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La création des identités nationales Pon Con Anne-Marie Thiesse Les idées nationales ne sont pas des faits de nature batj Stes err ereenepere La création tuent une identité nationale sont aujourd'hui clatre- di é Se ee des identités ‘héros, une langue, des monuments, des paysages et un 7 ides teenies eouiee ie nationales Europe xviut-xixt sidcle transnationaux dlidées et de savoir-faire ont créé des identites toutes specifiques, mais similaires dans leur difference. De invention des épopées barbares a la conception des musées d'ethnographie, de Vélaboration des langues nationales & celle des paysages emblématiques ou des costumes typiques, cet ouvrage retrace la fabrication culturelle des nations européenes. Lecon de l'histoire quil semble de premiére importance de retenir pour TUnion européenne. ‘Anne-Marie Thiesse Ancienne éleve de Ecole normale supérieure, elle est directeur de recherche au CNRS. Coen PW a, Com hanna lh | Sra eae 414067" esate ath mmae tlk et 7906 | . A @ seve Mane THresse La création des identités nationales Il) 91782020 a La création des identités nationales ‘Du méme auteur LaPlaine et Ia Route Méawoire ppalsice du Voxn frangais tapas de France {en collaboration avec Mickel Bozon) Fondation Royaunont, 1982 Le Roman du quotidien Lecteurs et lectures populsize a Belle Epoque ‘Chemin vert, 1984 ; Seuil,« Poims Histoire», n° 277, 2000 La Tere promue Gens du pays ct nouveaux abitants ans ls villages du Valois (en collaboration avec Michel Boron) Fondation Reyaumont, 1986 ‘Bevire la France Le mouvement linéraire efgionaliste {ela Belle Epoque tla Libation PUF, 1991 Ils apprenaient la France ‘Lexatation des régions dans le dscoors patrioigque Maison des sciences de "homme, 1997 Faire les Frangais Quelle ideas nationale? ‘Stock, «Parti pris, 2010 Anne-Marie Thiesse La création des identités - nationales Europe Xvillt-xx° siécle Editions du Seuil COLLECTION « PORES HISTONE» sony 978-2.02-091406-7 (san 2-02-034247-2, 1 publication) © Feitions du Seu, mars 1999, etobre 2001, ‘pour la bibligraphte mise jour acute pine lace grrau elli ain a ett amet re enc irae no ‘aches pro aee €80-2 ono Cate el pp ec Pour Donatien, Florent, Romain et Emmy, aavenir ewopéen. REMERCIEMENTS Je tiens 2 exprimer ma gratitude & la Fondation Alexander- vyor-Humbotdt gui m’a permis de mener dant les meilleures conditions des recherches iI univers de TUbingen. Te remere tie les membres du Ladwig-Unland Institut, dirige parle profes- seur Bausinger, pour l'aide qu'ils mont apporés durant mon jour Le prot de ce livre est issu do ees Schangesinteratio= naox. Ma reconnaissance va également A tous ceux qui ont contribu, par leurs informations et leurs consvils, 8 ee tava Reka Albert, Guy Barbichon, Catherine Bertho Laveniz, Fabri= igazzi, Gudleiv Bo, Dominique Duria, Michel Espagne, Daniel Fabre, Afrnio Garcia, Stéphane Gerson, Mii Gheerghit, “Tams Hofer, Hans-Uirich Jost, Guy Latry, lean Loewy, Daniel Maggett, Francis Maguet, Vera Mark, Philippe Martel, Jerome ‘Meizoz, Svela Moussakova, Peter Niedermiller, Ruben Oliven, ‘Monique Pavilion, Louis Pino, Birkel Plattner, Robert Sayre, Danitle Schmidt, Anne-Lise Seipp, Anne Tricatd, Dany Tram, Michael Werner, Que Michel Bouchaud soit remercié pour ses lectures eri- tiques du manusert et Florent Bozoa pour son aide matsriele ‘Cet ouyrage aéé acheveé dans la quire du Vieux Palais "Espa lion: j'en sais gréB I'Association qui eure la renaissance oe cette demeure historique. LEnrope des nations 1 eat peut-ire regretable au point de voe pratique que a population de Europe ne sit ps tne comme race, langue et aspirations; Tepe Tes pase es groupes cifferen= is qui y subsistent ne semblentcisposts i Tes uns es aut 4 sasilrrétproque= ‘ment nl capables de 'aneantir jamais dues Teacind!un seul dente eux ‘AnKoLD VAN Gane, Trltécomparaif des nationalts, Pas, Paya, 1922p. 24 Rien de plus international que 1a formation des identités aationales. Le paradoxe est de taille puisque Pieréductible singulavté de chaque idontité nationale a Gt le prétexte da frontements sanglants. Elles sont bien pourtant issues da ‘méme modéle, dont Ia mise au point s’esteffectuée dans le cadre d’intenses échanges internationaux, Les nations modernes ont été construtes autrement que ne le racontent leurs histoizesoffcilles. Leurs origines nese per- dent pas dans In nuit des temps, dans ces Ages obscurs et hnérozques que décrivent les premiors chapitres des histoires nationales, Le lente constitution de territoires au hasard des conquétes et des alliances n'est pas non plus gentse des nations: elle n'est que histoire rumultueuse de principautés ‘ou de royaumes. La véritable nissance d'une nation, c'est le ‘moment od une poignée d’individus déclare qu'elle existe et ‘entreprend de le prouver. Les premiers exemples ne sont pas aniérieurs au xvi sitele: pas de nation au sens modeme, c'esta-dire politique, avant cete date, Lidée, de fait, sinscrt dans une révolution idéologique. La nation est congue comme 2 La Création des identiés nationales une communauté Targe, unie par des liens qui ne sent ni la Sujétion a un méme souversin ni 'appartenance & une méme religion ou 4 un méme éiat social, Elle n'est pas déterminge par le monarque, son existence est indépendante des aléas de Pistoire dymastique ou militaire. La nation ressemble fort Peuile de Ia philosophie politique, ce Peuple qui, selon les théoriciens du contrat social, peut seul conférer la légiimité ‘du pouvoir. Mais elle est plus que cela. Le Peuple est une abs- traction, la nation est vivante. ‘Mais de quoi est faite la nation ? On connatt bien Ia défini- tion de Renan: «L'existence d'une nation est un plebiscite de tous les jours’. » Cette formule est souvent invoguée pour fcerédite a thise d'une conception spécifiquement francaise, hnon organique, de la nation, On omet généralement de citer Jes préalables, qui répondent implictement& la question essen- tielle, savoir pourquoi les Auvergnats et Jes Normands sont tous appelés & participer au plébiscite de la nation frangaise, ais non point les Lettons ov les Andalous. Ce qui fait la nation, selon Renan, «e"est un tiche legs de souvenics», ‘comme |'individy c'est 'aboutissant ’un long passé def forts, de sacrifices et de dévouements ». t Renan de préciser «Le cule des anctires est de tous le plus Iépitime jes ancétres ‘nous ont fits c= que nous sommes. » L'objet du plebiscite, en fait, est un héritage, syrobolique et matériel. Appartenir 8 la nation, c'est éte un des heriters de ce patrimoine commun et indivisible, le connattre et le révérer. Les batisscurs de nation, par toute l'Europe, n'ont cessé de le répéter. ‘Tout le processus de formation identitaire a consisté & ‘déterminer le patrimoine de chaque nation et ben diffuser le ‘alte, La premiere étape de |’ opération allt pas de 60: les fncétes navaient pas rédips de testament indiquant ce qu'il soubaitaient transmettre leurs descendants ei éaiten outre inécesssire de choisir parmi les ancétres ceux qui étaient rete- 1. Emest Renan, « Qu'est-ce qu'une nation», conférence faite en Sortonne le It mnre 1889, premre pblietion Bulletin hebdoma- ‘aire, Assocation sions do Fre, 26 mare 1882; dans Guores Complies, Bari, Calmenn-Lévy, 1947 (dion éuablie par Henrete Palchar, ome I setion « Discours et conférence. Europe des nations B ‘nus comme donateurs, voire de trouver dhypothétiques ascen que le pus Imminent compres ere te ton eco sl pour une rmonie ouverte ax Je ga Pique, ls festivitsaccompegnaat la visite d'un chef d'Eaat Etunges iconographic pole e mone, ou a publicé toonnique Tanaton non postu tune invention Mais ellone vitque par Pahesion collective cette fiction, Les elas voc sont eon Ls succs sont les ius an prosy- me ster qi ensigne aux individ ce o's Sot eur frtGovoirdes'yconfoameret ler nce peopager le tour esol esti Le ene cng pon oe fonguil ete paiement ison a peslblene Fee elgae alo au poi ure peasogi tf Tesla bsevalions nts sures experiences mendes Aan dsutes nations et transposte long eles sembiiet efits, Quand ls responsable de Fastcton publique Sanat esimerent que Tinsifueur allemand, pus ve le het Tear majo ava ircmphe 4 Sadowa, is concarent 3 ‘Furpanee une analyse de ensignemenr uve Rh post Europe des nations 1s adapter’ Ja France. Fs les organisateurs 6 fStospariotiques| cou les fondateurs d’associations dévolues la eélébration du patrimoine invoqutrent fréquemment les réalisations étren- séres en Ia matiée poor souligner Ia nécessité et a valeur de leur entreprise “ant déchanges rosé indiquent bien que la constuction {detizire nationale n'a pas été associée A une forme de go0- vvemement précise. La Revolution frangaise a donné la nation une souveranetéabsolue et fait de la République son ‘expression politique. Mais dans le plupat des eas Ia nation Smergente est parvenus & existence étatgue dans un cadre ‘monarchique : quand les apporis de forees interes ef inter haonaux excusient une orgeaisation de ype publican, ta Us éablirune sorte de compromis historique qui maintensit bu installa un oj ou un empereur. Le monarque apparassait Ges lors non comme le descendant dune dynastic qu impo- serait son pouvoir a ds sujts mals comme le représetant par ‘excellence de la nation. A charge pour li de s investi dant ‘ate fonction et de prodiguer tous les signes de son apparte- nance Ta communauté nationale. La «nationalisation» des -monarques 8 partir du XIX sible est lageante dans les icono- ‘graphs officieles et organisation des eéeémonies qu ins ‘vent Ia personne du souversin au sein do la symmbolique identtaire: Les descendants de la germanigue maison de Hanovre ont méme été amments, sous lo coup de lexacerba- tion natonaise engeodré pala Premiare Guerre mondiale, Attroquer leur nom dynastique pour celui de Windsor, 3 la consonance indabitablement britannique. Les régimes es plus {nternationalists, selon leur idéologie officielle, ont ausst sbondamment mis en scene la symbolique nationale es repu- bliques socialistes d'Europe centrale et orientale ont inten- sément pratigué le «folkiorisme d’Ftat». La Roumanie de Ceaugesou a poussé& ses limites le cute dee grands ancéres daces et la celebration de Ime nationale. La formation des nations est lige & la modemité éoono- mique et sociale. Elle accompagne Ia transformation des ‘modes de production, 1'élargissement des marchés, "intensi- fication des échanges commerciaux. Elle est contemporaine 16 La Création des identités nationales de V'apparition de nouveaux groupes sociaux. Le volonta- risme conscient et militant a I'cevre dans les élaborations ideatitaizes montre bien cependant qu’elles ne sont pas Ta conséquence spontanée de bouleversements dont elles sont indispensable corollare. Un espace économique n’en- sgendre pas ipso facto un sentiment d’identité commune parmi les individus qui y participent. ‘Au demeurant, ids méme de nation semble «priori aller a rebours de toute prise en compte de Ia moderité, puisque ‘son principe repose sur le primat d'une communauté a-tem- porelle dont toute la égtimitéréside dans la préservation d’un héritage, Mais c'est sans doute parce qu'elle eleve du conser- vvatisme le plus absolu, le moins contingent, que la nation s'avere une cetégorie politique éminemment apte& supporter TPévolution des rapports économiques et sociaux. Tout peut changer, hormis la nation elle est le r6férent rassurant qui permet Paffirmation d'une continuité en dépit de toutes les Itations, Le culte de la tradition, fa o6l6bration du pati- ‘moine ancestral ont été un efficace contrepoids permettant aux sociétés occidentales d'effectuer des mutations radicales sans basculement dans l'anomie. La nation, parce qu'elle instaure tne frateritélsique et par conséquent une solidarté de prin- cipe entre les héritiers du mEme legs indivis, affine Vexis- tence d'un intézttcollectf. Elle est un idéal et une instance protectrice, donnée pour supérieure aux solidarités résultnt ‘S'autres identités: de génération, de sexe, de religion, de sta- tut social. Le nationalisme intégral, qui définit individu par sa seule appartenance nationale, déclareillégitimes les grou- ements, partis, syndicatsfondés sur d'autres référents. Iles Tustige comme antinationaux et dénonce en leurs responsables des individus extérieurs a la communauté nationale qui omenteraient en fit sa peste. Mais, aT'exception de ce natio- nalisme d’exclusion, ls formations politiques ou idéologiques Giablssent généralement des relations complexes entre Iden tité nationale et les autres déterminations identiaies. L’exis tence d'un héritage commun, mythe nécessaire fait rarement objet dune mise en cause : c'est sa composition qui varie selon les options politiques et dans Ie temps. Les conflits peu- ‘vent de co fait se traduire par des controverses sur la compo- sition du patrimoine, des ajouts ou des retrancherrents dans L-Ewropeé des nations 7 cet ensemble éminemment plastique. Des ossements blanchis depuis dés dévennies ou des sigcles entrent au Panthéon sous le coup d’un changement de majorté paclementaire qui tes ppromeut brusquement cn reliques symboliques du genie de la patric. Mais les grands hommes promis &I'étemité nationale [peuvent aussi mourir une seconde fois, d’aubli,et éventuel- lement renaftre Ia faveur dune nouvelle conjoneture poli tique, L’exégdse sur tel ou tel élément de la liste identitaire, sur son authentcité, sur ses connotations exprimées en termes ‘contemporains, est une des formes les plus banales du dbat déologique modeme. La France des années 1990 a retraduit certains de ses conflits dactualité en affrontements sur la signification de divers personnages de sa galerie de héros. On pourait crore pourant que la térence au patrimoine identitaze, dans les nations aujourdhotsliementetblics, ést plu deste et propice surtout aux ju de a dstanca” tion et de la déision, De fait, la France des années gal Beane a fut age suecbs Astéri uiouaitdu contigs 4Tanachronismeen projets «nos ances les Gauls» In'e checklist» identaie nationale, Comme les tourists frangais de 'épogue, les deux heros de la bende dessinge franhizentensite les fone, les concepteurs dela série appliquent lemme procédé ax Tres, aun Germans et ane Grands-Breton. La cariatue,douce ow acere, indique pas cependant abandon de a rférence identi oujous Sousjaceate elle peut rovenit sur le mode setievn, vote effet sors elation semble confronce un avene Insti Le i Les Paice de Sues a isomer as en std les ¢preues par lsquclles valent paser des andidats& Ta ctoyermetéhelvéique :sounis& vn examce conte obi ear alla nonet que connassient pr ersément i iste des emblemes de I Confederation, depuis Insrie des sommes spins avec ler slitide au mbe pees jusqutaix anecdotes histories ils alent en oute temas de Drouver qu'il éatentdevents de vas Suisse, amaturs de Rest, aeptes du propresen ore et peu pores bur les mani 3. Die Schuetzermacher (Les Foleurs de Suisss), comédie de Rolf Lisy, Suse, 1978 18 La Création des idemttés nationales festations syndicales de ue. Le ton était clairement satirique, fistigeent l'arrération de la Conféiération puisque les Etats- ‘nations modemes sont censés Etre parvenus & une matuité politique qui définit le droit la citoyenneté sur d’autres cri- {Eres que les pratiques culinaires, les usages vestimentares, Ie décoration du logis par des chromos du paysage national fou le soutien A une équipe sportive. La réalité est moins simple. Un pays de forte immigration comme la France a Tongtemps aecordé la naturaisation sans faire de la recon- raissance du patrimoine national une condition préalable : mais elle était supposée venir «naturellement» aux now- ‘eaux ressortissants ~ en tout cas leurs enfants. Les débats tctuels qui mettent en avant la notion dintégration engagent [a question essentielle en l'esquivant: dans quoi précisément les étrangers vivant sur le sol national doivent-ils s‘intégrex, et quelles sont les preuves tangibles qu'ils doivent fourir de Teut volonté et de leur capacité& le faire? On voit bien que Penjeu n'est pas seulement I'adhésion des immigrés aux lois fondamentales de Eat ‘Lrexacerbation actuelle des interrogations sur les ident rationales et leur préservation dans l'Europe contemporaine tient sans doute moins la présence d'une mained’ auvre @origine étangére qo’A un constat: les nouvelles formes {e la vie économique exigent la constitution d’ensembles plus vastes que les Btats-nations. Or entitésupranationale de Union européenne devient un espace juridique, économique, financier, poliier, monétaire: oe n'est pas un espace ideati- taire, Lui fait défaut tout ce patrimoine symbolique par quoi Tes nations ont su proposer aux individus un intéét collectif, tune fraternité, une protection. Le repli sur les identitésnalio- rales comme refuges est somme toute comprehensible. euro re fait pas un idéal Et si les Peres de Europe Vavaient insti tuée en oubliant de la construire? PREMIERE PARTIE IDENTIFICATION DES ANCETRES ‘Le paysn ext one, on peut ainsi ire, el histrien oi nods reste des temps anthistorques : Gaoxa8 Si, Avan popos ds Légenes rain. ‘Tout acte de naissance étublit une filiation. La vie des nations européennes commence avec la désignation de leurs ancétres. Et la proclamation Pune découverte: il existe un chemin d’accts aux origines, qui permet de retrouver les aleox fondateurs et de recueilli leur legs précieux. Le Peuple, par sa primitivité, est un vivant fossle qui garde jusqu’au cacur de In modemité Iesprit des grands ancétzes. Plonger dans les profondeurs de histoire, c'est aller retrouver dans Je bas social les reliques enfouies du legs des pares. LA ob Von n’avait vu qu'absence de culture, Ib est sitéjustement le conservatcire de la culture premisre. La démarche archéo- logique prend forme ethnographique. La construction des nations, & partir du xvi sic, est dabord faite dexpéati- tions rustiques. Des explorateurs pastent travers champs et vallées, 2 la recherche des vestiges les moins altécs du legs originel. Cette quéte du Graal national est toujours placée sous Ie signe de 'urgence : les traditions sont délaissées, le passage vers la Terre des Héros va se refermer pour tou jours, Mais au fil du temps et des investigations le wésor ne vvacesser de senrichir. Sila pérennité de la nation réside dans le Peuple, le prince n'est qu’avatar historique ou usurpateur. Cette subversion {déologique de la légitimité prépare une évolution ~ et quel- ‘ques révolutions ~ politique. Elle va de pair avec un change: ‘ment esthétique non moins radial : pour une nouvelle cancep- tion du monde, il faut des modes de représentations newts, Lhinvention des nations coincide avec une intense exéation de enres littérnres ov atistiques et de formes d’expression, Le retour aux origines est en fait euvre d'avant-garde ccuaprrae 1 Révolution esthétique A partir du milion du xvur® stele, la nécessté de redéfinir les rapports entre Puniversel et le particulier ~ préslable indispensable & a construction des nations — induit une muata- tion de la Iégtimitéculrurelle. Son centre de gravité fit objet un triple déplacement: historique, géographique et social ‘AT’Antiquité gréco-romaine sont Substitués les ges bar- bares, au monde méditerranéen|'Europe du Nord, aux salons de I'élite raffinge les chaumitres rustiques. Une nouvelle théorie de la culture est formulée, qui permer de poser le national comme principe exéateur de la modemité. Lllade ealédonienne En 1758, un jeune homme piuvreet ambition ene comme précopeir dts one fale Eaimbourg. A vingt- deux ans ce fis do fermirécossais publi quelaicspoémes hil ont valu estime des itrstoure Aberdesn, aspire Bite poe plas vase Il ne se doute pes que son uve va enthoasiasmer Europe entire: mais sous tn mre nom que Ie sion La famille gut ongags james Macpherson a des rl tions parm les hommes de ltrs éeossis en vue. L'un deux {eteroge le préceptcursrles tradition orales des Highlands of Iai demand de reduireen anglais quelques lgondes pad 1. Pour la petsentation de 'euvre de Macpherson, nous nous séféions Pall Désiré Van Thleghom, Ossian en Prance, Peis, Rieder, 1917 on Identification des ancéires Tiques. Macpherson, soucieux de s'attrer Ies bonnes graces ue sommits des Ietres, s'exéeute et fournit quelques textes ‘qui circulent dans les eSnacles d’Edimbourg. Ces premiers fragments susitent inte, et on demande & Macpherson de poursuivre, Le jeune potte, qui voudrait faire avencer son ‘euvre personnelle, est quelque peu rtf, mais sa postion ne lui laisse gure de choix. Pris en main par Hugh Blair, profes- seur de thstorique et prédiceteur, il se met au travail et fournit [mative d'un opuscule publié \ Edimbourg en 1760 sous le titre Fragments of Ancient Poetry, collected inthe Highlands ‘of Scotland and translated from the gaelic or erse language by James Macpherson, La. commande exécutée, le jeune homme ‘oudtaitrevenir sa Muse, mais ses protecteurs ne Te tiennent pas pour quitte. Car I'enjeu n'est pas de proposer ja distrac- tion des notables écossals quelques ballades populaires. I ne tapi de fournir rien moins qu'une cuvre exceptionnelle: une Gpopée venue du fond des Ages. Les érudits du xvit siecle ‘sivent bien ce qu’est une veritable 6popée: le chant lyrique (un antique aéde gui court pieusement de bouche en bouche, «ime en ime. Une authentique épopée cucllie sur les levres ‘da Peuple a autzement plus de valeur que celle qui sort de la plume d'un 6erivain contemporain, L'Europe a produit xé-em= Tment quantité de ces épopées écrites en vers classiques, comme La Henriade voltairienne. Le coup d'éclat écossais vva tre de proposer & l'admiration et & Venvie une épopée nordique égale au prestigieux modéle homérique. C'est ce ‘qu'écrt Blair dans la préface des Fragments of Ancient Poe- ity, Les textes publigs, déclare-ril, ne sont justement que les Fragments d'un grand pobme épigue - ou putd: de deux : toute Thade doit re flanguée dune Odyssée. Et il en donne les igrandes lignes a ses lecteurs: «our epic» s'organise autour ‘Sun héros central, Fingal, dont un barde écossais, dans les temps héroiques, a chanté les exploits. Mais une fois annoncée Ja découverte de I'épopée, il reste & a produire. Mission est donnée & Macpherson de se faire thapsode, au sens étymolo- sique,c'est-A-dire de coudre ensemble les chants populaires {u'il a recueillis, de combler les lacunes et de fournir Pen- semble prévu par Blair. Ilse dérobe :I'aréopage litéraire («les hauts faits de nos péres »), est toute virplienne. Des premiers freg~ ‘meats, qui tenaient cn 70 pages d'un volume in-douze, on est passé A une publication de poids: le fivrene fait moins de 270 pages en format in-quarto. Sa préface est une savante disser- fation sur Phistoie des anciens Celtes et de leurs druides qui {ouritle contexte de composition de IEpopée ossianesque. I y est affirms que la population des Highlands est issue des ‘Calédoniens ayant vallamment réssté aux armées romaines, ‘ton pas d'envahisseurs venus d'Ilande au v= sitcle. Blair se répand en commentaires logioux et signele qu'une Odyssée devrait suivre cette Hiade. De fait, Macpherson accouche en 1763 d'une seconde épopée, Temora, de méme ampleur que la premiere : 247 pages in-quarto. Ila accompli ce qui lu avait £6 presert:fourir dares monuments culturels que les fon- doments gréco-latins de la culture européenne. La poésie pique de T’Antiquitén’était peut-étre pas surpassable, mais Je précepteutécossais aura doané le meilleur de Iui-méme pour prouver qu'elle n'éait pas inégalable. Las ’anGte l’euvee literaire de Macpherson, gui ne devint jamais le grand poéte anglais qu'il avait révé d'etre. Sa vie pour autant ne prend pas le méme tour tragique que celle da 6 Identification des ancétres Chatterton de Vigny, conduit au suicide par la soudaine aloire du moine médiéval dont il avait inventé les chro- ‘niques. Polygraphe prolixe, Macpherson fait carrdre en pla- ‘gent sa plume sous divers services: seorétaire du gouverneur de Floride, il est aussi publicistestipendié du gouvernement anglais et sémunéeé sur fonds secrets. Il publie en 1771 une Introduction 2 U Histoire de la Grande-Bretagne et de PIr- Tande ot egoit la tache de continuer PHistoire de Angle terre de Hume. Le gouvernement anglais, qui utilise sa plume notamment conte les insurgés américains, ui trouve ‘en 1780 un sidge a la Chambre des Communes, qu'il garde Jjusqu’a la fin de ses jours. Lnventeur de I'iade Scosssise Signe aussi une taduetion anglaise de I'lliade homérique, ob il use du style particulier qu'il avait élaboré pour Fingal et Temora, wéinscrivant ainsi le modéle dans son avatar. IL masse une grosse fortune en rendant service & un prince hin- dou en conflt avec la Compagnie des Indes, se fait construire tune vila de style italien dans son village natal et meurt en 1796 apris avoir sacrfié au rousseauisme en procréant cing, enfants naturels, Son tombeau est I'abbaye de Westminster, ‘on loin dn Coin des Podtes. ‘C'est au mythique barde Ossian que les pensums auxquels ‘Macpherson avait é0:consacrer sa jeunesse ont apporié la sloirelitéraie : luieméme est passé 2 la postérité au mieux comme un collecteur dévoué, au pire comme un favssaire ‘dénué de scrupules. A peine les épopées ossianesques sont- clles publiges qu'une controverse s'engage sur leur véracité, Elle fait rage de longues années, opposant de manibre incon- cilfable ceux qui veulent d toute force croire & l'authenticité épopées trop désiréos pour n'avoir pas di exiser, et ceux ‘ui en vertu d'arguments philologiques, estiment que Mac- ppherson n'a pu trouver ailleurs que dans son imagination TT popée du ut sitcle. Le débat est dautant moins soluble que lasituation est d'une formidable complexité. Pour 16p0ndre & ses savants détracteurs, formés au commentaire de sources ‘manuscrtes et fisunt peu de cas de oralité, populaite de sar- croit, Macpherson a di s'inventer des manuscrits antiques, Gventuellement bardiques. Le probleme n’est pas tant de les ‘wouver ~ il y eut 8 'époque quantité de favx manuscrits ‘anciens ~ mais de savoir comment et dans quelle langue les Révolution esthétique s6iger Par ailleurs, dans sos clleces, Macpherson a sollicité hobtens aupres de letiés des textes ents ~ modemes ~ ‘Cuanserivant» des chants populaires; les monies metal & ‘nal tous les arguments fondan authentic sur la transmis- ‘on pre au sein d'un Peuplepréservé de toutes les influences, Comruptrces del culture savante. Macpherson, pris ence Cha- fybde et Sey, se teat immobile et promet de pubier les Iatéraux originaux éablisant I'authenticité de sa collecte Ges qu'il en aura les moyens financiers. Du coup les parti- Sans de'6popéelancent une souscrption parma les employes de la Contpagaie des Indes originates des Highlands. La Somme est Tomiss a Highland Society de Londres pour cou- ‘ir es fis de publication, Rien n'a encore paru, vider- rent, la mort de Macpherson. Les Highland Socieries de LLondies et Edimbourg prenpent les choses en main. La pre rite fit par publier en 1807 un ensemble en trois volumes dgi juxtapose une traduction dela prose ossianesque en gaé- Tigue moderee, une waduction en Tatin et un commentaire «cdémontrant»autbentiié del collecte macphersonicnne La publication four des arguments aux convaincus et ne répond en rien aux crtigues des sceptiques. La Société @Edimbourg nomme en 1797, pou apres ia mort de Mac ‘enon Une commission d'expers pour étude ses méthoses {de avail Le rapport est rendu pres de vngt ans plus tard, soit pos do cinguamte ans apts les publications de Fingal ct do Temora. Dsl opportan puisgue les experts établisent que, ‘ils ont ren trouvé didentique aux textes de Macpherson, cola n’entame en zien le crédbilié de lacollecte des années 1760: ente-temps, déclaentis, la tradition s'est perdue, tnais les populations locales se rapplent encore qu'elle & txité Ceres, estimentils, ie defunt collesteur est bien nt ‘Yeu sur le materiaworiginel, mais de manitze secondaire, tn épurant les passages grossiers, en incerpolant quelques Tncunes et en rajoutant des wansitions. Rien en somme qui pulsse lui valoir les foudres, des érudis verses dans Ietude des textes antiques, La polémique va perdurer®. Mais, tandis 2, Le confit sr 'authensiclé do Ia clloct a roancé en 1998 veel publication de ouvrege The Identity ofthe Sontoh Naton do Vhintoren éctesa Willre Ferguson qui estime que le ollcteur a 28 Menification des ancétres qu'elle s'engage la forgery ossianesque devient un événement européen. Les chants de Fingal sont connus sur le continent peu de temps apes la publication originale en langue anglaise. Turgot ct Diderot en font paraite des fregments, ot une traduction intégrale en frangais est achevée des 177. Des traductions partielle ou intégrales parsissent rapidement en allemand, en polonais, en suédots, en italien. La République des Lettres européenne, plus exictement ses membres les plus moder: nists ou Tes plus jeunes, salue dans I'épopée ossianesque le ‘monument fondateur d°une Révolution eulturelle. Le génie de Macpherson, aidé par des experts en Ia matitre, a été de prendre en compte dans son cuvze les tendances esthétiques les plus neuves etde les attribuer aun antique aéde. L'épopée ossianesque reves donc une haute valeur stratéeique dans la {uerelle contemporaine des Anciens et des Modemics. A coux ui dénongaient la sclérose du classicism et se voulaient les champions d'une nouvelle esthétique, les gardiens du canon classique opposaient un argument qu’iispensaient inéfutable: Antiquité gréco-romaine était Punique source des cultures contemporaines et le classicisme en était Ie fid2le hériter. L’épopée 6 Ossian « prouve » désormais qu'il existe d'autres traditions fondatrices des cultures européennes et qu'an peut cen retrouver les chefs-d’ceuvre, La modemits est Kgitimée par ‘une source antique, aussi vnérable que celle dont se réclame isme, La nature rourmentse ct embrumée des chants la sensibilit élégiaque de ses héros correspondent bien ce gu’aime et veut promouvoir a jeune génération. Ele ‘a. désormais une motivation éminente a'son combet: la tradic tion savante a scandaleusement oceuls au seal profit du clas- sielsme les sources « barbares » des cultures européennes que le Peuple seul a su préserver. Et le décentrement do la légiti- ‘mité culturelle est associé & un décentrement de la Iégitimité politique: cela expique bien I'appropriation européenne de TP popée écossaise. ‘bic availa paris de sources authertiguement celts en ls combi- ‘sot entre elles. Révolution esthétique 29 ‘Le combat contre le classicisme prend rapidement la forme <'un combat contre Ia tyrannie de Iabsolutisme monarchique, un habile glissement. Ce sont les Anglais qui sont Considérés comme les véritables héritiors des héros ossia- resques. La raison s'en congoit aisémeat: dans l'Europe du Xvi sigcle,l’Angleterre fait office de modele pour laliberé politique et Ia démocratie. Saluer la redécouverte par Tes ‘Anglais de leur tradition popalaire nationale, c'est du méme | coup célébrer leur modéle politique. La fille de Necker exprime remarquablement ce raccoure!intellectel, qui fait {régime consttationnel la conséquenee du génie national ‘Mlustré par les guerriets de Fingal: « Longtemps avant que ron cannat en Angletere, et la théorie des constitutions, et [Pavantage des gouvernements représentatifs, esprit guerrier ‘que les poésies Erses et Scandinaves chantent avec tant d’en- thousiasme donnait & l'homme une idée prodigieuse de sa force individuelle et de la puissance de sa volonté, L'inds- pendance existat pour chacun, avant que la liberté ft consti- luge pour tous.» La situation de I'Ecosse, au demeurant, facilite ce détoumement d'hritage, L’écrasement des instr rections jacobites, dont la demire échoue en 1745, a fait de ancien royaume des Stuarts une simple région du Royaume- Uni, EtT'habileté du vainquour sera de faire progressivement du vaincu, non pas un ennemi soumis, mais un ancéie presti- ‘pleux dela nation, offensive contre la Culture unique Ossian se retrouve d’autant plus britannique et épris de liberté que ennemi i combate est frangais et oppresseur. La lutte contre le classcisme se confond en fait avec une offen sive contre 'hégémonie culturele francaise. Le francais, dans ’Europe du xvur stele, n'est pas la langue de Versailles seu lement, mais de la plupait des cours européennes. Ea culture 3. MO de Stal, De la lixérture, 1800, Cité i dane Iétion 20 Identification des ancétres frangaise a pe s"impéser partout comme lexpression la plus achevée de la culture lett, mod2le qui peut etre imité sans jamais etre égalé. L’éclat du soleil frangais ne Inisse exister ailleurs que ses reflets. Sauf& déclaor quo sa lumiére est arti- ficille et wompeuse. ‘Le combat contre la Culture unique passe done parla réf- tation de tous les fondements du modele frangais. I! est savant et raffing: le Nature et la simplicité sont proclamées sources par excellence de 1a culture vivante. I s'épanonit dans les Salons : on célbbre les chaumitres. Ise réclame dun béritage prestigieux : on urouve d'autres antiquités exro- péennes. Il prétend conduire les Peuples a la civilisation test aceusé de les corrompre. Il se veut achévement supréme : con le déclare moribond. ‘Le sucets retentissant de I'épopée ossianesque avait en fait 6 préparé par des appels ala subversion contre le des- potisme culture! francais exprimés de plus en plus fortement ans les décennies précédentes. Quarante ans avant les publi- cations de Macpherson, le potte Ecossais Allan Ramsay com- rmengait & publics de vielles poésies anglaises et écossaises, et il 6voquait avec nostalgie les temps ol Tes lettres et les ‘mecurs de son pays n’avaient pas encore été dégradées par les imitations du modale frangais: (Quand cos bons vieux Bardes érivaient, nos n'avions pas encore fait usage de garitures Grangbres sur nos habits, ni e broderies érangeres dans nos écrit. Leur pote est le produit de leur propre pays elle n'est pas dérobee & aut ni ‘tee par les imporaiions du continent. Leurs images sont ‘atutelles, leurs paysages sont nationaox, copiés sor ces champs, sir ees praties que nous admirons tous les jours Allamme 6poque, le patricien bemois Béat Louis de Murat dans ses Letires sur les Francais et les Anglais (1725) déplo- 4. Allan Ramsty, The Evergreen, being a Collection of Score Poems, wrote by te ngenions before 1600, 1724, ct par Pau Dssré Van Thigghem, Le Movement romamtque, Hachette, 1912, p-3. Allan Rarssy (1686-1958), peraquit ais ibrr-poSte, public 8 {a mama tpoque une colleciton do viele chansons Sou ie tire The TeaTable Miscellany. Révolution esthétique 3 rait'influence que commengsit&exercer la culture frangaise Suir la civilisation paysanine de son pays til associait "ew reuse préservation des maeurs et traditions ancestrales & la pureié des montagnes nationales. Autre paticien bemois, le physiologiste Albrecht von Haller exprimait plus Iyriquement faméme idés dans son podme « Die Aipen » (1729).A Zurich se formait au méme moment une société d’hommes deletes {qui avait pour but la constitution dune haute littérature en langue allemande; elle se proposait en un premier temps de substiuer les influences anglaises& celles de la culture fran- ‘ise. Son chef, Johana Jakob Bodmer, publiit en 1757 des fragments du Nibelungenlied ob il déclarat trouver & la fois ‘une littérature libre, authentique, et les vestiges dune antique pofsie refisant les révolies germaniques contre Ie joug romain. Esthétiquement et politiquement, le Nibelungentied était pour Iu srappé au sceau dela liber. I1n’y voyait pes moins qu'une Hiade germanique. Bodmer exerga une forte influence sur [’Allemand Justus Méser, avocat d'Osnabrick gui exprimait fortement dans ses écrits la nécessté de débarrasser la pensée allemande des influences étrangéres et de créer un état esprit national. Moser tenait pour modéle l’esprit national suisse ui avait su résister a I'influence frangaise et défendre les anciennes libertés contre toute emprise despotique. Et dans son drame Arminius (1749) i o6\ébrait le guerier germanique qui en 'an 9 apres Jésus-Christ combatitvicorieusement les légions romaines de Varus. Déplorant que les classes domi nantes aient apres Ia défaite adopté le mode de vie du conqué- rant, Méser affirmait que les antiques valeurs germeniques persistaient parm les paysans de Basse-Saxe, Ses chroniques, ‘publiges dans la gazetted’ Osnabrick sous lettre Fantaisies parrioriques ct publiges de 1774 1786, insistent sur Ia ‘écossité de recuellir et de maintenir les traditions, Pour Bod- ‘mer comme pour Miser, la nation s’incamait en un peuple de paysans libzes, Le refus de imitation des Anciens, a even- ication d'une poésie de la nature étaient aussi fortement ‘exprimés par les pottes anglais et écossais du miliew du sitele ‘comme Thomson ou Edward Young, 5.Ct Renate tau, Justus Movers Konept ener deutschen Natio- rnalenidenita, Tabingen, Niemeyer, 1991 32 Identification des ancétres Espace britannique; espace helvétique : ce ne fut pas un hhasard sls furent les deux plus ardents foyers de la lutte conte I'impérialisme cultuel francais. Is taient terre d'asle pours victimes de son despotisme. Les ataques contre ’ab- Solutisme culture et les appels la résistance prenaient forme ‘dans les lieox les plus avancés, leur époque, de la démocra- tie politique. Non sans échos dans les autres pays, ri parmi Vintellgentsia la plus modemiste de 'ennemi affiché. 1 n'est pas utile de rappeler combien le jeune homme ‘pauvre et ambitious qui décida un soir de 1728 de fuirsacité rnatale de Geneve fut un ardent propagandiste des idées concernant la purets de la Nature, la corruption du raffine- ‘ment et 'Ilégitimité d'un pouvoir politique non fonde sur la souveraineté populaire, La Nouvelle Hélotse (1761) et Du ‘conirat social (1763) sont contemporains des publications ‘macphersoniennes, Ce fur un autre Genevois, Paul-Henri Mal- Tet, qui fournit les matériaux décisifs permettant d'afirmer Ia pluralité des sources dela culture européenne et d'en produire Jes monuments. Nommé professeur & Copenhague et chargé éerite une Histoire du Danemark, il commenga par publier en 1755 un volume d' Introduction 8 cete Histoire, suivi un an plus tard par des Monuments de la mythologie et de la poésie des Celtes, et particulidrement des anciens Scandinaves. Ces deux volumes exposaient la mythologie de Edda, offraient la traduction de quelques fragments de potmes mythologiques (ou de sagas ct une présentation des anciens peuples du Nord. (Ces ouvrages éorits dans un frangais légant eurent une audience beaucoup plus large qu les publications antérieures des érudits sur la méme mati, Les termes de runes, scaldes, ‘sages ou ballades se mirenttenir une place de choix dans les débats sur le renouveau culture, D'autant que Mallet expli- 6.128 runes soa es inscipcons usa un alphabet partial, it gemanique, Seles ote conserve celles ui avien graves sur Pere, On commence & les Eudora xvi stele. Edda est nom, Sloane a dean ensembles de potmnes, Le premier Edda de Snort Star Iason, nufboé sun asc andi debut xn, sun ar pot tigve preniant— afin dela fae rovivre d68 | Fancinne liste Scandnave. Le texte, qui comprend dos modes d expressions poe ligues et des exemples métiqus, présente en outre un exposé diac Révolution esthétique s quait tout V'imérét qu'il y avait & redécouvrir I'ancienne eulture du Nord, plus approprée, disati, que les antiquités ‘gxéco-romeines i la sensibilté moderne. Ossian dut beaucoup, probablement, 8 louvre de Malet, et notamment la dic {este de ses ros, dont la vaillance n'exclut pas l'expression du sentiment amoureux. La poésie ese, nordique,scandinave, sgermanigue, celle ~ les termes sont alors interchangeables -, entra dans le patrimoine européen sous es traits de Ia now- veauté, mais avec le sceau antique. Les vieux guerriers du [Nord venaient point nommé pour préter main-forte a 'evant- garde intellectuelle de 1760 dans le combat contre Mennemi slassique. Britanniques et Helvetes avaient préparé armes et muni- tions pour Ia croisade contre la Culture unique. Le dispostit ensemble vint d? Alemagne. Parmi les tout premiers admi- ‘ateurs Ossian sur le continent figurait un jeune théologien sigue sur a mytologie orégue. Las érudits Ole Worm et Amgrimur Sensonn dsson lo txce de et Eda sous lo nom do Codex Wor Irianus dans a premiere moi da xv see, Peu aprés, Pévdque {alndats Svelaion dcouvee un recell de manuseris qu'il ofre a toi Esser Il de Dancmark, Ce Codex Regiun posi ous le apm de Fda de Saznund, ut atyibut 4 un rai dt Xi, Suerond. Cot fensemble de potmet fut sensiblement gross par les découverss ‘Terudis islandas tou a long du sible, Cet dans Edda que Con ‘ot appari les persoanages de Siepfied ou Brunehilg,alsi que Jes dlvinités teandinaves. Le terme de «sealde» et attebue & a ots médiévale (xx sil) composée par des pots norvépons pros, pls souvent itandals, stache la personne di pine. Ls {ngas (Mut sv stole), que Pon at sucedder Te pods Saldique ‘ome ivérture norégienne-ilandase, sont der recite en pro ‘dans lesquls soot pares interalées des stophes edlgues ou seal ‘igues. Las sagas attachent histoire 6 une famille prennent la fome d'une chronique dynsstique Sage des rols de Norvege, de ‘Sor Strluson) ou d'un rect expedition Saga d Erik Le Rowse). Ep fi, ls saga embvasse pou pets tous ls gave, du ot mytholo sigue la auction d eaves Etnngtses. Leroi norvégien Hakonar- fon, pour llurter con fgne, fi tadaie par des elees la mare de Breiagne, des romans d'anourcouris, des las de Marie de France, tes chansons de geste: lly aura de oe fait dos sagas de Tiistan et Iseul de Perceval de Charlemagne, te 34 Identification des ancttres dde Riga. 11 allait donner cohrence théorique & l'ensemble des propositions antrieures éparses et insrire dans une phi- Tosophie de histoire le reet d'un modéle hégémonique Les chants des nations Johann Gottfried Herder’ est né en 1744 & Mohrungen, petite ville de Prusse orientale. Fils d'un tisserand devenu ins” tituteur, i grandit dans un miliew pitiste, Un médecin mili tire des troupes russes qui a remarque la ussite scolaire de V'adolescent ltemmine & K@nigsberg pour qu'il puisse étudier a médecine. Fohann Gottfried ne résiste pas da premidze dis- section at passe 3 la théologie. Une bourse d'études offere par sa ville naale lui permet de subvenir ses besoins. A la Hochschule de Kénigsberg, Herder rencontre Kant, qi 'ini- tie la philosophie contemporaine. Tres vite, Herder engage de vastes lectures : Vico, Montesquieu, Leibniz, Rousseat. ‘aussi pour mentor Georg Hamann, qui développe une pensée hostile au rationalisme et au clasicisme; Hamann ensefgne anglais & Herder qui se prendl do passion pour Shakespeare et (Ossian. En 1764, le brillant étudiant est nommé collaborateur de I’école épiscopale de Rige. La ville hanséatique est alors sous domination russe, mais c'est la bourgeoisie commercante allemande qui donne le ton. Herder, qui se sent quelque peu» A Péuoit 2 Riga et veut se méler i un miliew intellectuel plus dense et plus animé, ne reste que cing ans dans a ville balte, En 1768, il sist ’cocasion que lu offre le voyage d'un commergant de Riga se rendant pour affaires & Nantes et s'em: Darque pour la France. Puis il fait route pour Paris, ob il 17. Pour a présentaton deve ct de evee de Herds, nous nous retérons principalement 8 Erne! Bauer, Johan Gouffied Herder, ‘Shutgart, Kohiammer, 1960, Alexande? Gillis, erder und Ossian, Berlin, Junker und Dunnhaupe Verlag. 1983, et & Pere Péniston, Johann Goufied Herder La Raison dans les Peupes, Paris, er, ‘Bibotnqe tanco-llemands v, 1992. Nous nes eens ple ‘ent, en absence d'une taduction inégrale en frangals dos wuvees ‘86 Herder, 8.6, Herder, Sdmilche Werke (sition sous la direction {Bernhard Supion), Bei, Weidmenn, 1877-1913, 33 volumes. Révolution esthétique 35 rencontre Diderot et d'Alembert. Au cours de ce séjour, i ‘onforte son opinion sur la selérase de Ia culture frangaise ‘Son désir de paticiper aux débats intellectuels contemporains prenestqu’avivé, Mais le fils de tisserand, qui ne sera jamais Fiche que de sa culture et de ses idées, n'a d'autres ressources pout subsister que de se mettre au service des puissant. IL Eccopte de devenit précepteur du fils du prince-évéque de beck et le chaperone lors d'un voyage vers Saint-Péters- boutg. Occasion de fréquenter des cours et des lettrés de Ies- pace allemand. Et plongée, selon Herder, dans univers ossia- esque lorsqu'l essuie une violente tempéte lors d'une éape maritime. Las de Iarrogance de I’héritier princier et de sa suite, Herder abandonne le préceptorat et séjourne quelque temps & Strasbourg od il essaie en vain de faire sojgner une fistule Iacrimale.Ilrencontre Id un riche érudiant de cing ans son cadet, Johann Wolfgang Goethe. La rencontie est déci- sive pour le jeune patricien de Francfort, auquel Herder fait . Le salut intelletuel, ela possbilité de fréquenter an milieu cul- tivé ct stimulant, ui vient en 1776 sous la forme d'une invita- tion 8 occuper ie poste d'Oberpfarrer & Weimar, &'initation| de son ancien disciple de Strasbourg. La capitale du grand- uch de Saxe est alors le plus vivant centre culturel de ’es- pace allernand : Schiller, Wieland, Goothe y séjoumnent. Her- er déploic & Weimar une remarquable activité: prédicateur appréci, directeur de conscience dela cou, ils’occupeinten- sment des questions d’enseignement et de liturgie, tout en rédigeant une ceuvee théorique abondante, Il meurtépuisé en 1803, travallant jusqu’a son lit de mort Herder laisse une ceuvre de trés grande ampleur, nourrie 36 Idenifcation des ancétres «une culture eneyclopédique et animé par une constante pr ‘occupation patriotique: comment faire accéder Ia nation alle- ‘mande, politiquement éparpllée, In conscience d’elle-méme etlui donner une haute culture? Des sa premiere couvee d'im- portance, publiée anonymement Riga sous le tte Fragments su ia nouvelle liuératureallemande, Herder porte un constat de carence et souligne a nécessté dy remaédier. Les questions liminaizes de son exposé énoncent clairement que le niveat . Et Leibniz d’sjouter qu’ « vaut mieux éte ua ori- ginal d'Allemand qu’une copie de Frangais » Il appelait done 8: Cis dans La Langue, source de la nation. Messaniamessécw liers en Burope centrale et ortentale dsr Xx sce (ous la lection de rere Caussat, Duinsz Adamski, Mare Ceépon), Sr ‘mont, Mardaga, 1996, p. 7-67. £ téranure, est son ensacinement dans les profonders du gé ‘Révolution esthétique 37 les personnes de « droite intention & mettre en commun Teur bonne voloaté et fonder, sous un haut patronage, une Société pour I'appartenance allemande > destinge & oruvrer& la res- tauration de Ia gloire nationale par ia production 4’éerits de havt niveau intellectuel en langue allemende. Mais i ne pré- cisait nullement sur quoi fonder une spécificté culturelie authentiquement allemande. L'impossibiité de désigner les fondements d'un esprit véritablement national ne permestait pasd’échapper a Pemprise du modéle francais, jusqu’au ren ‘ersement de la Iégitimité culturelle opéré dans le second xvursitcle, qui fait du Peuple le dépositaire du génie nati nal. Lieuvre de Herder, ele, nonce fortement ce changement de paradigme. Ce qui fit pour lui fa valeur nationale dune lit { national. L'écrivain doits'immerger dans le Pouple, sen faire | | |W'éeve, Si Shakespeare a 6té un grand dramaturge, c'est, selon Herder, que I’ Angleterre et le peuple anglais étaient le véri- table objet de son théttre, que méme ses César et Timon pen- tet ressentaient en Britanniques. La vériteble culture vient du Peuple et doit lui zovenir elle ne doit pas ete l'apa- nage de quelques individus formés par leur éducation aux raf- finements. Fils du Peuple, en bure sa vie durant aux vex tions ou aux caprices des princes, Herder est aussi ministre du culte d'une religion « démocratique > dont lenseignement ‘tla iturgie, pour s'adresser 3 tous, passent par la langue ver- nsculaire La question de Ia angue tient une place centrale dans la | réflexion herdérienne. Pour lui c'est dans le génie de Ia \ tangue que résie I’ime de Ia nation. Tse reprise dans une dissertation sur 'origine des langues qu'il rédige pendant son s6jour Strasbourg en r/ponse la question mise au concours cette année-IB par l'Académie de Berlin. Herder pose la spécificité do Phumain dans Ia constitution des langues. . ‘L’homme nait ave Maptitude au langage, sa nature le pousse ‘un progrés constant. Enfant il apprend ia langue de sa mére et Ia teansmet 8 son tour apres I'avoir entichie de ses expé- riences. «La premitre pensée dans la premiére fme humaine estrelie &'ultime pensée de I'ultime ane humaine, » Comme ‘Phumanité, en se d€veloppant, n’estpas restéeen un seul troue peau, mais que des séparations géographiques suecessives se 38 Identification des ancétres sont produites, influence des conditions matérielles ~ chi ‘mats, modes de vie ~a entrainé des diversifications et I'appa- ion de langues différentes qui sont les langues nationale. CChague langue, selon Herder, est expression vivante, orga- nique, de I'esprit d'un peuple, la somme de I'actionefficiente de toutes les mes humaines qui I’ont constituée au fil des sidcles. Herder, qui remporte le prix de I" Académie avec cet ‘exposé, ne cesse de mettre en avant la langue comme moyen de connaissance de la culture et des valeurs dune nation, ainsi ue la nécessté d'une langue commune pour la constitation ‘une nation, Dans ses Lettres sur Pavancement de " Huma- nité, publies dans la deritre partie de sa vi, il déplore qu'en ‘Allemagne, « depuis un siecle, les classes prétendument supé- fieures aient adopté une langue totalement étrangdre » et 1’aient utlisé Vallemand que pour parler aux domestiques. OF, insiste-til, «sans une langue territoriale et maternelle commune dans laquelle toutes les classes sociales sont recon- rues comme les rejetons d’un mEme arbre et regoivent une ‘méme éducation, il n'est plus de véritable intelligence des ccazurs, deformation patrotique commune, de communication ide communion des impressions, de public propre au pays de ses pees ». En abandonnant cette Langue ou en T'abétardis- ‘sant, les éliesallemandes ont trai la nation. Les attaques contve le maniérisme sclérosé de la culture frangaiso ot de ses imitations vont de pair chez Herder avec une exaltation de la poésie populaie. « Plus un peuple est sau- vvage, libre, vivant, plus ses chants, sil en a, doivent éire vivant, libres, lyiques. Cette possie nest pas tun art mort de letirgs, est in langue du corur et esprit de la nature chante en elle », déclare-vil dans Exirait d'une correspondance lité aire sur Ossian et es chants des anciens peuples. Par consé- ‘quent, pour réformer Ia itérature contemporaine lui rendre vie, il faut s'inspirer de ces restes d'une poésie originelle, issue d’une époque od la langue, la possie et le peuple ne fai- saient qu'un, Lors de sa rencontre & Strasbourg avec Goethe, Herder exhort le jeune étudiant et ses amis & collecter des chants populaires et 2 en nourrir leur expression postique, Dans son essai de 1777, De la similicude des arts postiques en ‘moyen anglais t moyen allemand, Herder déplore de maniére insistante le retard des Allemands eur les Anglais en matiére Révoluton esthétique 39 e collecte des chants populaires et appelle de ses veeux un Macpherson tyrotien ou bavarois. Il énonce, en une formule devenve célebre, que ‘Tous les peupes non poloés chanteny, aglssent. Is chantent lears actions Lears chants sont archives da peuple, tsar de ‘scence et de sa cligion, de sa Shogo et de Ses cosmIOgo- fies. Ts sont le uésor es haus fut dos pote, retract leur histoire, portent empreinte de leur cour, ilstent leur vie domestigbe dans I joie ela eins ou it mptia et a wombe?, Cette déploration iritée du retard allemand s’achéve dalle leurs par un recensement des autres nations coupables avoir négligé leur ésor. Herder lance dono un appel aux érudits ‘concemés pour qu'ls se metient AV exuvre sans tarder Et mms en Europe ily encore tote une sie de rations as- kee ebandon et non dcrtes, Estoniens et Letfons, Wendes Slaves, Poloais et Ruses,Frisons et Prssiens ~ is n'ont as pas la peine de recueli leurs chars, comme 'ont fa as Islands, les Danis, les Suidois - sans parler des Angiis, on ‘éme des peuples du Sod. Et poutant ily a parmi eux bien des persaanes’ dont la fonction est d°etudler la langue, let rmosir, les modes de peasée, les veils superstitions et les outumes de leur nation! ets elas le faisient, elle Fourie alent sux autres nations ls plus vivane des grammaires, le ‘melleeditionnaleet'histoir naturelle de ler peuple. Mais elles devrient le fire dans la langue originale et avec sufi- Samment d'élaiccssement, sans commentaires injurieux ni ‘mogueurs, sans non pls chercher 8 enobli ou enjoliver Et de pretence en indiquant la mane de charter et rout ce gui Feleve de la vie populate. Quand bien meme elles n'en ursient pas 'usage, cele pout te wile & d'autres", La lutte conte 'hégémonie d'une ealture sclérosante passe ‘done par la collecte des chants populaires des nations, de 9, Johann Gontried Herder, « Von der Ahnlichket der eniteren cnglischen und deutschon Dichikunst , dans Herder’ Sdmdiche Werke, op. cit, 1893, val. 9, p- 332: pubietion originale Deutscher Mazin novenbee 1777 10-fehann Gouttied Herder, « Von der Abmlichkeit der miteren cenglischen und deuschen Dichanst», et hess, p 533, 40 Identification des ancétres toutes les nations : Herder accorde la mime valeur aux chants ppopulaizes lappons, Ecossais, scandinaves qu'aux chants alle= ‘ands, Lorsqu’l public, en 1778-1779, anthologie Volkslie- der (Chants populaires), Herder y rassemble des textes des provenances les plus diverses. La poésie des Ages primitifS transmise au sein du Peuple est pour lui le fondement par excellence d'un renouvellement culturel qui mettra fin & la tyrannie du classicisme. Lutte commune, avec des armes com- runes, dans le cadre de laquelle pourront Se construites des litératures nationales euthentiques. Mais i y a urgence 2 les recucillir: « Dans cinguante ans, il sera trop tard, lance-til ‘en avertissement dans sa préface aux Volkslieder. Herder ne s'est jamais départi de son admiration pour Vewuvre d’Ossian, quand bien méme ila été averti& maintes reprises de la suspicion des éruits sur Son authenticité. Mais, ‘méme forsqu’il convient, avec quelque réticence, que I'épo- pée est peut-etre plus macphersonienne et modeme qu'il ne Pauraitsouhaité, it n'y voit pas contradiction avec ses théo- ties sur 1a poésie primitive. Macpherson écrivant I’Epopée Eeossnise n'a pu composer une ceuvre admirable, estime-i, {ue parce qu’ll érit profendément pénéteé de la langue, de TVesprit, dela force de ses ancétres. Le pobte moderne est alors lexempleillustre dun auteur véritablement national ayant su restiner le génie de son peuple. Tout comme Goethe, ou Shakespeare, dont Herder inclut des textes dans son recveil Voltlieder, au cOté d’extais d'Homére, ’Ossian ou du Minnesang. Patrote allemand, Herder n’en est pas moins universa liste. Tout le sens de son ceuvre est la substitution, un uni- verselisme reposant sur la prééminence dun mode unique et exclusif de toute autre formation culturelle, d’un universa- lisme posant l'égale dignité d'incarnations différentes d'une rméme essence. Dans ses Idées sur la philosophie de Uhis- toire de U humanité, le grand ouvrage qu'il porte de longues années et qu'il chive en 1791, ita voulu faite une somme recourant 3 tous les savoirs géographiques, physiologiques, astronomiques, anthropologiques, historiques constirugs & son époque pour exposer et expliquer "histoire universll. Le parti pris encyclopédique alourdit le rasonnement, mais Révolution eshétique 41 on retrouve tut a long de Meeuvre la méme option philoso ue que dans les euvres de jeunesse: Thumanté est une, Base dversifie sous Vnfuence de condions mae: elles comme le climat. I faut dane prendre en compte ces diferentes composantes dans leurs développements, sans jamais poser de principe unique de jugement qul puisse en Condamacrceraines au déuinent d'autres. Le progr unime PPévolution de 'humanits, mais il passe pat des ranfiations. ‘Chacune d'elles préseate une succession &'épanouissemens tous d'égale nécessié, d'égale originate, ¢'égal mérite, {egal bonheur. Herder Jénonce les méfaits du despotisme, de Piperlime et de V'ntlérance ie lve de vilentes ttitiques conte les Croisades et accorde en revanche une {ands importance aux héésies ~ eahares, bogorfles, has Stes ~ dans le progrés dela rison et de la Tiber, Et la for ‘nati politi la plus conforme dla Nature est pour l ansituée par un peuple ayant une unité de caractte national {dont le gouvernement est déteminé par Te Vollsgetst. Les ins conatitacs parle fat des guerres sont acifciels et ne sont fondés ni en nature ai en flson. Herder, qui via un ‘Hymne au 14 juillet 1790 , salve la Revolution frangase avant de dépiorst Yexécuton de Louis XVI Las Lees sur Tavancement de IHumanité publiges enue 1793 ot 1797 séaffirment encore le caractere fallacioux dune échelle de Yaleurselassant cultures et nations. C'est done par un sng lier coup de force inteleetuel que les nationalists du Second Empire ou du Trositme Reich, proclamant la supétiorté de Tn permanité ou de la race aryenne -, on fait de Herder leur bre spinel Herder, assuréieng, 36a eessé exprimer sa Yolonté de travailer& la grandeur de Ia nation allemande ‘Mais i tout aussi bie I ference commune, regaligre- ‘ment invoquée dela plupart des letrés européens soucieux 1M est amusant de notar gue solicté en 1787 par le marprave e Bade pour concevir les moyens de créer un mllew inelectuel Sllemandy Herder reprend dans ses prands princes Ie mole fen- Gas de "Academie projet a craton une Académie féeraive des provinces allemandes, qui taiteait des questions concerant la langue, histoire et tout ce qui peut contrbuer 3 Ta fermion de dente nationale, Mais les querelles entre principautés et plus tncore stl polisque font smpdement sumer Ie roe. a Identification des ancétres de fourir& leur propre nation gloire et dignité. Herder a bien texprimé la seule voie que pouvst prendre, au moins dans ses ‘commencements, la construction des nations: le rejet d'une Suprématie et Ia reconnaissance d'une pluralité d'organismes éclarés équivalents en dignité ds lors qu’is étaient authen- Ciques, La force de euvze de Herder tient & ce que cet homme, qui connaissait par expérience Ia diversté de I'es- pace social et avait su assimiler les éléments de la culture antemporaine, a pu opérer une synthése théorique propre ment européenne d'idées neuves au xvin? sidcle: Ia lutte canize le monolithisme cultuel et le despotisme politique les ‘aspirations au bonheur et & Ia liber, le rejet des séparations ‘entre ordres sociaux, !’élan vers le progrés et laredécouverte de la nature et dela tradition. Lieuvee de Herder devienttrts rapidement une référence pour tous ceux qui, en Europe se préoccupent de la question ‘du national. Ele est ’autant plus mise en avant dans I'espace slave que Herder, dans ses Jdées sur la philosophie de I'his- toire de humanité, proclamait que les Slaves depuis Charle- magne evaient été asservis par les Germains, mais qu'un jour ‘es peuples briseraiont leurs chalnes pour recouvrerliberté et dignité, Herder annoncait que bientbt «on rassemblersit les estes de leurs coutumes, qui ne cessaient de disparate, sinsi {que leurs chants populaires et leurs légendes ». Non sans ‘ethousiasme, il prophstisait un avenirradieux et indiguait un programme d'action immédiat. Plus généralement,'euvre de Herder articule méthodes praiques de construction du nat nal par enracinement dans une langue et une tradition spéc fiques et légitimation théorique du particulier dans ‘universe, Les Hongrois, irs vite, plus tard les Roumains ou les Grecs 'enstisissent, Elle n'a pas, bien 6videmment, la méme réoep- tion en France: assez tt connue par quelques intellectues, et Glogieusement présentée par MP de Stat, elle reste fort peu {radute. Des ceuvres majeures de Herder, seules paraissent en frangais les Idées sur la philosophie de P’histoire de Mhuama- nité, dans une traduction d’Bdgar Quinet éditse en 1827- 1828 2, Pour autant, la pensée herdérienne ne reste pas incon- 12, Les teaductons fraogaises de Heme au xn stele portent esseaellement sar des cones qu'il avait publi, petsenés comme ‘Révolution esthétique 43 rue en France, mais elle y entre plutot—tardivement mais lon- jquement ~ comme élément anoayme d'une sorte de pensée devenve commune sur Menracinement dans la tradition, la Jangue eae populare. Nombre d’iellectuels du xn site, ‘parm ceux qui traitent de la culture populare, citent, plas ou {noins approximativement, et sans le savoir, du Herder. [Leéclosion des bardes Le triomphe de I"épopée ossianesque en Europe se fait sous le double signe de I’émotion romantique et des aspira- Hons a la liberté. Lejeune Werther taduit pour sa bien-aimée des passages de l'épopée, qu'il lui Lit dans une scéne hau- tement pathétique ct achevée dans un torrent de lasmes. Mod2le romanesque d'une sensibilité amoureuse lige & un renouveau culturel : Herder Iui-méme envoyait 8s fiancé2 ses taductions d°Ossian. La jeune génération multiple les poémes 2 la maniére d’Ossian. Encore en 1817, l'adolescent ‘Victor Hugo envoie une composition de ce style pour le ‘concours des Jeux floraux. L'abbé italien Fortis, arand ama- teur Ossian et ami de Lord Bute, sous les auspices duquel a GE publiée épopée écossaise, fait paraitre en 1770 un Voyage en Dalmatie dans lequel il décrit les bardes mor- laques et leur instrument d'secompagnement, la guzla, avant de reproduire des chants populaires, L'un d’eux 2 un tel, suce8s qu'il donne lieu & une treniaine de trductions étran- sbres, se retrouve ds 1778 dans le recusil Valkslieder de Herder et suscite un durable engouement pour les « Mor- ‘zavees pou la jeunesse. I aude attend les années de V Occupation our que parassnt le Journal de voyage de 1769 et Une autre philo- Sophie de Hisalre(esdvetion ct pésenation pat Max Rove) event gue depuis peu que engage une cntep ps uve 3 TB. CL Voyslav M, Yovanoviteh, «a Guzia «de Prosper Mér- nde Ene estore ramantique, thse pesens 8 Voniversité de Grenoble, Grenoble, Arta, 1910, I” pat “4 dentification des ancéires, lnques», terme utilisé alors pour désigner une population gui semble miraculeusement préserver en Europe da Sud line sauvageric pure ct admirable. Mais des enteprises plus importantes se forment pour célébrer les antiquités rationales. es Tetués russes, avec enthousiasme, découvreat sian dan Ia traduction frangase de Le Tourneut, 0 dans I'éition russe table par Kostov en 1792 & parr cell-ci™. Les ‘mols de Teuvie macphersonienne inspiron poésies ett ‘édies. La multiplication, paris poses rasses adaptations des « chants des ancions bardes galiques»s¢ double d'une révolution esthtique: introduction de Ia metrque popalaire dans la pose lets. Le content es aulant plus favorable 2a découverte de i eulture nationale que 'écrasoment di soulévement populate conduit par Pougatchew, en 1775, 2, pour les inelletuels russes, por le disrédit sur Te despo- tisme écliré de Catherine Il Les érits de Mallet sur le at quits scandinaves, qui arrvent hla connaissance des letrés sur méme moment, susiten eux aussi une premiere vague de recherche des antiguites rusts. La Russie est d'alleus rap dement dotée une épopée nationale de type ossanesque, la premitre du genre sue continent. En 1795, le comte Moussine-Pouchkine déclare avoir

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