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Frantisek KUPKA 1871-1957 ou |'invention d'une abstraction Musée d’art moderne de la Ville de Paris 22 novembre 1989-25 février 1990 Hi KUPKA, LES RAYONS X ET LE MONDE DES ONDES ELECTROMAGNETIQUES Linda Dalrymple Henderson Traut de angie Far Esa Abas «Emission et realisation, dernier chapitre de La Création dans les arts plastiques de Prantiek Kupka, s'ouvze sur une remarquable anticipation vistonnaize de Tart: tn voyant les progres accomplis dans les divers domaines, lest permis de supposer et d'entrevotr la posstblité d'auires mayens — nouveaux — de trans mission : transmission plus directe, par ondes magné- gues comme celles de Vrypnotiseur. (2) L'avent” sur ce point nous réserve des surprises; {i faut nous atten 4 voir surgir des X.. graphes ou X.. graphies, dont la disposition fera se dérouier ies événements Invisibles, subtls, encore mal uctaés, tant du monde cextérieur gue de la psyché de Vartiste.) Par ces mayens, de plus en plus perfectionnés, Variste pourra peut-ére ‘fate voir au spectateur le film de son riche domaine ‘subjectty sans ete obligé comme aujourd hut d'ceuvrer lborieusement quand i! réalise une peinture ou une sculpture)» Comme Wesiy Kandinsky et presque aurnéme moment, Kupka envisage donc la possbilité d'une communication artistique purement ¢telépathigue », sans Pentremise maté- elle d'une ceuvre d'art. La comperaison du « doroaine subjectf» de Patiste & un «i, les termes « émission , «transmission», condes» ou {G, gtaphes, nont rien exceptonnel sou la plume de Kupia Loin de Ia, ce vocabulaire ref@te des idées d'une importance centrale pour Ja théorie de Mart que le peintre labore entre 1909 et 1913, et dont on peut sure ls tapes, successives dans son caret de 1910-1911, dans les mans ets rancas de Za Créaion dans les arts plasiques(datés de $912-1913} et enfin dans le tente déimitifde cet ouvrage, publiéen traduction tchégue, Prague, en 1923. Cea ant, Ii nous semble qu'il ne serait pas sans intérét de regarder les tableaux réalsés par Kupka durant oes années dans cette seme optique, du point de vue dela fascination exercée sur Trartste pat les rayons X et les autres formes d'ondes Gleciromagnstiques, vibes ou invisbes, attention de Kupke est vrasemblablement attide vers cette partie de la physique par deux grands événerents scientifiques qui ont un retentissement considérable au début du XX" sidcie: Ia découverte des rayons X par Withelm Conrad Rontgen. en. 1895 et lz construction, a la fin des années 1890, par Guglielmo Marconi, s‘appuyant sur les travaux de Herz, d’Oliver Lodge et d'Edouard Branly, d's apparel! permettant de réallser des transmissions par télépra pie sans fl. James Clerk Maxwell a formaulé dés les années 1860 sa théorie électromagnétique de ia tumiére, mais 1a notion d’ondes électromagnétiques ne devient farilere au grand publicqu'avecla découverte des invisibles rayons X. Le ‘développement de la radiotslégraphie contribue également & agénéraliser la conscience d'une redéfinition radicale de ta réalité, congue désormals comme un espace empl d'ondes et ‘osciliations électromagnétiques. ‘a nealite invisible revelée par les rayons X nous semble fre 'une des principales sources inspiration de bien des ceurres réalisées par Kupka entre 1909 et 1912, influence ‘que nous avons analysée dans un article récent paru dans Art Journa®. Vers ia fin de Pannée 1912, en revanche, Fartiste ‘éorlente son style pictural, se détournant du regne imma \ériel et transparent de la radiographie pour atteindre 2 sa version originale de Vabstraction en tant parti d'autres aspects de! électromagnétisme, déa compris dans sa théorie. accent désormais se place surtout surla notion de télépathle [assez générelement considérée, & 'époque, comme un phénoméne électromagné:ique}, ainsi que sur la couleur pure ‘qui, en tant que parte visible du spectre électromagnétique, reléve toujours du méme ordre didees. ‘Kupka est un des premniers artistes fenter de donner droit de cite ala réalité nouvelle dévoilée par les rayons X. joint aux ‘manusctits de La Création dans fes arts plastiques, le cernet teny par Kupka en 1910-1911 lustre toute Vétendue des connaissances scientifiques qui lui font crolre & existence une réalité complexe aurdelA de ce que Ice peut percevokr de la nature, Avec ses allures de radiographic, la gravure sur ols Fantaisie phystotogique, publiée en 1923 dans Védition ‘chéque de son livre, incame sous une forme visuelié les ides cexprimées dans son camet: «ILnous faudra étudler Ia nature bien plus profondément que Yon (sto falt nos précécesseurs, pas seulement les surfaces, mals son mécanismie— et nature ers Fane pyavigee ‘ua Craton can et pai elle va jusqu’a /sio/ dans le (icf plus fines arborisations de Vécorce oétébrale®..» Conduit aux rayons X par sa passion pour les sciences, Kupka retrouve le méme phénoméne signalé dans des atvrages d’occultisme. On peut citer, tie d'exemple, Dans invisible de Léon Denis, publé en 1904, Assimilant les Photographies spirites aux radiographiles, Denis parle de la Plague photographique comme d'un «regard ouvert sur ‘iovisibie® >. Realté invisible, transoendante 3 la perception sensible, qui Joue un réle essentiel dats la philosophie de Kupke. ‘Le peintre parie dans son camet de Veartste ‘isionaire /sio/», comparant, & instar de Denis, esprit de Partiste & un film ou & une plaque photographique : Lon pourrait parler d'appréhensions, intuitions, de vislonaire (sid, d'un fm ultrasensible, capabie de sentir [yoir) meme (sid les mondes inconnus dont Jes rythmes nous appara! ‘talent {siq| mcompréhenstbles®s, Les différents aspects de la radiographie trouvent un écho dans V'art de Kuple & partir de 1909. Le tableau Plans par ccouietrs (1909-{911) lustre particullérement bien P'neézét «dupeintre pour les rayons X. L'on voit une figure transiucide et dématéralisée, cont Je nez nettement contrasté se présente également dans les tudes préliminaites pour cette ceuvre. Crest [a un tat caractéristique des radiographles crdniennes (les rayons treversant plus feclement le cartilage du nez que les os plus denses de a tee), Avee son éclairage ‘ocalisé dansie fond, le tableau de Kupka estcorame un cliché radiographique regard & contre jour: «fm psychique? » sur Jequei arts sasit areal nvisbie et immatéile de son ‘odéle. Kupka reve parois de ia possibllité de peindre sur ‘une mative transparent [sic Ic, esta tod peinte qu tient ew de « fla psychiawe> de «artiste viionatre Des 1912, Kupka commence cependant a délaiscer cete seis transparente de formes reconnaissabes dont le rapport aves les rayons X nous semble incontestable, En octobte 1913, forsqu'lformuleson «credo» par él s'est ores et a6 démarqué de ses jeunes colbgues cubistes de Puteaus, Griiquant dans ce tert les peintres qui «pecseront 8 tout Vimaginable effort Pexprimer la nature par quatre dimen sions», i poursult: ¢On peindrs les rayons X, les ones leciviques, ou peindaitérieur de tere, le fond dela mer tains|allant& infil on peindrefollement.|..j Etestce ile but de Mart? [..| Ceres nor.» Sans daute ne vse pas Seulementes cubistes, mais encore les futurists itaens qu, dans le catalogue de leur exposition parsiemne @ la Galerie Berheim:-Jeune en férier 1912, se sélament expressement des rayons X et desc lignes de force comme éidments dla petnture futriste!® On pourrait définir le cheminement qul conduit Xupka de sa conception inale du role de Vartiste et de Pceuvre d'art jqu’d a cristalisation dfintive de son credo arstique, en 1913, pares métaphores qu en marquent les deux termes. Avec le temps, le model dea clairvoyance cde a ved Ja téépathle. L’accent est done deplecé. 'artst rest plus IRUAUSES AATNUGRAPHIQUE ALMEUET: eG. Mens "ohn appa ae ore i 19093 présenté comme doté d'un «lm psychigue»radiographique, meme de révéler une réalté supérieure, mats bien comme un émetteur d’ondes télépathiques, tansmises & Vesprit du spectateur par 'ntermétiare de Cceuvre d'art. Le theme de Peextériorisation est présent deja dans ie camet de 1910-1911 o8 Kupka éctit: ¢Un tzblean n'est aileurs rien autre qu'un champs [sid dextériorisation », Dans La Création dans les arts plastiques, la notion ¢’ exteriors tion est expressément rapportée aux processus d'émission etde réception dc ondes électromagnétiques) dans éther. Lactation de Pceuvne d’et est ainsi redéinie dans optique dela télépathle et de la télégraphie sans fil qui en représente en quelaue sorte ie pendant sclentiique. Crest cette nouvelle tourmure théorique qui explique ‘émergence de la pure abstraction chromatique qui prend le dessus dans Peouvre de Kupka 2 partir de 1912, avec des tebleaux qui ne se veulentphus des coups d’cell radiogrepi ques dans une réalité« autre», mais se présentent comme des généreteurs autonomes de lute colorée, Dans ies travaux caractérstiques de la pleine maturité de Kupka, comme Amorpha, fugue & dew. couleurs ou Ia série des Plans verticaw, tous de 1912, la lume ordinaire suppiante la lumiére invisible (es rayons X) sans pour autant que le resultat cease d'2tre tune expression immédlate de ame de Yartste, un ¢moyen |. de transmettre nos pensées et nos sentiments)», Comme dans ses ceuvres antérieures, Je peintre exploite paralitlement des sources d'inspiration scletifiques et occultstes en développant la théore artist que de Pcémission » qui Y'améne & adopter un style abstrat basé sur P'tllsation ée couleurs opaque. [a transition est ménagée par Amorpha, chromatique chaude, la demiére de ss tollestransparentes dant les cai etlesombtes font penser bon gré mal gré2 la radiographie, La structure de ce tableau a été interprétée surtout dans le contexte de l'étude approfoncie des rytames circulates inpirés & Kupka par le jeu de se belle-flle avec un ballon, sythines qul sous-lendent également la composition Amor ha, fugue & dew couteurs Selon Margit Kowal, Vardste peut auss avolr pensé & des voussures d'égises dans leur rapport aux grands rythmes cosiniques. Nous voudrions supgérer, pou notre part, une toisibme lecture encore. I nous sefable en eff possible de voir, dans Amorpha, chromatique chaude, des dots entrelacés dans a positon de mains en priéze ou encore une variation suc! aff mudrades Indions (geste de salutation et de respec) que Kupka peut avoir connu par ses études du yoga et de la pensée de inde. Bien gue les hut taches de couleur bleuviolet et rouge semblent & premiere vue s'nscrie en faux conire une telle Interprétatlon, elles en sont en réalté I confimmation stl'on tient compte de Pintécet por par les occultistes de cette période aux doigs comme sourced’ émanations psyckiques. Visuellement, ces taches rappellent certains des dessins abstaitsimprimés dans Les Formes-Penséesd'Ancie Besant ct Leadbeater et que Virginia Spate a dé) €voquéspar rapport ata Premier Pas {1909} de Rupes, I est vrai que Besant et Leadbeater n’associentpaslesformes tastrales» de ce genre & Je main ou aux doles, les décrivant plutot comme fotant librement dans I'air ou vibrant dans aura qui entoure le comps, D'umaitrecbté, on peut citer deux occultistesrancais, Albert de Rochas et i¢ Dr Hippoivte Baracuc (cite aust pat Besant et Leadbeater, selon lequel les doigis de la main projettentellectiverent des elluves psychiques. En fat, les crits de Rochas et de Baradc uilisent un vocabulaire trés proche du langage de la théorie artistique de Kupke. On y Fetrouse souvent les mémes mots — extérioriation 2, PsY¥cHICONS formé au centre d’un nimbe odique. (Avec électridité, sans appareil, avec la main.) sPayaiege panera tare se remagagtie de te faceeg ak,196, 9.19 cémission, «vibration» —, Peélectricté en général Baradue et Rochas se réclament tous les deux de la tradition du magnétisme animal, renouvelée par le baron. CChatles de Reichenbach, chimiste allemand qui expose, dans Jes années quarante et cinquante du sidcle demnier, son idée de P'cOdo ou de la force odique», nom qu’ll donne aux émanations qui croit voi séchapper d’almants, de cistaux et de certaines parties du corps humain. Dans le contexte de )Pélectromagnétisme des années 1890 (2 Ja lumiére surtout de a découverte des rayons Ket des recherches quipermettent Henri Becquerel de constater, en 1897, la radioactvité de certains corps), cette «force vitale » magnétique suscite un, regaind!intert, Rochas introduitles dées de Reichenbach en France, Lurméme accorde une place importante & la force odique dans ses écrts sur les états hypnotiques (qu'il persist, avec d'autres magnétiseurs,& attbuer & faction d'un fiuide magnétique) et ce quill appelle I'xextériorsation de Ja csensibltéy et de la emotricité» par des médiums et autres sensitis! Dans le texte que nous avons cité au début de cette étude, ‘Kupkc parle d’condes magnétiques comme celles de Phyp notiseur », Dans [Bxtériorsation de (a sensibilité, cwvrage ‘Publié pet Roches en 1895 et quien sera sa sixiéme édition ‘en 1909, Hest question des «elves» rouges et biew-violet qui émanent des deux poles d'un aimant et, selon les observations du Dr Luys, des extrémités croite et gauche du ‘corps de personnes hypnotisées'>. Les pointes des doigts dans ‘Amarpha, chromatique chaude rapoellent ces effuves dans ‘état de transition d'une couleur & Tare qui correspond & inversion du courant dans un éiecto-aimant et qu’tluste, pat rapport aux mains, "une des planches de Iouvrage de Rochas!®, A Ja diffrence des projections de Rochas qui jailissent comme des flammes, les motifs colorés de Kupka nsi qu'un mémme intérét pour sont plans, confings dans les deux dimensions de f tale... 01 de la plague photographique sur laquelle Baracuc a tenté de les salst, exposant ses expériences en 1896, dans utt ve intislé Ame humaine, ses mouvements, ses iumiéres, et Piconographie de Vnvisible fluidigue, qui sera réedité en 1911. Baraduc s'inspire autant de Reichenbach que de I'c exe riorisation > de Rochas. Son ouvrage tate essentiellement de interaction de la eforce vitale de YOd!” » qui, selon tul, ‘emplit le monde enter, avec I'ame humaine. Sans apparell ‘photographique, uilisantsimplement une « plaque sensible » et faisant appel, & occasion, & un courant électrique, 41 produit une série de photographes censées dlustrer sept stades différents de cette interaction. Parmni ces documents, [ks plus intéressants sont fes « psychicones »,représentant unt stade intermédiaire que Baraduc qualife d'« image de Esprit rmodulant la forme animique!® +. Le ¢psychicone » se veut sane photographie de la pensée ou de état d'ame du sujet. Dans Les Formes-Pensées, Besant et Leadbeater parlent des ‘mages de Baraduc comme d'un pendant scientifique » de leur propre travail. Pour raliser un « psychicone » typique, Baraduc se concentre sur une idée précise en tendantla main ‘vers la plaque photograpbique, le corps traversé par un courant électrique, « 'esprt, dit, textériorise sous cette forme qut se grave sur la plaque. (| Le psychicone est dane directement émis tel qu’ll 2 été produtt par la pensée et transmis par la main...» Sans doute est-ce dans Amorph, chromatique chaudleque ‘Kapka utilise pour la premiére fois des motifs chromatiques abstraits pour rencre sa pensée, Qu'il se soit inspire directement des photographies de Baraduc, qui considére la rain — qu'il qualifle de « miroir de I'ame“” » — comme la source de projection de ses :!, Kupka, comme Crookes et Houston, parle souvent de I'cétat roléculaire» du cerveau. Il semble méme réagir dlrectement ATexposé de Crookes en notent, sur la page de son caret consacrée & la télépathie: ‘dL y a, sans doute, une corespondance [sic) entre activi générale de tout Vunivers et Vactivté psychi que et céréérale d'un homme. — Eset cowours feces el que cel se passe chez bl conscint sic] ? Puisque un cerveauestsusceptbe alse] intecepter les ondes qu'un autre actif [sic] envole dans Ves. pace? —» Dans La Création dans tes arts plastiques, Kapka emplole 8 tout bout de champ te langage de la téiépathie et de la

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