours représenté avec la uirga A Pépoque méme od, pour le miracle des pains, c’était imposition des mains qui !’emportait. Il y a fort a parier que pour les fossoves et artisans sculpteurs, de telles raisons pratiques jouaient autant que les considérations théologiques. b) Les morts. Sur les cadavres, la wirga est trés souvent employée, et cela dés les origines de l'art chrétien, d’abord et surtout pour Ja résurrection de Lazare, puis, au rv® siécle, pour celle de la fille de Jaire ou pour les osse- ments désséchés de Ja vision d’Fzéchiel!#0, Dans le type iconographique courant, le Christ touche d’une baguette la téte du cadavre. Ce geste a amené certains A penser que la baguette du Christ dans les scanes de résurrection avait pour origine et modéle la baguette dont Hermés Psychopompe guidait les Ames des morts, baguette dont étaient munis les nécromanciens dans !’Antiquité!1, D’autres y ont vu la baguette de rites funéraites égyptiens ot l'on approche une baguette des lévres de la momie!, Et certainement, ces rapprochements sont séduisants pour 140. Cf. p. 6. x41. H, RAINGRARD, Hermés Psychagogue, Rennes, 1934, p. 45 et 403-404. J. DE Waxrx, The magic staff..., p. 163-164. 142, A, HERMANN, cf. m. 1, p. 3. 22 MARTINE DULAEY Pesprit, et il est tentant de voir 14 un modéle iconographique précis de la baguette du Christ!43, Tl faut cependant remarquer que la premiére fois qu’apparatt la wirga dans la résurrection de Lazare, dans les chapelles des sacrements au cimetitre de Callixte au tout début du 11° siécle, la wirga ne touche pas la téte du mort. Un personnage de haute taille au visage souriant, vétu de tunique et pallium, tient dans la main gauche une baguette au repos, tandis que de la droite il fait le geste de la parole vers wun personage plus petit qui est nu et semble marcher devant l’édicule funéraire dont la porte est ouverte!4, Dans une fresque mutilée d’une autre de ces chapelles, il faut vraisemblablement restituer la méme représentation!4®, Selon Wilpert, si le Christ représenté ici sur le modéle du Ostog dvip antique, avec la haute stature et le visage hilaris'46, porte la wirga dans la main gauche (PI. 3), c'est parce que Lazare est déja ressucité et qu’elle est devenue superflue!’. Cependant Vart des catacombes n'est pas un art narratif, et il n’est pas dans I’habitude des peintres de se préoceuper de déroulement temporel : on n’a aucun exemple du miracle de la source ou Moise aurait la wirga au repos ; et pourtant, dans presque toutes les représentations, T'eau coule sur le rocher, dont le miracle est déja fait. A Callixte, la wirga est tenue comme un sceptre, comme un symbole de puissance, et non utilisée comme tne baguette nécromantique. Ce type de représentation est ensuite supplanté par le modéle traditionnel, mais il ne disparait pas : au rv siécle sur un bassin chrétien de Constantinople, Je Christ de la résurrection de Lazare tient, au repos et dans Ja main gauche, une baguette qui a, fait caractéristique, une forme de sceptrel ; on en trouve aussi d’autres exemples plus tardifs'#?, Dans les scénes de résurrection, la wirga signifie donc le pouvoir souverain du Christ. Par ailleurs, ce n’est pas les lévres de 1a momie qu’il touche de sa baguette comme dans l'art égyptien, mais sa téte : A un chrétien de l’Antiquité, le Christ touchant la téte d’un mort de sa baguette rappelle immédiatement Vadsertor tn libertatem qui touchait de sa baguette la téte de Pesclave qu'il voulait affranchir'®°, Dans la vie quotidienne des Anciens, cette significa tion de la baguette, symbole du pouvoir d’affranchissement, était au moins aussi vivant, on peut le penser, que la baguette des troubles épisodes de nécromancie, car il y avait 4 Rome plus @affranchis par manwmissio 143. Comme le pense D8 Warta ; om n'a pourtant que des exemples de gemmes étrusques (Zbid., p. 164 ; fig. 12-17). 144. WiPERT, P. 46, 2. CE pl. 3. 145. WiErt, P. 39, 146. L. BIELER, Ostoc ‘Avijp, Das Bild des « gottlichen Menschen + in Spitantihe und Friihchristentum, Darmstadt, 1967, p. 52-54. RLAC, s.v. Epiphaneia, col. 883. 147. Wu.rert, P. Testo, p. 4x (commentaire a la pl. 46, 2). 148. E, MicuoN, Bassins chrétiens, Paris, 1916, pl. 3, 2. 149, O. M. Darton, Catalog of early Christian Antiquities, Londres, 1901, pl. 11 (296). E. Ross, Av of Egypt, 1931, fig, p. 252. 350. Cf. p. 15. LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 23 que d’adeptes de la magie noire. La baguette du Christ dans les scénes de résurrection est le symbole du pouvoir qu'il a d’affranchir Phomme des forces de Ja mort. Plus qu’a une influence précise d’un modéle iconogra- phique paien, on a ici affaire 2 un emprunt au fond commun de l’imagina- tion humaine ; plusieurs indices laissent d'ailleurs 4 penser que dans Pinconscient des chrétiens de P’Antiquité, la wirga n’avait pas totalement perdu sa valeur d’antique symbole chtonien : elle réapparait en ce sens dans leurs réves'5!, ainsi que sur deux fonds de verre, On peut se demander d’ailleurs si ici aussi des motifs d’ordre pratique n’ont pas joué. Ii fallait exprimer qwil y avait miracle, et dans le texte du Nouveau Testament, le Christ dit seulement de loin 4 Lazare : « Lazare, sors | », Introduire ici Pimposition des mains répugnait probablement a une mentalité romaine antique: comment imaginer que le Christ pitt toucher un cadavre ? Le christianisme n’a pas éliminé d’emblée les antiques notions de pur et d’impur. Dans son utilisation pour les objets ou les cadavres, peut-on parler de «baguette de thaumaturge » ? Thaumaturgie, en francais moderne, implique des prodiges extraordinaires sur lesquels plane en général un soupgon!®8, Baguette magique ? Mais est-on vraiment stir que les fresques anciennes voulaient évoquer le miracle historique unique of la virga pourrait a la rigueur étre ressentie comme magique ? L’accent n’était-il pas mis surtout sur le prodige, répété quotidiennement par lenseigne- ment de I'figlise et par les sacrements, de la libération de la mort et du don de la vie éternelle ? On peut parler de baguette thaumaturgique si l'on considére les sacrements comme de la magie ; et peut-étre qu’effective- ment pour quelques chrétiens peu évolués la distance entre les deux n’était pas toujours grande, Si l'on considére que 1a wivga apparatt a lori- gine au cimetiére de Callixte, c’est-a-dire dans un cimetiére sous dépendance ecclésiastique, ot par conséquent V'figlise avait droit de regard sur le programme des peintures si elle ne les commandait pas elle-méme, on ne peut accepter cette hypothese de la baguette magique. Il. La baguette employée pour les vivanis. Selon Wilpert, la wirga était réservée par principe aux choses et aux cadavres ; quand par exception (il en connaissait trois), elle était utilisé pour les vivants, elle était portée de la main gauche et inactivel®4. En effet, la wirga est assez peu utilisée pour les étres vivants, et quand elle Vest, elle est rarement dirigée vers eux. 151. P. 19: réve de Mégétia au xv° siécle. 152. Usage de la baguette contre le serpent : cf. p. 27. 153. ¢thaumaturge » en frangais moderne signifie généralement ¢ celui qui préiend faire des miracles ». 154. WizrEn, P, Testo, p. 41. 24 MARTINE DULAEY ‘Un certain nombres d’exemples justifient 1a distinction de Witpert. Quand tronve-t-on la baguette utilisée pour des étres vivants ? D’abord dans des exemples probablement paiens, Elle est utilisée dans des fresques of Pon reconnait le jugement du mort, dans le mausolée de Clodius Her- més, daté du 1 siécle!55, ou dans Ja catacombe de Vibia, vers le milieu du ive siécle!5® ; 1a baguette y est tenue comme un attribut symbolique par le juge surnaturel, et elle n’est pas dirigée vers les hommes. Dans Ja scéne de la vofite du tombeau de Clodius Hermés, un personnage gigantesque, vétu d’une tunique courte et d’un manteau pourpre, avec une longue baguette dans la main gauche, fait de 1a droite un geste (d’accueil ? geste de 1a parole ?) vers une foule nombreuse composée de petits personages en tunique longue!5’, Sauveur gnostique, protecteur céleste, conducteurs des Ames! ou personnage en train de prononcer Poraison funébre du défunt?® ? Il s’agit indiscutablement d’un personnage divin ; sa haute stature et son manteau pourpre, insigne du pouvoir supréme, le prouvent!®, Ce personuage divin semble représenté en per- sonnage victorieux, et il n’est pas impossible que sa longue perche soit une lance plutét qu'une baguette'!, Quoi qu'il en soit, méme si ce person- nage qui recoit les hommages d'une foule en tunique longue!® n’est qu’en costume d’apparat!®? et porte Ia baguette du noiunv Aaév qu’a parfois Hermes le berger des ames, le fait qui nous intéresse ici est que cette baguette n’est pas dirigée vers les hommes. La baguette des anges dans les scénes d’annonciation?® ne lest pas davantage, détail qui rend peu pro- bable Phypothése d’une annonciation pour une des fresques de la cata- combe de la Via Latina’®®. Dans tous ces exemples, la wirga est attribut 155. H. Lantemann, Petrus und Paulus im Rom, p. 305 ; Taf. to. 156, WiuPERt, P. 132, 2. Voir lanalyse de ces peintures dans le mémoire de maitrise de Cl. p’Avour p'AUERstaEDt, La catacombe de Vibia, Paris, Sorbonne, Bibliothéque d'histoire des religions, 1972. 157. C. CRCCHEIL, Monumenti cristiani-eretici di Roma ; Roma, 1944, tav. 22, 2. 158. C, CECCHELL, Monumenti..., Tav. 22, 2 et commentaire ; H. LaetzMann, Petrus und Paulus..., p. 159-160 ; p. 303. 159. A. FERRUA, S. Sebastiano fuori le Mura e la sta Catacomba, Roma, 1968, p. 10 sq; p. 6, fig. 13. x60. LACT. inst. 4, 7; AMM, 14, 9, 7 (DAREMBERG-SAGLIO, s.v, Paludamentum, B. 295). 161. Scdne curieusement analogue A une époque plus tardive : celle de Josué haranguant ses troupes dans les mosaiques les plus anciennes de Ste-Marie-Majeure : C, Cecewenit, I Mosaici della basilica di S. Maria Maggiore, Rome, 1956, tav. 45 ; Josué tient dans la main gauche une lance. 162, A l’époque byzantine, on pourra trouver figurée ainsi I’adoration de l’empe- reur: A. GRADAR, L'empereur dans l'art byzantin, Paris, 1936, p. 87: haute taille de Vempereur, sujets (romains) autour de lui. 163. Au re siécle, la Jacerna pourpre est devenne um vétement d’apparat et nest plus seulement portée par les soldats : MART. 5, 8, 5, TZ. x64. J. De Warin, The magic sia/f..., p. 59 (miroir étrusque), 165. Dp. 36. 166, A. FERRUA, La nuova catacomba..., p. 42 et tav. 3. LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 25, symbolique du pouvoir sur les hommes. Dans quatre scénes de guérison, elle est utilisée de la méme fagon, Dans deux fresques du cimetiére de Pierre et Marcellin, qui représentent ta guérison de Phémorroisse, une femme agenouillée tend une main vers le vétement du Christ, qui, une baguette au repos dans la main gauche, fait de la droite le geste de la parole!7, Dans une autre peinture du méme cimetiére se retrouve la méme disposition de la baguette ; un personnage de haute stature, vétu de tunique, pallium et sandales, a dans la main gauche une longue baguette courbe, tandis qu’il pose la droite sur la téte d'un petit personnage en tunique clavée, courte et sans ceinture, qui a les bras écartés! ; on a proposé d’y reconnaitre la guérison de l’aveugle-né. De méme, sur une pyxide divoire de Bologne, que I’on date du v® si&cle, le Christ guérissant te sourd-muet tient la baguette de la main gauche, tandis qu'il touche les levres de D'infirme de index de la droite!®, Ces exemples donnent raison 4 Wilpert ; toutefois, d’autres exemples, et plus nombreux, prouvent que sa régle est loin détre infaillible: dans un certain nombre de scénes de guérison, la baguette est dirigée vers le malade ; cette fois-ci, on n’en trouve que des exemples chrétiens, Sur la pyxide d’ivoire de Bologne dont il vient d’étre question, dans une sctne ot Pon croit reconnaitre la guérison de l’aveugle, le Christ touche la téte de Paveugle @une baguette!”9, Quant aux représentations de la guérison du paralytique ot intervient la wirga, elles montrent toutes le Christ diri- geant sa wirga vers le paralytique. L’une est un fragment de sarcophage du Latran, ot il semble bien que le Christ dirige une baguette, qu'il tient de la main droite, vers le paralytique dont on distingue une partie du lit!, Sur un verre doré de la collection Pusey House 4 Oxford, le Christ brandit une baguette courbe vers un personnage en tunique courte qui porte son lit et s’en va en lui tournant le dos!” ; un autre verre doré repré- sente la méme scéne, avec cette seule différence que le Christ y est nimbé!”*, Enfin, il semble qu’il faille reconnaftre sur un verre grossitrement gravé que Von date entre le m® et le ve si&cles, 1a guérison par Pierre et Jean de Limpotent a la Belle Porte du Temple de Jérusalem!’4 : un personnage, qui semble vétu du pallium, et au-dessus de la téte duquel il est écrit PETRUS, dirige un baton, qui ressemble au gourdin des philosophes cyniques!”5, au-dessus d’un petit personnage assis qui fait le geste de la 167, WinpErt, P. 98 ; 130. 168, Winran't, P, 68 ; GARRUCCT, Storia, t. 2, 44, 3: 169. Bologne, Museo Civico, ivoire du v° sidcle : Ravenna, Avori, 1956, p. 45 84. 170. Ibidem. 17%, DAFCHMANN, 172. Tes trols autres exemples sont : GARRUCCE, Vein, 1, 7; 1, 35 8,2. 172. GarRucer, Vetri, 1, 3. 173. Garruccr, Vetri, 8, 2. 174. Act, 3, I-10. 175, Représenté par exemple sur un sercophage de Sardaigne : G. Prsca, Sarcofagi Romani di Sardegna, Rome, 1957, fig. 66. 26 MARTINE DULAEY parole vers un troisitme personvage en train de parler (il a la bouche ouverte) et a les deux mains levées vers lui!?6, Ces exemples suffisent a prouver que la distinction de Wilpert ne vaut pas. Peut-on objecter que Jes exemples que nous avons invoqués sont tardifs ? C’est difficile, tous étant datés d’une maniére approximative entre le m1 et le vo siacle, et les exemples de Wilpert étant du rvé sidcle. La uirga a bel et bien été utilisée envers des étres vivants. Il reste qu'elle le fut rarement. L’expli- cation en est simple : la wirga a dans ces scénes subi la concurrence de Vimposition des mains, geste ancien et d’abord réservé aux vivants!77 ; sans doute les artistes chrétiens ne s'attachaient-ils pas toujours 4 la lettre du texte, l'existence de la uirga suffit a le prouver. Mais le texte présentait une autre caractéristique : il y est dit que lorsque la femme eut touché son manteau, le Christ sentit une «force » (Sivajtc, wirtus) qui s’échappait de Iui?”®, Ia uivga exprimait de fagon visible cette force spirituelle effi- cace qui émanait de la personne du Christ. Symbole de son pouvoir de guérison dans ce cas particulier, la wirga put étre étendue A d’atitres guérisons et probablement aussi A des « guérisons spirituelles ». Dans deux fonds de verre, en effet, la wirga apparatt nettement comme le symbole du pouvoir de libération du Christ, Sur un verre doré d’Oxford, on voit un personnage juvénile, vétu de Phabit sacré, qui dirige une baguette courbe vers Adam et Eve; ceux-ci sont, conformément a Vimagerie traditionnelle, disposés de part et d’autre de Parbre ot s’enroule le serpent, et ils s’efforcent de cacher leur nudité!?9, Cette sc&ne ne peut recevoir qu'une explication : il est dit dans la Bible que c'est la Sagesse de Dieu qui délivra ’homme de sa faute!8°, et les commentateurs ont toujours vu le Christ dans cette Sagesse de Dieu. Ce verre évoque cette rédemption par le Christ de ’homme pécheur depuis le péché originel. On aurait pu avancer l’idée que la wirga était peut-étre ici due seulement a la symétrie, puisque sur les § scénes qui sont disposées sur ce fond de verre, quatre présentent la wérga et la cinquiame est le sacrifice d’ Abra- ham, ott le couteau occupe dans la composition, la place de la baguette. Mais on a d’autres représentations du méme genre ot Pon ne peut parler 176. Zuy Chvistlichen Kunst, XIX (1916), fig. p. 87. Le fichier iconographique de Princeton donne comme légende : ¢ Pierre frappant le rocher ? », ce qui est évidem- ment impossible et dé au fait que l'on considére avec Wilpert que la uirga ne s’utilise pas pour les vivants. Rien ne permet en tout cas de supposer que le petit personnage assis boit & une source. 177. X. L&on-Durour. Vocabulaire de Théologie biblique, s.v. Imposition des mains, Cf. anssi la remarque de L. DE BRUYNE, L’imposition des mains..., p. 198. 178, Me 5, 25 8q. 179. GaxRucct, Vetri, 1, 3. 180, Sg zo, 1. C'est Garrucci qui cite ce texte; mais son interprétation est inexacte ; il y voit une scéne située dans le passé, ott le Christ prédit & 'homme qu'il Je rachétera. En fait la scéne est atemporelle. De méme il sollicite le texte lorsqu'il dit que la wirga elle-méme vient du livre de la Sagesse : B6axé te adtd toxdv Kpatiioa: andvrov se référe Ale domination de I’univers accordée par Dieu homie, et non a 1a rédemption, LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 27 de symétrie 4 tout prix. Ainsi, sur cet autre verre doré, un personnage vétu de tunique et pallium fait un geste de la main gauche et dirige une baguette courbe qu’il tient dans la droite vers trois petits personnages situés au milieu des flammes ; ils sont dans l’attitude de l’orante et leur regard est tourné vers le personage a la baguette!®l, Il s’agit naturellement des trois enfants dans la fournaise. Le personage a la baguette est-il Pange, envoyé par Dieu pour libérer les trois Hébreux, ou le Christ ? Quoi qu'il en soit, cette figuration, fréquente dans l'art paléochrétien, évoque le salut apporté par le Christ. La wirga est ici le symbole de ce pouvoir de rédemption. On peut le vérifier sur un panneau d’un diptyque d'ivoire de Ravenne qui présente la méme scéne : ange qui sauve les trois enfants de Ja fournaise y tient non plus une baguette, mais une croix qu'il dirige vers les flammes'*, Ce pouvoir de libération des forces du mal est explicitement exprimé sur deux autres fonds de verre. Le premier représente Daniel qui donne au serpent de Babylone la boulette mor- telle!®? : un personnage en tunique courte présente une grosse houlette au dragon qui Pavale avec voracité ; il est tourné vers um personnage vétu de Vhabit sacré qui dirige vers lui une baguette qu'il tient de la main droite, Tl ne peut s'agir dune arme, puisque dans la Bible il est dit que Daniel tuera le serpent « sans épée ni baton ». En ce personnage, Garrucei reconnait justement le Christ qui donne 4 Daniel la force de tuer le serpent infernal" ; cette représentation pourrait presque passer pour une illus- tration de la vision de Mégétia™®, Le verre rappelle au fidéle que c’est le Christ qui donne la force dans la lutte contre le mal, et la wirga symbolise ici sa puissance de libération. Dans un autre fond de verre, il faut proba- blement reconnattre le Christ vainqueur du serpent : un personnage & aspect juvénile, vétu de tunique et pallium, montre du doigt de la main gauche un énorme serpent A écailles dressé contre lui d’une fagon mena- gante, et il dirige vers lui une baguette ; un autre personage semblable- ment vétu Lui fait facel®5, Il est difficile de reconnaitre ici 1’épisode du baton changé en serpent'8’, ou celui du serpent d’airain’S8, comme le fait Garrucei. Le serpent est ici prét A Pattaque, et le jeune homme A la baguette semble convier l'autre personnage A constater le pouvoir qu'il a sur ce serpent. Il est plus logique d’y voir le symbole du pouvoir du x8r. GaRRuccr, Veiri, x, r: en provenance du cimetiére de Callixte. x82, Reproduction dans F. VAN DeR Megn-Cur. MOERMANN, Ailas de I' Antiquité chrétionne, p. 112, fig. 334. 183. Dn 14, 23 sq. Garrucer, Vetri, 3, 13. 184. GaRRUCCT, Ibid., Testo, p. 38. La Inte contre le serpent est um trés ancien symbole de la Intte contre le mal dans le christianisme comme déja dans I’Antiquité : ef. RLAG, 8.¥. Drache, col, 239 8q } col. 246 (R. MERKELBACH). 185. Garrucer, Veiri, r, 15; Miracula S, Stephani, PL, 41, 847. 186. Garrucer, Vetri, r, 3. 187. Ex 7, 8 188, Nb 21, 49q. 28 MARTINE DULAEY Christ sur le serpent, selon Pimagerie de Apocalypse!®, Hest intéressant de remarquer que l'iconographie chrétienne rejoint ici antique symbolique paienne pour laquelle la wirga est un moyen de défense contre les puis- sances chtoniennes!®, Dans chacun des cas qui viennent d’étre examinés, la wirga est apparue comme symbole du pouvoir de libération et de rédemp- tion du Christ ; ceci va nous permettre d’éclairer deux scénes dont la signification est trés discutée, Au centre de 1a vofite du Cubiculum des Initiés a 1’Hypogée des Aurelii, viale Manzoni, hypogée qui est daté de la fin du m1® siécle, se trouve une scéne étrange. Un vieillard barbu, vétu d’une tunique clavée, dirige une longue verge au-dessus de la téte d'une figure féminine voilée, tandis qu’un deuxiéme personnage, qui tient semble-t-il un rouleau, assiste a la scéne!, I] semble difficile d’y voir une scéne d’initiation, ceci pour deux raisons, D'abord parce qwil est extrémement peu probable qu’on ait peint une scéne réaliste dans le médaillon d’une votte entitrement occupée par des abstractions ; cette scéne est en effet entourée de quatre person- nages a baguette et a roulean!, La deuxi&me raison est plus décisive encore : nous n’avons aucun exemple sir, ni littéraire ni iconographique, de Vemploi de la baguette dans les cérémonies (initiation del’ Antiquité!®, Dans la scéne du mausolée de Clodius Hermés oi certains ont proposé de reconnaitre une scéne d’initiation et lentrée du fidale dans une secte mystique! , il est plus probable qu’il faut voir, & la suite de Lietzmann, Je jugement du mort dans Pau-dela!®, Iexemple de la Porte Majeure, ot on voit la baguette dans les mains du maitre d’école n’est pas plus concluant ; sans doute a-t-on bien 1a l’évocation de l’acquisition de la science sacrée ; mais la wirga est 1A en tant que férule du maitre ; c'est toute la scéne qui symbolise T'initiation et pas la baguette, qui n’est ailleurs pas dirigée vers le personnage comme dans I’Hypogée des Aure- 1ii16, Enfin, M. Boyancé a démontré que la baguette que I’on voit sur une fresque de la Villa des mystéres n’est pas baguette d’initiation : la fresque représente une divinité infernale personnifiant la mania dionysiaque qui agit en fustigeant ceux quelle atteint ; la baguette est ici Péquivalent du fouet des Ménades'®”, Dans la ligne de ce que nous avons vu précé- 189. Apoc 12, 9; 19, 11-16. 390. Exemple du rameau d'or d’Enée dans la descente aux Enfers : Vine, en. 6, 137 3 145. CE. aussi les peintures étrusques o# le défunt a en main une baguette. tor, C, CRCCHELIT, Monumenti cristiani-evetici..., tav. 22. 2. J. WILPERT, Mélanges J. B. De Rossi, 1923-1924, tav. 3. 192, Sur ces personnages, cf. p. 9. 193, J. DE Wanne, The Magic stafj..., p. 61, n. 5. P. Bovanch, Ménd-Hécate & la Villa des Mystéres, RAG, t. 42, 1966, p. 58-60. 194. C. CRCCHELLI, Monumenti cristiani-evetici..., tay. 33, 2. 195. H. Iamramawy, Petrus und Paulus in Rom, p. 303 ; Taf. 10. 196, m. 62 et 80. 197. P. Bovancs, Ménd-Hécate..., p. 63. LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 29 demment, il est donc probable qu’il faut voir dans le plafond du Cubicu- lum des Initiés dans l'Hypogée des Aurelii 'évocation du salut de l’Ame (représentée par la figure voilée) grace au pouvoir spirituel symbolisé par le personnage & la baguette et le personage au rouleau ; celui-ci peut-étre prétre initiateur, saint chrétien ou fondateur de secte gnostique, rien ne permet de linférer sinon le contexte. Une fresque du Cimetitre Majeur présente une signification analogue Dans un groupe de quatre personnages, les deux de droite portent habit militaire et semblent entrainer le personnage central, en habit militaire également, mais dépourvu du cingulum ; le personnage de gauche, vétu lui de Phabit sacré, dirige une baguette vers le personnage central’, Wilpert y a reconnu jadis Moise et Aaron devant leurs fréres, identifi- cation dont le P. Fasola a démontré le peu de vraisemblance!, Il y voit quant lui, avec de bons arguments, Ja conversion miraculeuse des saints soldats Papias et Maurus®?, et pense que la baguette est employée 14 comme wivga thaumaturgica pour souligner ce que leur conversion avait de miraculeux. Mais en fonction de ce que nous avons dit de la wirga qui apparait comme symbole de rédemption dans tn sens plus général, cette interprétation est peut-étre trop concréte, trop « his- torique », Qui est le personage revétu de Phabit sacré ? Un personnage symbolique ? Le Christ ? Tl indique que le soldat déserteur est sous la mouvance d’un certain pouvoir spirituel, que Dieu intervient visiblement et efficacement dans sa vie (ultérieurement, la main de Dieu pourra avoir 1a méme fonction). Entrainé par les soldats pout tm chAtiment humain de prison et de mort, ’objecteur de conscience en est spirituellement déli- vré. Dans tous les cas ott la baguette est employée envers des étres vivants, elle nous est apparue comme un symbole de guérison physique ou spiri- tuelle, symbole du pouvoir de guérison du Christ exactement comme dans les scénes de résurrection ; cela nous prouve qu'il est vain de distinguer Yemploi de la wirga pour les morts et pour les vivants comme le faisait Wilpert. IIL. La baguette, attribut symbolique indépendant. a) Le « personnage @ la baguette ». Ce qui précéde va nous permettre de mieux comprendre le mystérieux personnage 4 la baguette, qui apparait en dehors de tout contexte immé- 398. Wiprrr, P. 224, 2, U, Pasona, Osservazioni su una pitiura del Cimitera Maggiore, dans Miscellanea Belvederi, Roma, Citta del Vaticano, 1954-1955, P. 287- 302, p. 288, fig. r. 199. U. Fasora, Osservazioni..., p. 287 sq. 200, Ibid., p. 30. Cf aussi la note 4 qui nuance l'interprétation de conversion. 30 MARTINE DULAEY diat, et semble avoir obsédé, dés avant la fin du 11° siécle, le peintre de PHypogée des Aurelii, puisqu’ily apparatt quatre fois sur la votite du Cubi- culum des Initiés, et encore plusieurs fois sur les parois? : un personnage, vétu de la tunique et du pallium, chaussé de sandales ou pieds nus, tient de la main droite une wirga levée quwil semble utiliser sur quelque chose Winvisible ; de autre main, tantét il retient son pallium, tantét il tient un rouleau. Cette figure n’apparatt pas que dans des ensembles peu ortho- doxes. Un dessin nous I’a conservé sur la votite du cubiculum de Veratius Nicatoras au cimetiére des Asiatiques*®. Il occupe de méme, bien en évidence dans un cercle entouré de rinceaux de vigne, la vofite d’un cubicu- lum du cimetigre de Saint-Janvier A Naples?93, On le trouve, debout sur une sorte de piédestal et la téte nimbée, dans une fresque récemment découverte au cimetiére de Commodille*4, Enfin cette figure apparait a plusieurs reprises sur des verres, comme par exemple sur un médaillon en verre doré d'un bol antique conservé au British Museum?°5, Il y a ainsi dix exemples de médaillons représentant le « personnage d la baguette” », Ce personnage a toujours paru étrange, et les interprétations les plus diverses en ont été données. Des érudits du début du xrx® siécle y voyaient une figure du pasteur, idée déja combattue par Garrucci ; Idi-méme y voyait le Christ changeant l’eau en vin®” ; la raison en est probablement que sur les médaillons, c'est dans les noces de Cana que I’on voit le plus souvent le personnage muni d’une baguette ; mais il faut certes beaucoup @imagination pour reconnaiftre dans les feuilles décoratives qui accom- pagnent le personage, et qui sont ailleurs fréquentes sur ces médaillons, les jarres des noces de Cana... Dans la votite de la catacombe de Naples, H. Achelis a voulu voir 4 son tour un raccourci d’une résurrection de Lazare®8, ce qui n'est pas moins gratuit que lancienne interprétation @Armellini pour qui c’était une représentation abrégée du miracle de la roche?®, Mais 4 supposer que cela fit possible, comment interpréter alors le personnage 4 la baguette du cubiculum de Veratius Nicatoras, ot apparaissent aussi les classiques « scénes 4 baguette?°» ? Quant aux personages a baguette du Viale Manzoni, ona parfois, en raison du carac- tare de Yensemble, affirmé que cette figure n’était pas trés orthodoxe, zor, C. Ceccuert, Monumenti,.., pl. 19 5 22. 2. 202. Bullettino di Archeologia Cristiana, t. 4, 1886, pl. 11. 203. H, ACHEEIS, Die Kaiakomben Neapolis, pl. x9 ; p. 58. Autre photo dans RAC, + 25, TO49, D. 94. 204. A. Furrua, dans RAC, t. 34, 1958, p. 33, fig. 26. 205. O. M. Dayton, Catalogue of early Christian Antiquities, pl. 30 (629). 206. GarRuccr, Vetri, pl. 7, 6-15. 207. Ibid., testo, p. 65. 208. H. AcuEras, Die Katakomben Neapolis, p. 58. 209. ARMenrit, Vetri Cristiani, dans Romische Quartalschrift, 1896, p. 57. ato, Résurrection de Lazare, miracle de Cana, miracle de la source. arr. J. CaRCOPINO, De Pythagore aux Apitres, Paris, 1956, p. 130 8q. LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN Br La variété de ces interprétations prouve du moins le sentiment que tous avaient de se trouver en face de la réduction au minimum d’une scéne symbolique déja connue par les classiques sctnes a la baguette®!?, Tirons-en les conséquences jusqu’au bout : le personnage a la baguette est une abstraction. Qu’il s’agisse bien d’une figure abstraite, Mgr De Bruyne 'a montré en soulignant que, dans I’Hypogée des Aurelii, il est juché sur un piédouche végétal®! ; la figure du cimetiére de Commodille est, elle aussi, juchée sur une espéce de piédestal végétal. Un autre fait va dans le méme sens : le personnage a la baguette peut étre répété jusqu’a quatre fois sur un méme plafond : il est alors difficile d’y reconnaitre le Christ. Enfin, la situation du personnage a la baguette, que ce soit seul au centre d’une votite comme a Naples ou isolé sur un médaillon, nous prouve que cette figure abstraite exprime quelque chose de fondamental. Que signifie-t-elle ? Pour le comprendre, il faut rapprocher Je person- nage a la baguette du personnage au rouleau que on voit se faire pendant dans l’Hypogée des Aurelii, Dans un certain nombre de représentations en effet, leur signification semble étre la méme. Sur des sarcophages contemporains et dans une méme scéne, on peut trouver indifféremment un rouleau ou une baguette. Sur deux sarcophages du Latran figurant la prédiction du reniement de Pierre, celui-ci tient dans la main gauche une fois Je rouleau*"4 et une fois la baguette#5. Dans cette mame scéne le Christ tient généralement un roulean dans la main gauche, mais on ren- contre un sarcophage contemporain de ceux-ci ott, 4 la place du roulean attendu, ila la wivga™5, D’autre part dans un certain nombre de repré- sentations, le rouleau remplace purement et simplement la baguette dans des scénes oit elle était classique. C’est ainsi que sur un sarcophage ott on voit Pierre faisant surgir l'eau du rocher, Pierre montre l'eau d’un geste de la main droite, tandis que de la gauche il tient un rouleau®!?, Cette substitution du rouleau a la baguette se retrouve dans deux résur- rections de Lazare8, et sur un fond de verre, pour la multiplication des pains®!®, Apparemment donc la signification des deux attributs est iden- tique. Cependant, il y a plusieurs exemples de personnages munis a la fois de la baguette et du rouleau. Dans la peinture des catacombes, lorsqu’un ara, D, Matianpo, dans RAC, t. 25, 1049, P. 93-95, dit : « sintesi delle azioui taumaturgiche o espressione del suo potere taumaturgico ». 213. L. DE BRUYNE, Les lois... 2, dans RAC, t. 39, 1963, p. 84, 0. 181. Représen- tation dans J. WiLPERT, Mélanges J. B. De Rossi, 1923-1924, tav. X, c. rq. DRICHMANN, 45, 1° tiers du 1ve sidcle. 215. DEICHMANN, 43 : 1 quart du rv® sidcle. Fig. 4. 216. DEICHMANN, 770 ; 1° ters du tve siécle. 217, DEICHMANN, 45. 218, DEICHMANN, 39. WinrEeRt, S. 86, 3. 219. Garrucct, Vetri, 7, 17, L/objet est beancoup trop court pour qu'il puisse s'agir d'une baguette. 32 MARTINE DULAEY personnage tient la wirga de la main droite, il retient son pallium de la gauche, 4 moins que cette deuxiéme main ne soit invisible 4 cause de la position du personnege, ou, plus rarement, inactive, Ce n’est que dans THypogée des Aurelii qu’apparait dans la peinture cimétériale le double attribut, baguette et rouleau™!, qui sera par Ja suite trés fréquent sur les sarcophages du rv¢ siécle®, ct, il est intéressant de le noter, de préférence dans les scénes nouvelles qui s’introduisent alors : résurrection du fils de la veuve, vision d’Ezéchiel®’, Le doublet se retrouve au v° siécle sur un fond de verre de Saint-Quentin®4, et sur une pyxide Pivoire de Bologne™5, Dire que wolumen et wirga ont la méme signification, cest donc admettre un « pléonasme iconographique » dans toutes ces représentations, Il est plus probable qu'il y a entre les deux attributs une nuance. Quelle est en effet la signification du rouleau ? On remarque d’abord quiil est généralement absent de la peinture des catacombes, au moins avant le Ive sitcle, tandis qu'il est trés répandu sur les sarcophages*4, semble par conséquent que la wirga comme attribut du Christ ait précédé le rouleau. Et pourtant, celui-ci est un symbole trés ancien ; fermé, et toujours tenu de la main gauche, on le trouve déja en Egypte dans la main des sotverains, puis dans toute l’Antiquité classique’. Si l'on excepte les scénes d’enseignement, ot il est logique de le trouver dans son emploi normal, il est placé, A l’époque qui nous intéresse, dans les mains des empereurs ott des personnages qui se trouvent debout devant eux dans les cérémonies officielles, A 1’Ara Pacis, sur la colonne Trajane, et surtout sur la colonne de Mare-Auréle”*8 ; ce rouleau est le symbole de la parole efficace de l'empereut, édit impérial (dans la main de Pempereur) ou res- crit (dans la main de ses sujets)"*, Telle est la signification fondamentale, qui n’est d’ailleurs pas exclusive des autres que l'on a voulu lui donner et qui ne font qu’en souligner un aspect plus particulier : parfois signe du 220, WILPERY, P. 74, 2} 143) 1. + 55° 2ar. C, CeccHEras, Monument ..., pl. 19; 22.2. J. Witpurt, Mélanges J. B. De Rossi, 1923-1924, tav. 8. 222. Une vingtaine d’exemples : Wu,PERt, S, rrz, 1 (Gérone) ; 182, 1 (Toulouse) ; o2 (Syzacuse). 223, DRICHMANN, 5 ; 12 a ; 23 @ (vision d’lizéchiel). DEtCHMANN, 9 ; 42. WILPERT, 8. 116, 2; 227. 2 (résurrection du fils de la verve). 224. Bullettino di Archeologia Cristiana, 1887, p. 194 sq. 225. Ravenna, Avori, 1956, P. 45 84- 226, Remarque de Ta, Birt, Die Buchrolle in der Kunst, Leipzig, 1907, p. 78. Les quelques exentples datent en général du rve siécle et représentent soit des défunts soit des saints. WILrERT, P, 40, 3 semble une exception. 27. Th, Bret, Die Buchrolle..., p. 40-47 ; p- 68. 228, Ibid., p. 72. 229, Ibid, p. 68. LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 33 vrai philosophe®®9, ou signe de Ja loi du Christ, te rouleau symbolise toujours le pouvoir efficace de la parole, que ce soit celle de Ia sagesse ou celle de Dieu. Mais c’est avant tout un embléme impérial, passé de la sculp- ture profane de la colonne de Marc-Auréle a la sculpture chrétienne?® ; cette signification sera encore sensible au vr® siécle dans le Codex de Ros- sano ott le rowleau n’apparait dans les mains du Christ que lors de Pentrée & Jérusalem®*8, Ceci nous explique du méme coup pourquoi on ne le voit guére dans les mains du Christ avant le 1v® siécle : c’est surtout aprés la paix de Ifiglise que la symbolique impériale sera transférée au Christ considéré comme le seul véritable souverain. Jusque-ld on exprime son pouvoir souverain autrement, en particulier par la baguette, reprise de celle de Moise. Quand donc le Christ ou Pierre ont en main a la fois le rouleau et la baguette, ce n’est pas un pléonasme, mais les deux attributs se comple- tent : le rouleau est le symbole du pouvoir efficace de la parole de Dieu, la uirga symbole de son pouvoir spirituel de Libération, pouvoir qui se traduit par une intervention concréte dans la vie de homme. La coexis- tence des deux attributs précise que c'est éminemment par sa parole que Dieu intervient concrétement dans la vie de l'homme. Pris s¢parément, Jes deux attributs en arrivent a signifier pratiquement la méme chose, Tous deux sont symbole du pouvoir spirituel ; mais d’un cété on insiste davantage sur les moyens d'action (la parole), de l'autre sur les résultats de Taction (rédemption, guérison, force dispensée par les sacrements). Si Pon en revient maintenant au personnage 4 la baguette, deux détails nous aident a préciser la signification du personnage : sa baguette est tenue dans la main droite, et brandie vers quelque chose d’invisible. Nous avons déja vu en effet la baguette comme attribut symbolique signifiant en lui-méme, indépendant de la scéne précise dans laquelle ilintervenait : dans la résurrection de Lazare des chapelles des sacrements au cimetiére de Callixte**4, ot la baguette est tenue comme un sceptre. Mais dans le cas du personnage a la baguette, cette baguette n'est plus tenue dans la main gauche, mais dans la main droite, et comme en action. C’est exprimer avec plus de vigueur 1’efficacité actuelle du pouvoir spiri- tuel qu'il représente. Le personnage 4 la baguette est le symbole du pouvoir divin du Christ?55, de son pouvoir de conférer 4 homme les graces spiri- tuelles quelles qu’elles soient. 230. H.-I. Marzo, Movoikdg dviip, p- 269-279, daus les mains du Christ, pas avant la fin du m® on le début du rv® siécle. 23x. H. Mrcwaniss, dans Wissenschajil. Zeitschrift Ernst Morits Arndt Universitat, 1956-57, P. 157 8d. 232. Th. Bret, Die Buchvolle..., p. 68; 79. 233. Ot il epparatt en tant que roi (Th. Burr, p. 68). Cf. A, MuSoz, Codex Purpu- reus Rossanensis, tav. 2. 234. Wanrarr, P. 46, 2. 235. Ainsi que l’a déja vu L. pe Bruyn, L'imposition des-mains..., p..72) B. 2. 34 MARTINE DULAEY b) La baguette de Pierre, symbole du pouvoir qu'il tient de Dieu. Au Iv siécle apparait sur les sarcophages un groupe de scénes ot Pierre a en main la wirga: il s’agit du miracle de la source, de la premiére arrestation de Pierre et de Ja « prédiction du reniement?*$ », On voit généralement dans cette baguette celle du thaumaturge, A cause du miracle de la source. Cependant, si Yon examine sans prévention les scanes oti elle apparaft, on voit que cette interprétation ne se justifie pas. Au moyen de la wirga, Pierre fait jaillir du rocher l’eau dont s’abreuvent des personnages vétus en policiers romains®8?, Sur les sarcophages, cette scéne remplace totalement la scéne des catacombes oi Moise frappe le rocher. La baguette de Pierre, c’est la méme que celle du Christ, nouveat. Moise, qu’évoquent les peintures. C’est le symbole du pouvoir spirituel qui lui a été donné de faire couler pour les hommes les graces spirituelles du Nouveau Testament. Lors de sa premiére arrestation, Pierre a en main une wirga. Quelle est sa signification ? Et d’abord, ne s’agit-il pas, dans cette scéne de vio- lence™, d’un baton de défense ? La plupart du temps en effet, la uirga de Pierre ne différe en rien des batons que tiennent parfois les soldats. Mais outre que le texte des Acies (12, 4), ne mentionne nullement que Pierre se soit défendu, il aurait une bien curieuse facon de le faire sur nos sarcophages, oli, dans la grande majorité des cas, il tient cette wirga de la main gauche ; et méme quand il la tient de la main droite, elle semble au repos et tenue comme un crayon®40, Enfin, dans certaines de nos repré- sentations, cette wirga est remplacée par un rouleau®l, ce qui suffit A nous faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un baton défensif, mais d’un attribut symbolique*#2, Et sa présence dans 1a scéne de I’arrestation rend pett probable qu’il s'agisse de la wirga du thaumaturge : elle n’aurait en effet rien a faire ici?43, 236. Cf. p. 6 et Planche 4. 237. P. VAN Moonset, I! miracolo della voccia.,., p. 24%, 1. 5. 238. Cf. les remarques de WinpErt, S., Testo, t. I, p. 115, sur le mouvement de la scéne, 239. 8 exemples de la main gauche. DHICHMANN, 11; 22; 42} 220; 241 : 369; 779. Sarcophage de Lot, daus RAC, t. 27, 1951, fig. 1, p. 03. Une seule fois un soldat tient un baton de la main gauche et encore s’agit-il peut-étre d'une épée (DETCHMANN, 14) : scéme de la capture de Pierre. 240. DBICHMANN, 6, 1 ; 7. 241, DBICHMANN, 45 ; 674. 242. Comme I’a vu L. DE BRUYNE, II sarcofago di Lol scoperto a s. Sebastiano, deus RAG, t. 27, 1951, p. 93; p. ror. 243. Contrairement a ce que dit WILPERT, S., Testo, t. I, p. 120, LA BAGUETTE DANS L’ART PALEOCHRETIEN 35 La baguette magique du thaumaturge ne s'explique pas davantage dans une scéne of Pierre n’a pas un réle plus brillant : la scéne ott le Christ Iui prédit son triple reniement. Ici encore, elle est tenue comme un attribut, dans la main gauche**4, sauf sur un sarcophage en provenance d’un cime- titre du Viale Regina Margherita®5, On a voulu que ce baton ait été mis dans les mains de Pierre pour signifier au spectateur que Pap6tre anquel le Christ prédit le reniement est le méme que celui qui frappe le rocher pour en faire surgir Peau baptismale, le méme aussi que celui quia été arrété®46, Tl est indubitable que l’attribut de la wirga contribue A insister sur ce fait ; mais on trouve aussi la baguette quand il n’y a qu’une scéne de ce qu’on a pu appeler la « trilogie de Pierre’4? », Quelle en est donc la signification ? La baguette de Pierre n’est rien d’autre que celle du Christ ; c'est ce qui ressort d’un sarcophage du Musée National de Rome du début du Ive siécle oft, dans Ia scéne du reniement, le Christ tient dans la main gauche la wirga, tandis que sa main droite fait le geste de la parole ; Pierre tient la méme wirga dans la main gauche®#8. La wirga de Pierre est le symbole du pouvoir spirituel du Christ qui Ini a été confié. Une mosaique du mausolée de Constance, au 1v® siécle, confirme cette interprétation. On y voit en effet le Christ remettre la loi A Pierre : Pierre recoit de la main droite le rouleau de la loi, tandis qu’il tient dans la gauche la uirga®"; dans cette scéne, Pierre porte habituellement la croix®®®, La wirga de Pierre, c’est donc le symbole de son pouvoir spirituel sur ’Eiglise ; c’est la wirga du Christ qui Ja lui a remise comme un roi transmet son sceptre A son successeur. Dans ce cas particulier, la baguette n'est pas trés loin du « baton d’auto- rité » dont la signification était demeurée vivante dans la société antique. Sa signification n’est pas non plus trés différente de celle du « baton de Tenvoyé » que connaissaient les Anciens. On Je trouve en effet, joint au caducée, dans la catacombe de Vibia®*1, Il semble qu’elle a également existé chez les Juifs, au moins dans le Judaisme de la Diaspora®*. C'est proba- blement cette baguette de l'envoyé qu’il faut reconnaitre sur une fresque (encore inédite) d’une région déconverte en 1950 A Saint-Sébastien : un 244. DEICHMANN, 77 ; 23 4; WILPERY, 8. 158, 3 (Gérone) ; 124, 3 (Narbonne). 245. RAC, t. 11, 1934, p. 219, fig. 79. 246. L. DE BRUYNE, I! sarcofago dé Lot..., p. 93, et p. tr, 1, 36. 247. P. Soromavon, Sam Pedro en la iconografia paleocristiana, Grenade, 1962, 17 8q. 248, DBICHMANN, 770. 249. WILPERY, Mosaiken und Malereien der hirchlichen Gebdude, Fribourg, 1916, PL 4. 250. DHICHMANN, 288 (fin 1Vv¢ sidcle). 25x. WinpErt, P. 132, 2. 252. E, GooDENOUGH, Jewish Symbols, t. 2, p. 286, fig. gx. Il s'agit d’un sceptre ; mais cf, ci-dessous, p. 37. 36 MARTINE DULAEY personnage, vétu comme les personnages bibliques de tunique, pallium et sandales, fait de la main droite, vers le centre de Parcosolium, le geste de la parole, et tient dans la main gauche une espéce de baton-sceptre?®3, De méme, sur une sardoine du début du ve siécle, un des anges qui cou- ronnent les empereurs a une fine baguette dans la main gauche®4, Grace a Vart byzantin, cette wirga survivra au moins jusqu’au xr® siécle dans la main des anges*®®, C’est cette méme baguette que nous avons vue aux mains des saints envoyés de Dieu dans les réves des chrétiens a partir du rv° siécle. Comme la baguette que tient Pierre, elle est le symbole du pouvoir que Dieu confie a son serviteur?5, CONCLUSION La baguette, on I’a vu, s’est introduite dans l'iconographie paléochré- tienne par référence a celle de Moise, et sans doute pour des raisons de commodité picturale ; le Christ étant le nouveau Moise, et le miracle de la source symbole trés ancien du baptéme, par lequel Jes graces du Nouveau Testament coulent sur les hommes, la wirga est devenue tout naturellement, dans les mains du Christ, symbole de sa puissance divine. Cette origine scripturaire du symbole n’est cependant pas exclusive d’autres influences : il est peu probable que sans I’existence d’une sym- bolique profane de la baguette, la uirga aurait été érigée au rang de symbole. Un modéle iconographique paien reste cependant peu vraisem- blable, méme si certaines représentations ont pu contribuer A acclimater le symbole. Que la wirga ait pour origine la baguette de Moise n'implique cepen- dant pas qu'elle ait strictement la méme signification. Sans doute, elle est souvent employée pour des miracles proprement dits ; elle est le prolongement de Ja main, un truc de métier pour indiquer qt’un miracle 253. A. Frerva, dans RAG, t. 7 (1930), p. 185, fig. 6 et t, 26, 1950, p. 237-238 : description, 254. Leningrad, Musée de I'Hermitage. Reproduction dans F. VAN DER MEER et CHR MouRMANn, Aflas del’ Antiquité chrétienne, Bruxelles, 90, p. 75, fig. 18t. 255. Sur une mosaique du vre siécle A Parenzo (Nuovo Bulleltino d' Archeologia Cristiana, 1896, p. 14 sq.), longue baguette de l'ange de 'annonciation, A peu prés & la méme époque, sceptre de lange de l'annonciation sur deux ivoires de Milan (DACL, t. I, 2, fig. 769). Vers 800, H, Acuuris, Die Katakomben Neapolis, tav. 56 : longue baguette fine, Baguette de l'ange sur I’arc triomphal de Ste-Praxéde (Ix*). ¥resques de St-Jean-A-la-Porte-Latine etc... Sut le baton comme insigne de l'ange dans l'art byzantin, cf. DACL, s.v. Baton, col. 623. 256, On la voit aussi dans la main de l’archange saint Michel lors de ses appari- tions en songe qui ont été figurées sur les portes de bronze de Monte S, Angelo. LA BAGUETTE DANS L'ART PALEOCHRETIEN 37 a lieu, Cependant, il s’agit d’évoquer, grace 4 ces scénes, les « miracles quotidiens » de la vie chrétienne. De méme que l’Ancien Testament est presque toujours interprété de fagon symbolique pat les premiers chré- tiens, de mame la wirga thawmaturgica de Moise a pris chez eux un sens «spirituel » : elle n'est plus la verge du thaumaturge (c’est-d-dire en fait une baguette magique). Elle indique, dans le prolongement du « baton @autorité » des Anciens et de la uindicta des rites juridiques, le pouvoir efficace de Dieu sur les vivants, les morts et les choses. Elle est en particu- lier signe de ce pouvoir en deux sens fondamentaux : symbole de libéra- tion des forces du mal en général, et symbole du pouvoir sacramentel donné par Dieu a son Figlise. Tl faut assouplir et nuancer Pidée que Yon se faisait jusqu’ici de la wirga. Lévolution de la wirga a partir du rvé siécle confirme la signification que nous avons dégagée. Dans l'art d’époque byzantine, en effet, la baguette disparait, 4 Pexception de celle des anges. On assiste d’ailleurs das le 1v® siécle A une certaine récession de la baguette, en particulier & Rome et dans les Gates. Il y a alors des sarcophages ott toutes les scénes A baguette traditionnelles, y compris Je miracle de la source et Ja résur- rection de Lazare, sont résolument représentées sans la wirga**’, Au ive sidcle, sur les sarcophages, environ un quart des résurrections de Lazare sont représentées sans baguette, Par ailleurs, avant de disparaitre complé- tement, la baguette se transforme. On la voit transformée en sceptre dans la résurrection de Lazare au rv® siécle, ainsi que sur un ivoire de Lucerne que 1’on situe entre le vr? siécle et le virr®®58, et pour lequel il faut certaine- ment choisir la date la plus basse a cause de l’existence méme de la baguette. Ailleurs encore, c’est la croix qui remplace la baguette, comme sur un diptyque d'ivoire de Ravenne ot, dans la guérison de l’aveugle, d'un possédé, du paralytique, et dans la résurrection de Lazare, le Christ tient dans la main gauche wne croix de procession de 1a méme fagon qu'il portait jadis la baguette, tandis qu’il fait dans la direction du malade un geste de la main droite®®*, On a 1a une équivalence entre la wirga et la croix que l’on a déja rencontrée chez les Pares®®?, Que la wirga ait ainsi été templacée par un sceptre ou par la croix confirme bien qu’elle était symbole du pouvoir, et plus particulitrement du pouvoir rédempteur du Christ, et que ces deux composantes étaient demeurées vivantes dans Yesprit des chrétiens méme & époque tardive, La wirga disparait vers le 257. DEICHMANN, 45. 258. B, Micnon, Bassins chrétiens, pl. 3, t. Ravenna, Avori, 1956, fig. 120, 12x (7) Autres exemples au VI° sidcle, 0. M, Danton, Catalogue of early Christian Antiquitics, pl. XI (296). De méme, dans une apparition, saint Martin tient une croix dans la main 1a oft Gamaliel avait la uirga: Gruc, TVR. de virlutibus Mavtini, 2, 56 (Script. ver. merov. I, p. 628, 17); 3, 23 (p. 638, 28). Cest cette croix qu’on voit représentée aussi dans les mains de saint Nectaire sur un chapitean de l’église Saint-Nectaire en Auver- ge. 259. Reproduction dans F, VANDER MEER-Chr, MOHRMANN, Aflas..., p. 112, flg. 334- 260, ef. p. 7. 38 MARTINE DULAEY vie-vit® sidcle, parce qu’elle cesse d’étre nécessaire, étant remplacée par autres termes iconographiques. Il est surtout frappant de remarquer qu'elle disparait en méme temps que la windicta du rituel juridique ; celle-ci était sans doute son principal point d’appui, et sans elie, la uirga devenait incompréhensible. La disparition parallle de Pobjet et du symbole souligne bien A quel point le symbole de la wirga était lié A la société antique. Martine Dutary Provenance des Planches : 1, 2 et 3, Pontificia Commissione di Archeologia, Rome; 4, Alinari, Florence, Un jeu de mots chez Lactance (Diuinae Institutiones, IIT, 8, 10) Le sous-titre du troisitme livre des Institutions Divines de Lactance, De la fausse sagesse, indique assez quel en est objet : « présenter la philo- sophie dans sa vanité et dans sa fausseté pour que, toute erreur enfin dissipée, la vérité se découvre avec éclat! », Aprés quatre chapitres consa- crés a Ja possibilité pour ’homme d’acquérir une connaissance certaine, Lactance croit pouvoir renvoyer les philosophes dos 4 dos : « Sil est faux que tout puisse se savoir, comme l’ont pensé les physiciens, et que rien ne le puisse, comme Pont dit les néo-académiciens, c’en est fait de toute philosophie® ». La morale, que Iactance considére, avec un grand nombre de philosophes anciens, comme la partie essentielle de la philosophie, pose de multiples problémes qu'il n’est pas nécessaire d’examiner un un. Lactance prend de la hauteur et se borne a étudier 1a question principale, cle pivot, en somme, de toute philosophie’ », celle du souverain bien. La multiplicité des opinions est décourageante : « dans une telle diversité, qui suivet ? » Lactance va donc passer en revue les diverses théories et Jes réfuter successivement. Tout d’abord, il s’attaque aux hédonistes. Aristippe, a son avis, ne mérite pas méme une réponse : en plagant le souverain bien dans le plaisir, il s'est ravalé au rang de Pane, du pore et du chien’, Le ton injurieux de cette premiére réfutation fait place A Pironie quand Lactance attaque une seconde catégorie d’adversaires : ceux pour qui le souverain bien consiste en l'absence de douleur. Qu’est-ce qu'un souverain bien procuré par un médecin ? Faut-il done d’abord souffrir pour jouir de ce bien, et méme souffrir davantage pout jouir davantage ? r. Lact, Dia, Inst., IIT, 2, 1: ¢ Huius libri munus est philosophiam quoque osten- dere quam inanis et falsa sit, ut, omni errore sublato, veritas patefacta clarescat. » 2. Lact., Diu, Inst., IL, 6, 20: ¢ Quare, si neque omnia sciri possunt, quod physici putauerunt, neque nihil, quod Academici, philosophia omnis exstincta est. » 3. Lact., Diu. Insi., IL, 7, 7 : ¢...in quo totins sapientiae cardo uersatur. » 4. Lact, Diu, Insi., TIT, 7, 9: «in tanta dinersitate, quem sequimur 7 + 5. LACK, Dit, Inst,, IIT, 8, 6-10, 40 ALAIN GOULON Crest 14 un point de vue de malade en proie a la souffrance®! Le sens général de la réplique apparait clairement. La premiére phrase pourtant a embarrassé traducteurs et commentateurs qui n’en ont peut-étre pas toujours discerné tous les aspects. Lactance écrit en effet : Priuationem doloris summum bonum putare non plane Peripateticorum aut Stoicorum, sed clinicorum philosophorum est. Ces clinic philosophi ont passablement intrigué les premiers éditeurs qui ont cru pouvoir corriger clinicorum en cynicorum. Certains manuscrits pouvaient justifier cette substitution : Pérudit Johan Wilhelm (Janus Gulielmius) en avait eu un Asa disposition qui portait clynicorum?, leon également donnée par le manuscrit de la bibliothéque de Gotha, I, 55 {g de l’édition Brandt dans le CSEL)® ; le manuscrit 1664 de la Bibliothéque Nationale de Paris (S$ de l’édition Brandt) indique chinicorwm®. Mais cette lectio facilior aboutit 4 une phrase sans relief et totalement dénuée d’inté- rét. « D’estimer que Je souverain bien soit privation de douleur », tra- duisait René Fame, « ce n’est pas pleinement Popinion des Péripatétiques et Stoiques : mais des Philosophes Cyniques »!°. anonyme dont Buchon a édité la traduction suit aussi la legon cynicorwm mais il modifie cette 6, Lacr., Diu. Inst, IIT, 8, 10-13. 7. Ce philologue allemand, né & Liibeck en 1554 et mort & Bourges en 1584, a publié a Paris en 1583 un Plautinarum Quaestionum Commentarius, «in quo omnes ordine M. Plauti comoediae, tum multa ueterum scriptorum, poetarum inprimis, et M. Tullii loca uarie illustrantur, corriguntur, agentur, L’ouvrage de Gulielmius a été repris dans le Lampas, sine fax avtium libevalium, publié pax Grater 4 Francfort en 1604, Tome ILI (le passage qui nous occupe se situe aux pages 405-406). Le cha- pitre 1v de I'Inm Menaechmos quaestiones est consacré & six passages de Lactance (Dit. Inst., I, 6 ; U, 4; UT, 4; IIT, 8 ; V, 2; V, 20). Le codex utilisé par Gulielmius Portrait clynicorum, « sola ratione scribendi pecans » (p. 189). Gulielmius, en effet, soutient la lecon ¢ clinicorum philosophorum », C’est A Ini que nous devons le retour & 1a bonne legon, 8 Le manuscrit g comporte quelques variantes orthographiques : ¢ Priuationem doloris sammum bonum putare non plane peripatheticorum aut stoycorum sed clynicorum philosophorum est, » Un annotateur du manuserit n’a visiblement rien compris a la phrase ; il a, en effet, écrit dans la marge : « Priuatio doloris secundum peripateticos, stoicos et elynicos est summum bonum » | 9. ‘Ce manuscrit comporte des parties anciennes, probablement du xII° sitcle, et des parties plus récentes, sans doute du xve sidcle, Tout le début du livre IIT, jus- qu’en 14, 12 a été écrit & cette période pius tardive ; nous avons pu constater qu'il contient de multiples erreurs pour ce passage ; aussi Brandt a-t-il raison de n’en tenir aucun compte, — On trouve aussi la confusion inverse. Ainsi, dans PLIN., 25, 24, 60, il faut lire « spasticis cynicis » dans !'énumération des diverses maladies scignées par Vhellébore et non 4 clinicis », legon mentionnée par Forcellini dans son dictionnaire s.t. clinicus et suivie pat exemple par Baronius (Annales... in epitomen redacti opera H, Spoudani, Iutetiae, 1639, année 254, 9 & propos de Novatien), To. LacTace Fummxan, Des Divines Institutions contre les gentils et idoldtres, traduitde latin en frangois ...par René Fame, A Lion, par Jean de Tournes, 1555, P. 206. Cette traduction a été aussi éditée A Paris en 1546 ct 1581 et A Lyon en 1547 et 1587, « Nonnumquam lepide uertit » dit Biinemann (édition de Lactance, Leipzig, 1739, N° 38 de la préface) ; nous soucrivons volontiers 4 ce jugement. UN JEU DE MOTS CHEZ LACTANCE 4i phrase dont il pergoit V'inutilité et ne mentionne pas les stoiciens!. Mieux vaut done s’en tenir a la lecture donnée unanimement par les plus anciens manuscrits, telle que nous I’avons citée ci-dessus!2. Notre surprise reste entiére de voir cette opinion sur le souverain bien attribuée a des disciples d’Aristote ou a des philosophes du Portique qui auraient ainsi, en partie tout au moins (non plane), démenti leur secte. Lactance, en effet, vient Ini-méme de rappeler que les péripatéticiens mettaient le souverain bien a la fois dans les biens de l’Ame, du corps et de la fortune tandis que Zénon le voyait dans une vie conforme a la naturel, Lactance songe-t-il & des philosophes précis ou formule-t-il une pensée générale ? On peut, semble-t-il, identifier les péripatéticiens ici visés, Au chapitre précédent, Lactance a cité Diodore « qui a mis le souverain bien dans l'absence de douleur » et Higronyme qui I’a vu « dans Je fait de ne pas souffrir! », On sait combien Lactance est redevable a Cicéron de ses connaissances philosophiques. Or, dans les multiples cata- logues d’opinions sur le souverain bien qu’on trouve dans les Académiques, les Tusculanes et le De finibus, ces deux philosophes sont classés parmi les péripatéticiens ; Cicéron, d’ailleurs, s’en étonne et il remarque notam- ment qu’avec de telles opinions sur le souverain bien, ils ne devraient pas 11. ¢ Il appartient aux cyniques plutot qu’aux péripatéticiens de faire consister le souverain bien dans l’exemption de 1a douleur, » Cette traduction anonyme qui prend de grandes libertés avec le texte est probablement du xvite giécle et elle pro- vient de Vabbaye de Saint-Victor. Buchou I'a éditée dans son Choix de Monumens primitifs de Eglise Chrétienne (Paris, Société du Panthéon Littéraire, 1843), Notre passage se trouve p. 560, — La traduction de W. FinrcHer (Ante-Nicene Fathers, VII, p. 75) suit le texte que nous avons donné sans y ajouter de note ; Sister M, F. Mcbowatp (The Fathers of the Church, 49, p. 179) fait de méme et renvoie au texte de Cyprien, Ep. 69, 16, sans plus, 12, Si Yon excepte le manugerit B (Bologne 7or) qui contient I’erreur manifeste *peripaticorum, et le manuscrit g dont nous avons donné le texte ci-dessus, l'accord est parfait. — Mentionnous encore la correction de plane en plano suggérée par Janus Gulielmius pour former le mot nouveau planoperipateticorum, « ut noua compositione uerbi, inconstantiam disserendi et simul etraticam ambulationem Aristotelicorum exagitarit » (p, 189), planus (nhévos) ayant le sens de vagabond comme dans Pétrone, 82. Sans doute Gulielmins a-t-il raison de voir un jeu de mots dans peripa- teticorum, mais ce jeu se limite au sens étymologique et ne porte pas sur |’ inconstan- tia disserendi ». De plus, peripateticorum devant aussi s'entendre au sens propre (cf. ci-dessous p. 42) plane prend un sens parfaitement acceptable; comme, de sur- croit, la tradition manuscrite le confirme, il est vain de le corriger. — Biinemann sup- prime philosophorum (édition de Lactance, p. 308) mais au mépris de Ia tradition manuscrite. Or, il y a dans le rapprochement inhabituel de clinicorum et de philoso- phorum la vision cocasse, bien dans le gofit de Lactance, de philosophes jouant le rale des disciples d’Hippocrate, ou si l'on préfére, de médecins f'ayant pour tout reméde que la bonne parole philosophique (cf. ci-dessous p. 54 etn 83). Sil’on donne, @autre Part, & clinicus le seus de ¢ grabataire », il est naturel que cet adjectif se rapporte A um nom, 33. Lact, Dis, Inst., IIL, 7, 7-8. 14. Ibid. : « Diodorus in prinatione doloris symmum bonum posuit, Hieronymus in non dolendo », 4 ALAIN GOULON étre tents pour des disciples d’Aristote!5, Plus précisément, dans le passage des Académiques que Tactance semble avoir particulitrement en mémoire, Cicéron réunit Diodore et Higronyme en les déclarant « tous deux péripa- téticiens 1), Lactance vise donc probablement, non une catégorie générale mais des philosophes précis et il s'étonne, avec Cicéron, qu’en dépit de leur désaccord sur une question si importante, on les considére comme aristotéliciens. En revanche, on voit mal A quels stoiciens pourrait songer Lactance. Aucun des philosophes tant soit peu rattachés 4 la doctrine du Portique et cités au chapitre précédent ne voit le souverain bien dans l’absence de douleur. Lactance n’interpréterait-il pas 4 contre-sens PdnéBe1a stoi- cienne ? Harloff en a formulé Phypothése!’. Généralement employé dans la langue philosophique pour signifier Pimpassibilité du sage, ce terme est en effet susceptible — étymologiquement — de désigner aussi l’absence de douleur!’. Harloff n'a pas signalé un indice de cette possibilité. Le texte des Académiques auquel nous faisions allusion ci-dessus mentionne préci- sément ce concept d’dndQeva A propos de Pyrrhon, immédiatement cité aprés le stoicien dissident Ariston de Chios!®. Lactance, qui avait sans doute cette page cicéronnienne a l’esprit, a peut-étre commis une méprise. Mais elle est grosse et I’indice reste faible. Lactance pouvait-il se tromper A ce point, et prendre Pyrrhon pour un stoicien, méme hérétique ? 15. Cicéron revient & plusieurs reprises sur l'affirmation que, pour Higronyme, finis ill widetur nihil doleve. (Fin., II, 3, 8; 5, 16; 6, 19; 10, 325 13, 4; Vs 7, 20; Tusc., IL, 6, 15 ; V, 30, 84 ; 31,87; 41, 118; Ac., IT, 42, 13), Ile rapproche méme @’Epicure pour cette raison (Fin., II, 6, 15). — Cieéron, en revanche, précise bien — ce que Lactance néglige ici de faire — que Diodore voyait le souverain bien dans Vabsence de douleur jointe & la moralité (Tusc., V, 30, 85 ; Fém., IL, 6, 19; 11, 343 Ac., II, 42, 131). — Diodore est expressément appelé péripatéticien : De or., I, 11, 45 3 Tusc., V, 30, 85 ; Hiéronyme aussi : Orat., 56, 190. — Pour Yun et pour l'autre, Cicéron s’étonne de leur qualité de péripatéticiens : (Hieronymus) « quem iam cur Peripateticum appellem tescio. Summum enim bonum exposuit uacuitatem doloris, Qui eutem de summo bono dissentit, de tota philosophiae ratione dissentit... (Diodorus) adiungit ad honestatem uacuitatem doloris. Hic quoque, ut Hieronymus, suus est ; de summo bono dissentiens, dici uere Peripateticus non potest. » (Fin., V, 5, 14). Il essaye pourtant de voir dans quelle mesure cette position peut se rattacher & celle des aristotéliciens : « Positum est a nostris (= peripateticis) in iis esse rebus quae secundum naturam essent non dolere ; hoc Hieronymus summum bonum. esse dixit. At uero Callipho et post eum Diodorus, cum alter uoluptatem adamauisset, alter uacuitatem doloris, neuter honestate carere potuit, quae est a nostris Iaudata maxime. »— La position de Cicéron est donc plus nuancée que celle de Lactance qui a simplifié pour grossir les effets (Fin., V, 25, 73). 16, Cre., Ac., II, 42, 131 : ¢ Ambo hi peripatetici ». 17. W. Har1orr, Untersuchungen su Lactantius, Leipzig, 1911, p. 24 : « Den Stoi- kern Sclimerzlosigkeit als Lebensideal zuzuschreiben, ist doch eine arge Missdeutung der stoischen Lehre von der Apathie. 18, Voirle Thesaurus d'Etienne, T. IT, col. 1134 ; Séneque (Ep. 1, 9, 2) dénonce aussi Vambignité du mot grec dméGera et de sa traduction latine inpatientia, 19. Cie., de., II, 42, 130 : « Huic summum bonum est, in his rebus neutram in partem moueri ; quae é8tagopia ab ipso dicitur. Pyrrho autem, ea ne sentire quidem sapientem, quae énéOeia nominatur. » UN JEU DE MOTS CHEZ LACTANCE 43 Peut-étre Lactance obéit-il 4 un enchainement de mots quasi mécanique, Jes stoiciens étant immédiatement cités aprés les péripatéticiens, Cicéron présente quelques exemples de ce regroupement, dont il indique la raison : selon lui, les stoiciens disent souvent la méme chose que les disciples d'Aristote en se contentant de modifier le vocabulaire®°, En tout cas, a la différence du groupe des peripateticorum, celui des stoicorum dans notre texte ne paraft pas correspondre A un contenu défini, Le mot pourrait ainsi ne posséder guére qu’une valeur de concinnitas destinée par Lactance 4 allonger le premier membre de l’antithése pour mieux en faire attendre le second. Car lessentiel est ici l'antithase entre peripatetic: et clinici ou, plus exactement, entre les éléments étymologiques de ces deux noms, entre Ja marche, nepinatoc, et le lit, kAivn. Estimer que le souverain bien soit Pabsence de douleur, veut dire Lactance, n’est pas une opinion de gens bien portants mais une opinion de malades (ou de médecins). Il y a longtemps, déja, que Biinemann a remarqué limitation assez claire que Lactance fait ici d’une lettre de Cyprien 4 Magnus of les deux termes se trouvent opposés, si bien que le sens général de notre passage ne fait aucun doute”, Toutefois, pour mietx le préciser et mieux apprécier les intentions et Voriginalité de Lactance, examinons quelques instants son modéle. Deux questions relatives au baptéme ont été posées par Magnus A Lévéque de Carthage. Faut-il tout d’abord baptiser 4 nouveau les héré- tiques, notamment ceux qui abandonnent le parti de Novatien, lorsqu’ils reviennent a l'Eiglise catholique ? On connait la réponse fermement posi- tive de Cyprien et les prolongements de cette affaire qui faillit amener 20. Cic., Tusc., IV, 3, 6:4 Itaque illius werae elegantisque philosophiae, quae ducta a Socrate in Peripateticis adhuc permansit et idem alio modo dicentibus Stoicis... » ; Nat. deor., I, 7, 16 : « Antiocho enim Stoici cum Petipateticis re concinere uidentur, uerbis discrepare » ; Fin., V, 25, 74: « Ei quidem (= Stoici) non unam et alteram rem a nobis, sed totam ad se nostram (c'est Pison, le péripatéticien, qui parle) philo- sophiam transtulerunt ; atque, ut reliqui fures carum rerum quas ceperunt signa commutant, sic illi, ut sententiis nostris pro suis uterentur, nomina tantum rerum notas mutauerunt. » Voir aussi Fin., V, 8, 22 et Ac., IT, 5, 15. Evidemment, 1a thése est contestée par les personnages stoiciens des dialogues, ainsi Caton dans le De finsbus (LV, 1, 2) et Balbus dans le De natura deorum (I, 7, x6) ; exemple de rapproche- ment : Fin, IV, 4, 10. 2x. Lactantr Opera omnia, édition I.L, BUENEMANN, Leipzig, 1730, p. 308. — Cyrr,, Ep., 69, 16, 2 (6d. Harter, CSEL, 3, 2, p. 763 ; éd. Bavarn, Paris, Belles Lettres, T, IT, p. 252). ¢ Nisi si iustum quibusdam nidetur ut illi qui extra Ecclesiam apud aduersarios et antichristos profana aqua polluuntur baptizati indicentur, bi uero qui in Ecclesia baptizantur minus indulgentiae et gratiac dininae consecuti esse uideantur, et tantus honor habeatur haereticis ut inde uenientes non interrogentur utrumne loti sint an perfusi, wtrumne clinici an petipatetict : apud nos autem de integra fidei ueritate detrahitur et baptismo ecclesiastico maiestas sua et sanctitas dero- gatur, » 44 ALAIN GOULON une rupture entre PFiglise de Rome et les Eglises d'Afrique”. La seconde question porte sur Ja valeur du baptéme des malades que leur état 1’a pas permis d’immerger dans la piscine baptismale (lofi) et que Pon a simplement aspergés (perfusi)®®, On jugeait ordinairement que ce baptéme avait une valeur moindre : le symbolisme du rite paraissait incomplet®4, mais surtout on voyait un calcul ou un manque de foi dans ce baptéme différé jusqu’A Pheure de la mort et ainsi demandé sans préparation suffisante®®, Cyprien, tout a I’heure si net pour refuser toute validité au baptéme des hérétiques, prend ici une attitude plus souple, « Le sacrement de salut n’efface pas les souillures des péchés de la méme maniére que le bain corporel et profane fait disparaitre les souillures de la peau et de la chair®® »L’aspersion vautle bain si elle se fait dans ’Figlise et si celui qui donne le baptéme et celui qui le recoit ont une foi pleine et entiére. Aussi n’est-ce pas sans agacement que l’évéque s’en prend au terme savant de « cliniques » que certains ont emprunté aux médecins grecs Hippocrate et Soranos pour désigner ces baptisés par aspersion auxquels on refuse le nom de chrétiens. Dans l’Eglise, Cyprien ne connait qu’un seul « clinique », le paralytique del’Evangile®”, L’évéque s’irrite contre cette intrusion dans la théologie d’un vocabulaire pseudo-technique qui fait passer l’accessoire avant l’essentiel, la perfection du rite avant la perfection de la foi. Quelle inconséquence d’accepter le baptéme des hérétiques, de ne pas leur deman- der s’ils sont « cliniques » ou « péripatétiques », tandis qu’on dénie au baptéme de I’Figlise sa grandeur et sa sainteté® ! Iindignation contenue de Cyprien explique le jeu de mots. Clinici a entrainé peripatetict ; au mot grec et savant répond un autre mot grec et savant. Peripateticus 22. Voir D.T.C.,'T. II, col. 219-233, art. « Baptéme des hérétiques », (C. BARurtIn) et Dict. Hist. Géog. Ecol, T. XIII, col. 1152-1154, art. « Cyprien de Carthage » (G. Barpy), Ce dernier article comporte un jugement nuancé sur attitude du pape Etienne, des évéques d’Asie et de Cyprien iors de cette pénible affaire (col. 1159). Voir aussi J. Danrirou — HI, MaRRou, Nouvelle Histoire de 'Eglise, ‘T, x, Des ovigines & Saint Grégoire le Grand, Paris, Rd. du Seuil, 1963, p. 234-236. 23, CVPR, Ep., 69, 12, 1: ¢ Quacsisti etiam, fili carissime, quid mihi de iilis uidea- tur qui in infirmitate et languore gratiam Dei consecuntur ; an habendi sint legitimi christiani, eo quod aqua salutari non loti sint sed perfusi. » 24. Voir Dist. de Spirit. T. I, col. 1218. 25. Volr D.T.C., "I. II, col. 209-210. 26, CvPR., Ep., 69, 12, 2: ¢ Neque enim sic in sacramento salutari delictorum con- tagia ut in lanacro caruali et saeculari sordes cutis et corporis abluuntur. » La tra- duction citée est celle du chanoine Bayard. 27. Cyrr., Ep., 69, 12-13 ; Cyprien fait erreur : Matthieu (9,2) et Lue (5, 18) ne connaissent pas ie mot, iis disent seulement que le paralytique se trouvait &ni kAivng. Baronius (Annales... in epitomen redacti opera H. Spondani, Paris, 1639, année 254, 9) pense que Cyprien songe au malade de la piscine Bethsaide, paralysé depuis trente-huit ans (Io, 5, 1-15). En fait, Jean ne Vappelle pas 6 klavixdg mais 6 doOnvév. Le mot KA(vn apparaissant dans l’épisode du paralytique de Carphar- naum, c’est sane doute ce dernier que désigne Cyprien dont I'intention, en tout cas, est claire : il veut montrer par !"Fivangile qu’il y a des « cliniques » pleins de foi. 28, Voir n, 21. UN JEU DE MOTS CHEZ LACTANCE 45 regoit ainsi essentiellement une acception étymologique et désigne celui qui marche. On y chercherait en vain une allusion @ la doctrine aristotéli- cienne, il évoque tout au plus la philosophic profane, la sagesse de Phomme venant indiiment se glisser au milieu des choses de Dieu. Cyprien n’était pas le premier & jouer ainsi sur le sens étymologique de peripateticus. I avait pu lire dans les Lettres a Lucilius de Séneque ce mot d’esprit de Mamercus Scaurus : on lui demandait la secte du philosophe Ariston que l'on voyait toujours en lititre : « En tout cas », répondit-il, «il n’est pas péripatéticien®® », Aprés Lactance, on retrouvera encore ce jeu de mots chez Paulin de Nole. Ce dernier écrit 4 Jovius, un de ses parents qui possédait une riche bibliothéque ot Cicéron, Démosthéne, Platon, Caton, Varron voisinaient avec quantité d’auteurs paiens dont Paulin ignore méme le nom. Pour lire ces auteurs et s’adonner A la philo- sophie profane, Jovius se trouve toujours du temps libre. Il n’en a jamais pour étre chrétien®®, Paulin l’invite 4 renverser cette situation, A se faire le philosophe de Dieu. La pensée se condense alors en une sententia un peu énigmatique : « Sois péripatéticien pour Dieu, pythagoricien pour le monde. » Mais Patilin commente aussitét sa pensée : « Prédicateur de la véritable sagesse qui est dans le Christ, enfin muet pour tout ce qui est vanité, évite la pernicieuse douceur que tu trouves aux lettres profanes *1.» Peu de doute reste possible : étre péripatéticien pour Dieu, c’est se déplacer pour précher la véritable sagesse, celle du Christ ; étre pythagoricien pour le monde, c’est s'en retrancher et garder ces cing années de silence que Pythagore, dit-on, commengait par imposer a ses disciples®?, Faut-il aussi entendre peripateticus au sens propre ? Il semble plutét que le mot veuille SEN., Ep, 3, 29, 6: « (Aristo) qui in gestatione disserebat : hoc enim ad edendas operas tempus exceperat. De enius secta cum quaereretur, Scaurus ait ; « Utique, peripateticus non est » ! 30. PAUL, Not., Ep., 16, 6 : + Vacat tibi ut et philosophus sis, non uacat ut Chris- tianus sis. Verte potius sententiam, uerte facundiam. » Sur Jovius et la lettre 16 en général, voir Fare P,, Saint Paulin de Nole et lamilid chrétienne, Paris, 1949, P. 171-175 ; et du méme auteur, Les citations dans Ia correspondance de Paulin de Nolz, Publications de la Faculté des Lettres de I’Université de Strasbourg, fase. 105, Patis, Belles-Lettres, 1946, p. 25-28. 3. PauL. Not., Ep., 16, 7 : ¢ Esto Peripateticus Deo, Pythagoreus mundo. Verae in Christo sapientise pracdicator et tandem tacitus uanitati, perniciosam istam inanium dulcedinem litterarum... evita. » 32. Voir Grtz.., I, 9, 3-4: Pythagore commengait & imposer A ses disciples un temps de silence qui n’était pas le méme pour tons. D’aprés Cxiat., Strom. 5, If, 1; IAMBL., 71, 94 ; APUL., Flor., 15, cette période pouvait aller de trois a cing ans. ‘Trés souvent dans l’antiquité tardive on fait mention de ces aunées de silence dés que I’on parle des Pythagoriciens. Ainsi Lucien (Démonazx, 14) cite la parole du philosophe Sidonius : «Si Pythagore m'appelle, je garderai le silence » et la répartie d’un’ plaisantin dans Vauditoire : « Hé, Pythagore t’appelle ! » Allusion & ces cing années de silence dans Les sectes tsl'encan, 3 ; Hermotimus, 48 ; Le Songe, 4 ; ENNOD., p. 245, 8 Vog : « Solue Pythagoricam taciturnitatem » ; Suidas s.x. ovwmy (ces deux derniers exemples cités par OTr0, Sprichworter, p. 292); le contemporain de Paulin, Claudien, évoque Pythagore ¢ et ses années de silence » (Im F. Mallit Theodori consulatum, v. 157). 46 ALAIN GOULON ici simplement évoquer la philosophie qu'il est loisible A Jovius de cultiver, du moment qu'il I’« assaisonne » de foi et de religion®?, Ainsi, plusieurs exemples dans les lettres latines montrent qu’d I’époque de Lactance et méme postérieurement a lui, on garde encore vivace le souvenir de I’étymologie du mot peripateticus que donnait Cicéron et que répéte Aulu-Gelle®4, Dans les lettres grecques, Lucien offre de méme au moins un exemple de plaisanterie sur les philosophes promeneurs®, Lactance a-t-il également joué sur l’étymologie du mot stoicws ? Ne pouvait-il pas évoquer, dans le Portique qu’on y reconnait (otod), un liew ott l'on se tient debout ? A supposer, comme il est vraisemblable, que Tactance et ses contemporains latins n’y retrouvaient guére la racine Picrévar et de stare, le portique, en tout cas, le long des rues, le long des places ou dans les gymnases servait aux flaneries et aux promenades. Létymologie expliquerait ainsi la présence des stoiciens dans un contexte ot leur philosophie ne les appelait que fort peu®®, Malheureusement, si nous avons pu apporter plusieurs exemples de jeux de mots étymologiques sur peripatelicus, nous ne sommes pas A méme d’en faire autant pour stoicus®? | Toutefois, un certain nombre d’indices interdisent que l’on considére notre hypothése comme gratuite. Le gotit des anciens pour les plaisanteries sur les noms tout d’abord ; Cicéron leur trouve bien du piquant, quand, par exemple, on peut apporter 33- Pau. Not., Ep. 16, 6 : « Naim animi philosophiam non deponas licet, dum eam fide condias et religione. » — Nous avons trouvé une confirmation de notre fagon de voir dans la note de P.G. Watss, le dernier traducteur anglais de Paulin (Ancient Christian Writers, n° 35, Letters of St Paulin of Nola, I, Westminster Maryland, 1966 et London, 1967, p. 246) : « By the pun on ‘ Peripatetics ’, Paulinus means that Jovius should being a mere Aristotelician, but should travel to preach the Truth of Christ. He would become a‘ Pythagorean ° towards the world by espou- sing monastic life », Toutefois, il ne nous semble pas nécessaire de croire que Jovius fAt aristotélicien ni que le pythagorisme anquel le convie Paulin dit le mener jus- qu’ la vie monastique. 34. Cre, de. I, 4, 17: « Qui erant cum Aristotele Peripatetici dicti sunt, quia dis- putabant inambulantes in Lycaeo +; Guy, N.d., 20, 5 : (Azistote a donné a ses Jegons du matin et du soir les noms de gwOwoy et de devdv nepinatov) « utroque enim tempore, ambulans disserebat, » — On trouvera dans la R.E, Suppl. Bd VIT, col. 899-904, un article de K,O. BRINK of sont examinés tous les textes relatifs au nom des péripatéticiens. 35. Voir Lc. Démonax, 54 : « Rufinus de Chypre, je parle du boiteux, disciple d’Aristote, se promenait tris souvent dans le Lycée ; Démonax en le regardant : « Je ne trouve rien de plus laid, dit-il, que de voir boiter un philosophe de la secte des promeneurs » (trad. Talbot, T.I., Paris, Hachette, 2° édition, 1866, p. 533)- 36. C'est Uhypothése, semble-t-il, de Langlet-Dufresnoy, qui, aprés avoir indiqué comme source probable de Lactance la lettre de Cyprien 4 Magnus dont nous avons parlé ci-dessus, continue ; «... id est, wtrum disputantes ambulent ut peripatetic’ aut stoici qui in porticu solebant disserere » : Biinemann et Brandt n’avancent aucune hypothése pour expliquer 1a mention des stoiciens, 37. Nous avons en vain cherché ce jeu de mots chez les auteurs qui, 4 notre sens, auraient pu le faire, Lucien, Athénée, Sextus Empiricus, Plutarque, Diog’ne Lacrce dans le monde grec, et, chez les Latins, Cicéron, Horace, Perse, Juvénal, Sénaque, Quintilien, Tertullien, Arnobe, Aulu Gelle, Macrobe ete... UN JEU DE MOTS CHEZ LACTANCE 47 «une raison plaisante pour expliquer le nom que porte telle ou telle personne ». Ainsi, quand un homme chargé d’acheter les suffrages att Champ de Mars s'appelle Nummius, il est difficile de ne pas songer aux nummi qu'il distribue®®, Si les plaisanteries étymologiques s’exercent sur toute sorte de noms®, ceux des philosophes, plus précisément, sollicitent, par exemple, Pimagination d’un satirique comme Lucien. « Il y a de Lor dans cenom-la», dit-il en parlant de Chrysippe*®. Quand les poissons qu'il prend sont censés représenter des philosophes, le poisson plat qu'il péche (Ondmharos) se déclare platonicien!, On sait les jeux de mots auxquels préte le nom des Cyniques#. Celui des stoiciens donne lieu, au moins en deux endroits, a des déformations d’intention satirique. Hermias de Curium, selon Athénée, aurait déformé Ztankoi en Urbaxes pour stigma- tiser Phypocrisie de ces philosophes#®, Juvénal présente un stoicidae ot Von reconnait le suffixe gree — {81¢, et qui signifie sans doute « les fils du Portique »*4, La composition de ce mot, forgé par I’auteur, montre clairement qu’il a conscience cle l’étymologie grecque de stoicus, On sait, en effet, que les disciples de Zénon, d'abord appelés zénoniens, regurent par la suite appellation de stoiciens ; le Portique Pécile, Dtod Tloikiin, construit sur agora a P’époque de Cimon et orné de peintures de Polygnote, de Panainos et de Micon, leur avait donné leur nom. Cest 1a, dit Diogdne Laerce, que Zénon « discourait en se promenant'® ». Cette étymologie continuera longtemps & étre percue et méme certains auteurs comme Athénée emploient rarement l¢ mot de stoiciens et préférent 38. Cic., De o., IL, 53, 257 : « Etiam interpretatio nominis habet acumen, eum ad ridiculum contertas quam ob rem ita quis uocetur ; ut ego nuper ; Numnium diudsorem, ut Neoptolemum ed Troiam, sic illum in Campo Martio nomen inuenisse. » 39. Voir, par exemple, dans Athénée (Deipn,, XIII, 585 f) le mot spirituel de Lais a un amonrenx ayare qui lui disait : «Tu es la petite Aphrodite de Praxitéle », et qui lui répondit : « Et toi, 1'iros de Phidias », jouant ainsi sur MpakiréAng (qui retire un, gain) et sur geidouai (épargner) 40. Ive, Pise., 51. 4t. Lve., Piso., 49. 42. Iwe., More. Cond., 33-34 : Un digne philosophe stoicien a été prié par la jeune femme dont il est au service de s'occuper d’une petite chienne : « Je n’ai qu'une seule chose & reprocher & notre philosophe, déclare uu jeune homme, clest que de stoicien, il s'est fait cynique » ; LvC. Dial. mort., 21 : Ménippe se déclare parent de Cerbére en sa qualité de chien ». Chez Athénée (Deipn., I, 2d), un philosophe cynique s’appelle Cynulque (Tire-Chien) ete. Le Livre VI tout entier de Diogéne Laérce est rempli de ces plaisanteries. Tis s’agit bien d’un jen de mot étymologique et non d'un simple rapprochement puisque le nom de la secte vient du gymnase appelé Cynosarge (Diogéne Laerce, VI, 13). 43. Ati. Deipn., XIII, 563 ¢ : il s'agit de la substitution d'une étymologie & une autre. Au liew de reconnaitre ici otod, fe portique, on déconvre otha, penem evigere, ct une allusion aux moeurs débenchées prétées A ces philosophes. 44. Ivv., Sat., IL, 65. 48. Dios. Lazr., VIL, 5. 48 ALAIN GOULON employer une périphrase ot apparait le portique!®, Les Latins, deméme, ont parfois recours au mot « porticus » pour désigner I’école. Ainsi Horace, Cicéron et Lactance lui-méme qui percevait donc encore trés nettement Pétymologie de stoicus!?, Or, le portique, essentiellement dans le monde grec, mais aussi chez les Latins!8, était un Hen de promenade oi les philosophes, notamment, aimaient déambuler*®. Si ces édifices pouvaient étre disposés en plusieurs endroits de la cité5°, on en trouvait aussi dans les gymnases, Vitruve nous a laissé une description théorique de ce genre d’établissement ; il précise méme que trois des portiques qui entourent les palestres doivent étre flanqués de salles pourvues de bancs destinés aux philosophes et aux rhéteurs ainsi qu’aux autres gens d’études®. Ainsi, le mot « portique » pouvait & la fois évoquer Pétude, la promenade et méme les exercices physiques. En jouant sur l'étymologie, Lactance pouvait donc, au travers de lécole philosophique proprement dite, suggérer par le mot stoicus la santé de philosophes « sous leur portique ». Comme au surplus on voit mal comment sfoicorum peut s’entendre au sens propre, que peripateticorum comporte certainement tm jet de mots. et que les deux groupes de philo- sophes sont, ensemble, opposés aux clinici, il est fort probable qu'il l’a effectivement fait. Mais qui sont précisément ces clinioi philosophi ? Le nom indique quelque rapport avec l’alitement. S’agit-il des malades ou, au contraire, des médecins ? Le mot posséde, en effet, les deux acceptions et, si le texte de Cyprien cité plus haut invite 4 préférer la premigre, Pauteur de Particle 46. Ata., Deipn., XIL, 549 d:Moce8dviog ... 6 atwtxds en face de IV, 151e ; 176b ; VI, 263¢ ; VIIT 333¢ : MooetBaviog Bf 5 dnd tii otods ; IIT, ro3b: ot d’ev tf ovod ; VI, 233b: Ziivav 68 6 dnd tii¢ otodc ; VII, 281 © sry dnd Tig totic; TH, 104b: rv se hg nouKihng otoas Aoyapiav; VI, 274: tv ex Thc otOtic SOYHATOY IV, 211b: tig dnd tig otods hOyoIs; voir d'autres textes dans R.E., IV, A x, col. 4t. 47. Hor., Sat., IT, 3, 44 : « Chrysippi portions et grex » ; Crc., Frag. philos., 20: + Clamat Zeno et tota illa porticus tumultuatur »; lc., IL, 24, 73:«Chrysippum qui fulcire putatur porticum Stoicorum », ce passage est cité par Lact., Diu, Inst., VIL, 23, 3: ¢Chrysippus, quem Cicero ait fulcire porticum Stoicorum. » 48. Voir R.E., IV, A 1, col, 1-40 (HOBEN) ; DAREMBERG-Sacrdo, art, « Porticus », T.4, 1, p. 584-586; LAvuDAN P., Dict. illustré de la Mythologie ot des Antiquités Grecques et Romaines, Paris, 193, p. 777-778, att. ¢ Portique », 49. Ainsi, le Portique Pécile n’était pas iréquenté par les seuls stoiciens ; Lucien en fait le leu de réunion de tous les philosophies, 18 o8, par exemple, Zeus pourra assister & une discussion sur la Providence entre un épicurien et un stoicien (Iup. Trag., 16). C'est 18 que les philosophes — ou la philosophie personnifige — «se prominent » (Pise,, 13 : av tf TlowtAy... nepinariioure ; voir aussi id., 16 et Icaro- ménippe, 34). Méme alliance de mots au début de I'Eloge de Démosihine du Pseudo- Imucien : ¢ Je me promenais sous le Portique... ». 50. Dabord probablement annexe d’un temple, le portique devint rapidement Vélément architectural essentiel de la place publique. A l'époque hellénistique, on prend méme I'habitude de border de portiques les deux cdtés d’une rue comme on peut le voir & Délos. Voir LAVEDAN, p. 777. 51. Vite, Arch., V, 11. UN JEU DE MOTS CHEZ LACTANCE 49 clinicus du Thesaurus Linguae Latinae choisit celle de médecin™. L,’histoire du mot permet-elle de résoudre cette ambiguité ? D’emploi généralement limité — on ne trouve pas d’exemple avant la période impériale tant du mot latin que de son correspondant grec KAwiKdg — a une époque et dans une langue donnée tout au moins, clin cus a peut-étre connu une certaine extension puisqu’on le trouve deux fois dans les catalogues des notes tironiennes®?, La médecine clinique, en tout cas, dans laquelle le médecin visite les malades de lit en lit en prescrivant ses ordonnances, remonterait 4 Hippocrate, selon Pline l'Ancien qui cite Varrou. Les malades guéris par Hsculape, raconte-t-il, inscrivaient sur des ex-voto, dans le temple du Dieu 4 Cos, le traitement qui leur avait été salutaire, Hippocrate recopia toutes ces indications, mit le feu au temple pour détruire les originaux et se trouva ainsi seul en possession d’un art dont les gains furent désormais sans limite®4, Ia médisance qui inspire cette I¢gende continue d’inspirer la verve des satiriques®®, Martial s'en prend & la fille du clinicus Sotas : elle a abandonné son mari pour en suivre un autre a qui efle donne son argent et sa personne. C’est 14 un gaspillage indigne de la fille de Sotas®, La cupidité est encore ce qwil reproche au clinicus Hérodes, qui avait soustrait une coupe 4 Pun deses malades sous prétexte de l'empécher de boire®?. Ces clinici ne sont pas toujours d’habiles médecins ; ainsi ce Diaulus, jadis chirurgien, qui s'est fait croque-mort : on devient cliniews comme on peut®® | Martial joue ici sur le double sens de «Aivn qui peut aussi signifier le brancard sur lequel on transporte les morts®®, L’Anthologie Grecque nous a transmis un jeu de mots analogue sous le nom de Nicarchos : le KAwtkdg Marcos a touché hier Ja statue de 52. T.L.L., s. u. clinicus, t b, ¢ speciatim de medico », avee Ia référence & notre texte des Institutions Diuines. 53. G. Scumitz, Commentarit Notarum Tironianarum, Lipsiae, 1893, Tab. 57, 90 et 66, 77. 54. PLU, Nat. hist., 29, 2, 4. Nous connaissons une de ces recettes gravées dans le temple d’Esculape & Cos par Prrn. Ibid,, 20, 264: il s’agit d'un antidote contre les animaux venimenx, Pline fait encore une bréve allusion & la médecine clinique en 30, 98 : «im quartanis, medicina clinice propemodum nihil pollet. » — Hygin (ch. 274. « Quis quid inuenit ») attribue Pinvention de la médecine clinique & Asclépios ; il la distingue soigneusement de la chirurgie, de VYophtalmologie et de Vobstétrique. 55. Strabon donne une version du fait moins tendancieuse : Hippocrate se serait contenté d’étudier les guérisons miraculeuses relatées dans le temple (14, 657). 56. Marv, IV, 9: « Sotae filia clinici, Labulla, / deserto sequeris Clytum marito, / et donas et amas : Berg dodruc. » Les mots grecs peuvent signifier ; ¢ tu es indigne de Sotas » ou « tu agis avee prodigalité », 57. Marr., IX, 96 : « Clinicus Herodes trullam subduxerat aegro : / deprensus, dixit. Stulte, quid ergo bibis 7 » 58, Marr,, I, 30 :¢ Chirurgus fuerat, nunc est uispillo Diaulus : / coepit quo poterat clinicus esse modo. » — Voir aussi 1, 47. 59. Voir PLat., Log., 047 b et ANTH., 11, 92; ce jeu de mots étymologique ne prouye nullement que ¢ clinicus » ait pu dans la langne conrante désigner le « croque- mort », contrairement A ce que laisse entendre le dictionnaire de Forcellini ; « Etiam uespillo clinicus appellatur, nam lectulis mortuos efferebat ». 5° ALAIN GOULON pierre de Zeus, qui, bien que dieu et bien que pierre, a été « emmené » aujourd’hui, le méme verbe grec s’employant pour les morts que l’on méne au biicher et les statues que lon méne en procession®?, Le mot clinicus pourrait ainsi paraftre connoter une appréciation péjorative si trois inscriptions funéraires ne le laissaient plutot apparaitre comme un titre d’honneur. La premiére a été trouvée sur la voie Nomen- tane, a proximité de Sainte-Agnés. Il s’agit d’un prétorien de la quatriéme cohorte, un de ces médecins militaires dont on connait mal le statut, qui se dit medicus chinicus et qui, de son vivant, a fait construire un tombeau pour lui et les siens®. La seconde inscription a été trouvée a Assise ; le personnage arbore figrement tous ses titres : medicus clinicus chirurgus ocu- larius ; il détaille complaisamment emploi qu'il a su faire de la fortune qu'il s’est acquise : tant pour sa liberté, tant pour obtenir le sévirat, tant pour élever des statues dans le temple d’Hercule, tant pour faire des routes ; malgré ces libéralités, il avait encore une jolie somme & la veille de sa mort®. Le métier rapporte | La troisiame épitaphe est celle d’une femme ; on croit pouvoir y lire clinice®?, S’agit-il d’une sorte d’infirmiare ou dune femme médecin ? L’inscription est de Tarragone. Or, c'est préci- sément dans cette ville que I’épitaphe du jeune aurige Eutychés nous montre une medica exercant d'authentiques actes médicaux®t. Notre climice peut donc fort bien étre une femme médecin. 60. AwrH., 11, 113, de Nicarchos. Geffcken, dans la R.E, (Bd XVII, 1, col. 282-284) distingue, aprés Weisshaupl, deux écrivains du nom de Nicarchos dans l’Anthologie. L’auteur de notre épigramme, qui offre beaucoup de parenté avec un autre écrivain de l'Authologie, Loucilios, devrait ainsi, selon lui, appartenir & la méme époque, soit le début du second siecle. Il serait donc contemporain de Galien (129-199 [7] apr. J.-C.) qui emploie le mot xAivixdg au sens de médecin en 12, 829 (éd. Kiihn, Leipzig, 1821-1833). Galien cite encore un ouvrage de Damocrates qui était intitulé KAiwixds (13, 349). Ce Damoorates nous est conn par Pline, Puin., H.N., 24, 43 : «Scio Democratem medicum in ualetudine Considiae, M. Seruiti consularis filiae, omnem curationem austeram recusantis, diu efficaciter usum lacte caprarum quas lentisco pascebat »; Pray, Ibid., 25, 87 : « Inuenit nuper et Serwilius Demoorates & primis medentium quam appellauit hiberida », Ce médecin, soucieux de donner un traitement bien adapté A la nature de sa patiente, pratique une authentique médecine clinique ; affranchi du consulaire Seruilius, contemporain de Pline, il a d& vivre sous Néron et Vaspasien. C'est I'époque de Martial. Kitvixds et clinicus se trouvent ainsi attestés A la méme période, Gr. C.IL., VI, 2532 (= Dessau 2093) : D.M. TI. CLAVDIVS, IVLIANVS. ME |/DICVS. CLINICVS. COH, IIIT. PR. FECIT VIVOS, SIBI. ET. / TVLLIAE. EPIGONE. CONIVGI. LIBERTIS. LIBERTABVSQ. |CLAVDIIS. POSTERSO. | EORUM /H-M-H.N.S. ; voir sur cette inscription : M. Dury, Les cohortes préio- viennes, Paris, de Boccatd, 1938, p. 98 et n. 6, p. 281, n. 8 (ré6d. 1968), G2. C-I-L. XI, 21, 5400 (= Dessau 7812) : P, DECIMIVS. P. L. EROS /MERUL- EA, MEDICVS/CLINICVS. CHIRURGUS |OCVLARIVS. VI. VIR. ete... 63. CLE UL 4380 : D. M. IVLIAE QVI|NTIANAE/CLI ni. CE. FIL] KARISSIM |MATER|POSVIT ET/ SIBI. 64, C.I.L., IL, 4314 ; voir J. Lit Gant, Métiors de femmes au Corpus Inseriptionum Zatinarum, in REAL. 47 bis (Mélanges Marcel Durry), Paris, Belles Lettres, 1970, P. 128-129. UN JEU DE MOTS CHEZ LACTANCE 5r Prudence applique encore l'adjectif clinicus au dieu guérisseur Escu- lape, avec le sens de « médecin®® », Mais dans tous les autres textes que nous possédons, le mot prend la signification de « grabataire ». Les clinici, disent les glossaires, ne descendent plus de leur lit et sont ainsi appelés d’aprés le grec ot clinos (sic) veut dire « lit » ; parfois aussi, ils indiquent le syno- nyme paralyticus®®, Quand Cyprien déclare que le seul clinicus qwil connaisse est le paralytique de Capharnaiim, il atteste Ini-méme en quel sens il entend 1é mot. Sa lettre pourtant montre qu’a partir de ce sens, dont c’est le premier exemple attesté, s’est développé un emploi technique et chrétien pour désigner ceux qui avaient regu le baptéme par aspersion dans leur lit. Sans doute Cyprien en est-il agacé, mais son irritation méme prouve que le terme avait déja regu une certaine extension®?. Postérieure- ment & Lactance, nous trouvons dans la littérature patristique clinicus employé au moins trois fois dans un méme contexte, celui de la charité évangélique a V’égard des déshérités"’, On connait les deux oraisons funébres de Fabiola et de Paula dans la correspondance de Jéréme. Quand Fabiola fit pénitence, elle vendit ses biens et, « la premiére de tous, elle établit un hépital pour y recueillir les infirmes en Jes retirant des places publiques, atin d’y soigner les membres de ces matheureux, consumés par tes maladies et les privations... Nu et alité, qui n’a-t-il pas été couvert des vétements de Fabiola®’?» Devenues veuve, Patla agit de méme et dis- tribue ses biens aux panvres : « Quel miséreux moutut sans étre enveloppé de couvertures fournies par elle ? Quel malade alité ne fut pas soutenu de ses subsides? ? » Iceuvre de Rufin, contemporain de Jéréme, consiste 65. PRUD., Apoth,, 205-206. 66. G. Gonz et GC, Lonwx, Corpus glossariorum latinorum, Leipzig, 1888-1923, ‘T. 6, p. 223 et T. 5, p. 180; Iaxpsay, MountrorD, WaatmoucH, Glossaria Latina, Paris, Belles Lettres, 1926, I, p. 123: « Clin(i) ci qui de lecto non discendunt (des-) dicti appellatione graeea, quia clinos (-us) dicitur lectus. » 67. Toutefois, c'est grabaiarié qu'on trouve en ce sens technique dans les canons de deux conciles, Celui d'Auxerre (vers 573-603) : « Non licet absque Paschae sollem- nitatem ullo tempore baptizare, nisi illos quibus mors wicina est, quos granattarios (sic) dicunt » (4.G.H., sectio ITT, Concilia, TI, p. 181) et le sixitime concile de Paris (820) : « Sint in plerisque, ita et in eo anctoritas a nonmullis seepe niolatur canonica, quando scilicet hi qui in aegritudine baptismatis suscipiunt (susceperunt ?) secramenia, ad gradus ecclesiasticos contra fas prouehuntur, Is usus,.. oportet ut cortigatur, quo- niam hniuscemodi baptizatos, quos uulgaris sormo grabatarios wocat, canonica aucto- ritas a gradibus ecclesiasticis patenter repellit + (sectio I, cap. VIII, Mansi, 14, p. 542)- Ta raison probable de cette substitution est qu’a I'époque de ces deux conciles, le mot clinicus a déja pris le sens exclusif de malade paralysé comme I’attestent les exemples rapportés ci-dessous. 68. Voir Mz., 25, 36: ¢ nudus (eram) et cooperuistis me, infirmus et uisitastis me », Sir. VII, 39: ¢ Non te pigeat uisitare infirmum. » 69. Hr, Ep., 77, 6 (trad. Labourt, Belles Lettres, T. IV, p. 45-46) : ¢ Prima omnium voooKépiov instituit, in quo aegrotantes colligeret de plateis, et consumpta languoribus atque inedia miserorum membra refoueret... Quem nudum et clinicwm non Fabiolae uestimenta texerunt ? » 70. Hrer., Ep., 108, 5 (trad. Labourt, Belles Lettres, I, V, p. 103) : ¢ Quis inopum moriens, non illius uestibus obuolutus est ? Quis clinicorum non ex eius facultatibus sustentatus ?»

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