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Revue des Etudes Augustiniennes 31 (1985) 3-19 Quelques aspects de la piété populaire dans |’ Antiquité tardive” La piété populaire est celle de ’homme ordinaire et, par définition, "homme ordinaire est celui qui ne laisse aucune inscription personnelle dans histoire. -Dans les milieux urbains, c’est ’homme de la rue, dans les campagnes, le pay- san. Au mieux, on atteint ces hommes dans des phénoménes collectifs, ou lorsque d’autres, plus autorisés, leur ont prété une voix pour les défendre, s’il en était besoin, et ont exprimé tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Il s’agira donc ici de décrire le comportement religieux anonyme des hommes ordinaires dans la société 4 Pépoque de l’Empire. Commengons par le milieu urbain. Certains incidents ou certains aspects de la législation religieuse doivent traduire quelque chose du sentiment collectif des citoyens de la rue. Prenons ’exemple de la ville d’Ephése en Asie!. Sous le régne de l’empereur Néron, au milieu du 1* siécle de notre ére, probablement en 57, il se produisit 4 Ephése une manifestation monstre en faveur de la déesse nationale, Artémis. Partout, dans le monde entier, I’on savait qu’Ephése est la cité qui a vu naitre et qui a nourri la déesse, fille de Zeus et de Leté. Chaque année l’on exporte quantité de ses statues, et des foules viennent en pélerinage a son temple qui est l'une des sept merveilles du monde. Mais, depuis quelque temps, l’un de ces prédicateurs ambulants de divinités nouvelles, Paul de Tarse, annonce publiquement, 4 temps et a contre-temps, qu’ils ne sont pas vraiment des dieux ceux qui sont sortis de la main des hommes, théorie dangereuse ot tout le monde pergoit une attaque directe contre la déesse Artémis. Un groupe de citoyens plus particuliérement concernés, les orfévres, qui fabriquent 4 longueur d’années les statuettes de la déesse figurée dans son sanctuaire, que lon vend aux pélerins dans le voisinage du temple et dans toutes les boutiques * Ce texte traduit en anglais paraitra dans le volume 15 de lencyclopédie américaine World Spirituality, 1, Sur la ville d’Ephése dans l’Antiquité, voir l'article collectif du Pauly-Wissowa, Suppl. Bd. XII, 1970, col. 248-364 par D. KNtanr et St. KARWIESE, et col. 1588-1704 par W. ALZINGER, ct pour la période byzantine, of. Cl. Foss, Ephesus after Antiquity : A late Antique, Byzantine and Turkish City, Cambridge 1979. 4 H.D. SAFFREY de la ville, prennent la téte du mouvement destiné a stopper les agissements de Paul. Le jour venu, ils fomentent si bien agitation parmi leurs concitoyens que ceux-ci se forment en cortége en criant leurs slogans. Les voila qui montent au thédtre voisin qui se trouve rempli en peu de temps par une foule immense. Pendant deux heures, tous scandent Il’acclamation liturgique officielle : « Grande est l’Artémis des Ephésiens ». Leur clameur s’entend a travers tous les quartiers, et peu a peu toute la ville se trouve rassemblée. Les derniers arrivés ne savent méme pas pour quelle raison l’on manifeste, mais eux aussi, d’un coeur ardent, scandent de toutes leurs forces: «Grande est |’Artémis des Ephésiens ». Ce n’était plus alors l’émeute des orfévres, c’était une affaire d’état, qui mobilisait opinion publique et "homme de la rue dans sa vie religieuse la plus profonde: on ne doit pas toucher a la déesse nationale, Artémis était au-dessus de tout dans leur cceur. Pour apaiser ce mouvement et ramener le calme, il fallut que le secrétaire du Conseil municipal en personne vienne donner l’assurance que des mesures seraient prises pour conjurer le danger et poursuivre le coupable. On le ferait comparaitre a la prochaine session judi- ciaire du Proconsul?. Lamour viscéral de chaque Ephésien pour sa déesse Artémis devait encore se manifester un siécle plus tard, sous l’empereur Antonin. Chaque année, on célébrait la féte d’Artémis, la déesse nationale qui régnait sur !a ville et tout le territoire. On sortait alors la statue de culte hors du temple et, dans une proces- sion magnifique, on l’amenait solennellement jusqu’au théatre of l’on !’installait au centre de l’orchestre pour recevoir la priére et l’adoration de toute la ville 4 Voccasion des sacrifices et des concours que I’on célébrait en son honneur. Le mois au cours duquel cette féte était célébrée, portait le nom méme de la déesse, le mois d’Artémisi6n. Or, au mf siécle, le peuple d’Ephése jugea qu’il ne suffisait pas de féter seulement quelques jours dans le mois la déesse Artémis, mais que c’était le mois tout entier d’Artémisién qui devait étre consacré 4 la déesse, afin qu’Artémision fat pleinement le mois d’Artémis. L’assemblée du peuple et le conseil réunis, ayant examiné ce projet, votérent un décret instituant « le mois d’Artémis ». Nous avons conservé dans une inscription qui se trouve au British Museum, le texte de ce décret qui traduit l'accord sur ce point de tous les citoyens? : Ta plu au Conseil et au Peuple de la cité d’Ephése, premiére et trés grande métropole de I’Asie..., attendu qu’Artémis, la déesse qui préside A notre cité, est honorée non seu- 2. Le récit de cette manifestation se trouve dans les Actes des Apétres 19, 23-40, Sur ce récit voir le commentaire de L. ROBERT, La date de l’épigrammatiste Rufinus. Philologie et réalité, dans CRAI, 1982, p. 50-63, en particulier p. 55-57. Une manifestation analogue a eu lieu cent ans plus tard en raison d'une gréve des boulangers, cf. W.H. Buckter, Labour Disputes in Asia, dans Anatolian Studies Ramsay, Manchester 1930, p. 27-50, en particulier, p. 30-33. Pour Vacclamation comme manifestation populaire, voir Ch, ROUECHE, Acclamations in the Later Roman Empire: new Evidence from Aphrodisias, dans Journal of Roman Studies 74, 1984, p. 181-199. Témoignage analogue 4 Pergé en Pamphilie publié par I. Kavousuz, Perge : un- ter Kaiser Tacitus Mittelpunkt der Welt, dans Epigraphica Anatolica, Heft 4, 1984, p. 1-4. 3. Le texte de cette inscription peut se lire dans Sylloge!, n° 867, PIETE POPULAIRE DANS L'ANTIQUITE TARDIVE 5 lement dans sa propre patrie qu’elle a rendue la plus glorieuse de toutes les cités par le moyen de sa divinité, mais aussi chez les Grecs et chez les Barbares, si bien que partout des emplacements et des enclos sacrés lui sont consacrés, que lui sont élevés des temples, des autels et des statues, a cause des brillantes épiphanies produites par Elle, et en outre attendu qu'il y a une trés grande preuve de la piété que l'on a pour Elle, & savoir le mois nommé d’aprés son nom, appelé chez nous Artémisién, chez les Macédo- niens et le reste des Grecs, dans leurs cités, Artémision, mois au cours duquel sont accomplies des fétes et des célébrations, en particulier dans notre cité, nourriciére de sa déesse Ephésienne, le Peuple d’Ephése a pensé qu’il convient que le mois tout entier qui porte ce nom divin, soit sacré et dédié 4 la déesse ; par ce décret, nous avons décidé @établir en son honneur le culte suivant : que le mois d’Artémisién soit sacré en tous ses jours, qu’en ces jours-la de ce mois de Pannée aient lieu des fétes et la célébration des Artémisia, de telle sorte que le mois tout entier soit consacré la déesse ; de la sorte, en effet, autant sera plus grand Phonneur rendu a la déesse, autant notre cité demeurera éternellement plus comblée de bonheurs et de gloires. Ce fier langage est sans doute celui des secrétaires municipaux qui ont rédigé ce beau texte, mais nous ne pouvons pas douter qu’il exprime parfaitement le sen- timent populaire, sentiment d’un attachement inconditionnel a |’égard de la déesse Artémis. Faisons l’effort d’imaginer 1a liesse populaire qui s’empare de a ville et de toutes les campagnes Ephésiennes, la féte va durer un mois entier. Voila les processions et les sacrifices accompagnés de cantiques et d’hymnes chantés par les chorales de la ville. C’est a cette occasion, au moins dans les milieux populaires, que Ion mange de la viande dans le repas de féte qui suit le sacrifice et la cérémonie proprement dite, lorsqu’on peut acheter le reste des viandes immolées. Voila ensuite les concours organisés, les jeux du corps et de Pesprit, dans lesquels les athlétes et les poétes se disputent entre eux la victoire. Voila les représentations théatrales, peut-étre méme certains « mystéres » qui racontent la vie de la déesse, les mimes aussi qui détendent aprés les mois de Phiver, ou encore les conférences des rhéteurs qui racontent Phistoire de la cité et en célébrent, les nobles origines. Arrive A son tour le jour de Ja remise des prix, il y a encore des discours officiels et le palmarés, chacun éprouve une forte joie a entendre proclamer le nom d’un jeune qu’il connait ou seulement de son favori. A cette occasion, on lit publiquement les décrets par lesquels la cité honore ses amis, ses bienfaiteurs ou ses enfants qui se sont illustrés pour elle dans d’autres épreuves 4 l’étranger. Et toute la féte se termine par une autre grande procession par laquelle on raméne la statue de la déesse dans son tem- ple a travers toute la ville*. Une autre fois, c’est au port que l’on transporte la statue de culte, le jour de Pouverture officielle de la navigation aprés la fermeture des mois dhiver. Les prétres plongent pieusement la statue dans l’eau de la mer pour qu’Artémis protége les navigateurs. Car Ephése est essentiellement un port, le seul débouché de tout l’arriére-pays de l’Asie, depuis que le port de Milet est tota- 4, Sur les fétes d’Artémis 4 Ephése, cf. M,P. NiLsson, Griechische Feste von religidser Be- deutung, Stuttgart 1906, p, 243-247, et A.J. FESTUGIERE, Le monde gréco-romain au temps de Notre-Seigneur II, 1935, p. 63-64. 6 HD. SAFFREY lement ensablé, et la aussi ou arrivent toutes les marchandises en provenance de l’Occident. De ce fait, Artémis n’est pas seulement l’étoile de 1a mer, elle est aussi la reine des affaires commerciales, pour les paysans aussi bien que pour les artisans et les industriels. Pour eux tous, c’est son effigie qui est frappée sur les monnaies et qui est le symbole de la richesse et de la prospérité. C’est encore une raison pour laquelle tout le peuple la prie beaucoup. Oui, l’acclama- tion liturgique : « Grande est 'Artémis des Ephésiens », exprime la solidarité de tout le peuple d’Ephése’. Laissons encore passer un siécle. Le premier titre honorifique par lequel on a décoré la ville d’Ephése est celui de «néocore d’Artémis », c’est-a-dire Gardienne de son temple qui est en méme temps l'un des plus célébres lieux dasile du monde’, Ce n’est qu’ensuite et secondairement qu’Ephése méritera de devenir «néocore des Empereurs », et que l’on batira des temples en |’honneur de Domitien (et aprés la damnatio memoriae de cet empereur, en ’honneur de Vespasien) et en l’honneur d’Hadrien. Mais jamais aucune autre divinité ne prendra la place d’Artémis dans le coeur d’un Ephésien. On est si adorateur de la déesse que souvent l’on donne aux nouveau-nés le nom d’Artémidore, qui signifie « cadeau d’Artémis ». Ainsi regoit-on les enfants en cadeaux d’Artémis qui favorise les heureux accouchements. Le plus célébre de tous ces Artémi- dores, l’auteur de la Clef des songes, dit que c’est une bénédiction de voir la déesse dans les réves, car « Artémis est bonne pour ceux qui la craignent, c’est par Elle, en effet, qu’on est en bonne santé». Pour la prier, on égrenait des sortes de litanies et on la saluait des noms de: «Celle qui sauve », «la Souveraine », «la Reine du monde », « la Déesse du ciel », «la Trés Grande », «la Trés Sainte », «la Trés Merveilleuse »7. En plein mr‘ siécle, la ferveur religieuse était encore intacte 4 Ephése. C’est en effet a ce moment-la que le Conseil municipal de la ville décide de faire graver, comme un rappel de ses devoirs religieux, une loi sacrée qui est une sorte dabrégé des rites religieux fondamentaux de la Patrie. En voici le texte®: Le Prytane (c’est-a-dire le premier magistrat de la cité) allume le feu sur tous les autels et offre encens et les aromates consacrées, il présente a ses frais les victimes a sacrifier aux dieux aux jours déterminés par Ia loi, au nombre de trois cent soixante-cing (c’est- a-dire une béte par jour), 4 savoir cent quatre-vingt-dix victimes sur lesquelles on prélé- vera le cceur et les cuisses, et cent soixante-quinze victimes complétes, le hiérophante public Iui donnera des conseils et lui apprendra quelle victime est fixée par la loi pour ‘5. La signification culturelle et religieuse d’Artémis a Ephése a été bien mise en évidence par R. Oster, The Ephesian Artemis as an Opponent of Early Christianity, dans Jahrbuch fiir Antike und Christentum 19, 1976, p. 24-44. 6. Cf, Actes des Apétres 19, 35, J. KetL, Die dritte Neokorie von Ephesos, dans Numisma- tische Zeitschrift 48, 1915, p. 125-130, et L. ROBERT, Sur des inscriptions d'Ephése 6. Lettres impériales @ Ephése, dans Revue de Philologie 41, 1967, p. 44-64. 7. Cf. R. Oster, art. cit., p. 40. 8. Cf. D. Kntppe, Der Staatsmarkt. Die Inschriften des Prytaneions, dans Forschungen in Ephesos (X/1: 1, Wien 1981, p. 57-59, n° D1. PIETE POPULAIRE DANS L’ANTIQUITE TARDIVE 7 étre offerte aux dieux. Il fera chanter les cantiques dans les sacrifices, les processions et les cérémonies nocturnes, dans lesquelles il faut qu'il y en ait selon la coutume, et il fera prononcer les prigres pour le Sénat Romain et le Peuple de Rome, et pour le Peuple d’Ephése. Le Prytane donnera les honoraires fixés au hiérophante, au héraut sacré, au flitiste, au trompette, au hiérophante en second, celui qui examine les chairs des victimes sacrifiées, et au Couréte de semaine... On le voit : en plein mi siécle, Monsieur le Maire d’Ephése, chaque matin, a la charge de rallumer le foyer des autels et de sacrifier quotidiennement en honneur du dieu célébré ce jour-la. Il s’en va de par Ja ville avec la victime choisie et la petite suite de ses assistants, pour sacrifier et interpréter les augures, sans oublier les artistes chargés de Paccompagnement musical. Et ensuite, tout un chacun, passant prés de cet autel au carrefour des rues, en se rendant 4 son travail ou 4 ses affaires, pouvait jeter 4 son tour quelques grains dencens pour, lui aussi, faire sa priére, honorer ses dieux et supplier pour tout le Peuple d’Ephése. La pratique religieuse est en méme temps un lien civique. Le culte d’Artémis, la déesse nationale, le culte municipal quotidien de chaque dieu et de chaque déesse le jour de sa féte, y compris, n’en doutons pas, le culte des Empereurs Romains, voila le cadre de la vie religieuse de homme de la rue dans une grande cité populeuse comme Ephése. Le christianisme n’y avait encore rien changé au mI siécle, et il semble bien que la situation du culte paien soit demeurée dans l’état jusqu’au-dela de la moitié du iv* siécle. Le meilleur conseiller spirituel de l’empereur Julien, de 360 a 363, dans son essai de retour officiel 4 la religion paienne, était encore le philosophe néoplatonicien Maxime d’Ephése®. Et ce que nous venons de montrer, dans le cas d’Ephése, pourrait se généraliser pour toutes les villes du pays grec : chacune célébrait le culte public de son dieu ou de sa déesse poliade, culte qui rassemblait tous les citoyens, non seulement les notables qui avaient la charge de l’organiser, mais aussi tous ces hommes et ces femmes ordinaires dont la vie était entiérement rythmée par le calendrier religieux des fétes et qui mettaient leur espoir dans la providence de leurs dieux. Tournons-nous maintenant vers les campagnes. Y vivaient des paysans labo- rieux, attachés a la terre. Beaucoup étaient serfs, soit dans de grands domaines impériaux ou privés, soit sur des terres qui appartenaient au clergé de certains temples. Serfs, et par suite corvéables, la corvée pouvant aller jusqu’a la saisie des personnes pour des travaux jugés urgents. Sur les fermiers pesaient les taxes, cette misére du paysan toujours et en tout lieu, Egypte, Syrie ou Asie, taxes levées par les grands propriétaires, l’Empereur, s’il s’agit des domaines impériaux, ou par le clergé des grands temples. Ces paysans avaient une vie dure, la pauvre vie de chaque jour ot I’on ne travaille que pour nourrir sa famille généralement nombreuse, et le lendemain recommence pareil 4 la veille. 9. Sur Maxime d’Ephése, cf. J. BrDEz, La vie de 'empereur Julien, Paris 1930, p. 71-72, et A.H.M, Jones, J.R. MARTINDALE, J. Morris, The Prosopography of the Later Roman Empire 1, Cambridge 1971, s.v. Maximus 21, p. 583-584, et Particle du Kleine Pauly, Bd. 3 (Stuttgart 1969), col. 1116-1117, signé H. Donnie, 8 HD, SAFFREY En cette vie pénible, les seules joies étaient les fétes religieuses. et contre les caprices de la nature, « le premier secours est celui qui vient des dieux, et qui arrive par le moyen des priéres et des célébrations de culte!’». Ce que représentaient les fétes pout cette humble population paysanne, un texte précieux du tv*siécle nous le fait comprendre. Il est de Libanius, le rhéteur d’Antioche, si célébre en son temps, qui a prété sa voix 4 ses compatriotes de la campagne en face des mesures prises par l’'empereur Théodose I* contre les temples paiens et le service du culte paien, y compris dans les chapelles de la campagne, et il a su trouver le ton juste pour exprimer les torts physiques et moraux que |’on infligeait ainsi aux paysans'’. Nous sommes probablement en 386". Libanius dénonce férocement 4 l’empereur les agissements fanatiques des moines qui procédent sans ordre et sans mission’. « Toi, dit-il 4 ?Empereur, tu n’as ni ordonné la fermeture des temples ni défendu qu’on s’y rende, tu n’as chassé des temples et des autels ni le feu sacrificiel ni l’encens ni l’offrande des autres encensements. Ce sont ces gredins aux robes noires (les moines), plus voraces que des éléphants..., qui cachent ces méfaits sous la paleur qu’ils se sont acquise artificiellement. Oui, Prince, alors que la loi reste en vigueur, ils se jettent sur les temples... Une fois renversé le premier temple, on court au second, puis au troisiéme, c’est une chaine ininterrompue de trophées, tous contraires a la loi », Ce que Théodose avait ordonné, en effet, c’était d’interdire le sacrifice aux idoles, mais non pas de détruire de fond en comble les temples. Or c’est pourtant ce que font les moines sauvagement. Libanius, en effet, continue ainsi!*: Ils (c’est- e les moines) se répandent comme des torrents sur les campagnes, et par la ruine des temples, ruinent du méme coup les campagnes elles-mémes. Car arracher a une campagne le temple qui la protége, c’est lui arracher I’ceil, c’est la tuer, c’est Panéantir. Les temples en effet sont la vie des campagnes ; c’est autour d’eux que se sont baties les habitations et les bourgades, c’est a leur ombre que les générations sont nées et se sont succédées jusqu’A nous. C’est dans ces temples que les cultivateurs mettent leurs espérances et pour eux-mémes et pour leurs femmes et pour leurs enfants, pour leurs beeufs, pour la terre qu’ils ont semée ou plantée. Une campagne dont le temple a été ainsi détruit, est une campagne perdue, parce que les villageois désespérés ne se sentent plus de courage pour travailler. Car c’est en vain, pensent-ils, qu’ils prendraient de la peine, puisqu’ils sont privés des divinités qui faisaient prospérer leurs travaux, 10. Cf. Lisanius, Or. XLVI § 19. 11, Sur Libanius en général, cf. A.J, FESTUGIERE, Antioche paienne et chrétienne, Paris 1959 et P. Petit, Libanius et la vie municipale d Antioche au IV* siécle apres J.-C., Paris 1955. Sur le discours Pro templis, cf. Festuctére, ibid., p. 237-240. Pour l’analyse des conditions sociales de la vie paysanne au temps de Libanius, cf. L.HARMAND, Libanius, Discours sur les patronages, Paris 1955, p. 122-172. 12, Pour cette date, cf. P. Petit, Sur la date du « Pro templis » de Libanius, dans Byzantion 21, 1951, p. 285-309. 13. Libanii oratio XXX (Pro templis) § 8, p. 91.8- 92.5 Foerster. 14. Ibid., p, 92, 10-22. Jutilise la belle traduction de E. MONNiER, Discours choisis de Libanius, Paris 1866, p. 343-344. PIETE POPULAIRE DANS L'ANTIQUITE TARDIVE 9 Naturellement les moines prétendent que les paysans immolaient des victimes et violaient la loi. Libanius répond fermement, s’adressant toujours 4 l’Empe- reur : « Peux-tu croire que des malheureux qui ne peuvent pas méme regarder sans palir le manteau des collecteurs de l’impét, aient jamais songé 4 braver Pautorité de ’Empereur ? » Et il continue’s : Ainsi, demandera quelqu’un, vos gens des campagnes n’ont point égorgé danimaux ? Si fait, mais pour un banquet, pour un déjeuner, pour une partie de féte. Et alors les boeufs ont été égorgés ailleurs que dans les temples, l’autel n’a pas regu leur sang, aucun de leurs membres n’y a été bralé ; on n’a point commencé par répandre de l’orge sur leur téte, on n’a point fini par faire des libations'®, Que s'il est arrivé a quelques individus de se réunir dans un endroit agréable, et 1a, aprés avoir égorgé une génisse, un mouton, ou les deux 4 la fois, s°il leur est arrivé, dis-je, de faire bouillir ou rétir telle ou telle partie de Panimal, puis de la manger, attablés en plein air, je ne vois pas quelle loi ils ont enfreinte. Car tu n’as pas fait de loi, 6 Empereur, pour défendre ces réjouis- sances : tu Ves borné a une seule interdiction, et tu nous as laissé libres du reste. De facon qu’en supposant que l’on fit dans un banquet toutes sortes de fumigations, on ne serait pas coupable de contravention a la loi, non plus que si, en buvant dans Pintimité les uns avec les autres, on chantait des cantiques et des invocations en ’honneur des dieux... Autrefois, il était d’usage que les habitants de plusieurs villages se réunissent les jours de féte, dans la plus importante de ces localités, La ils sacrifiaient et, aprés le sacrifice, ils s’égayaient dans un festin. Tant qu’il fut permis d’offrir des sacrifices, ils en offrirent ; quand ce droit fut supprimé, il resta licite de se rassembler et, sauf le sacrifice, de suivre l’ancien usage. Ils solennisaient donc le jour et honoraient la divinité du temple par les pratiques autorisées ; mais nul dans ces réunions ne s’avisa jamais de demander qu’on sacrifiat. On voit bien ce qu’étaient ces fétes paysannes a l’ombre des temples : des haltes dans une vie harassante, des instants de repos dans un travail sans relache. Tant que l’on put solenniser la féte par le sacrifice offert aux dieux, on le fit, ensuite on se limita 4 une offrande d’encens et a la féte familiale et privée, accompagnée de chants et de priéres. Pour l’Asie Mineure, on a pu dresser une liste trés longue de dieux et de déesses locales, les Zeus de toutes sortes, les dieux Mén, les déesses Méres de toutes natures, qui étaient considérés et honorés par les paysans comme les divinités tutélaires de leur existence!?. Dans ce discours en faveur des temples, Libanius plaide é¢videmment pour les paysans de la Syrie et des alentours. Mais i] donne aussi une précision intéres- 15. Ibid., p.96.9- 97.8 = p, 351-353 Monnier. 16, C%était le plus vieux rite du sacrifice, ef. W. BURKERT, Homo Necans. The Anthropology of Ancient Greek, Sacrificial Ritual and Myth, Berkeley 1983, p. 3-1. 17. Voir par exemple, J. Kem. et P. HERRMANN, Titull Asiae Minoris. vol. V, Fase. 1, Tituli Lydiae, Wien 1981, p. 283, & l'Index rerum sacrarum, sv. Zeus, Mén, Métér. Voir aussi, P. HERRMANN, Men, Herr von Axiotta, dans Studien zur Religion und Kultur Kleinasiens (Festschrift Fr. K. Dérner), Leiden 1978, p. 415-423, et L. Rosert, Documents d’Asie Mineure XXVIL. Reliefs votifs (concernant des Zeus), dans Bulletin de Correspondance Hellénique 107, 1983, p. 511-597, et ibid., 106, 1982, p. 349-350, sur une féte paysanne en Lydie, et pour les fetes paysannes en Mysie (en attendant un mémoire relatif aux « Fétes paysannes en Asie Mineure ») voir Revue de Philologie 17, 1943, p. 189-195. 10 H.D. SAFFREY sante pour l’Egypte. II remarque en effet que, comme a Rome, !’autorisation exceptionnelle de sacrifier a été maintenue en Egypte. C’est en raison de la ferti- lité de ’Egypte attribuée au Nil!®. Cette_fertilité est ouvrage du Nil, et ce qui invite le Nil a déborder dans les campagnes de P'Egypte, ce sont les banquets qu’on lui offre, les victimes qu’on lui immole. Cet hommage cessant de lui étre rendu par qui de droit et dans les formes voulues, il se refuserait a arroser les terres. Ils le savaient bien, j'imagine, ceux qui supprimérent tant dautres sacrifices et n’osérent pas toucher 4 ceux-ci, quelque désir qu’ils en eussent. Ils laissérent le Nil goater en paix a ses festins séculaires et les payer du prix accoutumé. Mais quoi ! Parce qu’il n’y a pas dans chaque campagne un fleuve qui soit, comme le Nil, le bienfaiteur du genre humain, faut-il an¢antir les temples qui s’y trouvent et les livrer en proie a ces pieux dévastateurs ? Je serais curieux de savoir s‘ils oseraient proposer, requérir dans les formes, la suppression des honneurs que l'on rend aujour- d@hui au Nil, requérir par cela méme que la terre d’Egypte cessit d’étre inondée, cessat d’étre semée, cessat d’étre moissonnée, cessat de produire le blé et les autres denrées ; que ses vaisseaux enfin cessassent de transporter, par tout univers, 'abondance et la vie. Ils n’oseraient prononcer un mot qui eiit une telle portée, et alors ce qu’ils craignent de dire réfute ce qu’ils disent. N’oser dire en effet : Privez le Nil de ses honneurs, c’est confesser que les honneurs que l’on rend aux dieux dans les temples importent au bien de I’humanité. Comme Libanius exprime justement le sentiment et la plainte des paysans, lorsqu’il s’écrie : « Arracher 4 une campagne le temple qui la protége, c’est lui arracher ’ceil, c’est la tuer, c’est ’anéantir ». Car les dieux des paysans sont les divinités de la nature. En Asie, Artémis est la Reine de tout ce qui vit dans la nature sur laquelle ’homme n’a pas encore étendu Ja main. C’est 1a que le paysan a cueilli un bouquet pour sa déesse comme |’Hippolyte d’Euripide!? : Ces fleurs que j’ai tressées en couronne, 6 ma Reine, Je les cueillis pour toi sur une prairie vierge, Nul berger n’oserait y paitre ses troupeaux, Nulle main y porter la faux. Immaculée, Seul un essaim d’abeilles, au printemps, la visite... Encore de nos jours, le long des routes grecques, les femmes fleurissent une icéne de la Vierge devant laquelle, le soir, elles allument une lampe. La campagne est le lieu de la dévotion éternelle. Maintenant, pour savoir plus en détail comment les Anciens priaient leurs dieux, il faut le demander au recueil constitué par le livre VI de l’Anthologie Palatine sous le titre : Epigrammes doffrandes a des divinités, Sans doute, ce sont de petites piéces de poésie savante, mais d’une part elles expriment le fonds des gestes de la priére populaire, et d’autre part elles ont dé servir bien souvent de modéles aux priéres privées des hommes et des femmes A toutes les époques de |’Antiquité. Une analyse compléte en a été faite par A.J. Festugiére qui a pu dresser le catalogue des offrandes faites aux dieux en échange de quoi 18, Libanii oratio XXX, p. 105.17 - 106.18 = p. 369-371 Monier. 19. Euripipe, Hippolyte 73-77. PIETE POPULAIRE DANS L’ANTIQUITE TARDIVE aT on leur formule une demande, et qui conclut : « Tout un réseau d@’amitiés entre Yétre humain et son dieu enveloppait le Grec de la naissance a |’extréme vieillesse. Cela se voit par les cadeaux que le Grec fait a ses dieux. Et de ces cadeaux, les épigrammes portent témoignage »”. La jeune accouchée qui peut-étre a risqué sa vie en mettant au monde son enfant, offre une ceinture, une couronne, un voile, des bandelettes devenues inutiles, le péplos sous lequel elle portait en son sein ses jumeaux, tous cadeaux par lesquels non seulement on remercie, mais encore on remet l'enfant nouveau-né sous la protection de la déesse, le plus souvent Artémis. Un peu plus tard, on peut « vouer » enfant 4 un dieu ou a une déesse en offrant au temple un portrait de cet enfant. Une fois, la maman s’excuse: « C’est un méchant portrait, car elle est pauvre !?! » Une autre fois, la maman demande 4 Cybéle de faire croitre en beauté, jusqu’A ses noces, sa fille Aristodicé, en souvenir des danses rituelles o¥, devant le temple, la petite a laissé flotter sa chevelure, comme c’est le rite dans le culte de Cybéle”*. Lenfant lui-méme, en arrivant a l’dge de V’adolescence, fait offrande aux dieux des jouets de ses premiéres années, un ballon, des castagnettes, des osselets ou une toupie. On les offre a Hermés, le patron des gymnases, au moment ov l’on va y entrer pour la premiére fois. Mais, le plus souvent, c’est Voffrande plus touchante encore d’une boucle, de cheveux qui symbolise la per- sonne elle-méme, offrande par laquelle l’enfant se confie au dieu. Et il faut distinguer le cas du gargon et celui de la fille. Pour le garcon, c’est la consécration de l’Age viril au moment de la puberté; pour la fille, c’est Voffrande d’une boucle 4 l’occasion du mariage, avec cette priére : « Sauve pieusement la pieuse??». Ou encore, le gargon donne les jouets ou les instruments dont il se servait au moment ot, sortant de Péphebie, il entre dans la classe des hommes. Hermés Pa protégé, il lui abandonne son pétase, sa broche, son strigile, son arc, sa chlamyde. Naturellement, les offrandes et les priéres continuent dans la vie de l’adulte, les femmes offrent le travail de leurs mains, les hommes celui de leur industrie ou les produits de leurs chasses. Mais les dons les plus touchants sont les plus humbles ; des g&teaux, une tasse de vin, des olives, une grappe de raisin, une galette. On enregistre de nombreuses offrandes aux Nymphes, déesses des sour- ces qui ont désaltéré le voyageur ou le troupeau pour lequel le berger est recon- naissant. Et cela continue jusqu’a la fin de la vie, quand on ne peut plus travailler, on offre enfin les outils de son travail et l'on prie : « Daigne en retour nourrir toujours celui qui fut ton serviteur ! » 20. Cf. A.J. Festuctire, ‘AN@' "ON. La formule «en échange de quoi» dans la priére grecque hellénistique, dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques 60, 1976, p. 389- 418, que je résume. 21. Cf. Anth. Pal., VI, 355. 22, Ibid., VI, 281. 12 HD. SAFFREY Ces offrandes et ces priéres sont en effet celles des gens ordinaires aussi bien que des grands. Le chevrier Philoxénidés a taillé dans un chéne une petite sta- tue de Pan, et il lui offre un bouc aprés avoir arrosé l’autel de lait, en échange de quoi il demande que ses chévres aient toujours deux portées*, Le pécheur Ménis offre 4 Artémis Liminitis une faible offrande de poissons, en échange de quoi il souhaite que ses filets soient toujours chargés de bonne péche”’. Des matelots offrent 4 Phoibos un biscuit, une coupe de vin et une lampe, en échan- ge de quoi ils veulent la protection et le bon vent”. On le voit, ce qui compte n’est pas la valeur du cadeau lui-méme, mais Je geste de le faire ; et ce geste ne peut se comprendre que si le donateur est assuré qu’aux yeux du dieu son geste a de la valeur. Cela suppose une amitié. Lamitié pour un dieu, c’est aussi assurément ce qui déterminait les péleri- nages. De véritables circuits étaient alors organisés, en particulier en Egypte dont les dieux étaient populaires. Mais sans aller si loin nombre de sanctuaires locaux attiraient la clientéle des gens pieux. Prenons par exemple le sanctuaire oraculaire d’Apollon 4 Claros. Au m® siécle de notre ére, commence une vogue particuliérement intense pour les oracles, et quelques textes de Pausanias, d’Aelius Aristide et de Lucien attestent la célébrité de Claros. Celle-ci s’est trouvée confirmée par la fouille du sanctuaire, effectuée voici vingt-cing ans par J. et L. Robert”®, Quelques oracles en vers ont été retrouvés, officiellement gravés sur la pierre en Lydie, en Thrace, 4 Pergame et a Iconium. Chaque année les villes envoyaient des délégations pour consulter l’oracle. Les inscriptions retrouvées sur place datent du u* et du mt siécle de notre ére. Ce sont des listes de noms des personnages qui composaient chaque délégation. En téte est nommé le consultant officiel. Mais ils ont amené avec eux des cheeurs de jeunes gens et aussi de jeunes filles sous la conduite d’un directeur ; ils devaient chanter un hymne a Apollon, et quelquefois on indique le nom du poéte qui a composé l’hymne. Ces noms sont évidemment ceux de gargons et de filles appartenant a des familles ordinaires, qui avaient été sélectionnés pour leur voix. Ils venaient de toutes les parties de la Gréce, mais de préférence des parties tardivement hellénisées ou des colonies romaines. Les vieux pays res- taient fidéles au plus ancien oracle de Didymes, prés de Milet, tandis que les populations plus fraichement hellénisées venaient a Claros. Par exemple, de la Carie, les Robert ont retrouvé les inscriptions des délégations venues de Tabai, Héraklée de la Salbaké, Sébastopolis, Laodicée du Lycos, Aphrodisias et Amyzon. Mais on pouvait venir aussi de trés loin, d’Olbia sur la céte de la 25. Ibid. VI, 99. 26. Ibid., VI, 105. 217. Ibid., V1, 251. 28. Cf. L. Roser, Les fouilles de Claros, Limoges 1954, et du méme, L’oracle de Claros, dans Ch, DELvoyE et G. Roux, La civilisation grecque de Antiquité d nos jours, Bruxelles 1969, p. 305-312, avec les inscriptions publiées de Tabai, Héraclée de la Salbaké et Sébastopolis, dans J. et L. ROBERT, La Carle, t. II, Paris 1954, et celles d’Amyzon, dans Fouil- les d’Amyzon en Carie, t.1, Paris 1983. PIETE POPULAIRE DANS L'ANTIQUITE TARDIVE 13 Russie méridionale, d’Odessos sur la céte bulgare de la mer Noire, de Césarée de Cappadoce. On consultait l’oracle de nuit, a la lueur des lampes au fond @une crypte souterraine of coulait une source. Jamblique, au 1V* siécle, parle de cet oracle de Colophon, la ville ta plus proche du temple de Claros, ou le prophete rend ses oracles sans étre visible des spectateurs présents?9. Dans la vallée du Méandre, un autre Apollon que ’on honorait dans une caverne au lieu-dit Aulai prés de Magnésie du Méandre, remplissait si bien ses dévots d’enthousiasme, que ceux-ci pouvaient arracher un arbre dans son bois sacré pour le transporter en courant travers les sentiers de la montagne jusqu’au sanctuaire de Dionysos a Magnésie™®, « Les possédés d’Apollon, qui tiraient leur force extraordinaire de la statue d’Apollon 4 Aulai, commengaient la leur exploit d’arrachage de l’arbre et de course A travers la montagne et les ravins des environs, pour arriver dans la ville au sanctuaire de Dionysos ot ils déposaient devant le dieu l’arbre arraché ». Cette course d’obstacle devait réunir chaque année les sportifs de la montagne, et nous avons un témoignage qu’encore a la fin du v° siécle, ce pélerinage a |’Apollon d’Aulai était pratiqué par les paiens les plus pieux*!. Mais c’est surtout en Egypte, qui a toujours exercé une sorte de mirage sur les Anciens, que se pratiquait un véritable tourisme religieux. On a retrouvé, d’abord au Colosse de Memnon, ensuite sur les Temples de la Vallée des Rois, enfin sur ceux de I’ile de Philae, de trés nombreuses inscriptions ou graffiti qui sont des actes d’adoration en l’honneur des divinités égyptiennes. Ils sont le plus souvent rédigés sous la forme : « Je suis venu, j’ai adoré... », ou, « j'ai fait adoration pour... », ou «j'ai fait mémoire de... », il s’agit, dans ces derniers cas, dune personne absente ou défunte. Ces inscriptions sont les temoins d’une mul- titude de touristes-pélerins qui venaient par milliers dans ces lieux saints pour faire le pélerinage dont ils avaient révé toute leur vie. Le Colosse de Memnon se compose, en vérité, de deux statues gigantesques, dont lune avait perdu sa téte. On croyait qu’elle représentait le roi légendaire Memnon, roi d’Ethiopie, fils d’Aurore, dont le mythe est rappelé dans I’Odyssée et par Hésiode. D’ailleurs, 4 l’époque hellénistique et romaine, on désignait glo- balement les liewx saints égyptiens par l’appellation: «les Memnoneia ». Toujours est-il que la statue du Colosse, sous l’effet des premiers rayons du soleil levant, faisait entendre un son. Et l’on venait avant l’aube pour avoir la faveur d’en étre le temoin. On considérait cela comme un oracle de bon augure. La grande période de ces pélerinages fut les n* et 11° siécles de notre ére ; le pé- 29. Cf. Jampiique, De mystertis, TI, 11, p. 124,10 - 126. 4, 30. Cf. L, Roper, Documents d'Asle Mineure Ul, 2: Le dendrophore de Magnésie, dans Bulletin de Correspondance hellénique 101, 1977, p. 77-88, et 102, 1978, p. 538-543. 31. Cf. le pélerinage d’Asclépiodote d’Alexandrie dans Damascrus, Vita Isidorl, fr, 117, p, 156 Zintzen, 32. Cf. A. et Et. BERNAND, Les inscriptions grecques de Philae, Paris 1969, et la recension par A.J, Festuatére, Les procynémes de Philae, dans Revue des Etudes grecques 83, 1970, p. 175-197. 14 H.D. SAFFREY lerin le plus célébre fut l’empereur Hadrien, mais il fortifia une mode qui se prolongea longtemps aprés lui*?. Au-dela du Colosse, on allait encore, comme lon disait, aux « Syringes ». La syrinx est une flite, et les deux sentiers que I’on devait suivre pour atteindre les tombeaux des Rois, étaient par endroits comme des couloirs si étroits que ’on avait impression de s’enfoncer dans le canal d'une flite ou, sans doute, Pon devait entendre aussi le sifflement du vent. La encore c’est par milliers que l’on compte les inscriptions d’adoration et les graffiti. C’était un pélerinage international, toutes les régions du monde antique y sont représentées : la Gréce, Asie Mineure, la Syrie, ’Espagne, les Gaules, et naturellement de nombreux résidents dans le pays. II en venait de toutes les conditions, des empereurs, des préfets, des officiers, des prétres, des magistrats, des médecins, des gens ordinaires et des esclaves. Il y eut des poétes pour y faire graver leurs ceuvres, et des philosophes qui faisaient le~ pélerinage en Vhonneur de Platon et de son séjour supposé en Egypte. Mais le plus souvent, le mobile principal était la simple curiosité soutenant la dévotion ; combien de fois ne lit-on pas le cri d’admiration : «J'ai été étonné! » Enfin, a cété du Colosse et des tombes royales, il y avait encore le sanctuaire des dieux guéris- seurs qui s’étaient établis dans le temple funéraire de la reine Hatshepsout A Deir el-Bahari, sur la rive gauche du Nil, en face de Karnak. Il s°y produisait nombre de guérisons miraculeuses**. Tout cet ensemble autour de Thébes formait un circuit de tourisme religieux. On abordait 4 Alexandrie et, comme de nos jours, on remontait le Nil jusqu’a la Vallée des Rois. Ces sites sacrés ont fait courir des foules entiéres, presque sans discontinuité, depuis les premiers siécles de notre ére*5, Un autre péle qui attirait les pélerinages était les sanctuaires d’Asclépios. On connait bien la dévotion au célébre temple de Pergame, tant par les Discours Sacrés d’Aelius Aristide** que par la publication des inscriptions relatives A VPAsclépieion de Pergame®’, En Cilicie, un autre temple 4 Aigeai était aussi célébre. A partir du chapitre 10 du livreI de la Vie d’Apollonios de Tyane, L. Robert a pu décrire ambiance du culte® : « Philostrate évoque lautel du 33. Cf. A. et Et. BERNAND, Les inscriptions grecques et latines du Colosse de Memnon, Paris 1960. 34. Cf. A. BATAILLE, Les inscriptions grecques du temple de Hatshepsout d Deir el-Bahari, Le Caire 1951, 35. Cf, A. BATAILLE, Les Memnonia. Recherches de Papyrologie et d'Epigraphie grecques sur la nécropole de la Thébes d’Egypte aux époques hellénistique et romaine. Paris 1952. 36. Les Discours Sactés d’Aelius Aristide ont été édités par B. Keil 4 Berlin en 18 duits_en_anglais par Ch. A. Behr A Leyde en 1981. Sur la piété d’Aclius Ari AJ, FesTuci@re, Personal Religion among the Greeks, Berkeley and Los Angeles 1954, chap. vi, Popular Piety, Aclius Aristides and Asclepius, p. 85-104. 37, Cf. Chr. Hanicut, Die Inschriften des Asklepieions, dans Altertiimer von Pergamon, Bd. VUI 3, Berlin 1969. Sur le dieu Asclepios et son culte, voir la monographie de EJ. and L. EDELSTEN, Asclepius. A Collection and Interpretation of the Testimonies, Baltimore 1945. 38. Cf. L. ROBERT, De Cilicie d Messine et @ Plymouth, avec deux inscriptions grecques errantes, dans Journal des Savants 1973, p. 161-211, ta citation, p. 186-187. PIETE POPULAIRE DANS L’ANTIQUITE TARDIVE 15 sanctuaire lors d’un grandiose sacrifice : le sang en abondance sur !’autel, les victimes, les boeufs et porcs de grande taille, activité des gens qui écorchent et débitent les victimes, et aussi les consécrations de pierres précieuses. Un homme riche était venu, il sacrifie avec une grande profusion, et il fera plus encore de sacrifices et d’offrandes si Asclépios I’écoute. Ce faisant, il ne se conforme pas 4 la coutume, il n’a pas fait de supplications, i! n’a pas, comme les autres, passé quelque temps dans le sanctuaire... Aussi Asclépios apparait la nuit 4 son prétre, et lui ordonne de chasser cet homme indigne ». Tout ce récit est caractéristique de la vie du sanctuaire. On y vit, on y dort, le dieu apparait, on exécute les traitements qu’il prescrit. Que l’on soit riche ou pauvre, la maladie atténue toutes les différences, et ce sont tous des hommes et des femmes ordinaires qui s’en remettent au Dieu Sauveur. II faut vivre dans son temple, suivre les sacrifices et les priéres, attendre que le dieu se révéle, accomplir aveuglément ses ordonnances. Mais, pour rendre aux dieux le culte qu’on leur doit, la plupart des gens n’avaient pas a aller trés loin. On trouvait en ville ou méme chez soi les lieux de culte. Il suffit de relire la description qu’Apulée, au milieu du m° siécle, trace de son contradicteur, Emilianus, le type de homme qui manque a tous ses devoirs religieux, pour imaginer a contrario comment vivait un homme ordinaire en Afrique en ce temps-la?9, Je sais bien qu’il y a des gens, Emilianus en téte, pour trouver trés spiritue! de railler les choses divines. Car si j’en crois ceux des habitants d’Oea qui le connaissent, i! n’a jamais, & Page ot le voici, ni prié aucun dieu, ni fréquenté aucun temple ; et quand il passe devant un édifice religieux, il croirait pécher s'il portait sa main a ses lévres en signe d’adoration. Méme aux divinités champétres, qui lui donnent la nourriture et le vétement, il n’offre jamais les prémices de ses moissons, de ses vignes ou de ses trou- peaux ; il n’y a sur ses terres aucun sanctuaire, aucun emplacement ou bois sacré. Et qu’ai-je 4 parler de bosquets ou de chapelles ? Ceux qui ont été chez lui affirment wavoir jamais vu sur son domaine fit-ce une pierre ointe d’huile ou un rameau orné @une guirlande ! Par ce texte, on voit que c’était une habitude ordinaire d’avoir chez soi quelque oratoire avec une image du dieu de son choix. Dans son Adversus Haereses, S. Irénée nous dit que les gnostiques « possédent des images, les unes peintes, les autres faites de diverses matiéres... Ils couronnent ces images et les exposent avec celles des philosophes profanes, c’est-a-dire avec celles de Pythagore, de Platon, d’Aristote et des autres. Ils rendent a ces images tous les autres honneurs en usage chez les paiens‘” ». Plus tard, au 1v¢ siécle, ’historien Eusébe de Césarée parlant d’images du Christ, de S. Pierre et de S. Paul, conservées par des chrétiens, explique : « C’était naturel, car les Anciens avaient coutume @honorer ces images de cette maniére sans arriére-pensée comme des Sauveurs, selon I'usage paien qui existait chez eux‘! », Le culte domestique était or- 39. Cf. APULEE, Apologia, LVI 3-6. 40. S. IRENEE, Adv, Haer., I, 25, 6. 41, Eusipe DE Césarte, Hist. Eccl. VU, 18) 4. 16 H.D, SAFFREY dinairement pratiqué. On a retrouvé 4 Ephése, dans une maison, des bustes de Tibére et de Livie avec un serpent. C’étaient, dans une niche, entourant le genius loci sous la forme du serpent, les divinités impériales qui assuraient la protection de la vie quotidienne‘?. Le culte domestique a été jusqu’a la fin de l’Antiquité une réalité si forte dans la religion grecque et romaine, qu’il a fallu un édit de ’empereur Théodose en 392 pour interdire 4 tous les offrandes sacrées du feu, du vin et de l’encens**, A la fin de cette période, le culte tant public que privé était devenu quotidien, comme M.P. Nilsson |’a bien montré“, Une fois l’an avait lieu la grande féte avec des sacrifices, mais chaque jour on offrait ’encens, on chantait des hymnes, en l’honneur des dieux Egyptiens, des Empereurs, de Dionysos et d’Asclépios. Ils avaient leurs autels dans la cité, leurs images dans les maisons. Une lampe veillait, symbole de la priére familiale. Dans un contexte sociologique plus exigeant et pour certaines Ames scrupuleuses, la simple priére de louange ou de demande ne suffisait pas. C’est du moins ce que nous pouvons déduire d’une dévotion trés localisée au centre de l’Asie Mineure dans les m* et m® siécles, celle d’ériger dans les temples des stéles de confession. Ce sont des documents populaires dédiés 4 des divinités locales. On a offensé cette divinité, la divinité a envoyé une punition, on le reconnait et l’on se repent en avertissant les autres de la puissance du dieu et en professant devoir étre d’autant plus pieux que l’on a conscience d’avoir péché. C’est surtout en Lydie et en Méonie que l’on a découvert ces docu- ments*S, Donnons quelques exemples publiés tout récemment*®. Ils proviennent de la Méonie, d’un sanctuaire appelé «du Zeus des Chénes Jumeaux ». L’ins- cription commence par Pacclamation: «Grand est le Zeus des Chénes Jumeaux et ses puissances ». Un certain Ménophilos avait acheté du bois provenant du sanctuaire. Il fut puni par le dieu et souffrit beaucoup de, maux ; alors le dieu enjoignit au fils de libérer son pére en rachetant sa faute. En élevant la stéle, le fils avertit tous les hommes qu’i! ne faut pas faire fi du dieu. La stéle fut érigée en 191-192 aprés J.-C. Voici un deuxiéme exemple. « Grand est le Zeus des Chénes Jumeaux ! Athénaios, chatié par le dieu pour une faute par ignorance, je fus sommé par un songe, aprés avoir regu beaucoup de 42. Cf. L. Ropert, Dans une maison d’Ephése : un serpent et un chiffre, dans Comptes Rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1982, p. 126-132. 43, Cf. M.P. NiLsson, Roman and Greek Domestic Cult, dans Opuscula Romana 1, 1954, p. 77-85, reproduit dans Opuscula Selecta IM, Lund 1960, p. 271-285. 44. Cf. M.P, Nitsson, Pagan divine Service in Late Antiquity, dans Harvard Theological Review 38, 1945, p. 63-69. 45, La bibliographie a été rassemblée par M.P. NILsson, Geschichte der Griechischen Religion 1, Miinchen 1961, p. 578-579 et la n.1 de la p.579. La bibliographie s'augmente chaque année, On peut la suivre par le Bulletin épigraphique de J. et L. ROBERT dans la Revue des Etudes grecques. 46. Cf. L. RoBert, Documents d’Asie Mineure. XXVII. Reliefs votifs 2. Zeus des Chénes Jumeaux, dans Bulletin de Correspondance hellénique 107, 1983, p. 515-823, que je résume ou cite verbatim. PIETE POPULAIRE DANS L'ANTIQUITE TARDIVE 17 chatiments, d’élever une stéle et j'ai transcrit les puissances du dieu, Avec reconnaissance, j'ai fait graver la stéle en l’an 347 », soit 262-263 aprés J.-C. Au-dessus de Vinscription, a été sculpté un bas-relief qui représente le malheu- teux Athénaios qui léve la main droite dans le geste de la priére et de la confes- sion, et 4 cété de lui le prétre qui tient sa couronne sacerdotale dans la main droite, et dans la main gauche, le sceptre avec lequel il va frapper le coupable en signe de réconciliation. Troisiéme exemple. En 252-253, une femme, Bassa, simplement parce qu’elle ne croyait pas au dieu, a eu a souffrir des choses qu’elle n’ose méme pas dire. Elle a été délivrée et en reconnaissance elle a consacré cette stéle ou elle fait, 4 mots couverts, le récit de son histoire. Avec ces documents exceptionnels mais absolument populaires, peut-étre nous arrive-t-il ce qui est si rare pour Phistorien, atteindre quelque chose du secret des cceurs, a savoir le sentiment de culpabilité. II s’exprime ici claire- ment, avec son reméde, la confession publique*’. Il procéde, je crois, d’un sens aigu de la transcendance des dieux, car c’est aussi dans cette région que on a trouvé sur un autel une série d’acclamations gravées : « Dieu est unique dans les cieux. Grand est Mén céleste. Grande est la puissance du dieu immortel ». II ne s’agit naturellement pas d’un monothéisme déclaré, mais de l’exaltation d’un dieu Mén local dont la puissance perce l’invisible et le dévoile*®, Dans ces stéles de confession, les hommes et les femmes qui les ont fait graver et publier dans les temples laissent encore parvenir jusqu’a nous la plainte du remords avec Vappel a une délivrance. Mais la délivrance sans aucun remords d’aucune sorte, c’est ce que cher- chaient avidement les gens de la fin de |’Antiquité par le moyen de lastrologie et de la magie. Rien n’était plus répandu dans toutes les couches de la société. On a conservé les horoscopes des Grands, par lesquels on voulait interpréter les signes des temps, mais chacun espérait trouver dans les astres la figure de son destin®. Philon d’Alexandrie exprimait un sentiment commun lorsqu’il écrivait® ; « Les réalités terrestres sont suspendues aux réalités célestes en vertu dune certaine sympathie naturelle », Dans deux études trés complétes, Franz Cumont a décrit le caractére religieux de l’astrologie gréco-romaine’'. La magie ne était pas moins®. Par elle, ’on s’efforgait de se délivrer de la fatalité qui 47. Cf. E. Varinuioéiu, Zeus Orkamaneites and the expiatory Inscriptions, dans Epigraphi- ca Anatolica, Heft 1, 1983, p. 75-87, qui publie trois stéles de confession et analyse la mentalité qu’elles supposent, Il recherche l'origine de cette mentalité jusque chez les Hittites. 48. Cf. E. Pererson, EIE @EOE: Epigraphische, formgeschichtliche und reli- gionsgeschichtliche Untersuchungen, Gottingen 1926, p. 268-270, et L. ROBERT, art. cit. p. 583. 49. Cf. O. NeuGesaver and H.B. VAN HoEsEN, Greek Horoscopes, Philadelphia 1959. 50. Pion, De opificio mundi § 117. SI. Cf. Fr. Cumonr, Astrology and Religion among the Greeks and Romans, London 1912, et L'Egypte des astrologues, Bruxelles 1937. 52. Les textes magiques ont été édités par K. PREISENDANZ, Papyri Graecae Magicae, Leipzig-Berlin 1928-1931, les amulettes magiques ont é8 publiées par CAMPBELL BONNER, Studies in magical Amulets, Ann Arbor 1950. Signalons trois études fondamentales : 18 HD, SAFFREY pesait sur la vie, On écrivait sur un bout de papyrus : « Toi qui prends soin de la puissante Nécessité qui gouverne mes affaires et les pensées de mon ame, 4 qui nul ne peut résister, ni dieu, ni ange, ni démon, réveille-toi pour moi, démon de ce mort, ne me force pas a te violenter, mais accomplis ce que j'ai écrit ici et déposé dans ta bouche, tout de suite, vite, vite ». Et !’on glisse ce billet dans la bouche de la momie pour que le mort, depuis l’au-dela, exauce ce charme d’amour. Mais la magie permet aussi de faire apparaitre les dieux, et méme plus encore d’étre divinisé et de pouvoir dire : « Tu es moi et je suis Toi ». Le terme de la magie est l’acquisition de biens temporels et du bonheur aprés la mort, et le mage veut ravir la force divine qui lui donne droit 4 commander. Tout le monde sait comme cette folle ambition est au service de la volonté de puissance qui est au coeur de tout homme. II est vrai que, pour l’homme antique, le mot «dieu» ne comportait pas les significations écrasantes de respect et de transcendance qu’il implique pour nous. Ce sentiment est exprimé dans le dic- ton selon lequel « "homme est un dieu mortel et dieu, un homme immortel* », Le sentiment de cette familiarité entre homme et dieu est peut-étre le secret de la piété toute naturelle et multiforme de "homme ordinaire au temps de |’Anti- quité. Parmi tous les dieux et toutes les déesses, le plus familier a homme ordinaire, qu’il fit de la ville ou des champs, était le Soleil. Dans son Antigone, Sophocle fait ainsi chanter le chceur pour saluer sa chére et sainte lumiére®> : O rayon du plus beau soleil qui ait jamais brillé encore pour notre Thébes aux sept portes, tu as donc lui enfin, Gil du jour doré! C’est ce méme salut que le pape S. Léon fustigeait encore au milieu du v° siécle, lorsqu’il reprochait aux chrétiens de Rome d’imiter les paiens en adorant le Soleil au moment d’entrer dans la basilique S. Pierre’ : « Il y en a, disait-il, qui sont assez stupides pour adorer depuis des lieux élevés le soleil se levant pour la naissance d’un jour nouveau, et il y a méme des chrétiens qui croient faire A.D. Nock, Greek Magical Papyri, dans The Journal of Egyptian Archaeology 15, 1929, p. 219-235, reproduit dans Essays on Religion and the Ancient World, Oxford 1972, p. 176-194; AJ, Festuatbrs, L'idéal religieux des Grees et l’Evangile, Paris 1932, Excursus E : La valeur religicuse des papyrus magiques, p. 281-327; M.P. NILSSON, Die Religion in den ee Zauberpapyri, Lund 1948, reproduit dans Opuscula Selecta II, Lund 1960, p, 129-166, 53. Cf. Pap. Gr. Mag., XIXa, p. 13-16. 54. Cf. E.R. Dopps, Pagan and Christian in an Age of Anxiety, Cambridge 1965, p. 74 (trad, frang. par HD. Saffrey, Grenoble 1979, p. 90). 55. Cf. Soprocte, Antigone, 100-104, 56. Cf. S. Leonis Magni Tractatus (Corpus Christianorum, §.L. 138), Tournai 1973, Tractatus 27§ 4, p. 135 Chavasse. Sur le sujet de adoration du soleil dans le paganisme et le christianisme antique, voir Fr. J. DOLGER, Sol Salutis, Minster 1925. PIETE POPULAIRE DANS L’ANTIQUITE TARDIVE 19 un acte religieux quand, avant d’entrer dans la basilique S. Pierre, parvenus en haut des marches, ils se retournent de tout leur corps vers le soleil naissant et, courbant la nuque, s’inclinent en hommage au disque radieux ! » C’était pour- tant le plus ordinaire des gestes de la priére de "homme a son dieu le plus évident pour son don le plus quotidien. H.D. SAFFREY Paris, CNRS cemples qui illustrent les manifestations de Ia piété popu- laire dans I'Antiquité tardive, Culte civique d'une population urbaine a E:phése ; culte local dune population paysanne dans la campagne de Syrie et d’Egypte a travers un discours de Libanius ; épigrammes d'offrandes aux dieux dans le livre VI de l'Anthologie Palatine ; pélerinages organisés au temple d’Apollon & Claros, au temple d’Apollon d’Aulai, aux. Memnoneta d'Egypte, au temple d’Asclépius a Aigeai ; culte domestique on Afrique et 4 Ephése; pra- tique en Lydie et en Méonie des stéles de confession ; pratique universelle de lastrologie ct de Ja magie, et dévotion au Soleil. Revue des Etudes Augustiniennes 31 (1985) 20-45 Une hypothése sur la basilique de Rutilius 4 Mactar et le temple qui l’a précédée* Etudes d’archéologie chrétienne nord-africaine : XI Une récente publication sur le « temple du musée » 4 Mactar’ invite 4 repren- dre le probléme irritant, que personne n’avait pu résoudre jusqu’a présent, de Yemplacement exact et de la structure de la premiére basilique chrétienne identifiée et fouillée sur le site, la basilique dite de Rutilius, que j'ai appelée « basilique I », Le plan publié (fig. 2) permet, en effet, pour la premiére fois de * Principales abréviations : BAC = Bulletin archéologique du Comité des ‘Travaux Historiques, Paris. CL Corpus Inscriptionum Latinarum, ILC _ = Diehl, Inseriptiones Latinae Christianae Veteres. F, Prévor, IC Mactar = F, Prévot (avec préface de N. Duval), Inscriptions chrétiennes de Mactar (Recherches archéologiques & Mactar, V), Rome, 1984 (Collection de !'EFR, n° 34). Rev. arch. = Revue archéologique, Paris. 1. G. PIcaRD, Le temple du musée @ Mactar, Rev. arch. 1984, p. 13-28. 2. N. Duvat, Les églises africaines 4 deux absides, 11, Paris, 1973, p. 109 n. 1 pour la numérotation adoptée. Les pages suivantes comportent une analyse des basiliques II a IV aux- queltes il faut ajouter une cinquiéme installation cultuelle dans les grands thermes fouillés depuis, Jes années 60 et ol! de nombreuses épitaphes chrétiennes ont été trouvées. Il existait sans doute dautres basiliques : un aménagement est certain dans le sanctuaire « d’Hator Miskar » (voir P. GauckLeR, Basiliques chrétiennes de Tunisie, P1.IV avec les observations négatives de G. Pt- CARD, Civitas Mactaritana dans Karthago, VIII, 1957, p. 58-59, mais les tombes et les inscrip- tions trouvées en place, CIL, VII, 23576 et 23584 = IC Mactar, XI, 15 et 17, prouvent Pexis- tence au moins d’une chapelle) ; un autre aménagement est possible dans le temple de Liber Pater (L. Chatelain, CRAJ, 1911, p. 508-509, G. Picard, op. cit., p. 50). — La petite « basilique au nord- est de arc de Trajan » (13 m x 11,50 m environ), dessinée par Sadoux en 1896 et reproduite dans Gauckler, op. cit., pl. XII, n’a jamais été réidentifiée. La localisation, les dimensions, lorien- tation ne conviennent pas a la « basilique de Rutilius ». S’agit-il vraiment d’une église ? La basilique I est signalée en quelques lignes dans le chapitre I, consacré aux inscriptions chré- tiennes, de F, Prévor, IC Mactar, p. 11-12, LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 21 raisonner sur du concret, alors que la visite des ruines, aprés les aménagements contemporains de louverture du musée, laisse le visiteur découragé’. Ce plan n’a pas cependant suffi a l'auteur de l’article pour proposer une solution qui satisfasse vraiment le lecteur. Un exercice de recomposition graphique et 'exa- men des photographies publiées ou inédites m’incitent 4 en proposer une autre‘, Elle a sur la premiére l’avantage de mieux « cadrer » avec ce que I’on attend @un temple, peut-étre dédié 4 Saturne (voir infra), et d'une basilique chrétienne, peut-étre la cathédrale, que M. Picard jugeait avec dédain sur la foi de sa propre restitution’. I — L’historique des fouilles Le site du temple est d’abord signalé par les voyageurs du xIx® siécle dans des termes trés voisins. Il figure généralement dans une énumération de monu- ments ou on Videntifie grace a la proximité de l’arc dit de Bab el Ain (la Porte de la Source) et de l’amphithéatre. Voici les principales mention: — Sir Grenville Temple : «On the high ground close by [the arch], and near to a marabet, are the foun- dations of a temple ; and adjoining this is a small amphiteatre’ ». — E. Pellissier : «7° Les ruines trés confuses et fort entassées d’un grand temple? ». 3. Ce sentiment résulte en particulier d’alignements factices de pierres et 'éléments darchi- tecture que l'on a classés et rangés pour faciliter la visite. Ces pierres, non en place, n’ont pas toutes disparu du plan publié qu'il faudrait contréler trés précisément sur le terrain (en particu- lier en effectuant des sondages et nettoyages complémentaires). Cette verification n’ayant pu étre faite jusqu’a présent, on se contentera ici de plans trés schématiques et de descriptions sommai- res. C'est pourquoi les conclusions présentées doivent étre considérées comme provisoires et constituent plutét une hypothése. 4. Cette étude a fait objet d'une communication & la Commission d'Afrique du Nord du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques le 21 janvier 1985 (résumé & paraitre dans le Bulletin archéologique, série B). M. Picard a bien voulu donner son accord a ses conclusions, Jai bénéficié de la coopération du Bureau de Pau de Pinstitut de recherche sur l’Architecture antique, dirigé par M. JL, Paillet, qui m'a communiqué le relevé original de M. Schreyeck complété par ses soins et des photographies prises par J. Schreyeck. Je len remercie bien sinctrement. Par ailleurs, Mme F. Prévot, dont javais dirigé la thése sur les inscriptions chrétiennes de Mactar (voir les abréviations), m’a aussi fait bénéficier de quelques notes et croquis pris sur place en vue de cette publication, M. C. Poinssot a bien voulu rechercher s'il existait des photographies anciennes dans sa documentation familiale, Je lui en dis ma gratitude, 5. G. PICARD, op. cit, p. 28 : « Les misérables restes des modestes retouches par lesquelles les chrétiens adaptérent Pédifice a leur culte précisent ce que nous savions déji de l’architecture religieuse de ’Antiquité tardive dans la ville : rien de comparable aux luxueuses constructions, non seulement de Carthage, mais de Sufetula, Haidra et Theveste : on se borne dailleurs utiliser plus mal que bien ce qui reste des monuments du temps de la prospérité, avec une indifférence compléte non seulement & Vesthétique, mais A la solidité, et plus étonnant encore, aux régles liturgiques comme en témoigne absence de toute régle d'orientation ». 6. Excursions in the Mediterranean, Algiers and Tunis, Londres, 1835, 1], p. 257. 1, Description de la Régence de Tunis (Coll. Exploration scientifique de Algérie), Paris, 1853, p. 285, cf. Rev. arch., 1, 1849, p. 129. 22 NOEL DUVAL JaRgIe & Batt Fic. 1. — Plan de situation du temple et du marabout (disparu actuellement) d'aprés original du plan au 1/1000¢ dressé par L. Chatelain en 1910 et mis a jour jusque vers 1950. — V. Guérin : «4®. Les vestiges d'un temple. Une vingtaine de colonnes renversées gisent confusément dans l’enceinte qu’il occupait® ». ~— §. Reinach dans Tissot, Géographie comparée de la province romaine d’Afrique (passage entre crochets, qui vient de Guérin) : 4¢, [Une vingtaine de fits de colonnes, vestiges d’un temple considérable, aujourd’hui détruit?]., Il s’agissait donc, avant la fouille, d’un amas de blocs, mais revétant une forme quadrangulaire assez réguliére pour qu’on songe a un temple (cf. le terme 8. Voyage archéologique dans la Régence de Tunts, Paris, 1862, I, p. 409. 9. T.IL, Paris, 1888, p. 622 (les passages entre crochets ont été ajoutés par Reinach au manuscrit de Tissot). LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 23 d’enceinte), et o une série de colonnes du méme type étaient distinctes, mais non en place. Nous verrons plus loin que, suivant toute probabilité, ces colonnes étaient celles qui avaient été remployées dans |’église. Peu de temps aprés Poccupation de la Tunisie, les officiers de la 1"* Compa- gnie Mixte entreprennent dans la région la recherche d’antiquités, principale- ment d’inscriptions, apparentes ou mises au jour par des fouilles sommaires. En 1881, ils ont découvert 4 un endroit inconnu «dans les ruines d’une petite église prés de la source » l’épitaphe d’un évéque Rutilius, gravée sur une plaque de marbre mesurant 87 x 63 cm, qui fut envoyée ultéricurement au Louvre!®, Linscription a été copiée par E. Espérandieu, alors lieutenant au Kef, qui, aprés bien des services rendus 4 l’archéologie tunisienne dans 1a région, devait faire une grande carriére d’archéologue en Provence et devenir l’auteur du célébre Recueil des Bas-Reliefs de la Gaule, Le méme Espérandieu a publié en méme temps une autre épitaphe « trés fruste et d’une lecture difficile », trouvée a cété, qui a disparu", Dans une Note sur quelques basiliques de Tunisie, lue au Congrés des Sociétés Savantes de 1884, Espérandieu consacre au monument quelques mots : « De cette basilique il ne subsiste que les fondations et quelques colonnes. Des fouilles pratiquées dans cette basilique ont amené la découverte de quelques tombes chrétiennes, entre autres celles d’un évéque... d’ou l'on peut conclure que la basilique était bien une basilique chrétienne et, en outre, que cette basilique était probablement la plus importante de Ia ville!? ». Des fouilles plus systématiques sont entreprises, avec l’aide toujours de Varmée, pendant lhiver 1883-1884 par J. Letaille, « missionnaire » frangais officiel, toujours a la recherche d’inscriptions. Il découvrit « dans le dallage» une épitaphe en marbre (brisée, mesurant 53 x 31cm au maximum). Cette inscription, relative également 4 un évéque, Germanus, fut encore envoyée au Louvre’, Une autre épitaphe, trouvée aussi en place a cdté de la premiere, a disparu’, 10, F. Prevor, IC Mactar, n°, 1, p. 12 et fig. 3. Copie publige par E. Espérandieu dans le Bulletin de "Académie d'Hippone, n° 19, 1883, p. xc (Espérandieu précise qu'll a réenterré Pins- cription), reproduite dans le Bulletin épigraphique de la Gaule, 1883, p. 313 ; par E, EsPRAN- prev, Note sur quelques basiliques chrétiennes de Tunisie dans le BAC, 1884, p. 159-160; d'aprés E, Espérandieu par HERON DE VILLEFOSSE, Bull. de la Soc. Nat. des Antiquatres de France, 1883, p. 318-319 ; daprés J. Letaille par J. Pomssor, Bulletin des Antiquités africaines, TIL, 10, 1884, p. 365 n® 634, par J. LeTAILLE dans Bull. épigraphique de la Gaule, 1886, p. 38 : par J. Scusapt, Ephemeris Epigraphica, VII, 11. Editions antérieures 4 [C Mactar : CIL, VII, 11894; ILC 1107 B; of H. Lecuence, DACL, sv. Mectar, col. 799 n° 5. Numéro des Marbres antiques du Louvre (Catalogue d'Héron de Villefosse-Michon) : 3005 ; S. Ducroux, Catalogue analytique des inscriptions latines sur pierre conservées au Musée du Louvre, Paris, 1975, n° 902. 11, F. Prévor, JC Mactar, I, 6 p. 15, d’aprés E. Espérandieu, Bulletin de l'Académie d’Flip- pone, 1883, p. XCI n° 2. Le contréleur civil Bordier a donné une copie différente pour le CIL, ‘VIEL, 11904. 12, BAC, 1884, p. 159, 160. 13. F. Prévor, IC Mactar, n° I, 2 p. 12-13. Copie de Letaille publiée par A. HERON DE VILLE- Fosse dans Bulletin des Antiquités africaines, loc. cit., 1884, p. 366 n° 635 puis, d’aprés estam- 24 NOEL DUVAL Dans la méme campagne, grace 4 un sondage « devant Ientrée de la kouba de Sidi Amar », «4 quelques métres de la basilique », J. Letaille mit au jour une épitaphe sur « table » de pierre (ce que nous appelons mensa) qui fut aban- donnée sur place ot elle a été redécouverte lors du nettoyage récent!’. Les fouilles continuent certainement les années suivantes : le P. Delattre a signalé une épitaphe provenant de cet endroit dont il a donné un dessin som- maire en 18916, Le capitaine Bordier, contréleur civil de Mactar, a retiré des ruines une série de bases de statues d’empereurs du Iv‘ s. décrites dans le Bulletin archéologique de 1889*’, et, en 1891, un autel criobolique et taurobo- lique dédié par Q, Arellius Optatianus sous Probus”. Dans son rapport de 18931, le directeur des Antiquités, P. Gauckler, signale encore la découverte récente par le méme fonctionnaire d'un cippe funéraire”, et des fouilles menéés par lui et Pofficier d’administration Delherbe, qui ont abouti a plusieurs trou- vailles épigraphiques (envoyées au Musée du Bardo), faites « dans les ruines de la petite basilique chrétienne dite de Rutilius ». L’une est une dédicace (avec page, dans Bulletin de la Soc. Nat. des Antiquaires de France, 1885, p. 105 ; par J. LeTAILLE, Bull. évigraphique de la Gaule, 1886, p. 38 ; par 3. Scuapt, Ephemeris Epigraphica VI, n° 70. Editions antérieures 4 IC Mactar : CIL, VIM, 11893 ; ILC 1107A ; ef. H. LECLERCG, DACL, sv Mactar, col. 799 n° 6. Numéro des Marbres antiques du Louvre ; 3004 : S. DUCROUX, op. cit, 0° 901, 14. F, Privor, op. cit, n° 1, 4, p. 13, 15. Copie publiée par A. HERON DE VILLEFOSSE d’aprés J. Letaille dans Bull. des Antiquités africaines, loc. cit., 1884, p. 366 n° 637, par J. LETATLLE, dans Bull. épigraphique de la Gaule, 1886, p. 39 ; copie de Bordier pour le CIL. Editions anté- rieures 4 IC Mactar : CIL, VII, 11898 ; nom dans ILC 2648A adn. ; of. H. LecLerce, DACL, sv Mactar, col. 806 n° 45, 15, F. Prevor, op. cit., n° I, 3, p. 13. Copie de J. Letaille publiée par A, Hanon De VILLE- Fosse, Bulletin des Antiquités africaines, loc. cit., 1884 p. 366 n° 636, par J. LETAmLE, Bull. épi- graphique de la Gaule, 1886, p. 40. Editions antérieures : CIL, VIII, 11896 ; ILC 2647 ; cf. H. Lecurce, DACL, loc. cit. col. 806 n° 44, 16. F. Prévor, IC Mactar, n°I, 5, p. 15 et fig. 7. Dessin sommaire publié par A. DELATTRE dans Cosmos, ns., XX, 1891, p. 409 ; autre copie de Cagnat pour le C/L. Editions antérieures : CIL, VIN, 11902; ILC 2647 adn, 17. R. CaGnat, BAC, 1889, p. 362-364, n® 1-6 ; CIL, VIII, 11804-11809 + 23415 (cf. P. Gauckter, Bull. de la Soc. Nat. des Antiquaires de France, 1895, p.228 n°3; BAC, 1897, p.426 n° 181, qui précise que CIL 11809 était situé & 20m des autres bases ; J. TOUSSAINT, BAC, 1899, p. 199 n® 2) : bases dédiées & Constantin, Julien, Valentinien I, Gratien. Ces bases, certainement remployées dans la basilique chrétienne, fournissent un ferminus post quem proba~ ble : voir infra. Bordier signale en outre 4 Cagnat deux fragments de dédicace impériale qui peu- vent appartenir au temple, 18. R. CacNar, BAC, 1891, p, 529-530, of. Cours d’épigraphie latine, 1914, pl. XVIII (photo- graphie) ; CIL, VII, 23400 (cf. ILTun 538). Envoyé au Musée de Bardo : Car. Musée Alaoul, n° D 9 p. 84 ; transportée 4 Carthage dans les années 1950, En dernier lieu : Z. BEN ZINA-BEN ABDALLAH, Catalogue des inscriptions latines du Musée du Bardo (thése Grenoble 1977), n° 62, 19, Il s*agit en fait d'une «communication de M. le capitaine Bordier et de M. Delherbe, officier d’administration »: Nouvelles découvertes archéologiques @ Mactar, BAC, 1893, p. 124-128, 32, Cf. Ibid, p. 126. Pierre publiée par R. CAGNAT, BAC, 1891, p. 521 n°94; CYL, VIII, 492. LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 25 album du corpus fullonum) sur une colonne votive a Liber Pater ; d’od par la suite Pidentification du temple comme un temple de Bacchus”!. Gauckler ajoute quelques mots sur I’église : « La petite basilique chrétienne dite de Rutilius est un édifice byzantin » « construit a trés basse époque avec des matériaux divers empruntés 4 des monuments antérieurs, paiens ou chrétiens ». « Ses murs sont une véritable mine d’antiquités » [je souligne les trois mots : petite, byzantine et chrétiens|*. Notons que l’existence de remplois chrétiens n’est pas prouvée par les découvertes publiées. Gauckler est plus prolixe?, d’aprés le rapport de Bordier, sur « une inscrip- tion chrétienne trouvée 4 quelques métres de l’endroit ou ont été découvertes les épitaphes des évéques». Il s’agit de Vépitaphe d’un prétre, Jovianus (orthographié Jobianus), gravée sur une dalle de marbre mesurant 36 x 28,5cm%, qui était, particularité intéressante, encastrée dans une dalle de calcaire, « placée au chevet du monument funéraire » d’aprés Bordier. Ce systéme d’encastrement de l’épitaphe (qui vaut peut-étre aussi pour I’épitaphe de Rutilius en raison de sa faible épaisseur) dans une pierre plus grande est attesté pour des épitaphes en mosaique’, Je n’en connais guére pour ma part pour des pierres en Afrique’ alors qu’il est assez fréquent en Gaule, par exemple 4 Tréves?? ou 4 Lyon*, L’indication suivant laquelle la dalle était placée au chevet de la tombe est difficile a interpréter : était-ce 4 plat comme couvercle ou verticalement ? Dans ce cas elle avait certainement été déplacée, car la stéle n’entre pas dans la typologie habituelle des épitaphes chrétiennes de Mactar” : il s’agit probablement d’une dalle encastrée dans le sol. Le tombeau est décrit par Bordier : 21, GAUCKLER, op. cit., p. 124-126 ; CIL, VIII, 23399 ; Dessau, ILS, 3362. La pierre est au Musée du Bardo : Cat. Musée A laoui n° C 905 p. 78 et pl. XXV (dessin) (pour le décor), n° D 4-5 p- 83 (inscription) ; Z, BEN ZINA-BEN ABDALLAH, op. cil. n° 61 (avec bibliographie récente). Le temple est qualifié de temple de Bacchus par exemple par H. Lectercg, DACL, s.v. Mactar, col. 797. 22. Op. cit, p. 126, 23. Ibid, p. 127. 24, F. Prévor, IC Mactar, n° I, 7 p. 15 et fig. 8. Editions antérieures : CIL, VIII, 23564 ; ILC 1188; of. H. Lecuerce, DACL, sv. Mactar, col. 797, La pierre a été envoyée au Musée du Bardo : Cai, Musée Alaoui n° D 575 p. 108. Elle a été transportée depuis & Carthage (en réserve au Musée), 25. N. Duvat, La mosaique funéraire dans l'art paléochrétien, Ravenne, 1976, p. 25, 27, 38 etn. 39, 26. Il est 4 noter qu’on ne connait pas l'emplacement de 1a plupart des épitaphes sur marbre trouvées en grand nombre 4 Carthage (par exemple : L. ENNABLI, Les inscriptions funéraires chrétiennes de la basilique dite de Sainte-Monique d Carthage, Rome, 1975, p. 31) 21. N. GAUTHIER, Recueil des Inscriptions chrétiennes de la Gaule, I, Paris, 1975, §3 p. 20 (Gf. pour Metz : § 13 p. 26). 28. Voir par exemple a Saint-Laurent : P. WuILLEUMIER, A. AuDIN, A. LEROI-GOURHAN, L église et 1a nécropole Saint-Laurent dans le quartier lyonnais de Choulans, Lyon, 1949, p. 18 ; F, Descomags et J.-F. REYNAUD, Epitaphes chrétiennes découvertes récermment a Lyon, Rivista di Archeologia cristiana, LI, 1978, p. 291. 29, F. Privor, IC Mactar, p. 162, 26 NOEL DUVAL «Il était constitué a l'aide de pierres irréguliérement taillées, juxtaposées assez maladroitement ; on se rend facilement compte qu’elles n’avaient pas été taillées expressément pour étre employées 4 la construction de ce monument. mais bien prises parmi les ruines; elles différent de dimensions en longueur, largeur, épaisseur. Le corps avait été placé sur un lit de chaux ; le squelette est tombé en pousssiére au contact de l’air ; il n’en reste que quelques débris que j’ai conservés. Cette chaux était répandue sur quelques fragments de marbre dont le plus important, sur lequel était placée la partie supérieure du corps, mesure 0,93 m de longueur, 0,45 m de largeur au point ou était 1a téte, 0,40 m a la partie inféricure et 0,02 m seulement d’épaisseur. Ce marbre est blanc, fortement veiné de vert et de noir, La plaque a été envoyée au Musée de Tunis en méme temps que Vinscription™ ». Il s’agit donc d’une « tombe en caisson » dont on n’indique pas la profondeur ; le fond était constitué de plaques de marbre, ce qui est assez surprenant : peut- &tre représentent-elles les débris d’un dallage plus ancien. Gauckler décrit aussi une curieuse pierre, envoyée également au Bard «Dalle en pierre calcaire, rectangulaire, longue de 0,64 m, large de 0,50 m, épaisse de 0,12 m, brisée en deux morceaux qui se rejoignent exactement. Trois de ces cétés coupés a angle droit sont 4 arétes vives. Le quatriéme, au contraire, celui de gauche, est arrondi. Deux pentures de métal fixées A ses extrémités, soutenaient la dalle et lui permettaient de jouer sur des gonds. Il n’en reste plus que des traces ; elles ont di étre arrachées violemment et ont fait éclater la pierre aux deux angles. L’angle in- férieur est le plus endommagg, ce qui semble prouver que l’effort exercé sur la penture du bas était plus considérable que sur celle du haut, et, par suite, que la dalle était placée verticalement comme une porte, et non horizontalement comme un couvercle. A droite, un anneau de bronze, formant poignée, était retenu par une tige rigide qui traversait la pierre de part en part, et se rattachait en arriére a une large plaque de métal qui jouait sans doute le réle de verrou. Le tout a disparu aujourd'hui. La porte est ornée sur sa face antérieure de quatre évidements, de forme rectangu- laire, disposés symétriquement, et se correspondant deux a deux. Ceux qui se trouvent a la partie supérieure sont plus allongés que les deux autres, et dans l’espace laissé libre entre est figurée une croix ». Gauckler conclut : « Peut-étre fermait-elle une armoire semblable a celles qui ont été trouvées dans le baptistére de la basilique de Damous el Karita... et assurait-elle la préservation des vases sacrés, des livres et vétements liturgiques... Peut-étre était-ce au contraire simplement une porte de mausolée utilisée aprés coup... et adaptée A sa nouvelle destination par adjonction d’une croix" ». A vrai dire, faute d’avoir revu la pierre, je ne saurais donner un avis. On a Pimpression que l’hypothése « porte » est née d’une reconstruction hypothétique de la ferronnerie dont il ne restait rien. Cette pierre a-t-elle été trouvée en place ? Sans doute non puisqu’on discute sur son utilisation. S’agirait-il du couvercle du reliquaire d’autel ? fi Aprés 1893, on perd la trace de l’église, bien que des inscriptions publiées sans indication de provenance, notamment au temps des premiéres fouilles du 30. Op. cit., p. 127, cf. H. Lecterce, DACL, col. 797. 31. Op. cit., p. 128 (et H. LecLercg, col. 797-798). Cf. P. GAUCKLER, Catalogue du Musée Alaoui, 1892, p.10; Cat. Musée Alaoui, 1897, n° B52, p. 41. LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 27 contrdleur civil Bordier??, puissent avoir été trouvées 14, Il n’existe pas de plan du monument dressé 4 l’époque des premiéres fouilles, ni méme de plan de situation détaillé. Une partie de emplacement du temple était occupé par le mausolée (« kouba » ou « marabout ») de Sidi Ali ben Amor qui apparait sur des plans 4 grande échelle dressés par le contréleur civil Bordier, par le Service topographique de la Tunisie pour L. Chatelain™ et par les brigades topographiques pour l’Atlas archéologique de la Tunisie. Jai vainement cherché jusqu’a présent un plan cadastral détaillé ou une photographie aérienne ou au sol permettant d’en situer plus précisément "emplacement. Mais, comme il occupait la partie notd-est du temple, on peut supposer que les fouilles de 1881-1891 ont été effectuées surtout au Nord-Ouest, sauf un sondage dont il était dit qu'il se plagait devant l’entrée de la kouba. Ce point est important pour Vemplacement des épitaphes d’évéques et pour l’orientation de Véglise (voir infra). Notre Fig. 1 (qui reproduit l’état approximatif des lieux avant 1950) permet, faute de mieux, de se faire une idée du rapport entre le temple et la kouba (cf. aussi Fig. 3), Au moment de la reprise des fouilles a la fin de la seconde guerre mondiale, on avait méme oublié existence de léglise. G. Picard dans sa notice sur Mactar de 1954 précise, aprés avoir parlé de l’arc et de ’'amphithéatre : « 1a se trouvait autrefois une église construite par l’évéque Rutilius » [ce qui est une pure hypothése], « qui a malheureusement disparu* », Aprés Vindépendance, en 1957, le marabout fut détruit et la plate-forme déblayée sous la direction de M. M. Boulouednine, puis un batiment destiné a servir de café fut construit par un particulier en entaillant l’angle nord du temple; il a été depuis transformé en musée. Ce qui restait du monument antique a été nettoyé et a subi différents aménagements pour la présentation au public qui ont pu modifier sensiblement l’emplacement des pierres. Aucun rapport n’a été publié sur ces travaux. Sur les dalles encore en place ou 32. F. PREvor, IC Mactar, chap. XII, p. 125 ss. Il s’agit surtout de XII, 19 et 21, vus par ‘Wilmanns en 1873 ; XII, 18, publié dans le Bull. d’Hippone, 1882 ; de XII, 16. vu par Schmidt en 1883 ; de XII, 3, publié par DeLarrre dans le Cosmos de 1890 ; de XII, 15, 20, 22, publiés en 1891 ; de XII, 8, 10, 11, 13, 14, publiés en 1897 et des pierres trouvées plus récemment et conser- vées dans le jardin du musée, 33. Plan de Bordier et Vial dressé au 4 000%, reproduit par CAGNAT dans BAC, 1891, p. 510, et dans DACL, s.v. Mactar, fig. 7406, col. 795-796. 34, Plan au 1 000* dressé par MM. Baronnat et Paulin en octobre 1910, pour L. Chatelain, ré- duit au 2.000 et commenté par L. CHATELAIN, Rapport sur une mission archéologique d Mactar, CRAT, 1911, p. 506-507 (cf. aussi MEFR, XXXI, 1911, p, 349 n. 2), dont j'ai pu consulter un exemplaire au 2 000°, Il existe aussi un plan sommaire au 1 000° dérivé du plan Chatelain, da- tant des années 1950, qui a servi de fond de plan a notre fig. 1. 33. Atlas archéologique de la Tunisie, série au 100 000%, f° n° XXX Maktar, n° 186 p. 3 (1920). La bibliographie donnée au n° 11 méle aux références aux fouilles Espérandieu-Bordier la mention des plans publiés dans Gauc.er, Basiliques chrétiennes de Tunisie, qui ne concernent pas la basilique « de Rutilius », 36. Mactar, extrait du Bulletin économique et social de la Tunisie, n° 90, juillet 1954, p. 5. Cf. le plan en dépliant of 1a kouba de Sidi Amor est indiquée. 28 — ia. F 11 1 tate Fic, 2.— Plan des ruines en 1979 dressé par J. Schreyeck (Bureau d’architecture antique de Pau). L’orientation et échelle ont été ajoutées au plan publi. 29 CELLAE €3NY3GOW 3N00d3,7 ¥ 31INYL3G 1s}10 N IS SSS eooe FEU o1234as Fic. 3.— Essai de reconstitution du temple 4 cour, peut-étre dédié a Saturne (dessin Y. Junius). 30 NOEL DUVAL replacées dans le monument, F. Prévot a trouvé vers 1970 deux restes @épitaphes aux n°13 et 36 de la Fig. 4°”. Récemment, en 1979, un plan vient d’étre enfin levé a la demande de M. G. Picard par le regretté J. Schreyeck (Bureau d’architecture antique de Pau), mais il est resté inachevé par suite de son décés. M. Picard I’a publié sans échelle et sans orientation®®, C’est sur ce précieux document, qu’il faudrait compléter et contréler sur place, que nous avons raisonné (Fig. 2). Il — Le temple Celui-ci, d’aprés M. Picard, accessible de l’Est par un escalier monumental, bordé d'une chambre carrée, occupait une plate-forme de 45,40m x 20,75m et se composait d’un triple portique mesurant 30m x 7,50m, précédant quatre chambres 4 l’Ouest. Les longs cdtés comporteraient neuf colonnes et un pilastre, le cété court quatre colonnes a l’Ouest. L’auteur se plaint de l’absence de toute symétrie : «1a cour n’est pas dans l’axe de lescalier ; si le stylobate sud se prolonge par le mur nord de la chambre a abside, le stylobate nord aboutirait non loin du retour du mur qui ferme la troisiéme chambre de Yensemble occidental. La distance entre ce stylobate et celui qui borde au Nord Vesplanade est a peu prés double de l’espace séparant le mur sud du stylobate méridional ». Il ajoute : « Des difficultés encore plus ardues apparaissent si l’on essaie @imaginer comment lédifice pouvait étre couvert et clos® ». Le temple daterait de 210 en raison d’une inscription partiellement conservée sur des fragments d’architrave®® et serait dédié 4 Saturne, 4 un moment ol Septime Sévére cherche 4 romaniser le vieux culte de Baal Hammon. Cette identification résulte surtout de la proximité du tophet dont les stéles ont ét trouvées dans le ravin de Bab el Ain ou remployées dans les fondations de l’arc romain*!, G. Picard rappelle que, malgré son irrégularité, il comprend les 37. IC Mactar, I, 8 et 9 p. 15 et 18. Les deux textes sont trés effacés et il n'est pas absolument certain que les épitaphes soient bien en place (cf. p. 12) puisque des dalles ont pu étre prises ailleurs. Il faudrait pouvoir vérifier s'il y a des tombes cet emplacement. 38. Op. cit, p. 14, L’indication d’échelle donnée dans la légende (1/120°) est inexacte : en raison d'une réduction ultérieure, il s’agit du 1/220* ou 1/230*. Les orientations données dans le texte sont approximatives (et parfois erronées : ainsi p. 17 lire «sud » au lieu de « nord » trois lignes avant la fin). D'aprés un croquis de Schreyeck, M. Paillet a rétabli orientation probable (confirmée par le plan ensemble : fig. 1). 39. Op. cit, p.23. 40. Op. city, p. 20-21, Cf, aussi supra n. 17. 41. Leg stéles néopuniques vont incessamment faire objet d'une publication par MM. Fantar et Sznycer. Sur !e tophét, voir déja G. PICARD, Civitas Mactaritana, p. 46 ss. ; Rev. arch., 1984, p. 25-275 sur les stéles anciennement trouvées qui en proviennent : G. Picarp, Catalogue du Musée Alaout, ns., 1 (collections puniques), Tunis, 1955, p. 273-292 ; sur les monuments du culte de Saturne connus en 1960: M. LEGLAY, Saturne africain, Monuments, 1, 1961, p. 242. LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 31 mémes éléments que d’autres temples 4 cour, notamment celui de Saturne 4 Dougga. L'une des particularités de P’édifice restitué par G. Picard serait d’avoir un Portique ouvert sur la vallée au Nord-Ouest, supporté par un mur de souténe- ment (Fig. 3 n°5) dont la photographie de la Pl. I donne un détail. Il parait Probable, pour quiconque a Vhabitude des magonneries africaines, quwil ne s’agit pas d’un mur destiné a étre visible ou méme revétu d’un enduit, Si c’était le parement d’un mur en petit appareil, il comporterait sans doute, en effet, une armature de « hastes » ou de « harpes » — comme c’est le cas, par exemple, dans le mur sud-est (par endroits) et dans les piéces qui lui sont accolées — et Présenterait un moellonnage beaucoup plus régulier*?, Ce pourrait certes étre le noyau interne d’un mur revétu d’un parement en pierres de taille‘? Mais le stylobate qui le surmonte, s’il déborde légérement, par endroits, l'aplomb du «mur », ne saille pas suffisamment pour qu’on ait l’épaisseur d’un placage. L’autre interprétation possible est celle d’une fondation du stylobate, magonnée au moins partiellement dans une tranchée et destinée a étre dissimulée de toute fagon par le remblai. C’est la solution que je retiens dés P’abord — jusqu’a PL. — «Mur» portant le stylobate nord-ouest (d’aprés G. Picard), 32 NOEL DUVAL vérification plus poussée —, d’une part parce que la combinaison de cette colon- nade de facade, supportée par un mur de souténement, avec la colonnade paralléle du portique du temple — qui serait dépourvu de mur de fond ? — ne parait guére vraisemblable architecturalement (d’ailleurs M. Picard n’a pas fourni de restitution graphique), d’autre part parce qu’il est plausible que toute la frange nord-ouest du monument ait subi des dommages importants a l’occa- sion des fouilles anciennes et, plus récemment, pour I’élargissement de la route voisine et le « nettoyage » du terrain autour du musée. En d’autres termes, je pense a un déblaiement radical (comme 4 l’emplacement du musée et de sa cour sud-est) du cété nord-ouest du temple qui se serait arrété a ce « mur » solide, C’est-d-dire A la fondation du stylobate d’un portique interne, et qui aurait fait disparaitre le mur externe nord-ouest, symétrique du mur 8 de Ja Fig. 3 limitant le temple au sud-est. Le plan d’ensemble permet, semble-t-il, d’arriver 4 la méme conclusion. Appartiennent, en effet, certainement ou probablement au temple (je me référe au croquis de la Fig. 3): — pour la fagade nord-est : l’escalier monumental de sept marches n° 1 (rema- nié ensuite : voir infra), mutilé par la construction du futur musée (il a été re- construit partiellement a cet endroit lors de l’aménagement de ce dernier : PI. Il), la piéce carrée 2 (dimensions internes 5,20m x 5m), qui a été rema- niée 4 [Est et qui avait sans doute une large ouverture ou une porte vers le Nord-Ouest (restituée sur mon croquis : le mur est trés endommagé et le relevé assez confus). On peut hésiter pour le dallage 3 limité par l’escalier et un ali- gnement de blocs: une pierre de ce dallage porte une épitaphe chrétienne (Fig. 4, n° 36) et on remarque aussi un seuil remployé en 35 (voir infra) ; — le mur de petit appareil 8 avec une porte en 9 (qui pourrait aussi étre plus tardive et qui a été bouchée ou surélevée dans une phase récente ; G. Picard a remarqué que la proximité de l’amphithédtre en rend l’usage difficile et en déduit au contraire que ce dernier est postérieur). Ce mur est antérieur aux refends qui s’appuient sur lui‘ ; — les piéces 10 (largeur 4 m, largeur de Pabside 3,30 m, profondeur de celle-ci 1,50 m), 11 (largeur 4,25 m), 12 (profondeur 3,50 m). Ces piéces en blocage ne sont pas reliées sur le plan au reste du monument (la partie intermédiaire a été nettoyée apres le relevé, en 1981) et se situent nettement en contre-bas. II s’agit de substructions assez irréguliéres, sans doute appartenant 4 des constructions 42. Toutefois le mur sud-est du temple (n° 8 de Ja Fig. 3) a une structure assez semblable et était recouvert d’une couche d’enduit qui subsiste par endroits. 43. C’était la solution 4 laquelle M. G. Picard avait pensé (renseignement oral). 44, Rev. arch., 1984, p.17. M. Picard précise «A 4,60m de la plus haute marche la plate-forme est coupée par un mur de grand appareil, qui parait avoir été un stylobate, orienté nord-sud et large de 0,80». Il s’agit probablement du stylobate 4 qui est effectivement & 4,60m du dallage et non de l’escalier. En bordure du dallage au S.-O. le plan fait figurer plusieurs pierres, dont un seuil appartenant sans doute & l'état chrétien au S.-E. et vers la cour du musée une dalle plus large. On peut songer & cet emplacement a un portique d’entrée (voir infra). 45. G. PICARD, op. cit., p. 18-19. LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 33 PILI — Vue de l'escalier monumental d'aceés, avec deux colonnes ajoutées & I'spoque chré- tienne. La partie droite a été remaniée lors de l'aménagement du musée (Cl. J. Schreyeck). votitées d’aprés l’épaisseur des murs, peut-étre formant un sous-sol. Elles permettent de restituer avec une certaine vraisemblance |’élévation du point de vue du plan général, mais non pour les détails : épaisseurs des murs, existence ou non de niches dans les cellae, niveau du sol, organisation des facades, etc.46 ; — le stylobate 4, en dalles réguliéres larges de 80 cm*”; — le stylobate 5, en dalles du méme type (longueur moyenne 1,20 m), portant huit bases en place de type corinthien sur lesquelles on a remonté des fiits de calcaire « A lumachelles »** ;— le stylobate 6, apparaissant a certains endroits sous le mur postérieur auquel il a servi de fondation : on le distingue sur le plan de la Fig. 2, au départ, a V'angle est, puis a l’extrémité sud-ouest de la partie relevée en 1979; depuis le relevé, on a retrouvé deux dalles a proximité du mur séparant les chambres 10 et 11%. 46. Ibid, p. 19 et fig.2. Voir la n.9 pour le nettoyage postérieur au relevé, 47. Voir ci-dessus n. 44. 48. G, PICARD, op. cit., p. 18 et fig. 3, 8, Les bases sont dites a tort « ioniques » p. 18 mais «corinthiennes » p. 20. 49, Ibid., p. 19 : «murs... sous lesquels s’apergoit Passise dun stylobate qui leur a servi de 34 NOEL DUVAL Par contre, contrairement a l’avis de M. Picard, n’appartient pas 4 mon sens 4 état paien le stylobate 15 avec ses trois bases en place, qui figure pour cette raison sur notre Fig. 45°, Deux motifs a ce choix dont je vais m’expliquer : dune part son emplacement, 4 mi-chemin des stylobates 5 et 6 et trop proche de chacun deux, qui s’explique mieux dans I’état chrétien, d’autre part l’aspect de la surface de trois dalles présentant des rainures que G. Picard a attribuées a un remaniement chrétien’', Mais ces rainures datent, au contraire, d’un état antérieur a état visible actuellement, puisqu’elles ne se rejoignent pas 4 l’extré- mité des dalles, passent apparemment sous les bases en place et ne correspon- dent pas a des encoches dans les bases : les dalles ont été de toute fagon dépla- cées aprés qu’on les a tracées™, D’autre part, on peut considérer comme provenant du temple le matériel architectural recueilli sur place mais seulement quand il est homogéne (puis- qu'il y a de nombreux remplois de provenance diverse dans état chrétien : voir supra). Il s’agit, Paprés M. Picard, de: — 13 bases corinthiennes, dont 11 en place sur des stylobates ; — une dizaine de fits de colonnes en calcaire « 4 lumachelles » ; — 8 chapiteaux corinthiens de type assez original ; — 4 fragments de frise inscrits (voir supra) ; — 6 morceaux de corniche, datables aussi, d’aprés M. Picard, de I’époque sévérienne ; — 2 morceaux de corniche de fronton’, Sur ces bases, pouvons-nous proposer une autre restitution ? Avec G. Picard, nous admettons un portique au Sud-Est (n°6), profond de 3,75 m a 3,85 m (depuis l’extérieur du stylobate), qui se retourne au Nord-Est (n° 4). La distance entre l’angle est et la piéce 2 est la méme : 3,75 m. Puisque c’est la profondeur probable du portique de ce cété, il faut restituer dans le prolongement du mur sud-ouest de la salle 2 une limite représentée soit par un mur, soit par une colonnade. Il est difficile d’en décider actuellement (voir infra). Si nous prolongeons ce portique nord-est vers le stylobate 5, 4 travers Yespace entaillé par le batiment du musée et sa cour, nous obtenons une largeur intérieure de la cour de 15 m 4 15,10 m (prise toujours a l’extérieur des styloba- tes). Nous constatons que le stylobate sud-est bute contre le mur séparant 10 et 11. En d’autres termes, la chambre absidale 10 se trouvait a l’extrémité du portique et d’aprés les indications données par G. Picard (résultat du nettoyage n, et qui a méme structure et méme largeur que les trois autres murs de cette nature dire les n°*4 et 5 plus le stylobate « chrétien » dont nous parlerons] précédemment décrits, avec lesquels il forme les trois cétés d’un rectangle ». Il reste a vérifier si ce stylobate existe partout, pour les raisons exposées plus bas. 50. Zbid., p. 18. La distance indiquée comme « entraxe » (2,40 m) est en réalité Vintervalle entre les bases en place. 51. Ibid., p. 27-28. 52. Un autre indice allant dans le méme sens est fourni par la position actuelle d'une base au-dessus d'un joint entre deux dalles. 53. Ibid., p. 20-22 et fig. 8 (base), 9 (chapiteau), 10 (comiche). LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 35 de 1981)*, elle ne parait pas fermée par un mur de fagade : il faudrait donc plutét parler d’une exédre de fond de portique comme on en connait notamment dans des fora, par exemple en Afrique 4 Thuburbo Majus® et a Sbeitla®%, qui jouent aussi le réle de cours de temples. Les chambres 11 et 12 sont, au contraire, les cellae (ou les substructions des cellae) du temple, relativement peu profondes, puisque les stylobates s’arrétent a 5m environ du fond de ces cellae et qu’il existe pour la salle 12 un retour de fondation 4 3,50 m du fond: A ’heu- re actuelle, est conservée du mur du fond (au Sud-Ouest) une longueur de 7,50 m environ depuis le mur séparant 10 et 11, pour une cella et demie. Si on double cette longueur, on obtient les 15 m de largeur de la cour. Donc aucune difficulté de ce cété pour restituer trois cellae 4 peu prés égales au fond d’une cour. Mon hypothése consiste, comme nous l’avons déja suggéré, 4 supposer qu’ont disparu lors des fouilles et des aménagements récents, non seulement ce qui manque des cellae et une partie de la facade, mais aussi la largeur du por- tique nord-ouest égale a celle du portique sud-est et le mur qui limitait le temple de ce cété, soit 3,75 m environ de profondeur plus lépaisseur du mur (60 & 65cm a en juger daprés le mur sud-est). Cette hypothése, encore une fois, n’a rien d’insolite puisque de toute fagon on a détruit totalement une partie de la facade et des murs, trés massifs, du fond du temple. Sa justification peut étre démontrée mathématiquement par la transformation chrétienne : si le stylobate 15 de la Fig. 4 est celui de la colonnade sud-est de la basilique chrétienne et si le mur 16 est la paroi latérale sud-est de cette derniére, le bas-cété est large de 3,75 m. Puisqu’il faut, suivant toute probabilité, un bas-cdté symétrique et qu’en tout cas la colonnade nord-ouest ne peut donner sur le vide dans ce type de batiment, on peut supposer un mur a 3,75 m de distance de cette derniére. En fait, comme nous le rappelons infra, c’est la profondeur du portique existant, transformé en bas-cété, qui a dicté la largeur a donner au bas-cété sud-est et par conséquent fixé emplacement du mur « chrétien » n° 16 aprés qu’on a établi la largeur de la nef centrale (suivant une proportion classique avoisinant 2 pour 1). Laxe de symétrie suggéré sur la Fig. 3 permet une restitution logique d’un temple a cour (extérieurement 45m x 25,50m environ) avec trois portiques en U devant (27m x 15,10 m environ pour la cour), trois cellae, deux exédres au fond des portiques latéraux, un escalier monumental dont une moitié seule- ment est conservée. Le portique court, au N.-E., aurait comporté six colonnes, les cétés longs dix supports’’. L’existence d’une chambre carrée, symétrique de 54. Ibid., p. 19 n.9. 55. A, MERLIN, Le Forum de Thuburbo Majus (Notes et Documents de la Direction des Antiquités, VII), Tunis-Paris, 1922, pl.I; A. Lézie, Thuburbo Majus (guide), Tunis, 1968, p. 8-10 avec plan. 36, N. Duval et F, BaRaTTe, Les ruines de Sufetula (Sbeitla), Tunis, 1973, p. 22 et fig. 8 37, G. Picarp, op. cit. p. 22, signale un pilastre (non en place), mais si la derniére base (au Sud-Ouest) du stylobate 5 est bien en place, existence d'un pilastre de ce cété est douteuse, contrairement A ce qu’il suppose. 36 NOEL DUVAL 2, bien que non prouvable (pas plus que celle de l’exédre ouest), est hautement yraisemblable. On connait sans doute une fagade de ce type avec accés monu- mental encadré de deux éléments pleins (appelés « bastions ») dans ce que M. Leglay considére comme le temple de Saturne d’Hippone**. L’angle des portiques est occupé par des piéces semblables, mais au fond du temple, dans ce que nous pensons étre le Capitole d’Haidra®’. Il reste plusieurs incertitudes: on ne sait pas exactement dans I’état des recherches comment s’organisaient les cellae et leur facade : étaient-elles de plain pied ou surélevées ? Etaient-elles précédées d’une colonnade ? Il n’existait pas en tout cas, comme au temple de Saturne 4 Dougga™, de retour du portique devant les cellae puisque les stylobates se prolongent jusqu’a leur fagade, mais une fagade 4 colonnades n’est pas exclue (nous l’avons supposée sur la Fig. 3). De méme, comme nous l’avons dit, et comme M. Picard le propose de son cété, une colonnade est possible et méme probable derriére !’escalier monumen- tal n° 1, sans doute immédiatement au sommet de l’escalier plutét qu’a la limite du dallage 3 od une cloison quelconque est plus vraisemblable. Les éléments de fronton proviendraient soit de ce porche, soit de la fagade des cellae. En tout cas, si les blocs du stylobate sud-est sont encore partout en place sous le mur « chrétien » n° 22 de la Fig. 4 (ce qui n’est pas prouvé), existence dune autre colonnade d’une certaine importance est probable : les blocs du stylobate « chrétien » n° 15 étant de mémes dimensions que ceux du temple, ils en proviennent aussi suivant toute vraisemblance et on les a donc prélevés, peut-8tre dans la partie manquante du stylobate nord-est, qui devenait inutile (mais cela efit été de toute facgon insuffisant), sans doute dans une des colonnades évoquées plus haut (fagade monumentale du temple ou fagade des cellae). Les rainures font penser a un endroit ot l’accés était limité 4 un passage central. Le plan a cour et 4 trois cellae pour un temple a Saturne est classique : Yexemple le plus connu est celui de Dougga, deja cité, mais dans le recueil —déja ancien — de M. Leglay, on remarquera principalement des similitudes avec Haidra®!, Hippone®, et surtout Timgad® ou les portiques latéraux, comme 58. M. LEeGLay, op. cit., I, p. 431-434, et fig. 8 (p.433 pour les bastions). — Rappelons qu’ Mactar fa piéce 2 parait avoir &é modifige a basse époque. 59. F, BARATTE, N. Duval, JCl. Gotvin, Recherches d Haidira, V: le Capitole, la basilique V, CRAI, 1973, p. 162, fig. 3, 7. 60. L. CARTON, Le sanctuaire de Baal-Saturne d Dougga, Nouvelles archives des Missions Scientifiques et Littéraires, VII, 1897, p. 367-474 ; C. Pomnssor, Les ruines de Dougga, Tunis, 1958, p. 63-66 et fig. 7 ; M. Leatay, op. cit,, I, p. 208-212, Le plan comparable au nétre date de Pépoque sévérienne. 61. M, Leotay, op. cit, I, p. 322-323 et fig. 6. Le sanctuaire actuellement visible date, comme ceux de Mactar et de Dougga, de la période sévérienne. 62, Loe. cit. supra n. 58. 63, Ibid., I, p. 126-129 et fig. 4. M. Leglay considére que c’est exemple le plus proche du plan de Mactar (discussion du 27 janvier 1985 41a Commission d’Afrique du Nord), Sur le plan du temple de type «romano-afticain » dans la série des sanctuaires de Saturne, voir en général LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 37 A Mactar, se prolongeaient jusqu’a la fagade des cellae, Il faut ajouter peut-étre les temples de Thuburbo Majus et Sbeitla que nous citerons plus loin pour la transformation en église, dont l’attribution 4 Saturne n’est pas certaine mais dont le plan est assez proche de ceux que nous avons énumérés. Remarquons cependant que la cella centrale est souvent distinguée des cellae latérales par un accent architectural : saillie de la fagade, surélévation, pronaos monumental. L’état des ruines ne permet pas de dire s’il en était ainsi & Mactar: aussi avons-nous supposé, dans notre schéma, exempli gratia, une facade uniforme mais légérement surélevée (parce que nous pensons a des substructions vottées pour les murs conservés). Des fouilles complémentaires, comme nous |’avons deja dit, fourniraient sans doute des précisions nécessaires 4 une restitution plus poussée. En tout état de cause, le plan du temple gue nous proposons (Fig. 2 sans prouver en quoi que ce soit l’attribution 4 Saturne, la rend plus plausible encore. Ill — LE glise M. G. Picard lui consacre quelques mots seulement : «Vers le milieu du iv® siécle sans doute, la communauté chrétienne de Mactar prit possession du temple de Saturne et Padapta, sans efforts excessifs, aux besoins de son culte, Le plus important vestige de cette transformation est constitué par les rainures (Fig, 4, n° 15], destinées a fixer les plaques d'un chancel entre les colonnes du stylobate nord de la cour. Ces chancels servaient a séparer le choeur des bas-cétés ; nous voyons done que l’église, longue et étroite, devait avoir une nef centrale large d’un peu plus de 3,50 m et deux bas-cdtés larges d’un peu plus de 3 m. Le cheeur devait occuper plus de la moitié de la nef centrale ; il était séparé du bas-cété sud par le mur est-ouest placé peu prés dans l’axe de la terrasse [Fig.4, n° 16], qui ne devait pas avoir alors le caractére d’une cloison continue. Les chambres situ¢es au sud de la plate-forme, et appuyées sur le mur séparant de Pamphithéatre, appartiennent certainement a [’état chrétien. On en retrouve de trés analogues dans l’église d’Hildeguns ; 1a aussi elles flanquent le bas-c6té droit du sanctuaire ; on ignore la destination de ces annexes. Tout ce qui vient d’étre dit conduit a placer Pabside de Péglise du temple de Saturne, qui n’a laissé aucun vestige, a Pextrémité ouest de Pédifice ; sans doute était-elle assise sur les fondations de la seconde chambre carrée en partant du Sud ». Si on accepte notre interprétation du plan du temple, la transformation en église est tout autre que celle imaginée par M. Picard et vient conforter Vhypothése proposée pour le temple dans la fig. 3 La premiére constatation repose sur le parallélisme des deux stylobates 5 (Fig. 3) et 15 (Fig. 4) : les bases se répondent et la distance qui sépare les deux M. LecLay, Saturne africain, histoire, Paris, 1966, p. 275-283 ; cf. P. ROMANELLI, Topografia e archeologia dell’Africa romana (Enciclopedia classica, III, X, 7), Turin, 1970, p. 123 ss. 64, Rev. arch., 1984, p. 27-28. 38 mursda temple ZA a murs fy temple non ulilises, 1 ETAT INN tom = festitution Ld hypothetique Fic. 4,— Essai de reconstitution de l’église dite de Rutilius (dessin Y. Junius). 39 a ie ¢) [sf r Iz Le) PORTIQUE ' ah A A PLACE Fro. 5.— Exemple d’installation d'une église dans un temple a cour :,Thuburbo-Majus (aprés A. Lézine). 40 NOEL DUVAL colonnades (6,55/60 m entre stylobates, 7,30/40 m entre axes) convient 4 une nef centrale @église. Effectivement, un examen superficiel montre que le stylo- bate 5 est en place sur les fondations photographiées sur la PI. I tandis que le stylobate 15 présente des traces de remaniement, suggérant que les dalles ne sont pas a leur place d’origine (voir supra). Donc on a prélevé ces dalles dans un ou plusieurs des stylobates du temple, devenus inutiles (voir supra), pour les ali- gner parallélement a celui qui a été réutilisé. Le procédé est bien connu : c’est en effet celui qui a été employé aussi dans le temple a cour de Thuburbo Majus (Fig. 5) ot Péglise a été installée dans la cour en réutilisant un portique latéral devenu bas-cété, en transférant des éléments des autres colonnades du temple pour obtenir la seconde colonnade, et en construisant une cloison dans la cour a la distance voulue pour atteindre la méme largeur que celle du portique (dont la profondeur est donc a l’origine des proportions de l’église en largeur)®*. Si cet espace est bien la nef centrale, ce qui parait évident a un spécialiste de architecture chrétienne, celui entre la colonnade et le mur 16 (4m 4 4,10m depuis axe de la colonnade) est le bas-cété sud-est de l’église et non la nef centrale comme le pensait M. Picard. Le mur 16 a subi bien des avatars parce qu’on a di y prélever des remplois (voir supra) et qu’on a ajouté dans les lacunes des pierres venues d’ailleurs dans un alignement factice ou le relevé ne distingue pas bien ce qui est en place, mais certaines sections sont trés régulié- rement construites en opus africanum (visibles sur la Pl. 1, 2) et on reconnait une porte en 18, une autre (bouchée par la suite) en 20, une troisiéme probable en 19, Le mur, non profondément fondé, est bien d’époque chrétienne comme avait vu M. Picard, mais ce n’était pas un mur discontinu comme il le suggére pour justifier emplacement qu’il attribue a la nef centrale ; il constitue bien la facade latérale de l’église, comme nous l’avons déja dit, ce qui autorise la restitution d’un bas-cété symétrique et du mur limitant primitivement le temple au Nord-Ouest (voir supra). Au total la largeur de Véglise atteindrait 15,55/15,60 m 4 Vintérieur des murs. La longueur exacte du quadratum populi est difficile 4 déterminer. Nous avons sans doute pour le stylobate nord-ouest la longueur maximale vers le Sud-Ouest. Mais de l’autre c6té, quelle portion des colonnades a disparu lors de la construction de la kouba puis du batiment devenu musée ? Vorientation et ’emplacement de l’abside restent également théoriquement en question puisqu’il ne subsiste rien de cette derniére. Mais on peut parvenir a une probabilité, qui est d’ailleurs celle retenue par M. Picard : occidentation, avec l’abside au Sud-Ouest, comme c’est d’ailleurs le cas pour deux des autres églises repérées 4 Mactar®, 65. Voir mon analyse de cette transformation dans Eglises et temples en Afrique du Nord, Bull. arch., 1972, p. 277-290 et surtout p. 282 et fig. 10. 66. Voir mes observations dans Les églises africaines d deux absides, p. 108 ss. (bas. II dite des Juvenes : orientation a l'Ouest), p. 143 ss (bas. IV dans les « thermes du Capitole » : orienta- tion au Nord-Nord-Ouest). Cf. aussi G. PICARD, op. cit., p.28. L’occidentation est un phénoméne banal en Byzacéne, LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 41 En effet, l’accés du temple a di subsister pour l’église : l'escalier 1 a été conservé méme si on a ajouté, en entaillant les dalles, les deux colonnettes 33 et 34 (Pl. 11), qui avaient probablement leurs symétriques de l’autre cété et for- maient soit une colonnade décorative (avec un couronnement de nature indéter- minée), remplagant le porche du temple détruit, soit une barriére limitant Ventrée au centre. Il est logique de penser que l’accés se trouvait en fagade a Yopposé de l’abside. D’autre part, on doit localiser Vessentiel des trouvailles épigraphiques du xIx* siécle, notamment les épitaphes des deux évéques et du prétre, dans la partie ouest de l’esplanade puisque l’autre extrémité était occupée par la kou- ba (une seule trouvaille est localisée par rapport A cette derniére). C’est Vangle ouest du temple qui a été, semble-t-il, "emplacement principal des fouilles, d’oi d’ailleurs son état actuel. Les sépultures des membres du clergé devaient se trouver logiquement dans la partie privilégiée du sanctuaire : dans VPabside, devant l’abside ou dans le chceur. Il n’est pas exclu qu’il ait subsisté jusqu’en 1981 des vestiges du mur du chevet. Dans le remblai conservé alors devant les cellae du temple et que M. Picard a demandé de nettoyer cette année 1a, on croit reconnaitre quelques pierres en place en direction Sud-Est-Nord-Ouest sur une photographie de 1979. C’est peut-étre dans ce chevet que les officiers ont trouvé certaines des plus grosses pierres qu’ils signalent, notamment les bases de statues impériales (voir plus haut) qui pouvaient avoir servi aux fondations de l’abside. La limite du quadratum populi au Nord-Est, donc Y’emplacement de la fagade, ne peut étre localisée avec certitude. Deux hypothéses sont possibles : 1) une utilisation du stylobate 4 du temple comme fondation d’un mur (aucune trace 4 Vheure actuelle) ; 2) Vexistence d’un mur 4 la limite du dallage 3. Cette hypothése est la plus plausible parce que la galerie latérale sud-est parait se poursuivre jusqu’a cette hauteur (voir infra). Dans la premiére hypothése, la longueur du quadratum populi serait d@environ 23 m, dans la seconde d’environ 27m. Un autre indice est fourni par le nombre de fits (qui doivent étre ceux uti- lisés dans Péglise) repérés au XIX® s. (voir supra): une vingtaine. S’il s’agit réellement de vingt, ou de vingt-deux, l’hypothése longue est la plus vraisem- blable. Pour dix-huit, ’hypothése courte serait acceptable, étant donné que dans l’état actuel du stylobate nord-ouest, on a déja huit supports et qu’on peut en supposer neuf, Vorganisation du chevet nous échappe complétement. Celle du quadratum populi et Pemplacement du chceur sont également inconnus, si on ne retient pas la datation «chrétienne » des rainures du stylobate 15 dont nous avons vu qu’elles ne conviennent pas 4 la position actuelle des dalles. Les pierres placées aux n®* 13 et 14 de la Fig. 4, qu’on apercoit sur la Pl. IIL, ne paraissent pas en place comme G. Picard avait déja indiqué, mais il y 42 NOEL DUVAL PI.TIE — Vue d’ensemble de la nef centrale de la basilique chrétienne prise du Sud-Oues pierres placées au centre n’appartiennent sans doute pas 'aménagement chrétien (cliché J. Schreyeck communiqué par l'Institut de recherche sur larchitecture anti- que, Bureau de Pau). voyait 4 tort des restes du mur nord de l’église®’. Les dalles plates posées en enfilade mais au-dessus du niveau du sol (l'une porte les restes d’une épitaphe : voir supra) et les quelques pierres en élévation ont été probablement disposées ainsi par la fantaisie d’un aménagement moderne (le fait doit étre vérifié). Elles peuvent provenir de la destruction du marabout. Méme si le dallage situé au Sud-Ouest de l’escalier (n° 3 de la Fig. 3) est antérieur 4 Pépoque chreétienne, il a été probablement remanié et on a sans doute enterré dessous : on note un seuil remployé au n° 35 et une épitaphe (deja signalée) au n° 36. Il parait exister au Sud-Est une longue galerie, large de 4,25 m, paralléle 4 Véglise, non cloisonnée. Cette galerie communiquait avec la basilique par trois portes au moins, déja signalées, et probablement avec le porche dallé par une quatriéme porte (un seuil bordé de deux montants est en place au n° 17 de la Fig. 4). Cette galerie dessert une série d’annexes construites en petit appareil a hastes, dont le relevé de la Fig. 2 ne donne qu’une image infidéle car les murs 67. Op. cit., p.18: «restes informes d’un mur de grand appareil ‘entiérement formé de remplois » 7, on déduit de la largeur donnée au bas-cdté que G, Picard retient ce mur comme la limite nord de l’église. LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 43 ont été plusieurs fois remaniés et se sont écroulés en certains endroits, ce qui explique des alignements imparfaits. En réalité la maconnerie d'origine, en moellons bien équarris, a hastes, n’est pas mauvaise (PI. IV). Mais la chrono- logie relative est évidente : ces murs qui s’appuient sur le mur de fond du portique du temple lui sont postérieurs et sont construits de la méme fagon que le mur 16, qui appartient 4 V’église. Voici une énumération rapide de ces annexes : — Salle 23: plan carré de 4m de cété intérieurement. Le mur est détruit vers le Nord-Ouest et emplacement dune porte éventuelle ne peut étre déterminé. Par contre on distingue une porte bouchée (1 m d’ouverture) en 24, — Salle 25: 4,10m x 1,90m, ouvertures possibles au Nord-Ouest en 26 (ol appa- rait le stylobate du portique du temple) et au Sud-Ouest (pierres de taille au niveau du sol) — Salle 27: 6,80m x 4,25 m. Pas d’accés au Nord-Ouest oft Je mur s'est écroule en partie mais ne comporte pas d’interruption. Au Sud-Est, la porte n°9 (cf. Fig. 3). large d’1,50 m, a déja été signalée : elle est dépourvue de montant en pierre mais I'app: reil de magonnerie souligne les piédroits ; Pouverture a été bouchée ou le seuil surélevé puisqu’il existe deux rangs de moellons entre les piédroits. — Salle 28: 9,40m x 4,25 m. Le mur nord-ouest est incomplet et a été trés rema- nié. Dans Pétat actuel, certainement tardif, il se termine par un trongon de colonne uti- PL. IV — Vue d'ensemble des annexes sud-est, prises du Sud-Ouest. Remarquer la magonnerie relativement soignée s'appuyant sur le mur S.-E, du temple (Cl. J. Schreyeck). 44 NOEL DUVAL lisé comme armature en 29. Une cloison intermédiaire est possible en 30. Les circula- tions ne peuvent étre précisées. — Salle 31: 4m x 2,50m en moyenne, porte large de 75 cm en 32, certainement trés tardive d’aprés son niveau ; au-dela on retrouve le stylobate du portique du temple, plus un alignement de pierres, dont la nature échappe : peut-étre une autre piéce. Le sol de ces piéces n’ayant pas été exploré en profondeur, on ne peut exclure existence d’un baptistére dans l’une d’elles. Aucune ne présente actuellement d’aménagement caractéristique. Mais un baptistére pourrait avoir été aussi installé dans une des cellae, comme c’est le cas 4 Thuburbo Majus (Fig. 5), 4 Sbeitla, dont le temple 4 cour présente certaines similitudes avec les temples de Saturne étudiés par M. Leglay®, et 4 Djebel Oust®, Si on ajoute a la longueur maximale présumée du quadratum populi (27 m) Pabside, le vestibule dallé 3 et l’escalier 1, on obtient une longueur totale denviron 39/40 m pour une largeur d’environ 30m. II s’agit donc bien du plus vaste édifice chrétien connu de Mactar. Je rappelle que la basilique II (édifice des Juvenes) mesure 17m de longueur interne, a laquelle il faut ajouter la « contre-abside » et l’atrium, la basilique III (église d’Hildeguns) 34 m hors tout, avec le baptistére et l’'avant-corps, pour 19 m de largeur avec les annexes, la basilique IV (église dans les thermes du Capitole) 21,50 m de long (33,50 m pour le frigidarium entier) pour 8 a 9 m de large. II conviendra donc de ne plus parler de la « petite basilique » de Rutilius comme on I’a fait aprés Espérandieu (qui y voyait au contraire une vaste église). L’idée venait sans doute du fait que la présence du marabout n’avait pas permis de dégager la Jongueur compléte. Sans qu’on ait de preuves, la taille de l’édifice, sa date présumée et la présence des sépultures d’évéques permettent de penser, comme on I’a supposé au début des fouilles, 4 la cathédrale ou 4 Pune des cathédrales de Mactar. Il faut renoncer aussi 4 la notion de « basilique byzantine » qui apparait dés Porigine, 4 cause surtout de l’aspect des murs. Si les épitaphes de Jobianus et de Cersciturus peuvent étre assez tardives, les deux épitaphes d’évéques paraissent, au contraire, d’aprés leur écriture et leur mise en page, relativement anciennes : cet avis est aussi celui du dernier éditeur”. On pense 4 la fin du Iv* s. ou au v° siécle. Mais un terminus post quem pour la construction est fourni sans doute par le remploi (dans le chevet ? voir supra) de bases de statues des empereurs du iv‘ s, déja signalées (supra, n. 17) : on doit admettre, si elles n’ont pas été utilisées pour des remaniements, que l’église est postérieure aux années 380 (la base la plus récente est dédiée 4 Gratien). Donc la transformation chrétienne serait A situer au plus tét vers la fin du IVv°s., c’est-d-dire un peu plus tard que la date proposée par M. Picard’). 68. N. Duvat, op. cit. BAC, 1972, p, 268-276. On remarquera dans ce temple une disposi- tion des piéces encadrant la cella centrale analogue a celle de Timgad. 69. Ibid., p. 290-292, 70. F, Prévor, op. cit, p. 18, Elle admet aussi une date ancienne pour Pépitaphe (disparue) n° I, 4 (Domnicellus). Héron de Villefosse avait parlé aussi du V¢ s. pour Pépitaphe de Rutilius. Th. Op. cit, p.27: milieu du 1v* s, LA BASILIQUE DITE DE RUTILIUS, A MACTAR 45 Quoi qu’il en soit, cet édifice, assez vaste, construit sur emplacement d’un des grands temples de Mactar, ne déshonore nullement l’architecture chré- tienne: ce serait méme l’église la plus «classique» de celles que nous connaissons sur le site. Il est dommage que les malheurs multiples subis par la tuine aient réduit a état de squelette ce qui était peut-étre la cathédrale de la cité. Noél DuvAL Université de Paris-Sorbonne C.N.R.S. (U.R.A. 24) 3, rue Michelet, 75006 Paris Novembre 1984, janvier 1985 RESUME : Réexamen du plan du temple (peut-étre dédié & Satumne), proche de Vare de Bab el Ain a Mactar, que M. G. Picard vient de publier : on propose un plan symétrique avec trois cel- Jae, plus équilibré que celui suggéré par léditeur. L’église, aménagée dans le temple, qui avait &é identifiée das les années 1880, apparait pour la premiére fois sur un plan. Elle semble, malgré sa mutilation actuelle, assez grandiose. Datant sans doute de la fin du 1v® ou du v¢ siécle et conte- nant deux sépultures d’évéques, elle peut étre une des cathédrales de Mactar. Revue des Etudes Augustiniennes 31 (1985) 46-70 Un tournant dans la vie de VE glise @ Afrique : les deux missions d’Alypius en Italie a la lumiére des Lettres 10*, 15*, 16* 22* et 23*A de saint Augustin Un fait ne prend sa signification que si l’on connait le contexte dans lequel il s’insére et les motifs qui Pinspirent. En nous apportant une documentation toute nouvelle, les lettres d’Augustin découvertes par J. Divjak’ nous obligent donc 4 jeter un regard nouveau sur les voyages de l’évéque Alypius en Italie, écarter certains préjugés et A découvrir un visage de I’Eiglise d’ Afrique que nous ne pouvions pas imaginer. Nous savions qu’Alypius s’était rendu plusieurs fois en Italie au cours des années 419 et suivantes. Augustin raconte en effet que c’est I’évéque de Thagaste qui lui a rapporté de Rome les documents qu’il réfute dans le livre IT du De nuptiis et conc. et dans le Contra duas epist. Pelag.? Julien d’Eclane affirme, d’autre part, qu’Alypius est retourné en Italie pour porter au comte Valerius le livre II du De nuptiis et conc. et au pape Boniface les quatre livres du Contra duas epist. Pelag.> Augustin nous apprend enfin que c’est Alypius encore qui lui a fait recopier et lui a envoyé de Rome les cing premiers livres de VAd Florum de Julien, en lui promettant de lui envoyer rapidement les trois autres’, Notre information se limitait pratiquement a ces trois faits et, méme si un accord tendait a s’établir sur la date du premier voyage, on continuait a s’inter- 1, Sancti Aureli Augustini opera, Epistolae ex duobus codicibus nuper in lucem prolatae, recensuit Johannes Divjak, C.S.E.L., 88, Vindobonae, 1981, Pour toutes les références a ces lettres, je me contenterai d'indiquer la page de Védition. 2. Ch. De nupt. et cone., 2, 1, 1; CSB.L., 42, p. 253-254 ; Contra duas epist. Pelag., 1, 1, 1-3, 35 BAy 23, p. 312-316. 3. Citations de Ad Florum, de Julien, dans Contra Iul. op. imp. 1,73 1, 52.13 1, 855 CSE Ls, 85, p. 9-455 97, 4. Cf. Epist, 224, 2; CS.E.L., $7, p. 452. DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 47 roger sur celle des deux autres. Les nouvelles lettres d’Augustin sont fort loin assurément de combler toutes les lacunes de notre documentation et de répon- dre & toutes nos questions. Elles nous fournissent du moins des renseignements beaucoup plus circonstanciés, et je vais essayer de les exploiter pour mieux situer dans leur environnement, et mieux en dégager les motifs, les deux seuls voyages qu’Alypius fit alors en Italie, le premier au temps du pape Boniface, le second au temps du pape Célestin. I — AU TEMPS DU PAPE BONIFACE Jusqu’a la découverte de ces lettres, nous n’avions pour connaitre ce voyage de Pévéque de Thagaste que les premiéres lignes du De nuptiis et conc. II et du Contra duas epist. Pelag. Dans les introductions de ces deux ouvrages, Augustin commence par rappeler a leurs destinataires qu’ils avaient profité Pun et l’autre du retour d’Alypius en Afrique pour lui faire porter les écrits auxquels il va répondre® ; il se contente de dire le fait, et nous en étions réduits dés lors a des hypothéses pour établir la date de ce voyage et surtout pour en deviner les motifs. Nous examinerons plus loin ces deux témoignages ; nous allons commencer par recueillir sur ce voyage les renseignements autrement plus importants et plus précis que contiennent quatre des lettres nouvelles, les Epis. 15*, 16*, 22* et 23" A Le témoignage des « Lettres 15*, 16*, 22* et 23* A» Ces quatre lettres peuvent étre regroupées, non seulement parce que |’une, VEpist. 22*, est adressée 4 Alypius et que les autres parlent de lui, mais surtout parce que toutes les quatre font allusion aux mémes événements et contiennent des renseignements qui se recoupent. Dans I’Epist. 15*, Augustin reproduit les premiéres lignes du commonitorium’ qu’Alypius a envoyé aux prétres de Thagaste et que lui-méme vient d’avoir l’occasion de lire, parce que le navire sur lequel se trouvait le porteur a fait escale 4 Hippone*. Comme il |’explique, c’est encore a partir de ce qu’il a lu dans ce commonitorium que, dans les Epist. 16" et 23* A, il donne des nouvelles d’Alypius & ses correspondants?. 5, Il me parait symptomatique que la Prosopographie chrétienne du Bas-Empire, I, Afrique (303-533), Paris, 1982, fixe résolument le premier voyage en 419, p.63, mais se contente prudemment d’un « aprés quoi» pour te deuxiéme et évoque «la période 427-430 » pour le troisiéme, p. 64, 6. Cf, De nupt. et cone. 2, 1, 1; C.S.E.L., 42, p. 253-254 ; Contra duas epist. Pelag. 1, 3, 35; BA. 23, p. 316. 7. Augustin ne cite pas Pensemble du commonitorium : « Haec sunt quae de commonitorio Thagastem miso necessatia putaui, ut uobis descripta dirigerem », Epis. 15%, 3, 1; p. 84. 8. « Cum paratae iamiam essent litterae a nobis ad uestram beneuolentiam dirigendae, uenit a fratre Alypio commonitorium quod ad Thagastem dedit, quoniam ad nostrum litus eadem nauis appulsa est », Epist., 15*, 1; p. 84. 9. «Nos autem per commonitorium fratris Alypii quod ad Thagastem misit, quoniam eadem 48 MARIE-FRANCOIS BERROUARD LEpist.22* se rattache 4 ce groupe par l’intermédiaire de lEpist.23* A: Augustin y raconte en effet 4 Alypius les développements de Ia crise qui agite alors l’église de Césarée de Maurétanie 4 propos de la succession de Deute- rius' et dont il a évoqué les premiers incidents 4 la fin de son Epist. 23* Al, Ces quatre lettres forment donc bien un ensemble dont il faut maintenant établir la date, avant de chercher a préciser ce qu’elles nous apprennent de la mission d’Alypius. Par chance, l’Epist. 23* A présente incomparable avantage de pouvoir étre datée avec une précision inhabituelle : elle a été écrite 4 Possidius de Calama le premier décembre 41912, L'Epist. 16* a été adressée 4 Aurelius de Carthage quelques jours ou, plus vraisemblablement, une ou deux semaines plus tard. Dans |’Epist.23* A, Augustin se contentait de redire que le commonitorium d’Alypius annongait Penvoi 4 Carthage d’un silentiaire chargé de porter l’indulgentia obtenue en faveur des Carthaginois". Quand il écrit PEpist. 16*, il a regu des informations complémentaires et il pense que l’évéque de Carthage en sait désormais plus long que lui: il a appris en effet qu’Alypius a confié 4 René, un évéque de Numidie, « une copie du beneficium accordé 4 Largus », le proconsul d’Afrique, mais il se demande, et il demande implicitement 4 son correspondant, s’il s’agit simplement de l’indulgentia que doit remettre le silentiaire ou bien de ce qui aurait été obtenu depuis en faveur de ceux qui s’étaient réfugiés a l’église!* et dont l’affaire par conséquent aurait été réglée dans ’intervalle. La question que se pose Augustin suppose donc par elle-méme qu’il s’est écoulé un certain temps entre les deux lettres'®. Il faut par contre placer lEpist.15* avant l’Epist.23* A, car l’évéque d’Hippone y avertit ses correspondants que la lettre qu’il allait leur faire porter était déja préte quand on lui a remis le commonitorium d’Alypius™, dont il se contente du reste de leur faire recopier le début ; cette lettre doit donc étre datée nauis nostro s¢ litori admouit, hoc comperimus... », Epist., 16*, 2, 1 ; p. 86. « De fratre Alypio ali- quid certi_non repperi nisi quod in eius commonitorio legi misso ad Thagastem per fitium Seueriani Longi qui ad nostrum litus adpulsus est», Epist.,23*A, 1, 1; p. 121. 10. Cf. Bpist., 22%, 5, 1-11, 35 p. 115-119. 11, Cf. Epist, 23% A, 5, 1-6, 25 p. 124-125, 12, Sur la date de cette lettre et le nom de son destinataire, cf. M.-F. BERROUARD, L’acti littéraire de saint Augustin du 11 septembre au I* décembre 419 d’aprés l'Epist.23* A d Possidius de Calama, dans Les Lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak. Communications présentées au colloque des 20 et 21 septembre 1982, Paris, 1983, p. 300-327. 13, «Nam pro Carthaginiensibus, de quorum facto solliciti maxime fueramus, dixit e0 die quo scripserat missum fuisse silentiarium cum eorum indulgentia », Epist., 23*A, 1, 3; p. 121. 14. CE. Epist., 16%, 2, 2-4; p.87, 15, R. Delmaire, qui passe trés rapidement sur la datation de ces lettres et sur leurs rapports chronologiques, considére la lettre 16% comme « contemporaine sans doute » de la lettre 15* et comme «un peu» antérieure a la lettre 23*A, Du nouveau sur Carthage : le témoignage des lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak, dans Opus, 1983, p. 477. 16. CF. Epist,, 15%, 1; p. 84, texte latinwen. 8, DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 49 au plus tard des derniers jours de novembre 419, mais sans doute a-t-elle été dictée deux ou trois semaines auparavant : on peut penser en effet qu’Alypius a écrit son commonitorium dans la deuxiéme quinzaine d’octobre puisqu’il y exprime le souhait de rentrer 4 Thagaste avant Phiver!”. Quant a l’Epist. 22", les multiples réunions, tractations et échanges de lettres auxquels ont déja donné lieu les difficultés de la succession de Deuterius 4 Césarée de Maurétanie’® exigent qu’il se soit écoulé un temps assez long depuis le début de décembre 419, quand Augustin racontait 4 Possidius que l’évéque Honorius avait proposé sa candidature et qu'il avait obtenu le soutien d’une grande partie des fidéles’’. De fait, Augustin commence sa lettre en informant Alypius qu’un concile des évéques de Numidie, auquel lui-méme n’a pas pu participer, s'est tenu apud Mazacos la veille des nones de mars”? ; on peut donc la dater de la mi-mars 420, Alypius n’est pas en Afrique quand ces quatre lettres sont écrites; il se trouve outre-mer, II laisse méme entendre dans son commonitorium d’octobre 419 qu’il se trouve trés précisément 4 Ravenne, dans le voisinage de la Cour, et qu’il demeure en contact avec les fonctionnaires impériaux ; il y mentionne en effet deux affaires qu’il est en train de négocier, l’une qui concerne toute la population de Carthage et qui vient d’étre réglée, l’autre qui s’est greffée sur la premiére et souléve la question du droit d’asile des églises”!, et il est évident qu’il ne peut mener de telles négociations qu’avec les représentants de |’admi- nistration impériale. L’Epist, 22* atteste explicitement qu’au mois de mars de Vannée suivante Alypius continue de séjourner auprés de la Cour et elle nous apprend en outre qu’il a pour compagnon l’évéque Peregrinus : c’est aux deux évéques en effet qu’ Augustin écrit pour leur demander d’aider dans leurs sollici- tations auprés de la Cour les délégués du concile de Numidie qui vont les retrouver la-bas®, 17. « Adiuuent itaque nos preces caritatis uestrae, ut domini adiutorio ante hiemem aliquid peragamus, ut ad uos secundum et uestrum et nostrum desiderium opitulatione domini ante hiemem remeemus », Epist., 15*, 2, 2 5 p. 84 ; il faut rappeler que les Latins faisaient commencer Vhiver le 9 novembre, 18. Cf. Epist., 22%, 5, 1-11, 1; p. 115-119. Sur la situation religieuse et les problémes ecclé- siastiques de la Maurétanie Césarienne a cette époque, cf. S.LANCEL, Saint Augustin et la Maurétanie Césarienne : les années 418-419 a la lumiére des nouvelles Lettres récemment publiées, dans R.E.A., 1984, p. 48-59 ; Saint Augustin et la Maurétanie Césarienne (2): Paffaire de Vévéque Honorius (automne 419-printemps 420) dans les nouvelles Lettres 22%, 23°, 23*A, dans R.EA., 1984, p. 251-262. 19, Cf. Epist., 23*A, 5, 2; p. 124-125. 20, « Pridie Nonas Martias in Numidia apud Mazacos concilium Numidarum episcoporum fuit », Epist., 22%, 1, 15 p. 113. 21. Cf. Bpist, 15%, 2, 3; p.84. 22, L'Epist. 22* a pour titre : « Commonitorium fratribus Alypio et Peregrino Augustinus in domino salutem », p. 113. Peut-étre faut-il identifier ce Peregrinus avec l’évéque auquel Augustin et Alypius adressent 'Epist, 171; C.S.E.L., 44, p. 631-632, et dont il est question dans I'Epist. 170, 1 et 10, qurils écrivent a Maxime, ibid., p. 622 et 631. C'est on fait In présence de cet évéque auprés d’Alypius qui explique certains pluriels dans le commonitorium de celui-ci et dans 50 MARIE-FRANCOIS BERROUARD Nous sommes informés ainsi que la mission d’Alypius a duré beaucoup plus longtemps qu’il le prévoyait et qu’il n’a pas pu revenir 4 Thagaste durant lhiver 419, comme il le souhaitait. Je pense, comme je le rappellerai un peu plus loin, qu’Alypius est parti pour l’'Italie dans le méme temps qu’Augustin et Possidius ont quitté Carthage pour regagner leurs villes épiscopales, c’est-a-dire vers la fin @aoiit ou le début de septembre 4197, une fois terminés tous les travaux de la commission qui a siégé aprés les deux séances du concile de mai. C’est en référence A ce premier voyage que j’interpréte également la phrase qu’Augustin lui écrira plus tard” : « quand tu as été pour la premiére fois envoyé a la Cour 4 Ja suite du concile”’ ». En tout cas, il se trouvait certainement 4 Ravenne au début d’octobre puisqu’on lui annongait alors que le uir sublimis dont il attendait le retour y serait présent au milieu du mois”. C’est encore 4 Ravenne que le rejoindront en mars de Pannée suivante les délégués du concile de Numidie”” Ces quatre lettres confirment qu’au temps du pape Boniface, dont elles citent plusieurs fois le nom*, Alypius s’est rendu en Italie en 419 ; elles indiquent en outre qu’il est parti pour la Cour dés le mois de septembre et elles révélent qu’il y est demeuré au moins jusqu’au mois de mars. Ce séjour 4 Ravenne qui se prolonge autant de mois ne peut manquer de sur- prendre. La suspension de la navigation a pu y jouer son réle durant la saison @hiver, mais nous savons qu’elle était en fait moins rigoureuse que les interdic- tions des textes législatifs et qu’elle comportait nombre d’exceptions”®. Il faut donc conclure que sa mission auprés de la Cour revét une telle importance aux yeux de l’évéque de Thagaste qu’il juge préférable de rester 4 Ravenne dans Pespoir d’y régler toutes les affaires dont il était chargé. Alors que les auteurs cherchent a expliquer son voyage par le désir des évéques africains d’engager les autorités 4 poursuivre et 4 intensifier la lutte PEpist., 23*A : « filius noster Seuerianus profectus a nobis est. Nos adhuc rescripta sublimis uiri ius expectabamus aduentum », Epist., 15*, 2, 1 ; p. 84 ; « ibi ergo legi expectare illos comi maioris aduentum ... dixit eo die quo scripserat missum fuisse silentiarium cum corum indul- gentia quam potuerunt etiam absentes litteris impetrare », Epist., 23" A, 1, 2-3; p. 121. 23. Cf. MF, BerRouarD, L'activité litéraire de saint Augustin... dans Les Lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak, p. 323. 24. De méme, G. MADEC, Du nouveau dans Ja correspondance augustinienne, dans R.E.A., 1981, p. 61. 25. Epist, 10*, 1, 6; p. 46 ; texte latin, n. 35. 26. «Nos adhuc rescripta sublimis uiri ut efus expectabamus aduentum, quia intra Tdus Octobris affuturus nuntiabatur », Zpist., 15%, 2, 1; p. 84, 27. Cf. Epist., 22%, 1, 2-3; p. 113. 28. Cf. Epist., 16%, 3, 2; 22%, 7,3; 23"A, 4, 5; 5, 2; p.87; 116; 124; 125. 29, Les marchands ne craignaient pas de se lancer durant Phiver a la poursuite des bénéfices et ils ne restaient pas les seuls & entreprendre des traversées maritimes durant le temps du mare clausum, of. J. Rove, La navigation hivernale sous Empire romain, dans Rey. ét. anc., 1952, p. 316-325. Ainsi, cette méme année 419, les réponses de Cyrille d’Alexandrie et d’Atticus de Constantinople, avec les actes du concile de Nicée, sont envoyées de Carthage & Rome « le 6 des calendes de décembre », Concilia Africae ; C.C., 149, p. 162. DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 51 contre les partisans de Pélage*°, comme l’insinueront plus tard les attaques de Julien d’Gclane™, il est remarquable qu’une seule de ces quatre lettres fasse allusion aux Pélagiens, trés incidemment d’ailleurs et, de plus, 4 propos des mesures sévéres que le pape Boniface venait de prendre a leur égard*?. Ce n’est pas a dire pour autant qu’il n’a jamais été question d’eux dans les conversations @Alypius avec les fonctionnaires impériaux : le comte Valerius en particulier, qui avait regu certains de leurs écrits*? et auquel Augustin avait dédié le livre I de son De nuptiis et conc., n’a pu manquer de l’interroger sur l’enjeu des problémes, mais il ne me parait pas justifié de voir dans le combat contre le « Pélagianisme » le motif déterminant du voyage d’Alypius 4 Ravenne. Du reste, il s'imposait d’autant moins d’insister que, le 9 juin précédent, ’empereur avait écrit 4 Aurelius qu’il avait suivi «le jugement de sa sainteté» et qu'il venait de publier une nouvelle ordonnance contre Pélage et Célestius et contre les évéques qui refusaient de souscrire 4 leur condamnation™, et l'on peut penser que des lettres semblables avaient été envoyées 4 toutes les Eglises d’Occident. L’explication par la lutte contre le « Pélagianisme » paraissant exclue en raison du silence quasi total des quatre lettres, i] reste donc A recueillir dans ces mémes lettres les quelques informations qui peuvent nous éclairer sur les motifs de ce voyage d’Alypius en Italie. Il faut souligner d’abord que c’est a Ravenne que l’évéque de Thagaste est envoyé, comme Augustin le lui rappellera plus tard explicitement : «quand tu as été pour la premiére fois envoyé a la Cour A la suite du concile* ». Cette indication suggére que sa mission ne concerne pas des questions qui seraient internes 4 PEglise, mais des problémes qui sont 4 discuter avec le pouvoir civil. Comme c’est « a la suite du concile » de 419 qu’Alypius a été envoyé a la Cour, il convient donc d’interroger en premier lieu les actes de ce concile pour y chercher quelques éclaircissements sur cette mission. Ils nous apprennent que le concile lui-méme qui réunissait deux cent dix-sept évéques de toute Afrique n’a duré que quelques jours. L’affaire d’Apiarius a été réglée, provisoirement tout au moins, dés la premiére séance, le 25 mai, et, le lendemain, une lettre 30. Cf. C. Pret, Roma christiana. Recherches sur l'Eglise de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade a Sixte II (311-440), Rome, 1976, t. Il, p. 1255 ; Prosopo- graphie chrétienne du Bas-Empire, t.1, Afrique, p.63 ; A.C. De Veer, Introd. dans B.A., 23, p. 23, n, 36. 31. Cf. en particulier, les citations de Ad Florum dans Contra Jul. op. imp. CS.E.L,, 85, p. 30; 374-375, 32. Cf. Epist, 16%, 3,23 p.87. Serge Lancel a trés heureusement identifié l'informateur «Aurelius qu arrive de Rome, Pévéque Priscianus, dont le nom est encore déformé en Pr nus dans TEpist. 23°A, 6 1; p,125, avec Priscus de Quiza, voir Saint Augustin ct [a Maurétanie Césarlenne, Sans R.BA., 1984, p. 56-58, 33. CE, De mupt. et conc., 1, 2, 2; CS.E.L., 42, p.213. 34, Dans Ia correspondance d’Augustin, Epist., 201; C.S.E.L., 57, p. 296-298. 35. «Quando ad comitatum de concilio primitus missus es », Epist.. 10*, 1, 6; p. 46. 1,42; 3,35; 52 MARIE-FRANCOIS BERROUARD synodale a été adressée au pape Boniface™. Il restait cependant bien d’autres problémes inscrits 4 l’ordre du jour, mais, au début de la deuxiéme séance, le 30 mai, la plupart des évéques se plaignirent d’avoir a demeurer a Carthage tout le temps qui serait nécessaire pour les examiner ; du consentement de tous, il fut done décidé que des délégués seraient élus par chaque province et forme- raient une commission qui continuerait 4 siéger pour en discuter et les régler?7. Alypius et Augustin sont alors choisis, avec Possidius de Calama, comme délégués de la province de Numidie™. Les actes ne disent rien de plus, mais les lettres nouvelles apportent des indications qui complétent le dossier : PEpist.23*A nous apprend que le travail de la commission s’est prolongé jusqu’a la fin du mois d’aodt, puisqu’Augustin n’est rentré a Hippone, avec Possidius, que le 11 septembre*?, et l’Epist. 10* nous informe qu’a la suite de ces travaux Alypius «a été envoyé 4 la Cour*® », Dans l’Epist. 23*A, Augustin rappelle encore a Possidius 4 quel point ils avaient été préoccupés ’un et Pautre par ce qui s’était alors passé 4 Carthage‘, De ces données éparses et fragmentaires est-il possible de tirer quelques conclusions sur lobjet des discussions qui ont retenu si longtemps dix-huit évéques loin de leurs diocéses*? ? On ne comprendrait pas que |’assemblée conciliaire se disperse aussi rapidement s’il avait fallu traiter d’affaires purement ecclésiastiques sur lesquelles chaque évéque avait 4 donner son avis. Il semble donc que les discussions programmées concernaient des problémes d’un tout autre ordre, qui les engageaient moins ou pour lesquels ils se sentaient incompétents. Ces problémes. d’ailleurs ont di se révéler assez inhabituels et beaucoup plus complexes qu’on pouvait le prévoir puisque Ja commission n’a pu arriver au bout de son travail que dans les derniers jours du mois d’aoit. Comme résultat de tout ce travail nous ne connaissons que la décision d’en- voyer un délégué a la Cour et la désignation d’Alypius pour remplir cette mis- sion, mais elles offrent l’avantage I’une et l’autre de préciser nos pressentiments. Alypius avait étudié le droit 4 Rome’? et il avait rempli quelque temps comme expert la fonction d’assesseur du comes largitionum Italicianarum**, Son tempé- rament de juriste, qu’il venait de manifester encore une fois lors de la premiere 36. Cf. Coneilia Africae ; C.C., 149, p. 89-94 ; 156-161. 37, «(cum) multi episcopi ceterorum peragendorum moras se conquerentur sustinere non posse et ad proprias ecclesias festinarent, placuit uniuerso concilio ut ab omnibus elegerentur de singulis quibusque prouinciis, qui propter alia peragenda residerent », ibid., p. 230. 38. Cf, ibid., p. 233, 39. « Itaque dictaui ex quo ueni, id est a tertio Idus Septembris », Epist.. 23*A. 3. 7: p. 123. 40. Epist., 10%, 1, 6; p.46. 4 «Nam pro Carthaginiensibus, de quorum facto soliciti maxime fueramus », Epis. 23", 1,35 p.12L. 42. D'aprés le nombre des signatures et en exceptant Aurelius de Carthage, Concilia Africae: CC, 149, p. 233-234, 43. CE. Conf, 6, 8, 135 C.C., 27, p.82. 44, Cf. Conf, 6, 10, 16; ibid, p. 84. DEUX MISSIONS D'ALYPIUS EN ITALIE 53 séance du concile*’, sa connaissance du droit, son expérience du milieu, des pra- tiques et du langage des fonctionnaires impériaux le qualifiaient plus que tout autre évéque s’il s’agissait d’examiner avec eux des affaires relevant de la com- pétence de l’Etat, comme semble l’indiquer par ailleurs le fait quil soit envoyé a la Cour. A ces conjectures qui ne restaient encore que plausibles les renseignements qu’on trouve dans les quatre lettres donnent une réalité concréte. Il faut simplement regretter que certains d’entre eux ne soient pas plus explicites. C’est ainsi qu’il me parait impossible de définir l'objet des deux premiéres affaires qu’Alypius est alors en train de traiter 4 la Cour : il les a déja expliquées aux prétres de Thagaste pour justifier son absence et, dans le commonitorium qu’il leur adresse, il ne lui reste donc plus qu’a les mettre au courant du résultat de ses démarches. Quand Augustin écrit les Epist. 23*A et 16%, il a encore moins besoin d’expliquer & Possidius et a Aurelius, tous les deux présents 4 Carthage au moment des événements, pour quelles raisons Alypius a été si vite envoyé 4 Ravenne, II s’ensuit que, dans ces trois lettres, nous ne lisons que des allusions, sur lesquelles il nous faut maintenant réfléchir pour essayer de deviner les affaires qu’elles recouvrent. Ces deux affaires sont distinctes, —l’une intéresse tout le peuple de Carthage, autre ne concerne qu’un petit nombre de Carthaginois, — et pour- tant elles sont imbriquées l’une dans Pautre, elles font partie de «la méme cause »*, ce qui laisse entrevoir que la premiére a provoqué une action particu- ligrement grave, mais qui a été seulement le fait de quelques-uns*”. Deux hypothéses ont été proposées jusqu’a maintenant pour découvrir ce qui se cache sous le laconisme des textes. La premiére a été présentée par C. Lepelley : le mot indulgentia, qui est couramment utilisé pour désigner une remise d’impét partielle ou totale, lui a fait penser qu’il s’agissait d’une affaire fiscale, mais qui avait engendré « des troubles 4 Carthage, oi des personnes menacées d’arrestation et de saisie de leurs biens avaient demandé l’intercession de PEglise et parfois cherché asile dans les basiliques** », : R. Delmaire critique cette interprétation en objectant qu’« on ne voit pas en quoi une affaire fiscale aurait pu provoquer dans le peuple de Carthage une séparation entre deux groupes, l’un ayant plus 4 craindre que l’autre au point de chercher asile a l’église », mais il répond lui-méme a son objection en 45, Voir sa premiére intervention, Concilia Africae ; C.C., 149, p. 91. 46. « De his ergo nobis agendum remansit qui in eadem causa ad Carthaginiensem ecclesiam confugerunt », Epist., 15%, 2, 3; p.84. 47. «Nam pro Carthaginiensibus, de quorum facto... », Epist, 23*A, 1, 35 p. 121. 48. C. LEPELLEY, La crise de l'Afrique romaine au début du V* siécle d'aprés les lettres nou- vellement découvertes de saint Augustin, dans C.R.A.J., 1982, p. 455. L’auteur s'est rallié depuis 4 Vinterprétation que R. Delmaire donne de Vaffaire, Du nouveau sur Carthage.... dans Opus, 1983, p. 473. 54 MARIE-FRANCOIS BERROUARD continuant : « 4 moins d’admettre, comme a Antioche en 387, qu’un probléme fiscal ait été a l’origine de troubles plus graves qui transforment l’affaire de civile en criminelle* ». Il fait valoir encore contre l’interprétation fiscale que la loi du 18 octobre 392, édictée 4 Constantinople par Théodose et qui excluait du droit d’asile les débiteurs du fisc, était valable aussi bien pour l’Occident que pour P’Orient®. Dés lors, puisque l’indulgentia accordée aux Carthaginois ne peut pas rentrer dans la catégorie des indulgentiae debitorum, il la range dans Vautre catégorie prévue par le Code théodosien, celle des indulgentiae criminum. Il reléve dans cette perspective la notice de la Chronica Gallica de 452, Tapportant que « Johannes, comte d’Afrique, a été tué par le peuple*! », et, aprés avoir montré que la date de 409 indiquée par le chroniqueur ne saurait étre retenue, il établit, par une démonstration savante, que le meurtre du comte Johannes pourrait avoir été commis en 419. « Si on admet cette hypothése, ajoute-t-il, on supprime tous les obstacles chronologiques qui sont soulevés Jorsqu’on veut placer Johannes en 408-409 ou en 423-424, et on a une explica- tion fort séduisante de la démarche d’Alypius a la Cour, des craintes soulevées a Carthage par une possible répression, de la recherche d’un asile dans l’église par les plus compromis, de l’obligation d’attendre le retour du maitre de la milice pour régler une affaire qui concerne l’armée d’Afrique, enfin des inquié- tudes d’Augustin sur le dénouement de cette affaire qui ne concerne absolument pas sa ville mais dont Pissue lui tient manifestement fort a coeur’? ». L’hypothése est évidemment séduisante et elle est, de plus, étayée avec érudi- tion, mais elle ne présente qu’une possibilité qui ne s’impose pas et je dois avouer que, faute de certitude, je préfére demeurer sur mes interrogations. II me semble aussi que auteur ne tient pas un compte suffisant de la distinction des deux affaires, pour lesquelles cependant I’autorité impériale elle-méme refuse de recourir 4 la méme solution, et je reste moins stir que lui qu’une affaire fiscale n’ait pas pu se trouver a l’origine d’une « action » particuliérement grave. Méme s’il est impossible d’en préciser l'objet avec assurance, il faut du moins retenir, sur le témoignage des lettres, que les deux évéques envoyés A Ravenne ont adressé a la Cour une supplique en faveur des habitants de Carthage et que leur supplique a obtenu par elle-méme l’octroi d’une indulgentia®*, Réglée par Vautorité impériale, cette premiére affaire est d’ordre purement profane, mais 49, R. Detmaire, Du nouveau sur Carthage... ; ibid. p.478. 50. R. DELMAIRE, Du nouveau sur Carthage... ; ibid., p. 478. L’auteur note que J. GAUDEMET soutient Popinion contraire, L’Eglise dans [Empire romain (IV*-V* siécles), Paris, 1958, p. 284-285, 51. Chronica Minora saec. IV. V. VI. VIL; éd. T. Mommsen ; M.G.H. AA., IX, I, p. 652. 52. R. DetMaire, Du nouveau sur Carthage..., dans Opus, 1983, p. 481. 53. «Sane ad litteras nostras multum iam concessum est: nam cum indulgentia Carthagi- nicnsi populo missa... », Epist, 15*, 2, 3; p. 84; of. Epist., 16%, 2,1; 23%A, 1, 33 p. 86-87: 121 DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 55 c'est l'une des affaires pour lesquelles la commission épiscopale du concile de Carthage avait estimé devoir envoyer 4 la Cour Alypius et Peregrinus. La deuxiéme affaire, dont il est question dans les lettres, ne concerne que le petit groupe des Carthaginois qui avaient cherché refuge a l’église®4, mais elle souléve des difficultés autrement plus épineuses et le comes maior exige d’étre présent pour l’examiner et la régler®*. R. Delmaire explique, dans la droite ligne de son hypothése, que Vintervention de celui-ci était indispensable parce que Vaffaire relevait de l’autorité militaire*’, Je l’explique, pour ma part, d’une tout autre fagon. Les évéques d’Afrique n’attendent pas seulement que soit réglé selon leurs voeux le cas de ceux qui s¢ sentent menacés parce qu’ils ont, dune maniére ou d’une autre, participé au délit, ils souhaitent que I’Etat promulgue une loi qui établisse clairement le droit d’asile des églises et ne laisse plus dépendre son observation de la bonne volonté des magistrats. Tls témoignaient déja du méme souci au concile de Carthage du 27 avril 399, quand ils chargeaient les deux évéques Epigonius et Vincentius d’« obtenir des trés glorieux princes une loi en faveur de ceux qui se réfugient 4 l’église, quelle que soit la culpabilité dont ils sont chargés, pour que personne n’ose les en arracher®* », L’empereur avait répondu a leur requéte par la constitution du 25 juin suivant, mais cette constitution restait trés générale et trés vague dans sa formulation, punissant d’une amende de 5 livres d’or ceux qui violaient les priviléges d’une église ou n’en tenaient pas compte®. La loi était portée, mais elle ne passe guére dans la pratique et Augustin doit le constater quelques années plus tard: de hauts magistrats n’hésitent pas 4 mandater un de leurs huissiers pour enlever de l’église celui qui s’y est réfugié et, si agent subalterne n’ose pas pénétrer a l’intérieur de l’édifice pour exécuter sa mission jusqu’au bout, il est retenu de le faire par sa crainte personnelle de Dieu, mais non pas par sa soumission 4 la loi6®, 54. Cf. Commonitorium ’Alypius, dans Epist., 15%, 2,3 ; p. 84 ; texte latin, n. 46 ; cf. Epist., 16%, 2,3; 238A, 1, 25 p.875 121. 55. Le titre de comes maior ne se rencontre pas ailleurs, semble-t-il, que dans l'Epist. 23*A, 1, 2; p. 121. Augustin qualifie encore le haut personnage qui le porte de wir illustrissimus dans VEpist., 16%, 2, 2; p. 87, et Alypius le désigne comme sublimis uir, Common. en Epist., 15", 2, 1; p.84. R.Delmaire nous fait connaitre son identité : il s'agit du «comte et patrice Constantius », Contribution des nouvelles lettres de saint Augustin d la prosopographie du Bas-Empire romain (P.L.R.E,), dans Les Lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak, p. 84-85. 56, « Nam necdum de Gallia uir illustrissimus remeauerat, ad cuius praesentiam hoc tantum sibi negotii remansisse indicauit, ut illis quoque auferatur metus qui ad ecclesiam confugerunt », Epist., 16%, 2, 2; p.87. 57. R. Detmatre, Du nouveau sur Carthage... dans Opus, 1983, p.479. 58. Coneilia Africae ; C.C,, 149, p.94. 59, Cod, Theod., 16, 2, 345 éd. T. Mommsen, p. 846. 60, « Mittitur aliquando apparitor a magna potestate rapere aliquem de ecclesia ; non audet facere contra deum, et, ne et ipse incurrat gladium, remanet ibi, ubi missus erat ut raperet », Sermo Denis 19,2; M.A., 1, p.99. 56 MARIE-FRANCOIS BERROUARD A occasion des événements de Carthage, quels qu’ils soient, les évéques réclament donc un engagement plus ferme du pouvoir impérial qui reconnaisse le droit pour tous de se réfugier 4 ’église et qui déclare cet asile absolument inviolable. Is parlent au nom de la miséricorde a exercer envers tous, méme envers les coupables, mais l’Etat se doit tout autant de préserver le droit qu’il a dintervenir pour défendre la paix publique comme pour protéger les biens des particuliers. On le voit, le probléme s’avére complexe ; la conciliation est méme si délicate A imaginer et elle apparait si lourde de conséquences que le patrice Constance tient 4 étre présent lui-méme pour en définir les termes. Avec R. Delmaire®!, je pense que la Constitutio Sirmondiana 13, émise le 21 décembre 419, représente la réponse de ’empereur et de ses conseillers aux démarches d’Alypius. La loi est incomparablement plus affirmative et plus nette que la constitution de 399 : Honorius y pose en principe que le sens de Phumanité doit tempérer les rigueurs de la justice ; il accorde A ceux qui se réfugient dans les églises une zone franche de 50 pas tout autour de la basi- lique, pour qu’ils ne soient pas privés de la joie de voir la lumiére, et il déclare coupables de sacrilége ceux qui les arréteraient ; il accorde également aux évéques la faculté de visiter les prisons pour soigner les malades, nourrir les pauvres, consoler les innocents et prendre connaissance de la cause de chacun afin de pouvoir intervenir ensuite auprés du juge compétent®?. Dans le commonitorium qu’il avait adressé a ses prétres en octobre, Alypius exprimait le désir de « mener a bien quelques-unes » des négociations qu’on lui avait confiées®. Comment expliquer dés lors qu’il prolonge son séjour a Ravenne aprés avoir si bien réussi dans ces deux affaires ? Les documents font défaut, qui permettraient de répondre avec assurance, mais on peut tout au moins conjecturer que le succés de ces premiéres négociations a dd l’encoura- ger a profiter de la bonne disposition de ses interlocuteurs pour poursuivre ses démarches. Les deux affaires auxquelles il fait allusion dans son commonito- rium étaient pas les seules en effet qu’il était chargé de régler : Augustin lui rappellera, quelques années plus tard, en lui envoyant l’aide-mémoire qu’il avait tédigé pour sa premiére mission : « Au milieu de certains de mes papiers, je viens de trouver une copie du commonitorium que tu t’étais fait quand, pour la premiére fois, tu as &é envoyé a la Cour 4 la suite du concile et, ayant parcouru, j’ai vu qu’il y a beaucoup de choses nécessaires que tu n’as pas pu téaliser alors® », Ici encore, la lettre se contente de nous renseigner sur le fait, mais elle n’apporte aucune indication sur le contenu de ces affaires. Heureusement, lEpist. 22*, de mars 420, nous fournit un troisiéme exemple des tractations qu’ Alypius doit mener 4 Ravenne. Cet exemple est d’autant plus éclairant qu'il est mieux expliqué : Augustin ne s’adresse plus, comme dans les 61. R. Decmame, Du nouveau sur Carthage... dans Opus, 1983, p. 481. 62. Constit. Sirmond. 13 ; éd, T. Mommsen, p. 917. 63. « ut domini adiutorio ante hiemem aliquid peragamus, ut ad uos... ante hiemem remee- mus », Common. d’Alypius, dans Epist., 15%, 2, 25 p, 84, 64. Epist., 10%, 1, 6; p.46. DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 57 lettres précédentes, 4 des correspondants qui sont au courant des situations et quil n’a plus dés lors qu’ informer sur leur évolution ; il écrit a Alypius au sujet d’un probléme qui vient d’étre posé et il prend soin de lui en expliquer la gravité pour le solliciter d’aider dans leurs démarches les délégués du concile de Numidie qui se.rendent eux-mémes a la Cour. Les évéques de Numidie se sont en effet réunis le 6 mars apud Mazacos® pour évoquer ensemble les difficultés qu’ils ont «a trouver une catégorie @hommes dans laquelle ils puissent ordonner des clercs®* », et ils en rendent responsable la législation sévére et contraignante qui oblige chacun a demeurer dans sa condition sociale et 4 en remplir les charges, administratives ou profes- sionnelles, pour le meilleur bien des cités et de l’Etat®’. Les évéques rassemblés se sont contentés sans doute de confronter leurs expériences et de se mettre d’accord sur l’origine de la situation, avant de décider l'envoi d’une délégation pour porter leurs doléances 4 la Cour®®, Augustin va beaucoup plus loin dans sa lettre : il ne se borne pas en effet a rappeler le probleme, il suggére une solution. Il ne s’agirait aucunement d’abro- ger la législation sur les ordines qui, pour le bien général des cités et de I’Em- pire, entend pourvoir 4 toutes les nécessités de la vie économique et assurer le recrutement des responsables municipaux ; il suffirait seulement de ’aménager, en décrétant que, dans chaque catégorie sociale, une certaine proportion d’hommes serait susceptible de bénéficier d’immunité et obtiendrait en consé- quence la possibilité d’accéder aux ordres. Ainsi serait-il fait droit tout ensemble et aux besoins de la société civile et aux besoins de I’Eglise®. Augustin pourrait arréter ici son développement : il a écrit la lettre de recom- mandation qu’on attendait de lui” et il a appuyé la requéte de ses collégues de Numidie, en exposant 4 Alypius les motifs pour lesquels il demande son aide auprés des autorités impériales ; il a méme proposé un amendement qui assou- plirait la législation et n’en ferait plus un obstacle au recrutement du clergé. Mais il a poussé plus loin son analyse et ses réflexions et il ajoute sur la législa- tion en question des considérations nouvelles qui sont d’ordre immédiatement 65. Epist, 22*, 1, 1; p. 113; texte latin, n. 20. 66. «Nos autem in tantas coartamur angustias, ut non inueniatur genus hominum aut uix inueniatur, unde fiat ordinatio clericorum, maxime in ciuitatibus ubi aut ordinis uiri sunt aut plebei, quos a collegiatis non apud nos posse discerni nouit sanctitas uestra », Epist., 22%, 2,2; p. 114, 67. Sur l'abondance de cette législation, qui manifeste importance des enjeux, les tdtonnements du législateur et l'inefficacité des décisions, cf. J. GAUDEMET, L'Eglise et I'Empire romain (TV*-V* sidcles), p. 142-149. 68, « Tanta ibi autem querela fuit de inopia clericorum propter legem quae cogit eos suarum personarum muneribus reddi, ut per ftatres qui conuenerant legatos inde ad comitatum mittere cogerentur », Epist., 22%, 1, 2; p. 113. 69. «Cum posset ita omnibus necgssitatibus consuli, ut numerus constitueretur quotam partem hominum de quanta uniuersitate ordinari liceret », Epist, 22%, 2, 3% p. 114, 10. Cf. Bpist., 22%, 1, 35 p. 113. 58 MARIE-FRANCOIS BERROUARD profane, mais dont la longueur et la précision nous montrent qu’elles ne lui tiennent pas moins a coeur. Il n’écrit pas le moindre mot pour contestér ou pour accuser la loi, car il reconnait qu’elle a en vue le bien des cités et il estime qu’elle serait en mesure de lassurer, mais il dénonce |’utilisation malhonnéte qu’en font les puissants & leur avantage et au détriment des petits et des faibles et, avec une perspicacité trés judicieuse, il révéle ce qu’il découvre a l’origine de ce détournement et qui échappe le plus souvent, déclare-t-il, 4 attention des dirigeants comme des usagers : pour lui, ce qui empéche la loi de porter ses bienfaits, c’est que les cités et les territoires qui leur sont rattachés n’ont pas de defensores™. Ces défenseurs de la plébe avaient été institués en 368 par Valentinien I** pour protéger les faibles contre l’avidité, les injustices et la corruption des puis- sants, 4 propos en particulier de la répartition des impéts. L’institution malheu- reusement avait évolué au cours des années et le defensor avait méme fini par tre « intégré 4 Porganisme municipal » : n’étant plus désormais qu’un notable au milieu des autres, obligé dés lors de vivre en compromis avec eux et soumis comme eux 4 toutes les pressions de ses concitoyens puissants et riches, il se trouvait incapable en conséquence de jouer le réle qu’il devait tenir, ce qui peut expliquer sa quasi-disparition en certaines régions comme I’Afrique”. En évoquant le statut primitif de ces defensores, Augustin rappelle que leur dignité de fonctionnaires impériaux leur conférerait autorité et que leur élection par leurs concitoyens manifesterait estime dont ils jouissent auprés d’eux et la réputation d@’honnéteté qui leur est reconnue par tous ; élus par leurs cités, mandatés au nom de l’Empereur, ils seraient 4 méme d’en imposer 4 tous et ils arriveraient dés lors @ protéger les misérables contre les manceuvres des plus puissants et a faire respecter les lois portées en leur faveur’?; ils sauraient empécher que personne, par relations, par faveur ou a prix d’argent, se dérobe & ses obligations et ils veilleraient 4 ce que les impdts comme les charges soient équitablement répartis entre tous. ‘Au témoignage de la lettre, Hippone et pareillement sans doute les cités de Numidie n’ont plus de defensores”. Privés de leur appui, les évéques en sont réduits & gémir inutilement sur la détresse des malheureux sans pouvoir leur 71. «Unde autem hoc tempore deficiant ordines parum attenditur : quia scilicet defensores desunt », Epist., 22%, 2, 4; p. 114. 72, Sur cette institution et sur son évolution en Afrique, cf. C.LePELLEY, Les cités de FAfrique romaine au Bas-Empire, Paris, t.1, p. 393-394. 73. « Defensores desunt qui eos ab improbitate personarum potentiorum, a quibus conterun- tur, utcumque tueantur et leges pro eis latas aduersus eos, a quibus contemnuntur, asserere ualeant idonea dignitate suffulti et a suis ciuibus electi, apud quos habuerint existimationem bonam, ut in eis sit et probitas et auctoritas », Epist., 22*, 2, 4; p. 114. 74, Cette disparition des defensores était déja ancienne : au concile de Carthage de juin 401, les évéques s'en étaient préoccupés et ils avaient décidé & l'unanimité «de demander aux empereurs, @ cause de loppression des pauvres dont les difficultés accablent sans arrét 'Eglise, de leur nommer des défenseurs contre la puissance des riches, en tenant compte de l'avis des evéques », Reg. eccl. Carthag, excerpta, c. 75, dans Concilia Africae ; C.C., 149, p. 202. DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 59 venir en aide’s, Les gens malhonnétes n’ont en effet que du mépris pour eux, assurés quiils ne feront rien qui puisse les mettre en danger ou les faire punir ; ils savent que, si les évéques essayaient d’intervenir pour s’opposer A leurs agis- sements, ils peuvent impunément les accuser, auprés des autorités dont ils dépendent, de faire obstacle au bien public, puisque, méme pour se disculper, ils ne dénonceront pas leurs malversations par crainte des chatiments trop cruels qui sanctionneraient leurs méfaits et qu’ils ne déposeront pas plainte non plus pour ne pas paraitre accusateurs”®. Cette impuissance du clergé est devenue pour tous si évidente qu’il n’y a plus guére qu’une minorité de misérables A chercher refuge dans les églises pour y trouver consolation et protection, alors que les autres, beaucoup plus nom- breux, sont atteints dans leur personne et dans leurs biens, sans que les évéques puissent les secourir?”. Les habitants d’Hippone, et Augustin a leur téte, réclament donc la nomin: tion d’un défenseur dans leur cité”, Mais ils ne savent pas si la loi les autorise A le choisir parmi ceux qui exercent une fonction ou s‘ils doivent recourir A des personnes privées ; ils proposent donc les noms de plusieurs de leurs conci- toyens, en exprimant toutefois leur préférence, mais en souhaitant surtout qu’A celui qui sera désigné le mandat impérial accorde la dignité qui lui permettra dagir avec autorité pour assurer a la législation sur les ordines toute son efficacité, sans qu’elle soit détournée de son but au seul profit de quelques-uns’?. Méme si nous ne connaissons que trois des affaires qu’Alypius est chargé de négocier 4 Ravenne au nom de ses collégues africains, elles suffisent A nous montrer 4 quel point les préoccupations de ceux-ci dépassent l’horizon pure- ment ecclésiastique et religieux. La premiére est une affaire exclusivement civile ; la troisiéme vise pareillement a obtenir a l’intérieur des cités une équitable répartition des impéts et des charges, qui n’exonére pas les notables pour accabler les faibles ; la deuxiéme concerne le droit d’asile des églises et, si les évéques ont le désir d’étendre les prérogatives de l’Eglise, ils ont encore plus 75. « Qui (defensores) cum desunt ciuitatibus uel territoriis ad easdem ciuitates pertinentibus, nos pro ipsis miseris frustra gemimus quibus subuenire non possumus », Epist., 22*, 2, 53 p. 114, 76. « Contemnimur enim ab improbis, quia sciunt nos professione ecclesiastica colligatos non posse aliquid agere unde pereclitentur siue puniantur, nam si eorum uim manu ecclesiastica pellere uoluerimus, queruntur de nobis eis potestatibus a quibus mittuntur, quod per nos impediantur publicae necessitates, et facile creduntur et securi dicunt quidquid uolunt scientes nec in nostra purgatione nobis licere, ut eorum facta nudemus eis, 2 quibus comperta puniri, si autem ultra de illis conqueramur, accusatorum personam suscepisse uidebimur », Epist., 22%, 3, 1-35 p. 114. 77. clta fit, ut perpaucis qui confugiunt ad ecclesiam utcumque solacio uel praesidio esse ualeamus. Ceteri uero longe plures homines foris inuenti uel res eorum nobis gementibus et non ualentibus subuenire uastantur », Epist., 22%, 3, 3-45 p. 114-115. 78. «Unde nostri Hipponienses uolunt quidem et me maxime uolente habere defensorem », Epist. 22%, 4, 15 p. 115. 19. Cf, Epist., 22%, 4, 1-2; p. 115. Voir C. Lepettey, La crise de l'Afrique romaine au V* siéele.., dans C.R.A.., 1982, p, 453-454, 60 MARIE-FRANCOIS BERROUARD le souci d’assurer aux petits une protection plus efficace contre les exactions des puissants, autorités municipales ou fonctionnaires impériaux ; si la plupart ne voient dans la législation sur les ordines qu’un obstacle au recrutement du clergé, Augustin se rend compte que la malhonnéteté des puissants l’utilise aussi comme un moyen supplémentaire d’opprimer les faibles et, pour la sau- vegarde du bien public, il demande la nomination de defensores dans les cités africaines qui n’en ont pas et, particuli¢rement, a Hippone. Il serait exagéré de prétendre que tous les évéques d’Afrique font alors les mémes analyses, recourent aux mémes critéres de valeurs, portent les mémes soucis et présentent les mémes revendications ; que la plupart aient demandé a repartir dans leurs diocéses quand il s’est agi, au concile de 419, d’examiner les problémes de la société tendrait plutét a prouver le contraire. Les lettres 15*, 16*, 22*, et 23*A attestent du moins trés clairement les préoccupations d’Augustin et de quelques-uns de ses collégues. Dans ses représentants les plus qualifiés, ’Eglise d’Afrique se rend compte qu'elle ne peut plus vivre repliée sur elle-méme, en face des seuls problémes religieux. L’ampleur des difficultés économiques et sociales lui fait prendre conscience qu’elle a un réle original a jouer dans la société de son temps et qui n’est pas contraire 4 sa vocation : elle n’hésite donc pas en 419 4 nommer une commission d’évéques qui siége durant trois longs mois pour réfléchir sur ces problémes et imaginer des solutions ; les enjeux lui paraissent méme si importants qu’a la suite de ces travaux deux de ces évéques sont délégués 4 la Cour pour négocier ces solutions et pour y plai- der auprés des autorités la cause des malheureux et des opprimés au nom de la justice et de la miséricorde, tout en se référant 4 la législation déja existante. L’Eglise d’Afrique ne cherche pas en effet & mener une action paralléle et indépendante. En cette période de crise profonde, elle manifeste le plus grand respect pour |’Etat, ses institutions et ses lois*°, Elle reconnait sa souveraineté dans l’administration de la chose publique. Mais elle se sent le devoir de l’infor- mer en vue du bien de tous ; elle lui rappelle les responsabilités qu’il porte en ce domaine et elle le presse de les exercer, mais elle n’entend pas se substituer 4 lui ; elle ne présente que des requétes et des suggestions, elle fait appel aux institutions qu’il a établies et aux lois qu’il a portées, visant moins a régler des cas particuliers qu’a obtenir une législation qui assure a tous l’ordre, la justice et la paix. Si Empire est officiellement chrétien, on ne vit pas alors en structure de chrétienté. L’Eglise et Etat demeurent deux réalités distinctes ; ces deux puissances possédent, chacune, compétence dans son domaine propre et 80, On se rappeliera le principe formulé par Augustin A propos des lois de Etat : « .. sicut in istis temporalibus legibus, quamquam de his homines iudicent cum eas instituunt, tamen cum fuerint instituae atque firmatae, non licebit iudici de ipsis iudicare, sed secundum ipsas », De uera relig., 31, 58 (162) ; C.S.E.L., 77, p. 42. A Vepiscopalis audientia, évéque doit juger selon le droit romain, cf. C, Leretey, Liberté, colonat et esclavage d'aprés la Lettre 24* : la juridic- tion épiscopate «de liberali causa», dans Les Lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak, p. 331. DEUX MISSIONS D'ALYPIUS EN ITALIE 61 chacune garde dans ce domaine son autonomie dans toute I’étendue de sa juri- diction’!, Méme s’il se présente au nom de la commission épiscopale africaine qui ’a mandaté, Pévéque Alypius doit attendre de longues semaines que le comes maior rentre de Gaule pour régler la question du droit d’asile des églises. Au plan impérial, la situation, reste la méme que celle évoquée par Augustin au plan municipal ; malgré tout son prestige personnel, c’est a titre de personne privée que l’évéque d’Hippone lui-méme intervient auprés des autorités publiques: il doit, comme’ tous les autres, «tenir compte (des dates et du protocole), rester debout devdnt ld porte, attendre pendant qu’entrent dignes et indignes, étre annoncé, parfois étre 4 peine regu, supporter les humiliations, demander, obtenir parfois et parfois se retirer tout triste®* », sans avoir rien obtenu. Le témoignage du « De nuptiis et conc. II» et du « Contra duas epist. Pelag. » Les lettres 15", 16*, 22", et 23*A nous renseignent sur le séjour prolongé qu’Alypius a dd faire 4 Ravenne et sur plusieurs des affaires qu’il avait mission de traiter avec le pouvoir impérial. Les premiéres pages du De nuptiis et cone. Il et du Contra duas epist. Pelag. nous apprennent qu’il est passé par Rome ayant de rentrer en Afrique, mais elles nous indiquent aussi qu’il n’y est demeuré que « peu de temps* », Il avait été « envoyé 4 la Cour*® », et sa visite a Rome parait se situer en dehors de son programme ; nulle part du moins, il n’en est fait mention dans les lettres retrouvées*’ et, quand Alypius écrit aux prétres de Thagaste qu’il espére revenir avant Vhiver*, il ne fait pas lui-méme la moindre allusion 4 un projet de passer par Rome et de s’y arréter. A Rome, le pape Boniface l’accueille trés chaleureusement, et la maniére méme dont Augustin évoque cette rencontre manifeste trés clairement que les 81. « Ciuitas autem caelestis ue! potius pars eivs, quae in hac mortalitate peregrinatur et uit ex fide, .. dum apud terrenam ciuitatem uelut captiuam uitam suam peregrinationis agit, legibus terrenae ciuitatis, quibus haec administrantur quae sustentandae mortali uitae adcommo- data sunt, obtemperare non dubitat », De civ. Del, 19, 17; B.A. 37, p. 128. 82. Cf, J, GAUDEMET, L’Eglise dans l'Empire romain (IV*-V* siécles), p. 350-351. 83, Sermo 302, 19, 17; P.L., 38, 1391-1392, Cf. C. LEPELLEY, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t.1, p. 395-402. 84, «.. quas post eius de Rauenna profectionem Romam mittere ipse curasti », De nupt. et cone, 2, 1,13 CSL, 42, p. 254, 85, « Paruo licet tempore », Contra duas epist. Pelag., 1, 1, 1; B.A., 23, p. 312. 86. Epist., 10*, 1, 6; p. 46, 87. Je ne comprends pas ce qui a pu faire écrire a R. Delmaire qu’en octobre 419 Alypius « était parti pour Rome s’occuper d’affaires religieuses en attendant le retour de Gaule du patrice Constance, annoncé pour la mi-octobre », Du nouveau sur Carthage..., dans Opus, 1983, p. 481. Dans l’Epist., 23*A, il se trouve manifestement une lacune a la fin de 1, 4, si bien que nous ne pouvons pas savoir quels sont ceux qui ont été envoyés a Rome. 88. Cf. Epist., 15*, 2, 2; p. 84. 62 MARIE-FRANGOIS BERROUARD deux évéques se voyaient pour la premiére fois*®. Le pape remet 4 Alypius, pour qu’il les transmette 4 Augustin, deux lettres des « Pélagiens » que des fréres Ini avaient fait parvenir, l'une que Julien d’Eclane avait envoyée aux Romains, l’autre que dix-huit évéques avaient adressée 4 Rufus, l’évéque de Thessalonique”. Alypius se trouvait encore 4 Rome quand le comte Valerius lui envoie de Ravenne, en le priant de le transmettre également 4 Augustin®!, un écrit intitulé : « Passages tirés du livre d’Augustin avec, 4 Vencontre, quelques extraits que j’ai faits des livres? ». Cet écrit était formé de textes d’Augustin et de passages cités ou résumés d’un ouvrage en quatre livres, Ad Turbantium, dans lequel Julien d’Eclane réfutait le livre I du De nuptiis et conc. qu’ Augustin avait composé durant l’hiver 418-419 et qu’il avait dédié 4 Valerius. LEpist. 22* nous fait connaitre qu’Alypius n’a pas quitté l’Italie avant mars 420%, L’évéque d’Hippone n’a donc pas pu avoir ces différents écrits entre les mains avant les mois d’avril ou de mai, et c’est dans la tranquillité de ?automne et de l’hiver 420-421 qu’il en a dicté les réfutations. Ainsi se justifie pleinement la date qui est assignée aux deux ouvrages par des auteurs récents®*. Les allégations de Julien d'Eclane Dans le livre I de son Ad Florum, Julien déclare qu’Alypius est retourné une nouvelle fois en Italie au temps du pape Boniface : c’est lui, écrit-il en effet qui «a porté » au comte Valerius le livre II du De nuptiis et conc.% », et c’est aussi par lui qu’Augustin « a envoyé » au pape Boniface les quatre livres du Contra duas epist. Pelag.>". Je ne crois pas, pour ma part, a la réalité de ce deuxiéme voyage. Il me parait étre une invention de polémiste destinée 4 présenter Augustin comme un intrigant et Alypius comme un valet servile qu’il utilise pour faire sa cour auprés des autorités civiles et religieuses. On peut remarquer du reste qu’un peu plus loin Julien parle seulement «des livres qu’(Augustin) vient d’envoyer a 89. Cf. Contra duas epist. Pelag., 1, 1, 1; B.A. 23, p.312-314, 90. Cf. Contra duas epist. Pelag., 1, 1, 3 p.316. 91. Cf. De nupt. et conc., 2, 1,13 Cu8ELs 42, p. 253-254, 92. De nupt. et conc., 2, 2, 2+ ibid., p. 254. 93, Cf, De nupt, et conc., 2, 1, 1-2, 2; Contra Iul. op. imp., praef:, 2 Retr., 2,19 ; CSE.Ls, 42, p, 253-254 ; 85, p.3 ; 36, p. 189-190. 94, Cf. Epist, 22%, 1, 15 p. 113. 95. Cf. AM, LA BONNARDIERE, Recherches de chronologie augustinienne, Paris, 1965, p. 76, n.2; O. PERLER, Les voyages de saint Augustin, Patis, 1969, p. 361 ; A.C. DE VEER, Introd, dans B.A., 23, p. 25. 96. «.» libro tractatoris Poeni, quem ad Valerium comitem vernula peccatorum ejus Alypius nuper detulit ... »; «.« libro tuo secundo, quem Alypius detulit ...», ap. AUGUSTIN, Contra Iul. op. imp., 1, 7.3 1, 52, 1; CS.EL., 85, p.9; 45. 97. ¢ Sicut in his libris, quos nunc per Alypium ad Bonifatium misisti, ... ap. AUGUSTIN, Contr Tul. ap. imp., 1, 85; ibid, p.97. DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 63 Boniface »°*. De plus, Augustin lui-méme ne fait jamais 1a moindre allusion au porteur de ces ouvrages, ce qui se comprendrait trés mal s’il avait sollicité Alypius pour un tel service. Il est vrai qu’il ne reléve pas non plus ces insinua- tions de Julien, alors qu’il accuse de « mentir ou d’avoir cru 4 des mensonges » en prétendant qu’il a cherché par l’intermédiaire du méme Alypius 4 corrompre les dignitaires impériaux 4 coup d’argent et de cadeaux®®, Mais ces derniéres attaques étaient incomparablement plus graves et le silence qu’il garde sur la premiére ne prouve absolument rien, car il peut s’expliquer de bien d'autres maniéres que comme un aveu, Comment imaginer enfin que, méme pour flatter les destinataires, ’évéque d’Hippone ait pu demander ce service de simple porteur 4 l’évéque de Thagaste, si peu de temps surtout aprés les dix mois que celui-ci venait de passer loin de sa ville épiscopale en 419 et 420? LEpist. 10*, qui a été écrite sous le pontificat du pape Célestin, contient par ailleurs une indication qui me parait décisive. Alypius se trouve alors 4 Rome et Augustin lui rappelle que, lors de sa premiére mission 4 Ravenne, dont il avait été chargé a la suite du concile, il avait dé en repartir en laissant non réglés un certain nombre de problémes importants. En s’exprimant ainsi, il laisse entendre qu’Alypius, dans l’intervalle, n’était pas retourné a la Cour. S’il avait effectué en effet un deuxiéme voyage, se serait-il contenté de remettre au comte Valerius le livre d’Augustin ? N’en aurait-il pas profité au contraire pour rencontrer des responsables et faire avancer au moins la solution de quelques problémes demeurés en suspens ? On peut donc croire, me semble-t-il, qu’il faut considérer comme des fictions les allégations de Julien concernant ce deuxiéme voyage d’Alypius en Italie au temps du pape Boniface. Tl — AU TEMPS DU PAPE CELESTIN Nous n’avons que deux lettres d’Augustin, l’Epist. 244 et PEpist. 10*, pour nous renseigner sur le voyage d’Alypius en Italie au temps du pape Célestin et je vais chercher d’abord a préciser les problémes que pose leur datation. L’Epist. 224 est la deuxiéme réponse que l’évéque d’Hippone adresse a Quodvultdeus, diacre de Carthage ; celui-ci lui a demandé une nouvelle fois d’écrire 4 son intention un livre bref sur toutes les hérésies apparues depuis le début du christianisme'” : l’évéque tient 4 lui expliquer quelles sont les obliga- tions pressantes qui l’empéchent pour le moment d’entreprendre un pareil tra- vail. Quelque temps auparavant, Alypius qui se trouve 4 Rome a profité d’une occasion pour lui faire parvenir les cing premiers livres de Pouvrage en huit livres, que Julien d’Eclane a encore composé contre lui aprés les quatre de PAd 98. « In his libris, quos nuper ad Bonifatium misisti ...», ap. AuGustin, Contra Iul. op. imp., 2, 178; ibid., p. 297. 99. Cf. Contra Tul. op. imp, 1, 425 1, 745 3, 355 tbid, p. 30-31; 90: 375. 100. Cf. Epist, 10%, 1, 6; p.46. 101. Cf. Bpist, 221 et 223; C.S.E.L., 57, p.442-446 ; 449-451. 64 MARIE-FRANCOIS BERROUARD Turbantium auxquels il venait de répondre dans son Contra Iulianum et, dans la lettre qui accompagne son envoi, Alypius insiste pour qu’il ne tarde pas 4 répliquer®. Ne voulant pas abandonner pour autant le travail qu’il avait commencé et qui lui semble si nécessaire, la révision de tous ses ouvrages, il partage désormais entre ces deux taches ses journées et ses nuits : i! vient de terminer la révision de tous ses livres et il a relu la plus grande partie de ses lettres avant d’en commencer la révision, mais il n’a encore rien dicté ; par contre, il en est déja a répondre au livre IV de Julien! 3. L’Epist. 10* est plus ancienne, au moins de quelques semaines, plus vraisem- blablement de quelques mois, de tout le temps en tout cas qu’il a fallu a Augustin pour lire les cing livres de Julien qu’il avait entre les mains et pour dicter la réfutation des trois premiers. Elle suit de trés prés en effet la premiére lettre qu’Augustin a adressée 4 Alypius pour layertir qu’il avait bien regu les livres de Julien et de Celestius qu’il lui avait fait porter ', de si prés méme qu’il se demande si cette lettre nouvelle ne va pas parvenir A son destinataire avant la premiére!°’, Dans cette incertitude, il lui répéte donc ce qu’il Jui avait déja écrit et il s’étonne encore une fois qu’Alypius ne lui ait pas annoncé dans son com- monitorium le retour A l’orthodoxie de ce Turbantius auquel Julien avait dédié les quatre livres qui prenaient a partie le livreI du De nuptiis et conc.: lui-méme a appris en effet, par un homme qu’il ne peut pas soupgonner de men- songe, qu’aprés avoir trés humblement condamné son hérésie Turbantius « avait été accueilli dans la paix catholique par le pape Célestin'». L’évéque d’Hippone tient manifestement a recevoir confirmation de cette nouvelle et, comme il écrit dés la premiére page de son Contra Iul. op. imp. que « Turbantius a été délivré de son erreur!’ », on peut penser qu’il a attendu la réponse d’Alypius avant de commencer 4 dicter son livre, ce qui suppose un intervalle assez long entre l’Epist. 224 et l'Epist. 10*. J. Divjak date cette derniére lettre des premiers temps du pontificat de Célestin, fin 422 ou 423", et il est vrai qu’en rappelant a Alypius les affaires 102. « Hoc autem est, ubi respondeo libris Iuliani, quos octo edidit post illos quattuor, quibus ante respondi. Hoc enim cum Romae accepisset frater Alypius, nondum omnes descripserat, cum oblatam occasionem noluit praeterire, per quam mihi quinque transmisit promittens alios tres cito esse missurum et multum instans ne respondere differrem », Epist., 224, 2; C.S.E.L.. 57, p. 452. 103, Cf. Epist., 224, 2 ; ibid., p. 452-453. 104. « Iam uero rescripseram quod peruenerint ad me cum tuo commonitorio libri Tuliani et Caelestii quos per filium nostrum Commilitonem diaconum direxisti », Epist., 10*, 1, 3 ; p. 46. Cette premicre lettre n’a pas été conservée. 105. « Quamquam ergo iam ista scripseram, tamen etiam nunc volui commonere, ne fortasse prius haec rescripta quam illa quae prius feci accipiat sanctitas tua », Epist., 10%, 1, 5 p. 46. 106. Epist., 10*, 1, 3-4; p.46. 107, Contra Iul. op. imp. 1, 1; C.S.EL., 85, p.5 3 cf. 2, 115 ibid, p. 170. 108. Introd., p. Lv. Ce sont les mémes dates que reprennent aprés lui C. LapELLEY, La crise de l'Afrique romaine au début du ¥ siécle..., dans C.R.A.L, 1982, p.457, J. ROUGE et ‘M. HumBERT, dans Les Lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak, p. 183 ; 188. DEUX MISSIONS D’ALYPIUS EN ITALIE 65 inscrites dans son commonitorium et qu’il n’avait pas pu traiter lors de son premier voyage 4 la Cour! Augustin parait insinuer que ce nouveau voyage n’a pas dd suivre de trop loin le précédent. Mais, pour dater cette lettre, i] faut tenir compte encore qu’elle est écrite quelques mois tout au plus avant VEpist. 224, qui apprend 4 Quodvultdeus que les Retr., telles que nous les possédons maintenant! sont achevées et que les trois premiers livres du Contra Iul. op. imp. sont déja dictés'"!, Le recoupement des deux lettres oblige done A retarder ce voyage d’Alypius en Italie et A le placer durant les toutes derniéres années de la vie d’Augustin; sinon, l’on ne comprend pas que Pévéque d’Hippone soit mort avant d’avoir pu terminer sa réfutation des huit livres de Julien. Demeurent pourtant deux questions embarrassantes : comment se fait-il que PEglise @ Afrique ait tant attendu pour essayer de régler les problémes restés en suspens depuis le retour d’Alypius 4 Thagaste en 420? Comment surtout le gros ouvrage de Julien, l’Ad Florum en huit livres, méme #il a été composé en Cilicie!?, a-t-il pu rester si longtemps inconnu d’Augustin et de ses amis ? Les deux lettres nous laissent encore devant d’autres interrogations : elles ne font connaitre ni les motifs, ni la durée, ni Vitinéraire de ce deuxiéme voyage d’Alypius en Italie. Si Augustin lui raconte avec quelques détails un événement qui a marque la vie de léglise d’Hippone et qui s’est passé « A peu prés quatre mois auparavant'"? », ne faut-il pas en déduire que l’évéque de Thagaste était alors déja absent ? Si les deux lettres nous apprennent |’une et l’autre qu’il est allé 4 Rome", elles ne précisent pas s’il est auparavant passé par Ravenne, mais |’Epist. 10* fait pressentir qu’il compte au moins s’y rendre avant son retour en Afrique, puisqu’Augustin, en lui envoyant la copie du commonitorium de sa premiére mission, l’accompagne de cette remarque : pour que tu voies «si certaines de ces affaires ne pourraient pas étre traitées maintenant! », Tl se contente malheureusement de lui envoyer une copie de ce commonito- rium qu'il vient de retrouver au milieu de ses papiers, sans ajouter le moindre commentaire qui pourrait nous aider 4 conjecturer l’objet de ces affaires. Il lui décrit trés longuement par contre, en multipliant les informations concrétes, un mal qui désole alors l’Afrique et pour lequel il lui demande d’agir auprés des autorités impériales. Le dossier qu’il lui fournit et l’insistance qu’il met dans sa 109. CF, Bpist., 10%, 1, 65 p.46. 110. S'il n'y a pas, d'un cété ou de autre, erreur de copiste toujours possible dans la transcription des chiffres ou si la concordance n’a pas été établie aprés coup, c’est le méme nombre de livres, 232, qu’Augustin signale a la fin des Retr., 2,93 ; C.S.E.L., 36, p. 204, et dans PEpist, 224, 2; CS.EL, 51, p. 453. 111. Epist,, 224, 2; ibid. p. 453. 112, D’aprés une indication de MARIUS MERCATOR, Comm. lectori adv. haer. Pelagii et Caelestii uel etiam seripta Tuliani, 14 ; éd. E. Schwartz; A.C.O,, I, 5, p. 19. 113. Epist., 10%, 7, 25 p.50. ‘114, Epist, 10%, 4, 15 p.523 Epist, 224, 2; CS.E.L., 57, p.452. 115. Cf. Bpist., 10%, 1, 6; p. 46. 66 MARIE-FRANGOIS BERROUARD requéte insinuent en outre qu’Alypius a bien le projet de passer par Ravenne avant de regagner l’Afrique. Augustin compte en tout cas sur les démarches qu’il va faire afin que les responsables de YEtat prennent les mesures néces- saires pour mettre fin 4 tous ces brigandages qui alimentent un indigne trafic d’esclaves. Les marchands d’esclaves, communément appelés mangones et dont la plu- part viennent de Galatie, sont alors en effet si nombreux a se présenter sur les cétes d’Afrique et leurs offres sont si alléchantes en ce temps de misére, limpunité parait si probable en raison de la déstabilisation de la société, que de plus en plus de gens sont entrainés a se faire leurs pourvoyeurs, les uns par la séduction de paroles trompeuses, les autres par la violence et par le rapt. Le pays est vidé de sa population, dans les régions surtout qui comptent peu d’ha- bitants, et ce sont presque toujours des personnes libres" qui sont ainsi déportées dans les provinces d’outre-mer pour y étre vendues comme escla- ves!7, Le désarroi est si grand et la peur qu’il engendre devient si profonde qu’il se crée et se répand des «rumeurs », comme celle dont Augustin se fait ’écho, mais qu’il ne veut pas retenir faute de certitude comme de précision sur le lieu : il se colporte que, dans une petite maison de campagne, les hommes ont été massacrés, les femmes et les enfants emmenés pour étre vendus™. L’évéque @Hippone peut témoigner par contre de certains faits : il a interrogé lui-méme une petite fille qui avait été libérée par les paroissiens d’Hippone ; elle lui a raconté qu’elle avait été enlevée de la maison de ses parents, alors pourtant que ses parents et ses fréres étaient 1a ; Pun de ses fréres qui venait la rechercher a pu alors compléter son récit, en ajoutant que les ravisseurs avaient fait irrup- tion durant la nuit et que, croyant avoir affaire 4 des barbares, ceux qui habitaient la maison avaient préféré se cacher plutét que de résister!!?. Tout le mal provient des mmangones'?® et les sommes d’argent qu’ils versent & leurs fournisseurs de marchandise humaine excitent la convoitise au point d’aveugler tous les sentiments, si bien qu’ils trouvent les complices les plus inattendus pour s’associer a leur criminel trafic!?4, A Hippone méme, on a découvert qu’une femme avait pris ’habitude de faire venir chez elle des mar- chandes de bois de Giddaba et de les séquestrer en attendant de pouvoir les 116. Sur cet aspect plus particulier comme sur l'ensemble de la lettre, cf, C. LEPELLEY, La crise de l'Afrique romaine au début du V* stécle.., dans C.R.AJ., 1982, p. 457-462, et les communications de J. Rouaé, Escroquerie et brigandage en Afrique romaine au temps de saint Augustin (Ep. 8* et 10*) et de M. HUMBERT, Enfants d louer ou d vendre : Augustin et l'autorité parentale (Ep. 10° et 24%), dans Les Lettres de saint Augustin découvertes par Johannes Divjak, p. 183-188 ; 189-204, 117. Epist., 10%, 2, 1-3 3 p. 46-47. 118, Bpist., 10%, 3, 13 p.47. 119. Epist, 10*, 3, 2-43 p. 47. 120, « Mercatores autem si non essent, illa non fierent », Epist., 10%, 3, 5; p.47. 121, Epist., 10", 6, 1; p.49.

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