You are on page 1of 16

Revue du Nord

L'évolution de la propriété immobilière à Roubaix : 1884-1974


Didier Cornuel, Bruno Duriez

Abstract
"The evolution of real estate in Roubaix".
The rebuilding of the industrial textile town of Roubaix has been carried on for a few years now. Hundreds of lodgings have been
demolished. A study of the evolution of the ownership of these lodgings will tell us of the reason of their existence and of their
architectural design, it will also allow us to throw a light on one essential signification of urban rebuilding,
The building of working-class lodgings in the Roubaix "courees" was ensured by a whole class of little landlords who found thus
a means of subsistence. Under the influence of many different factors this building has stopped. In spite of attempts by certain
organizations such as the "P.A.C.T." the ownership was gradually scattered to become nowadays a refuge-property for some
categories of population having very little financial means.
The present rebuilding brings a conclusion to this evolution and to the gradual vanishing of the little landlords class by the
replacing of the "courees" by subsidized flats and of individual initiative by the intervention of the State and of the "H.L.M.
"organizations.

Citer ce document / Cite this document :

Cornuel Didier, Duriez Bruno. L'évolution de la propriété immobilière à Roubaix : 1884-1974. In: Revue du Nord, tome 58,
n°229, Avril-juin 1976. pp. 245-259;

doi : https://doi.org/10.3406/rnord.1976.3377

https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1976_num_58_229_3377

Fichier pdf généré le 08/04/2018


L'EVOLUTION DE LA PROPRIETE IMMOBILIERE A ROUBAIX : 1884-1974

Didier CORNUEL
Bruno DURIEZ

I. INTRODUCTION.

On a beaucoup parlé ces dernières années de l'état lamentable des


logements en courées et des conditions de vie déplorables de leurs habitants. Depuis six
ans, avec la mise en oeuvre de la loi Vivien sur l'habitat insalubre Guillet 1970), la
résorption des courées avance, même si certains trouvent que le rythme en est encore trop lent.
Ce qui nous frappe, ce n'est pas tant les mauvaises conditions de logement si souvent
décriées et sur lesquelles tout le monde est d'accord, que le décalage entre les discours
tenus sur l'urgente nécessité de la destruction des maisons en cours et le retard apporté
à les détruire effectivement. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on parle de détruire les
courées. A la fin du XIXe siècle, alors que la construction des cours n'était pas achevée,
on parlait déjà de les raser !

Les raisons de ce décalage ne doivent pas être trouvées dans la bonne ou


la mauvaise volonté des responsables, mais bien dans la nécessité de la présence des
courées dans l'agglomération jusqu'à ces dernières années. La destruction des courées
correspond à la fin de leur raison d'être.

Le logement en cour doit d'abord être considéré comme un logement


d'ouvriers et, à l'origine au moins, comme un logement d'ouvriers du textile1 . Et toute
l'analyse de la question des courées doit être reliée à cette caractéristique essentielle. La
construction de logements ouvriers en France, qui a pris des formes spécifiques dans le
Nord et à Roubaix, s'est faite en deux grandes phases que l'on peut schématiquement
définir comme l'avant et l'après de l'intervention massive de l'Etat. Avant, c'est-à-dire
avant 1914, mais en fait jusqu'en 1945, la construction des logements ouvriers était
assurée par des individus, les propriétaires, qui trouvaient là une source de revenus. La
construction des courées à Roubaix correspond à cette première phase. Après la guerre
de 1945, l'Etat intervient massivement dans la construction des logements dits sociaux et
le patronat attire une partie de ces financements à l'aide du 1 % pour le logement et au
moyen des organismes collecteurs de ce 1%, les Comités Interprofessionnels du Logement
(C.I.L.). C'est à Roubaix-Tourcoing que cette formule fut inventée et qu'est né le
premier C.I.L. de France. La construction de logements dans l'agglomération a été assurée
essentiellement par les sociétés du C.I.L. (excepté les logements de haut standing). Mais
la construction de logements H.L.M. n'a pas suffi à permettre la destruction des courées,

1. La dénomination de "courée" est abusive pour qualifier la totalité de l'habitat insalubre de la région, a fortiori le
logement ouvrier. L'organisme chargé de la résorption de l'habitat insalubre ne s'appelle-t-il pas organisation pour la
suppression des courées ? Il y aurait lieu de s'interroger sur ce raccourci d'appellation. Ce n'est pas notre propos
ici. Par souci de simplification, mais aussi parce qu'à Roubaix, que nous étudions ici, les cours représentent la quasi
totalité des logements anciens d'une époque. Enfin les opérations de rénovation urbaine et de résorption de l'habitat
insalubre ont touché jusqu'ici des secteurs de courées. Enfin la courée, avec tous les attributs symboliques qui lui
sont attachés, reste un cas particulièrement exemplaire de ce que fut, de ce qu'est le logement ouvrier.

245
bien que ce fut un des objectifs initiaux du C.I.L.. Les courées à Roubaix et ailleurs
continuent de jouer un rôle important sur le marché du logement2 .

La réflexion que nous exposons aujourd'hui ne veut pas rendre compte


du phénomène courées dans son ensemble. Elle se situe à la suite d'autres articles parus
sur la question, et en particulier ceux de Monsieur Jacques Prouvost3, dont nous
considérons les résultats comme acquis.

Nous nous proposons plus particulièrement de mettre en lumière la


structure de propriété des courées et son évolution. Il nous paraît en effet que la connaissance
de la propriété des courées permettra de mieux comprendre leurs caractéristiques, y
compris leur forme architecturale bien particulière. La classe des propriétaires a toujours eu
une grande importance politique et il parait intéressant de connaître qui sont ces
propriétaires. Enfin la rénovation urbaine et la résorption des courées, avec toutes les
procédures qui leur sont liées (déclaration d'insalubrité, déclaration d'utilité publique,
expropriation, etc.) dispersent, partiellement du moins, la catégorie des propriétaires et met
en place un nouveau type de propriété, et tout simplement de nouveaux propriétaires.
La question de la propriété foncière et immobilière est donc centrale dans l'analyse des
opérations de rénovation urbaine. C'est vrai de toute opération de rénovation urbaine
bien que cette question ne se pose pas de la même façon à Roubaix ou à Lille, a fortiori
à Paris.
Comme instrument d'analyse, nous avons choisi de dépouiller
systématiquement les matrices cadastrales de trois secteurs de Roubaix :

- Le secteur de la rue des Longues Haies, quartier célèbre de Roubaix, en particulier


par les émeutes qui y ont eu lieu lors des grèves de 1931 et par toute une littérature,
(notamment les ouvrages de Maxence Van der Meersch). Ce secteur a été rasé dans une
opération de rénovation urbaine (1958-1972) et a laissé la place à l'ensemble Edouard
Anseele. Nous avons retenu les flots compris entre la rue Pierre de Roubaix, le
Boulevard de Belfort, la rue de Lannoy et la rue Bernard.

- Le secteur de la rue de la Paix qui fait actuellement l'objet d'une opération de


résorption de l'habitat insalubre, est maintenant rasé. Il est délimité par les rues de l'Hom-
melet, de la Paix, du Collège et du Nouveau Monde.

- Le secteur de l'Epeule, autour de la place d'Amiens, que nous avons délimité par les
rues Descartes, de l'Epeule et Watt, n'a pas été concerné jusqu'à maintenant par une
opération de résorption, alors que les secteurs limitrophes l'ont été. L'état de ce secteur peut
être considéré comme moins défectueux que celui des deux autres, les courées y
représentant une part moins importante.

2. Nous avons tenté d'expliquer cette coexistence dans notre étude Le CIL de Roubaix-Tourcoing, Contribution
à l'étude des mécanismes de production du logement, D. CORNUEL, B. DURIEZ, C.A.D. D.G.R.S.T., juillet 1973.
3. J. PROUVOST, "Le quartier de la Guinguette à Roubaix", Hommes et Terres du Nord, 1966.
J. PROUVOST, "Les courées à Roubaix", Revue du Nord, 1969.
J. PROUVOST, "L'histoire des courées de Roubaix", Bulletin de l'actualité sociale régionale , janvier 1970.

246
Nous avons dépouillé les matrices cadastrales des maisons de ces trois
secteurs (au total environ 1500 maisons) à trois moments de leur histoire :

. 1884 : Cette année, qui correspond à l'établissement du cadastre de Roubaix, peut


être considérée comme la fin de la grande période de construction des courées. Les trois
secteurs analysés sont pratiquement entièrement construits à cette date.

. 1930 : L'entre-deux-guerres est caractérisé par un ralentissement très sensible de la


construction à Roubaix. La période de construction des courées est terminée et la phase
de la construction de logements H.L.M. est à peine commencée.

. 1957 : Cette année correspond à la veille de l'opération E. Anseele et plus


généralement au début des opérations de rénovation urbaine (E. Anseele à Roubaix, Saint-
Sauveur à Lille, etc.).

Les opérations de rénovation urbaine vont rapidement se heurter à des


limites, financières notamment, et seront bientôt arrêtées. L'opération Aima-Gare dont
il était question dès le début des années 60 se verra ainsi ajournée. Pendant ce temps,
la population étrangère de Roubaix augmente rapidement et trouve un habitat d'élection
dans les courées. En 1969, est créé l'ORSUCOMN qui a pour objet la destruction des
courées. Pendant ce temps la structure de la propriété des maisons en cours continue
d'évoluer.
Nous avons donc également étudié la structure de propriété des secteurs
concernés par les opérations de résorption de l'habitat insalubre à Roubaix en
dépouil ant les états parcellaires établis à l'occasion de ces opérations. Notre analyse porte sur
1586 des 1807 logements concernés, ainsi que sur le premier secteur de l'opération Aima-
Gare (740 maisons). Nous pouvons donc prétendre à une presque exhaustivité des
logements inclus dans les opérations de résorption de l'habitat insalubre.

La valeur des documents dépouillés est inégale. Les matrices cadastrales


de 1884 sont très fidèles à la réalité. Celles des années 1930 et 1957 sont un peu moins
précises, en ce qui concerne notamment la profession des propriétaires. Les états
parcellaires dressés depuis 1970 sont très exacts : c'est sur cette base que s'effectue le rachat
des maisons ; mais ils ne donnent pas de renseignements sur la profession des
propriétaires. Il ne s'agissait pas de faire ici un inventaire complet du patrimoine des propriétaires
de courées de Roubaix, bien que cette étude puisse en donner une idée, mais bien de
faire l'analyse de la structure de la propriété. Le matériel choisi constitue un bon
instrument de mesure de celle-ci. C'est pourquoi les matrices cadastrales comme les états
parcellaires ont été dépouillés de façon exhaustive.

II. L'URBANISATION DE ROUBAIX : Développement industriel et logique


immobilière.

La commune de Roubaix a connu au cours du XIXe siècle une expansion


démographique rarement rencontrée ailleurs puisqu'elle est passée de 8151 habitants en
1801 à 34.456 en 1850 et enfin à 124.661 habitants en 1896, plus de quinze fois la

247
population du début du siècle. Ce développement si important trouve son origine dans
l'expansion de l'industrie textile. Il est rendu possible par la construction des courées.
Effet en retour : c'est cette présence des cours qui favorisera le développement de
l'industrie textile en maintenant sur place une main-d'oeuvre importante.

L'activité de production textile était assurée au départ par des artisans ou


plutôt des travailleurs à façon à domicile. Ceux-ci, dont une partie de l'activité était
souvent agricole, travaillaient pour des négociants chez qui ils allaient chercher la matière
et ramenaient le produit fabriqué. Peu à peu des ateliers se constituèrent, d'abord dans
certains secteurs d'activité, puis pour toute l'industrie textile suivant les progrès
techniques de la fabrication. Le développement de l'industrie textile à Roubaix-Tourcoing
est, à cet égard, assez exemplaire du capitalisme naissant.
Les travailleurs à domicile et leur famille se transformèrent donc en
migrants quotidiens des campagnes vers les centres de Roubaix et de Tourcoing. Bientôt
ils vinrent d'au-delà la frontière belge toute proche. La main-d'oeuvre vint de plus en
plus loin, il fallut bientôt songer à la loger.

Les courées sont le résultat de ce processus. Elles ne furent pas le seul


moyen apporté au recrutement de la main-d'oeuvre. Entre autres moyens, le chemin de
fer, puis le tramway permirent aux travailleurs belges de venir plus rapidement qu'à pied
ou à bicyclette de Belgique vers les usines textiles de Roubaix-Tourcoing.
Les premières courées furent construites suivant les exigences du travail
à domicile. Les maisons pouvaient accueillir le métier à tisser autour duquel tous les
membres de la famille s'affairaient ou se succédaient. Cette conception se traduit dans
l'architecture de la maison. Ainsi l'industriel Frasez construisit (cas exceptionnel), en
dehors du bourg de Roubaix de l'époque, le fort4 qui porte son nom, en suivant cette
conception de la maison ouvrière : "nous croyons devoir signaler une heureuse initiative
que ce fabricant (F. Frasez) met en ce moment (1839) en pratique. Sur une propriété
qu'il a achetée, il fait construire cent petites maisons pour ses ouvriers ; chaque maison
aura quatre pièces et pourra contenir quatre métiers à la Jacquart. Il procurera ainsi, à
peu de frais, à l'ouvrier un logement plus confortable, une économie de temps, l'avantage
de travailler en commun avec sa famille, d'en utiliser tous les bras, en évitant pour elle et
pour lui les dangers de la vie d'atelier. Les moeurs ne pourront qu'y gagner en même
temps que, la somme de travail s'augmentant, le prix de cette façon pourra diminuer.
Ainsi se trouvera atteint le but si désirable de concilier les intérêts du fabricant et ceux
de l'ouvrier"5 .

Le progrès technique, la mécanisation et la nécessité d'une production


toujours plus poussée rendirent rapidement caduque cette conception, malgré ses
"avantages" énoncés ci-dessus.
L'aire de recrutement de la main-d'oeuvre s'étendit de plus en plus. Le
mouvement des frontaliers se développa. Bon nombre d'entre eux vinrent résider à

4. Le nom de Fort correspond à une disposition spatiale particulière des maisons. Voir à ce sujet J. PROUVOST,
art. cit.
5. Rapport du Jury de l'exposition de 1839 dans Th. LEURIDAN, Histoire de la Fabrique de Roubaix, cité par
J. PROUVOST, "Le quartier de la Guinguette à Roubaix", Hommes et Terres du Nord, 1966.

248
Roubaix-Tourcoing, d'abord pour la semaine "en célibataires", puis ils firent bientôt
venir leur famille.
La construction de logements est un remède à l'éloignement de
l'entreprise. Moins de temps perdu en transport, c'est autant de temps gagné à la production
(la journée de travail est alors de 12 heures). De plus le contrôle de la main-d'oeuvre est
plus strict et assure sa stabilité : son arrivée à l'usine est moins dépendante de facteurs
aléatoires (intempéries par ex.) ou réguliers (activités agricoles). Le logement sur place
permet également à toute la famille de travailler à l'usine.

On comprend donc que les logements se soient construits à proximité


immédiate des usines. Ainsi le quartier des longues Haies jouxte immédiatement la
rangée d'usines construites le long du canal (comblé depuis et remplacé par le Boulevard
Gambetta). Au tout début d'ailleurs, le patron lui-même habite à côté de l'usine ou au-
dessus des bureaux. Cette imbrication d'usines et d'habitations ouvrières est
caractéristique de l'urbanisation roubaisienne. On a quelquefois évoqué, à propos de l'usine
entourée de maisons de ses ouvriers, l'image du château fort entouré des maisons des serfs.
En fait cette image est excessive par rapport à la réalité de la situation car l'urbanisation
doit se comprendre, déjà au XIXe siècle, à l'échelle de la commune toute entière.
On qualifie actuellement ce type d'urbanisation d'anarchique. Il est
important de relever que cette constatation est récente et de voir ce qui en est à l'origine.
Elle doit être mise en rapport avec la mise sur pied et le développement de la planification
urbaine et de l'urbanisme. L'urbanisation de Roubaix correspond à un stade du
développement industriel et le fait que le cadre bâti se soit maintenu en l'état jusqu'à l'heure
actuelle (indépendamment de facteurs tels que les guerres qui n'ont pas détruit Roubaix-
Tourcoing) nous permet de penser que cette structure n'est peut-être pas aussi dépassée
qu'on la présente actuellement, tout au moins jusqu'à ces dernières années où des
phénomènes nouveaux apparaissent. Le débat sur l'habitat rejoint celui sur l'implantation des
entreprises au coeur même de la ville de Roubaix.

III. LES PROPRIETAIRES IMMOBILIERS ET LA CONSTRUCTION DE COUREES.

Les facteurs de l'urbanisation de Roubaix aident à comprendre également


la structure de propriété des logements, et en particulier des courées. Celle-ci est en effet
dépendante de la concentration des industries textiles en un lieu très limité (qui est à
expliquer également ; nous la considérons cependant comme donnée dans le cadre de ces
quelques pages).

Qui sont donc les premiers propriétaires des courées, et comment se


répartit la propriété des maisons en cour ? Contrairement à ce qui a souvent été dit6 , ce ne
sont pas les patrons du textile qui ont construit des logements pour leurs ouvriers, ou tout
au moins leur action en matière de construction de logements a été relativement peu
importante.
Malgré les spécificités des trois secteurs étudiés, cette thèse se
confirme largement. Si l'on considère les premiers propriétaires comme les constructeurs des

6. Voir par exemple J. MINCES, Le Nord, Maspe'ro, 1973.

249
Kpcule : Homme let Longues liai es
Propr i étni . : Maisons : Propr étni.: lî.iisons : Propr i étni . : Uni son
Val^:
abso. 7. : Vnl. .
abso . ' % Val . '
: abso . 7. Val. '.
: abso. 7. : Val. ". 7. : Vnl. '.
abso. abso.
Art isans-Coninier . 17 : 25,8 33 10,0 13 26 57 : 14,0- 54 : 50,0: 377 : 4
Kniployés-Contrema. 6 : 9,1 34 10,3 2 4 3 : 0,7 9 : 8,3: 59 :
Ouvriers 7 10,6 16 A, 8 4 8 7 1,7
Rent. Propriétaires A : 6,1 47 14,2 9 18 174 42,8 15 13,9 185 : 2
Veuves et ass. 9 13,6 116 35,0 10 20 81 20,0 9 : 8,3 67 :
Prof.Libé. Cadres 4 6, 1 4 1,2 6 5,5 22
"Fabricants" : 6 9,1 38 11,5 1 2 . 49 12,0 3 2,8 2
Brasseurs : 6 9,1 10 3,0 2 4 : 8 2,0 4 3,7 12
Négociants : 3 A, 5 24 7,3 : 1 2 : 1 \ 0,2 : 2 1,9 63
Entr. Bât. : 1 1,5 4 1,2 : 2 1,9 14
X : 2 . 3 . 4 : 1,2 : 8 : 16 : 27 ': 6,6 : 4 : 3,7 : 48 .
.
Ville de Roubaix : 1 : 1,5 : 1 ': 0,3 .
•_
TOTAL : 66 : 100 : 331 : 100 : 50 : 100 : 407 : 100 : 108 : 100 : 850 .
;
Propriétaires suivant la catégorie socio-professionnelle 1884.
courées, les employeurs possèdent des logements, certes, mais ils sont très nettement
minoritaires ; certains d'entre eux ont d'ailleurs racheté des maisons construites par des
non-industriels pour étendre leur usine. Par contre, deux autres catégories de
propriétaires sont largement représentées. Les artisans et commerçants d'abord, surtout dans le
secteur des Longues Haies où des commerçants comptent parmi les plus gros
propriétaires de courées de l'îlot : le propriétaire le plus important est un boucher de la rue de
Lannoy qui possède à lui seul 65 maisons. Deuxième catégorie de propriétaires : les
rentiers. Ceux-ci, répertoriés comme tels, font souvent profession de propriétaire, c'est-
à-dire qu'ils tirent l'essentiel de leur revenu de leur propriété. On peut y ajouter les
veuves pour lesquelles le revenu constitue une retraite. D est difficile de connaître l'origine
de ces "propriétaires", on y retrouve des propriétaires terriens, mais aussi des
commerçants qui ont fait fortune et se sont retirés, ou leurs épouses.
La construction des courées procède donc essentiellement d'une logique
de rente. Les courées sont avant tout une source de revenus pour leurs propriétaires.
On peut considérer qu'à Roubaix existe une classe de petits propriétaires et que ceux-ci
assurent le logement de la majorité de la population ouvrière de Roubaix. Les
propriétaires sont dans la majorité extérieurs au quartier et le nombre des maisons occupées
par leur propriétaire est peu important (4,4% rue de la Paix, 8, 1 % aux Longues Haies et
à l'Epeule). D s'agit surtout de maisons en rue, ce qui explique la proportion plus
importante des propriétaires-occupants dans le secteur de l'Epeule.
D s'agit bien de petits propriétaires. Ds s'opposent en cela aux promoteurs
privés actuels dans la mesure où ils n'ont pas pour objectif de reproduire leur
investissement sur une base plus large mais davantage d'effectuer un placement définitif dont les
revenus doivent leur permettre de vivre. Les loyers que pouvait escompter le
propriétaire sont généralement estimés à 10-12% de la valeur du logement. La plupart du temps,
les propriétaires confiaient la perception de leurs loyers aux "receveurs de rentes" dont
c'était d'ailleurs la profession (quand ce n'était pas le cafetier de l'entrée de la cour qui
en faisait fonction). Le travail de ceux-ci, payés au prorata des loyers rentrés, n'était pas
facile au moment des grèves ou dans les périodes de chômage.

Les maisons en cours sont de petites maisons et ne nécessitaient pas un


investissement important. Le nombre moyen de maisons de chaque propriétaire est
relativement limité : 5 maisons à l'Epeule, 8 rue de la Paix, 8 aux Longues Haies. Les
propriétaires des maisons de ces îlots sont déjà nombreux. Il reste que la propriété des
maisons n'est pas répartie de façon uniforme. Les plus gros propriétaires se partagent une
part importante des maisons (ont environ 50% des maisons : 12% des propriétaires à
l'Epeule, 8% à l'Hommelet, 13% aux Longues Haies). Mais ne trouve-t-on pas parmi les
"gros propriétaires" des Longues Haies, la veuve d'un épicier (35 maisons), un boulanger
(20 maisons), un autre boulanger (18 maisons), etc. Les capitaux engagés dans l'achat
des terrains et la construction des maisons sont peu importants relativement aux capitaux
engagés à la même époque par les industriels du textile dans la construction des usines,
la mécanisation et l'achat des matières premières.
La présence de cette classe de propriétaires a permis aux industriels du
textile de ne pas s'engager dans la construction de logements pour leurs ouvriers. Et
l'existence de cette classe a été rendue possible par la croissance extrêmement rapide
de l'industrie textile qui, nécessitant une main-d'oeuvre toujours plus importante, a

251
permis à certaines catégories de population de faire rapidement fortune (commerçants,
logeurs de célibataires, etc.). Les industriels ont pu consacrer ainsi tous leurs capitaux à
l'extension de leurs entreprises et aux achats spéculatifs de matières premières, aux cours
extrêmement fluctuants.

Il y a toujours eu peu de logements d'entreprises à Roubaix, et quand


les industriels ont construit des maisons, il s'est souvent agi d'attirer certaines catégories
de main-d'oeuvre que l'employeur était particulièrement soucieux de s'attacher
(personnel d'encadrement, ouvriers à qualification rare, personnel d'entretien).
L'existence d'une classe de propriétaires à Roubaix-Tourcoing et sa
composition expliquent la forme particulière sous laquelle s'est réalisée la construction de
logements à Roubaix-Tourcoing : la cour (ou la courée). La construction de maisons en
cours répond à une logique qui peut s'exprimer simplement ainsi : construire le plus de
maisons possible sur le plus petit terrain, au moindre coût.

La construction de courées n'a pas suivi de plan d'ensemble, excepté


pour quelques secteurs comme le Fort Frasez, évoqué précédemment, qui précisément
est l'oeuvre d'un seul propriétaire. Généralement - et c'est le cas des trois secteurs étudiés
par nous - le parcellaire est très morcelé. Les cours construites sur le principe de
l'alignement (qui va de deux à une vingtaine de maisons suivant l'importance de la cour)
sont orientées dans tous les sens. D s'agissait pour chaque propriétaire de construire la
rangée de maisons dans la plus grande longueur de sa parcelle.
Les parcelles et donc les alignements des maisons en cour sont cependant
le plus souvent perpendiculaires à la rue. Une législation nettement moins rigoureuse
pour les constructions derrière le front à rue (droit de construction, impôts) et des prix
de terrains moins élevés ont favorisé cette construction qui n'apparaît pas au regard du
passant de la rue. Les premières cours étaient assez larges et laissaient place à un jardinet
devant chaque maison. Assez rapidement il n'en fut plus question et il n'est pas rare de
voir les alignements de maisons séparés par un couloir sombre de moins de deux mètres
de largeur.

Il était difficile de parvenir à une densité aussi élevée. Si l'on établissait


les COS7 de ces secteurs, on atteindrait souvent des COS supérieurs à 1,5 et l'habitat
en cour est un habitat individuel ! On relève également que la qualité de la
construction ne s'est pas améliorée au cours du temps, des logements plus anciens ayant été
construits sur fondations alors que ceux construits postérieurement n'en ont pas bénéficié.
Cependant, compte tenu de la norme socialement admise à l'époque, les courées étaient
considérées comme satisfaisantes. L'assimilation faite en 1969 des courées aux
bidonvilles s'explique par l'évolution de la norme en matière de logements et par la fonction
jouée depuis lors par les courées sur le marché du logement roubaisien, identique à celle
remplie ailleurs par les bidonvilles, notamment quant à l'hébergement des travailleurs
immigrés.

7. Les coefficients d'occupation des sols dont l'établissement est prévu par la loi d'orientation foncière de 1967
sont fixés conformément aux plans d'occupation des sols pour toutes les agglomérations. Le COS exprime le rapport
de la surface de planchers construite sur une parcelle à la surface de la totalité de la parcelle.

252
Voilà rapidement explicitées les causes qui ont abouti à la constitution
de cet ensemble architectural souvent assez inextricable de maisons, de couloirs et autres
chemins que sont les "courées de Roubaix".

IV. 1930- 1957 : L'EVOLUTION DE LA PROPRIETE DES COUREES.

En 1918, une loi est votée qui décide le blocage des loyers. Cette loi aura
des conséquences importantes sur la construction durant tout l'entre-deux-guerres.
Propriétaires de maisons et employeurs ont en effet des intérêts opposés : ceux-ci ne veulent
pas accorder de salaires trop élevés et ceux-là veulent tirer les revenus les plus élevés de
leurs maisons dont les locataires sont précisément des salariés. La loi de 1918 tranche en
faveur des employeurs en ôtant une des raisons d'augmentation des salaires, à savoir
l'augmentation des loyers. Il fallait que la France puisse tenir son rang dans la
concurrence internationale et la révolution Russe de 1917 est là pour rappeler aux
parlementaires les exigences de la défense de la société libérale. Conséquence de ce blocage des
loyers les propriétaires vont de plus en plus délaisser l'entretien de ces immeubles qui
leur assurent, l'inflation aidant, des revenus de plus en plus faibles. Le revenu tiré de la
location de maisons en cour ne devient de plus en plus qu'un revenu d'appoint pour les
"propriétaires". Il faut noter cependant que, compte tenu du rendement (10-12%),
le capital investi est depuis longtemps amorti.
Durant l'entre-deux-guerres, et même après la dernière guerre, la
population de Roubaix et de Tourcoing ne connaît plus la grande expansion industrielle et
démographique du XIXe siècle.
Ces raisons conjuguées expliquent à la fois l'arrêt de la construction de
logements ouvriers par des particuliers à Roubaix (comme dans beaucoup d'autres
agglomérations d'ailleurs) et l'entretien de plus en plus réduit des maisons par leurs
propriétaires. Quelques rares cours sont encore construites : J. Prouvost note que la toute
dernière fut construite en 1934. Malgré les efforts faits pour la relance de la
construction par les petits propriétaires et la création en 1943 à Roubaix-Tourcoing de l'alloca-
tion-logement dont l'objectif était de permettre des loyers plus élevés, on peut dire que
c'en est fini de la construction de logements ouvriers par des particuliers. Ce phénomène
n'est pas propre à Roubaix : l'Etat a pris le relais.

Quelques entreprises textiles mais aussi leur organisation, le Consortium,


vont créer quelques sociétés d'HLM, mais celles-ci ne mettent pas en oeuvre de gros
programmes de construction. En effet, l'aide de l'Etat n'est que partielle et elle
implique que le propriétaire contribue largement au coût de la construction. La création du
1% en 1943 pour la construction de logements (qui atteindra même 2% à
Roubaix-Tourcoing durant quelques années) sera le point de départ d'une nouvelle phase de
construction de logements sociaux à Roubaix-Tourcoing : au sud de Roubaix (le "Nouveau
Roubaix) comme au nord de Tourcoing et dans les communes limitrophes (Wattrelos, Hem,
etc.). Ce sera essentiellement l'oeuvre des sociétés d'HLM sous égide du C.I.L..
Dans l'entre-deux-guerres, la municipalité de Roubaix (comme celles de
Tourcoing et de Lille) utilisera l'outil nouveau des offices d'HLM. Elle construira au
Nouveau Roubaix un ensemble de collectifs d'HLM. Cette réalisation de l'OM HLM
traduit la ligne politique de la municipalité socialiste de Roubaix d'alors, qui était de

253
donner aux populations ouvrières de Roubaix des moyens d'échapper à l'emprise du
patronat textile, tout puissant dans l'agglomération. Il est vrai également que cette
politique permet également au patronat de ne pas s'engager dans une action coûteuse de
production de logements.

La construction des courées est donc terminée. Comment évolue la


structure de la petite propriété immobilière devant cette période ? La taille moyenne des
patrimoines immobiliers diminue sensiblement, y compris celui des propriétaires ne
résidant pas dans le secteur. Le nombre moyen de maisons par propriétaire non résident
demeure supérieur à celui des propriétaires résidents. Il y a de plus en plus de
propriétaires donc et le nombre de très petits propriétaires (1 maisons, 2 au plus) augmente de
façon sensible.

Nombre moyen de maisons par propriétaire

Total des propriétaires Dont proprié. Non Résidents!

884 : 1930 : 1957 1884 1930 1957 !

! Epeule 2,7 1,7 3,5 3,1 1,9 !

! Homme let 8,1 2,6 10,2 5,8 3,6

! Longues Ha 8,1 5,4 Z1 ,OQ 7,4 3,9 !

La part des maisons occupées par leurs propriétaires n'est toujours pas
très importante, mais elle augmente régulièrement.

254
Maisons occupées par leur propriétaire (en %)

1884 1930 1957 !

! Kpeule 8,1 14,5 33,0 !

! Homme let 4,4 3,7 • 17,2 !

! -Longues Haies 7,8 15,4 !

Cependant la concentration de la propriété augmente. Ce fait parait


paradoxal à première vue. Il s'explique pourtant aisément : la taille des grosses propriétés
(nous avons vu ce que ce qualificatif avait de relatif) n'augmente généralement pas, elle
tend plutôt à diminuer. Toutefois cette diminution du nombre de gros propriétaires,
dues aux liquidations de patrimoine ou aux partages successoraux, n'est pas aussi rapide
que l'augmentation du nombre de petits propriétaires. La concentration est donc plus
importante, mais le fait essentiel reste cette augmentation du nombre de petits
propriétaires.
"rentiers" diminue,
Qui sont
tant ces
en propriétaires8
ce qui concerne? leur
On remarque
nombre qu'en
tout ce
d'abord
qui concerne
que le poids
surtout
des
le nombre de maisons qu'ils possèdent dans les secteurs étudiés. Certes il continue d'y
avoir des "rentiers" mais de plus en plus ceux-ci ne font plus profession de
"propriétaires" et sont des gens qui ont reçu des lots de maisons en héritage. Les "propriétaires"
habitent maintenant Paris, Toulouse ou Nice.

Des propriétaires ont confié à une Commission pour l'Amélioration de


l'Habitat (C.A.H.) la gestion de leur patrimoine de maisons en cours. Cet organisme
fondé par des hommes proches du C.I.L. (en particulier I. Mulliez qui deviendra
président du C.I.L. de Roubaix-Tourcoing par la suite) assure le rôle des receveurs de rentes,
mais surtout il s'est donné pour objectif essentiel la remise en état du patrimoine de
logements de Roubaix. D s'agit par là, en même temps que d'améliorer les conditions
de logement des habitants, de revaloriser le capital immobilier des propriétaires.

8. Il faut noter que malheureusement les documents utilisés, à savoir les matrices cadastrales, sont de moins en moins
précis en ce qui concerne la profession des propriétaires. On évitera donc d'être trop affirmatif ici.
Nous n'avons retenu que les traits de l'évolution qui ne pouvaient pas faire de doute et pour lesquels nous avions
d'autres moyens de vérification.

255
La documentation de l'époque 1950 est suffisamment explicite à ce sujet. Créé un
peu plus tard, le PACT, organisme d'action bénévole, assure la réfection des logements
(les deux organismes fusionneront en 1960). Très rapidement le PACT se porte acquéreur
de maisons isolées ou de cours entières dont les propriétaires veulent se débarrasser. Après
réfection, ces maisons peuvent alors être louées à un loyer "normal".
Il apparaît également que des entreprises achètent des cours. C'est vrai
notamment pour le secteur de l'Hommelet. Si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit
que les entreprises ont racheté des maisons à proximité immédiate de leurs usines. Cette
orientation se comprend donc dans une logique foncière : c'est surtout en vue d'une
extension probable de leurs bâtiments d'usines que les entreprises rachètent des maisons en
cours. On observe d'ailleurs souvent que ces maisons sont destinées à terme à être
détruites. La meilleure preuve de cette logique foncière est qu'à la même époque, les
entreprises qui possédaient des logements ici ou là dans Roubaix, liquident leur patrimoine.
Le développement de la construction par le CIL rend inutile et coûteuse aux entreprises
la propriété de logements d'entreprise et ce d'autant plus que ceux-ci sont souvent
occupés par des habitants ne faisant plus partie du personnel de l'usine et qu'on n'ose pas
expulser.

De plus en plus, et cela va de pair avec l'augmentation de la très petite


propriété, des ouvriers ou des employés deviennent propriétaires de maisons dans les
secteurs étudiés. Parmi les propriétaires dont on connaît la profession, les catégories
regroupées des employés et ouvriers regroupent, en 1957, 34% des propriétaires à l'E-
peule, 50% à l'Hommelet et 29% aux Longues Haies. Une meilleure connaissance des
professions des propriétaires permettrait vraisemblablement d'augmenter ces chiffres. On
observe également le rachat de maisons par des étrangers de plus en plus nombreux et la
création de garnis, notamment dans la rue des Longues Haies. La population étrangère
résidente augmente dans ces secteurs, surtout dans les années 50. La réputation qui lui
est faite (ne va-t-on pas jusqu'à parler du "Douar Anseele") dépasse cependant la réalité.

La rénovation urbaine du secteur E. Anseele changera la population


résidente. Beaucoup des anciens habitants du secteur, locataires et propriétaires, seront
relégués dans des ensembles périphériques ou se transporteront dans les autres secteurs de
Roubaix. La rénovation change la population, elle change aussi la structure spatiale du
secteur : finie cette étroite imbrication ; de nouvelles rues sont tracées, le nouveau
quartier ne ressemble en rien à l'ancien. C'est aussi toute une catégorie de propriétaires qui
disparaît : la rénovation urbaine consacre une évolution que nous avons relevée : l'Etat
et le secteur HLM relaient les petits propriétaires. Après une période de coexistence et
de complémentarité, le "logement social" se substitue à la "courée". Mais l'opération
E. Anseele ne sera suivie d'aucune autre, les projets concernant le quartier de l' Aima-
Gare seront ajournés. Les courées de Roubaix existent encore en 1969, elles existent
encore aujourd'hui.

V. L' EPOQUE ACTUELLE : Les courées devant la résorption de l'habitat insalubre.

Depuis novembre 1969, un organisme a été mis en place à l'initiative du


CIL, qui regroupe les collectivités locales et les organismes promoteurs et constructeurs

256
de logements sociaux, pour la destruction des courées : TORSUCOMN. La compétence
de l'ORSUCOMN est fixée par la loi de juillet 70, dite loi Vivien.
Il nous est apparu intéressant, dans la ligne de cette étude et dans le cadre
plus général d'une étude sur la restructuration urbaine de Roubaix9 de tenter de définir
la population des propriétaires des maisons en courées concernées par les opérations de
résorption de l'habitat insalubre qui vient bouleverser la structure de propriété existante.
Il apparaît très vite que des changements importants sont survenus dans les années 60
et que le rythme de l'évolution s'est accéléré.
Notre but dans cette dernière partie est de définir de façon exhaustive la
population des propriétaires de courées détruites ou à détruire dans les opérations 1970
à 1974. Notre recensement atteint presque l'exhaustivité puisqu'il concerne 16 des 20
opérations de résorption d'habitat insalubre à Roubaix ainsi que le premier secteur de
résorption du quartier Aima-Gare, opération en cours et de loin la plus importante.
1.586 maisons sur 1.807 sont ainsi concernées ainsi que les 734 maisons du secteur Aima-
Gare (délimité par les rues de France, de l'Aima, de Fontenoy, de Cassel et des Anges).

La plupart des propriétaires sont de très petits propriétaires : 84,8%


d'entre eux ne possèdent qu'une seule maison, 92,5% en ont deux au plus. Le nombre
moyen de maisons par propriétaire est de 1 ,9. Le tiers des maisons sont occupées par
leur propriétaire.
La propriété d'une maison en cour n'a plus la même signification que lors
de la construction des courées : il ne s'agit plus d'une propriété de rapport mais bien
d'une propriété de résidents. La population des propriétaires est de plus en plus composée
de personnes âgées ne pouvant envisager l'accession à un autre type de logement ou
d'ouvriers, souvent étrangers. Le faible niveau des prix des maisons en cour, tout autant
que l'importance accordée à la propriété, le faible niveau d'exigences de certaines
populations en matière de logement, et surtout l'impossibilité pour ces populations
d'accéder à un logement "social" étant donné la grande faiblesse de leurs revenus, fait que l'on
peut parler d'une propriété-refuge. La propriété d'une maison en cour est devenue pour
certaines populations le seul moyen de trouver un logement. D'ailleurs les propriétaires
se distinguent peu de leurs voisins locataires.

On a beaucoup parlé des étrangers qui achetaient des maisons pour en


tirer un rapport en y logeant des compatriotes. Il faut constater que ces cas sont rares et
qu'en tout état de cause, il ne peut s'agir que de propriétaires de 3 ou 4 maisons au plus.
Il reste quelques propriétés relativement importantes, qui n'ont pas encore été dispersées,
elles apparaissent nettement dans quelques petites opérations : cour Desrousseaux (33
maisons dont 3 1 au même propriétaire), Fort Loridan (70 maisons dont 49 à deux frères
qui les ont obtenues d'une même succession) ; elles apparaissent également dans les
opérations plus importantes comme Paix où une famille possède 60 maisons (sur 258). On
s'aperçoit d'ailleurs que ces quelques "gros propriétaires" avaient commencé à réaliser
leur patrimoine.
Il n'en est pas ainsi pour les deux gros propriétaires que sont la société

9. "Transformations économiques, évolution des rapports politiques et restructuration urbaine : Roubaix 1960 -
1975", Etude financée par la D.G.R.S.T., C. A. D., 1975. , -

257
anonyme d'H.L.M., le Toit Familial, société créée par le C.I.L. qui a racheté la totalité
du Fort Frasez, en a détruit une partie et a restauré le reste des maisons, (au total
actuellement 1 50 maisons), et le P.A.C.T. qui a racheté ici et là des maisons, parfois des
cours entières comme la cour Masurel dans le secteur de l'Alma-Gare (une soixantaine
de maisons) et qui possède dans tous les secteurs de résorption étudiés ici 122 maisons.
Les deux plus gros propriétaires de logements considérés comme insalubres sont donc une
société d'H.L.M. et le P.A.C.T.. Dans le seul secteur de l'Alma-Gare, ces deux
propriétaires totalisent plus de 30% des maisons. Le P.A.C.T. possède à lui seul 5% des maisons
détruites ou en voie de l'être dans les opérations de résorption de l'habitat insalubre à
Roubaix. Il avait également restauré et assurait la gestion de plusieurs centaines d'autres
logements appartenant à des propriétaires privés.
Aux receveurs de rentes ont succédé les agents immobiliers qui, outre
qu'ils ont pour charge la perception des loyers et le léger entretien des maisons, jouent un
rôle très important dans les transactions immobilières sur les maisons en cour.
L'obligation faite aux immigrants de trouver un logement avant de faire venir leurs familles a
favorisé leur accession à la propriété de maisons en cour. Attirés par les possibilités de
crédit et de prêt offertes par les agents immobiliers, pour eux c'était souvent le seul
moyen de trouver un logement dans des délais brefs. Il y a eu et il y a encore un marché
très important pour les maisons en cour, les gros propriétaires préférant vendre leur
patrimoine, depuis longtemps amorti.

Beaucoup de propriétaires ont acheté leur maison depuis peu. Il y a bien


sûr des différences suivant les secteurs, mais à titre d'exemple, pour un secteur de
résorption important, sur 79 propriétaires répertoriés avec suffisamment de précision, 50 sont
propriétaires depuis moins de 10 ans et beaucoup d'entre eux depuis moins de temps
encore. De plus, certaines maisons changent très souvent de propriétaire. Ainsi on
constate que pour les maisons de ce même secteur, bon nombre d'entre elles ont changé de
mains 2, 3 ou même 4 fois en 10 ans.

VI. CONCLUSION.

La structure de la propriété dans les quartiers de courées est donc bien


différente actuellement de ce qu'elle était à la fin du XIXe siècle. Notre réflexion a bien
porté sur des flots de courées, elle concerne également les maisons en rue qui délimitent
les flots. Certaines différences existent (qualité architecturale, population résidente)
mais sont secondaires (le front à rue connaît la même évolution que la cour). Et puis
notre délimitation rejoint une situation de fait : les opérations de résorption comme
celles de rénovation urbaine ne font pas la différence : c'est tout le secteur qui est rasé :
maisons en rue comme maisons en cour, maisons salubres comme maisons insalubres.

La rénovation urbaine comme la résorption de l'habitat insalubre, en


détruisant les maisons, supprime aussi cette structure de propriété. La loi de juillet 70
sur l'habitat insalubre est en ce sens plus efficace que la loi de décembre 58 sur la
rénovation urbaine ; en même temps elle met en place des procédures de relogement plus
élaborées car il s'avérait que les difficultés de relogement étaient un obstacle à la rénovation
urbaine ; l'outil s'est donc perfectionné.

258
ii y a un certain constaste entre le caractère approximatif de la
définition de l'insalubrité (malgré une batterie de critères très élaborée), son caractère très
évolutif (rappelons que les maisons restaurées par le PACT sont considérées comme
insalubres) et le caractère impératif des mesures qui découlent de la déclaration d'insalubrité.
Nous ne nierons certes pas que les conditions de logement des populations vivant dans
les cours sont mauvaises mais l'analyse se doit de dépasser cette constatation.
De plus, la loi de juillet 70 comporte un aspect répressif : il s'agit de
sanctionner les propriétaires de logements insalubres qui s'assurent de solides revenus en
logeant des locataires dans des maisons déjà amorties et avec des charges très légères
d'entretien. Or, force est de constater que ces propriétaires ne représentent, à Roubaix
tout au moins, qu'une part peu importante dans la population des propriétaires : il y a
les propriétaires de garnis pour travailleurs étrangers célibataires, il y a les propriétaires
qui tirent un revenu "abusif" de leur maison (on atteint parfois des rendements annuels
de 30, 50 et même 100%). Cette catégorie de propriétaires exploiteurs existe bien, mais
la focalisation sur cette catégorie ne rend pas compte de la réalité.

Les lois sur la rénovation urbaine et la résorption de l'habitat insalubre


suppriment le morcellement de la propriété immobilière et foncière. L'opération E. An-
seele a rendu le terrain (si l'on ne compte pas les équipements publics et le centre
commercial) à trois promoteurs : l'O.M.H.L.M., le C.I.L. de Roubaix-Tourcoing et la S.C.I.C..
Les opérations de résorption de l'habitat insalubre à Roubaix ont restitué les terrains à
deux promoteurs de logements sociaux : le C.I.L. et l'O.M.H.L.M.. La Communauté
Urbaine de Lille reprend les réserves foncières et les espaces destinés à recevoir des
équipements. Il y a donc, même dans le cas de la résorption de l'habitat insalubre dont les
opérations sont dispersées, une restructuration sur le plan de la propriété foncière.
Les lois de rénovation urbaine et de résorption de l'habitat insalubre ne
font qu'accélérer la disparition des petits propriétaires rentiers. Elles interviennent au
moment où le processus est déjà largement engagé et où les propriétaires sont remplacés
peu à peu par des populations à faible capacité de résistance et d'organisation (personnes
âgées, étrangers). Il est certain que ces petits propriétaires (avec leur faible capital,
souvent quelques milliers de francs) ne peuvent retrouver la propriété d'un autre logement1 °.

Cette évolution doit être ramenée aux caractéristiques propres à Roubaix.


Il se fait que dans cette commune la rénovation urbaine laisse place à des "logements
sociaux". Ceci distingue Roubaix de Paris et même de Lille. La rénovation urbaine est,
elle aussi, marquée par les caractéristiques essentielles de Roubaix qui reste une ville
industrielle (où le textile est toujours dominant) et ouvrière. Les discours idéalistes sur le
thème du nouveau visage de Roubaix ne changeront rien à cette réalité.

Didier Cornuel
Bruno Duriez

10. C'est l'une des constatations de l'étude du CREGE, Le Devenir Social des personnes relogées, 1973.

259

You might also like