You are on page 1of 5
XII. Utilisation des petits gibiers au Paléolithique : apports de quarante années de recherche mer s dans I'Hexagone XII, The use of small game during the Palaeolithic: contribution of forty years of research conducted in France Davip Cocuarp Er Véronique LAROULANDIE Résumé Cette synthase dresse un bilan des connaissances acquises ces derniéres décennies concernant I'utilisa tion des petits gibiers par les chasseurs-collecteurs du Palgolithique en France. Cette exploitation qui commence das le Paléolithique inférieur apparait comme un processus Apstract This synthe summarizes the knowledge acquired in recent decades concerning the use of small game by Paleolithic hunters-collectors in France. This exploita tion, which begins in the lower Paleolithic, appears as a non-linear process. The exploited species appear relatively Trés tt dans Phiscoire de la Préhistoire, diffé- rents chercheurs one signalé la consommation des petits vertébrés par les sociérés humaines du Palgolithique du sud-ouest de Europe. Mais c'est avec l’essor de l'archéozoologie que se développent les pre: fiquement a la question de leurs places et réles dans la subsistance des chasseurs-collecteurs A de prés de quarante années de recherche, nous percevons mieux les grands traits de utilisation des petits gibiers (> 200 variations géographiques. L’approche taphonomique res études consacrées spé ns sa diachronie et ses non-linéaire. Les espces exploitées apparaissent relative ment limitées dans leur diversité et couvrent ensemble des besoin socigeaux : alimentaires, techniques et symboliques. Les causes sous-jacentes & cette exploitation restent cepen: dant en grande partie méconnues dans leur complexicé, limited in their diversity and cover all societal needs: food, technical and symbolic. The underlying causes of this exploitation, however, remain larg their complexity a &cé fondamentale dans ce renouvellement des connaissances car elle a permis de sérier objecti- vement le produit des activités humaines de celui résuleant d'autres agents. Grice & application du concept de chaine opératoire, ’animal n’est plus réduie & un simple apport alimentaire mais peru comme une ressoutce « totale » intégrée également Ala sphére technique. Comme de nos jours, les petits gibiers sont aussi « bons & penser » méme si les archives archéologiques permettent difficilement appréhender limmatétialité de ces relations entee P' Homme et l’Animal. Nous proposons dans les lignes qui suivent de donner quelques jalons de cette longue histoire ot des groupes humains ont choisi de chasser, pigge ou collecter des petits gibiers (mammiféres, oiseaux tortues). Nous focaliserons volontairement nos s se rapportant au Pléistoctne cexemples aux découver supérieur sut le territoire frangais et, le cas échéant, convoquerons un cadre géographique élargi dans lequel cette recherche évolue. Un recensement exhaustif de la production traitant de cette question étant impossible dans le cadre de cet article, nous avons choisi de citer prioritairement les références feangaises récentes qui offrent des revues bibliogra phiques décaillées. Par ailleurs, nous invitons les lecteur & se référer & quelques publications majeures, Stiner et al. 2000 ; Brugal et Desse 2004; Laroulandie et al, 2011; Jones 2016; Blasco et Peresani (dir.) 2016. La capacité de Yhomme de Neandertal a capturer des petits gibicrs a soulevé de nombreuses contro verses. Les données récemment recueillies lévent sujet. Ainsi, par exemple, dans toute ambiguit la couche 4 du site des Canaletces (Aveyron), datant denviron 750000 ans, une cinquantaine de lapins Onyctolagus cuniculus adultes a écé capturée et eraitée selon des modalités bouchéres normé récupération de la viande et de la moelle (Cochard et al, 2012). Liabondance relative de cette espece dans ce niveau (67 % du NRD coral) té cette ressource pouvait étre pleinement visant A une oigne que tégrée a économie moustérienne. Pour exceptionncl, Pexploitation des petits mammiferes eg, petits carnivores, castor, lidvre) se limitant généra Jement Ja capture de quelques individus durant cette période (e.g. Morin 2012) Lutilisation alimentaire des petits vertébrés par I'Homme de Néandertal ne se réduie pas aux lagomorphes. Bien qu’apparemment absente de la re, Ce cas reste consommation des zone géographique recenuc, tortues terrestres est attestée 4 certe période dans le sud de la France et d'autres régions de ancien, monde (e.g. Speth et Tchernav 2002; Morales-Pérez 1a 2009). Certains oiseaux (pig galement é¢é intégrés réguligrement et Sanchit corvidés) ont ég a la digte comme dans le site de Gotham’s Cave, EEE! Gibraltar (Blasco et al, 2016). Si la consommation de Vavifaune est vérifige des le Pléistocéne moyen en France, les indices d’une régularité de cette pratique sont en revanche absents (Laroulandie er al, 2016, Rufa Bonache 201 Dans Pespace géographique considéré, un autre usage a été fait de certaines ressources aviai Plusicurs sites (e.g, Baume de Gigny, Pech de I'Aze Let IV, Fieux, Combe Grenal, Mandrin, Grotre de la hyéne) livrene des phalanges ~ notamment des griffes, de grands rapaces diusnes (pygargue, vautour, aigl) qui portent des scries de désarticulation. Du fait de la faible qualité nutritive de ces portions anatomiques, et de leur introduction sélective dans les sites, ces piéces évoquent une utilisation non alimentaire, probablement symbolique. La recherche de cette partie du coxps des rapaces fait cho & des observations similaites réalisées en Italie (Fumane, Rio Secoo) et en Croatie (Krapina) (synthése in Laroulandie e¢ al. 2016). Ces découvertes révélent l’existence d'un. ‘comportement convergent répandu sur un vaste espace g¢ographique et chronologique (130-45ka). Dans le registte des activités « technico-symboliques », il faut également compter le prélevement des plumes, geste mis en évidence notamment en Espagne et en Italie hése in Finlayson et al. 2012, Fiore et al. 2016). Liarrivée d’ Homo sapiens en Burope de l'ouest (sy ne s'accompagne pas d’un changement radical et généralisé de Pimportance des petits gibiers dans le régime alimentaire, Avant le Magdalénien inférieur, les collections archéologiques frangaises livrent un nombre ~lativement limité de restes osseux de mésofaune, au plus quelques dizaines de restes, Ces données suggérent tune acquisition opportuniste, au moins du point de ‘vue des apports alimentaires. Pourtant, au débue du Palgolithique supérieur, un changement s'opére dans Futilisation de ces ressources. Le développement du travail de Ja matiéte dure animale se décline sur les ossements ct les dents de petits vertébrés: les tubes, les perles ou les dents peroées témoignent de la lisation de cette pratique. Dés le débur du Magdalénien, des sites « tiches » en petits gibiers (> 500 restes; > 20% du NRD) apparaissent dans I'Hexagone (Cochard Les Faunes quat ec Brugal 2004). Le phénoméne semble néanmoins jsolé car il ne touche qu'un nombre réduit de sites et ne concere que deux especes : le harfang Bubo scandiacus (eg. St Getmain-de-la-Rivitre, Magdalénien infétieur Laroulandie 2016) et le livre variable Lepus timidus (eg. Gazel, Magdalénien moyen ; Fontana 2004). ‘Au Magdalénien supérieur, Pexploitation est plus réguliéte sans toucefois devenir systématique. Si la diversité augmente significativement — le spectte de chasse intégrant désormais plusieurs dizaines d'espéces — seules quelques-unes sont capturées en abondance. En fonction de la zone géographique et de la fonction! nature du site l'incérét peut se porter surla Marmota marmora, le lievre variable, le spermo- phile Spermophilus citellus, les lagopédes Lagopus sp., le harfang ev/ou le chocard Pyrrhocora graculus (eg Tomé et Chaix 2003 ; Cochard 2005; Laroulandic 2009; Mallye et Laroulandie sous-presse). Ces especes ont en commun de se regrouper & certaines périodes de l'année et/ou d'avoir un comportement de fuite prévisible. Par ailleurs, ces chasses visent essentielle- ment, si ce n'est exclusivement, les individus adultes est difficile de savoir si cette double caractéristique résulte d'un recrutement intentionnel des individus/ espaces ou est la consequence de tactiques d’acqui- sition (cf, territoire de chasse, saison, technique de capture). Sur ce point, & image des comportement spécifiquies des petits gibiers exploités, les tactiques devaient étre varides. Si le registre archéologique indique l'utilisation d’arme de trait (Tomé et Chaix 2003), il n’a pas conservé les traces d'autres techniques dont une gamme des possibles se trouve dans les travaux ethnographiques Les analyses archéozoologiques laissent entrevoir des modes de préparation des carcasses diversifiés, parfois normés et minutieux. La viande éait prélevée cru ou une fois grllée, les car segmentées en petits quartiers, les os brisés pour écupérer a moelle. Cet incontestable investissement des derniers chasseurs du Paléolithique sur ces petites Proies va 4 l'encontre de l'idée d’une consomma- tion «a la va-vite » d'une ressource de fortune, La gamme des produits recherchés est large, comprenant des aliments et des matitres premigres tels que la narmotte sses pouvaient étre vmnaires en France paléontologie e archéozoologie fourrure, les plumes, les os longs, les griffes, les dents, Ces nombreuses ressources extraites, aux qualités intrins¢ques particuliéres, démontrent que les petits gibiers participent pleinemene a économie et an systéme symbolique des groupes du Magdalénien supérieur comme par exemple Putilisation des os longs de rapaces pour faire les fameuses flues Avec le réchauffement climatique marquant le diglaciaire et la recomposition des biocénoses qui ensuit, les espces de milieu froid laissent la place aux espéces de milieu tempéré (Costamagno et al. 2008). Dans ce nouveau cadre, Pexploicacion des petits vertébrés par les groupes de Epi Paléolithique s.A se courne essentiellement vers le lapin (e.g. Fat Cheung, et al, 2014; Rillardon et Brugal 2014, Moigne et Binder 2002). La chasse aux oiseaux semble quant alle se raréfier, Cette histoire de exploitation des petits gibiers au Paléolithique que nous venons d’esquisser monire des changements et des discontinuités dans le remps ec espace. La multiplication des analyses tapho- nomiques démoncre que ces disparités sone réelles et qu’elles témoignent de changements comporte mentaux. Quelle est Porigine de ces changements et de quelle nature sonvils? Il est indéniable que les disponibilités locales, filtrées par les choix humains, participent aux variations géographiques observées, notamment ila fin du Paléolithique supérieur. Mais existence de conditions éco-géographiques locales propices n’explique pas tout et, aprés plusieurs décennies de débat autour de modeles, force est de constater que la question des moteurs sous-jacents A ’exploitation des petits gibiers demeure en grande partie irrésolue, Ce constat mitigé s'explique en partie par la difficulré de tester factuellement certains modeles théoriques. Ainsi, malgré les apports des fouilles de sites naturels (e.g. Igue du Gral ; Castel et al. 2008) ou de la moddlisation prédictive des niches écologiques, Ja disponibilité des proies dans les biocénoses passées reste imprécise. Dés lors, il est difficile de mettre 4 Vépreuve des fais les théories dl eptimal foraging ou de resource depletion. De méme, la rareté des données sur les caractéristiques nuctitionnelles des proies sauvages, [151 152 | La Prébiseoive de la France limite exploration de certains principes de I’écologie nutritionnelle, Une aucre difficulté, d’ordre plus épistémologique, réside dans la volonté de recher- cher un facteur causal unique (e.g. augmentation démographique, réduction de la mobili, fluctuation dela 1 technique, social). Le développement d'une réelle approche systémique intégrane pleinement les données des autres champs disciplinaires serait certainement une voie & suivre. En effet, la consommation des petits dela combi- biomasse, innovati changement vertébrés résulte plus vraisemblablement de plusieurs facteurs dont le poids respectif varie selon les contextes que d’un seul et unique Parailleuss, si nt inaccessibles (e.g sexe, ge, nombre et taut des autees mériteraient éxre précisés par de nouveaux développements méthodologiques comme, en particulier, celui de Ja saison de capture. En outre, trop souvent encore, nasi mécanisme agissant sur le eemps long certains facteurs nous Bibliographie 1] ewnw.vera-cisenmann.com>; ; ; . Abbassi M. et Brunet-Lecome P. (1997), 1867 (Arvicolidae, Rodentia) de cing séquenc de la France et de Ligurie Ambert P., Brugal JP. et Houles N (Hérauls, Prance Tervicola Fatio du Sud-Es ie, 8 (I), p. 312. 1996) : p€ologie, palgontologie, perspectives Le maar du Ri Comptes Rendus de 322, p. 125-132. Antoine P., Limondin-Lozouet N., Auguste P., Locht JL, Galheb B., Reyss JL.» Escude E., Carbonel P., Mercier N Bahain J-)., Falguéres C. et Voinchet P. (2006), « Le tuf cen évidence d'une de recherches de Paris, sé. Ia de Caours (Somme, France) : mis séquence éemienne ¢ Quate p. 281-32 Arbogast R-M., Clavel B., Méniel P. Yvinec JH. ot Leper, S. (2002), Archéolagie dv ebeval. Des origines a la ance, Pati, Erance, col un site Paléolithique associé aire, 17 (4 rode maderne en F Arguat A, (1991), ‘Documents des Labor Hespétides 127 p. Camnivores quaternaires de Bourgogne Géologiede Lyon, 115, p- 1-309. Panimal n'est pergu que sous l'angle des apports énengétiques. Or, comme nous l'avons vu, cette vision est discutable car des besoins techniques et symboliques peuvent également motiver 'acquisition des petits gibiers. Lobjectf éait de dresser un bref bilan syn des connaissances acquises ces quarante derniéres rique années sur 'exploitation des petits gibiets en France. Ce bilan ne doit cependant pas cacher notre mécon- naissance totale de Putilisation des microversébrés, ( 200 gr). Les observations ethnographiques démontrent pourtant que les chasseurs-collecteurs peuvent consommer une quantité importante de rongeurs, de batraciens, de squamates ou encore de passereaux. Qu’en était-il au Paléolithique? Des développements méthodologiques sont nécessaires pour aborder cette nouvelle question dont les résulcas, renforceront sans nul doute le caractére profondément omnivore et opportuniste de ’écre humain, 1995), « Un essai de biochrono! tion dentaire de Vours des cavernes. Datation du site dela Balme Quate — (2000), Maconnais », Bullet 97 (4). p. 609-623. — (2004) Saint-Vallier (Drome, France)», i partir de Mévol Collomb (Eatremont-le-Vieux, Savoie, Franc 3-4), p. 139-149. sites palgontologiques du Pléistocéne moyen en a Soe re, 6, Les Carnivores du gisement Pi in M, Faure ec C. Guérin Saint-Vallier (Drime, (dic), Le gisement pliocéne final France), Geobios, 26, p. 133-182. (2012), « Les Ursidés et les Félidés de Condoulous (Tour-de-Faure, Lot) », in J. Jaubert, J.-P. Brugal M. Jeannet, B. Kervazo, V. Mourre et C Cond lous I : sequence du Pléistoc ‘mayen en Que ymme, APP, rapport 9.93. ‘ou comment lianimal commande | Service régional de Vatchéologie Midi-Pyrénées, p. 6 Argant A. (soumis),« Les Carnivore, in}.-P. Raynal ee MH Monod (ir), La Growe des Barases I (Balazuc, Andee es biauacs néendertaliens du Peitocene upériewr, PCR « Expaces et subsstance au Palétitbique mayen dans ls ral», DARA, Lyon Les deux volumes La Prébistoive de la France et La Protahistoire de la France ont été édités & l'occasion du XVII Congrés mondial de 'Union Internationale des Sciences Préhistoriques et Protohistoriques (UISPP), Paris, 4-9 juin 2018, avec le soutien du ministére de la Culture, de ENS, de Puniversité de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, de 'UISPP et du comité d’organisation da XVIII congrés UISPP. Sous le haut patronage de Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République frangaise P : F ‘the two volumes The Prehistory of France and The Protohistory of France have been published on the he XVII" World Congyes ofthe International Union of Prebistoric and Protobistoric Science JISPP), Paris, 4-9 June 2018, with the support of the Ministry of Culture, the ENS, the University of Paris 1 Panthéon-Sorbonne, the UISPP and the steering Committee of vhe XVIIP* UISPP Congress vesident of the Republic, Mr Emmanuel Macron.

You might also like