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Revue des Etudes Augustiniennes, 34 (1989), 3-11 Jean Chatillon 1912-1988 Le chanoine Jean Chtillon est décédé le 29 septembre 1988, Hospitalisé une premiére fois, en juin, il s’était bien remis d’une intervention relativement banale ; malgré quelques signes inquiétants vers la fin de sa convalescence, il rentrait confiant a la clinique, début septembre, pour subir, comme préyu, une deuxiéme opération. Cette fois, les choses s’aggravaient rapidement ; il avouait lui-méme qu’ il perdait ses forces de jour en jour. La soudaineté de sa mort a surpris nombre de ses amis : peu d’entre eux, durant le temps des vacances, étaient au courant de sa maladie, De plus, a cause d’une fatigue grandissante et par discrétion surtout, il ne voulait pas qu’on avertit ses amis de son hospitalisation. Resté conscient jusqu’au bout, il a hésité, comme tant d’autres malades, entre la perspective d’une mort rapprochée et l’espoir d’une amélioration qui lui permettrait d’achever quelques travaux promis ou commencés de longue date. Lorrain d'origine et de coeur, l’annexion répétée de la Moselle a obligé d’abord sa famille, puis lui-méme, changer de lieu de résidence et A habiter la partie sud de la région. Né & Epinal en 1912, il commence ses études au collége Saint-Clément de Metz ; a cause d’une santé déficiente, il les continue A l’école Saint-Elme, & Arcachon. Pour la méme raison, il doit faire une partie de son grand séminaire 2 Aix-en-Provence. Ordonné prétre a Metz le 14 juillet 1935, il va poursuivre ses études supérieures jusqu’en 1940 : licence en théologie a l'Institut catholique de Toulouse (1936), licence en philosophie thomiste a l'Université Angelicum de Rome (1938), licence &s lettres-philosophie a l’Université de Nancy (1940), doctorat en théologie a I’Institut catholique de Toulouse (1939), Professeur au collége Saint-Clément & Metz en 1938, puis vicaire 4 Saint- Vincent de Metz le lef octobre 1939, il quitte volontairement la Moselle en 1940, Jusqu’a Ia fin de la guerre, il reste 4 Nancy, professeur de Philosophie a l’école Saint-Sigisbert (1940-1941), puis aumonier du lycée Henri-Poincaré (1941- 1945). En 1945, il revient A Metz oi il est nommé professeur de philosophie au grand séminaire. Cing ans plus tard, il entre, a la fois, Ala Faculté de philosophie de l'Institut catholique de Paris comme chargé de cours, et au Centre national de la recherche scientifique comme attaché de recherche, sur présentation de Raymond Bayer, professeur 4 la Sorbonne, 4 JEAN LONGERE Cette double orientation vers l’enseignement supérieur et vers la recherche devait étre définitive. La thése soutenue 4 Toulouse portait sur Richard de Saint- Victor ; elle annongait déja les travaux futurs. Pourtant l’abbé Chatillon hésitait et il avait envisagé un temps de se tourer vers le XVII siécle et V’Ecole frangaise de spiritualité, ainsi qu’en témoigne I’édition commentée d’un classique : Alexandre Piny, L’ oraison du cceur, 1942. Cette publication devait rester le seul témoin de l’incursion dans l’époque modeme ; curieusement I’auteur n’en parlait que de maniére exceptionnelle et le titre figure rarement dans ses bibliographies, par crainte plus ou moins avouée qu’on ne le soupgonnat de vagabondage intellectuel. Les premiers articles, un peu antérieurs & ce livre, sont en relation avec la thése de théologie soutenue Toulouse en 1939. Les revues qui les contiennent sont alors, l’une et l’autre, publiées dans cette ville : Revue d’ascétique et de mystique et Bulletin de littérature ecclésiastique. Le Pére Chatillon avait gardé un excellent souvenir de son séjour 4 Toulouse, il en parlait avec sympathie et il était resté un fidéle abonné et lecteur des deux périodiques. Entre 1945 et 1952, plusieurs comunications sont données A la Revue du moyen Gge latin, fondée 4 Lyon (1945), puis transférée 4 Strasbourg, par son frére ainé, Frangois Chatillon. Publiée dans Jrénikon, en 1949, une étude sur L’ecclésiologie des Victorins fait date. Les écrits se succédent : articles de revues, d’encyclopédies comme le Dictionnaire de spiritualité, contributions 4 des Congrés d’études médiévales ou a des volumes de Mélanges. Le Pére Chatillon s’est souvent plaint de ces sollicitations diverses. Cependant, jusqu’au bout, il a honoré les demandes qui lui étaient faites, comme le montre la notice qu’il a écrite, en juin 1988, sur Suger, abbé de Saint-Denis, pour VExposition de la Bibliothéque Nationale, Dix siécles du livre, prévue pour V’automne 1989. Avec raison, certes, il trouvait que ces articles dispersés hachaient son temps et le détoumaient de ce qu’il considérait comme sa tache essentielle et l’ceuvre de sa vie : le répertoire des ceuvres de Richard de Saint- Victor et l’édition critique des traités les plus importants de cet auteur, notamment le Benjamin minor. S’il est mort avant d’avoir achevé ces grands travaux, il a eu le mérite de décrire de nombreux manuscrits et de clarifier les traditions textuelles, souvent confuses, d’euvres de Richard ou d’autres Victorins. Trente ans aprés avoir publié le Liber exceptionum de Richard de Saint-Victor (1958), il lui a consacré dans le Dictionnaire de Spiritualité une longue notice, magistrale mise au point des connaissances actuelles sur cet auteur et sur son cuvre. Son intérét ne s’est pas limité 4 Richard. Achard et Gauthier de Saint-Victor lui doivent, tous deux, ]’édition critique de leurs sermons, |’étude de leur vie et de leur pensée. C'est en 1969 qu’il soutient a l’Université de Paris-Sorbonne sa thése de doctorat és lettres sur Achard précisément ; travail d’histoire doctrinale qui porte avant tout sur l'ceuvre oratoire de cet anglais, premier successeur de Gilduin comme abbé de Saint-Victor, élu ensuite évéque d’Avranches. Les recherches menées & cette occasion en Normandie, la rencontre avec l’abbé Le Légard, restaurateur de l’abbaye de la Lucerne od repose le corps d’Achard, deyaient conduire le Pére Chatillon 4 des séjours fréquents et prolongés dans le sud de la Manche. JEAN CHATILLON, 1912-1988 5 Deux activités l’ont amené a déborder largement |’étude des Victorins. La premiére est l’enseignement a l'Institut catholique assuré durant trente-deux ans, de 1950 a 1982. A regarder les classeurs od sont soigneusement rangés et datés ses cours, on voit que ceux-ci ont recouvert un large champ : de 1’ Antiquité grecque & la fin du Moyen Age. On ne peut étre surpris que deux auteurs soient privilégiés : saint Thomas et saint Bonaventure. Si l’enseignement et la participation aux congrés internationaux de théologie ou de philosophie médiévale ont donné lieu 4 quelques publications, la majeure partie des cours est testée a I’état de notes écrites 4 la main, plus rarement de feuilles polycopiées. Le Pére Chatillon a suivi de nombreuses théses consacrées A des auteurs du Moyen Age, soit qu’il en ait été le directeur, soit que sa compétence et son amabilité aient acheminé jusqu’a lui les futurs docteurs, C’est probablement dans Vaccueil et le conseil individuels qu’il donnait le meilleur de lui-méme, toujours soucieux d’un travail original, rigoureux, susceptible de faire progresser la science, et en méme temps attentif 4 comprendre ’étudiant, a l’encourager, & valoriser ses recherches et ses découvertes. Beaucoup de travaux lui doivent un considérable enrichissement dans le contenu, la rédaction du texte, V’apparat critique, la bibliographie, La confiance de ses pairs a fait que le Pére Jean Chatillon a exercé les fonctions de Doyen de la Faculté de philosophie & 1’Institut catholique de Paris de 1961 a 1967, puis de Président de 1’Association des professeurs de philosophie des Facultés et Instituts catholiques de France. De 1979 & 1982, il a représenté l'Institut catholique au conseil de direction de I'Institut des Etudes Augustiniennes. A partir de 1970 et, semble-t-il, jusqu’a l’Age officiel de la retraite (1977), il a siégé comme membre élu au Comité National du CNRS, section philosophie. Homme de conciliation, il se révélait aussi un conseiller averti et judicieux au plan des personnes, des ceuvres, des situations. Il se sentait probablement moins a l’aise quand il fallait prendre des décisions et les faire exécuter. Dans les quinze derniéres années de sa vie, il a découvert une autre forme d’enseignement : les sessions d’études dans les abbayes de chanoines réguliers, de moines et de moniales, en particulier chez les cisterciens et les cisterciennes de France. Plusieurs fois dans |’année, il allait dans les monast&res présenter et commenter quelque grand auteur spirituel : Hugues de Saint-Victor, saint Bernard, Guillaume de Saint-Thierry, Aelred de Rievaulx. Mais on lui demandait aussi de parler de saint Augustin, de I’abbaye de Saint-Victor, voire de philosophie médiévale ; il a préché des retraites 4 des moniales, notamment 4 Vabbaye de la Coudre, prés de Laval. De méme que les cours de Institut catholique, ces interventions n’ont pas souvent donné lieu a des publications ; font cependant exception les conférences aux chanoines réguliers reproduites dans Ordo canonicus, celle faite 4 des bénédictins américains, et, en 1987, sa participation & la session carmélitaine du Centre Notre-Dame de Vie a Venasque sur I’«Unité d’esprit» selon Guillaume de Saint-Thierry. Malgré la longueur de certains déplacements (abbayes des Etats-Unis, du Canada, d’Autriche, par exemple) et la fatigue qui en résultait, malgré aussi le temps que ces sessions prenaient et leur caractére parfois répétitif, le Pére Jean Chatillon tenait beaucoup a ces semaines d’études of il rencontrait des auditoires 6 JEAN LONGERE souvent jeunes, disponibles, attentifs au passé de leur famille spirituelle. Par 14, Jes savantes recherches sur la spiritualité médiévale quittaient, si l’on peut dire, Jes rayons des bibliothéques pour atteindre les héritiers actuels d’une longue histoire et d’une tradition toujours vivante. Au travers de cette relation sommaire de quelques-unes de ses activités, des traits de la personnalité du Pére Chatillon seront apparus, espérons-le. Une grande culture théologique, philosophique, historique, un travail méthodique et méticuleux, une production s’enrichissant d’année en année qui, si elle vise le plus souvent des spécialistes, sait aussi se mettre a la portée d’un public plus vaste. Le savant n’occultait pas l"homme et le prétre. D’un accés facile, le Pére Jean Chatillon créait autour de lui la sympathie et la confiance, il suscitait les relations amicales. On lui demandait conseil pour des travaux scientifiques assurément, mais aussi pour des problémes personnels, familiaux, spirituels. Inquiet lui- méme, il pouvait apporter aux autres une paix intérieure et une confiance qui, en lni-méme, se dérobaient parfois. Il était fidéle envers ses amis et ceux-ci le lui rendaient bien. Des visites lors de passages A Paris, une correspondance abondante attestent l’étendue et la qualité de ces liens tissés avec sa famille, fiit-elle éloignée, avec ses amis francais et étrangers, qu’ils aient été connus de longue date ou a ’occasion d’un voyage récent. Il retournait volontiers en Lorraine : célébrations familiales, rencontres périodiques avec les prétres de son année d’ordination ; il avait été nommé chanoine honoraire de la cathédrale de Metz, le 13 novembre 1961, juste reconnaissance pour un historien du mouvement canonial et de son réformateur local, saint Chrodegang. AumOnier du lycée de Nancy durant la derniére guerre, on I’a dit, il participait aux réunions d’un groupe d’anciens éléves qui tenaient A sa présence réguliére. C’est avec eux qu’il a accompli un pélerinage en Terre Sainte au mois de mars 1988. Sa disponibilité scientifique et humaine aura été féconde. Elle a aidé autrui, indirectement elle l’a assuré lui-méme. On peut se demander si, plus maitre de son temps, il aurait davantage produit. Dans ses dernigres années, il devenait de plus en plus exigeant, voire scrupuleux au plan scientifique. Pour l’édition d’un texte, le choix des manuscrits et des legons posait tant de problémes qu’il devenait insoluble. Les conseils qu’il sollicitait l’incitaient 4 ne pas chercher de nouvelles complications et 4 publier rapidement ; comme souvent en ce cas, ils étaient peu suivis. Quoi qu’il en soit, la bibliographie ci-jointe souligne éloquemment le nombre et la qualité des publications du Pére Chitillon. Par dela l’ceuvre écrite, il reste l’exemple du chercheur, le souvenir mu de lami attentif et fidéle, la présence spirituelle du maitre ; il continuera 4 introduire dans la lecture des mystiques médiévaux et, par eux, dans la contemplation de Dieu qu’il a cherché et invoqué, parfois avec crainte, mais toujours dans une foi profonde. Jean LONGERE JEAN CHATILLON, 1912-1988 7 BIBLIOGRAPHIE DE JEAN CHATILLON* LIVRES ALEXANDRE PINy, L’oraison du ceur. Nouvelle édition précédée d’une introduction, Paris, id. du Cerf, 1942, xvi-246 p. RICHARD DE SAINT- VICTOR, Sermons et opuscules spirituels inédits, t. 1: L' édit d' Alexandre ou les trois processions. Texte latin, introduction et notes en collaboration avec W. J. TULLOCH ; traduction fangtise de J. BARTHELEMY, Bruges-Paris, Desclée De Brouwer, 1951, cx-130 Pp GaLAaNDI REGNIACENSIS Libellus Proverbiorum, Texte inédit précédé d’une introduction, avec traduction frangaise de M. DUMONTIER, Strasbourg, Revue du moyen dge latin, 9, 1953, 152 p. ‘SAINT BERNARD, Priére et union a Dieu. Textes choisis, Paris, Editions de I’Orante, 1953, 288 p. RICHARD DE SAINT-VICTOR, Liber exceptionum, Texte critique avec introduction, notes et tables, Paris, Vrin, 1958, 548 p. ., Théotogie, spiritualité et métaphysique dans I euvre oratoire d' Achard de Saint-Victor, a histoire doctrinale précédées d’un essai sur la vie et ' euvre d' Achard, Paris, Vrin, 1969, 356 p. ACHARD DE SAINT-VICTOR, Sermons inédits. Texte latin avec introduction, notes et tables, Paris, Vrin, 1969, GALTERI SANCTI VICTORIS et quorumdam aliorum Sermones ineditl triginta sex (Corpus Christianorum, Continuatio Mediaeualis, XXX), Turnhout, Brepols, 1975, 416 Pp D' Isidore de Séville d saint Thomas d’ Aquin. Etudes d'histoire et de théologie, London, Variorum Reprints, 1985 (Le détail des articles repris sera signalé dans la section , Connaissance des Peres de I’ Eglise, n° 19-20, déc. 1985, p. 7-21. «Un sermon du XU sitcle en quéte d’auteur : Richard de Saint-Victor, Geoffroy de Melrose, Geoffroy d’ Auxerre ou Aelred de Rielvaux ?», Recherches Augustiniennes, 20, 1985, p. 133-201. «Le titre du Didascalicon de Hugues de Saint-Victor et sa signification», L'art des confins, Mélanges offerts d Maurice De Gandillac, publiés sous la direction de Annie CAZENAVE, Jean- Frangois LYOTARD, Paris, 1985, p. 535-543. «Désarticulation et restructuration des textes 4 l’époque scolastique (XI°-XIII° sidcle)», La notion de paragraphe, textes de J. CHATILLON, G. DENHIERE ... réunis par Roger LAUFER, Paris, Editions du CNRS, 1985, p. 23-40. «A Commentary on the Rule of Saint Augustine», Crosier Heritage, 18, 1986, p. 1-6. «Hugo von St. Viktor», Theologische Realenzyklopddie, 15, 1986, p. 629-635. «Pridre au moyen ge», Dictionnaire de spiritualité, XII**, 1986, col. 2271-2288. «Richard de Saint-Victor», Dictionnaire de spiritualité, XIII, 1988, col. 593-654. «L’unité d’esprit selon Guillaume de Saint-Thierry», Viens Esprit Saint (Rencontre spirituelle et théologique, 1987), Centre Notre-Dame de Vie, Vénasque, 1988, p. 179-211. A paraitre : «Suger (1081-1151), La consécration de l’église de Saint-Denis (1143). Mémoire sur son administration abbatiale (1147)», Dix siecles du livre. Les grands moments de I’ esprit francais, Catalogue de l'exposition a la Bibliothtque nationale, prévue pour l’automne 1989. «Saint Bernard, Botce, Hugues de Saint-Victor, Richard de Saint-Victor», L’Ency- clopédie philosophique, Paris, P, U. F., 1989-1990. «L’€cole de Saint-Victor», La philosophie du Vé au xVé siécle, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1989. «Rupert de Deutz, Pierre le Vénérable, Hildegarde de Bingen, Geroch de Reichersberg» (en collaboration avec Michel LEMomne), La philosophie du VE au XV€ siecle, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1989. Revue des Etudes Augustiniennes, 35 (1989), 12-43 La résurrection du Christ dans L’Antirrheticus adversus Apollinarem de Grégoire de Nysse A la difference des Sermons sur la féte de Paques qui présentent le mystére de la résurrection du Christ selon une visée pastorale, 4 la difference du Discours catéchétique qui est en premier un exposé systématique de la foi chrétienne structuré par les considérations sur la résurrection du Christ, l’Antirrheticus adversus Apollinarem est un ouvrage de polémique destiné a réfuter la Démonstra- tion de I'Incarnation de Dieu selon l'image de l'homme d’ Apollinaire de Laodicée : ce traité porte essentiellement sur le probléme christologique de l’union entre la divinité et l’humanité en Jésus-Christ. Et pourtant la résurrection y tient une certaine place. Or, de l’avis d’érudits comme A. Grillmeier', la lutte contre Apollinaire représente un jalon important dans |’évolution de la christologie de Grégoire de Nysse : avec Grégoire de Nazianze, le Nysséen, a été amené 4 opter pour le schéma « Logos-anthropos» en vue de dépasser une problématique sous-tendue par le schéma « Logos-sarx ». Ce déplacement concerne de fagon directe la théologie de la mort et de la résurrection. Un certain nombre d’études, consacrées a [’état du Christ dans la mort, ont déja été publiées : l’équivalent n’existe pas pour la résurrection. Une enquéte sur la résurrection du Christ dans l’Antirrheticus est donc justifiée 4 la fois par l'importance de ce traité et par le relatif silence observé par les commentateurs au sujet de cette question. Le plan retenu pour l’exposé des résultats de l'enquéte comporte les parties suivantes : — Rapide présentation de l’apollinarisme et de l'Apodeixis, puis de l’Antirrheticus. — Comment comprendre la mort du Christ ? — La résurrection du Christ : aspects ‘christologiques. — La résurrection du Christ : aspects sotériologiques. — Essai de reprise systématique. 1, A, GRILLMEIER, Jesus der Christus im Glauben der Kirche. Von der apostolischen Zeit bis zum Konzil von Chalcedon (451), t. 1, Fribourg, Herder, 1979, p. 498-501. LA RESURRECTION DU CHRIST DANS L‘« ANTIRRHETICUS » 13 Ce plan de type logique devrait permettre de regrouper les considérations de Grégoire de Nysse, relatives a la résurrection du Christ et figurant dans différents passages de l’Antirrheticus, et de mieux saisir la valeur démonstrative des argu- ments que l’auteur de ce traité oppose 4 Apollinaire. I. — L’APOLLINARISME ET SA REFUTATION PAR GREGOIRE DE NYSSE: Lc APODEIXIS » ET L’« ANTIRRHETICUS » Pour apprécier a sa juste valeur l’argumentation développée dans /‘Antirrheticus a propos de la résurrection du Christ, il convient d’évoquer le contexte dans lequel se situe le débat entre Apollinaire et Grégoire de Nysse. A, 1. L’apollinarismé Apollinaire, d’abord engagé aux cétés d’Athanase dans la lutte contre |’aria- nisme, congut le projet de rendre compte de lunion étroite entre la divinité et V’humanité dans le Christ de fagon a éviter la christologie divisive d'un Paul de Samosate et a écarter les dangers liés aux théories ariennes. Pour Apollinaire, le Christ est plus qu'un simple «anthropos entheos », c’est-a-dire un homme en qui habite Dieu ou un « pneuma » divin : il est plus qu’un prophéte ou qu’un homme de Dieu. L’incarnation signifie que le « pneuma » divin (la divinité) et la « sarx » terrestre forment ensemble une « unité substantielle ». « Devenir homme » n’est pas identique 4 « assumer un homme ». Pour que l’union en Jésus-Christ puisse vraiment se réaliser, I'humanité ne doit pas étre compléte. Si la divinité devait s’unir 4 une humanite compléte, il s’agirait d’unir deux « parfaits », deux entités complétes. Or, estime Apollinaire, « deux parfaits ne peuvent devenir un ». Selon lui, on trouve dans le Christ fe corps humain et l’ame irrationnelle, principe vital, mais non l’ame raisonnable, le «nots », qui est principe de contréle et d’autodétermination. Pour le Christ, l’ame raisonnable est 2. Btudes sur Apollinaire de Laodicée : G. Vorsty, L’apolfinarisme. Etude historique, litté- raire et dogmatique sur le début des controverses christologiques au 1” siécle, Louvain-Paris, 1901; Charles E. RAVEN, Apollinarism. An Essay on the Christology of the Early Church, ‘Cambridge, 1923 ; H. pz RIEDMATTEN, Notions doctrinales opposées a Apollinaire, dans Revue Thomiste, 1951, p. 553-570 et La christologie dApollinaire de Laodicée, dans Studia Patristica, Coll. Texte und Untersuchungen, 64, 1957, p. 208-234 ; R.A. NorRis, Jr, Manhood and Christ. A study in the Christology of Theodore of Mopsuestia, Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 79-122; E. MOHLENBERG, Apollinaris von Laodicea, Coll. Forschungen zur Kirchen-und Dogmengeschichte, Gottingen, 23, 1969 ; Ch. KANNENGIESSER, Une nouvelle interprétation de la christologie d'Apollinaire, dans Recherches de Science Religieuse, 1971, p. 27-36 (note sur Touvrage de E. Mithlenberg). Il convient d’y ajouter les chapitres consacrés 4 I’apollinarisme dans des ouvrages d’histoire des dogmes : nous renvoyons notamment a A. Grillmeier, 0. note 1, 14 RAYMOND WINLING remplacée par le « Logos » : ainsi le Christ est constitué d’une divinité parfaite et d'une humanité non compléte. C'est a cette condition que I’« hénésis akra » peut se réaliser et que le Christ forme une unité substantielle. Le « Logos » conserve en tout sa prééminence et est l’agent qui meut efficace- ment ce qui est humain dans le Christ. Ayant pris la place du « nods » humain, le « Logos » assure l’impeccabilité du Christ, alors que si le Christ avait gardé son «nots » humain, inévitablement il aurait éte porté au péché. Il est arrivé 4 Apollinaire de parler « d’homme céleste ». Ses adversaires Vaccusérent d’enseigner que la chair du Christ est préexistante et qu'elle descend du ciel au moment de I’incarnation. Le reproche était-il fondé? Apollinaire a dénoncé la fausseté de !’accusation, mais on peut se demander si certains de ses disciples n’ont pas proposé des interprétations allant dans ce sens : en effet, les traités pseudo-athanasiens Contra Apollinarium, dirigés contre les apollinaristes””*, prouyent que le théme de « l'homme céleste » jouait un réle important dans la discussion. En tout cas, dans ses derniéres oeuvres, Apollinaire explique que le Christ n’est « homme céleste » qu’en raison du « pneuma » divin, c’est-a-dire du « Logos » avec lequel la « sarx » entre en union substantielle. La logique du systéme amena Apollinaire 4 admettre une seule nature dans le Christ (« mia phusis »), car parler de deux « physeis », ce serait fournir des arguments 4 tous ceux qui sont portés a nier l’unité du Christ : « physis » signifie dailleurs pour Apollinaire « étre qui s’autodétermine (autokinétos, autoenergé- tos) », On a tendance a répartir les ceuvres d’Apollinaire en deux groupes qui correspondent a deux périodes: le premier groupe serait sous-tendu par une anthropologie dichotomiste, le deuxiéme groupe par une anthropologie trichoto- miste. A l’origine de cette distinction il y a probablement Rufin qui rapporte qu’Apollinaire aurait connu une évolution qui l’a mené du dichotomisme au trichotomisme, ce dernier lui permettant de mieux réfuter les objections qui lui étaient faites. A, 2. L’«Apodeixis peri tés theias sarkéseés' » Des nombreuses ceuvres d’Apollinaire, beaucoup ont disparu. II ne subsiste que des fragments des importants Commentaires sur l’Ecriture : conservés dans des 2 bis. Voir Henry Cuapwick, Les deux traités contre Apollinaire attribués & Athanase, dans Alexandrina. Mélanges offerts 4 Claude Mondésert S.J., Paris, 1987, p. 247-260 ; ibid, p. 258, n. 21 les études de G. Dragas. 3, La démonsiration de I'Incarnation de Dieu selon ‘image de 'homme (« Apodeixis peri tés theias sarkéseds tés kath’ homoiésin anthropou ») peut étre reconstituée partiellement 4 partir des extraits qui figurent dans I’Antirrheticus de Grégoire de Nysse. Le regroupement de ces extraits figure dans J. Draseke, Apollinarios von Laodicea. Sein Leben und seine Schriften, Anhang Apollinarii Laodiceni quae supersunt opera, Coll. Texte und Untersuchungen, Leipzig, VII, 3-4, 1892, et dans H. Lietzmann, Apollinaris von Laodicea und seine Schule, Tabingen, 1904, avec une annexe de textes, p. 167-322.

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