Henri-Irénée MARROU
1904 - 1977
Le 11 avril, au soir du lundi de Pagues de cette année 1977 qui eft dt
lui permettre de féter saint Ivénée et les martyrs de Lyon auxguels il était
si attaché, Henri-Irénée Marrou est entré dans son éternité, au terme d'une
courte maladie qui l'a surpris en plein travail. Des « Murs blancs» de
Chatenay-Malabry, oi il les avait si souvent accueillis, ses amis et ses éléves
Pont, par la rue Sainte-Catherine, accompagné d son église paroissiale dédiée
a saint Germain @ Auxerre...
Par ces détails, auxquels il était lui-méme sensible, on se platt dvappeler
celui qui, de passage a Rome, Naples, Le Caire, Lyon ou Paris, a toujours su,
avec un sens aigu des circonstances et des faits concrets qu'il trouvait sur sa
route, poser et embrasser de vastes problémes, réfléchir avec passion sur son
métier d'historien, faire sentir la résonnance humaine et spirituelle de toute
question, fiit-ce la plus technique.
Plus que Vhistorien de P Alexandrie du I1¢ au V® sidcle, de la Rome
chrétienne, de cette Gaule dont il avait entrepris de donner wn nouveau
Corpus épigraphique, de la Prosopographie chrétienne du Bas-Empire @
laquelle il na cessé de travailler jusqu'au bout, il importe, en cette Revue,
@évoquer celui qui, par son enseignement comme par ses écrits, a permis
4 toute une génération de redécowvrir saint Augushin en son temps, on ses
grandes intuitions comme en ses cadres intellectuels. Le petit Saint Augustin
et Taugustinisme de 1955 comme Vimposant Saint Augustin et la fin
de la culture antique de 1938 et sa Retractatio de 1949, l’ Ambivalence du
temps de histoire chez Saint Augustin de 1950, qui prépare sa'Théologie de
histoire de 1968, resteront des owvrages représentatifs de Vapproche de
saint Augustin dans le deuxiéme tiers du XXe sidcle. Il avait cessé d’en-
courager tous ceux qui s’attachaient A préciser ou compléter cette vision et
Cest un devoir de rappeler la perfection avec laquelle Jeanne Marrou,
son épouse — qui Paura précédé dun an —, avait mis a la disposition des
lecteurs francais plusieurs ouvrages étrangers de valeur sur saint Augustin,
Des ses origines, notre Reoue a bénéficié dela part d’H.-I. Marrow d'une
sympathie et dune collaboration qui ne se sont jamais démenties. Les articles
qwil nous avait confiés n’en étaient quun faible signe.
Crest donc avec beaucoup de tristesse, mais aussi avec le réconfort et la
fierté @avoir eu tous, & quelque titre, un tel mattre, que nous annongons
4 nos lecteurs du monde entier co départ : c'est une grande perle pour nous,
pour la patristique tout entitre, pour la France et, nous wen doutons pas,
pour eux,
Yves-Marie Duvat,De quelques répliques 4 Celse
dans le Protreptique de Clément d’Alexandrie
Jusqu’a ces dernigres années, il paraissait bien établi que le Contre
Celse d’Origgne constituait la premitre et la seule réplique a Pargu-
mentation antichrétienne contenue dans le Discours Véritable de Celsel.
Or, voici que, depuis peu, on ne voit plus du tout les choses de cette
fagon. Si l'on en croit I,. W. Barnard, I'apologiste Athénagore aurait,
dés 176-177, tenu compte des accusations proférées par le penseur
paien®, Pour ma part, j'ai tenté de montrer qu’en 180-181, Théophile
d’Antioche prenait, lui aussi, ces mémes griefs en considération®,
J. Schwartz mavait d’ailleurs précédé en cette voie, puisquil avait
réussi 4 déchiffrer dans 1'A Diogndte — qui date de 190-200 — un
ensemble de réponses A une sorte de questionnaire d'inspiration cel-
sienne’, Enfin, si Hippolyte de Rome et l’auteur de la Cohortatio ad
Graecos paraissent également avoir songé 4 Celse®, il semble aussi que
les Péres latins eurent vent du contenu du Discours Véritable : Ter-
tullien en 197, Minucius Felix sous Caracalla’ rédigérent l'un et f'autre
quelques pages en rapport avec ce livre’.
1. Seul, B, Aubé n’était point de cet avis (cf. Histoire des perséoutions de I Lgvise,
Paris 1878, pp. 189-193).
2. TL, W. BARNARD, Athenagoras. A study in second century chvistian apologetic,
Paris, 1972, pp. 53-68.
3. JoM. VERMANDER, Théophile @'Antioche contre Celse : A Autolycos IIT dans
Revue des Etudes Augustiniennes, t. 17, 1971, Pp. 203-225.
4. H.-L Marrov, A Diognéte, Paria’ 1965, pp. 263-266.
5. J. Scuwarzz, L’Eptire & Diognéte dans Revue d'Histoire et de Philosophie
voligiouses, t. 48, 1968, pp. 46-53.
6. Sur Hippolyte de Rome, cf. C. Anpaxsen, Logos und Nomos. Die Polemih
des Kelsos wider das Christentum, Berlin, 1955, p. 387-302 ; sur la Cohortatio, cf.
J.-M, VERMANDER, La parution del'owvrage de Celse et la datation de quelques apologies
dans Revue des Etudes Augustinionnes, t. 18, 1972, p. 36-40. :
7., Sur cette date, cf. J.-M. VERMANDER, L’Octavius de Minucius Felix, le rdgne
de Caracalla et le pontificat du pape Calixte dans Revue des Etudes Augustiniennes,
t. 20, 1974, p. 225-233.J-M. VERMANDER
Seul de tous les auteurs chrétiens de cette période, Clément d’Alexan-
drie donnait l’impression d’ignorer les vives attaques dont sa « secte »
avait été objet sous le régne de Marc-Auréle...
Certes, S. C, R. Lilla avait bien essayé, A partir de I’étude des Stvo-
mates, d’établir un lien entre Clément et Celse, mais sa tentative fut
sévérement jugée®, D’autre part, J. Daniélou affirmait que ce lien
existait, mais sans rien prouver!®, En conséquence, il fallait attendre
que, par un détour imprévu, 1a Recherche fournit une occasion d’aller
plus loin.
Or, cette occasion semble s’étre présentée. Car, avec la récente parution
du tome V du Conire Celse aux Sources chrétiennestt, nous disposons
maintenant d’un répertoire solide de tous les thémes celsiens!®, et ceux-ci
peuvent done étre aisément rapprochés de tout ce qu’on lit chez Clément.
Or une telle comparaison méne inévitablement a la conclusion suivante :
une bonne part du Protreptique est ditigée contre des affirmations qui
parsément le Discours V éritable.
Deux ¢tapes sont nécessaires pour parvenir A cette conviction : la
premiére consiste 4 découvrir que auteur chrétien suit, A peu de choses
prés, le cheminement de la pensée celsienne au fur et 4 mesure que
celle-ci se déroule ; la seconde étape passe par une étude détaillée de
tous les passages qui auront été mentionnés dans la partie précédente :
on pourra ainsi saisir jusqu’aux moindres indices révélant qu’il y eut,
de la part de Clément, volonté de répondre 4 Pouvrage paien.
*
ae
Le contenu précis de argumentation antichrétienne de Celse demeure,
bien entendu, imparfaitement connu, mais il semble au moins que nous
connaissions maintenant la structure de lceuvre. Dans son édition,
M. Borret vient en effet de fournir 3 ce sujet une étude trés documentée!8,
‘M. Vurmanpur, De quelques répliques & Celse dans I’ Apologeticum de Ter-
tullien dans Revue des Etudes Augustiniennes, t. 16, 1970, p. 205-225 ; Celse, source
et adversaire de Minucius Felix, ibid., t. 17, 197%, p. 13-25. J. Schwartz mi'apporte
ici son appui (cf. Revue d'Histoire et de Philosophie veligieuses, 1973, p. 401).
9. 8. R.C. Latta, Clement of Alexandria, A Study-in christian Platonism and
Gnosticism, Oxford, 1971. Dans son compte-rendu (Revue de I’ Histoire des Religions,
t. 183, 1973, fase. 1, p. 71), A. Méhat est sévére pour Lilla : le théme du plagiat
est dans I’air, dit-il ; le thame de l’antériorité de Moise également ; une seule reprise
de terme est seulement signalée, alors que Clément aime reprendre les expressions
@autrui, Pourquoi Lille ne fait-il pas plus de rapprochements avec le texte celsien ?
To. J. Danréiou, Message évangélique et culture hellénistique aus IIe et ITI® siécles,
‘Tournai, 1961, p. 50.
rx. M, Borer, Origine, Contre Celse, t. V, Paris, 1976 (n° 227 de la collection
Sources chrétiennes).
12, Notamment grace 4 Vinder uerborum, p. 350 & 524.
13. Ibid., p. x18-r21,REPLIQUES A CELSE CHEZ CLEMENT D’ALEXANDRIE 5
Or il est clair que ce plan donné par Celse & son exposé a, bel et
bien, été connu de Clément d’Alexandrie : sinon, comment expliquer
que celui-ci reprenne ‘ou combatte au début, au milieu ou a Ja fin de
son Protreptique, des idées et exemples figurant, de la méme fagon, au
début, au milieu ou a la fin du Discours Véritable ?
Ainsi au livre II du Contre Celse d’Origgne — oi se trouvent de nom-
breuses citations celsiennes visant & démontrer qu’il y a rupture entre
judaisme et christianisme — correspond le chapitre premier du Pro-
treptique, dans lequel est adoptée une position diamétralement opposée.
Au livre III du Contre Celse — ot les extraits celsiens font sans cesse
Téloge des divinités et des mystéres paiens — correspond le chapitre
second du Protreptique, tout entier tourné contre ces mémes divinités
et mystéres.
Maints thémes rapportés au livre IV du Contre Celse (infériorité de
Yhomme par rapport aux animaux, caractére non anthropocentrique
de univers, nouveauté radicale du christianisme) sont vivement com-
battus aux chapitres 3 3 9 de l'ouvrage de Clément.
Quant au chapitre ro, il dit le contraire de ce que dit Celse aux livres V
et VI du Contre Celse (quand Origéne 1ui laisse la parole). En effet, y sont
pris 4 partie les thémes suivants (qui sont on ne peut plus celsiens) :
Ja tradition historique doit étre considérée comme un absolu ; la con-
naissance de Dieu est réservée a une élite ; Ja nature de Jésus fut pure-
ment humaine.
Enfin, les passages du livre VII du Contre Celse ot lon nous montre
un Celse: pressant ses adversaires de conseils (mariez-vous, ayez des
enfants, vénérez les démons, croyez 4 la mantique, réalisez dans le
paganisme la véritable union 4 la divinité) trouvent leur exact opposé
dans les chapitres x1 et 12 du Protreptique.
A lire telle ou telle reconstitution du Discours Véritable et 4 la com-
parer, elle aussi, au Protreptique, on aboutit d’ailleurs 4 la méme conclusion.
‘Un tableau est ici le meilleur moyen de prendre conscience de Ja « dette »
de Clément a I’égard de Celse. Car il ne peut pas ne pas mettre en lumitre
combien Pauteur chrétien adapte son développement a celui du paien :
opjxt DU pDépat Protrept. C. Celse Discours Véritable
(reconstitution
0. Gléckner, Bonn, 1924)
Comparaison entre Pee
Orphée et Jésus | chap. x, 3 Lm 7 page 8
Ancien Testament| chap. 1, -5et8/U.I, 4 page 7
et christianisme
Jean-Baptiste et le
christianisme chap. ro-ro | I.I, 4 page 76
Les mystéres de
Dionysos
Les mystazes des
Corybantes
Les Dioscures, As-
elépios et Héra-
les sont-ils
dieux ?
Corruptibilité de la
chair et nature
mortelle de Zeus
et de Jésus
Cultes égyptiens et
christianisme
‘L‘homme et les ani-
maux
La nouveauté du
christianisme
Dieu a-t-il fait le
monde entier ?
La création a-t-elle
été faite pour
V'Homme ?
Le feu pour les mé-
chants
La colére de Dieu
contre les hommes
injustes
Est-ce impie d’a-
bandonner la cou-
tame ?
Comment monter
‘vers Dieu ?
Quelle est la valeur
de la sagesse hu-
maine ?
Les apparences mé-
prisables de Jésus
chap. 2, 12et
17-18
chap. 2, 23 et
29-30
chap. 2, 36-38
chap. 2, 39
chap. 3, 43
chap. 3, 43
et 48-49
chap. 4, 63
Ibid,
chap. 9, 84
chap. 9, 85
chap. 10, 89 et
ror
chap. 10, too
chap. 10, 107
chap. to, 110
1. 11,
L. TI,
L. Or,
‘L. OT,
Lv,
L.Iv,
LIV,
L.Iv,
L.Iv,
LIV,
LV,
L. vi,
L. VI,
X, Vi,
22
16 et22
azet4a
42-43
7
r9et2r
8r
69
75
99
22
99
35
66
12
75
J-M. VERMANDER
page 16
ww
page 16
pages 16 et 18
page 18
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page 53
page 42
Page 54REPLIQUES A CELSE CHEZ CLEMENT D'ALEXANDRIE aE
Un chrétien doit-il
se marier, avoir
des enfants ? chap. tx, 113 | L, VILL, 55 page 69
Attitude vis-a-vis
delamantique | chap. 12, 119 | 1. VIIT, 45 page 67
union & Dieu chap. 12, 122 | L., VIIT,63 page 70
Qui est «juste et
saint avec intelli- :
gence »? Ibid. L. VIL, 55 page 69
Le chrétien ou le
paien ?
La teneur de argumentation (selon qu’elle est pro- ou anti-chrétienne)
ne nous intéresse évidemment pas en ce lieu. Seule compte 1a constatation
que chacun aura faite en lisant ces colonnes : les groupes d’arguments
se succddent A peu prés dans le méme ordre chez le chrétien et chez le
paien.
Nous commengons done 1a a tenir une preuve que le chrétien a composé
son oeuvre en se référant 4 la pensée celsienne selon son ordre d’exposition.
Rt ce premier indice ne saurait étre tenu pour négligeable...
*
ae
Il faut toutefois pousser plus loin 1a recherche. Car une telle approche
ne peut suffire. En conséquence, examinons maintenant les textes de
prés et cherchons a saisir le plus grand nombre possible de points de
jonction entre les deux ceuvres.
Commencons par le débat sur les rapports entre le judaisme et le
christianisme. Celse parle ici par personne interposée : il met en scéne
un Juif, auquel il fait dire : « Comment vous (les chrétiens), débutant
par nos textes, pouvez-vous, en progressant, les mépriser, alors que
yous niavez d’autre origine a alléguer pour votre doctrine que notre
loi 274», Et a ce reproche s’en ajoute un autre : le Juif prétend que le
message de Jean-Baptiste ne peut étre logiquement utilisé par les chré-
tienst5,
Il est clair que Clément prend carrément le contre-pied de ces deux
affirmations : en premier lieu, il insiste, & plusieurs reprises, sur Pimpor-
tance qu’attribue la pensée chrétienne 4 des personnalités comme Moise,
14. Contre Celse, IL, 4. C’est moi qui souligne.
15. Ibid. Origéne écrit notamment : « Et quelle charge constitue pour le chris-
tianisme la qualité juive de Jean qui a baptisé Jésus ? Car il ne s'ensuit pas, du
fait qu’ll était juif, que tout croyant, qu'il vienne des Gentils ou des Juifs, doive
garder la loi juive au sens littéral ». On voit par 14 que le Juif de Celse prétendait
garder Jean-Baptiste pour le seul judaisme.8 J-M. VERMANDER
David, Isaie et aux prophétes en général" ; en second lieu, il met l’accent
sur le réle de Jean-Baptiste comme précurseur du Christ : « Est-ce que
Jean aussi ne nous invite pas au salut, ne devient-il pas tout entier
une voix qui exhorte ?... Jean est un précurseur, et sa voix est le pré-
curseur du Logos, voix qui encourage et prédispose au salut, voix qui
exhorte 4 chercher I’héritage céleste!” ». Et de relier encore plus pré-
cisément ce prophéte au christianisme en affirmant avec force : « C’est
A nous que Tange annongait la bonne nouvelle, c’est nous que Jean
exhortait 4 penser au laboureur, 4 chercher le mari’® »,
On objectera peut-étre A cela que, pour refuser ainsi toute coupure
entre l’Ancien et le Nouveau Testament, les chrétiens n’avaient pas
besoin d’étre aiguillonnés par le paien Celse. Mais, avant de considérer
cette objection comme irréfutable, il faut remarquer que le contexte
entourant les passages ci-dessus mentionnés fait, Iui aussi, penser 4
Celse. En effet, encore & propos de l’Ancien Testament, le Discours
Véritable accusait Jes chrétiens d’accorder une foi aveugle aux prophétes
et a leurs menaces, notamment a celle d’envoyer sur les incrédules le
feu dévastateur!®, Or, juste aprés avoir parlé des prophétes, Clément
reproche 4 un paien, auquel il s’adresse, de «prendre pour une fable
et ces hommes (= les prophétes) et ce feu’ », Bref, on dirait ici que
Yauteur chrétien colle de trés prés a la pensée celsienne pour mieux la
combattre : d'une part, il reprend la liaison établie par le polémiste
paien ; @autre part, il se fait Pécho @objections paiennes dont per-
sone ne peut nier qu’on les trouve chez Celse et, jusqu’a plus ample
informé, uniquement chez ce penseur.
A cette coincidence s'ajoute le fait que plusieurs arguments du Discours
Véritable sont malmenés non loin de 1a. Si Celse a hautement prétendu
que le christianisme ne posséde ni vopog. ni A6yog valables*, Clément
écrit pour sa part avec béaucoup de fermeté : « De Sion sortira le vouoc,
et de Jérusalem le A6yos du Seigneur® », Qui connait le livre d’Andresen
16, Protreptique, 1, 4,2; 3, 5,43 1, 8, 2 (6d. Mondésert)
17. Ibid., r, 9, 1-2, C’est moi qui souligne. .
38, Ibid., 1, 9, 4.
19. Contre Celse, VII, 3 : « Les prédictions des habitants de la Judée... voila
ce qui leur (= aux chrétiens) parait merveilleux et irréfragable !>; en VII, 9,
il est rapporté ce que Celse fait dire & ces prophétes : « Heureux qui aujourd'hui
m’a rendu un culte | A tous les autres fenverrai le feu éternel dans les villes et
Jes campagnes », Tout le passage est d’ailleurs constitué d’une virulente polémique
contre les prophétes hébreux,
20. Protreptique, x, 8, 4: « Toi, cependant, tu ne crois pas les prophates, tu prends
Pour une fable et ces hommes et ce feu» (trad. Mondésert, légérement. remani¢e
Pour mettre en valeur la 2° personne du singulier employée dans le texte grec).
Cest moi qui souligne,
21. Contre Calse, V, 65, et tout le livre VI (ot Celse tend & ruiner le Logos chrétien
dans presque toutes les citations qui y figurent).
22, Protreptique, 1, 2, 3.REPLIQUES A CELSE CHEZ CLEMENT D'ALEXANDRIE 9
et Limportance qw’il convient dattacher @ ces deux termes grecs pour
comprendre le sens profond du Discours Véritable®®, ne peut pas ne
pas s’arréter, au contenu de la phrase qui vient d’étre citée.
Et son attention sera d’autant plus en éveil que d’autres passages
du Protyeptique semblent aussi, dans le contexte, viser Celse. Ainsi,
comme pour répondre a l’affirmation selon laquelle « Dieu n’a pas besoin
d’appliquer de nouvelles réformes », Clément insiste sur le chant « nou-
veau » entonné par le Verbe™. De méme, la polémique contre Orphée
— qui ne se trouve que dans le chapitre premier du Protreptique —
peut étre mise en liaison avec Pintention manifestée par Celse d’opposer
Orphée a Jésus®®, Voyons cela de plus prés : si le Juif de Celse traite
le Christ de menteur juste aprés avoir parlé des prophétes®, Clément,
lui, traite Orphée d’imposteur juste avant de parler de ces mémes pro-
phétes®? ; en outre, alors que, pour discréditer Jésus, Celse avait qualifié
Orphée « d’homme a lesprit pieux »*8, Clément, ayant polémigué contre
Orphée, loue Jésus d’avoir placé ses disciples «sous le joug doux et
humain de la piété »®,
Un peu plus loin dans Iceuvre du Pére grec, on note d'autres points
de jonction avec le Discours Véritable ; de part et d’autre, on procéde
a la méme énumération : Phrygiens, Arcadiens, Egyptiens®?; et, si
Celse demande comment l'on peut faire pour apprendre a connaitre
Dieu et trouver prés de fui le salut, Clément paraft répondre en affir-
mant que c’est le Logos qui montre la voie*.
Une autre question de Celse semble d’ailleurs susciter également
une réponse de Clément non loin de 1a. Le paien interroge : « Est-ce
done maintenant, aprés tant de sitcles, que Dieu s’est souvenu de juger
Ja vie des hommes, alors qu’auparavant il n’en avait cure ?#* », Le chrétien
semble répliquer : « Nous étions, nous, dés avant la création du monde,
nous qui, parce que nons devions exister en Lui, étions déja auparavant
engendrés par Dieu, nous les créatures raisonnables: du Logos-Dieu,
23. Cf. louvrage cité a la note 6. Voir surtout les pages 38, 119, 299.
24. Protreptiqus, 1,.2, 4 semble aller & V'encontre de Contre Celse, IV, 69.
25. Ainsi qu'il résulte d’une observation d’Origtne en Contre Celso, VIL, 54 :
«Je me demande si ce n’est pas pour nous chercher querelle et pour avilir Jésus
qwil chante maintenant les louanges d'Orphée », On peut tras bien imaginer, &
partir d’une telle réaction, quels furent les sentiments de Clément lisant Ia méme
chose qu’Origéne : agacement, indignation, volonté de répliquer.
26. Contre Colse, II, 7 : 4 Jésus a dit de grands mensonges ». La polémique contre
Jes prophétes était rapportée en IT, 4.
27. Protreptique, x, 3, 1.
28, Contre Celse, VII, 53.
29. Protreptique, x, 3, 2
30. Contre Celse, IV, 36 ; Protreptique, 1, 6, 4.
31. Contre Celse, VI, 68 ; Protreptique, t, 6, 1.
32 Contre Celse, IV, 7.10 J-M. VERMANDER
pat qui nous sommes dés le commencement, puisque le Logos était au
commencement? »,
Bref, on dirait que la méthode de travail de Clément s'apparente
a celle d’Origéne rédigeant le Contre Celse: de méme qu’en son livre I,
Origgne allait Pabord songer a réfuter quelques objections disséminées
chez son adversaire, puis devait en venir A un exposé suivi™, de méme,
en son chapitre premier, Clément d’Alexandrie s'occupe de points de
détail trouvés ici et 18 chez Celse et songe & développer un théme précis
(capports entre te judaisme et le christianisme).
Cette volonté de suivre pas a pas le paien se retrouve d’ailleurs encore
plus marquée dans le chapitre second du Protreptique aux patagraphes 16
A 43. Ainsi Celse a soutenu Phypothése que Vinitiation chrétienne est
a rapprocher de Vinitiation que recoivent les initiés des mystéres des
Corybantes*®, Or, Vauteur chrétien, comme s'il était profondément
scandalisé de ces dires, entreprend, par deux fois, de révéler ses lecteurs
Je scandale qui, & ses yeux, se cache derriére ces rites d’initiation®®,
Non loin de 1a, dans les deux ceuvres, on trouve un développement
relatif 4 Dionysos, qui sera, on s’en doute, élogieux chez le paien’?,
agressif chez le chrétien®’, Clément en vient méme 4 affirmer, sans doute
parce que Celse a égalenient rapproché linitiation chrétienne de Pini-
tiation bacchique®*, que les corbeilles mystiques des bacchants ne
contiennent rien d’autre que des étres purement matériels : « gteaux
de sésame et de miel, de miel et de farine, giteaux en pelote, gateaux
A bosses, grains de sel, et un serpent, symbole rituel de Dionysos Bassa-
ros », En vérité, n’est-ce pas 14 contredire un autre propos du paien,
selon qui Vinitié avait Pimpression que son initiation n’avait pas été
vaine*! ? Aussi bien, pour Clément, la cause était-elle entendue : tout
cela n’était, A ses yeux, que mensonge, monstruosité, vaine conjecture,
duperie# |
Passant ensuite aux Dioscures, 4 Asclépios et 4 Héraklés, Celse avait
voulu montrer que c’était 14 des hommes devenus dieux aprés leur mort‘?
33. Protreptique, 1, 6, 4.
34 On sait que Je changement de méthode se sitne au chapitre 28 du livre T.
35. Contre Celse, IIL, x6,
36. Protreptique, 2, 15, « et 19, 1-4. Voir notamment 2, 19, 1: + Ayant mis &
mort leur frére, les Corybantes couvrirent la téte du cadavre d'un lanibeau écarlate,
Ja couronuérent et I'ensevelirent, la portant sur un bouclier d’airain au pied de
VOlympe ».
37. Contre Celse, WII, 22 (Dionysos a rendu des services aux hommes).
38. Protreptique, 2, 12, 2 et 2, 17-18 (en entier). Dionysos est présenté soit comme
un fou, soit comme un bambin.
39. Contre Calse, IV, 10.
40. Protreptique, 2, 22, 4.
4t. Contre Celse, IIT, 18.
42. Protreptique, 2, 12, 1; 2, 13,342, T4, 0
43. Contre Celse, III, 22.REPLIQUES A CELSE CHEZ CLEMENT D'ALEXANDRIE qr
Et sans doute était-ce 14 les exemples qui venaient 4 l’esprit
chaque fois que ce dernier tentait d’aborder le théme de la dis
de certains mortels, Mais ce qu’il faut observer ici, c’est que Clément
ne combat point cette théorie comme s'il s’agissait d’une affirmation
qu’on trouve partout : il prend Vexact contre-pied des affirmations’de
Celse, utilisant méme, pour parler des mystéres, le terme précis dont
le paien se sert pour ridiculiser les mystéres chrétiens : yonvobv‘.
La suite des deux ceuvres continue 4 offrir le méme parallélisme :
Celse poursuit l’offensive en parlant de Zeus et d’Apollon*®, tandis
que Ciément déverse sa bile sur ces deux divinités#? ; a I'éloge que fait
Je paien de Dionysos et d’Héraklas" correspond la vive attaque de Clé-
ment, qui insiste, en particulier, sur les amovurs contre nature de Dionysos
et de Prosymnos*®, Vient ensuite dans le Discours V éritable un développe-
ment sur Ja corruptibilité de 1a chair de Jésus® et le sens véritable du
tombeau de Zeus en Créte®!. Or, dans le Protreptique, on trouve, de la
méme facon et dans le méme prolongement, des allusions A la corrup-
tibilité de la chair de Zeus — citation d’Homére 4 l’'appui — ainsi qu’une
vive polémique contre le dieu".
Enfin, si le raisonnement de Celse sur les mystéres paiens avait com-
mencé par une critique des moqueries dont les chrétiens accablaient les
Egyptiens®*, le développement consacré par Clément A ces mémes
mystéres se termine, lui, par une méme critique, mais qui, cette fois,
vise, on s’en doute, les paiens®4, Et notons encore, pour en. finir avec
les objections rapportées au livre II du Conéve Celse, que Pun et Pautre
écrivain rapprochent de ce qui se passe chez les Fgyptiens les rites
qwils pourfendent®,
Quant a la fin du chapitre second du Protreptique, elle est A mettre
en rapport avec ce qui est rapporté au livre VIII du Conive Celse & propos
des démons. En effet, Clément semble reprendre & Celse l’une de ses
théories et en combattre une autre :
44. J. Gurvcxen I’a depuis longtemps signalé : ef. Zwei griechische A-pologeten,
Leipzig-Berlin, 1907, p. 69 et p. 225-226.
45. Contre les Dioscures et Héraklés : Proty. 2, 30, 4 47; contre Asclépios, 2, 30, 1-2.
‘Sure parallélisme en ce qui concerne le verbe employé : compater Contre Celse, VI, 24
(yopvcavta) et Protr. 2, 12, 1 (anoyvnvasa).
46. Contre Celse, III, 37,
47. Protreptique, 2, 32 et 33.
48. Contre Celse, IIT, 42.
49. Contre Héraklas, cf. Protr, 2, 33, 4-5 3 contre Dionysos, 2, 34, 2-3.
50. Contre Celse, III, 42.
5x. Ibid, TIT, 43.
52. Protreptique, 2, 36-37. La citation d'Homére est une citation libre d’Tliade,
XXI, 568-569.
53- Comive Celse, III, 19.
54. Protreptique, 2, 30, 6.
55. Comparer Contre Celse, III, 18 & Protreptique, 2, 39, 6-9.12 J-M, VERMANDER
Protr. 2, 40, x : les démons sont, C. Cels. VIII, 35 : les démons
pour ainsi dire, en seconde ressemblent a de hauts
ligne sur le plan du divin fonctionnaires de Dieu
Proir. 2, 41, 3 : les démons sont mal- C. Cels. VIII, 33 : les démons
veillants et inhumains sont bienveillants envers
les hommes
Admettons que ces coincidences soient l'effet du hasard. Mais pourra-
t-on encore expliquer par le pur hasard le fait qu’aux chapitres 3 et 4
du Protreptique, il y a comme une réponse directe a trois thémes celsiens
rapportés au livre IV du Contre Celse et particulitrement importants ?
Ces thémes sont les suivants : ‘Homme ne domine pas par son intelli-
gence tous les animaux, surtout les plus féroces®? ; Dieu n’a pas créé
Je monde entier§? ; le monde n’a pas été créé pour 1’Homme'®, Bien
entendu, Clément d’Alexandrie prend l’exact contre-pied de toutes
ces théories®,
D’ailleurs, Pauteur chrétien est loin d’en avoir terminé avec les objec-
tions que continue & rapporter le livre IV d’Origtne. Au chapitre 9 du
Protreptique (en fait, guére éloigné des chapitres 3 et 4), il continue a
soutenir des vues absolument opposées a celles de Celse : si celui-ci
affirme que les menaces du Dieu chrétien ne Pémeuvent guére, Clément
constate, pour le déplorer, que certains paiens attendent patiemment
Je chatiment qui ne saurait manquer de leur étre envoyé® ; d’autre
part, si Celse affirme que Dieu ne se laisse pas aller & la colére et n'a
pas ’habitude de proférer des menaces contre les hommes (od8’ évOpdmav
Evexa dpyiferat... od8% tobtorg dmetdet), Pauteur chrétien, reprenant
& peu prés les mémes termes que le paien (robto1g 5) npoowyOtoev...
kai dmetAet), soutient Popinion contraire.
Mais plus significatif encore, du point de vue qui nous intéresse,
est le passage consacré par Clément & Platon au chapitre 6 du Protrep-
tique : on ne peut manquer de songer ce que le livre VI du Contre Celse
nous livre de la pensée de Celse sur Je méme philosophe.
Tout d’abord, dans leur préambule, nos deux écrivains raisonnent
de la méme maniére pour vilipender ici les Koritures chrétiennes, 14 les
philosophies paiennes : tout cela est du bavardage de vieille femme
56. Contre Celse, IV, 81 et 86,
57. Ibid. IV, 52 et 75.
58. Ibid. LV, 74 et 75.
59. Protreptique, 3, 43, tj 4, 63, 2; 4, 63, 4. Ces deux dernidres répliques sont
gtoupées ainsi que Je sont les objections de Celse mentionnées aux notes 57 et 58.
60. Comparer Contre Celse, IV, 23 et 99 & Protreptique, 9, 83, 2.
61. Comparer Contre Calse, IV, 99 & Protreptique, 9, 85, 1.REPLIQUES A CELSE CHEZ CLEMENT D’ALEXANDRIE 13,
qui ne réussirait pas & apaiser des enfants™, Ensuite, s'il est clair que
Je paien continue en accusant Moise d’avoir écrit « les pires balivernes »
sur la nature du monde®®, il est tout aussi évident que le chrétien pour-
suit en louant Vintelligence du Juif : « Il concevait Dieu comme le poids,
la mesure et le nombre de l’univers" »,
Vient alors le véritable « débat » sur Platon. Pour Celse, ce penseur
est le guide par excellence pour aller vers Dieu®®, Or, nous constatons
que, demandant 4 un interlocuteur paien un auxiliaire pour chercher
Dieu, Clément s’entend répondre le nom de Platon®®. Lauteur chrétien
recourt alors 4 deux textes platoniciens que la littérature du temps
cite 4 maintes reprises mais que Celse est le seul a citer ensemble®”,
Le premier de ces textes veut montrer que Dieu est ineffable, le second
quil est explicable & quelques-uns seulement, Mais comme si une cer-
taine correction se révélait ici nécessaire, Clément, aprés avoir reproduit
Platon, cherche a le reprendre : « Avec moi, mets-toi a la recherche
du Bien ; car dous les hommes, en général, ont regu quelques gouttes
émanant de 1a source divine® »,
Mais ce n’est 1A que la premitre des objections qui semblent étre
faites A Celse par l’intermédiaire de Platon : au Discours Véritable, qui
affirmait que Moise et les prophates avaient copié le philosophe grec",
Clément parait rétorquer (en feignant de s’adresser & Platon) : « Mais
pour les lois, du moins celles qui sont conformes a la vérité, pour ta
doctrine de Dieu, les Hébreux mémes t’ont aidé?° », Bref, on assiste 14
au retournement de l’argumentation.
Il est vrai qu’on dira peut-étre ici que cette maniére de répondre
traine dans toute Ja littérature patristique. Mais ce qu'il convient de
voir, c'est que Clément expose en référence a un passage tiré des Lois”,
que Celse citait d’ailleurs aussi et ce non Join du passage ott il attaquait
Moise”, En d'autres termes, le contexte est semblable dans les deux
ceuvres que je cherche a rapprocher.
62. Comparer Contre Celse, VI, 34 & Protreptique, 6, 67, 1.
63. Contre Celse, VI, 50,
64. Protreptique, 6, 69, 2.
65. A ce sujet, consulter les remarques de M. Borret, of. cit, p. 10r-103.
66. Protreptique, 6, 68, t.
67. Le premier texte est Timée 28 c (cité par Celse : cf. Contye Celse, VII, 4
mais résumé en VI, 8) ; le second texte est Lettre VII, 341 c-d (cité par Cels
cf. Contre Ceise, VI, 3). On peut donc dive que les deux textes platoniciens voisi-
naient dans le Discours Véritable. Pour le Protreptiquo, ils se trouvent dans le méme
Passage : 6, 68, 1. Le premier texte est trés souvent cité (cf. J. GRFFCKEN, op. cit.,
P. 174-175). Mais on ne le voit guére voisiner avec le second que chez Celse et Clément,
68. Protreptique, 6, 68, 2. C'est moi qui souligne,
69. Contre Celse, VI, 7.
70. Protreptique, 6, 70,
73. 715 € + 716 a, Ce passage est cité par Clément en Protreptique, 6, 69, 4.
72. Cité par Celse : cf. Contre Celse, VI, 15 (cela n’est pas loin de VI, 7, of se
trouve I’attaque contre Moise). :14 J-M. VERMANDER
Et quand on aura encore remarqué qu'un extrait des Letires figure
tout prés de 1a dans les deux écrits? et que Pauteur du Protreptique
suggére & ses lecteurs de ne pas s’arréter au seul Platon — alors que
Pattitude de Celse était inverse?! — on reconnaitra combien tous ces
rapprochements sont pour le moins troublants.
D’autant plus que d’autres objections celsiennes rapportées par
Origéne au livre VI de son Contre Celse sont aussi combattues au cha-
pitre to du Protreptique. Certes, il faut d’abord observer que Clément
commence par régler leur compte & deux idées rapportées au livre V :
ptemiérement, il refuse de croire qu’enfreindre la coutume puisse étre
un acte impie comme le voulait Celse’; deuxitmement, il ne veut
point, contrairement au paien, accorder 4 la tradition historique une
valeur absolue?®, Mais, bien vite, il relance la discussion avec Celse
lui-méme, Ce dernier avait posé 4 un chrétien la question suivante :
«Comment puis-je apprendre la voie (686c) qui méne la-haut ? Comment
me la montres-tu 277», Or, Pauteur du Protreptique, faisant écho a
cette interrogetion : « comment donc monter aux cieux, dit-on », donne
aussitot sa téponse : «La voie (656s), c'est le Seigneur’ », Et, comme
pour accentuer encore le caractére volontairement anticelsien de ses
dires, il reprend, un peu plus loin, trois themes déja évoqués et od il
s’opposait a Celse : I'Homme est supérieur aux animaux? ; il faut
savoir renoncer a la coutume® ; tous les hommes, quelle que soit leur
condition, peuvent arriver & connaitre Dieu®*.
Arrive ensuite la réponse & l’une des attaques les plus virulentes
du Discours Véritable : Les chrétiens soutiennent que « la sagesse humaine
est folie devant Dieu... La raison qui fait tenir ce langage est la volonté
dattirer les seuls gens incultes et stupides® ». En effet, Clément prend
exactement le contre-pied de cette affirmation en essayant de montrer
que la sagesse est précieuse aux yeux de Dieu et engendre méme une
éthique tout a fait valable du seul point de vue humain:«Les hommes»,
écrit-il, « doivent considérer la sagesse comme un beat point de départ
pour n’importe quelle étape sur les routes de la vie, voir en cette méme
sagesse le port du salut, a Pabri des tempétes ; c'est elle qui fait de
ceux qui sont accourus auprés du Pére de bons péres pour leurs enfants,
73. Il s’agit de II, 312 c. Texte cité en Contre Celse, VI, 18 et Proty. 6, 68, 5.
74. Prolreptique, 6, 71, 1. Sur la présence « écrasante + de Platon dans l'ouvrage
de Celse, ef. tes réflexions de M. Borret (op. cit., p. 102).
15. Protveptiquo, ro, 89, 1 contre Contre Celse, V, 25.
76. Protreptique, x0, 89, 3 contre Contre Celse, V, 34.
77. Contre Gelse, VI, 66.
78. Protreptique, 10, 100, 1.
79. Ibid., 10, 100, 3.
80. Ibid., 10, tor, 3.
8x. Ibid., 10, 105, 2.
82. Contre Celse, VI, 12.REPLIQUES A GELSE CHEZ CLEMENT D’'ALEXANDRIE 15
de ceux qui se rappellent I’poux de bons maris pour leurs femmes, de
ceux qui ont été rachetés du’ pire des esclavages de bons maitres pour
leurs domestiques®? »,
De la méme fagon, est contrecarrée, & la fin du chapitre 6, du Protrep-
tique, Vattaque rapportée a la fin du livre VI du Contre Celse. Le paien
insistait sur deux points : Jésus avait été petit, laid, vulgaire® ; sa venue
en Palestine comme Fils de Dieu n’est, en fin de compte, qu’une fiction
extrémement dérisoire, étant donné qu’élle n’a concerné qu’un seul
peuple®®, Or, si Clément accorde volontiers que les apparences du Christ
pouvaient le faire mépriser, il affirme aussitét : « La puissance divine
a, en lui, illuminé la terre, tout rempli de la semence du salut et répandu
le Logos sur toute la surface de la terre® », De plus, on dirait qwaux
sarcasmes du paien (comparant ici le Diew des chrétiens au Zeus de la
comédie qu’on voit se réveiller d’un ong sommeil) le Pére grec ait voulu
répondre par une page trés vibrante et par‘une allusion «au drame
du salut de ’humanité », Bref, c'est comme si Pon demandait un peu
de sérieux & un adversaire qui ne prend pas au sérieux les choses sérieuses...
Enfin, c'est la méme opposition 4 Celse qui transparaft aux deux der-
niers chapitres du Protreptique, a pensée du paien est ici exposée au
livre VIII d’Origéne. Premiére attaque : un vrai chrétien ne devrait ni
se marier ni avoir des enfants®?, Réponse de Clément : il s’agit-la de
problémes secondaires®, Deuxiéme offensive : un vif éloge de la man-
tique®®, Réponse de Clément : « Viens a moi, vieillard, toi aussi quitte
Thébes, rejette la divination et le culte de Bacchos, laisse-toi mener
par la main vers la vérité®? », Troisitme assaut : Celse affirmé que passer
par les démons est nécessaire pour aller 2 Dieu, Clément prétend,
pour sa part, que le véritable intermédiaire est le Togos®, Puis, vient,
dans Yun et l'autre ouvrage, une nette exhortation A étre uni A Diew93"
Or, on trouve ici une nouvelle et curiense coincidence : allusion est faite
—clairement dans le Protreptique, discrétement chez Celse — a « homme
juste et saint avec intelligence » dont parle Platon dans le Théétdte™*,
83. Protreptique, 10, 107, 2-3.
84. Contve Celse, VI, 75.
85. Ibid., VI, 78.
86. Protveptique, 10, 110.
87. Contre Celse, VILL, 55.
88. Protroptique, 11, 113, 1
89. Contre Gelse, VII, 45.
90. Protreptique, 12, 119, 3.
ot. Contve Celse, VILL, 55 et 58.
92. Protreptique, 12, 120,
soe Contre Celse, VIII, 63 ; Protreptique, 12, 122,
4. Théétite 176 b. Cité par Clément en Proiveptique, 2, 122, 4. Pour Celse,
1a ‘those a été mse en lumigce par M. Borret dans le tome IV de son édition & la
Page 299 [il s’agit d’un commentaire de Contre Celse, VIII, 55).16 J-M. VERMANDER
La seule différence entre les deux conceptions, c’est, bien entendu,
que, pour le paien, cet idéal se réalise dans le paganisme, pour le chrétien,
dans le christianisme !
*
ae
Jes nombreuses ressemblances qui ont été découvertes entre les
deux ceuvres, l'opposition de levrs auteurs sur bien des points, Pair
de parenté qui se dégage fréquemment du contexte entourant ces simili-
tudes et ces oppositions, tout cela devrait, semble-t-il, emporter Padhésion
de ceux que la premiére partie de cet article n’a pas convaincus. Le
pur hasard ne saurait en effet expliquer, & lui tout seul, que tant de
passages des deux publications aient un lien entre eux.
Aussi bien voit-on s’éclairer, grace au rapport qui vient d’étre établi,
plusieurs textes du Protreptique, jusqu'ici assez obscurs. Ainsi, Clément
fait cette déclaration assez surprenante, au premier abord, pour un
écrivain féru @hellénisme : « Puisque le Logos luiméme est venu du
ciel 4 nous, il me semble que nous ne devons plus aller 4 aucune école
humaine, mi nous soucier d'Athénes et du reste de la Gréce, non plus que
PIonie® », Or, cette affirmation s’explique, pour peu qu’on la rap-
proche de maints développements celsiens relatifs 4 1a supériorité des
dires de Platon et d’Héraclite sur les Reritures chrétiennes®?. Il est clair
en effet que ’auteur chrétien a voulu répliquer 4 un écrivain dont l’inten-
tion était de magnifier le « miracle » grec pour abaisser d’autant mieux
la pensée judéo-chrétienne. Au reste, l'amour de Clément pour fa Gréce
demeure intact, puisqu’il déclare un peu plus loin ; « Par le Logos, le
monde entier est devenu désormais une Athénes et une Gréce® »,
Si certains développements de Clément apparaissent pour ce qu’ils
sont véritablement, c’est-d-dire pour des répliques a Celse, il est clair
aussi que toute la polémique antipaienne du Protreptique perd ce carac-
tére «un peu lassant » que lui ont accordé plusieurs commentateurs®?.
En effet, chacun des arguments antipaiens prend un relief nouveau du
fait qu'il apparatt comme une rétorsion a une attaque toujours trés
mordante.
95. Protreptique, x2, 122, 2 et 4 (seul, le chrétien est pieux, affirme Clément) ;
sur la pensée de Celse (développée notamment en Conire Celse, VIII, 63), voit
les commentaires de M. Botret dans son tome V, p. 114.
96. Protr. xx, 122, 1, C’est moi qui souligne,
97. Le livre VI du Contre Ceise est rempli d’allusions & Platon et de citations
platoniciennes. Héraclite est le seul philosophe A étre mentioané en plus (cf. VI, 13).
Notons aussi le jugement sévére de Celse sur les Ecritures chrétiennes : « Tout cela-
a été mieux dit chez les Grecs » (VI, 1).
98. Proiy. rx, 1x2, 1 (en fin de paragraphe).
99. Ainsi Cl, Mondésert dans son édition (Clément d’ Alexandrie. Le Protreptique,
Paris, 1949, p. 17). Généralement d’ailleurs, la critique ne voit pas d’un bon ceil
la polémique chrétienne contre les dieux et les cultes paiens. J’essaierai de dire
Pourquoi dans ma these.REPLIQUES A CELSE CHEZ CLEMENT D’ALEXANDRIE 17
Et, du coup, les fameuses « révélations » sur les mystéres paiens sont
destinées 4 intéresser non plus seulement les historiens des religions,
mais aussi les historiens des idées.
Quant 4 histoire littéraire, elle s’enrichit désormais d’un nouvel
apercu sur la controverse pagano-chrétienne des années 170-250 : aucun
auteur chrétien de cette période ne peut plus étre considéré comme
ayant été indifférent au plus grand adversaire de sa foi, Celse, c’est-d-dire
comme ayant vécu en marge des débats les plus importants de son époque.
On peut méme remarquer qu’a Alexandrie,. le combat semble s’étre,
du cété chrétien, déroulé en trois étapes : l'auteur de 1A Diognéte a
ouvert les hostilités en se livrant 4 quelques escarmouches ; puis Clément
d@Alexandrie a lancé un certain nombre d’offensives limitées ; enfin
Origéne a livré bataille sur tous les fronts.
Pourquoi ne pas penser que cette progression est lide A la diffusion
de plus en plus importante du Discours Véritable dans les milieux ot
Yon hésitait entre paganisme et christianisme ?
Jean-Marie VERMANDIRLa composition et l’exégése
dans les deux lettres Ad uxorem,
le De exhortatione castitatis
et le De monogamia
ou
La construction de la pensée
dans les traités de Tertullien
sur le remariage™
IV — DE MONOGAMIA
Alors que Paul, l’auteur sacré le moins favorable au mariage, avait
expressément autorisé et méme, en certains cas, ordonné le temariage
aux veufs, Tertullien, dés sa premiére lettre Ad uxorem, le leur a décon-
seillé. Et, si, dans sa deuxiéme lettre, il le leur permettait quand méme,
4 condition qu'il se fit « dans le Seigneur », dans le De exhortatione casti-
latis il soutenait que cette permission était révoquée ou, en tout cas,
qu’elle ne devait plus étre utilisée. Voici que, dans le De monogamia,
@une fagon encore plus absolue, il prétend qu’elle est totalement révo-
quée depuis longtemps, et que, pour les chrétiens, elle n’a jamais été
qu'une exception temporaire a l’'usage de ceux qui étaient déja vents
lors de leur conversion. Or, bien que cette évolution le conduise, en
réalité, 4 s’opposer ici a 1'Eicriture encore plus profondément que dans
les traités antérieurs, il croit toujours lui étre fidale, c'est toujours sur
253. Voir le début de cet article dans REAug. 22, 1976, p. 1-28, 201-217.TERTULLIEN ET LE REMARIAG. 19
elle quil s’emploie 4 construire sa démonstration. La contradiction
entre intention et réalisation s’est donc aggravée une nouvelle fois,
Nous devons tenter d’élucider ce paradoxe, Mais nous ne le pouvons
pas demblée. Nous lentreprendrons dans notre conclusion générale.
Auparavant, il nous faut analyser cette nouvelle démonstration : mettre
en lumiére son organisation et reconnaitre en quoi elle peut sé révéler
supérieure aux précédentes, puis examiner son exégése et rechercher
si sa construction ne répond pas A des nécessités plus secrates qu'il n’y
parait & premiére vue.
A. La composition apparente ct les perfectionnements de la démonstration
On a déja repéré les grandes lignes de ce traité : il ne s’agit pas seule-
ment, pour T’essentiel, d’un examen des Feritures, considérées dans
Jeur ordre chronologique, mais d’un plaidoyer de forme trés classique.
J.-C. Fredouille a décelé qu'il s’organise en une narratio, une diuisio,
une argumentatio et une peroratio® ; et R. D. Sider a montré que
Pargumentatio se divise en:
une prasmunitio (2-3 : la défense du Paraclet),
— une confirmatio (4-9 : Ancien Testament et les Evangiles),
— une reprehensio (10-14 : les Epttres de Paul),
— une amplificatio, que nous préférerions appeler retorsio (15-17, 4)*°4,
Mais ces observations ne sauraient suffire 8 rendre compte du mouve-
ment de la pensée. C’est Iui que nous allons tenter de dégager en précisant
d@abord comment il se présente 4 un lecteur qui n’est pas sur ses gardes®65,
a53b. J.-C. Frepounin, Tertullien, p. 128-131. Pour les réserves que nous ayous
a formuler sur la délimitetion de ces parties, et sur la composition de l'argumen-
tatio, of, ci-dessous, n, 261 et 3r1.
254. R. D. Stour, Ancient Rhetoric, p. 34, 32, 37 (cet auteur ne précise pas quelle
étendue il donne a l'amplificatio). Pour les différents points de ce schéma rhéto-
rique, cf. les textes cités par T. D. Barnus, Tortullian, p. 254, en particulier :
(xe, de ovat. I, 143 et Rhet. Her. I, 4.
255. Voici le schéma de 1a composition du De monogamia :
NARRATIO (r, 1-2) : ‘Trois points de vue sur le mariage
= la position des « spirituels » représente un équilibre entre deux excés
inverses :
Deux exeds :
~ ¢haeretici nuptias auferunt » == ¢ continentia haeretica »
« psychiel inferunt » = ¢licentia psychica »
L'équilibre
= ¢spiritales » = ¢ continentia... religiosa »
« licentia nerecunda ».
Divisio (t, 3 - 2, 1): Un,enchainement faneste
= la position fausse des’ « psychiques » :
a)ils préférent la chair A esprit,
b) si bien qu’ils traitent d’hérésie la « monogamiae disciplina »,
c)si bien qu’ils nient le ¢Paracletns » comme «nonae disciplinae
institutor et ... durissimae illis ».20 CLAUDE RAMBAUX
‘Tertullien commence par présenter deux attitudes opposées : celle
des hérétiques — il pense vraisemblablement aux marcionites —, et
celle des « psychiques » — il vise les catholiques. Les uns suppriment
Je mariage, les autres le multiplient. Ii attaque ces deux attitudes comme
ARGUMENTAMIO (2 - 17, 4) :
¢’) Défense du Paraclet (¢ Mentio Paracleti ut nostri alicuius auctoris »,
4, 1) (Praemunitio).
« Generalis retractatus » (2, 1)
Le Paraclet peut enseigner quelque chose de nouveau et de pesant,
en accord avec la ¢ fides» et la «disciplina » (2)
Mais quand il impose la monogamile, il ne faut pas voit en lui
Vinstigateur d’une discipline nouvelle et pesante, il fautreconnattre
Vavocat de la faiblesse humaine, puisqu'il pouvait exiger la conti-
nence absolue (3).
b’) Défense de la ¢ monogamiae disciplina » (Conjirmatio).
+ Communia instrumenta sctipturarum pristinarum » (4. 7.) :
- @ Originales personae »
La monogamie des origines a valeur de loi, puisque le Christ
nous raméne anx origines (4-5)-
La suite de l'histoire sainte n’infirme pas ce principe, an
contraire (6).
- « Legates scripturae »
Les preseriptions légales ne I'infirment pas non plus, au
contraire :
Ce qui justifiait 1a reproduction n’est plus valable.
Ce qui justifiait la monogamie est devenu valable pour tous (7).
«Lex proprie nostra, id est euangelium > : la monogamie et la
continence sont enseignées par les Evangiles :
~ implicitement
Exemples de monogamie et de continence
« Cetera argumenta » (8).
— explicitement (+ sententiae »)
Jésus interdit le divorce et il condamne le mariage avec
une divoreée en le qualifiant d’adultére,
Or, selon Dieu I'adultéte est I'union avec une nouvelle per-
sonne, de quelque fagon qu’ait été interrompue la premiére
union.
Done, peu importe que le. premier conjoint soit mort ou
vivant : Dieu condamme tout remariage (9).
(Reprehensio}
« Apostolus »
~ Voir d’abord que la mort sépare encore moins les conjoints
que Ie divorce (r0, 1-4).
et que Ja résurrection non plus ne les séparera pas (réfutation
de Matth. 22, 30) (10, 5-8).
Voir aussi les inconvénients qu'il y a & demander le remariage
aux prétres auxquels il n'est pas permis — & étre remarié dans
V¥glise qui est vierge et épouse unique du Christ — a étre
prise entre deux maris (11, 1-2).
- 1 Cor. 7, 39 ne peut contredire & lui seul tout ce qui précéde
(rappel des objections des chapitres 3-7) ;
Ce verset ne permet le remariage qu’aux gens s¢parés par la
mort avant leur conversion, permission d’ailleurs aussitot
révoquée (11, 3-13).
~ I Tim, 3, 12 : si ce verset ordonne la monogamie aux clercs,
il Yordonne & tous (12).TERTULLIEN ET LE REMARIAGE 2n
des exces opposés®®5, et présente alors celle des « spirituels » — 1a sienne —
comme une sage uia media entre ces deux extrémes : « Nous connaissons
un seul mariage comme un seul Dieu®? ». Il arrive ainsi a la fois & se
démarquer des marcionites, dont il pouvait sembler se rapprocher par
trop dans ses traités précédents, et & apparaitre comme un modéré en
face des catholiques, qui lui reprochaient son extrémisme?**,
Aprés avoir ainsi exposé et situé sa thése — la nécessité de se limiter
a un seul mariage —, il se tourne contre ses principaux adversaires,
les « psychiques ». Il fait en quelque sorte leur portrait, en montrant
Yenchainement de leurs erreurs : ils préférent la chair a Pesprit, si bien
quils traitent d’hérésie la « discipline de la monogamie », et nient le
Paraclet auquel ils reprochent d’étre «!'instigateur d’une discipline
nouvelle et trés dure pour eux». Cet enchainement est fortement
souligné : la premiére des conséquences est introduite par « c'est pour-
quoi», la seconde par « pour atcine raison davantage*™ », De cette
- I Tim, 5, 14 ne concerne que les femmes devenues veuves avant
leur conversion (13, 1).
~ Rom. 7, 2-3 ne concerue que ceux qui sont encore sous Ia loi
(13, 2-3)+
Si Ia permission a été effectivement donnée, c’était comme excep-
tion temporaire. Mais maintenant, avec le Paraclet, le but et
les moyens sont nouveaux (14).
a’) Attaque des « psychiques » (Retorsio)
Chez nous : il n'y a ni « duritiay ni ¢haeresis » (r5, x).
Chez vous : il y a une mollesse abusive (15, 2) :
- ie ae @tre plus exigeants dans des cas plus difficiles
16, 2-4).
= Vous savez faire prenve de «fortitudo », «in opera carnis »
(x6, 1-28),
~ Vos arguments extra-scripturaires ne tiennent pas (« inopia,
solitudo, posteritas 1) (16, 2b-5).
— Non seulement les «sancti », mais fes paiens eux-mémes font
mieux que yous (cexempla » de « monogamia » et de ¢ conti-
nentia ¥). Ils vous jugeront (r7, 1-4).
PERORAMIO (17, 5) ?
‘Honte A vous, « Sufficiat semel nubere ».
Revenez, sinon au second Adam, du moins au premier, & moins d’en
inventer un troisiéme,
256. Monog. 1, x. Tertullien nomme ainsi les responsables des deux excés qu’il
signalait déja au début de YAd usorem I (cf., REAug, 22, 1976, p. 12, 0. 48), et
il donne plus de netteté et de fermeté A sa critique.
257. Monog. t, 2, texte cité, REAug, 22, 1976, p. 5, 0. 10,
258. Ci. J. Srmmmann, Tertullien, p. 266: « Tertullien veut découvrir 1’équilibre
entre Vorthodoxie et I’ascse par la loi de la monogamie : une seule femme, non
seulement & la fois, mais pour toujours ».
259. Monog. 1, 3 - 2, 1. C’est en 2, 1 qu’on lit les expressions « monogamiae
disciplina » et « nouae disciplinae institutor et... durissimae illis »,
260. Monog. 2, 1 : «Itaque monogamiae disciplinam in haeresin exprobrant,
nec ulla magis ex causa Paracletum negare coguntur... » Cf. isium, 1, 3 : « propter
hoc nouae prophetiae recusantur»; pudic. 1, 20 : ¢durissime nos infamantes
Paracletum ‘disciplinae enormitate digemos foris sistimus ¢,22 CLAUDE RAMBAUX
fagon, les objections des catholiques passent pour I'effet de leur péché.
Mais cette présentation n’est pas seulement habile par ses suggestions
et son apparente logique, elle l’est aussi parce qu’elle donne, en ordre
inverse, le plan du traité : Tertullien va remonter la filiére en défendant
le Paraclet (chapitres 2-3), en défendant la discipline de la monogamie
(4-14), et en passant @ l'attaque contre les « psychiques » (15-17)°*4
I commence son argumentatio pat un «examen général? » dans
lequel il s’efforce de prouver que, loin d’étre « linstigateur d’une disci-
pline nouvelle et trés dure», le Paraclet est notre « avocat®® », C'est
une praemunitio contre la praescriptio des catholiques. La démonstration
s'effectue en deux temps. Vient @abord le point de vue général. Le
Paraclet peut, selon Joh. 16, 12-13, introduire quelque chose de nouveau
et, en tant que tel, de pesant a porter. II n’y a pas de risque qu'il ne
soit pas l’Esprit-Saint, puisqu’il se reconnait A son accord avec la foi
et avec la discipline du Christ®4, Suit le point de vue particulier : le
probléme précis de la monogamie®*5, En fait, la monogamie n'est pas
pesante, puisqu’elle ne peut paraitre telle qu’A Pimpudente faiblesse
de la chair ; et elle n’est pas nouvelle, puisque le Paraclet aurait pu
demander davantage sans innover : il aurait pu demander la virginité
ow la continence absolue, en accord avec le Seigneur et avec Paul?®®,
En effet, cet apétre préférait déja la continence, et il avait raison de
le faire, en accord avec l’Esprit-Saint®” ; Jean aussi préférait la conti-
nence, et a juste titre, a exemple du Seigneur®®, Pourquoi done I’Esprit
ne pourrait-il poursuivre jusqu’au bout ce mouvement, en interdisant
tout mariage, conformément a la vie et a la volonté du Seigneur et
de Paul ? S'il ne Ua pas fait, c’est que, loind’étre un innovateur, il s'est
fait l'« avocat » de Ja faiblesse®®, ‘Tertullien arrive ainsi a donner a
son Paraclet le réle que Jésus attribuait effectivement au Saint-Esprit?”,
261. En excluant de la s diuisio + monog. 1, 3 pour la limiter & monog. 2, 1,
J.C. Frepounre, Tertullien, p. 128 et n, 217, en élimine l’annonce de la derniére
Pattie, la ¢ retorsio » des chapitres 15-17, 4. Il préfére voir dans les chapitres 15-16
d'examen de Ia « facilites monogamiae », et dans le chapitre 17 la « peroratio ».
Mais, cf., ci-dessous, n. 311.
262. Monog. 2, 1: 0... in generali retractatu... »
263. Monog. 3, 10 : « aduocatus ». Ie mot apparait dans la phrase de conclusion
de ce premier point,
264, Monog. 2, 2-4.
265. On pourrait parler ici d'hypothase (monog. 3) succédant A la thase (monog. 2),
au sens rhétorique de ces termes.
266, Monog. 3, x.
267. Monog. 3, 2-6.
268, Monog. 3,7.
269. Monog. 3, 8-10
270. En fait, ¢Paracletus» est le décalque du grec «napdxAntog» qui, dans les
écrits johanniques, les seuls de la Bible ot om le rencontre, signifie aide, défenseur,
protecteur. Mais, si Tertullien en a fait un nom propre, Jean l’emploie uniquement
comme un nom commun désignant yne fonction. Cf. oh. 4, 16: ¢ Bt je prierai
(Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 356) Martin Beck-Der „Tag YHWHs‟ im Dodekapropheton_ Studien im Spannungsfeld von Traditions- und Redaktionsgeschichte-Walter de Gruyte.pdf