Nouvelles Questions Féministes
Mare 81
siti.
3
Adrienne Rich La contrainte a Phétérosexualté et Vexisten-
ce lesbienne vel
Francoise Comparat Féministe homosexuelle ou hétérosexuelle ?
Daniéle Stewart « Féminisme et syndicalisme aux Etats-
Unis ee... “33
Documents : 1— Quel féminisme 2... 77
2— Le travail d temps partial <.0.000 00.2200 91
3 La monde resi de Penrose « Des Pere
mes ete MLE. evo +103
(Résumé en frangais 4 la fin de chaque article)
(Bach article is followed by an abstract in English)
Collectif de rédaction : Christine Delphy, Claude Henneguin, Emma-
rmuéle de Lesseps.
Directrice de publication : Simone de Beauvoir
NetNouvelles questions féministes
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stgaliceent le ri
eaves eo liber
Editorial
Exit Questions Feminists ?
Fausse sortie voici Nowelles Questions Féministes, dont Nambition et de
continue le travail alist pendant les trois ans de parution de Questions Féminises,
Levons tout de suite Vembiguké : le changement de tre windigue en aucune
fagon un changement ¢'erenttion ou de formule. Bien au contrat, et sans doite
paradoxulement au premier abord ce changement de tie nest qu'une des manifes-
lations de ls volonté de préserver et de malntenir une identié:Videntté dune revue
dui exste depuis novernbve 1977 et qu enend ester dle aux objets quelle seat
finds (dans Feiterial du 1), 8 cous ses object, et en premier eu & ses options
poliiques fondamentaes,
Or le colectf de réaction s'est divisé durant 'té 1980 sur une question tou-
chan aux options de fond. (vor plus bas) Cells nous ont paru menactes orsquu-
ne rnajorté du colleia dei impulser dans la revue une ligne que nous jugeons
‘incompatible avee une perspective Feministe radicale. La poursite d'un travail com-
mun est devenue impossible : le collect de Questions Feministe adi se dissoutke,
Cependant, i nous parasssit également impossible que la revue s'arréte, Pourquo.?
Questions Féminises a bien B48 te ew de d€bat théorique qurelle se proposit
treet qui feist cruslement défaut au mowement feminist. Nous avons bin,
Gomme nous nous fe proposions, incl dane os débat
“la description dela rélté quotidlanne de Poppression des femmes ih
falleurs, hier et aujoureui: par exemple et parmi d'autres articles, citons pour
imémoire « Accouche », de I, Wider (pau dan ea” 5), x Traval et exploitation ées
femmes dans les supermarchés nde G. Fourier (para daas len® 4), ou encore « Les
mutilations sexuelles en Afrique », de F.P. Hosen (paru dans le n° 8):
~ la ertique, un point de vue feminist, de Vidéologie pariarcale, en4
rettant accent sur les discour les plus pernicieux parce que produits par Ia « Scien-
ce »; par exemple « La science de la reproduction — solution finale ? », de J. Han-
‘mer et P. Allen (paru dans le n° 5), « Le fait féminin : et moi ? », de E. de Lesseps (n”
5); « Pouvoir ’phallomorphique et psychologie de la Femme » de M. Plaza (n° 1);
— Ia production de théorie feministe, c'est-i-dire des analyses proposant
des grands problémes de oppression des femmes une interprétation fEministe radica-
Je: par exemple, et encore une fois parmi d'autres, « Nos amis et Nous », de C, Del-
phy (paru dans le n® 1), « Pratique du pouvoir et idée de nature », de C. Gi
(paru dans les n° 2 et 3), « Sexisme et racisme », de E. de Lesseps (paru dans le n° 7);
= la présentation d'une sélection de documents provenant cu mouve-
iment frangais et une information systématique sur les mouvements étrangers.
Lacoueil fait & la revue a démontré que toutes ces démarches répondaient a des
besoins réels. La consternation générale manifestée, et pas seulement dans ce pays,
devant léventualité d'une disparition de la revue est une mesure de importance di
role qu'elle rempli. En effet, c'est \a seule publication feministe en France qui offre la
place a des articles de fond et qui fasse autent eppel & des contributions « extérieu-
Fes» (je. a des articles n'émanant pas de son seul collect)
‘Si dans le monde anglophone par exemple, il existe plusieurs revues féministes
de ce type, Questions Féministes est, dans le monde francophone, la seule*, C'est
pourquoi elle remplit des fonctions qui sont parfois dissociées dans les pays anglo-
phones oi les revues sont assez nombreuses pour se spécialiser : certaines sont plus
Orientées vers la recherche, d'autres vers la politique; certaines sont plus orientées
vers la recherche, d'autres vers la politique; certaines privilégient les Etudes — fémi-
nistes ou « sur les femmes » — produites dans les milieux universitaires; d'autres,
approfondissent la théorie féministe, ce qui va généralement de pair avec expression
Gun point de vue féministe particulier (« radical-feminist », social-eminist »,
«lesbian-feminist », pour ne citer que quelques unes des nombreuses tendances exis-
tant dans les mouvements anglo-Saxons),
En raison de la rareté des publications férinistes dans ee pays, Questions Fémt-
niistes a di répondre & plusieurs impératifs & In fois. Ainsi, les étuciantes, enseignan-
tes, chercheuses qui essayent d’apporter un point de vue féministe dans l'Universite
ct la Science, mais dont les recherches sont considérées A juste titre comme subversi-
ves par les institutions, ont trouvé dans notre revue un lieu od les publier et ont pu
mettre leurs compétences spécifiques et compiémentaires au service de l'étude de
oppression des femmes. La revue a donc permis aux femmes engogées dans Ia
recherche féministe de communiquer entre ees, de confronter leurs démarches et
leurs hypothéses, confrontation sans laquelle le développement de la recherche serait
impossible. De plus, c'est aussi Pensemble du mouvement feministe qui a pu béndfi-
ciet de cette somme de travail, chaque année plus considérable, et y réagir.
1 nous incombait également de suivre les grands mouvements d'idées et d’sc-
tons, de nous tenir au plus prés de Vévotution des themes débattus dans le mouve-
ment, d'encourager et de permettre expression écrite de l'état des rélexions, y com-
pris des ndtres le cas échéant.
IUn'a pas toujours été facile de réaliser un équilibre entre le c&té « recherche » et
le c6té « politique », mais le résultat en valait la peine, Car Pimportance de informa
tion que la revue apporte aux féministes en général sur le développement ce la
recherche féministe ne doit pas nous faire oublier "importance de celle apportée aux
Universitaires sur le cadre politique du féminisme. Le pont que nous avons jeté entre
‘gece type il ent une atte rev de pligue frit, éelement pube par Tce, Le Rete en Fac.
Jes unes et les autres « marche » dans les deux sens. Et, Pexpérience des « Women's
Studies » aux U.S.A. (expérience sur laquelle nous publierons prochainement un art-
cle) le montre, il est essentle! que cette communication réciproque existe : que les
recherches sur les erimes soientinformées au sens fort, c'est-a-dire idéologiquement
suidées par une orientation proprement politique, au risque, sinon, que ces études ne
soient plus féministes,
Cette possbilté de divergence entre la recherche « quant aux femmes » et I'ap-
profondissement politique n'est pas conjurée par Vexistence d'une seule revue; en
revenche, la coexistence permanente des deux « genres » dans une méme revue est un
moyen certain de contribuer & leur convergence. Et ceci nous semble si important
‘que nous ne regrettons pas de n’avoir pas les moyens de nous spéciliser.
C'est pour la méme raison — la conviction profonde que la confrontation des
points de vue Ia discussion qui est a la base du mouvement, doit tre généralisée au
‘maximum ~ que nous avons, en dépit des difficultés accrues que présente cette for-
mule, maintenu coite que coste le parti de publier au moins un article « étranger »
par numéro, Sans paliet la connaissance des autres mouvements feministes que nous
Interdit Pabsence de traductions des ouvrages féministes milicants étrangers — une
absence typiquement frangaise, et qui serait delle seule un objet d'étude —, ce part
pris a permis aux féministes frangaises d"avoir au moins une idée du travail qui se
fait, des points de vue qui s'élaborent ailleurs. Ces points de vue sont d'abord intéres-
sants en eux-mémes, cela va sans dire,
‘Mais aussi il importe que le mouvement francais tente d’échapper au chauvinis-
ime qui caractérise la vie politique et la vie intellectuelle de ce pays, et qui n'est év-
ddemment pas sans conséquences: il en résulte un appauvrissement du débat d'idées,
‘appauvrissement qui va en empirant puisquc les contributions sont limitées a ce qui
est produit dans Thexagone, et que cette production, faute de stimulation, va elle
éme s'appaustissant ete. bref un provineialisme galopant. Et, outre qu'elle pro-
vvoque une paupérisation intllecuclle, cete ignorance crasse du reste du monde qui
caractérise tous les niveaux de la socitté frangaise, et qui s'ignore évidemmert
‘comme ignorance, est particuliérement dangereuse dans la partie du domaine pol
tique of se situe le feminisme et qui est censée prvilégier internationalisme. Mais i
ne sulfit pas de proclamer une intention internationaliste, encore faut s’en donner
les moyens§ et la politique culturelie nombriliste des mouvements politiques et de Tis-
tellgentsia frangaise promeut de fait une perspective limitée, chauvine, et finalemert
nationaliste.
Voili toutes tes raisons qui font que, s'il était impossible que Questions Fémans-
tes continue ~ & cause du elivage profond apparu a Vintérieur de son collectif —, i
ait également impossible que Questions Féministes s‘arréte. Il était impensable
accepter que la revue disparaisse; de prendre une décision qui revenait & priver le
mouvement, surtout dans un moment ol ses espaces et ses instruments se reduisent
‘comme peau ce chagrin, ob jusqu'a son nom lui est volé, d'un outil de travail esser-
tiel
Car garder des traces de Métat de la réflexion théorique tout moment, c'est
plus que constituer des archives, ou méme que généraliser la discussion, c'est pet-
‘mettre de faire avancer des débats qui, sinon, pietinersient d'étre toujours a recom-
mencer. Et il est indubitable que existence de Questions Féministes a fait avancer la
réflexion dans des domaines importants de la théorie féministe : par exeraple sur les
rapports entre sexe biologique et genre social, sur lidéologie de « la difference », sur
les rapports entre marxisme et feminism. Les articles de Questions Féministes parus6
sur ces sujets ont suscité de nombreux débats et groupes de travail. Cette avancée
théorique est un apport qui ne se limite pas au mouvement frangais; en effet, elle a
soulevé assez d'intérét aux U.S.A, pour y susciter la publication d'une version en lan-
jue anglaise de Questions Féministes, qui sous le nom de Feminist Issues a sorti son
premier numéro en juin 1980.
Voila pourquoi nous avons décidé de créer Nouvelles Questions Féministes.
Cette décision n'a pas été facile & prendre, car 'éclatement c’un groupe de travail tel
{qu'un collectf de rédaction n’est pas seulement un choe intellectuel et politique, c'est
aussi un traumatisme affectifetil ne nous a pas éé alsé de nous résoudre & repartr,
en dépit du découragement et de la démoralisation qui ont suivi
Nous devons a nos lectrices, et plus largement au mouvement en général, une
explication sur les causes de la division du collectif de rédaction, Il est honnéte de
dire que nous n’avons pas bien compris nous-mémes — et cela n’a pas &é le moins
douloureux ~ ce qui s'est passé, au niveau personnel : pourquoi telle personne a p
{elle position. En revanche, nous savons trés bien sur qucls points la discussion &
achoppé, ou plutdt échoué au point qu'elle n’a pas eu lieu. On pourrait penser que
Panalyse des points de divergence est, maintenant que le collectf est dissous, une
question shétorique. Mais si nous avons tenu & y procéder, c'est quelle nous a permis
de clarifier des questions qui n’avaient pas été abordées dans lécitorial du numéro I
dde Questions Féministes, et donc de préciser les options fondamenteles de la revue.
Le collectif de Questions Féiinistes s'est divisé en deux en juin 1980 sur la
question de la position dite « lesbienne radicale » exprimée par un groupe nommé
alors « les lesbiennes de Jussieu ». Partant de la critique de Ihétérosexualité comme
liew et moyen principal de Poppression des femmes, cette position a abouti de fait, &
traiter les femmes hétérosexuelles de « collabos », formule qui a déclenché de violen-
tes discussions au sein du mouvernent, Selon cette position, siles femmes et les hom.
mes constituent deux classes antagonistes, il « s'ensuit » que tout contact entre ces
dex classes est une « collaboration de classe », et de la part des membres de la clas-
se opprimée une trahison vis & vis de celle-ci,
Une partie de Vex-colletif s'est déclarée solidaire de ectte position dans son
ensemble; l'autre pertic du collecif — nous — a réagi violemment contre cette posi-
tion, ou plus exactement contre la « conclusion », qu’elle estime incompatible avec
les principes du féminisme, avec Vorientation théorique et politique de la revue, et
contradictoire avec ses prémisses tirées du féminisme radical: c'est-i-dire la recon-
naissance que les femmes, toutes les femmes, constituent une classe opprimée par !a
classe des hommes, et que le éminisme est la lutte contre une oppression commune &
toutes les femmes. Or le terme « collabo » désigne des ennemis politiques, non des
semblables dans Popptession, ni des alls, Ei les « collabus », par definition, ne pew
vent étre en méme temps des résistantes, cest-i-dire des féministes. Dire que les hété-
rosexuelles sont des collabos, ou ne pas s'opposer & ce qu’on le dse, ees les exclure
du féminisme,
D’un cété et de l'autre, on évalue trés differemment le réle et Fimportance de
cette conclusion, Les membres de l'ex-collectif qui défendent la position « lesbienne
radicale » déclarent dans le méme temps ef « contester la pratique d'injures » er se
solidariser avec celles qui ont répandu le slogan « hétéro-collabo ». En ce qui nous
concerne, nous ne parvenons pas a salsir la difference entre dire quelque chose soi-
méme et se solidariser avec celle qui le dit. Elles opérent de surcroit des distinctions
arbitraires entre diferentes parties de Ia position « lesbienne radicale » : elles en
dgpartagent et higrarchisent les diverses propositions, appellant certaines «le fond »
et d'autres « {a forme ». Ainsi'selon elles, la critique de Phétérosexualité serait le
fond, tandis que la condamnation des femmes hétérosexuelles serait une « forme »
avec laquelle elles disent n’tre pas d’accord, mais qu’elies refusent de discuter, preci.
sément parce que pure « forme » : contenu sans contenu, sens dénué de sens poiit
que.
Ainsi on doit, selon elles, discuter exclusivement de ce qu’elles ont décréé « le
fond », et ne juger la position « lesbienne radicale » que sur ce « fond ». Dans leur
logique, vouloir discuter également de Ia condamnation des femmes hétérosexueles
revient « faire des critiques formelles pour éviter la discussion de fond ».
Cette maniére denvisager les choses, de défendre Ia position «lesbienne:
radicale » en refusant que son ensemble soit pris en considération n'est pas particuié-
re aux membres de Pex-collectif, mais & tout le groupe dit « de Jussieu,
Nous estimons ce raisonnement de mauvaise foi. Un bon argument ne saurait
cn Feize passer un mauvais. Aussi nécessaire que soit la critique de Ihétérosexualité,
‘aucune nécessité théorique ne peut jusifer exclusion de quelque femme que ce soit
des opprimées, du groupe défendre, bref de.la classe des femmes. Nous refusons la
liaison obligatoire entre critique de Mhétérosexualité et condamnation des femracs
hatérosexuelles; d'une part parce que cette conclusion est d'emblée inacceptatle;
‘autre part parce que les « lesbiennes radicales » n'y parviennent que par une série
de glissements et de sophismes qui impliquent ia négation des principes du féminisne
radical, entre autres de la centralité du concept d'oppression et de la théorie des clas-
ses de sexe, (els que nous les avons exposés dans Péditorial du n° I de Questions
Féinistes,
1/ Ainsi, déji' dans le mode de discuter, un clivage est apparu qui, pour ére
sans « fond », en est pas moins grave & nos yeux que celui concernant la definition
du feminisme, C'est le probléme d'un mode de pensée terrorists ot finalement totali-
(aire, En effet, les « lesbiennes radicals» présentent leur positon « en bloc » :ilnsst
pas permis de is ertiquer. Qui n'est pas totalement avec elles est totalement contre
elles. Car si, d'un edt elles font une cistinction spécieuse entre «le fond » et « Ia for-
me », par ailleurs, et contradictoirement, elles refusent de les dissocier: si 'on ci
tique la condamnation des femmes hétérosexuelles, cela signifie pour elles que on
refuse toute critique de Vhétérosexualité, et méme que l'on « défend Phétérosexuali-
é>, voire que Ton « soutient une ligne hétérosexuelle radical ».
Nous refusons ce raisonnement, non seulement parce qu'il est spécieux, cela va
sans dire, mais plus gravement, parce quil est terroriste et totalitaire. Ce mode de
pensée est bien connu, historiquement; en général, i justifie une pratique terroriste et
s"appuie sur elle; et ces discours et pratiques servent généralement une politique de
terreur. Ce n’est pas hélas un privilége réservé aux grewpes dominants ou aux réai-
ines assis. Le P.C., les groupuscules d'extréme-gauche utisent discours circulate,
pensée totaitaire et pratique terrorste.. dans la mesure de leurs moyens. Ce n’2st
pas non plus Mapanage des hommes; nous avons rencontré, dans ce pays, avec le
groupe « Psychanalyse et Politique », un systéme totalitsire dans le féminité. La pra-
tique dans le mouvement du groupe dit « les lesbiennes de Jussiew » est, de méme que
leur discours, fondée sur le soupeon, Paccusation, voire la dffamation personnel, ke
rmépris de Vinterlocutrce, le refus de la discussion. Cette pratique leur a valu d'eire
reniées par Ia plupart des féministes, y compris des feministes lesbiennes, et d’éire
cexclues de la rencontre féministe radicale da Mans (ef. documents).8
Discours et pratique de ce type sont au service d'une politique qui & une ambi-
tion ~ qu’clle n’en ait.pas les moyens est sans importance — terroriste.
2/ En effet la logique de Ia position dite « lesbienne radicale » aboutit a élimi-
ner les ferimes hétérosexuelles des rangs féministes, et cette logique n'a méme pas
besoin d'etre inférée puisqu’elie est explicitement éerite dans leurs textes (ef. docu-
ments).
Nous nous sommes dés le départ, & Questions Féministes, inscrites en faux
contre les théories prétendument féministes qui excluaient cependant certaines fem-
mes, par exemple les « bourgeoises », de la population a libérer. Contre cela nous
avons affirmé que les femmes constituent une classe, Or, sion admet qu'il existe une
communauté de sort fondamentale entre toutes les femmes, le premier objectif de la
lutte est Ia transformation de cette « classe en soi » en « classe pour soi »; Pacquisi
tion par cette classe objective dune conscience subjective de classe.
Le coroliaire du constat de la communauté de sort est I'affirmation de la néce
sité de la solidarité, C'est done dune certaine fagon a priori que nous dénong
‘some anti-féministe toute analyse qui renic d'une fagon quelcongue cette solidarit,
Nous pouvons dire, avant méme tout examen, qu'une analyse qui, partant de prémis
ses féministes, active & des conclusions anti-solidaires, doit étre bourrée de sophismes
de fait, & Yexamen, nous les trouvons).
3/ Lexclusion pure et simple des hétérosexuelles duu mouvement étant évidem-
‘ment une mission impossible, le fonetionnement dans le réel de leur position revenait,
4 instaurer dans le féminisme une théorie de Pavant-garde, et as‘en fare les membres
autodésignés.
Ayant adopté une ligne politique qui ne faisait pas lunanimité dans la revue,
autre partie considérait dans un premier temps (avant que nous concluions unani-
‘mement & la dissolution du collect) que nous pouvions travailler cdte a céte en
exprimant dans la revue nos « divergences ». C’tait, de notre point de vue, niet la
réalité politique du confit, c'es-é-dire non seulement invalider nos objections a la
«ligne de Jussieu », mais aussi le sens politique de leur position : se solidariser d'un
groupe dont Pune des conclusions politiques est « hétéro-collabo » (quand bien méme
ensemble du collectif serait d’accord sur dautres aspects de ses positions), le soute-
hir & Pintérieur d'un collectif comprenant des hétérosexuelles, clait admettre la pos-
sibilé dans ce collect — et plus largemeni dans le mouvement en général — d'une
hhiérarchie politique entre féministes, admettre que les unes fassent figure d’exemples
@ sulvre, les autres portant tout le poids de I'e auto-critique ». Ce prineipe de fonc-
Honnement, comme ta position politique dont i! découle, nous a paru inadmissible.
Ceiit été un tout autre probléme (plus exactement il n'y en aurait pas eu pour
‘nous) sil s’était agi simplement de poser les distinctions entre oppression des les
biennes et celle des hétérosexuelles, et d’affirmer le droit, comme la nécessté théo-
rique et pratique, cle « partir de sa propre oppression ». Prineipe que nous défendons,
pour les lesbiennes comme pour les hétérosexuelies, et justement contre la posit
Pautce partie, puisqu’elle privilégie un vécu par rapport a un autre, « Partr de notre
véeu », « partir de notre oppression », c'est ce qui a été historiquement la base, a
condition méme, de 'émergence du féminisme, Mais quand on dit que « c'est la colla-
boration hétérosexuelle qui freine le mouvement » — autrement dit, les femmes hété
rosexuelles elles-mémes — (cf. tract inttulé « Rencontres lesbiennes », 21-22 juin
1980, émanant des « lesbiennes de Jussieu »), on dénie la réalité objective de laquelle
partent la majorité des femmes; cela cevient & dive que la réalité présente (de oppres-
sion) est un frein @ la libération — ce qu’on avait compris depuis longtemps. Mais
9
‘outre transformer une tautologie (les hétérosexuelles ont des liens intimes avec le
‘groupe des oppresseurs) en acte d'accusation (done elles « collaborent »), cela revient
A dire (w Toutes les femmes doivent devenir lesbiennes, c'est-dire : solidaires, ré
antes, non collaboratrices » — ef. le méme tract) quil existe une avant-garde, un
modele, un groupe d'opprimées spécifiques qui est le représentant nécessaire ef suli-
‘sant de Pensemble des opprimées: théorie « léniniste » contre laquelle les feministes
ont luté en affirmant que les femmes ne pouvaient are représentées dans la lute
sociale que par elles-mémmes; ce qui implique que, parmi les Femmes, aucune ne repri=
sente toutes les autres sinon dans ce qu'elle reconnait de commun toutes.
Precisons ici que dans les deux « camps » qui se sont opposés dans notre collee-
if, certaines ont un « véou lesbien », d'autres un « vécu héterosexuel » (dans ce de:-
fier cas le soutien A la ligne « esbienne radicsle » consiste& se reconnaitre soi-méme
comme « collabo »). I n'y a done pas eu, en Voccurence, un clivage entre « les» lex
biennes et «les» hétérosenuelles du collect, et ce constata son importance. C'est ce
foute une approche du féminisme quill ‘agit.
44/ Ces divergences sont, on le voit, importantes et chacune aurait suff faire
Aéclater le colletif. De plus, ces trois clivages en ont mis a jour un quatriéme qui aice
eut-tire & comprendre ce qui demeure pour nous un mysiére : comment des femmes
avec qui nous avons travaillé si longtemps ont pu prendre, sur le terrorisme (« psy-
chologique » ow « intellectuel »), sur le séparatisme lesbien (entendons : d'avec les
Jernmes hétérosexueles), sur Vavant-gardisme, des postions contraires aux prémisses
sur lesqueles nous avions, ensemble, fondé le revue eten rupture totale avee ce qu’d
les avaient défendu tout au long de Fexistence de Questions Féministes. Ce quatrieme
clivage éclaire en partie pourquoi nous n'avons pu nous mettre d'accord sur ries,
meme pas sur l'objet du confit,
En effet, quelles sont les clefs du clivage I'ntéricur de Questions Féministes
A ote sens, Phistoire interne de notre groupe, avec ses conflts personnels, ou de ré-
les, ou de pouvoir (comme dans tout groupe) fourit des pices au dossier. O:,
curieusement, l'autre partie nie que de tels facteurs afent pu jouer dans ses prises de
position par rapport & nous, qui seraient « purement politiques » (quoique non expl
cites).
Cette négation méme repose, & notre avis, sur une conception profondément di
frente de la notre des rapports entre le « personnel » et le « politique ». Précisément
Vhistoire interne de notre groupe, a occasion de certains incidents « personnels »,
avait fait surgir cette divergence. Trois d'entre «elles » (sur quatre de actuelle
«autre parte ») défendaient contre les autres (dont « nous ») le principe du secret sur
Ja « vie privée » & Tintérieur d'un groupe, Nous disions qu'il ponvait étre extréme-
‘ment perturbant, individuellement, et handicapant du point de vue de la « prise dz
‘conscience » ct de l'analyse théorique, de discuter de sujets comme lhétérosexualité
etl lesbianisme sans faire réfrence & son « vécu personnel » (référence sans laquelle
Je féminisme n’aurait pu trouver sa parole). D'une part le principe de secret des unes
agissait comme censure des autres (il est difficile de « se révéler » unilatéralement)
Diautre part la méconnaissance de I'« orientation sexuelle» de ses interlocutrices,
comie le fait pour les interlocutrices en question de ne jamais la formuler ni la relier
4 leur discours, de rester dans les généralités abstraites, bloquait les discussions et
approfondissement de nos positions, Peut-étre est-ce une des raisons pour lesquelles
certaines de autre partic se sont affirmées si brusquement « lesbiennes radicales »:
aprés leur long silence de principe; comme si étre lesbienne était quelque chose d'in
dicible en dehors de sa traduction en « choix politique », et que cette affirmation nz10
pouvait surgir que sous forme d'antagonisme avec les hétérosexuclles définies comme
«collabos ». C'est sans doute aussi une raison pour laquelle le conflt @ été consom-
sé en tsois réunions sans la mioindre possibilté de communication entre nous.
Le principe « le personnel est politique », qui a été une des premiéres affirma
tions féministes, n'a pu étre formulé que parce que des femmes ont découvert en par-
lant elles (entre fernmes), et en parlant de ce qui ait jugé w privé » ou « intime »,
‘que précisément ce n'état’pas si « intime » que cela, que leur « privé » sinserivait
dans des lois sociologiques analysables comme systéme oppression. Cette décou-
verte ne peut avoir été faite une fois pour toutes. Elle esta refaire indéfiniment au fur
et & mesure qu'on aborde tous les recoins de Vexistence des femmes.
Or voila que celles-a mémes qui jugeaient que le privé devait éire mis entre
parenthéses dans un groupe, et qui interprétaient notre désaccord sur ce point
comme une attitude « inguisitoriale » (nous ne demandions justement pas de comp-
tes, mais un minimum de transparence, condition nécessaire de la déculpabilisation),
soutiennent maintenant des « lesbiennes radicales » dont les principes conduisent &
faire violence au vécu individvel, non par le fait d’en parler ou de analyser, mais en
Grigeant des devoirs de conformité du vécu a « le ligne » : pas le vécu des oppres-
seuts, mais celui des opprimées, ce qui fait toute Ia différence ! C'est la un renverse-
ment insidieux et extrémement dangereux du principe « le personnel est politique »,
qui devient : « le politique doit érre le personnel ». Autrement dit, «le politique n, au
lieu d’tre reconnu comme analyse et projet est confordu avec le Véou immediat. Ce
n'est plus partir du personne, c'est vouloir fe supprimer (par voie d'accusation et cul-
ppabilisation), dans la mesure oii ce « personnel » entre en contradiction avec Tidéal
alfirmé; c'est prétendre que lidéal poursuivi peut et doit, ici et maintenant, se maté-
iliser dans chaque individue poursuivant c2t idéal. C'est vouloir abolir les contra-
dictions objectives entre le « vécu » et le « politique » et transformer le « véeu » en du
«politique pur », Il faudrait que tout son étre ne fasse qu'exprimer « la ligne juste ».
Le but n'est plus de lutter contre Voppression, le but est dexprimer ia nom.
‘oppression. Ce qui ne peut conduire qu’a se transformer, et youloir transformer les
autres, en étiquettes ambulantes de propagande; a sidentiier a « l'avenir radieua »,
mais ce qui est plus grave, a forcer les autres, les « moins libérées », a s'y identifier
sans passer par une démarche autonome, c’est-é-dire & remplacer la libération par la
culpabilisation, la prise de conscience par la soumission au nouveau « fic dans sa
téte » (le nouveau Mic, dans un processus révolutionnaire, est encore plus dangereux
‘que Pancien cari est censé ne pas exister). Bref, c'est de la pensée totalitaie. Et il est
plus que navrant, il est extrémement grave pour les femmes que des féministes ne
sachent déceler et dénoncer ce processus politique (connu ailleurs sous le nom de
«stalinisme »), alors que c'est en luttant contre cela méme que les feministes ont pu
merger : en effet, issues généralement de « la gauche », elles ont compris que « la
Juste ligne margiste » ne prensit pas en compte leur vécu (d'eppression en tant que
femmes) et quil fllat non pas réduire la réaité 4 la ligne («il n'y a pas dantago-
risme entre hommes et femmes »), mais changer « la ligne » pour adapter a la réal:
te
Sur tous ces points, nous pensions que l'accord était total dans le collectit
depuis fe début. Pour nous le rejet des théories léninistes de V'avant-garde, ainsi que
des modes de pensée et des pratiques totalitaires, étaient des prémisses de départ, si
aL
évidentes qu’elles n'avaient pas besoin ¢'étre expictées. Il nous semblait aussi que le
slogan « le personnel est politique », non seulement ne pouvait étre interprété comme
tune nouvelle caution donnée au vieux principe de Vinter-ficage, mais au contraire
consttuait une — la seule peut-tre ~ base théorique d'od s'attaquer ace stalnisme si
cordinaire (c'est en tous cas ce que soutiennent S. Rowbotham, L. Segal et H. Wain.
‘wright dans « Beyond the Fragments » ot elles voient ceci comme apport principal
du féminisme a lélaboration de politiques réelement révolutionnaires, ie, ibératr
ces).
De tous ces points, en 1977, un seul ne nous semblait pas acquis, et mériter
done élucidation : la thése que les femmes constituent une classe. Or nous novs ap:
‘cevons aujourd'hui que, en absence d'accord sur les autres points, méme cette theo-
ri, pourtant dépourvue d'embiguité quant a ses implications stratégiques — et ses
‘ennemis ne s'y sont pas trompés — peut éire déformée, pervertie au sens fort du ter-
me, cest-i-dire retournée contre elle-méme; que V'absence d'accord sur les autes,
points permet de glisser, aprés la proposition que les femmes sont une classe, ine
série de propositions intermédiaires qui remplacent la conclusion que Ia classe ces
hommes est "ennemi principal par celle que des femmes sont l'ennemi principal ces
femmes.
Ceci nous démonire une lapalissade : ce qui va sans dire va encore mieux en le
disant. C'est pourquoi nous avons jugé plus qu'utile, indispensable, de clarifier ces
points restés jusqu'ici implicites, et qui sont cependant partie aussi intégrante, & nos
yeux, du féminisme radical, que ceux que nous avons exposés dans U'éditorial du N* 1
‘de Questions Fémtinistes.
Ce premier numéro de Nouvelles Questions Féministes, est, comme on s'en
apercevra vite — ow plut6t aurait dd etre — le N° 9 de Questions Féministes. Si ies
documents sur fe mouvement en France sont nombreux, ce n'est pas que la situation
soit joyeuse, bien au contraire. Et si nous avons tenu & en « passer » le maximum, 24
dtriment des « Nouvelles » de Pétranger (qui sont dans nos tiroirs), c'est qu’hélas ty
4 de moins en moins de journaux féministes oi publier ces informations. La presse
féministe a été plus que décimée en un an: aprés Histoires d’Elles, c'est Remue-
Menage quia fermé et tous les aulres journaux sont en difficulté,
Dans ce premicr numéro nous continuons le débat umorcé dans le NP 7 de
‘Questions Féministes sur hétérosexualté et lesbianisme. C'est, entre autres choses,
aussi pour que ce débat qui ne fait que commencer — dans la revue, car il se poursuit
depuis longtemps dans le mouvement ~ ne soit pas étoufTé dans leeuf, que nous
avons décidé de eréer Nowwelles Questions Féminisies, Ce débat-ci, et d'autres; cat
ceclui-ci, quoiqu'apparemment « diferent » des autres et « unique », n’estil pas fe
ddébat sur les différentes formes que prend oppression a I'intérieur de ia classe des
femmes?
Le féminisme, aprés une période d'euphorie, découvre les situations qui oppo-
sent entre elles des femmes. Mais il n'a toujours pas trouvé de fagon de penser c2s
contradictions. C’est qu'il & eu — nous pensons ici au féminisme radical ~ fort a faire
ppour ne pas les penser d'une certaine fayon : pour ne pas penser les situations entre
femmes de la méme fagon que les situations entre hommes; par exemple pour ne pas
penser la contradiction entre la femme de ménage ct la mére de famille qui employe2
‘comme la méme chose que celle entre patron et ouvrier, Occupées a résister au placa:
ge des analyses « de classe n (des analyses du seul capitalisme) sur les contradictions
entre femmes, nous avons privlégié les points communs entre les femmes, Nous
n'avons cu ni le temps ni énergie de eréer une fagon ~ toute une théorie du patriar-
cat — de penser les points de divergence auirement, et nous savions que les penser
‘