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LES GRANDS PENSEURS Collection dirigée par P.-M. SCHUHL ARISTOTE ET SON ECOLE par Joseph MOREAU Professeur d UUniversité de Bordeaux Oe 7 \ an 2a PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS 1962 DEPOT LEGAL Ire édition .. .. .. 4¢ trimestre 1962 TOUS DROITS de traduction, de reproduction etd’adaptation réservés pour tous pays © 1962, Presses Universitaires de France La gravure qui illustre la couverture s’inspire du_frontispice de l’Instauratio magna (1620) ; ce frontispice représentait un navire franchissant les colonnes d’Hercule, et cinglant vers des horizons nouveaix. AVANT-PROPOS C’est une tache périlleuse que d’écrire, en un nombre de pages limité, un ouvrage d’ensemble sur Aristote. D’illustres aristotéli- sants l’ont tenté, avec un succés inégal. Je ne m’y serais pas moi- méme essayé, si je n’y eusse été engagé par des instances pressantes. Les aristotélisants ne trouveront pas dans ce livre une contribution nouvelle aux progrés de leurs recherches ; peut-étre méme certains déploreront-ils que leurs plus récentes découvertes n’y soient pas mises en valeur ; mais la destination et les dimensions de ce livre ne le permettaient pas. Il importe, certes, de développer nos connaissances sur l’aristoté- lisme ; mais cela ne servirait 4 rien si, en dehors des spécialistes, de telles études intéressaient seulement quelques curieux, si la pensée aristotélicienne cessait d’étre une des bases de notre culture, si au regard du public cultivé et des philosophes eux-mémes Aristote apparaissait comme un fossile. Des efforts fructueux ont été accomplis pour montrer l’actualité de la pensée platonicienne : la pensée aristo- télicienne n’est pas moins digne d’intérét ; et si cet ouvrage présente une originalité relative — car ce n’est, en fait, que le retour a une trés ancienne tradition — c’est que, malgré un intérét constant dans Pétude du platonisme, son auteur n’a point été détourné d’une égale sympathie pour l’aristotélisme. En présumant qu’Aristote est un véritable philosophe, et qu’il convient par conséquent de rechercher Punité de sa pensée, il s’écarte de ceux qui ne voient en son ceuvre que piéces recousues, nous offrant ce qu’on a appellé un Flickaristo- teles ; et par cette attitude il croit demeurer fidéle 4 la méthode de Léon Robin. C’est 4 M. Pierre-Maxime Schuhl, directeur de la collection « Les Grands Penseurs », que revient ’idée premiére de ce livre, qui devait sintituler : Aristote et le Lycée ; et pour qu’il voie le jour, il ne m’a pas seulement prodigué ses encouragements, mais, en une circonstance difficile, il m’a prété un appui dont je lui suis particuli¢rement 2 ARISTOTE ET SON ECOLE reconnaissant. C’est a lui aussi, 4 sa sagacité archéologique, qu’est dai le choix du portrait qui orne ce livre. Mon collégue et ami, M. Jean Audiat, dont on connait le dévoue- ment a la cause de l’hellénisme, a bien voulu me préter, pour la correction du texte grec, le concours de sa vigilance éclairée. Qu’il en soit ici remercié pour tous les lecteurs, amis de la langue grecque, dont le culte ne saurait étre déserté qu’au détriment et pour Ja ruine de la philosophie elle-méme. INTRODUCTION ARISTOTE : SA VIE ET SES ECRITS Aristote a été pendant des siécles Poracle de Ia philosophie, et son ceuvre était regardée comme la somme des connaissances humaines ; ce n’est qu’en secouant son autorité que la science moderne a pu se mettre en marche et que la philosophie s’est frayé des voies nouvelles. Cependant, si elle avait fini par se scléroser en une scolas- tique, la pensée aristotélicienne n’en était pas moins, 4 sa source, animée d’une immense curiosité scientifique et d’un vigoureux esprit critique. Elle s’est affirmée, initialement, en réaction contre le plato- nisme, ou plutét comme un effort de redressement du platonisme, qui, chez les successeurs de Platon, tendait 4 une systématisation pédan- tesque ; et l’opposition du platonisme et de l’aristotélisme, qui a été au cours des ages le théme d’indéterminables débats entre les philo- sophes, n’a peut-étre pas encore cessé d’inspirer secrétement leurs discussions. La rencontre de Platon et d’Aristote, le disciple qui perpétue l’action du maitre, non par sa docilité, mais par l’originalité de sa réplique, est un événement capital dans Phistoire de la philo- sophie ; c’est aussi un moment décisif dans Ja carriére d’Aristote (1). LA VIE D°’ARISTOTE Aristote, né en 384 avant J.-C., était originaire de Stagire, ancienne colonie ionienne sur Ja céte orientale de la Chalcidique. Son pére, Nicomaque, appartenait a la corporation des Asclépiades et était le médecin personnel du roi de Macédoine, Amyntas II, pére de Philippe (x) La vie d’Aristote nous est connue par diverses sources, dont 1a plus impor- tante est la biographie contenue dans Drociwe LAERCE, V, 1-35. Toutes les biogra- phies anciennes et les témoignages concernant la vie d’Aristote ont été recucillis dans une édition critique, avec commentaire exégétique et historique, par I. DURING, Aristotle in the ancient biographical tradition, Goeteborg, 1957. — On trouvera une excelente biographie7d’Aristote au cours de I’Introduction historique (p. 2*-5*, x24-15*, 18*-21*, 31*-32*) dela traduction de I’Ethique d Nicomaque, par GAUTHIER et Jour, Louvain-Paris, 1958. 4 ARISTOTE ET SON ECOLE et grand-pére d’Alexandre ; sa mére était d’une famille de Chalcis, en Eubée. II perdit son pére de bonne heure, et il est peu probable qu'il ait été initié par lui a la science médicale. A ces ascendances ioniennes et 4 ce voisinage macédonien allait se superposer l’influence platonicienne. Aristote arriva 4 Athénes 4 Age de dix-huit ans (vers 366) et entra 4 l’Académie, l’école fondée et dirigée par Platon ; il y demeura jusqu’a la mort du maitre, colla- borant a l’enseignement et publiant ses premiers écrits, engageant avec Isocrate, le chef de l’école rivale, une controverse sur la rhéto- rique (1). Lorsque Platon mourut, en 348, son neveu Speusippe, son héritier, devint le chef de l’Ecole ; Aristote quitta alors l’Académie, et en compagnie de Xénocrate, son condisciple, il se rendit en Troade, auprés du tyran Hermias d’Atarnée, qui protégeait dans ses états, a Assos, un petit cercle platonicien. Dans cette sorte de filiale de PAcadémie, Aristote inaugura son réle de chef d’école, se livrant d’autre part 4 des observations de naturaliste (2), voire 4 des enquétes sociologiques sur la diversité des peuples. Au bout de deux ou trois ans, il transporta son école 4 Mityléne, dans l’ile de Lesbos, patrie de Théophraste, qui devait devenir son collaborateur et plus tard son successeur. Mais il n’y demeura qu’un an ou deux, car en 343, cing ans aprés son départ d’Athénes, et alors qu’il venait de franchir la quaran- taine, il fut appelé par le roi Philippe 4 la cour de Macédoine, pour étre le précepteur de son fils, Alexandre, alors agé de treize ans. Crest en Macédoine qu’Aristote apprit la mort d’Hermias, tombé aux mains des Perses en 341 ; sa jeune sceur ou sa niéce, Pythias, Sint se réfugier auprés de Philippe, allié du tyran déchu, et Aristote]’épousa. Elle mourut peu de temps aprés lui avoir donné une fille, et Aristote se remaria avec une femme de Stagire, qui fut la mére de Nicomaque. Aristote n’exerga pas longtemps ses fonctions de précepteur, car, dés l’Age de seize ans, le jeune Alexandre fut pris par Ja vie militaire et politique (3). Ce n’est cependant qu’aprés la mort de Philippe, et Yaccession au tréne de son royal éléve, que le philosophe s’éloigna de la Macédoine. Entre temps, il avait pu, grace 4 l’appui des souve- (2) C'est & cette occasion qu'il composa son dialogue : Gryllos ou dela Rhétorique. Cf. p. 250, n. 2. (2) Cf. D'Arcy Taompson, préface (p. vit) de sa traduction de I’Historia anima- lium (Oxford translation), et plus récemment H. D, P, Lee, Place-names and the date of Aristotle's biological works, Classical Quarterly, 1948, p. 61-67. (3) Crest au terme de ce préceptorat qu’ARISTOTE aurait composé son traité perdu Sur Ja royauté.

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