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20chachou pp195 201
20chachou pp195 201
Abstract
The reality of sociolinguistic representations in Algeria is too complex to be reduced to a stereotyped
operation consisting of the simple gap between practices and representations. The purpose of this article
is to highlight the endorsement of this idea in Algerian sociolinguistics by showing that the introduc-
tion of a variable in the methodology used for data collection puts this shift into perspective in a
significant way and restitutes complexity in the data.
Key words: Gaps between representations and practice, Algerian sociolinguistics, Algerian speakers,
stereotypical representations
1. Introduction
L’idée de l’existence d’un hiatus entre les pratiques et les représentations chez les
locuteurs algérianophones est un constat qui a été établi par la sociolinguiste algé-
rienne Khaoula Taleb-Ibrahimi dans sa thèse d’État soutenue en 1991. C’est
également le résultat le plus important de son ouvrage référence « Les Algériens et leur(s)
langue(s) », publié en 1995 et réédité en 1997. Depuis sa diffusion, cette conclusion a
connu une fortune particulière et a été reprise dans de nombreux travaux pour être
confirmée, notamment dans des mémoires de magistères, de thèses de doctorats mais
dans des articles scientifiques également. Pour rappel, cette idée de discrépance ren-
voie au
« décalage entre le comportement effectif (pratiques) et leurs discours (le « dit » et les représen-
tations explicitées et non explicitées) (…) le décalage se vérifie dans plusieurs instances : par la
présence continue et constante des phénomènes de switching et de mixing (alter-
nance/mélange) malgré et en dépit de l’attitude négative des locuteurs vis-à-vis de ces deux
phénomènes » (Taleb-Ibrahimi[1995] 1997 : 119).
Elle reconduit la même vision dans un article daté de 2004 : « ces pratiques contras-
tent, par leur vitalité et leur souplesse avec (…) le fonctionnement rigide et cloisonné
des représentations langagières et des attitudes à l’égard des langues développées par
les Algériens » (Taleb-Ibrahimi 2004). En dépit de l’évolution de sa position sur les
pratiques métissées des algérianophones qu’elle apparente désormais à de la « créativité »
(Taleb-Ibrahimi 1998) plutôt qu’à du « sabir » (Taleb-Ibrahimi [1995] 1997 : 115), il
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n’en demeure pas moins que le caractère tranché du hiatus est toujours affirmé, malgré
des nuances possibles, comme j’essayerai de le démontrer ici. La question que je me
pose dans le cadre de la présente contribution est de savoir si, au regard des mêmes
résultats obtenus, la saisie des discours épilinguistiques stéréotypés ne souffre pas elle-
même d’un stéréotypage, autrement dit si, à trop vouloir saisir le stéréotype et le
valider, on ne stéréotypait pas la question elle-même, ce qui ne serait qu’une reproduc-
tion de résultats déjà obtenus pour un contexte différent et ce, en dépit même de
l’hétérogénéité des situations des terrains et des enquêtes et de l’évolution / ambiva-
lence des représentations. Le point le plus marquant qui ressort de ces résultats est la
stigmatisation des langues premières et plus particulièrement de l’arabe algérien et du
code-mixing impliquant l’arabe algérien et les langues berbères avec le français.
Qu’induit dès lors ce hiatus sur le plan de la conceptualisation de ces pratiques effec-
tives et mixtes et que reproduit-il sur le plan théorique et sur celui des catégorisations ?
4. Présentation de la recherche
L’enquête a été menée en mai 2010 auprès de deux promotions d’étudiants en
Sciences de l’Information et de la Communication. Le choix du profil des étudiants a
permis de : 1/ mettre l’accent sur la variable contextuelle en interrogeant un public de
futurs spécialistes ou, du moins, d’initiés au domaine ; 2/ se démarquer des enquêtes
où ce sont souvent des étudiants en Lettres et en Langues qui sont sollicités. Leurs
réponses sont parfois influencées par le poids de la norme.
Les étudiants, filles et garçons, sont âgés en moyenne entre 21 et 25 ans. Ils sont en
troisième et quatrième années de licence classique et sont issus, pour la plupart d’entre
eux, des villes de l’ouest et du sud-ouest algériens. Ils pratiquent généralement l’arabe
algérien et ont une maîtrise différente de l’arabe institutionnel et du français. Quatre
d’entre eux se sont déclarés kabylophones. Pour chaque question, il a fallu relever et
recopier les réponses des répondants des deux sexes appartenant aux deux groupes,
celui de la 4e année, (désormais groupe A)2, et celui de la 3e année, (désormais groupe
B). L’identification des enquêtés correspond aux données liées à leur sexe (G) pour
garçons, et (F) pour filles, à leur niveau d’étude (3) pour la troisième année et (4) pour
la quatrième année. Quant à la numérotation, elle s’échelonne du premier enquêté
jusqu’au dernier, pris et classé de manière aléatoire.
Question 2 : Pouvez-vous nous en citer (des publicités) deux ou trois de mémoire ? Ex-
traits : F.4.18 : « Change pour l’orange » (ar.alg+ ar.méd), « Avec toi ô la
Verte (équipe nationale de football) » (ar.alg) / G.4.72 : « Mobilis et que tout
le monde parle » (ar.instit) / G.4.74 : « supportez les verts en Afrique du
Sud » (fra) / F.3.58 : « Change pour l’orange ».
La tendance montre que les résultats penchent en faveur de l’arabe algérien, puis de
l’alternance arabe algérien-français. Aucun texte en langues berbères n’a été fourni.
1
Cette enquête a été menée dans le cadre de ma thèse de doctorat : « Aspects des contacts des langues en
contexte publicitaire algérien : Analyse et enquête sociolinguistiques. », (2011), S/D Pr. Assia Lounici et
Philippe Blanchet. Lien vers la publication : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00650009/fr/
2
La précision de la série du groupe n’a pas son importance ici, n’apparaîtra dans les extraits que le sexe et
le niveau universitaire de l’enquêté.
198|Le hiatus « pratiques vs représentations » en sociolinguistique algérienne
second, lui, est négatif, il limite leurs compétences en langues étrangères à l’arabe et au
français.
Question 9 : Pourquoi? Extrait : Réponses subjectives : « parce que
l’ARABE c’est une langue claire » (F.4.11) / Réponses neutres : F.3.27 :
« pour convaincre plus et permet de vendre plus de produits » / F.3.43 :
« pour faciliter l’achat du produit » / F.3.63 : « L’unique souci de la publicité
est d’influencer le public pour une stratégie économique, il a des intérêts » /
Réponses pragmatiques : G.4.23 : « dans une société il y a plusieurs catégo-
ries (…) les kabyles, Chaouias, touareg chacun son langage » F.4.51 : « pour
un but commercial » / F.4.12 : « dans la société algérienne domine beaucoup
de langues kabyle, français, anglais et chaque langue utilisée dans la pub peut
transférer le message à chaque individu en utilisant la langue convenable » /
G.3.18 : « Notre société parle le français et l’arabe dans la même phrase » /
F.4.77 : « dans notre presse on vois un mélange de français, de l’arabe quelque
fois des mots d’anglais, tamazight » / F.4.45 : « il y a des gens qui sont fran-
cophones et des gens qui sont arabophone » / G.4.6 : « pas tous les Algériens,
en plus de l’arabe, ou le français ou Kabyle, il faut mélanger les langues pour
faire passer le message ».
Cette question vise à cerner ce qui motive les attitudes obtenues en réponse à la
question (8) Les réponses sont subdivisées en trois types : pragmatique, subjectif et
mitigé. Le taux le plus élevé est celui des réponses pragmatiques. Il ressort de la seule
réponse subjective obtenue, le vieux stéréotype de la « clarté » de la langue arabe, cette
réponse fait suite à la réponse (8) où l’enquêtée avance que « les gens aujourd’hui ne
comprennent pas plusieurs langues » / « crées nouveaux mode de langage différents
complètement de NOTRE culture Arabe ». Le recours au mixage linguistique par les
publicitaires est perçu comme une stratégie visant à toucher différents publics, à
réaliser des gains et à se maintenir sur le marché. L’autre item, plusieurs fois mention-
né pour cette question et pour certaines d’autres, a trait à la compréhension des
publicités que facilite ce mixage. La diversité linguistico-culturelle explique, elle, le
recours à plusieurs langues. Y est évoqué le caractère plurilingue de la société algé-
rienne. La pluralité linguistique, elle, est présentée en termes de communautés et / ou
en se basant sur les appartenances locales « les touarègues », « les kabyles », « les
chaouis », et en termes de capacités linguistiques : « les Algériens lisent l’arabe ou le
français ou kabyle », les mêmes langues sont citées dans le dernier énoncé. L’énoncé
(G.4.27) fait état de la différence qu’il y a entre « des nouveaux modes de langage
différents » et « notre culture arabe », l’enquêté ayant dans la réponse (8) qualifié de
« dangereux » le mélange des langues, la différence ne peut, pour la réponse (9), être
conçue que comme négative, cette création altérerait « la culture arabe » et la diffé-
rence est considérée comme une menace ainsi que le montre le segment « différents
complètement ». Cette attitude s’origine dans la réification des notions de « langue » et
de « culture » dans les discours et les textes officiels.
Questions 10 : Que pensez-vous des textes écrits en arabe et en français dans un même
texte? Extraits : Réponses mitigées : F.4.49 : « à la base, de préférence une
publicité en arabe, mais notre société est habituée au mélange et au mixage
200|Le hiatus « pratiques vs représentations » en sociolinguistique algérienne
Conclusion
Cette contribution a tenté de démontrer que la relativisation du hiatus « représenta-
tions vs pratiques » dans la saisie des faits de langue invite à envisager de façon moins
tranchée les attitudes, souvent jugées négatives, que les Algériens ont à l’égard des
langues qu’ils pratiquent. En effet, la facilité avec laquelle est appréhendé le stéréotype
de langue est due, en partie, au mode d’interrogation de l’attitude des enquêtés, lequel
reconduit, souvent implicitement, le stéréotype en question. L’introduction d’une
variable contextuelle de production dans la saisie des attitudes sociolinguistiques a
permis d’obtenir des réponses nuancées voire positives à l’égard des langues mater-
nelles et des mixtes linguistiques, traditionnellement négativisées. Ceci est dû au fait
que des considérations pragmatiques aient prévalues dans l’évaluation de ces mêmes
attitudes. Les questions ayant porté sur les langues dans l’écriture publicitaire, un
domaine créatif et flexible qui emprunte ses procédés inventifs à ceux pratiqués en
milieu ordinaire. Il s’agit également d’un domaine où l’idéologie de marché prime sur
l’idéologie linguistique, c’est ce qui explique que des attitudes pragmatiques qui sont
liées à des visées de marketing ont prévalu sur la traditionnelle subjectivité, puriste et
normative, des attitudes à l’égard des langues.