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An Tard, 14, 2006, p. 119 à 164

L’AFRIQUE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE


ET LA PÉRIODE BYZANTINE
L’ÉVOLUTION DE L’ARCHITECTURE ET DE L’ART
DANS LEUR ENVIRONNEMENT

NOËL DUVAL

Late Antique and Byzantine Africa:


the evolution of art and architecture in their environment

This paper was originally meant to be published as an entry “Africa” (Mauretania, Numidia,
Proconsularis) in the Reallexikon zur byzantinischen Kunst, in order to complete a dossier including
two other entries, one on “Byzacene” written by M. Restle and the other one on “Karthago” by the
late J. Christern, but finally remained unpublished. We first intended to add a few entries on Byzantine
Africa, one on “Tripolitania”, alongside articles on some of the most relevant archaeological sites in
Late Antique Africa, to be inserted at the end of the volume. However “Africa” eventually became a
thorough study of its own concerning not only Africa but also “Byzacene” and “Carthago”, in which
we updated M. Restle and Christern’s contributions taking into account the major discoveries and
studies which have been published since.
This study goes far beyond the presence of the Empire of Constantinople on African soil between
533 and 698, in order to encompass the whole christianization period from the IVth century AD to the
end of the VIIth century AD and the final conquest of Carthage by the Arabs. Its historical part deals
with topographical, institutional, political, religious, social and economical facts only as far as they
are relevant to the evolution of art and especially architecture, as suggested by the title, leaving these
topics to the second part of the dictionary.
All bibliographical references have been removed from this latest version except for those on
Carthage. References will be easily found in any textbook about Africa, like the “Agregation” or
“Capes” handbooks published last year in France for students taking the competitive French exami-
nation to become teachers in history, as well as in the numerous catalogues with their photographs and
pictures showing Tunisian, Algerian and Moroccan archaeological sites and material throughout the
world. [Author, transl. by C. J. Goddard.]

LIMINAIRE tenant compte cependant d’autres entrées prévues pour la fin


du dictionnaire: Tripolitania pour les provinces, Rusguniae,
Le texte ci-dessous est la version française de l’article que Sabratha, Sufetula, Thamugadi, Theveste, Tigzirt/Rusucurru
m’avait demandé M. Restle pour le Reallexikon zur byzanti- pour les cités, dont je devais aussi me charger.
nischen Kunst et qui était prévu pour paraître sous l’entrée Cette hésitation sur le traitement réservé, dans ce
Mauretania (und Numidia, Proconsularis) en raison de dictionnaire spécialisé, à l’Afrique pour la période « byzan-
l’avancement du dictionnaire qui n’avait pas prévu d’article tine » (au sens très large, comprenant les monuments paléo-
Africa, mais avait publié un article Byzacena, dû à M. Restle chrétiens dans leur ensemble) reflète le rapport ambigu qu’ont
lui-même, et un article Karthago / Carthago par J. Christern toujours eu avec cette région les Byzantinistes, qui l’exclu-
(†). J’avais donc traité en fait de l’ensemble de l’Africa en raient volontiers de leur domaine, sans doute parce qu’on y a
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très peu parlé grec et que la domination de Constantinople, de rappelle que j’avais publié, dans les années 1990, deux chro-
533 à 698 (ou 710 pour Tingi), y a été relativement courte. Ce niques critiques sur les découvertes d’Antiquité tardive en
n’était pas l’opinion, à la fin du XIXe siècle, de Charles Diehl Tunisie dans la Revue des Études Anciennes et, au même
qui y a commencé sa carrière de byzantiniste et lui a consacré moment (avec I. Gui et J.-P. Caillet), un Inventaire des
sa thèse de doctorat, de F.W.Deichmann, dans les années Basiliques chrétiennes d’Algérie, auxquels je me réfère
1960, qui avait orienté son élève Jürgen Christern vers parfois. L’Atlas des routes de l’Est de l’Africa dans l’Antiquité
l’Afrique pour l’architecture ecclésiastique, ni, quelques tardive, issu d’une révision collective de la “carte Salama”
années plus tard, des savants britanniques qui ont fait de conduite avec l’auteur lui-même, mais accompagné d’un livret
même avec Dennys Pringle pour l’organisation militaire et les de notices détaillées et illustrées de plans pour les sites figurant
fortifications érigées sous Justinien et ses successeurs. Mais le sur la carte, doit paraître à la fin de l’année 2007 dans la
même préjugé est répandu en France et je m’y suis souvent Bibliothèque de l’Antiquité Tardive et servira de support géo-
heurté jusqu’au moment où j’ai démontré son inanité en orga- graphique et topographique pour cette synthèse. Une nouvelle
nisant, coup sur coup en 2000, un colloque à Tunis avec Aïcha édition de mes articles sur l’Afrique, augmentée de quelques
Ben Abed sous l’égide de l’Institut du Patrimoine et, en 2001, articles d’Yvette Duval et de ceux de Paul-Albert Février omis
une table ronde dans le cadre du Congrès des Byzantinistes à dans ses scripta varia (La Méditerranée de P.-A. Février,
Paris (actes publiés dans AnTard, 10 et 11). Rome et Aix, 1996) est aussi prévue1.
Quoi qu’il en soit, j’avais conçu cet article de façon assez
large, en partant du IVe siècle et en retenant, dans une partie 28 février 2007
historique, tout ce qui pouvait avoir eu des influences sur
l’évolution de l’art du point de vue institutionnel, politique,
économique et religieux. J’avais aussi empiété sur le contenu HISTOIRE
de l’article Byzacena, d’une part parce que la limite de la
province retenue vers 1960 était inexacte comme j’avais On traitera ici de l’ensemble de l’ancienne Africa, c’est-à-
contribué à le démontrer, d’autre part parce que les décou- dire du territoire de la Préfecture d’Afrique à l’époque byzantine,
vertes et les recherches postérieures avaient considérablement en dehors des provinces transmarines qui lui étaient rattachées.
modifié la documentation dont disposait M. Restle à la fin des Dans le domaine historique, on retiendra exclusivement
années 1960. J’avais aussi prévu, en appendice, un supplé- les faits majeurs qui ont pu avoir une incidence sur l’art.
ment pour Carthage, dont la connaissance avait aussi beau-
Sommaire: I. Histoire et histoire de l’Église: 1. Situation admi-
coup progressé depuis la fin des années 1970, notamment nistrative avant la conquête vandale – 2. La christianisation:
avec le projet international de sauvegarde du site et les fouilles origines du christianisme africain; les provinces ecclésias-
des missions étrangères qui ont continué ensuite à y travailler. tiques; le culte des martyrs; l’incidence des schismes et des
Le manuscrit, d’une centaine de pages, a été transmis à hérésies sur l’art chrétien d’Afrique: l’identification des
M. Restle en été 2003 et nous avons dialogué quelque temps édifices des différences obédiences – 3. Les Vandales: la
conquête; l’organisation du royaume vandale; l’évolution du
sur l’illustration et la bibliographie. Un premier essai de tra- royaume vandale et le sort du reste de l’Afrique; l’arianisme
duction en allemand, dont j’avais corrigé quelques détails, des Vandales et la persécution; le sort économique de
m’avait été soumis pour une dizaine de pages, puis, malgré de l’Afrique vandale – 4. La période byzantine: la reconquête;
nombreux rappels, le silence a été total et j’en ai conclu que limites de la reconquête; l’organisation prévue par Justinien;
l’article ne serait pas publié ou serait “arrangé” sans me
consulter comme cela est assez fréquent pour ce type de
littérature. J’ai donc décidé de publier ici le texte intégral avec
très peu de retouches ou de suppléments. Abréviations : – L’Africa Romana = Réunions annuelles, maintenant bisan-
nuelles, du centre de recherche des provinces romaines de l’Université de
Il pourra sans doute encore rendre service pour la dernière Sassari. – CEDAC Carthage = Centre de documentation archéologique de la
année où l’Afrique (avant la reconquête byzantine) est au Conservation de Carthage, Institut National du Patrimoine, bulletin à parution
programme du concours – mythique dans la tradition irrégulière, une vingtaine de numéros publiés jusqu’en 2000, interrompu.
– CMT = Corpus des mosaïques de Tunisie, sous la direction de M. Ennaïfer
française – de l’“agrégation” d’histoire. Mais tel n’est pas le et M. Alexander, puis de A. Ben Abed. – Gsell, Monuments antiques =
but premier de cette publication et je n’aurais sans doute Monuments antiques de l’Algérie, 2 vol., 1901. – N. Duval, Églises =
jamais accepté d’ajouter à la vingtaine de manuels de valeur N. Duval, Les églises africaines à deux absides, I, 1971 (= Sbeitla II), II, 1972.
– Y. Duval, LSA = Y. Duval, Loca sanctorum Africae, 2 vol., 1981. – Haïdra
variée qui ont paru depuis trois ans dans cette perspective. = Recherches archéologiques à Haïdra, II, 1982, Miscellanea II, 1999. – Inv.
Par contre, ces publications scolaires, très répandues en Alg. = N. Duval (dir.), Inventaire des basiliques chrétiennes de l’Algérie, 1991-
France, me permettent de ne pas fournir de bibliographie 1992. – Inv. Mos. = Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l’Afrique,
II, Afrique proconsulaire (Tunisie) par P. Gauckler, supplément par A. Merlin ;
détaillée, que j’ai supprimée (sauf pour le supplément de III, Algérie. – Pringle, Defence = Pringle, The Defence of Byzantine Africa,
Carthage), ni d’illustrations (par ailleurs largement diffusées 1981 (BAR, 99), 2de éd. 2001 ; les numéros se réfèrent à la liste d’inscriptions
depuis une dizaine d’années par des albums parfois luxueux p. 318-339. – Pros. Afr. = Prosopographie chrétienne du Bas-Empire,
I, Afrique (303-533), dir. A. Mandouze, Paris, 1982. – Ward Perkins et
destinés au grand public, notamment à l’occasion de l’« Année Goodchild = J. B. Ward Perkins and R. G. Goodchild, The Christian Anti-
de la Tunisie », puis de l’« Année de l’Algérie en France »). Je quities of Tripolitania, in Archaeologia, Society of Antiquaries, London, 1953.
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l’évolution de l’Afrique byzantine au VIe siècle; la réforme de Tunisie a permis de constater une meilleure occupation de
Maurice, la création de l’exarcat, l’avènement d’Héraclius; l’espace à l’intérieur des frontières et une romanisation plus
la liste de Georges de Chypre et l’organisation de l’Afrique étendue que ne le pensaient Chr. Courtois (qui insistait sur
au tournant du VIIe siècle ; la fin de l’Afrique byzantine et la
conquête arabe; état de l’Afrique à l’époque byzantine. cette « Afrique oubliée » de l’intérieur) et les tenants de la
« résistance » à la romanisation (M. Benabou) ou les théori-
ciens d’une origine ethnique et sociale du schisme donatiste
I. SITUATION ADMINISTRATIVE dont l’avocat le plus éloquent a été W. H. C. Frend qui a uti-
AVANT LA CONQUÊTE VANDALE lisé aussi le terme de résistance (The Donatist Church, a
Movement of Protest in Roman North Africa, 1952).
Jusqu’à la réforme de Dioclétien, l’Afrique comptait Les frontières entre provinces civiles (voir plus bas pour
quatre provinces : Africa Proconsularis ou simplement les provinces ecclésiastiques) sont toujours partiellement
Africa (résidence du proconsul à Carthage), Numidie (rési- incertaines, malgré les progrès considérables effectués
dence du légat d’Auguste propréteur puis praeses à depuis quarante ans dans les identifications et les tracés
Lambèse où était le camp permanent de la IIIa Legio grâce aux découvertes épigraphiques, surtout en Tunisie.
Augusta, seule unité légionnaire de l’armée d’Afrique), les Il subsiste en effet quelques incertitudes dans
deux Maurétanies, Tingitane et Césarienne (avec, comme l’attribution de certains secteurs : nous avons signalé les
capitales, Tingi / Tanger – et peut-être Volubilis (hypothèse rectifications, acquises pour la plupart dès les années 1970,
de J. Carcopino) – et Caesarea / Cherchel), administrées par pour la frontière nord de la Byzacène, surtout au nord-est
un procurateur équestre, avec une armée composée de corps (Pupput, Abthugnos) et au nord-ouest (Ammaedara est bien
auxiliaires, sauf événements graves nécessitant l’inter- en Proconsulaire). Mais il reste des hésitations pour la fron-
vention de détachements légionnaires. Le sud de la tière sud-ouest, que X. Dupuis voudrait reporter plus à
Tingitane (correspondant au centre du Maroc actuel) avait l’ouest au détriment de la Proconsulaire, et pour le tracé au
été déjà évacué (en dehors de postes côtiers) par les sud (frontière de la Tripolitaine). De même, la limite de la
Romains dans la deuxième moitié du IIIe siècle, dans des Proconsulaire avec la Numidie est incertaine au sud et à
circonstances mal déterminées. l’ouest de Theveste / Tebessa. Le tracé étrange qui prolonge
La réforme de Dioclétien complétée par Constantin a vu vers le sud, entre Byzacène et Numidie, la mince bande de
le partition de l’Afrique en provinces plus petites et la terre restée à la Proconsulaire s’explique sans doute par des
création d’un « diocèse » d’Afrique, dans le cadre de la raisons institutionnelles : Theveste, siège d’un conventus
préfecture du prétoire d’Italie, qui ne comprenait plus ce qui (justice foraine) dans les tournées du proconsul, marquait
restait de la Tingitane – c’est-à-dire essentiellement le Rif –, l’extrémité sud de la grande rocade de pénétration – d’abord
rattachée désormais au diocèse hispanique après l’inter- à vocation militaire – Karthago-Theveste, seule voie qui ait
ruption des liaisons directes avec la Maurétanie Césarienne. été dallée de bout en bout à partir de Trajan et dont le tracé
La province Proconsulaire a été réduite au nord de la est resté entièrement sur le territoire de la Proconsulaire (au
Tunisie actuelle et au nord-est de l’Algérie : de nouvelles moins pour l’itinéraire principal). Mais c’était aussi, d’après
provinces ont été créées pour la Byzacène (capitale : la législation du IVe siècle, la seule route de Proconsulaire
Hadrumetum / Sousse) et la Tripolitaine (résidence du qu’avait le droit d’emprunter sans autorisation le vicaire du
gouverneur à Lepcis Magna). La Numidie, après avoir été diocèse d’Afrique, dépourvu de compétence sur le territoire
divisée en Numidia Militaris et Cirtéenne, a été réunifiée et du proconsul mais résidant à Carthage, qui pouvait ainsi
Cirta, renommée Constantina, choisie comme capitale de tenir éventuellement à Theveste, jouant un rôle essentiel de
la province, la légion n’étant plus en garnison à Lambèse. “plaque-tournante”, un concile diocésain avec les représen-
La Maurétanie Césarienne était réduite à l’ouest de la pro- tants des cinq autres provinces (Tripolitaine et Byzacène à
vince, l’est devenant la Maurétanie Sitifienne avec Sitifis l’ouest, Numidie et deux Maurétanies à l’ouest).
(Sétif) comme capitale. Il existe localement d’autres incertitudes sur la
On a beaucoup discuté des frontières méridionales de la frontière entre Numidie et Maurétanie Sitifienne et entre
nouvelle Maurétanie Césarienne : la thèse acceptée au les deux Maurétanies, Sitifienne et Césarienne.
milieu du XXe siècle autour de la deuxième guerre mondiale L’organisation administrative, connue au début du
(J. Carcopino, W. Seston et Chr. Courtois) admettait une Ve siècle par la Notitia Dignitatum, était restée assez effi-
large restriction de l’espace contrôlé par les Romains et un ciente pour que les commissaires chargés de recueillir les
recul très net par rapport au tracé du limes qui avait été documents législatifs pour la rédaction du « Code
organisé à l’époque des Sévères. Une meilleure connais- Théodosien » se soient largement servis, non seulement
sance des installations militaires et des routes (notamment des fonds d’archives de Carthage, mais aussi des archives
grâce à P. Salama, puis maintenant E. Fentress et locales jusqu’à la veille de l’occupation vandale des cités
N. Benseddik) a amené à relativiser la perte de territoires, concernées (Cirta, Thamugadi). Elle subsiste d’ailleurs
comme la prospection des zones montagneuses d’Algérie partiellement pendant la période vandale et sert de base à
(par exemple par Ph. Leveau au sud de Cherchel) et de la la tentative de restauration de Justinien.
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Cette Afrique, restée à l’abri des invasions extérieures au comme on le voit dans le diocèse d’Augustin autour
continent africain, était considérée encore au début du Ve siècle d’Hippone, aient été amenés à créer de nouveaux évêchés pour
comme très prospère et elle participait largement au ravitaille- faire face à la nécessité de contrôler des communautés autrefois
ment de l’Italie et au commerce méditerranéen du vin, de à prédominance donatiste. D’après la liste de l’Église catho-
l’huile, des conserves et des sauces (garum) de poisson et de la lique en 484 (dite “Notitia de 484”), cetter dernière comptait, en
céramique de table, malgré les guerres civiles et les révoltes de dehors des sièges des îles dépendant du royaume vandale mais
l’époque de la Tétrarchie, puis de la fin du IVe siècle et du début en ajoutant ceux vacants du fait de l’interdiction de consacrer
du Ve siècle. La qualité des constructions et du décor de cette en Proconsulaire, plus de 550 évêchés (voir Y. Modéran).
période (surtout connue pour les maisons et par les mosaïques)
séduit les visiteurs des sites archéologiques et des musées. b. Les provinces ecclésiastiques

Les communautés chrétiennes d’Afrique sont consti-


II. LA CHRISTIANISATION tuées, sur le modèle de l’organisation administrative, en
provinces ecclésiastiques sous la présidence d’un primat
(prima sedes). Ces provinces sont en partie constituées
a. Origines du christianisme africain depuis l’époque de saint Cyprien, mais leur organisation et
leurs rapports avec le siège de Carthage – qui garde une
L’Afrique était aussi assez largement christianisée dès la autorité au moins morale sur l’ensemble de l’Afrique et
seconde moitié du IIIe siècle: on peut évaluer à plus de 150 le réunit des conciles généraux – ont beaucoup évolué. On peut
nombre de communautés dirigées par un évêque dès l’époque suivre cette évolution (avec beaucoup de lacunes) à travers
de saint Cyprien au milieu du siècle; c’est aussi la première les conciles provinciaux, certaines décisions canoniques des
chrétienté d’Occident qui se soit servi du latin comme langue conciles généraux, parfois des correspondances et, pour
liturgique et de la pastorale (on voit le passage chez Tertullien l’époque byzantine, quelques documents administratifs.
qui a encore écrit en grec le début de son œuvre) et ait utilisé Au IIIe siècle, l’autorité de l’évêque de Carthage semble
une version latine de la Bible dite Vetus Latina. incontestée sur l’ensemble de l’Afrique, mais il parle tantôt
Malgré la persistance de noyaux païens, qui apparaissent au nom de sa propre provincia (la vaste Proconsularis),
encore dans les sermons de saint Augustin au tournant du tantôt au nom d’une provincia Africa, qui comprend les
Ve siècle, et le terrible affrontement entre les catholiques et la Numides et les Maurétaniens. Cette acception large de
faction donatiste tout au long du IVe siècle, le “maillage” en l’Africa se retrouve jusqu’à l’époque byzantine pour le
profondeur des populations africaines apparaît frappant à la ressort du préfet du prétoire et de l’exarque (voir infra).
fois dans l’organisation ecclésiastique, dans la vitalité de la Après la réforme de Dioclétien, la Byzacène et la
littérature chrétienne, symbolisée par l’œuvre immense Tripolitaine se constituent en provinces ecclésiastiques,
d’Augustin, et dans l’abondance des lieux de culte recensés puis, un peu plus tard, les Maurétaniens de la Sitifienne
malgré la densité très variable des fouilles et les difficultés obtiennent leur autonomie.
de datation, surtout pour les découvertes anciennes (voir Les frontières entre les provinces ecclésiastiques ne coïn-
pour l’Algérie, l’Inv. Alg. ; l’inventaire est en préparation cident pas forcément avec celles des provinces civiles. Mais
pour le Maroc, la Tunisie et la Tripolitaine). on ne les connaît pas toujours exactement (comme d’ailleurs
À l’occasion des conciles du IVe siècle et de la conférence celles des provinces civiles pour lesquelles le principal
contradictoire réunie à Carthage en 411 pour tenter de critère est le titre du gouverneur indiqué dans les dédicaces
concilier, sous la présidence du commissaire impérial, les ou les rares documents administratifs et judiciaires connus).
catholiques et les donatistes, aussi grâce à l’archéologie et à Il faut utiliser les listes de signatures aux conciles provin-
l’épigraphie, on a une assez bonne idée de l’organisation et des ciaux (quand le siège est indiqué et pas seulement le nom de
caractéristiques des Églises africaines, malgré l’absence de l’évêque, ou si on peut localiser celui-ci par d’autres
textes théoriques, surtout pour la liturgie. La règle de l’auto- documents), des sources variées (inscriptions, allusions dans
nomie des communautés dans le cadre des cités, qui sont les discussions de la conférence de 411, correspondance de
nombreuses et très rapprochées, surtout en Proconsulaire, mais saint Augustin), et surtout une liste (la Notitia de 484) des
aussi à partir d’une certaine époque (également sous l’effet de évêques de l’Église catholique d’Afrique classée par
la concurrence entre les différentes Églises chrétiennes) dans provinces, sans doute constituée à l’occasion de la réunion
des simples bourgs (vici) ou même des domaines (fundi), contradictoire avec le clergé arien convoquée par le roi
explique l’abondance des évêques par comparaison à d’autres Hunéric en 484, mais certainement révisée par la suite – pro-
régions: plus de 300, si on compte les absents, dans chacune bablement pour le concile romain de 487 (proposition d’Yves
des Églises en présence en 411. L’ordre d’Union émis par Modéran) puisque la situation de plusieurs évêques posté-
l’Empereur de Ravenne après la conférence de 411 ne met pas rieurement à 484 (mort, exil, etc.) est indiquée.
fin à cette situation, soit que certains évêques donatistes L’état des connaissances vers 1980 peut être recherché
consentants aient conservé leur rang, soit que les catholiques, dans le tome IV de l’édition des actes de 411 par S. Lancel et
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dans la Prosopographie chrétienne d’Afrique (pour la les persécutions subies depuis la fin du IIe siècle, et surtout
période prébyzantine, puisque le volume couvre seulement la dans la persécution de Dioclétien, et qui s’exprime dans
vie l’Église jusqu’en 533). Pour le lecteur, l’usage du une riche littérature hagiographique, mais de valeur très
colloque de 411 et de l’édition récente par S. Lancel du texte variable, dont les textes les plus célèbres sont la Passion de
de l’historien de la persécution vandale, Victor de Vita, et de Perpétue et Félicité à l’amphithéâtre de Carthage dans le
la Notitia de 484, doit tenir compte des discussions qui ont cadre d’une fête religieuse (203) et les Acta Cypriani sur le
suivi (notamment celle d’Yves Modéran et de moi-même). procès et l’exécution de l’évêque de Carthage (258), ainsi
Les principales hésitations touchent à la province de que dans des fêtes commémoratives dérivées des célé-
Numidie ecclésiastique qui comprend une partie au moins de brations d’anniversaire des défunts (avec pratique de
la « Numidie Proconsulaire », cette région de la Procon- banquets funéraires et de fêtes souvent arrosées et
sulaire qui dépendait du légat du proconsul siégeant à comportant éventuellement des danses et des chants), dont
Hippone et qui a constitué, quelque temps après la guerre la forme est combattues à partir de la fin du IVe siècle par
césarienne, l’est de l’Africa Nova. On voit bien chez les autorités de l’Église à cause de l’héritage païen et des
Augustin, notamment dans sa correspondance, que Hippone excès auxquels elles donnèrent lieu.
et plusieurs cités au sud et à l’est étaient situées dans le Les martyrs africains ont été rejoints dans les dévotions
ressort du primat de Numidie. Mais les limites exactes (en dès le IVe siècle par les martyrs romains, milanais et quelques
particulier pour des lieux non mentionnés en 484) sont incer- autres occidentaux (par exemple, pour l’Espagne, Vincent
taines. On constate dans cette organisation propre le maintien de Saragosse). L’apport de l’héritage des « saints de
de la notion historique de Numidie (datant des royaumes l’Ancien Testament », des reliques de Terre Sainte (notam-
numides alliés à Carthage ou aux Romains après la seconde ment de la Croix et de la Terre de Palestine, de saint Étienne
guerre punique) à côté de la province civile de Numidie, – après l’« invention » de ses reliques au début du Ve siècle
constituée officiellement assez tardivement (vers 198-200) et et leur introduction en Afrique par le prêtre espagnol Orose
d’une acception géographique parfois plus vaste encore. Le (dévotion nouvelle bien connue pour Hippone par les textes
problème se reposera pour l’interprétation du terme Numidia, d’Augustin et dans la région plus à l’est par les Miracula
surtout en grec, dans les sources byzantines. sancti Stephani d’Uzalis / El Alia) –, la célébration des
Il existe aussi des différences possibles de limites – ou martyrs des conflits religieux du IVe siècle et de la persé-
des variations de rattachement – pour certains secteurs fron- cution vandale ont enrichi le sanctoral catholique, tandis que
taliers de la Proconsulaire et de la Byzacène (cas du secteur l’Église donatiste commémore ses propres « martyrs »
Siagu-Puppu), de la Proconsulaire et de la Numidie (notam- victimes des Catholiques ou de la répression officielle.
ment au sud et à l’ouest de Tébessa), de la Numidie et de la Finalement, le culte de nombreux saints d’Orient s’est
Sitifienne, enfin entre la Sitifienne et la Césarienne (voir diffusé à l’époque byzantine. Les listes du Martyrologium
supra pour les provinces civiles). Hieronymianum comportent en outre de nombreuses séries
Les coutumes des provinces variaient sensiblement. La de martyrs in Africa qui ne sont pas identifiables d’après le
primatie de Numidie et de Byzacène n’est pas liée à un nom seul et dont l’origine et l’authenticité sont douteuses.
siège comme celle de Carthage. On sait que le primat de On redécouvre parfois de nouveaux textes hagiographiques
Numidie était automatiquement le doyen d’élection des qui éclairent des mentions restées jusque là incertaines (en
évêques : on l’appelait pour cette raison le senex dans la dernier lieu la Passion de Gallonius pour Thimida Regia et
pratique courante. Uthina au sud de Carthage).
Les rapports entre les provinces et le siège de Carthage, Les Sermons de saint Augustin, comme La Cité de Dieu,
encore étroits et peu discutés jusqu’à la période vandale (on permettent d’avoir un panorama assez complet des cultes
le voit bien pour Aurélius, l’évêque de Carthage contem- préférés à Carthage et à Hippone et dans sa région autour de
porain et ami d’Augustin dans les conciles de l’époque, la 400. Un calendrier de Carthage – malheureusement mutilé –
conférence de 411 et le corpus augustinien) se sont fata- et un calendrier d’origine africaine trouvé plus récemment
lement relâchés pendant les persécutions ariennes, surtout dans un manuscrit du Sinaï offrent un panorama, incomplet,
quand le siège de Carthage a connu une longue vacance. Il en des dévotions à l’époque byzantine. Ces documents officiels
est résulté, dès son rétablissement et surtout à l’époque ou hagiographiques sont recoupés (et souvent enrichis) par
byzantine, de graves difficultés de préséance entre Carthage les nombreuses inscriptions martyrologiques, dédicaces de
et le primat de Byzacène qui réclamait son autonomie, et monuments ou de mobiliers et surtout inscriptions sur reli-
l’empereur lui-même ou le préfet du prétoire ont été obligés quaires (ou les signalant à l’extérieur ou sous la forme
d’intervenir dans ces querelles. d’“authentiques” associés aux reliques à l’intérieur) ; ces
documents épigraphiques ont été surtout trouvés dans des
c. Le culte des martyrs églises d’agglomérations secondaires dispersées sur tout le
territoire plutôt que dans de grandes villes; ils permettent de
L’Afrique chrétienne est caractérisée par la très grande mesurer la popularité variable des saints universels, mais
importance du culte des martyrs, qui avait des racines dans montrent l’importance des groupes de martyrs locaux,
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parfois anonymes, désignés par leur nombre ou leur origine, formant contre-abside à Iunca II en Byzacène, Tunisie :
et révèlent aussi le culte de saints sans doute locaux mal iden- N. Duval, Églises à deux absides, II, p. 227-239). Par
tifiables. P. Monceaux avait relevé, dans l’Histoire littéraire ailleurs, des trouvailles de mensae martyrom dont on ne
de l’Afrique chrétienne en 1905 (t. III, p. 536-551), environ connaît pas le contexte (LSA, p. 525-542) et quelques
500 saints ou groupes de saints cités dans les textes et installations conservées dans une église comme la
regroupé à la même époque plus d’une centaines de textes memoria de Marculus (martyr donatiste) au lieu-dit Ksar el
épigraphiques “martyrologiques” (mais il y avait compris, Kelb (Inv. Alg, no 103) ou le « contre-chœur » de
comme plus tard A. Berthier pour la Numidie centrale, de Sbeitla IV (Églises à deux absides, I, p. 357-358 et
simples épitaphes par méconnaissance des formulaires). fig. 369, 398 ; p. 177-178, 334-335) attestent l’existence
Y. Duval a republié et commenté environ 200 inscriptions en d’une forme de monument de culte différente (avec un
1982 (LSA). Il s’est ajouté depuis plusieurs dizaines de textes massif surélevé et peut-être une table d’offrandes.
découverts surtout en Tunisie. Le nombre et l’identification Le centre du culte peut être aussi un « cénotaphe »
des martyrs « donatistes » et l’importance de leur culte – monument sans tombe et sans reliques –, ou même une
continue de faire problème, surtout en Numidie où l’on avait simple liste inscrite, éventuellement avec une date d’anni-
tendance à reconnaître souvent de tels martyrs dans les versaire, au sol ou légèrement surélevée, avec ou sans
simples tombes des églises rurales. enceinte, associée ou non à un reliquaire ou à des tombes
Les formes du culte des martyrs sont désormais bien enterrées : par exemple les deux états successifs du
connues en“croisant” les sources textuelles, l’épigraphie et « contre-chœur » de l’église d’Uppenna en Tunisie ; dans
l’archéologie qui fournit aussi une multitude de rensei- l’église VI de Sufetula / Sbeitla en Tunisie, la dédicace
gnements précis mais délicats à interpréter : des synthèses centrale à des martyrs inconnus ; dans l’église II dite de
récentes ont été offertes par V. Saxer (Morts, martyrs, Candidus ou des martyrs à Ammaedara / Haïdra en
reliques en Afrique chrétienne, 1980) et les livres Tunisie, la « chapelle des martyrs de la Persécution de
d’Y. Duval. Pour la nature matérielle des reliques, en Dioclétien » ; à Theveste / Tébessa en Algérie, la liste de
dehors des sépultures de martyrs locaux (avec en principe martyrs dans un médaillon entouré de tombes ad sanctos,
le corps entier), des reliques osseuses n’ont pratiquement de l’état antérieur à l’abside sud du triconque (LSA, nos 27,
jamais été identifiées avec certitude et, dans les rares 29, 34, 51-52, 57 et p. 601-603).
reliquaires inviolés, on a recueilli, exclusivement en appa- Cette vogue du culte des martyrs a eu des incidences
rence, des poussières, des cendres et de la terre, mais les sur l’architecture et l’aménagement interne des églises,
analyses ont été rarissimes (celles connues sont négatives). concurremment avec le problème de leur “orientation”,
Il s’agit donc sans doute surtout de reliques « par contact », principalement dans la série des églises à double abside et
rapportées de pèlerinages ou par des voyageurs. dans la pratique, très répandue, de l’inhumation dans les
On connaît quelques cas de sépultures demeurées dans églises (voir infra).
des cimetières et faisant l’objet de cérémonies anniver-
saires, avec sans doute des banquets : le cas le plus évident d. L’incidence des schismes et des hérésies
est une area voisine de l’église d’Alexandre à Tipasa de sur l’art chrétien d’Afrique :
Maurétanie (Inv. Alg., 6, VI), où plusieurs tombes de ce l’identification des édifices de culte
genre étaient alignées sous un appentis et où une circu- des différentes obédiences
lation avait été organisée. D’autres tombes (certaines ou
présumées) se situaient dans des églises à un emplacement Sans compter les sectes variées et un « sous-schisme »
privilégié (abside ou contre-abside, enceinte de l’autel ou dit « maximianiste » parmi les Donatistes, le christianisme
enceinte réservée à un autre endroit de l’édifice), d’autres africain a été partagé pendant plus d’un siècle entre deux
dans des chapelles (memoriae) situées dans des cimetières Églises qui ont parfois fait jeu égal (300 environ pour
ou annexées aux églises. chaque Église en 411). Encore à l’époque byzantine, la
La forme de présentation des reliques la plus courante correspondance du pape Grégoire le Grand fait allusion à
était liée à l’autel : la consécration de l’église consistait avant des résurgences donatistes en Numidie. À l’époque
tout, en Afrique, dans le dépôt des reliques dans ou sous vandale, c’est l’affrontement des catholiques et des ariens
l’autel, acte réservé à l’évêque dans les prescriptions cano- qui provoque, surtout en Proconsulaire ou Zeugitane mais
niques depuis une date assez reculée. Certains procès pas seulement, sinon des constructions nouvelles en
verbaux de déposition de l’époque byzantine, comme celui nombre, du moins la confiscation et le transfert d’édifices
trouvé près de Télergma (Numidie, région de Constantine, de culte au profit de la religion des vainqueurs.
dit « plomb de Constantine » ou « de Télergma » : Y. Duval, On s’est demandé, dès le XIXe siècle, comment distinguer
LSA, no 112), sont particulièrement détaillés et visiblement les cultes et l’appartenance des édifices de culte. La question
rédigés suivant des formulaires de chancellerie officielle. n’est d’ailleurs pas propre à l’Afrique : elle se pose pour les
Il existe aussi quelques exemples de présentation de Ariens d’Italie et d’Espagne d’origine barbare, pour ceux de
reliquaire dans une crypte accessible sous l’autel (chapelle l’Illyricum, beaucoup plus mêlés ethniquement, pour les
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Églises parfois dominantes en face des catholiques en cathedra comme disait Augustin), dotés en particulier d’un
Orient, notamment arienne en Égypte, puis monophysite. baptistère. Cependant, ce critère n’est pas déterminant ou
Au début du XXe siècle, P. Monceaux avait cru trouver ne l’est plus au moment où les baptistères se multiplient
des preuves matérielles des lieux de culte du Donatisme dans les églises rurales. Il ne l’a jamais été à Carthage,
dans certaines inscriptions où il retrouvait les « slogans » divisée comme Rome en régions ecclésiastiques qui dispo-
connus par les rares textes conservés émanant de la secte saient chacune de leur propre centre communautaire avec à
ou par les polémistes catholiques. On est beaucoup plus sa tête un archidiacre. Dans les villes, en dehors de
prudent sur ce point dans les travaux modernes. Puis, au Carthage, où les fouilles ont révélé plusieurs églises avec
temps des recherches d’A. Berthier en Numidie centrale, baptistères (elles ne sont pas nombreuses : Thamugadi /
où l’on situait le territoire de prédilection du Donatisme, et Timgad, Sufetula / Sbeitla, Sabratha et Lepcis Magna),
des surveys dans la même région de W. Frend qui les a fait l’identification d’une cathédrale catholique et d’une cathé-
connaître, on a considéré la plupart des églises fouillées à drale donatiste ou d’une cathédrale catholique et d’une
son initiative comme des monuments donatistes dès qu’ils cathédrale arienne continue à poser problème. La locali-
étaient situés en zone rurale et modestement construits. Là sation de la cathédrale donatiste à Timgad (où trois églises
aussi, les réserves sont grandes maintenant, d’autant plus sont dotées d’un baptistère) repose sur son attribution à
que la plupart des édifices sont connus dans un état tardif l’évêque Optat nommé par une inscription dans une
qui peut être largement postérieur au début du Ve siècle, annexe, qui serait l’évêque donatiste bien connu par les
dernière période où le Donatisme était bien implanté. polémiques catholiques (Inv. Alg., 98, 7, avec discussion),
On connaît précisément deux ou trois édifices certai- mais il n’existe aucun critère pour l’identification de la
nement donatistes parce que contenant des sépultures de cathédrale catholique. À Sbeitla, la cathédrale catholique
martyrs donatistes à Benian (Ala Miliaria) en Maurétanie semble correspondre au complexe des églises I-II du fait de
Césarienne, vers 434 (Inv. Alg., 3) et au lieu-dit Ksar la présence de la sépulture de Iocundus / Iucundus figurant
el Kelb en Numidie (memoria de Marculus : Inv. Alg., 103). parmi les évêques catholiques à la conférence de 411 (Pros.
On a beaucoup discuté de l’appartenance au Donatisme du Afr, s. v. Iocundus, 1). Donc, nous avons attribué par
premier état de l’église d’Uppenna (nord de la Byzacène, hypothèse l’autre église possédant un baptistère à l’Église
Tunisie) à cause d’une liste de martyrs proche de celle donatiste (attestée en 411).
d’une Passion prisée de la secte donatiste (les martyrs
d’Abitina : LSA, nos 27, 29). On sait par les noms des
défunts et la mention d’une Suève que la seule église III. LES VANDALES
connue à Hippone (qui peut être une cathédrale) a dû être
occupée par les Vandales, que la cathédrale présumée Comme précédemment, on retiendra seulement les
d’Ammaedara / Haïdra (Proconsulaire, Tunisie) contient la faits majeurs qui peuvent avoir une influence sur la période
sépulture d’un évêque « des Vandales ». Une église de postérieure et sur l’évolution des construction et du décor.
Thuburbo Majus (Proconsulaire, Tunisie) contient une
sépulture de Germain au nom caractéristique, mais son a. La conquête
appartenance arienne peut difficilement être considérée
comme certaine. Aucun de ces édifices ne contient de Les Vandales, associés à d’autres groupes ethniques,
dispositif liturgique ou de mobilier qu’on ne trouverait pas surtout les Alains et des Suèves, dont le nombre total est
dans une église catholique. On sait qu’à Carthage, les prin- assez limité (80 000 personnes avec les familles, dit
cipales églises (la Restituta, cathédrale catholique, et les Procope), après avoir passé le détroit de Gibraltar en 429,
églises cypriennes) ont été attribuées au culte arien et on traversent les trois provinces de Maurétanies, sans qu’on
ignore les transformations éventuelles, mais les principales connaisse leur trajet exact : on leur attribue un certain
dévotions – et notamment le culte de Cyprien – étaient nombre de destructions visibles sur le terrain ou qui ont jus-
communes et Procope raconte que l’occupation de tifié une reconstruction à l’époque byzantine ; une fois, une
Carthage ayant eu lieu à la veille des fêtes cypriennes, les inscription signale un décès par la faute des « barbares »,
catholiques n’ont eu qu’à allumer les lampes préparées à mais ce genre d’indices, en raison des guerres civiles et des
cette occasion, signe que les liturgies ne différaient guère. révoltes maures assez fréquentes pendant un siècle et demi,
La principale conséquence de la juxtaposition de entre l’époque tétrarchiques et la révolte du comte d’Afrique
plusieurs Églises dans la même cité, phénomène très cou- Boniface, n’a qu’une valeur relative : le seul épisode majeur
rant du IVe au VIe siècle, et même de multiples sectes dans qu’a retenu l’histoire est le long siège d’Hippone où s’était
les grandes cités comme Carthage, a été certainement un enfermé avec les restes des troupes romaines le comte
facteur de multiplication d’édifices de culte en général Boniface, siège pendant lequel meurt saint Augustin en 430.
(mais cette multiplication est une caractéristique commune Pendant un laps de temps assez court, suivant les
de beaucoup de régions) et d’ensembles qui pouvaient jouer clauses du traité de 435 avec la cour de Ravenne, les
le rôle d’ecclesia de communauté (ou de « cathédrale », de Vandales bénéficient d’une cession de terres, probablement
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à titre de foederati, qui les rend maîtres de la Numidie, mais les découvertes se situent pour l’essentiel dans un
sans doute de la Maurétanie Sitifienne, et peut-être d’une territoire qu’on sait vandale. Sans qu’on soit sûr de la limite
partie de la Césarienne. entre la Numidie restée vandale et celle qui a été rendue à
La prise par surprise de Carthage en octobre 439 leur l’Empire en 442, la majeure partie de la Cirtéenne et de
permit de s’installer définitivement dans l’est de l’Africa la « Numidie militaire » (jusqu’au sud des Némenchas et de
(Proconsulaire, Byzacène, Tripolitaine et une bonne partie l’Aurès) a été conservée dans le royaume jusqu’à la fin du
de la Numidie) et le nouveau traité de 442 leur reconnaît un Ve siècle, alors que la Numidie occidentale, avec Cuicul et
statut d’état quasi souverain dont l’autonomie exacte reste probablement Milev, était revenue à l’Empire.
discutée. C’est en tout cas à partir de 439 que Genséric, qui D’un côté, le royaume vandale a gardé les cadres de
prend le titre de rex, compte ses années de règne (qui sont l’Empire. Un passage de Victor de Vita et une subscriptio
parfois qualifiées, sans doute pour masquer la souveraineté d’une déclamation de Dracontius prouvent le maintien des
vandale pour les catholiques, d’« années de Carthage », d’où provinces et l’existence d’un proconsul « de Carthage »,
la croyance pendant longtemps à l’existence d’une « ère c’est-à-dire probablement de l’ancienne Africa Procon-
vandale de Carthage »). En contre partie, l’Empire récupère, sularis ou Zeugitane ou « Carthaginoise ». Les édits de per-
au moins jusqu’à la mort de Valentinien III en 455, les pro- sécution qui reprennent la législation impériale antidonatiste
vinces de Maurétanie et une partie de la Numidie. D’après et le texte de Victor de Vita montrent aussi le maintien des
différents indices, on pense que la partie de Numidie rétro- cadres administratifs et de la hiérarchie sociale, ce qui est
cédée et la Maurétanie Sitifienne ont pu constituer une confirmé par quelques inscriptions avec des titres nobiliaires
province unique pendant cette période (avec peut-être (qu’on retrouve pour certains auteurs de l’Anthologie latine)
Djemila / Cuicul servant de résidence au gouverneur ?). Ce et par les archives dites « Tablettes Albertini » (avec de nom-
regroupement se retrouve peut-être à l’époque byzantine breux actes impliquant un flamen perpetuus local). Il s’ajoute
après la moitié du VIe siècle (voir infra). (notamment à Ammaedara / Haïdra) des flamines perpétuels
et un sacerdotalis provinciae Africae prouvant la subsistance
b. L’organisation du royaume vandale d’un culte monarchique et d’un concile provincial jusqu’à la
période byzantine (on discute sur l’utilisation par la monar-
Les grandes lignes de la chronologie sont connues par chie vandale de ce « culte » ou le maintien d’un lien avec
les chroniqueurs occidentaux et orientaux et par deux listes l’Empire, suivant la thèse – contestée – de F. Clover).
de rois avec durée des règnes. Mais nous ne sommes D’un autre côté, les envahisseurs ont procédé à une
renseignés sur la vie interne du royaume que par quelques épuration radicale, en confisquant les terres des grands
documents officiels insérés dans d’autres sources et essen- propriétaires romains, au moins en Proconsulaire, au profit
tiellement par deux sources hostiles : l’Histoire de la des familles de guerriers vandales, pourvues de “lots”,
persécution vandale de Victor de Vita qui vaut jusqu’à la héréditaires et non imposables, dans cette province, et en
fin de l’année 489 (avec une rétrospective depuis le règne chargeant les autres terres d’impôts qui ont contraint d’autres
de Genséric) et la « guerre des Vandales » de Procope de Romano-Africains à l’exil. La famille royale gardait les
Césarée qui insère dans les prodromes de la reconquête revenus éminents des autres provinces et les terres impé-
une histoire sommaire de la conquête vandale et du riales. On a quelques traces d’une administration propre à la
royaume. Il s’y ajoute, pour la deuxième partie de vie du population barbare et, en tout cas, l’organisation typiquement
royaume, les textes des poètes (romains vivant à Carthage) germanique de l’armée (où les Vandales se font assister par
de l’Anthologie latine et les autres œuvres de Dracontius, des auxiliaires maures, même dans les expéditions navales) a
ainsi que la vie de l’évêque Fulgence de Ruspe. continué à dépendre directement du roi.
Pour déterminer les limites exactes du royaume vandale
(en Afrique), nous sommes réduits à cartographier les faits c. L’arianisme des Vandales et la persécution
de la persécution quand ils sont précisément ou vaguement
localisés, les rares inscriptions contenant une référence à un Les Vandales et les populations associées étaient chré-
roi vandale ou à l’« année de Carthage », accessoirement les tiennes mais ariennes, probablement depuis leur passage
épitaphes de défunts portant un nom germanique (mais le en Espagne. On ne sait pas grand chose de la forme de leur
critère est très incertain, sauf exceptions, à cause de la pré- religion, de leur liturgie (qui ne semble pas sensiblement
sence de nombreux Germains dans les armées romaines et différente), de la langue du culte : les rares mentions font
byzantines). On y ajoutait traditionnellement les trouvailles état d’une pratique de la langue vandale, mais aussi du
de monnaies vandales, mais certaines séries ont largement latin, et les quelques noms de clercs (parfois venus du
circulé (même en Méditerranée orientale) et les découvertes catholicisme) sont germains ou latins, y compris pour les
de tombes habillées contenant des éléments de parure consi- chefs de l’Église, les patriarches vandales de Carthage.
dérées comme germaniques, de toute façon rares. Ce dernier Cette Église se réserve l’exclusivité du culte sur le terri-
critère a été battu en brèche dans les travaux récents, y com- toire des Vandales en Zeugitane, mais des évêques ou des
pris par les spécialistes de germanistique (voir AnTard, 10), prêtres ariens existent aussi en Byzacène (et jusqu’à
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Caesarea et Tipasa en Maurétanie, après la récupération marquée par l’usurpation de Gélimer, n’a fait sans doute
des territoires occidentaux). qu’aggraver la situation au sud-ouest et à l’ouest.
Deux phases de persécution vandale contre les Comme pour la période byzantine, on ne suit pas bien
Catholiques, décrites par Victor de Vita, ont été très actives le destin des zones, variables suivant les époques, qui ont
sous Genséric et sous son fils Hunéric, en 484. La première échappé au contrôle de Carthage : on connaît plusieurs
visait surtout à interdire le culte catholique en Zeugitane où noms de souverains ou chefs de tribus, dont Masties, impe-
les Vandales étaient concentrés. La seconde a été plus géné- rator dans l’Aurès, ou Masuna, rex gentium Maurorum et
rale mais plus brève. Outre des brimades et des brutalités, Romanorum à Altava (CIL, 9835), d’autres qui se sont
voire des exécutions, surtout contre les évêques et le clergé et alliés aux Byzantins ou qui ont lutté contre eux puis contre
des citoyens éminents, même appartenant à l’administration les Arabes. La séquence des épitaphes chrétiennes en latin,
ou à la cour, on a déporté systématiquement le clergé de datées d’après l’ère maurétanienne, se poursuit à Altava,
Carthage et de Zeugitane (en tolérant les moines parce que d’une façon générale en Oranie (Algérie) et même à
non engagés dans la maintien de communautés catholiques), Volubilis au Maroc (peut-être s’agit-il d’un contingent de
puis beaucoup d’évêques d’autres provinces à Mandaure chrétiens sans doute captifs venu d’Oranie) jusqu’au
d’après des inscriptions, dans des localités lointaines du sud, VIIe siècle. Mais, en dehors des Djedars de la région de
dans les mines de Numidie, chez les Maures autonomes vers Tiaret (mausolées d’une dynastie chrétienne locale ?) et
l’Aurès et le Hodna plus à l’ouest, et dans les provinces trans- d’autres monuments funéraires mal datés, on est bien en
marines de Sardaigne et de Corse. peine d’identifier des monuments correspondant à cet
Avant la reconquête byzantine, le clergé avait pu se ensemble de confédérations à la structure mouvante.
reconstituer partiellement avec le retour d’exil des évêques
survivants et l’autorisation de nouvelles élections (concile e. Le sort économique de l’Afrique vandale
de Carthage de 525), mais le rôle de l’Église de Carthage,
absente pendant de longues années, apparaissait alors L’historiographie traditionnelle faisait état, d’après
contesté par les autres provinces (voir supra). Victor de Vita, de destructions massives, de pillages et d’une
Le problème de la situation économique et des cons- perte de substance économique due à l’exil massif des élites
tructions ecclésiastiques pendant la période vandale et la intellectuelles et sociales. On avait tendance à dater de cette
distinction entre les réalisations des deux Églises restent époque toutes les restrictions de surface urbaine et les boule-
difficiles. Les auteurs catholiques font état de nombreuses versements de l’aspect architectural des villes, encore très
destructions, fermetures d’églises ou confiscations (à vivantes jusqu’à la veille de l’invasion vandale, ainsi que les
Carthage surtout). Une seule extension d’église est claire- réalisations jugées grossières de la mosaïque et de la sculp-
ment datée de l’époque vandale à Hr Gousset en Byzacène ture. Chr. Courtois (Les Vandales et l’Afrique, 1956) a réagi
(Tunisie, au nord de Thelepte). Mais, à Hippone, Madaure, brutalement en soulignant la crise de l’Afrique romaine
Theveste / Tébessa, Sufetula / Sbeitla et Ammaedara / avant la conquête (certains problèmes, notamment pour
Haïdra, les constructions ou l’utilisation des églises semblent Hippone et son arrière pays, ont été effectivement depuis
ne pas marquer de rupture claire. mis en lumière par des lettres de saint Augustin retrouvées
dans leur version intégrale), en minimisant les destructions
d. L’évolution du royaume vandale vandales et les conséquences de la persécution.
et le sort du reste de l’Afrique Il est vrai que les descriptions par Procope de Césarée du
trajet de l’armée de Bélisaire à travers la Byzacène et l’ouest
La fin du règne de Genséric (477) et celui de son fils du Cap Bon font état de la grande prospérité agricole de
Hunéric ont vu l’extension majeure du royaume vandale, cette région et de la richesse des paysages, ce qui recoupe
puisque, d’après Victor de Vita, Genséric aurait récupéré quelques aperçus partiels à travers certains poèmes (néces-
« toute l’Afrique » à la mort de Valentinien III. Effectivement, sairement laudatifs) de l’Anthologie latine et une seule
la convocation de la conférence de 484 s’adresse aussi aux inscription sur la construction de thermes trouvée à Tunis.
évêques de Maurétanie et deux épisodes de la Persécution Le numéraire (notamment les solidi romains, puisque les
impliquent une présence vandale à Caesarea et Tipasa. La Vandales n’ont pas frappé d’or) et les objets en métaux pré-
reconquête byzantine mentionne aussi la reprise de postes cieux, alimentés en outre par les pillages des expéditions
maritimes aux Vandales jusqu’au détroit de Gibraltar. maritimes vandales, semblent être restés abondants.
La domination vandale est attestée au sud de l’Aurès par Surtout, un tableau différent est issu du réexamen des
les ostraka de Bir Trouch jusqu’à la fin du Ve siècle. Mais stratigraphies et des études de détail effectuées à l’occasion
peu après, les Vandales semblent avoir perdu le contrôle de de la campagne de sauvetage de Carthage (nombreuses publi-
l’Aurès, sans doute sous Thrasamund, et les relations avec cations de séries de rapports d’expéditions et de colloques
les Maures sont devenus difficiles. Procope fait état de la depuis 1973), de la préparation du corpus des mosaïques de
prise et de la destruction des villes au nord de l’Aurès, Tunisie (Utique, Thuburbo Majus, Carthage, fasc. I,
notamment de Timgad. La crise d’autorité et de succession, Thysdrus/El Jem, fasc. 1), de recherches approfondies par
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des équipes de spécialistes à Nabeul, Pupput, Jedidi, agroalimentaires, certains ont privilégié une image de prospé-
Kelibia, Uchi Maius (Cap Bon et zone limite entre rité de l’Afrique vandale – qui aurait fourni des arguments à
Proconsulaire et Byzacène), des prospections des ateliers Chr. Courtois – au moins jusqu’à la fin du Ve siècle (on est
de céramique de table et de carreaux de terre cuite (surtout plus hésitant pour le début du VIe siècle: une crise écono-
en Byzacène par J. W. Salomonson, A. Ennabli, puis mique a pu favoriser la reconquête).
MM. Peacock et Mackensen, etc.). Le catalogue de Cependant, au moins dans l’architecture aristocratique
J. Hayes et de l’Atlante delle forme ceramiche (suppl. à et la production mosaïque, les repères chronologiques
AAA) et les compléments constants qu’ils ont suscités ont précis sont rares et il ne faudrait pas exagérer la prospérité
permis d’établir une évolution précise de la vaisselle de et la continuité avec la période antérieure. En tout cas,
table produite en Afrique (au moins jusqu’au VIIe siècle, où l’étude des paysages urbains et ruraux, où ont été amé-
la situation devient plus floue), de suivre son exportation nagées les principales fortifications byzantines, en montre
dans tout le bassin méditerranéen, y compris à l’époque la transformation assez radicale qui n’a pas pu être seule-
vandale, et son influence par les nombreuses imitations. La ment le résultat de ces travaux.
thèse récente de M. Bonifay, issue de fouilles variées, sur-
tout au sud du Cap Bon, publiée dans les BAR d’Oxford, a
révisé les chronologies antérieures, montré des nuances IV. LA PÉRIODE BYZANTINE
régionales qui reflètent peut-être des variations dans les
centres d’activité économique entre le nord de la
Proconsulaire et le Sahel, et surtout souligné la difficulté a. La reconquête (533)
de suivre, dans la production céramique du VIIe siècle et du
début du VIIIe siècle, les effets de la conquête arabe. La décision de reconquête a une forte symbolique dans
La ville de Carthage, déjà profondément transformée vers l’idéologie justinienne – qu’on retrouvera notamment dans
425 par la construction (probablement par crainte des inva- le préambule des « novelles » impériales réorganisant
sions) de sa première enceinte romaine, qui, pour des raisons l’Afrique –, même si des éléments de rapports ponctuels
de topographie et pour la rationalisation du tracé, a tranché avec la monarchie vandale (le coup d’état contre Hilderic,
dans le bâti de certains quartiers et a protégé d’autres terrains « ami » et protégé de Justinien, la pression de l’Église
peu bâtis, a vu une évolution urbaine complexe et très catholique et les conseils intéressés des Africains exilés)
différenciée d’après les quartiers et le type d’activité. Si des ont pu jouer leur rôle.
monuments publics ont été « détruits » (d’après Victor de La relative facilité de la victoire et de l’entrée à Carthage,
Vita) et si certainement la zone de Byrsa a été profondément l’échec de la contre-offensive vandale menée à travers la
remaniée pour développer le palais royal (si c’est bien là Numidie et la Proconsulaire (on discute sur l’itinéraire du fait
qu’on doit le situer), l’habitat aristocratique ne semble pas des deux Bulla – Mensa et Regia – qui peuvent justifier l’une
avoir subi de modification brutale d’après quelques exemples et l’autre la mention des campi Bullenses) avec les troupes
du quartier des thermes d’Antonin et, à l’ouest de ceux-ci, du rapatriées de Sardaigne à l’embouchure de l’Ampsaga, et la
quartier des villas, récemment réétudiés. capture de Gélimer ont fait illusion au premier abord,
On a eu tendance dans ces dernière années à “descen- puisque Justinien a cru qu’il pourrait récupérer les limites
dre” notablement les dates admises pour les plus célèbres traditionnelles de l’Afrique romaine, rapatrier rapidement ses
mosaïques de plusieurs maisons de Carthage (par exemple troupes de manœuvre et rétablir l’ordre des choses antérieur.
la maison du « seigneur Julius »), qu’on situait il y a trente En réalité, la difficulté de reprendre le contrôle des terri-
ans au IVe siècle, en tout cas avant la période vandale, pour toires où vivaient et circulaient les Maures semi-nomades,
des raisons de vraisemblance historique et de préjugé artis- ceux que Corippe décrit de façon colorée pour exalter au
tique. Des dates au Ve siècle, parfois avancé, ont été milieu du siècle son héros, le général Jean Troglita, difficile
proposées de même sur des bases stratigraphiques pour de vainqueur de ces tribus coalisées, nécessitera à nouveau
belles réalisations des thermes et de la villa de Sidi Ghrib l’envoi de généraux de qualité, dont Solomon qui mourut au
au sud-ouest de Carthage, à Thuburbo Majus, dans le combat, puis Jean Troglita, et de troupes aguerries, et de
quartier des maisons (avec des thermes publics) de dures batailles aux fortunes variables.
Pupput / Hammamet, à Neapolis / Nabeul dans le voisi-
nage de la maison des Nymphes et dans la maison des deux b. Limites de la reconquête
Chasses à Clupea / Kélibia. Mais ces datations tardives
sont parfois le résultat d’un autre préjugé ou d’une mode Malgré l’organigramme théorique adopté en 534, la
sans base objective suffisante. reconquête effective de l’Afrique tout entière n’a pas été
Comme la production de céramique de table reste abon- réalisée. On discute depuis le XIXe siècle sur les frontières
dante et régulièrement exportée, que celle des amphores réelles de la Tripolitaine (les trois villes côtières et leur hin-
vinaires, à huile ou pour conserves et sauces de poisson, et terland) pour leur remettre les symboles traditionnels du
leur dispersion témoignent de la poursuite des exportations pouvoir délégué par l’empereur, sur le contrôle indirect des
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tribus de l’intérieur (qui semble attesté par le massacre orga- parce qu’ils sont très précis et fixent la composition de
nisé par le duc Sergius à l’occasion d’un rassemblement des l’officium de chaque haut fonctionnaire civil ou militaire et
chefs ?) et surtout sur l’occupation de l’Aurès et de ses les émoluments de chacun.
marges. Malgré les textes de Procope (Bell. Vand. et De On constate que Justinien fait une erreur sur le rôle de
Aed.), qui mentionnent expressément les campagnes de l’ancien proconsul d’Afrique, qu’il dit remplacer par un
Solomon dans l’Aurès et la construction de forteresses préfet du prétoire, en lui prêtant autorité sur les autres
« autour de l’Aurès », Ch. Diehl avait conclu par la négative gouverneurs, alors qu’il existait un vicaire du préfet du pré-
en 1896, position reprise aujourd’hui par J. Desanges et toire italien. Sept provinces sont reconstituées sous l’autorité
P. Morizot, principal explorateur récent de l’Aurès, mais sur du préfet d’Afrique (il faut corriger le texte du Codex
des bases qui nous semblent fragiles puisque la plupart des Iustinianus transmis par les manuscrits): Zeugi Karthago
places mentionnées par Procope semblent pourvoir être (ancienne Proconsulaire) et non Tingi comme on le lit ;
localisées au nord, au sud et à l’ouest de l’Aurès et que les Byzacium, Tripolis avec à la tête de ces trois provinces un
restes de forteresses typiquement byzantines, des inscrip- consularis ; Numidia, Mauretania I et II (Sitifienne et
tions, des objets et le monnayage représentent des indices Césarienne), plus la Sardinia, gouvernées par un praeses.
solides. L’itinéraire de retour de l’expédition de Sidi Okba Du fait que Procope, puis Georges de Chypre, situent en
vers l’ouest suppose aussi la présence de garnisons byzan- « Numidie » des sites et des villes qui appartenaient à la
tines au sud de l’Aurès (voir AnTard, 10 et infra). Numidie Proconsulaire, on a pensé que la Zeugitane pouvait
Vers l’ouest, l’armée byzantine a certainement récu- avoir perdu, sous Justinien, par rapport à la Proconsulaire,
péré la totalité de la Numidie et la majeure partie de la des territoires à l’ouest et que les frontières étaient peut-être
Sitifienne jusqu’au Hodna (Zabi). Une récente proposition identiques à celles de la vieille province ecclésiastique, mais
de J.-P. Laporte de reconnaître des fortifications byzantines l’explication est plutôt sans doute dans l’ambiguïté déjà
à Tarmount / Aras à la frontière ouest de la Sitifienne et à signalée du terme géographique « Numidie ».
Aïn Bessem, plus à l’ouest en Césarienne, suscite plus de La hiérarchie militaire créée par Justinien en 534 ne
doute. Il n’est pas sûr que le contrôle de la petite Kabylie comporte pas de commandant en chef permanent (magister
au nord ait été complet et permanent. militum per Africam). Sont créés cinq commandants mili-
Pour la Césarienne, on n’a que des indices sporadiques. taires (duces) de province dont la résidence est indiquée pour
Dans l’organigramme de Justinien, Caesarea/Cherchel récu- la Tripolitaine (Lepcis Magna), la Byzacène (Capsa/Gafsa et
père son rôle de capitale et est le siège d’un dux qui contrôle Thelepte), la Numidie (Constantina/ Cirta), la Maurétanie
aussi le poste de Septem/Ceuta et son escadre navale du (Caesarea avec détachement naval à Septem/Ceuta sous un
détroit sous le commandement d’un tribun. Mais les indices tribun), la Sardaigne (Caralis/ Cagliari). Ce sont des limi-
d’occupation byzantine sont ténus en dehors peut-être de tanei qui constituent les garnisons permanentes dépendant
Tigzirt, en tout cas de Rusguniae à l’est de la Baie d’Alger des duces, puisque Justinien pensait rapatrier l’armée de
qui possède une enceinte réduite, où l’existence d’une garni- campagne (comitatenses). Le texte prévoit les rapports des
son byzantine est prouvée par l’épitaphe du tribun Fl. Ziper duces avec le préfet d’Afrique pour les questions finan-
qui y a résidé à la tête du Numerus Primorum Felicium cières et administratives, y compris les fortifications, et,
Iustinianorum et dont l’église a été restaurée par un magister semble-t-il, avec la cour pour le commandement.
militum Mauricius, qui serait peut-être le dux de Maurétanie
transféré à cet endroit et qui porterait le titre honorifique de d. L’évolution de l’Afrique byzantine au VIe siècle
magister militum vacans (Pringle, inscr. nos 45-48, PLRE, III,
Mauricius 6 et Ziper 3). On admet en général qu’en La situation militaire ne se présenta pratiquement jamais
Césarienne, l’occupation byzantine se limite, comme sans comme il avait été prévu, pour permettre de laisser la
doute pendant la deuxième moitié du royaume vandale, aux responsabilité de la défense aux duces. Dans les difficiles
villes côtières et à leur hinterland. guerres contre les Maures, le successeur de Bélisaire,
En Tingitane, outre Septem, le port et la ville de Solomon, cumula par deux fois le titre de préfet du prétoire
Tingi / Tanger était encore tenu par les Byzantins au et la charge de commandant en chef (magister militum
moment de la conquête arabe. [utriusque militiae]), comme brièvement son neveu et suc-
cesseur Sergius, ce qui montrait la difficulté de maintenir
c. L’organisation prévue par Justinien l’autonomie des deux hiérarchies. Malgré une brève période
de paix, il fallut un autre général énergique avec les pleins
En avril 534, Justinien, par deux lois envoyées au préfet pouvoirs, Jean Troglita (546-552 c.), dont l’épopée a été
du prétoire d’Afrique (nouvellement créé) et au magister mise en vers par Corippe, pour venir à bout, au milieu du
militum Orientis Bélisaire, commandant en chef de l’armée VIe siècle, des Maures de Byzacène. Les guerres reprirent
expédiée d’Orient, juge le moment venu de définir l’organi- sous Justin II (565-578) et nécessitèrent un nouvel effort de
sation civile et militaire de l’Afrique reconquise, dans ses fortifications à l’initiative du préfet du prétoire Thomas,
limites anciennes, pense-t-il. Les documents sont précieux revenu aussi en Afrique sous Tibère II Constantin (578-582).
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Faute de textes comparables à ceux de Procope et de rapports administratifs et militaires de l’Afrique avec les
Corippe (pour Jean Troglita), on ne dispose plus de récit territoires hispaniques rattachés dès l’abord (les Baléares qui
continu, mais seulement de renseignements épars provenant appartenaient au royaume vandale) ou réoccupés par la
des chroniqueurs, de quelques textes de lois, des correspon- suite, dans le courant du VIe siècle, par les Byzantins : la pré-
dances, surtout de la papauté, en particulier de Grégoire le fecture du prétoire d’Afrique était presque certainement
Grand pour la période autour de 600, des textes relatifs aux compétente, mais le commandement militaire est-il auto-
polémiques religieuses, des inscriptions officielles et des nome ? On tend actuellement à minimiser l’importance du
sceaux administratifs des fonctionnaires, de quelques dépo- territoire byzantin de terre ferme dans le sud de l’Espagne et
sitions de reliques et épitaphes datées. l’existence d’une frontière fortifiée contre les Wisigoths est
Pour l’organisation militaire, on discute toujours de la contestée. On pense que la domination byzantine concernait
date de création d’un magister militum per Africam ou essentiellement les villes côtières et leur hinterland. On
Africae permanent pour le commandement en chef de connaît peu d’épisodes précis de la vie de l’Hispanie byzan-
l’armée, qui semble exister sous Justin II en 569-570 (voir en tine, alors que l’archéologie permet maintenant d’observer
dernier lieu la discussion dans AnTard, 10). Les résidences l’évolution de plusieurs villes à cette époque et de mesurer
des duces ont certainement été modifiées par rapport à 534: l’importance du commerce avec l’Afrique. La seule inscrip-
le port de Lepcis Magna, ensablé, perd de son importance tion détaillée, du magister militum Spaniae et patrice
(mais l’habitat ne disparaît pas) au profit de Tripoli/Oea, qui Comentiolus (Comenciolus) à Carthago Nova ou
semble la principale place à l’époque de la conquête arabe. Spataria / Carthagena, est relative à la reconstruction d’une
Nous avons supposé, en raison de la concentration d’épita- porte fortifiée de cette ville (CIL, II, 3 420 ; PLRE, III,
phes d’officiers supérieurs (notamment trois magistri Comentiolus 1 p. 323). Sur l’Hispanie byzantine, on se
militum qui sont peut-être des duces comme le magister reportera à la V. Reunió d’Arqueologia Cristiana Hispànica
militum de Rusguniae, si on distingue le grade et la fonction) (Cartagena, 1998) et à une mise au point dans AnTard, 11,
et du rôle de la ville lors de la première attaque arabe en 647, mais les recherches ont continué depuis. De toute façon, les
que Sufetula/ Sbeïtla, bien que sans fortification officielle, rapports artistiques et religieux avec l’Afrique byzantine
était devenue la résidence du dux de Byzacène. En 641, devront être pris en compte dans la deuxième partie.
d’après une inscription de Timgad (CIL, 2 389 = 17822,
Pringle, Defence, no 57), le dux Numidiae est qualifié de e. La réforme de Maurice, la création de l’exarcat,
dux de Tigisis, résidant donc alors dans cette ville fortifiée l’avènement d’Héraclius
au sud-est de Cirta. Nous avons vu que le dux Mauritaniae
a peut-être résidé à une époque à Rusguniae. La séparation des pouvoirs civils et militaires n’ayant
Il reste beaucoup d’incertitudes concernant la composi- pas fait ses preuves, l’empereur Maurice (582-602) créa,
tion des garnisons permanentes en dehors des périodes de entre 585 et 591, l’exarcat de Carthage après celui de
guerres. On ne connaît, d’après des épitaphes, que trois noms Ravenne pour l’Italie. Le premier titulaire est aussi le
d’unités à Rusguniae et à Hippone (ILAlg, I, 81-82, Pringle, dernier magister militum Africae, Gennadius, en charge
Defence, nos 43-44). L’hypothèse de C. Zuckerman suppo- comme exarque d’au moins 591 jusqu’en 598 (PLRE, III,
sant la concentration dans chaque province d’un seul corps Gennadius 1). C’est le principal interlocuteur du pape
de troupe à la disposition directe du dux ne résiste pas à Grégoire le Grand pour des questions même de discipline
l’examen des données archéologiques qui obligent à ecclésiastique qui ressortaient normalement du préfet du
supposer des garnisons professionnelles dans beaucoup de prétoire. On voit aussi désormais que dans les documents
forteresses, et cette présence est confirmée pour les places de chancellerie ecclésiastique calqués sur la chancellerie
méridionales de Numidie et de Sitifienne par les récits de impériale (les quelques procès verbaux de déposition de
la conquête arabe qui évoquent des sorties de cavalerie reliques détaillés), l’exarque apparaît immédiatement après
lourde (cataphractaires) des Roums. Une autre question l’empereur dans les formules de datation à la tête de la pro-
n’est pas résolue pour le commandement supérieur des vincia Africa au sens large. Cependant, le préfet du prétoire
forteresses et des garnisons de Zeugitane puisque cette subsiste (on en connaît au moins cinq jusqu’à la fin de
province n’avait pas de dux. l’Afrique byzantine), mais la répartition des responsabilités
Comme à l’époque romaine, l’armée la plus puissante est reste discutée. Par contre, suivant toute vraisemblance, le
celle de Numidie. C’est son chef, commandant le secteur le magister militum Africae disparaît malgré l’hypothèse de
plus étendu et le plus menacé, qui peut être à l’origine de J. Durliat qui en faisait désormais le chef militaire de la
révoltes, mais qui devient aussi à plusieurs reprises com- Zeugitane, bien que la chaîne de commandement dans cette
mandant en chef et parfois exarque. L’un d’eux au moins, province demeure inconnue.
Pierre, devenu probablement exarque par la suite, porte déjà Au moment de l’usurpation de Phocas (23 novembre
sur son sceau de dux Numidiae le titre prestigieux de patrice. 602) et de l’exécution de Maurice, l’exarque d’Afrique, peut-
Autre question mal connue, qui a son incidence sur être successeur direct de Gennadius, était Héraclius
l’interprétation de la liste de Georges de Chypre, celle des « l’Ancien », le père du futur empereur, déjà âgé. Ce rôle de
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vice-roi d’Afrique et les ressources du pays lui permirent byzantine de l’Enfida en Tunisie (CIL, 23 035 = ILCV,
d’animer l’hostilité à Phocas, de priver de ravitaillement 1 109). Enfin, apparaît une Mauritania Secunda, la même
Constantinople, puis d’envoyer son neveu Nicetas s’emparer sans doute que celle qui est citée dans une autre source
de l’Égypte en 609 et son fils débarquer à Constantinople comme Gaditana et qui comprend, d’après Georges de
pour s’y faire couronner empereur le 5 octobre 610. Chypre, Septem / Ceuta, mais regrouperait aussi la partie de
l’Espagne méridionale encore occupée par les Byzantins et
f. La liste de Georges de Chypre les Baléares. La Sardaigne (avec la Corse sans doute) forme
et l’organisation de l’Afrique au tournant du VIIe siècle la sixième province de la Préfecture d’Afrique.
On voit la difficulté de tirer des renseignements précis
La Descriptio Orbis Romani pose pour l’Afrique un pro- de ce document très peu satisfaisant, mais la communauté
blème de datation et d’interprétation, d’autant plus que le d’appartenance administrative avec les Baléares et la
document est visiblement très lacunaire et probablement Sardaigne explique bien évidemment des convergences, à
altéré. On l’attribue en général aux alentours de 600 (591- la fois dans l’épigraphie et dans la production artistique,
603), mais l’exarcat n’est pas mentionné et d’autres sections entre ces provinces et l’Afrique.
intègrent des renseignements beaucoup plus tardifs.
D’abord, la Descriptio rattache la Tripolitaine au diocèse g. La fin de l’Afrique byzantine et la conquête arabe
d’Égypte et à la Préfecture d’Orient, ce qui se justifierait
assez bien comme une mesure provisoire au moment de Les documents sont encore plus lacunaires et la chrono-
l’offensive de Nicetas et de l’avènement d’Héraclius, mais logie reste souvent incertaine. Outre des mentions des
n’est sans doute plus le cas au moment de l’expédition de chroniqueurs occidentaux, byzantins, orientaux et arabes (sur-
troupes arabes d’Égypte et de la mort du patrice Grégoire (en tout d’après des traditions orales très tardivement rédigées) et
647), puisque celui-ci est dit, par les sources arabes, « roi » quelques inscriptions, on dispose d’un certain nombre de
d’Africa de la Tripolitaine à Tanger. textes ecclésiastiques, notamment autour de l’affaire de
Les provinces mentionnées dans la préfecture du Maxime le Confesseur qui a animé, en Égypte puis en
prétoire d’Afrique (cf. Pringle, Defence, map 6 avec liste Afrique, une contestation importante contre les doctrines de la
des villes citées) sont maintenant au nombre de six, c’est-à- cour byzantine et a été ensuite jugé à Constantinople.
dire autant qu’en 534 en dehors de la Tripolitaine, mais il Le cousin du nouvel empereur Héraclius, Nicétas, devint
semble exister un changement majeur pour les Maurétanies. exarque probablement quand les Perses s’emparèrent de
Pour la Byzacène, les villes citées ne posent pas de problè- l’Égypte en 619. Par la suite, on sait que le duc de Numidie
mes sauf deux non localisées avec certitude (trois selon et patrice Petrus, qui avait refusé, d’après une mention dans
Pringle, mais Kastellia = Castella est le nom du Jerid le procès de Maxime le Confesseur, de conduire son armée
conservé au Moyen Âge). En Carthago Proconsularis, en Égypte contre les Arabes sur le conseil de ce dernier, était
aucune ville n’est citée en dehors de la capitale dont le nom probablement exarque en 636, d’après le « plomb de
désigne aussi la province (comme probablement dans le res- Télergma ». Nous avons cru retrouver sa tombe (l’épitaphe
crit de 534). Sous la rubrique Numidia, par confusion sans porte le titre eminentissimus abrégé, qui est normalement le
doute sur le sens du terme « Numidie » (comme dans le De prédicat du préfet, mais Petrus cumulait peut-être les deux
Aedificiis de Procope), Georges de Chypre inclut six villes charges) dans une église de Sufetula. La date exacte de sa
de « Numidie Proconsulaire », et non sept si Baga / Bagês mort a été encore discutée récemment (PLRE, III, Petrus, 70,
est Bagaï, et non Vaga, mais aussi Sitifis. Comme cette ville avec notice incomplète et discutable, cf. AnTard, 10).
(Sétif) est citée aussi dans un texte tardif de Procope, vers le L’exarque en charge au moment de la première expédition
milieu du VIe siècle, comme faisant partie de la « Numidie de arabe en Byzacène, et probablement son successeur direct,
Zabè », Y. Duval a supposé un remaniement territorial dès la est le patrice Grégoire (PLRE, III, Gregorius, 19) qui peut
fin du règne de Justinien qui aurait rattaché la partie de la être un parent de la famille impériale (fils de Nicetas ?). Il
Sitifienne conservée par les Byzantins au sud de la Kabylie présida en 645 la fameuse controverse entre Maxime le
à la Numidie voisine, ce qui est logique (compte tenu qu’un Confesseur et le patriarche Pyrrhus. Il est présenté par les
dux particulier n’avait pas été prévu pour cette province). Ce sources arabes et orientales comme le « roi de toute
type de regroupement, qui se justifie sur le plan géogra- l’Afrique, de Tripoli à Tanger » et par certains auteurs
phique, avait déjà existé sans doute après la restitution des comme un usurpateur (turannos, Théophane). Mais la prise
provinces de l’ouest à l’Empire en 442 (voir supra). Pour la de commandement direct peut être aussi une réaction en
Mauritania Prima, qui regrouperait désormais les villes face de la menace pressante et des défaillances du pouvoir
côtières de Maurétanie Césarienne et Sitifienne, un seul site, central (certainement favorisée par la querelle religieuse sur
probablement Rusucurru / Tigzirt, est cité. On remarquera le monothéisme et l’hostilité au nouvel empereur Constant
qu’un regroupement est aussi suggéré par l’épitaphe d’un II), comme ce fut le cas pour les « empereurs gaulois » au
évêque Paulus episcopus prime sedis Provincie Mauritanie IIIe siècle. L’usurpation n’est pas prouvée par la frappe de
(au singulier et sans adjectif), enterré dans une église monnaies au nom de Grégoire. En tout cas, la concentration
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des troupes et le transfert du commandement à Sufetula / malgré les nombreux combats avec les Byzantins et la reine
Sbeitla n’est certainement pas le choix d’une nouvelle maure Kahina. La chute de Carthage pour la deuxième fois
capitale comme il est dit habituellement, mais une option en 698 (après la création d’une flotte arabe avec des bateaux
militaire logique, étant donné le trajet de l’expédition arabe, égyptiens, qui permit seulement à ce moment de contrer la
l’importance de ce carrefour routier et la présence probable flotte byzantine), puis, après la conquête du Maghreb entier,
de l’état-major ducal de Byzacène (voir supra). la livraison de Septem par le dernier duc byzantin en 710
Le wali d’Égypte avait commencé par soumettre la scellèrent le sort de l’Afrique byzantine.
Cyrénaïque (qui dépendait du diocèse d’Égypte), mais
peut-être seulement l’intérieur (le « pays de Barkè/Barka ») h. La vie intérieure de l’Afrique byzantine :
en imposant un tribut à la population christianisée lawatha, situation sociale et économique
car le contrôle des places côtières par les Byzantins paraît
avoir duré, puis il avait effectué des razzias en Tripolitaine La vision traditionnelle, à travers les sources connues
et, suivant la tradition, au Fezzan. Après l’avènement au de Ch. Diehl à la fin du XIXe siècle, et plus encore chez les
califat d’Othman, ayant obtenu l’autorisation de s’attaquer historiens du milieu du XXe siècle (par exemple, le manuel
à l’Ifriqyia, ‘Abd Allah ibn Sa’d put mener un nouveau raid classique de Julien et Courtois dans sa deuxième édition de
sur la Tripolitaine (sans s’emparer d’Oea) et vers la 1956), dans l’historiographie marxiste et anticolonialiste et
Byzacène avec une armée de cavaliers principalement. La chez les auteurs maghrébins d’après les indépendances, est
bataille décisive dite “de Sbeitla” eut lieu probablement au une peinture de crises perpétuelles :
nord de la ville et se termina par la mort du patrice et la - sur le plan militaire: les révoltes successives des Vandales
défaite de l’armée romaine, ouvrant les plaines de Byzacène subsistant après la reconquête, puis des soldats byzantins
aux cavaliers arabes qui poursuivirent leurs razzias sans poussés par leurs femmes vandales, les nombreuses autres
doute jusqu’à Thysdrus / El Jem, dont l’amphithéâtre servait révoltes ou assassinats de généraux, les multiples guerres
dès lors de refuge. Une réinterprétation des textes arabes et maures, puis les expéditions arabes donnent facilement
la découverte d’un trésor caché à cette époque à Rougga, une image d’insécurité, malgré des périodes de répit;
non loin d’El Jem, ont permis de se faire une meilleure idée - sur le plan religieux : après le problème posé par
à la fois de la circulation monétaire et des itinéraires des l’Église arienne dont Justinien voulait régler la résorp-
raids (C. Morrisson dans Rougga, I). En 648, les africains tion en souplesse contrairement à l’intransigeance de
obtinrent le retrait de l’armée arabe contre une rançon consi- l’Église catholique, la crise des rapports entre Carthage
dérable (300 quintaux d’or ou 2 500 000 dinars, suivant les et l’Église de Byzacène, la querelle des Trois Chapitres
sources arabes), dont l’importance est invoquée en faveur de à l’époque justinienne, on assisterait à une résurgence
la prospérité du pays. de donatisme en Numidie et à une crise morale de
La guerre civile qui aboutit à la mise en place de la l’Église évoquée dans la correspondance de Grégoire le
dynastie omeyyade laissa un certain répit et permit sans Grand à la fin du VIe siècle (crise redimensionnée dans
doute de reconstituer les structures de l’Afrique byzantine le colloque de Rome sur Gregorio Magno e il suo
(y compris en Tripolitaine) au moins jusqu’en 665, date tempo) ; enfin, le conflit autour du monothéisme de la
d’une nouvelle expédition qui échoua devant Hadrumetum, cour de Constantinople au milieu du VIIe siècle aurait
mais atteint presque la frontière sud de la Proconsulaire à facilité l’entrée des Arabes ;
Cululis. Puis, en 668, après la mort de Constant II, Okba Ibn - sur le plan social et fiscal: la remise en ordre de l’Afrique
Nafi reçut l’autorisation de conquérir l’Ifriqiya et fonda la a été retardée par le problème de la restitution des terres
capitale de la nouvelle province omeyyade à Kairouan en confisquées par les Vandales à des particuliers en
670. Après un intérim, de 676 à 683, pendant lequel son Proconsulaire (« lots des Vandales»: voir Yves Modéran
successeur commença une avancée vers l’est de la Numidie, dans AnTard, 10), au profit des ariens à l’Église catholique
Okba, rétabli dans son gouvernement, mena une grande (ibid.). Il s’y ajouta la question du statut des esclaves
campagne vers l’ouest en 683, suivant la tradition jusqu’à dispersés sous les Vandales et du colonat. Les difficultés
l’Atlantique, mais probablement limitée au Hodna. Les de reconstitution des matrices fiscales et le mode de per-
textes légendaires permettent au moins de suivre les princi- ception des impôts (les théories de Jean Durliat ont séduit
pales étapes et de constater que les Arabes ne purent bien des médiévistes mais non les spécialistes au fait du
s’emparer de la plupart des places possédant une garnison de système fiscal romain) pesèrent sur l’autonomie finan-
roums appuyés par les Mauri des rois locaux dont Kuseila. cière de l’Afrique et contribuèrent aux mécontentement.
Au retour, par le sud de l’Aurès, Okba succomba devant On met aussi en relief l’impact de la “peste justinienne” et
Thabudeo / Thouda en 683 : les Arabes durent abandonner des autres épidémies. On tend à noircir le sort des élites
l’Ifriqyia et Kairouan fut prise par Kuseila. Le retour de urbaines relayées par le clergé dans la gestion des cités, à
l’armée arabe en 686-688 et la défaite et la mort du chef critiquer le rôle de l’aristocratie de la terre et des évêques,
maure à Mammes (localisation incertaine au sud-ouest de coupables d’accumulation de biens au détriment des
Kairouan) marquèrent l’établissement définitif de la willaya classes populaires et en particulier des agriculteurs;
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- sur le plan administratif: on argue des difficultés de réta- mosaïques très actifs, ouverts sur la Méditerranée (en parti-
blir la perception des impôts et du poids de ces impôts, du culier l’Adriatique) et parfois novateurs, la survie d’un
mauvais fonctionnement des institutions traditionnelles, habitat aristocratique traditionnel (et de thermes luxueux) qui
de l’arbitraire du pouvoir, de la corruption et prévarication montrent, comme dans bien d’autres régions, la vitalité de la
des cadres civils et militaires (malgré les mesures législa- période byzantine, mais qui posent aussi le problème des
tives), de la militarisation croissante au détriment de financements. Sur les bases sociales et économiques de ces
l’équilibre initial; réalisations, on est en effet très mal renseigné, en dehors des
- sur le plan économique et urbanistique: on a émis l’hypo- listes de Procope et des dédicaces de forteresses, en raison du
thèse de crises sociales et économiques favorisant la petit nombre de documents épigraphiques explicites pour les
reconquête byzantine, les guerres maures puis la conquête églises (à l’exception des dépositions de reliques), contrai-
arabe, on souligne la décadence définitive des villes rement à ce que peuvent nous apprendre à la même époque
réduites à des forteresses ou à des bourgades semi-rurales, les dédicaces orientales, notamment dans les provinces
on suppose une crise du commerce méditerranéen au d’Arabie et de Palestine, comparables, pour le type de
VIIe siècle, surtout après la conquête perse puis arabe, etc. terrain, de climat et d’économie, à l’Afrique.
En contre point, on a l’image persistante de la prospé-
rité, reflétée encore par les sources arabes, les frappes de la
monnaie de Carthage, les exportations de céramique et des
produits alimentaires (au moins au VIe siècle et peut-être
jusqu’à la moitié du VIIe siècle), les ressources mobilisées ARCHÉOLOGIE
par Héraclius pour l’expédition d’Égypte et de Constan-
tinople, la richesse reflétée par le trésor de Rougga,
Sommaire: 1. Progrès de la recherche – 2. Modifications du pay-
l’importance du tribut de la Byzacène en 648. sage urbain – 3. Agglomérations secondaires et villages
Surtout, sur le plan de l’archéologie et de l’histoire de – 4. Architecture militaire – 5. Architecture civile – 6. Archi-
l’art, les fouilles les plus récentes à Cherchel, Sétif et tecture chrétienne – 7. Les installations et le mobilier des
Hippone en Algérie, à Carthage, Thuburbo Majus, Thugga, églises – 8. L’architecture funéraire et les tombes – 9. Le
Uchi Maius, Kelibia, Djedidi, Ammaedara, Sufetula, etc., en décor sculpté – 10. La mosaïque de pavement et le décor des
murs – 11. Le décor en céramique et la céramique décorative
Tunisie, les travaux complémentaires et le réexamen des – 12. Le céramique de table et les contenants.
dégagements anciens à Lepcis et Sabratha en Tripolitaine
obligent à nuancer considérablement le concept général de Sauf pour des problèmes généraux, nous renvoyons
décadence et de déclin des villes tant les problèmes varient, l’étude de la Tripolitaine à un article spécial.
et quelques documents épigraphiques, notamment l’inscrip-
tion de refondation de la cité de Cululis-Theodoriana / Aïn
Djeloula (voir Pringle dans AnTard, 10) témoignent d’un I. PROGRÈS DE LA RECHERCHE
maintien des cadres civils urbains alors que l’hypothèse de
la mainmise du clergé sur les biens et les revenus n’est Sommaire : Voyages et explorations (XVIIe-milieu du XIXe siècle)
étayée par aucune source précise : on connaît très mal le – Inventaires depuis l’occupation française jusqu’à 1914
recrutement des clergés africains en dehors de quelques cas – Rôle de S. Gsell, P. Gauckler, Ch. Diehl et P. Monceaux
autour de saint Augustin. La production céramique se main- pour l’Antiquité tardive et l’époque byzantine – La décou-
verte de la Tripolitaine de la fin de l’Antiquité à partir de
tient avec continuité et les exportations subsistent pendant
1912 – Œuvre des administrations des Antiquités (Algérie,
une bonne partie de la période, surtout en Bétique, dans les Tunisie) depuis la première guerre mondiale – Renouveau
Baléares, en Italie et dans le bassin oriental de la de l’intérêt pour l’Antiquité tardive (années 1950-1970)
Méditerranée où la marine byzantine continue de dominer – Une nouvelle génération de chercheurs, la coopération
jusqu’à la fin du VIIe siècle. européenne et des fouilles nombreuses en Tunisie.
Les prospections sur une large surface dans la région de
la Haute Steppe en Tunisie et en Tripolitaine montrent, a. Voyages et explorations (XVIIe-milieu du XIXe siècle)
malgré des modifications, un maintien des structures tradi-
tionnelles de production, notamment de l’huile, et le Après des explorations par des européens depuis le
système de l’annone au profit de Constantinople et de XVIIe siècle, déjà fructueuses puisque elles observaient et
Rome est efficient au moins jusqu’à Héraclius. décrivaient le dernier état des ruines visibles (sans identi-
C’est surtout l’effort considérable de fortification du fication d’églises mais avec les fortifications byzantines), des
VIe siècle, puis la découverte, chaque jour plus spectaculaire rapports de fonctionnaires, ingénieurs, officiers ou médecins
(en Tunisie notamment), de monuments du culte, construits au service des États d’Afrique du Nord, de missionnaires
et décorés dans cette période, ou au moins modifiés et chrétiens et diplomates en résidence à Alger et à Tunis, des
embellis, l’importation de marbres orientaux pour la sculp- envois d’antiquités (surtout des inscriptions) dans des
ture et le mobilier liturgique, l’existence d’ateliers de collections européennes, quelques fouilles ponctuelles et
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134 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

parfois officielles (surtout à Carthage et Utique), la recherche européens, l’occupation italienne marque le début d’une
archéologique systématique n’a vraiment débuté qu’avec période d’exploration intensive et, surtout à partir de la
l’occupation française de l’Algérie à partir de 1830 et le conquête du pouvoir par Mussolini, de fouilles et de
protectorat en Tunisie à partir de 1881. restaurations de prestige dont l’apogée est la grande expo-
sition de la Romanité en 1938 (matériaux au Museo della
b. Inventaires depuis l’occupation française Civiltà Romana) et la constitution, dans la Kasbah de
jusqu’à 1914 Tripoli, d’un très beau musée (disparu récemment au
profit d’un musée moderne qui est moins complet que
Très tôt, elle a amené la découverte de basiliques chré- l’ancien). Les plus éminents archéologues et architectes
tiennes (par exemple à Orléansville/El Asnam, à Djémila/ des monuments historiques italiens de cette génération ont
Cuicul et à Constantine en Algérie) ; les forteresses fait leur premières armes en Libye (voir la synthèse dans
byzantines ont attiré l’attention des militaires qui ont systé- les manuels de l’architecte Crema et de l’archéologue
matiquement utilisé, parfois durablement, les grandes Romanelli). Les terrains de fouille et de restauration ont
enceintes (Sétif, Tébessa, Guelma). Les relevés et dessins été principalement Lepcis Magna et Tripoli, mais on a
réalisés autour de 1840 sous l’égide d’une Commission mili- exploré aussi les monuments du Jebel, notamment des
taire, notamment dans l’est de l’Algérie (par le capitaine églises et des forteresses ou fermes fortifiées. Après 1943,
d’artillerie Delamare et l’architecte Ravoisié), constituent une l’occupation anglaise a été très fructueuse pour la
documentation unique sur l’état des ruines à cette époque. En connaissance de cette période grâce à l’action des deux
Tunisie, le même travail a été effectué (mais sans la qualité “contrôleurs” des Antiquités, J. B. Ward Perkins
des publications) 40 ans plus tard par les missions officielles (Tripolitaine) et R. G. Goodchild (Cyrénaïque), et de
de l’épigraphiste R. Cagnat et de l’architecte H. Saladin pour l’épigraphiste J. Reynolds, souvent associés (The
les sites et les monuments. La prospection a été ensuite Christian Antiquities of Tripolitania, Inscriptions of
complétée, soit ponctuellement par des amateurs ou érudits Roman Tripolitania). Après l’indépendance, de nom-
établis localement qui étaient souvent des officiers ou des breuses missions étrangères, surtout anglaises, italiennes,
membres du clergé, plus systématiquement par des missions françaises (américaines en Cyrénaïque principalement)
envoyées de France ou d’Allemagne (pour le Corpus ont continué à travailler avec l’administration des
Inscriptionum Latinarum), surtout par les cartographes mili- Antiquités de Libye, qui s’est dotée d’une revue publiée à
taires pour les cartes au 50 000e ou au 100 000e , base des Rome, Libya Antiqua, et d’une collection de suppléments.
Atlas archéologiques de l’Algérie et de la Tunisie. Les principales publications, souvent fondamentales même
pour les fouilles anciennes dont les résultats ont été
c. Rôle des grandes personnalités systématiquement révisés, ont paru dans cette collection
ou en Angleterre sous l’égide de la Society of Libyan
Pour les monuments chrétiens, le recensement a béné- Studies (qui publie aussi une revue) ou de la Society of
ficié, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, de Roman Studies, en Italie (Quaderni di Archeologia della
l’intérêt de fortes personnalités : St. Gsell, chargé des Libya et suppléments), moins en France (rapports de mis-
Antiquités de l’Algérie, auteur des Monuments antiques de sion, publications de Bu Ngem – fort d’un détachement de
l’Algérie en 1901 (inventaire des basiliques et des forteresses la IIIe légion et de l’agglomération voisine par R.
au tome II) et de P. Gauckler, chef du Service des Antiquités Rebuffat – dans les suppléments de Libya Antiqua). Outre
de la Tunisie jusqu’en 1905, qui n’a laissé comme ouvrage les églises de Sabratha et de Lepcis, surtout étudiées après
d’ensemble qu’un Inventaire des mosaïques et un recueil de les fouilles italiennes par les archéologues anglais, par
plans (pour la plupart de son adjoint Sadoux) publié après sa moi-même et par une mission de l’Université de Palerme à
mort par P. Monceaux sous le titre de Basiliques chrétiennes Sabratha, on notera le grand intérêt des églises du Jebel
de Tunisie. Parallèlement, le byzantiniste Charles Diehl avait pour le plan, le mode de construction, l’orientation, surtout
étudié sur place, en 1892 et 1893, les forteresses byzantines le décor original en relief plat le plus souvent (à rapprocher
(rapport en 1893) et donné, en 1896, un livre sur l’Afrique de celui de Numidie), l’existence d’une nécropole romano-
byzantine, encore fondamental. P. Monceaux, helléniste à indigène très spectaculaire pour les mausolées et les scènes
l’origine et auteur d’une Histoire littéraire de l’Afrique chré- sculptées (IVe siècle sans doute) à Ghirza, et de deux nécro-
tienne, a beaucoup utilisé, à côté des sources littéraires, poles chrétiennes du XIe siècle qui témoignent de la chris-
l’archéologie et surtout les inscriptions chrétiennes. tianisation et de la romanisation maintenue à cette date
(épitaphes en latin) des tribus autrefois vassales de
d. Découverte de la Tripolitaine l’Empire. Mais le mode d’exploitation et l’habitat des
de la fin de l’Antiquité à partir de 1912 régions semi-désertiques a suscité aussi l’intérêt des
archéologues, des géographes, géologues, hydrauliciens,
Malgré quelques reconnaissances antérieures et de en rapport avec la tentative de mise en valeur de la Grande
nombreux prélèvements de matériaux par les navires Syrte et l’exploitation pétrolière.
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An Tard , 1 4 , 2 0 0 6 L’AFRIQUE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET LA PÉRIODE BYZANTINE 135

e. Œuvre des administrations des Antiquités ou de synthèse, on signalera surtout Les églises à deux
depuis la première guerre mondiale absides (1971 et 1973 : abrégé Églises), l’Inventaire des
basiliques chrétiennes d’Algérie dressé sous la direction de
Après cette grande période, les découvertes et les N. Duval (1993-1994 : abrégé Inv. Alg. ; le second tome
fouilles n’ont pas cessé, souvent confiées pour les églises pour la Tunisie, la Tripolitaine et le Maroc est en cours de
à des stagiaires de l’École française de Rome (publication préparation), un bilan du même auteur pour la Tunisie
dans les MÉFR) ou, pendant une période immédiatement (REA, 1990 et 1993) et les publications sur les fouilles ou
antérieure à la seconde guerre mondiale (avec quelques recherches à Sétif, Tébessa, Sbeitla, Haïdra, ainsi que les
fouilles postérieures), réalisées au sud de Constantine sous synthèses présentées aux Congrès internationaux
la direction du directeur du Musée de cette ville, André d’archéologie chrétienne de 1969, 1975, 1986.
Berthier, ou encore à Hippone par l’administrateur maritime
Erwan Marec. Les directeurs des Antiquités (en Algérie g. Les recherches actuelles
J. Carcopino, E. Albertini, L. Leschi, M. Leglay par intérim,
J. Lassus ; en Tunisie A. Merlin, L. Poinssot, G. Picard) ren- Très vite, une génération d’archéologues tunisiens et
daient compte régulièrement à la Commission de l’Afrique algériens, marocains puis libyens, alertés par la fréquence
du Nord du Comité des Travaux historiques et scienti- des découvertes et l’importance des résultats obtenus, a pris
fiques (Bulletin archéologique du CTHS) et ont donné des le relais (notamment A. Mahjoubi, F. Bejaoui, Th. Ghalia,
rapports globaux sur les découvertes aux congrès inter- N. Ben Lazreg en Tunisie, M. Bouchenaki et ses successeurs
nationaux d’archéologie chrétienne de 1932, 1938, 1954. en Algérie). Des bilans des fouilles nouvelles, très nom-
On peut considérer que les chapitres du manuel de breuses surtout en Tunisie, ont été dressés à plusieurs
P. Romanelli (Topografia e archeologia dell’Africa reprises. En outre, une intense coopération internationale a
Romana, 1970), par un bon connaisseur de l’Afrique, permis des recherches approfondies, essentiellement à
constituent un bilan de cette période. Carthage pour la campagne de sauvegarde, avec quelques
La Maurétanie Tingitane ayant été abandonnée en découvertes de monuments mais surtout des compléments
grande partie avant la christianisation, les découvertes de aux fouilles anciennes (voir infra), et aussi autour de
cette période sont rares et surtout situées dans l’ancienne Segermes (équipe tuniso-danoise), à Pupput, Djedidi,
zone espagnole ; à Ceuta /Septem, un aménagement a Nabeul (équipes tuniso-françaises), à Dougga et Uchi Maius
révélé certainement une église, dont le plan est incomplet (équipes tuniso-allemande et tuniso-italienne), Lemta
(un rectangle rempli de tombes) et les installations litur- (équipe tuniso-américaine). Depuis les années 1990, la
giques éventuelles disparues. Dans AnTard, 11, É. Lenoir a situation en Algérie a limité les découvertes et les recher-
publié une église de la ville de Zilil, indiscutable mais ches, surtout à l’intérieur du pays, mais l’« Année de
médiocrement construite et mal conservée. Ponsich avait l’Algérie en France » (2003) a été l’occasion de nombreuses
décrit, à Lixus, un monument comme une église, mais c’est expositions qui dressent parfois un bilan récent.
une mosquée ? Une église identifiée autrefois à
Tanger /Tingi à cause de colonnades alignées est très
douteuses. Il s’ajoute un peu de matériel (dont un II. MODIFICATIONS DU PAYSAGE URBAIN
encensoir), des chapiteaux “tardifs”, quelques inscriptions
Sommaire: Continuité relative de la vie urbaine – Causes des
chrétiennes anciennes à Tanger et une petite série tardive à modifications à l’époque byzantine: perte de substance éco-
Volubilis que nous avons déjà signalée. Voir la synthèse, nomique et sociale sous les Vandales, destructions dues aux
décevante, de N. Villaverde Verga, Tingitana en la Vandales et aux Maures, transformation de la vie publique,
Antiguëdad tardía (siglos III-VII), Madrid, 2001. des usages funéraires, christianisation – Difficultés de
l’étude de la topographie tardive – Principales manifes-
tations: modification du réseau des rues et remblaiements,
f. Renouveau de l’intérêt pour l’Antiquité tardive introduction d’installations rurales (“ruralisation”).
(années 1950-1970) : une nouvelle vision
de la période en Tunisie et en Algérie
a. Continuité relative de la vie urbaine
Les indépendances (Libye en 1952, Tunisie et Maroc
en 1956-1957, Algérie en 1962) a presque coïncidé avec La recherche actuelle tend à nier les ruptures brutales
un renouveau des recherches sur la période, mais il avait que les historiens plaçaient au moment de la conquête van-
été précédé par l’important mémoire de J. B. Ward dale et de la conquête arabe et, par conséquent, à refuser
Perkins et R. G. Goodchild sur les monuments chrétiens de les termini ante quem historiques qui servaient, par facilité,
Tripolitaine (1953), qui constitue la première synthèse aux archéologues d’autrefois, peu soucieux d’analyse fine
moderne. Elles ont été animées notamment par P.-A. Février du bâti et de stratigraphie. Beaucoup de villes n’ont pas
en Algérie (avec aussi J. Christern à Tébessa et Tipasa) et disparu vers 430-440 et la vie urbaine a survécu dans bien
N. Duval en Tunisie. Outre de nombreux travaux ponctuels des localités à la conquête arabe. Nous avons déjà signalé
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136 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

quelques indices du maintien des structures traditionnelles Il faut tenir compte aussi des destructions dues aux
de la cité et la politique de restauration volontaire de révoltes maures de la fin du Ve et du début du VIe siècle,
Justinien – institutionnelle et sociale aussi bien que monu- qui sont mentionnées expressément par Procope pour les
mentale (inscription de Cululis). Mais il serait vain de nier villes au nord de l’Aurès (notamment Timgad, mais la
des mutations fortes des paysages urbains. ville a survécu : voir infra).
On ne connaît guère le sort de la Maurétanie de l’inté-
b. Causes des modifications à l’époque byzantine rieur et de l’ouest de la Numidie à partir de la fin de
l’Empire romain d’Occident (ou même de la mort de
Cinq facteurs ont pu y contribuer. Valentinien III) et, parmi les monuments fouillés dans ces
D’abord une perte de substance économique et sociale régions, on ne sait pas déterminer ceux qui ont pu y survivre
(et peut-être démographique) due, malgré tout, à la dispa- ou dont la construction est postérieure à cette date.
rition, au moins en Proconsulaire, d’une aristocratie Les modifications de la vie publique et des usages
s’appuyant sur la richesse terrienne, chassée de droit ou de funéraires : quelles que soient les permanences de structu-
fait par l’occupation vandale, peut-être de classes moyennes, res institutionnelles, l’utilisation des monuments a changé.
en tout cas du clergé catholique. Ces classes dirigeantes n’ont Les temples devenaient inutiles, au moins à partir de l’inter-
pu être remplacées que partiellement par l’élite vandale et le diction des cultes païens ; forums et monuments annexes,
clergé arien, et sans doute pas dans l’évergétisme municipal. notamment les basiliques civiles, perdaient en partie leur
La restitution des terres sous Justinien, problématique et raison d’être ou souffraient du défaut d’entretien ; les édi-
contestée, celle des églises catholiques n’ont pas dû rétablir fices de spectacle, surtout les théâtres, moins les cirques
intégralement l’organisation sociale antérieure. dans quelques grandes villes où ils semblent encore servir à
Sont identifiables ou très vraisemblables des destructions l’époque vandale (Carthage, Gafsa ?) perdaient leur fonc-
réelles au passage des Vandales en 429-430 en Maurétanie et tion liée à l’évergétisme pour le financement et aux goûts
Numidie septentrionale, puis au moment de la conquête de du public ; thermes publics et nymphées pouvaient pâtir de
l’est de l’Afrique du Nord ou lors des persécutions anticatho- la rupture des aqueducs ou de la perte des moyens consi-
liques. Il est un peu vain de les invoquer par principe comme dérables nécessaires à l’entretien et au fonctionnement,
on le faisait traditionnellement, ou de les nier presque systé- d’où de nombreuses adaptations pour des lieux de culte ou
matiquement comme Courtois ou certains archéologues des fortifications (voir infra). Autre facteur important que
d’aujourd’hui. Pour l’instant, faute d’observation précises la modification des usages funéraires, à la fois pour la loca-
dans les fouilles anciennes d’une certaine étendue, elles sont lisation (inhumations dans les églises ou autour des
difficiles à mesurer en dehors des mentions de Victor de Vita églises) et pour la forme des tombes qui perdent dans la
(pour Carthage surtout). Même à Carthage, les fouilles atten- plupart des cas leurs superstructures traditionnelles,
tives, mais très dispersées et parcellaires, des trente dernières rendant disponibles les matériaux de celles-ci.
années ont fait parfois l’objet d’interprétations divergentes: il En contre partie, la christianisation avait commencé à
est difficile, comme dans la « basilique de Carthagenna » ou transformer le paysage urbain depuis le IVe siècle, avec la
autour de la « rotonde de l’odéon » (voir infra), de distinguer construction d’édifices cultuels nouveaux à l’intérieur des
remblais et couches de destruction; des lits de cendres peuvent cités, à des emplacements variés suivant les circonstances et
être un épandage de cendres de chauffage de thermes (qui sont disponibilités locales, et dans les cimetières, en particulier
utilisées aussi dans les mortiers comme dégraissant). sur ou à proximité des tombes de martyrs. D’après le cas de
On constate d’assez nombreux cas de restriction d’églises Sbeitla (en Byzacène), ce processus a continué à l’époque
antérieures (en Maurétanie: église de Salsa à Tipasa, Inv. Alg., vandale. Il s’est beaucoup développé à l’époque byzantine.
no 9, 8; Tigzirt, ibid., no 15, 1; Announa, ibid., no 121, 1), des Dernier facteur : la nécessité de construire rapidement,
reconstructions après remblaiement de structures antérieures surtout dans la première phase de stabilisation de
(basiliques de Belalis-Maior/El Faouar: N. Duval, Églises, l’occupation byzantine (gouvernement de Solomon), les
II, nos 7, 8; basilique de Carthagenna à Carthage; églises de fortifications d’urgence répondant à divers besoins (voir
Djedidi près d’Hammamet; église d’Uppenna, ibid., no 13; infra). Mais il reste difficile de mesurer ce qui, dans le
église des Saints-Sylvain-et-Fortunat à Sbeitla, ibid., no 21), nouveau paysage, est le résultat des exigences de la fortifi-
de nombreuses reconstructions radicales au même niveau à cation militaire (démolitions pour se procurer des
l’époque byzantine (par exemple la basilique de Rusguniae, matériaux ou adapter des monuments antérieurs, établir les
Inv. Alg., no 14; la basilique II d’Haïdra dite de Candidus ou enceintes et les tours, dégager des glacis et des angles de tir
des martyrs de la Persécution de Dioclétien, N. Duval, autour de celles-ci) et de l’état des cités à la fin de l’époque
Églises, II, no 24 et CRAI, 1969, 1993). Mais il est difficile de vandale. Les bouleversements au moment de la fortification
dire (sauf à Rusguniae où des destructions sont mentionnées sont particulièrement visibles à Madaure, à Haïdra /
par une inscription) s’il s’agit de reconstructions d’édifices Ammaedara, à Sabratha et à Lepcis Magna ; ils pourraient
détruits volontairement ou de restructurations répondant à être aussi étudiés à Thélepte si on étendait les fouilles à la
d’autres motifs. partie haute de la cité.
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An Tard , 1 4 , 2 0 0 6 L’AFRIQUE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET LA PÉRIODE BYZANTINE 137

c. Difficultés de l’étude de la topographie tardive III. AGGLOMÉRATIONS SECONDAIRES ET VILLAGES


Sommaire: Physionomie du territoire au XIXe siècle – Rareté des
L’étude précise de l’évolution de la topographie urbaine fouilles et analyses détaillées –Monuments en « dur » (église,
dans la durée est handicapée par le petit nombre de sites suffi- monument « à auges » et huilerie) et habitat périssable.
samment fouillés sur une large surface et par les méthodes
suivies pendant longtemps dans ces dégagements, souvent a. Physionomie du territoire au XIXe siècle
rapides, qui, sans attention à la stratigraphie, éliminaient les
remaniements jugés « barbares » et les couches postérieures Les explorations du XIXe siècle déjà citées, certains rap-
à la « bonne époque », sans documentation préalable. En ports détaillés d’archéologues (Gsell et ses collègues au nord
outre, elles étaient parfois suivies d’une restauration quasi de l’Aurès et en Maurétanie Sitifienne), des inventaires
immédiate (surtout en Algérie et en Tripolitaine), avec un d’officiers et d’administrateurs (comme la carte archéolo-
choix souvent arbitraire de l’état restauré. gique de la Subdivision de Batna par le colonel Carbuccia,
La topographie générale a été étudiée en Algérie à Tipasa l’Inventaire du cercle de Tébessa par le commandant Guénin
(J. Baradez, S. Lancel), Djemila et Sétif (P.-A. Février), ou les rapports des officiers du sud tunisien), des travaux de
Hippone (sur une partie seulement de la cité : E. Marec et géomètres comme celui du technicien chargé de délimiter les
P.-A. Février), Timgad (J. Lassus), Tébessa, Bulla Regia terres dévolues à la colonisation autour de Sbeitla, des officiers
(guide paru dans la CÉFR), Thugga, Haïdra et Sbeitla cartographes les plus consciencieux (surtout ceux d’Algérie
(N. Duval dans ANRW, X, 2), Sabratha et Lepcis Magna exploités par Gsell) permettent de se faire une idée de la den-
(équipes italiennes, en dernier lieu surtout A. Di Vita et sité et de l’état des ruines visibles à la fin du XIXe siècle ou au
publications posthumes de J. B. Ward Perkins). Pour le début du XXe siècle. Les résultats ont été complétés ou con-
paysage chrétien et l’identification des cathédrales, nous firmés dans un certain nombre de régions non alors explorées
avons tenté une synthèse en 1986 (XIe CIAC). Ces pro- en détail par des « surveys » plus récents (enquêtes de
blèmes font maintenant l’objet de travaux de recherche Ph. Leveau au sud de Cherchel et au sud de Tébessa, de
universitaires. On peut aussi se faire une idée des paysages Peyras et Hitchner dans le Tell tunisien et autour de Kasserine,
urbains à partir des vues perspectives destinées au grand préparation de la nouvelle carte archéologique tunisienne
public, dessinées par l’architecte J.-C. Golvin (qui a parti- animée par S. Ben Baaziz). Il subsistait dans les régions
cipé à plusieurs des recherches de terrain), mais elles ne sorties ensuite de la vie sédentaire un très grand nombre de
sélectionnent pas une époque déterminée (sauf pour bourgs et de villages à peu près tels qu’ils étaient au moment
Carthage), elles comblent trop facilement les vides pour la de leur abandon (fin de la période byzantine ou premiers
partie non fouillée et imaginent des élévations de conven- siècles de la domination arabe?), souvent peu remblayés.
tion pour les constructions de nature indéterminée.
b. Rareté des fouilles et analyses détaillées
d. Les témoins du changement d’aspect des villes :
la voirie, les installations utilitaires, etc. Malheureusement, aucune de ces agglomérations n’a été
fouillée intégralement: au mieux, on s’est contenté de
D’après les quelques observations de détail effectuées déblayer une ou plusieurs églises (cela a été le cas
à Madaure, à Sbeitla / Sufetula, à Thugga / Dougga, Uchi notamment en Numidie centrale et méridionale), parfois une
Maius, Thuburbo Majus, etc., on a pu relever, notamment installation militaire (fort ou fortin) dans les zones de limes,
à Sbeitla, différents témoins d’une évolution de l’urba- ou d’étudier des photographies aériennes (limes de Numidie
nisme – où l’on voyait autrefois des indices de décadence : par J. Baradez, découverte des centuriations de Tunisie après
d’une part des modification importantes de tracé des rues, la seconde guerre mondiale, étude des anciennes photo-
des empiétements sur la voie publique ou l’interruption graphies de l’Aurès par P. Morizot). Beaucoup de ces petites
des trajets permettant le passage de véhicules (Sbeitla), agglomérations ont été détruites ou dépierrées au moment de
des rechargements ou remblaiements massifs provoquant la colonisation européenne, puis des regroupements voulus
un relèvement des seuils (quartier sud de Sbeitla, proba- par l’État dans les années 1960 en Tunisie, des déplacements
blement dans un état postbyzantin) ; d’autre part, de population lors de la guerre d’Algérie. Ce mouvement
l’introduction d’installations utilitaires dans la ville, s’est accéléré avec l’explosion démographique, la sédentari-
parfois sur des espaces publics (Thuburbo Majus, sation systématique et le changement du mode d’exploitation
Madaure, Sbeitla, Uchi Maius). Mais ce dernier phéno- des terres depuis les indépendances.
mène était bien antérieur à l’abandon de la vie urbaine
puisqu’il est de pratique courante à Volubilis. Certains c. Monuments en « dur » et habitat périssable
archéologues (Y. Thébert par exemple) ont rapproché ces
phénomènes de ce qui est connu de l’urbanisme médiéval D’après les ruines encore visibles il y a une cinquantaine
maghrébin et plaident en faveur d’un passage progressif à d’années, ces agglomérations étaient rarement construites
ce type d’organisation urbaine. entièrement en pierres, même dans les zones calcaires.
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138 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

Autour de quelques monuments ambitieux (c’est en général listes varient d’un auteur à l’autre. Ch. Diehl refusait l’occu-
l’église, mais aussi un « monument à auges »: voir infra, et pation byzantine de l’Aurès et de son piémont méridional, qui
même une huilerie industrielle dans la région autour de est généralement admise aujourd’hui. Dans ce secteur du sud
Tébessa, parfois une fortification: on peut citer le cas de la Numidie, l’observation aérienne (J. Baradez, Fossatum
d’Hr Gousset – « les arcs » – au nord-est de Thélepte en Africae, photographies militaires exploitées par P. Morizot
Tunisie), la plupart des maisons devaient être en matériaux pour l’Aurès), l’étude de la typologie (P. Trousset), une
périssables (briques crues, torchis), parfois sur une base en meilleure analyse des textes de Procope – confrontés avec la
pierres et avec des encadrements d’ouvertures en calcaire topographie et l’archéologie – ont permis aussi des progrès
(nombreux linteaux). De toute façon, le type de construction sensibles (voir la discussion dans AnTard, 10); dans cette
le plus commun en Afrique (opus africanum: murs en même revue, J.-P. Laporte propose d’ajouter trois sites
moellons à armatures verticales de grandes pierres) ne laisse nouveaux sur des bases toponymiques ou typologiques par-
en général de visible (aussi dans les villes) que les aligne- fois discutables. Si on veut s’en tenir aux mentions de
ments de la base de ces armatures, dites en français « harpes » Procope, qui ne coïncident pas exactement avec les autres
ou « hastes ». Dans les régions côtières du Sahel tunisien, la sources, au corpus des inscriptions évidemment officielles et
brique crue était aussi largement employée pour des bâti- aux ruines clairement identifiables, on peut admettre que le
ments publics comme les églises. On notera encore l’usage de nombre de fortifications importantes dues sans doute à une
briques de plâtre dans les régions de Tunisie centrale et initiative byzantine officielle tourne autour d’une centaine
méridionale où les gisements de gypse sont nombreux. d’unités dont au moins cinquante pour l’époque de Justinien.
On peut s’interroger sur certains cas où, malgré la mention
des empereurs et du magister militum, ce sont des civils qui
IV. L’ARCHITECTURE MILITAIRE réalisent un ouvrage sibi (CIL, 18 540 = Pringle, 31, à Aïn el
Ksar), où un évêque paraît être l’initiateur (dans la région de
Sommaire: L’inventaire: sources littéraires, épigraphiques et
archéologiques. Nombre probable – La localisation des
Tébessa, CIL, 16 884 = Pringle, 39), où le linteau de la porte
ouvrages: le problème des « lignes de défense » – Techniques est inscrit au nom d’un diacre (CIL, 16 539 = Pringle, 38), etc.
de construction et caractéristiques militaires – Enceintes de Il existe aussi, surtout en Tripolitaine, dans la Byzacène
villes, « villes restreintes », citadelles – Forteresses rectan- centrale et méridionale, dans le sud de la Numidie et de la
gulaires ou polygonales, quadriburgia – Forteresses irrégu- Sitifienne, plusieurs centaines d’ouvrages de surface très
lières utilisant le bâti existant – Rareté des relevés complets
et des fouilles: organisation interne à Timgad, Ksar Lemsa et
variable (souvent de 10 à 20 m de côté), la plupart du
Mustis – « Fortins » sans tours, tours de guet ou de refuge; temps sans inscription, dont la technique de construction
maisons-tours, etc. n’a guère varié dans le temps, ce qui ne facilite pas la data-
tion, l’analyse et l’identification des fonctions (voir infra).
Cet aspect est le plus connu de la civilisation byzantine
d’Afrique parce qu’il est le plus frappant dans les paysages, b. La localisation des ouvrages :
d’autant plus que les militaires français et italiens ont sou- le problème des « lignes de défense »
vent réutilisé les enceintes en les modernisant (par exemple
à Sétif et Tébessa). Nous disposons aussi d’un corpus R. Cagnat, dans son Armée romaine d’Afrique, et
important d’une quarantaine d’inscriptions, complètes ou Ch. Diehl, dans les ouvrages cités, avaient imaginé une
fragmentaires, mais relatives seulement à 32 sites, dédiant stratégie de défense byzantine calquée sur les principes de
des fortifications – surtout à l’époque justinienne – qui ont fortification du XIXe siècle, avec deux lignes de défense
été rééditées en même temps en 1981 par J. Durliat et orientées vers le sud contre les Maures de l’extérieur et
D. Pringle (Defense, Gazetteer CB, voir aussi la réédition en d’autres fortifications situées à l’intérieur des provinces
2001 pour une mise au point récente). pour protéger les villes qui auraient été systématiquement
pourvues d’une enceinte, ou les communications (Diehl,
a. L’inventaire des fortifications L’Afrique byzantine, p. 144-145). D. Pringle a beaucoup cri-
tiqué cette conception théorique des défenses byzantines,
L’inventaire a été fait par Ch. Diehl dans les années 1890 remarquant que Diehl mêlait des fortifications « officielles »
(voir aussi les Monuments antiques de l’Algérie de Gsell), et d’autres improvisées, et qu’il reconstituait des « lignes de
repris vers 1980 par D. Pringle (sans relevés nouveaux), qui défense » avec des forteresses trop espacées, de nature
comptait 48 ouvrages d’époque byzantine assurée d’après diverse et non contemporaines, dont la plupart, à l’intérieur,
l’épigraphie et d’autres sources (Gazetteer AA), une ving- étaient destinées en fait à protéger les zones fertiles et à
taine dont l’apparence convient à une construction byzantine servir de refuge aux populations menacées. Pour le limes, la
(Gazetteer AB), 11 où les preuves archéologiques, épigra- conception n’aurait pas été tellement modifiée depuis la
phiques et littéraires manquent (Gazetteer AC), 39 douteuses Notitia Dignitatum du début du Ve siècle, avec cette diffé-
(Gazetteer B), en face de 47 ouvrages évoqués par Procope rence que le commandement, moins fractionné, est
(Gazetteer CA) dont l’identification est parfois discutée. Ces concentré entre les mains du dux provincial.
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An Tard , 1 4 , 2 0 0 6 L’AFRIQUE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET LA PÉRIODE BYZANTINE 139

c. Techniques de construction réparations ou compléments d’enceintes antérieures de 390 et


et caractéristiques militaires 370 ha (c’est une hypothèse pour Caesarea), mais ce sont en
général, comme en Gaule aux IIIe-IVe siècles, des enceintes
Les techniques de construction ne sont pas propres à restreintes, qu’on déduit parfois du tracé des murs médié-
l’Afrique: les ingénieurs militaires utilisent le plus possible vaux à Oea et Hadrumetum. Elles sont encore d’assez grande
des monuments antérieurs pour les transformer en forts (par étendue à Lepcis Magna (deux tracés successifs de 44 et 28
exemple le théâtre de Madaure – mais on avait projeté un ha, au lieu de 130 pour la ville classique), peut-être à
autre plan plus régulier l’englobant dans une enceinte Rusguniae sur la baie d’Alger (avec 20 ha environ), beaucoup
rectangulaire – ou les grands thermes de Mactar) ou comme plus réduites (entre 5 et 10 ha) pour une douzaine de villes
points d’appui pour une enceinte plus vaste (forum sévérien (ces enceintes étaient souvent qualifiées aussi autrefois de
à Lepcis Magna, temples sur le forum à Thugga, temples à « citadelles »). Les plus connues sont Sabratha (Tripolitaine),
Tubernuc, Sitifis, etc.) ou pour une porte (arc de Caracalla Thelepte, Cululis (Byzacène), Theveste, Laribus, Borj Helal,
comme porte à Timgad) ou pour un avant-poste (arc des le tracé le plus long de Calama (Zeugitane ou Proconsulaire),
Sévères à Ammaedara). Sans négliger la brique cuite (limes Bagaï, Tigisis, Milev (Numidie).
de Numidie) ou crue, et même la brique de plâtre (Haute Une catégorie intermédiaire d’enceintes, appelées tradi-
Steppe de Tunisie) dans des régions sans bonne pierre à bâtir, tionnellement citadelles, couvrent de 1,3 ha à 3 ha : les
on réutilise le plus souvent des parpaings de diverses prove- exemples les plus connus sont à Sufes (Byzacène),
nances (édifices publics, bases inscrites des forums, pierres Ammaedara, Thubursicu Bure, le projet initial supposé de
des cimetières) sans tenir compte de leur position primitive Calama, Zattara (Numidie Proconsulaire), Tipasa de
(trous de louve sur le côté) pour les deux parements en grand Numidie, Sitifis (Sitifienne): il peut s’agir de plans réguliers ou
appareil encadrant un blocage de pierraille et de mortier irréguliers suivant la topographie, parfois d’enceintes partielles
(épaisseur moyenne 2 m, soit 6 à 7 pieds byzantins). complétées par des défenses naturelles (Zattara, Chusira).
Cette technique choisie pour la rapidité d’exécution, consi- L’appellation « citadelle », qui suppose la défense ultime d’une
dérée comme une preuve de décadence au XIXe siècle, n’est pas ville, est parfois discutable car ces enceintes, souvent restées
incompatible avec une grande maîtrise des plans d’en- en usage longtemps (certainement jusqu’au XIe siècle pour
semble et des dispositifs d’accès (portes principales protégées Laribus/ Lorbeus et Ammaedara), étaient considérées au
par deux tours, ou «tours-portes», Pringle, fig. 6, 7, 9, 10; Moyen Âge comme des villes. Certains des ouvrages
deux cas de tour-porte avec accès « en baïonnette » à tranchent dans le vif du tissu urbain antérieur comme on le voit
Anastasiana et Thignica) et de défense pour les armes de jet et à Thelepte, Sufes, Theveste, Sitifis, avec des tracés rectan-
les machines (tours saillantes, le plus souvent carrées – mais gulaires (notamment autour d’un certain nombre d’insulae
rondes à Gastal, Pringle, fig. 38 a – et accessibles par une porte dans les villes cadastrées) ou plus irréguliers à Sabratha,
axiale, par exemple à Thamugadi, ibid., fig. 3-6, et plates- Ammaedara, Thubursicu Bure/ Teboursouk, Borj Hellal,
formes pour machines de guerre). L’accès à la courtine est du Calama/Guelma, Tipasa de Numidie, Tigisis, Bagaï, Milev.
type classique dans l’architecture byzantine: par des escaliers Mais il est rare qu’on ait étudié les modalités précises
soutenus par des arcatures encadrant le plus souvent les portes. d’implantation: on sait maintenant que la courtine orientale de
Quelques chemins de ronde élargis sont soutenus aussi partiel- la « citadelle » d’Ammaedara est assise sur le bord de la chaussée
lement par des arcades (Ammaedara, Iunca?). Le parapet et les dallée de la route de Thelepte. D’autre part, il est certain que la
merlons étaient partiellement conservés à Limisa/Ksar Lemsa. ville restreinte ou la « citadelle » ne représentait pas dans la
On cherche en général à contrôler les sources plupart des cas la seule zone d’occupation: les exemples les
pérennes (située à l’intérieur à Thamugadi et Tubernuc, plus frappants sont le grand sanctuaire (de pèlerinage?) de
dominée par la courtine à Limisa / Lemsa, Ammaedara) et Theveste/Tébessa (qui possédait sa propre enceinte sommaire,
des ponts ou routes essentielles : Ammaedara est un bon ou les églises urbaines et suburbaines d’Ammaedara. Nous
exemple à la fois pour la source, le pont et le carrefour des avons mentionné, aussi pour Ammaedara, l’existence de
routes de Theveste et de Thelepte. postes de vigie ou d’avant-postes fortifiés (l’arc des Sévères à
Par contre, face à des nomades le plus souvent cava- l’est sur la route de Carthage) qui pouvait servir à protéger ce
liers dépourvus de machines de guerre et de matériel de qui subsistait de l’agglomération.
siège (qu’il s’agisse des Maures et plus tard des Arabes),
on ne trouve pas en Afrique les fossés et l’avant-mur des e. Forteresses rectangulaires
manuels romains et byzantins, qui sont repérables dans les ou polygonales, quadriburgia
grandes fortifications orientales.
Les catégories suivantes sont des forteresses rectangu-
d. Enceintes de villes, « villes restreintes », citadelles laires ou carrées, parfois trapézoïdales (sur le limes de
Numidie : Thabudeos / Thouda, Medela ou Meleli / Midili),
Dans la typologie des fortifications, il faut distinguer des parfois irrégulières ou avec des décrochements (Capsa /
enceintes de villes: pour Carthage et Caesarea, ce sont des Gafsa, Thagura, Thignica / Aïn Tounga), qui ne possèdent
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140 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

en général qu’une porte et éventuellement des poternes. fundamentis de la civitas. Deux autres forteresses plus petites
Les grandes (une dizaine entre 0,50 et 1,50 ha ; 0,75 ha à ont été fouillées en Tunisie à Limisa/Lemsa et Mustis. Le
Timgad) présentent en général une tour intermédiaire sur résultat est très décevant (Pringle, fig. 16 b et 37 b), aucune
chaque côté avec la porte dans l’une d’elles (Thamallula, organisation claire ne résultant de l’aspect de l’intérieur et
Thamugadi / Timgad, Ksar Belezma, Tubunae). des plans publiés, mais les publications précises manquent et
Les plus fréquents sont des forts à quatre tours d’angle la date des installations mises au jour peut être soit
(avec parfois une tour supplémentaire pour la porte), ou antérieure, soit postérieure à la période byzantine.
quadriburgia (phrouria en grec) au nombre d’une ving-
taine, qu’on trouve aussi comme réduits de défense à h. « Fortins » sans tours, tours de guet
l’intérieur d’une enceinte plus vaste (Sufes, Laribus, ou de refuge ; maisons-tours, etc.
Bagaï, Tigisis, etc., tous non fouillés).
Le problème de la date et de la fonction des nombreuses
f. Forteresses irrégulières utilisant le bâti existant fortifications de petite taille (20 m de côté et moins : turres,
pyrgoi en grec), sans tours extérieures, est un problème
Il faut ajouter un assez grand nombre d’enceintes qui récurrent de la recherche, d’autant plus que la typologie
consistent seulement à enclore, en prévoyant parfois apparente n’a guère évolué dans le temps. En Tripolitaine,
quelques tours et une porte fortifiée, un secteur central on conclut volontiers à des fermes fortifiées pour les nom-
(forum à Thugga / Dougga, à Sufetula) ou un monument breux cas de Gasr du Jebel. Il existe, dans le sud de la
important et massif : thermes à Thubursicu Numidarum, Byzacène et de la Numidie, un certain nombre de « fortins »
Mactaris / Mactar, théâtre à Madaure (où un quadri- sans tours possédant une porte conduisant à une cour inté-
burgium de plan régulier avait été prévu et commencé), rieure et présentant parfois des alignements de lignes
citernes et nymphée à Mustis. Beaucoup de ces enceintes d’auges (écuries, réserves alimentaires, lieux de rassem-
sommaires ont été démantelées par les archéologues et blement des redevances en nature ou de distribution suivant
restaurateurs modernes sans être étudiées. Elles sont les interprétations : voir infra) ; on y a trouvé dans certains
d’ailleurs difficiles à dater et certaines peuvent être posté- cas des reçus de livraisons sur ostraka, mais la date peut être
rieures à la fin de la domination byzantine. souvent antérieure à l’époque byzantine.
Nous avons étudié aussi, dans la région de Tebessa/
g. Rareté des relevés complets et des fouilles : Theveste, deux cas de chemisage par une enceinte d’un
l’organisation interne monument antérieur (un « monument à auges » à
Hr Faraoun; une chapelle en triconque à Tebessa-Khalia)
La plupart des relevés schématiques encore utilisés avec une porte fermée par un système de roue-porte en
(d’autres n’ont jamais été réalisés) datent du XIXe siècle et pierre (cf. Hr Guessès). Cette technique, très répandue dans
beaucoup ne peuvent plus être vérifiés. On a souvent détruit les pays de basalte et de calcaire (aussi pour des portes de
les enceintes urbaines en Algérie (Calama / Guelma), sauf tombeaux au Moyen-Orient), permet, au moyen d’un levier,
quand elles ont été conservées et aménagées par l’armée une fermeture efficace ne réclamant qu’un minimum de force
(Sétif et Tébessa), et très peu fouillé ces fortifications, en humaine, et donc ne nécessitant aucune garnison profession-
particulier l’intérieur, pour des raisons techniques nelle. La date de la période byzantine est certaine dans les
évidentes, la masse de remblais et de pierres de taille étant deux cas cités pour des raisons de chronologie relative.
considérable. On a fouillé dans les années 1950-1960 un On voit aussi dans certaines régions (notamment les
secteur des murailles de Milev et une porte de Tigisis. Les Hautes Steppes de Tunisie centrale et de Numidie) que le
fouilles de la citadelle de Sétif, qui avaient obtenu des territoire est parsemé de très petites enceintes sans portes au
résultats importants dans les années 1970 pour la rez-de-chaussée (une dizaine de mètres de côté) qualifiées
stratigraphie et l’occupation (y compris islamique), ont été généralement de « fortins » et difficiles à dater, en tout cas
interrompues au profit d’un aménagement moderne. On antérieures à la fin de la sédentarisation mais liées à une
commence seulement à explorer l’intérieur de la citadelle période d’insécurité. Il en existe aussi deux plus grandes dans
d’Ammaedara / Haïdra où l’on retrouve le réseau des rues le quartier sud-est de Sbeitla/Sufetula, qui ont été fouillées
antiques sans encore bien comprendre l’aspect à l’époque dans les années 1950. On constate qu’il s’agit ici de
byzantine (on a retrouvé, outre l’église « de la citadelle » maisons-tours, qui devaient être accessibles à l’étage seule-
déjà connue, une autre église et une petite mosquée). Parmi ment comme les maisons-tours médiévales et modernes de
les forteresses, celle de Thamugadi / Timgad, construite certaines régions (elles ont été étudiées en Lorraine, en
loin de la ville autour d’un sanctuaire de source, a été inté- Corse, en Albanie, en Grèce, etc.) : dans les deux cas de
gralement fouillée et s’est révélée être le casernement d’un Sbeitla, l’enceinte a chemisé une habitation antérieure (avec
numerus, probablement de cavalerie (chargé de surveiller un puits et une installation d’auges de pierre) qui s’est déve-
les accès de l’Aurès), pourvu d’une petite église à tribunes loppée en hauteur. D’après le niveau du terrain à la
et de thermes, mais l’inscription signale l’édification a construction et les remplois dans l’enceinte, nous croyons
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An Tard , 1 4 , 2 0 0 6 L’AFRIQUE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET LA PÉRIODE BYZANTINE 141

qu’il s’agit d’un phénomène tardif de fortification (d’ailleurs b. Architecture domestique


efficace), sans doute postérieur au ravage de Sufetula par les
Arabes en 647, mais qui pourrait avoir subsisté puisque ce Dans ce domaine s’opposent les profondes mutations de
secteur de la cité à continué à être occupé pendant plusieurs plusieurs secteurs d’habitation de Carthage, en particulier dans
siècles. Ce type de construction, qui avait intéressé autrefois les quartiers périphériques recoupés par la muraille du Ve siècle
les officiers et administrateurs européens, n’a pas suscité, et sur les pentes de Byrsa, et la continuité qu’on croit déceler
sauf en Tripolitaine, de recherche systématique, alors que les dans certaines demeures du quartier aristocratique à l’est du
paysages se modifient très vite. théâtre et de l’odéon, où de grandes maisons (« maison du tri-
conque », « maison de la rotonde »: CMT, Carthage, I et
AnTard, 11) continuent à être occupées, en accentuant parfois
V. L’ARCHITECTURE CIVILE leur monumentalisation. C’est cette même continuité que croit
retrouver M. Ennaïfer dans la « maison des deux chasses » à
Sommaire : État de recherches insuffisantes – Architecture
domestique – Le mobilier des triclinia – État des édifices de
Kélibia (AnTard, 11). Jusqu’à la publication des recherches des
spectacle – Abandon et rénovation de thermes, évolution vers années 1960 dans le palais dit « maison de Bacchus » à
le hammam? – Survie des édifices à auges – Installations Djémila (résidence possible du gouverneur de la province uni-
utilitaires. fiée de Numidie occidentale-Sitifienne après 455: voir supra),
on continuera à discuter de la date de cet ensemble et de l’éton-
a. Les recherches passées et actuelles nante mosaïque de chasse de son grand triclinium à 7 absides
(du type des grands triclinia du palais de Constantinople, épis-
Pendant longtemps, l’architecture civile d’époque copaux du Latran et de Ravenne), pour laquelle on a parfois
byzantine n’a pas été identifiée clairement. On datait des proposé une datation byzantine. On s’interroge sur la nature de
périodes vandale et byzantine tout aménagement som- certaines constructions mosaïquées dans les Hautes Steppes:
maire dans les villes et monuments antérieurs. Seules grandes salles de maisons ou thermes? Au total, on n’a pas
certaines mosaïques tardives attribuées, sans argument encore les moyens de dessiner une évolution de l’habitat.
décisif, à cette époque permettaient de proposer cette date
pour certaines maisons, notamment à Carthage. L’absence c. Le mobilier des triclinia tardifs
de fouilles à l’intérieur des forteresses indiscutablement
byzantines contribuait à cette ignorance. Un élément assez courant de mobilier tardif, qui est à
La campagne de sauvegarde de Carthage a permis dans l’origine d’usage domestique mais peut appartenir aussi au
plusieurs quartiers de suivre une évolution très complexe mobilier liturgique, est la table, le plus souvent en marbre
et diversifiée d’habitations collectives ou individuelles d’importation, qui s’est répandue en même temps que
datée maintenant par une stratigraphie précise, notamment l’aménagement des triclinia avec stibadium semi-circulaire,
dans le quartier des villas et celui des Thermes d’Antonin à partir du IVe siècle. Les trois types de tables, le plus souvent
(mission française dirigée par J.-P. Darmon ; Corpus des semi-circulaires (dites « en sigma »), mais parfois aussi
mosaïques, Carthage, I, sous la responsabilité de A. Ben circulaires – dites « polylobées », « clôturées », « à astragale »
Abed). Des recherches similaires sur le long terme, mais (avec rebord décoré) – sont représentés en Afrique, le plus
plus limitées en surface, ont été effectuées à Kélibia (mai- souvent hors contexte, mais parfois découverts dans des
sons par M. Ennaïfer), Neapolis/Nabeul (quartier voisin de monuments d’époque byzantine.
la maison des Nymphes sous la direction de L. Slim), Nous avons signalé ci-dessus des cas de maisons fortifiées,
Pupput / Hammamet (quartier de maisons et thermes par longtemps occupées, qui restent à analyser dans le détail.
A. Ben Abed), Uchi Maius (mission italo-tunisienne
dirigée par A. Mastino et M. Khanoussi), Thugga/Dougga d. État des édifices de spectacle
(mission germano-tunisienne sous la responsabilité de
M. Khanoussi). Pour les édifices de spectacle, les théâtres, apparemment
Il faut ajouter les dégagements importants effectués atteints dans leur raison d’être dès l’invasion vandale, les nom-
dans les années 1960 sans contrôle précis à Bulla Regia, breux amphithéâtres d’Afrique et les cirques, moins nombreux,
El Faouar près de Béjà (où l’on peut suivre l’évolution ne semblent plus avoir d’activité après la période vandale (où le
jusqu’à la période omeyyade au moins), Thignica/Aïn cirque de Carthage était encore en usage d’après les fouilles et
Tounga, Mustis, Mactar, Smirat et d’autres sites du Sahel, les poèmes de l’Anthologie latine). Cependant, on continue
etc., ainsi que nos observations des années 1960 à souvent à dater la curieuse mosaïque du cirque de Gafsa (au
Sbeitla/Sufetula après la fouille de plusieurs rues, qui ont Musée du Bardo) de la période byzantine (pour des raisons
été suivies depuis les années 1980 d’une reprise des déga- stylistiques). Les traces de remaniements qu’on décèle dans les
gements dans le quartier sud, et celles de P.-A. Février à amphithéâtres (Thuburbo Majus, Sbeïtla) correspondent sans
Djémila, les travaux du CMT, notamment à Thuburbo doute à des modifications en vue de fortification, bien attestées
Majus (M. Alexander, A. Ben Abed). par les sources et l’archéologie à Thysdrus/El Jem.
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142 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

e. Le sort des édifices thermaux comparables dans plusieurs régions – écuries incontestable-
ment dans certains cas, ou étables, ou réserves de grains? –
Parmi les édifices d’équipement public ou privé, on en Syrie du nord (où on parle aussi d’auberges et de
constate dans les thermes une profonde mutation qui com- xenodochia), surtout dans le Neguev où plusieurs salles à
mence seulement à être étudiée (notamment, pour le lien trois « nefs », très voisines par le plan et les aménagements
avec le hammam médiéval, dans le livre d’Y. Thébert paru des édifices africains, datées longtemps à tort de l’époque
en 2003). Des établissements publics, affectés par les des- nabatéenne, sont associées à des églises ou à des édifices
tructions ou le manque d’entretien des aqueducs et les civils qui ont vécu jusqu’au VIIIe siècle.
déficiences du système municipal, sont abandonnés,
servant parfois d’appui à une fortification (Khamissa, g. Installations utilitaires : huileries,
Mactar) et les frigidaria ont été dans certains cas trans- fabriques de garum, ateliers de potiers
formés en basiliques chrétiennes quand ils avaient
conservé leur couverture (Mactar, Madaure, au moins une Il faudrait ajouter les installations utilitaires, parfois de
dépendance des grands thermes du Kef/Sicca Veneria), caractère presque industriel, que sont les huileries, le plus
mais les monumentaux Thermes d’Antonin à Carthage ont souvent à deux pressoirs mais dans certains cas de véritables
connu une reconstruction assez modeste à l’époque justi- usines monumentales – que l’on trouve à la fois dans les
nienne, qui a été étudiée par A. Lézine. Outre les bains de campagnes et dans les villes où ces locaux s’introduisent à
la forteresse de Timgad, des thermes qui sont proba- époque tardive dans l’espace public et dans les maisons –, les
blement des thermes privés ont été fouillés à Carthage et bassins à garum sur les côtes et les ateliers de céramique.
ont été signalés çà et là, notamment à Lemta, dans le quartier Plusieurs recensements ont été effectués, notamment pour les
sud de Sbeitla et dans les Hautes Steppes de Tunisie, et datés usines de salaison, et des datations précises – qui englobent
de cette période par la stratigraphie ou pour les mosaïques, l’époque byzantine – ont été proposées, notamment pour des
souvent étonnantes par leur style ou/et leur thématique installations du Cap Bon (Nabeul/Neapolis) et du Sahel
mythologique (en dernier lieu: Hr Errich, El Ouara). (Hergla), etc.

f. Survie des édifices à auges ?


VI. L’ARCHITECTURE CHRÉTIENNE
La catégorie d’édifices profanes la plus spécifique à
Sommaire : Les spécificités de l’architecture chrétienne
l’Afrique est celle, toujours discutée, des « édifices à auges », d’Afrique: orientation et occidentation; l’emplacement de
qui présentent deux lignes de cuvettes de pierre placées à 1 m l’autel dans la nef; l’abside surélevée servant de tribune; le
de hauteur dans des constructions parfois monumentales. Ces rôle du culte des martyrs dans les aménagements: les « cen-
salles ont été longtemps considérées comme des écuries, tres de culte » opposés – Délimitation de l’architecture
donc des hôtelleries quand les édifices comportent un étage. byzantine d’Afrique: la datation du complexe de Tébessa et
de l’église de Cresconius à Djémila – Permanences et nou-
G. Ch. Picard en 1958, à propos des annexes de la basilique veautés de l’architecture chrétienne d’époque byzantine:
dite « des Juvenes » à Mactar en 1958, puis nous-même à utilisation de monuments désaffectés; permanence des plans
propos des monuments de la région frontalière entre à trois nefs et techniques de construction; la vogue du plan
l’Algérie et la Tunisie en 1972, avons tenté de démontrer que avec le « bloc baptismal » au chevet; banalisation du baptis-
ces édifices publics avaient une destination officielle (voir tère dans les églises rurales; évolution des grands édifices à
multiples nefs. Les élévations: problème des tribunes, intro-
plus haut), bien que J. Christern ait repris la thèse de l’auberge duction de la coupole, voûtements partiels, voûtes côtelées
de pèlerinage à propos de Tébessa. De toute façon, les édi- d’abside (Haïdra, Le Kef), persistance de la charpente et de
fices les plus soignés sont antérieurs à l’époque vandale la couverture en tuiles, terrasses et voûtes extradossées
(nous ne partageons pas l’opinion de Chr. Strube sur la date – Apparition d’église à déambulatoire en rapport avec un
du complexe chrétien de Tébessa) et la variété était déjà martyrium ou un baptistère – Baptistères – Originalité limitée
de la phase byzantine.
assez grande (le plus original semble être le monument qui
avait été transformé en grande mosquée du Kef, de plan cru-
ciforme, où les « auges » ouvertes de petite taille coexistent a. La tradition : les spécificités de l’architecture
avec des placards et qui est précédé d’une cour aux portiques chrétienne d’Afrique
voûtés, encore intacts); mais des lignes d’auges subsistent
longtemps dans plusieurs contextes (plusieurs édifices L’autonomie de la tradition de l’Église d’Afrique, sans
d’Haïdra semblent être restés en usage ou aménagés, souvent doute la plus anciennement latinisée et organisée d’Occident
jusqu’au VIIe siècle au moins, comme le montrent les récentes alors que celle de Rome est restée plus longtemps sous
fouilles d’Haïdra. On trouve ces batteries d’auges dans des influence hellénique, se constate déjà à l’époque de Cyprien
forts, dans les maisons-tours de Sbeitla, dans les annexes des au milieu du IIIe siècle, quand la question du rebaptême, tradi-
églises, etc.) et ces “édifices à auges” peuvent avoir d’autres tionnellement imposé en Afrique aux hérétiques revenus à
destinations. Il existe aussi une forte analogie avec des salles l’orthodoxie, a failli provoquer une rupture avec Rome.
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On la constate aussi dans beaucoup de pratiques dont ou même tend à se généraliser à l’époque byzantine. Dans
certaines ont eu une influence prolongée dans le domaine certains cas (plus rares que nous ne l’avions pensé à
de l’architecture et de l’aménagement des églises et qu’il l’origine), on peut supposer un changement d’orientation
convient donc de définir préalablement. Mais on est obligé principale dans cette période, par adjonction d’une abside
de raisonner, faute de sources théoriques, notamment orientale (voir infra).
d’ordines et traités liturgiques, sur certaines prescriptions
précises des conciles et sur les allusions du corpus augus- L’emplacement de l’autel dans la nef
tinien (beaucoup plus explicites dans les sermons non La seconde caractéristique est la position de l’autel, qui,
épurés par la transmission médiévale) et de quelques autres sauf exceptions très rares (dans de petites chapelles funéraires
textes, surtout sur les résultats de l’investigation de ou des memoriae), n’est pas situé dans l’abside, comme sou-
l’abondant corpus archéologique et épigraphique. vent en Orient et comme dans la péninsule ibérique. À
Nous ignorons les caractéristiques des salles de culte pré- l’origine, dès qu’on peut déceler des installations fixes, il est
constantiniennes, appelées parfois déjà basilicae, auxquelles localisé dans la nef centrale, parfois au milieu de l’église et
font allusion le corpus cyprianique, les procès verbaux des très distant de l’abside. Cette situation est encore vraie à la fin
deux enquêtes judiciaires relatives à des faits de traditio pen- du IVe siècle d’après un sermon d’Augustin, De obœdientia,
dant la persécution de Dioclétien et le traité d’Optat de Milev, retrouvé récemment dans sa version intégrale: il relate, sans
confortés ou complétés par certains textes augustiniens. Mais doute dans la cathédrale de Carthage, un dialogue tendu entre
il est question d’aménagements liturgiques (presbyterium, pul- Augustin et la foule qui l’avait incité à descendre de l’abside
pitum). Les églises remontant au IVe siècle doivent être assez pour parler au cancellus (enceinte de l’autel) alors que l’ora-
nombreuses malgré les difficultés de datation, surtout en teur argue qu’il y avait encore de la place au pied de l’abside
Maurétanie (une, souvent citée comme la plus ancienne église et qu’il n’a pas voulu provoquer une bousculade propice à des
datée d’Afrique, a été dédiée en 324 à Chlef, ex Orléansville/ actes inconsidérés (préjudiciable notamment à la pudeur des
El Asnam: Inv. Alg., no 41), parce que les basiliques de femmes). En fait, on a constaté souvent, à cette époque la
Proconsulaire, Byzacène, Tripolitaine et Numidie ont été création d’un couloir protégé, continu ou partiel, pour faciliter
souvent reconstruites, parfois à plusieurs reprises. le transit du célébrant entre l’abside et l’autel, situé lui-même
dans une enceinte de chancels. Suivant une évolution que
Orientation et occidentation nous avons étudiée d’abord à Demna près de Kélibia en 1957-
Il apparaît d’abord que l’orientation des églises n’est pas 1958 et, plus en détail, à Sbeitla dans les années 1960, l’autel
la règle. Dans une statistique datant de la fin des années 1980 se rapproche ensuite de l’abside et, à l’époque byzantine, il est
(près d’une centaine de lieux de culte ont été fouillés ou iden- installé de préférence soit dans une enceinte (éventuellement
tifiés depuis, surtout en Tunisie, mais ils ne changent pas la surélevée) adjacente à l’abside, soit sur une plate-forme située
proportion), il apparaissait que près d’un tiers des églises au même niveau que celle-ci. Depuis St. Gsell, on appelle
étaient occidentées à l’origine (avant la période byzantine) dans la littérature française cette enceinte de l’autel (séparée
comme plusieurs des principales églises de Rome, surtout à d’abord de l’abside puis qui la précède au fond de l’église) le
Carthage (c’est le cas aussi de la seule église connue “chœur”. Ce terme peut entraîner des confusions avec l’usage
d’Hippone: Inv. Alg., no 123) et dans l’est de l’Afrique du médiéval (où il est souvent l’équivalent du chevet de l’église
Nord (Africa Proconsularis traditionnelle). Comme à Rome, dans son ensemble) ou avec des acceptions différentes du mot
ce fait pouvait avoir des conséquences sur les gestes litur- chorus dans d’autres régions (par exemple, dans les textes
giques, c’est-à-dire sur la situation du célébrant à l’autel et canoniques ou liturgiques hispaniques, il désigne des parties
l’orientation des fidèles pendant la synaxe (on s’est posé la du clergé et les enceintes correspondantes alors que l’autel se
question pour la consigne donnée par Augustin à la fin de ses situe dans l’abside). L’existence de deux absides ou seulement
sermons: conversi ad Dominum oremus). Mais nous avons d’un « contre-chœur » complique la situation et l’aména-
objecté que la position du prêtre, quand on peut la déter- gement de la nef centrale (voir infra).
miner, est très variable et ne paraît pas liée à l’orientation de
l’édifice, que, d’autre part, l’occidentation, quand elle est L’abside surélevée servant de tribune
dominante, tout en jouant un rôle (par exemple dans la dispo- La très grande majorité des églises africaines (quelques
sition des tombes où la tête du défunt est théoriquement à chapelles font exception) possèdent une abside surélevée
l’ouest), n’est pas plus précise en Afrique que l’orientation: (dans certains cas rares, au-dessus d’une crypte). La surélé-
le choix est surtout lié dans les villes à l’environnement, vation peut être considérable et atteindre 1 m et plus. Dans
c’est-à-dire aux aménagements antérieurs et à l’orientation ces conditions, l’abside est normalement accessible par un
des insulae dans le cas de plans urbains réguliers (par exem- escalier frontal ou deux latéraux et la partie au-dessus du vide
ple à Carthage, ou à Sufetula/Sbeïtla où certaines églises sont est protégée par une barrière. Cette abside semi-circulaire à
dans la pratique orientées presque nord/sud). l’intérieur (mais souvent dans un cadre rectangulaire à
Autant qu’on puisse le constater, avec une chronologie l’extérieur) est en général couverte d’une demi-coupole,
qui reste en partie incertaine, l’orientation est plus fréquente aussi pour des raisons acoustiques (voir infra).
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Dans beaucoup d’églises, au moins les plus importantes parfois la clôture complète (sauf des passages transversaux)
(mais dans les fouilles anciennes cette installation, souvent en de la nef principale assurent la sécurité des mouvements du
matériaux légers, n’a pas été identifiée, d’où les constatations clergé, rendus complexes par l’existence de deux ou trois
négatives de St. Gsell en 1901), une banquette collective (syn- (avec l’autel central) emplacements pour les actes liturgiques.
thronos ou synthronon) pour le presbyterium (prêtres siégeant Les premières études avaient montré qu’aucune église à
avec l’évêque, d’où le terme courant dans l’érudition fran- deux absides n’avait été aménagée dès l’origine, y compris
çaise de presbyterium pour désigner l’abside) cerne le fond de dans les basiliques civiles à deux absides de Lepcis Magna et
l’abside autour d’une cathèdre (où dans la cathédrale siège de Sabratha converties en églises. Cette constatation com-
l’évêque). Celui-ci, comme on le sait par le vocabulaire porte peut-être des exceptions, notamment dans la première
(l’église épiscopale est désignée par le terme de cathedra) et phase (du Ve siècle) de l’église de Demerch I à Carthage (voir
par les corpus cyprianique et augustinien, parle depuis cette infra). En tout cas, dans la péninsule hispanique, où les basi-
cathèdre, ce qui rend inutile un ambon; il est question de liques à double abside sont beaucoup moins nombreuses, les
pulpitum pour le lecteur, mais on ne trouve pas en Afrique (en absides semblent dans plusieurs cas contemporaines, mais
dehors de la Tripolitaine) d’installation d’ambon « en dur » et l’état des ruines – où deux fois seulement l’emplacement de
il est probable que le lecteur procède aux lectures depuis l’autel est certain (dans l’abside principale orientée) et où un
l’abside ou d’un pupitre mobile: le terme désigne bien un couloir axial prouve parfois une relation liturgique entre les
pupitre mobile dans le sermon prononcé par Augustin à deux absides – ne permet pas de savoir précisément à quoi
Carthage, qui a déjà été cité, puisque les auditeurs réclamaient servait la seconde.
qu’Augustin descende avec son pulpitum dans le cancellus.
b. Délimitation de l’architecture byzantine d’Afrique
Le rôle du culte des martyrs dans les aménagements :
les « centres de culte » opposés Elle a été tentée en 1953 par J. B. Ward Perkins et
Nous avons souligné que, depuis le début du IIIe siècle, le R. G. Goodchild dans leur mémoire (fondateur pour la
culte des martyrs a joué un rôle décisif dans la doctrine (et les conception moderne de l’archéologie chrétienne nord-
querelles) de l’Église d’Afrique. En tout cas, dans cette africaine) sur la Tripolitaine, mais sur la base d’une
région, les reliques sont présentes sous l’autel bien avant la documentation très dispersée et de valeur bien inégale pour
période byzantine et, sans doute, dès la naissance de l’autel la Tunisie et l’Algérie. Dans les années 1970, en même temps
fixe au IVe siècle. C’est peut-être le culte des martyrs qui que J. Christern, nous avons cherché, dans une synthèse
explique, aussi avec la tradition d’occidentation, les caracté- rapide (REG, 1971) et par une série d’études mono-
ristiques d’un grand nombre d’églises africaines (35 cas graphiques ou régionales, de préciser les apports nouveaux
étudiés vers 1970 dont quelques-uns peu probants, environ de cette période. Ce travail est continué par des archéologues
45 actuellement) qui présentent deux « centres de de Tunisie où les fouilles nouvelles sont nombreuses et fruc-
culte » opposés, de type très varié (autre abside opposée à la tueuses (voir par exemple AnTard, 10). Malgré la grande
première, à l’intérieur ou à l’extérieur des nefs, édicule exté- floraison de constructions ou de reconstructions d’époque
rieur, « contre-chœur » associé ou non avec une abside, avec byzantine, il est difficile de caractériser une architecture
ou sans autel). Dans un certain nombre de cas, mais pas dans byzantine d’Afrique qui soit vraiment différente de celle qui
tous, y compris dans la même ville (Ammaedara/Haïdra, précède, sauf dans quelques secteurs bien précis.
Sufetula/Sbeitla), l’orientation de l’office a été modifiée et le La grande majorité des églises, au moins dans l’est de
clergé transféré à l’autre extrémité dans la nouvelle abside. l’Afrique du Nord (la situation est différente en Maurétanie),
Le cas de l’église de Melléus ou de saint Cyprien à nous sont certes parvenues dans l’état qu’elles présentaient à
Ammaedara, sans doute la cathédrale, église occidentée la fin de l’époque byzantine et peut-être même, dans certains
(N. Duval, Églises, II, no 23), illustre l’évolution à l’époque cas, au début de la domination arabe. Mais, dans les fouilles
byzantine: un « contre-chœur » a été installé au VIe siècle anciennes, sauf exceptions en cas de reconstruction mani-
derrière la façade, avec un second autel où l’on a déposé, feste, l’évolution des monuments n’a pas été étudiée ou
semble-t-il, les mêmes reliques que sous l’autel principal, comprise; la datation était proposée, faute de dates dans les
c’est-à-dire celles de saint Cyprien de Carthage. Dans rares inscriptions de dédicace et de repères stratigraphiques
l’église cimétériale (N. Duval, Églises, II, no 24 et CRAI, (dont on ne se préoccupait pas), à partir du décor (mosaïques
1969 et 1993), construite sur le lieu de l’inhumation d’un et sculpture) quand il existait, ou de la paléographie des
groupe de martyrs de la Persécution de Dioclétien (dont nous inscriptions et de la typologie des symboles chrétiens. Mais,
avons la liste), l’église, occidentée à l’origine, a été complè- de ce point de vue aussi, l’appréciation a beaucoup changé
tement reconstruite avec une abside orientale, mais on a (voir le débat sur Tébessa). On dispose cependant maintenant
conservé vers la nouvelle façade un édicule commémoratif d’autres critères tenant à l’orientation des églises, à leur orga-
des martyrs (sans autel, semble-t-il). nisation liturgique qui a évolué dans le temps, et d’un petit
L’existence de deux centres de culte explique qu’un ou nombre de monuments dont l’histoire a été soigneusement
deux couloirs axiaux (suivant la position de l’autel principal), analysée et la stratigraphie examinée.
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L’épigraphie chrétienne d’Afrique, qui est essentielle- ment datables de cette époque (par chronologie relative ou à
ment funéraire et martyrologique, a fait de grands progrès cause des installations liturgiques et du décor). C’est possible
et permet aussi, quand les inscriptions sont restées dans naturellement pour les églises nouvelles desservant des forte-
leur contexte, d’apporter dans certains cas des indices resses byzantines (Ammaedara, Thamugadi).
chronologiques (cas de l’église I d’Ammaedara et des Dans un certain nombre de régions (surtout la Byzacène),
églises de Sbeitla). une série d’églises rurales – et parfois urbaines – présentent
Un autre obstacle est le grand nombre de monuments un plan simple et une seule couche de mosaïques homo-
fouillés récemment en Tunisie, partiellement ou complè- gènes, assez faciles à dater par leurs motifs et leur style.
tement, qui n’ont fait l’objet que de communications Nous avons tenté d’identifier aussi un atelier d’archi-
préliminaires (avec de rares plans détaillés et exploitables tecture byzantine qui a construit ou reconstruit au moins
pour une typologie). deux églises d’Ammaedara et le « Dar el Kous » du
Le cas de Theveste / Tébessa en Proconsulaire ou Kef/Sicca Veneria (Proconsulaire ou Zeugitane).
Zeugitane (sanctuaire supposé de sainte Crispine, martyre
locale: Inv. Alg., no 111, 1) est typique d’une discussion c. Permanences et nouveautés de l’architecture
chronologique qui reste mal orientée. Au XIXe siècle, l’archi- chrétienne d’époque byzantine :
tecte A. Ballu avait intitulé sa publication Le monastère l’utilisation de monuments désaffectés
byzantin de Tébessa et St. Gsell avait distingué en 1901 une
phase byzantine. L’un des principaux arguments était la date Beaucoup d’édifices ont été aménagés, encore à l’époque
supposée de la riche sculpture architecturale que Ch. Diehl byzantine, de façon assez sommaire dans des monuments
avait rapprochée de celle de Syrie (connue surtout à l’époque désaffectés: nous avons signalé le cas des basiliques civiles
par les travaux de M. de Voguë). L’étude détaillée de de Lepcis Magna et Sabratha (pour celle de Tipasa la data-
J. Christern, menée avec P.-A. Février dans les années 1960, tion est incertaine), examiné aussi quelques exemples de
a conclu à une construction homogène du début du Ve siècle basiliques construites dans un temple à cour en utilisant la
pour la grande église et ses dépendances. Chr. Strube vient de cour (et ses colonnes) pour l’église et la cella (trop petite,
reprendre la date byzantine avec la même argumentation surtout si elle est carrée) pour le baptistère (Thuburbo Majus,
stylistique qu’au XIXe siècle, mais des comparaisons plus pré- Sbeitla III, Jebel Oust – où l’église n’a pu être construite dans
cises et plus nombreuses. Bien que le terminus ante quem du la cour traversée en sous-sol par la source: l’édifice est en
début du Ve siècle repose sur une seule monnaie, tout le cours d’étude plus détaillée), quelques autres exemples de
contexte plaide en ce sens, et aussi la sculpture qui est celle réutilisation d’une salle thermale encore couverte (Mactar,
d’un atelier local ayant travaillé dans le voisinage, notam- Madaure), ou d’un nymphée ou temple des eaux (fouille
ment pour le monument à auges d’Hr Faraoun (MÉFRA, récente d’Ad Aquas près d’Hammam Lif).
1972), certainement antérieur à l’époque byzantine.
Un autre cas discuté est celui du groupe épiscopal de Permanence des plans et techniques de construction
Djémila/Cuicul (Numidie, Inv. Alg., no 27, 1-3) qui com- Le plan dominant reste l’église basilicale à trois nefs,
porte deux églises accolées réunies par un chevet, pourvu de mais il existe un nombre assez important d’édifices à cinq
cryptes à mi-pente, qui est en apparence homogène. Mais les nefs, souvent antérieurs à la période byzantine, généra-
dimensions et la conception architecturale des deux églises lement sans dimensions très considérables car la multipli-
(l’une à trois nefs, l’autre à cinq nefs) ne sont pas les mêmes, cation des nefs s’explique aussi par des problèmes de
et les pavements sont très différents de style. Parce que la couverture et par la nature des supports disponibles : les
dédicace de la plus grande fait allusion, croyait-on, au schis- colonnes, en majorité de calcaire sauf quelques remplois,
me et que l’évêque Cresconius qui y est mentionné pouvait sont de diamètre modeste (d’où aussi la nécessité de doubler
être celui de l’Église catholique locale présent à la conféren- souvent les colonnades ; les colonnades géminées ou l’asso-
ce de 411, on a cru que la construction était la conséquence ciation pilastre-colonne sont fréquentes).
de la fin du schisme donatiste et de l’union des deux Églises Les caractéristiques propres à l’Afrique et liées au
qui augmentait l’audience. Mais un autre évêque du même nécessités de la liturgie que nous avons déjà mentionnées
nom est connu par un concile de 553 et P.-A. Février était (abside surélevée, autel dans la nef, etc.) subsistent, même
tenté d’attribuer cette basilique et son pavement à la période si l’autel a tendance, dans la période byzantine, à se rappro-
byzantine. J. Christern a maintenu pour des raisons architec- cher de l’abside, parfois à se dédoubler avec la création de
turales (comparaison avec Tébessa) une date du Ve siècle. « contre-chœurs ». De même, les techniques de construction
Comme pour la « Maison de Bacchus » sur le même site, une (beaucoup de murs sont en petit appareil avec armature, dit
vérification, qui demanderait des fouilles et une étude atten- opus africanum) ne changent pas radicalement, et ce sont
tive, n’a pas été effectuée et la question n’est pas tranchée. surtout des remplois qui sont utilisés pour les murs en grand
Pour l’époque byzantine, il faut commencer par distinguer appareil et parfois pour les éléments porteurs (église de la
les constructions nouvelles (ou reconstructions radicales) et citadelle d’Ammaedara, deuxième phase de l’église 1
les remaniements, qui sont très nombreux et parfois claire- d’Announa: Inv. Alg., no 121, 1).
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Nous avons cependant signalé des modifications radicales l’identification et la chronologie des campagnes de travaux
qui portent souvent sur l’adjonction d’une contre-abside, provoquent encore beaucoup d’interrogations.
parfois accompagnée d’un changement d’orientation des J. Christern avait été intéressé par deux problèmes dans
actions liturgiques. ses travaux de synthèse des années 1960-1970 sur l’archi-
tecture chrétienne d’Afrique. D’abord, il avait cherché à
La vogue du plan avec « bloc baptismal » au chevet. prouver l’existence dans certains cas de tribunes, attestées
Banalisation du baptistère dans les églises rurales de toute façon, sans doute pour gagner de la place, dans les
Le plan courant à trois nefs, conservé majoritairement à deux églises de forteresses fouillées à Ammaedara
l’époque byzantine comme le prouve le nombre de petites (Haïdra, Miscellanea, II, 1999) et à Timgad (Lassus, 1981 ;
églises mosaïquées à cette époque qui l’adoptent, connaît une Inv. Alg., no 98, 9). Mais les autres cas certains ou présu-
variante, qui est probablement antérieure à la période byzan- més sont, suivant toute probabilité, antérieurs (par exemple
tine si notre analyse de l’église II de Sbeïtla/Sufetula Orléansville, Rusguniae, Tigzirt, Tébessa : Inv. Alg., nos 4 ;
(N. Duval, Églises, II, no 19, cf. I, p. 262-291) est exacte, 14 ; 15,1 ; 111,1) ; pour d’autres exemples examinés par
mais elle devient assez courante: elle consiste à ajouter au J. Christern, on ne dispose pas d’indices suffisants avec la
chevet ce que nous avons appelé un « bloc baptismal » proportion de l’édifice ou un escalier (nous avons pensé
plaçant le baptistère, encadré de pièces annexes, derrière qu’à Sbeïtla II, les escaliers ne desservaient que des terrasses
l’abside et prolongeant ainsi le rectangle avec, dans l’idéal, la au chevet : N. Duval, Églises, I, p. 176-179 et fig. 335),
même largeur que l’église proprement dite. Cette typologie, d’autant plus que le matériel d’une colonnade supérieure
répondant peut-être à la volonté symbolique de rapprocher le manque. Donc l’adoption d’une élévation à tribunes est rare
baptistère de l’autel et, en tout cas, à celle de faciliter la et ne peut être considérée comme un apport byzantin.
circulation avant et après le baptême, est représentée aussi en Il n’en est pas de même de l’insertion de coupoles au
Numidie et en Numidie Proconsulaire (Hr Deheb: Inv. Alg., centre de deux des grandes églises de Carthage (Damous el
no 108; Morsott: no 113, 1); elle est bien attestée à l’époque Karita et Basilica Majorum : N. Duval, Églises, I, nos 8-9),
byzantine en Byzacène, à Mactar (N. Duval, Églises, II, qui est probable d’après la disposition des supports (con-
no 15), sur la côte de Tunisie depuis le nord du Cap Bon (Ad servés seulement en fondation). Les restitutions qu’a
Aquas près d’Hammam Lif, Sidi Abich, Hergla, phase fournies Christern avec l’architecte Müller (cf. RbK, III,
ancienne de Bekalta, Hr Sokrine près de Lemta, nouvelle col. 1178-1179, 1185-1186), parfois avec plusieurs
église près de La Hencha, etc.), aussi en Tripolitaine variantes possibles, sont données exempli gratia puisque
(Sabratha II, El Asabaa, El Khadra? [ex Breviglieri]). nous ne savons rien de l’élévation.
Mais ce plan n’est pas exclusif, même à cette époque, L’apport des influences byzantines se manifesterait
d’autres positions du baptistère, dont la localisation est très donc peut-être, en dehors des monuments de plan centré
variable en Afrique. On remarquera que les baptistères qui la connaissaient déjà, par l’introduction de la coupole
deviennent très fréquents dans les églises rurales, même dans des édifices basilicaux. J. Christern l’a supposée
modestes, surtout en Tripolitaine et en Tunisie. Dans des (après Ward Perkins) dans l’église du Forum Vetus de
petites cités, il peut en exister aussi plusieurs, alors que, en Lepcis Magna (Ward Perkins, Goodchild, p. 24-27). Elle
principe, on ne peut plus invoquer la coexistence de plusieurs nous paraît certaine dans une église double de Bulla Regia
communautés (par exemple un dans chacune des deux (N. Duval, Églises, II, no 6, cf. BSNAF, 1969) où trois cou-
églises fouillées à Belalis Maior/El Faouar en Proconsulaire). poles auraient été prévues dans la phase byzantine, dont
deux dans l’église principale au-dessus de l’autel et du
Évolution des grands édifices à multiples nefs. baptistère (la datation repose sur le style des mosaïques de
Les élévations cette phase) et dans l’église VI de Sbeïtla/Sufetula dédiée
– Problème des tribunes, introduction de la coupole, aux saints Sylvain et Fortunat (ibid., no 21), dans une phase
voûtements partiels, voûtes côtelées d’abside (Haïdra, Le Kef), bien datée par l’épigraphie de la moitié du VIe siècle. On
persistance de la charpente et de la couverture en tuiles, ajoutera la grande église de Iunca III, où le plan cruciforme
terrasses et voûtes extradossées avec croisement de deux nefs se terminant chacune par des
Il a existé en Afrique un petit nombre de grands édifices absides était complété sans doute par une coupole à la
à plus de cinq nefs (cathédrale de Tipasa, grandes églises croisée au-dessus de l’estrade de l’autel, comme à Damous
cimétériales de Carthage) qui ont été reconstruits ou réamé- el Karita (ibid., no 28). Cependant, ces cas de « basiliques
nagés à l’époque byzantine, avec parfois des modifications à coupoles » sont relativement peu spectaculaires : la plu-
considérables, notamment pour la Basilica Majorum et part des églises existaient déjà (peut-être pas celles de
Damous el Karita à Carthage (N. Duval, Églises, II, nos 8, 9). Lepcis et de Iunca) ; les plans, qui sont des adaptations
En raison des conditions des fouilles déjà anciennes (suivies – toutes de type différent –, ne reflètent pas vraiment les
souvent de restaurations arbitraires ou de présentations plans orientaux : les coupoles devaient être légères, faites
discutables), l’étude architecturale détaillée de ces monu- la plupart du temps de « cintres perdus » en tubes de céra-
ments n’a pas été réalisée ou reste peu satisfaisante, et mique scellés au plâtre ou au mortier (technique utilisée
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aussi en Italie, par exemple pour la coupole de Saint-Vital), une rotonde qui est un baptistère monumental derrière
mais, sauf en partie à Sbeïtla, l’étude des restes de super- l’abside. On peut le rapprocher de celui d’un édifice fouillé
structures n’a pas été faite. au début du XXe siècle à Siagu (Cap Bon), où l’église est
Certains plans ou emplacements de supports, soit à encadrée de deux séries de pièces et galeries qui la relient
Tipasa (église du « nouveau temple » : Inv. Alg., no 9, 3), à un baptistère dans la même position, mais cette fois de
soit en Tunisie (cf. N. Duval, Églises, II, index p. 445), plan octogonal.
donnent à penser que les bas-côtés et, plus rarement, la nef Nous nous sommes demandé si le martyrium (et non
centrale d’églises à trois nefs pouvaient être voûtés, mais, baptistère) semi-souterrain, annexé à la basilique de
là aussi, on ne peut compter pour s’en assurer que sur des Damous el Karita de Carthage et dont la date byzantine est
fouilles nouvelles et attentives (par exemple à Thélepte). maintenant assurée, n’était pas associé à une basilique de
En tout cas, le voûtement des bas-côtés (en voûtes même type orientée au sud-est (qui n’a pas été fouillée et
d’arêtes) est certain pour les églises construite à Sicca est maintenant probablement détruite).
Veneria/Le Kef (Dar el Kous) et reconstruite dans la nécro- Une basilique, aussi à déambulatoire mais plus mo-
pole est d’Ammaedara/Haïdra (Haïdra, III, sous presse) par deste, vient d’être fouillée dans la région de Mahrine près
une équipe d’architectes que nous avons signalée ci-dessus de Tebourba/Thuburbo Minus.
(cf. CRAI, 1971 et 1989, Haïdra, Miscellanea, II).
Le même atelier a imaginé pour les absides un type de e. Baptistères et martyria monumentaux
voûte côtelée, avec des colonnettes plaquées supportant des
arcatures, qui est conservée au Kef et restituable d’après les Parmi les rares baptistères monumentaux séparés ou
plans et les vestiges de superstructures dans les églises associés aux églises, celui, de plan octogonal, de Tabarka
d’Haïdra II et IV (restitution contestée par J.-Cl. Golvin (avec aussi une voûte supportée par des doubleaux), et
dans Haïdra, Miscellanea, II, mais voir RAC, 2000). Nous celui en rotonde, plus récemment découvert à Bou Achir
avons rapproché ce type d’abside, malgré quelques diffé- près de Segermes, peuvent dater de l’époque byzantine.
rences, de celle aménagée à Rusguniae pour la reconstruction Mais les martyria de plan centré (rotondes, tétraconques,
attribuée à l’époque byzantine (mais nous ne connaissons triconques, parfois transformés par l’adjonction de nefs en
que le plan: N. Duval, Églises, II, no 3 = Inv. Alg., no 14). basiliques) sont par ailleurs assez nombreux dans la tradi-
En dehors de ces cas particuliers, il semble que la cou- tion africaine, avant l’époque byzantine. Nous venons de
verture en charpente soit restée la règle au moins pour la nef rappeler que le probable martyrium à deux étages de
centrale. Dans la plupart des fouilles anciennes et parfois Damous el Karita, dont des restitutions ont été proposées
récentes, les éléments de la couverture tombés à terre ont été par les architectes Lézine et Boyadjiev (qui croyait à un
évacués sans être examinés. La découverte de tuiles ne suffit baptistère), est une construction byzantine.
d’ailleurs pas puisqu’elles peuvent provenir de tombes.
Mais on a recueilli parfois sur place des imbrices scellés au f. Originalité limitée de la phase byzantine
mortier pour fixer les toitures dans les pays venteux et des
antéfixes (à Sbeitla : Sbeitla, I, p. 317-318, 383-384, etc.) qui Comme on le voit, l’originalité de l’architecture
prouvent l’existence de toitures en pentes. On notera aussi la d’époque byzantine d’Afrique reste limitée. Elle se marque
découverte dans quelques monuments prestigieux (Bir par des constructions d’églises nouvelles à trois nefs de
Ftouha à Carthage) de tuiles en céramique rouge « sigillée », plan banal, datables d’après leur sol de mosaïque (voir
une production locale plus soignée. infra), quelques initiatives d’un atelier local (Haïdra, Le
Mais il ne faut plus négliger dans les restitutions la Kef), des innovations qui n’ont pas eu beaucoup de succès
possibilité de toitures en terrasses, en particulier au-dessus (coupoles dans les basiliques), des adaptations d’édifices
des bas-côtés et de salles secondaires (voir Sbeitla I pour antérieurs (basiliques civiles comme celle des Sévères à
l’église II, cf. ci-dessus), de coupoles et demi-coupoles en Lepcis, des remaniements pour l’adjonction d’une contre-
tubes de terre cuite ou en pierres légères (utilisées à abside ou contre-chœur. Les reconstructions, remaniements
Haïdra), extradossées et protégées par de simples couches ou réparations sont plus nombreux et on constate aussi
de chaux suivant la tradition maghrébine qui sera celle quelques réductions de nécessité (Notkirchen suivant le
ensuite de l’architecture musulmane. terme allemand), notamment en Algérie, qui peuvent
correspondre à une dernière utilisation d’époque byzantine.
d. Apparition d’églises à déambulatoire On ne sait comment dater exactement les dernières phases
en rapport avec un martyrium ou un baptistère des nombreuses églises de Maurétanie Sitifienne et de Numidie
(Inv. Alg., nos 19-24, 29-41, 52-72, 77-96), fouillées notamment
La fouille récente d’un monument, déjà localisé autre- sous la direction d’André Berthier ou repérées par St. Gsell,
fois, à Bir Ftouha au nord de Carthage, qui peut être la dont l’évolution n’a pas été bien étudiée au moment de la
Mensa Cypriani, a révélé un plan ambitieux de basilique à fouille éventuelle et dont les plans sont insuffisants, mais qui
trois nefs à déambulatoire prolongeant les bas-côtés, avec peuvent être occupées jusqu’à une période tardive (le fait est
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prouvé notamment par les dépositions de reliques de l’époque palement en Tripolitaine (à Lepcis Magna) par Ward Perkins
byzantine, parfois dans la première moitié du VIIe siècle); de et Goodchild, dans quelques rares cas en Algérie (Timgad,
toute façon, elles appartiennent, avec quelques traits particuliers église de la forteresse, Inv. Alg., no 98, 9; Madaure 1, no 117,
dans certains cas, à un type d’architecture assez modeste qui se 1; Announa 1, no 121, 1; Hippone, no 123); en Tunisie plus
modifie peu, sauf pour les installations liturgiques. souvent, principalement dans les églises à deux absides et,
presque systématiquement, dans les fouilles récentes. La plu-
part des cas étudiés correspondent à la période byzantine. En
VII. L’ÉVOLUTION DES INSTALLATIONS fait, seuls ont été conservés et étudiés des exemples de
ET DU MOBILIER LITURGIQUES gradins dont le noyau était en pierre de taille, sauf un petit
nombre (Sbeitla VI, Haïdra II, Iunca I et III) dont on a pu
Sommaire: Tracés et matériel des chancels – Synthronos et ban-
quettes de sanctuaire – L’autel et les reliques: base, supports,
observer la maçonnerie légère et le revêtement de mortier ou
table, reliques sous l’autel, mensae martyrum, cénotaphes et de plâtre, parfois peint (Iunca) au moment de la fouille. Cette
listes commémoratives – Ciboria d’autels – Le lieu des lectures fragilité du noyau et du revêtement explique sans doute la
et l’ambon – Baptistères et cuves baptismales: évolution des disparition de la banquette dans les églises fouillées ancien-
formes, la forme « étoilée », profondeur, alimentation et éva- nement (et les conclusions de Gsell sur sa rareté en Algérie).
cuation, décor en mosaïque, ciboria – Ustensiles d’éclairage:
polycandela en bronze, suspensions, croix et médaillons;
Mais cette différence avec la situation en Tunisie peut
godets de verre et lampes suspendues, porte-mêches. s’expliquer aussi par des raisons chronologiques, la plupart
des églises de Maurétanie étant antérieures à la période où
a. Les chancels cette installation se banalise.
L’existence d’un vide entre les gradins conservés et le
L’organisation des nefs, le système de barrières (qui peuvent mur dans les églises de Iunca doit être dû à l’utilisation des
réserver la nef centrale au clergé dans les cas de basiliques à superstructures en bois, puisqu’il ne paraît pas y avoir de
deux absides ou ménager un trajet protégé entre deux circulation possible sous les gradins comme dans certaines
chœurs), l’emplacement de l’autel ont beaucoup changé, églises de l’Égée et de Constantinople.
comme nous avons tenté de le montrer, notamment par des Plusieurs de ces banquettes, généralement de dimen-
études précises à Sufetula et Ammaedara (en général, sions modestes dans les églises citées et le plus souvent à
cf. N. Duval, Églises, II, pour l’état de la recherche vers 1970). deux ou trois gradins (sans doute avec un seul rang de
Mais la typologie des supports et des barrières ne s’est pas sièges véritables) comportent un emplacement pour la
beaucoup modifiée. Dans un certain nombre de cas, nous cathèdre épiscopale ou celle du chef de la communauté,
avons cru relever des indices de passage de la façade de (parfois dans plusieurs églises de la même ville).
chœur traditionnelle, d’environ 1 m de hauteur, à une barrière Il existe aussi des cas rares de siège isolé au fond d’une
haute, soit en raison des encastrements au sol, soit grâce à de abside (exemple de Iunca III où la cathèdre était encadrée
rares découvertes de colonnettes ou de poteaux-colonnettes à quelque distance de deux petites banquettes). L’église
(quelques restes à Carthage). Les poteaux de chancels en installée à l’époque justinienne dans la basilique sévé-
marbre ou calcaire, avec des amortissements divers, sont rienne de Lepcis Magna comporte un type de disposition
assez nombreux mais de type simple. Les plaques de chancel adaptée au décor sévérien de colonnes plaquées de l’abside
en marbre d’importation (Proconnèse) sont très rares sauf sud-est : les sièges sont fragmentés et utilisent les niches
dans le matériel de la basilique « justinienne » de Sabratha intermédiaires, avec un piédestal plus haut au centre pour
(Ward Perkins, Goodchild, fig. 5) et, pour quelques frag- l’évêque. Une disposition comparable est imaginable pour
ments, à Carthage, surtout dans la nouvelle fouille de Bir l’église de la citadelle d’Haïdra / Ammaedara où ne
Ftouha où le matériel sculpté a été bien étudié par F. Bessière subsiste que la niche centrale.
et J.-P. Sodini. Mais, d’une façon générale, on n’a pas beau- On peut estimer que les deux banquettes de sanctuaire
coup de témoins non plus d’une production locale sauf dans installées devant l’abside de l’église VI de Sbeïtla/Sufetula (et
l’atelier de la région de Tébessa, qui doit être antérieur à d’ailleurs sans doute supprimées au moment d’une reconstruc-
l’époque byzantine (voir supra) et en Tripolitaine. Cependant, tion) sont un témoin d’importation byzantine puisque cette
il faut tenir compte des méthodes de fouille anciennes et de la disposition des banquettes encadrant l’autel dans le sanctuaire
très grande négligence dont a été victime ce type de matériel (« synthronos rectangulaire» selon P. Lemerle) est inconnue
quand il était fragmentaire. en Afrique jusqu’alors et d’ailleurs aussi en Occident.

b. Synthronos et banquettes latérales de sanctuaire c. L’autel, les reliques et le ciborium

Nous avons rappelé qu’en Afrique, le clergé, depuis À défaut de l’emplacement qui s’est rapproché de
Cyprien au moins, siège en demi-cercle autour de l’évêque, l’abside (souvent sur une plate-forme surélevée formant
formant le presbyterium, et toujours dans l’abside. La typolo- chœur immédiatement devant l’abside), la typologie de
gie du synthronos à l’époque byzantine a été étudiée princi- l’autel n’a pas changé avec la période byzantine. La base
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rectangulaire, maçonnée ou en pierre, monolithe ou faite de la succession de deux dépositions de reliques dans le courant
remplois composites (par exemple à Sabratha), présente en du VIe siècle, avec un regroupement dans un bas-côté des reli-
surface les mortaises prévues pour les colonnettes, le plus quaires non réutilisés sous l’autel principal. Cette série de
souvent quatre, avec quelques exemples d’autels plus grands reliquaires est importante aussi pour l’évolution de l’hagio-
à six pieds (notamment en Tripolitaine). Il semble que le graphie africaine à l’époque byzantine: des saints orientaux
dernier autel de la cathédrale catholique (église II) de s’ajoutent aux martyrs africains et italiens (avec quelques autres
Sufetula ait eu un support en forme de coffre comportant grands saints occidentaux comme Vincent de Saragosse).
sans doute une ouverture pour voir et/ou prendre le reli- On a recueilli d’assez nombreux fragments de tables, le
quaire (N. Duval, Églises, I, p. 182-192). plus souvent rectangulaires et en marbre, parfois portant un
On a recueilli plusieurs colonnettes monolithes en monogramme ou une marque d’atelier. Quelques exemples
marbre ou en pierre du type habituel (1 m de hauteur de tables en sigma, « clôturées » ou « polylobée », peuvent
moyenne). Des colonnettes de production locale pour le provenir d’autels ou avoir servi à un usage profane, même
dernier état de l’autel ont été trouvées dans l’église I de quand elles ont été trouvées dans une église (Sabratha II,
Sufetula (N. Duval, Églises, I, p. 44, fig. 36). Sbeitla I). Mais, pour Sbeitla I, une base comportant un évi-
On n’a pas en Afrique, à notre connaissance, de témoin dement en demi-cercle nous a donné à penser qu’elle avait pu
d’autel avec un socle massif maçonné qui apparaît vers le porter la table en sigma dont des fragments ont été trouvés à
VIIIe siècle en Arabie et Palestine (sauf un autel secondaire à proximité (N. Duval, Églises, I, p. 44-47). On possède aussi,
Iunca I , peut-être les massifs maçonnés de « contre-chœur » provenant de l’église de Sbeitla II, un fragment important
à Sbeitla IV, dans la nouvelle église de La Hencha, etc., ou d’une table « à astragale » avec des motifs chrétiens, qui ne
ceux qu’on suppose comme supports de mensae martyrum). doit pas être un autel (ibid., p. 319-320).
Mais on connaît à Mactar (nord de la Byzacène) plusieurs La plupart des autels (cf. N. Duval, Églises, II, index
cas d’utilisation à l’époque byzantine d’un piètement unique p. 415) sont protégés par un ciborium à quatre supports.
de grande taille : il s’agit trois fois d’un autel funéraire païen Comme pour les ciboria de baptistères, on a peu de matériel
(avec encastrement au sommet pour une boîte cinéraire). d’importation (quelques chapiteaux bizones, quelques colon-
Ces remplois d’autels ou de cippes païens sont bien connus nettes en Proconnèse à Sabratha et Iunca, des morceaux à
dans d’autres provinces occidentales (Italie, mais surtout Carthage-Bir Ftouha, quelques colonnettes vitinées ou torsa-
Gaule du Sud et Bétique). dées, parfois en remploi ou taillées dans des blocs de marbre
D’une façon générale, les reliques sont placées sous remployés). Les productions locales sont assez simples, sauf
l’autel, soit dans un loculus ménagé dans la base (au sommet peut-être à Sbeitla VI (colonnette vitinée, plusieurs chapi-
du cippe dans le cas de remploi d’un autel funéraire païen), teaux imitant un tressage de panier en osier). Pour les super-
soit sous la base qui recouvre alors une caisse en pierre ou un structures on possède peu de choses (quelques arcs sculptés
bloc d’architecture remployé (plusieurs fois des tronçons de peuvent appartenir aussi à des fenêtres); d’après les tailloirs
colonnes à Sbeitla et Haïdra) creusé d’un loculus pour la de Sbeitla II (N. Duval, Sbeitla, I, p. 180), elles pouvaient
boîte à reliques proprement dite. être souvent en bois; d’après les débris observés dans
Les fouilles d’Algérie et surtout de Numidie, plus rarement quelques cas, certaines couvertures étaient en forme de
de Tunisie, ont livré plusieurs séries de reliquaires, soit assez coupole avec armature de tubes de voûte.
soignés (deux capsellae d’argent dont celles d’Aïn Zirara Nous avons pu constater que plusieurs des ciboria d’autels
aujourd’hui au Vatican, une pyxide d’ivoire à Iunca), parfois en servaient de supports à une enceinte intérieure au chœur
pierre et ornés, le plus souvent en céramique et en verre avec protégeant l’accès à l’autel (N. Duval, Églises, II, p. 349).
quelques exemples de fabrications ad hoc quand ils sont inscrits Provenant peut-être d’autels ou de fenêtres de cryptes
avant cuisson (petits sarcophages de terre cuite et d’albâtre à (aucun de ces éléments n’a été trouvé en place), ou de loculi
Hr Akhrib, mais il s’agit de vases communs le plus souvent). Le ajourés, une petite série de grilles en pierre, parfois sobrement
nombre de reliquaires inviolés encore scellés au plâtre ou au décorées et deux fois inscrites, sont dites traditionnellement
mortier est assez important en Numidie, prouvant sans doute fenestellae confessionis (Inv. Alg., pl. 185): elles permet-
une longue survie du culte, mais l’analyse, quand elle a été pra- traient de voir les reliques dans un autel-coffre, une crypte ou
tiquée, est assez décevante: il s’agit le plus souvent de terre ou une niche ou autre monument commémoratif et, éventuelle-
de poussières sans guère d’éléments organiques. ment, d’y toucher (une pratique similaire est connue par les
On a déjà signalé que certains documents les plus impor- sources pour le sanctuaire de saint Étienne à Uzalis). Les deux
tants pour l’histoire de la période byzantine (jusque dans les exemplaires qui sont inscrits paraissent d’époque byzantine.
années 40 du VIIe siècle) sont précisément des procès verbaux On rappellera que la mensa martyrum, qui n’est pas un
de déposition de reliques provenant de l’intérieur de reli- autel mais dont l’origine est la table de banquet ou la table
quaires inviolés (plombs de Télergma et de Sila: Y. Duval, d’offrande funéraire, peut cependant s’introduire dans
LSA, nos 113, 106-112) ou des inscriptions sur des couvercles l’église, sans doute sur un monument commémoratif (aucune
de loculus. Le cas d’Hr Akhrib (Y. Duval, LSA, nos 126-132 n’a été trouvée en place) et qu’elle subsiste à l’époque byzan-
= Inv. Alg., no 39, pl. 82) est particulièrement intéressant pour tine (Y. Duval, LSA, p. 525-542). Certains « centres du culte
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150 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

martyrologique » semblent par ailleurs constitués (ibid., dans l’axe de l’église derrière l’abside. Mais la grande majo-
p. 595-606) de simples inscriptions donnant la liste des mar- rité des baptistères fouillés sont des salles de dimensions
tyrs et éventuellement la date anniversaire, qui sont offertes modestes qui peuvent être une pièce quelconque au chevet, ou
à la vénération des fidèles, au sol, surélevées ou placées être situées sur le flanc de l’église ou vers sa façade (annexées
verticalement dans un enclos protégé (Uppenna, basilique II à un atrium quand il en existe un, par exemple à Tébessa et
d’Haïdra, Basilique VI de Sbeitla: N. Duval, Église, II, dans trois églises de Timgad: Inv. Alg., nos 98, 2-3 et 7).
nos 13, 21, 24), ou de cénotaphes, sans tombe ni reliques. Par contre, quelques datations par l’épigraphie, des
superpositions quand la cuve ancienne est remplacée par
d. Le lieu des lectures et l’ambon éventuel une cuve moderne (ce qui est nécessité aussi pour des rai-
sons techniques comme dans les thermes : le cas le plus
Nous avons déjà évoqué l’emplacement du clergé dans spectaculaire est celui d’Uppenna au nord de la Byzacène,
l’abside et pour l’évêque l’usage de parler depuis sa cathèdre. N. Duval, Églises, II, p. 90, fig. 43), l’observation attentive
Cependant, une évolution semble s’être produite par suite de l’évolution des églises permettent d’établir un schéma
de l’influence des pratiques égéennes où l’ambon était assez clair de la progression des formes : on est passé de
répandu de longue date. Nous avons observé que l’instal- cuves simples (rondes ou carrées), à la forme polygonale,
lation d’un ambon fixe était une pratique tardive (VIIe siècle) puis au plan cruciforme qui domine à l’époque byzantine,
en Arabie et Palestine, et probablement en Cyrénaïque. avec surtout la variante quadrilobée (généralement deux des
On constate que son introduction en Tripolitaine dans branches contiennent les escaliers de descente).
plusieurs églises de Lepcis Magna et de Sabratha doit être Un type propre à l’époque byzantine et à la région du
aussi tardive (il paraît ajouté dans l’église « justinien- Sahel (sauf un cas à l’ouest à Announa en Numidie : Inv.
ne » de Sabratha), et il s’agit de meubles construits pour la Alg., 121, 2) est la forme dite « étoilée » ou « polylobée »,
plupart en matériaux de remploi dont la situation dans la avec plus de quatre alvéoles ménagés au niveau de la mar-
nef devant le chœur peut varier (dans l’axe à la basilique gelle, qui a été utilisée jusqu’au VIIe siècle d’après l’exemple
sévérienne de Lepcis) et dont la typologie n’est pas non de Bekalta qui semble très tardif (c’est la troisième cuve de
plus homogène (ambon axial à deux escaliers à la basilique cette petite église rurale desservant probablement un
sévérienne, taillé dans un chapiteau de remploi, mais petite domaine). Depuis les premières découvertes au début du
tribune avec un court escalier dans d’autres églises). XXe siècle, on discute de la raison d’être et de la valeur
Se pose aussi les problèmes de la destination d’une car- symbolique ou pratique de ce plan : on a cru, par exemple,
gaison comportant un ambon de type constantinopolitain, à des baptêmes collectifs. Après la découverte d’une table
coulée au sud de la Sicile à Marzamemi, et de l’interpré- en marbre ronde polylobée au fond de la cuve du baptistère
tation d’un épisode des Miracula Demetrii : la captation de Tébessa (Inv. Alg., no 111, 1 : pl. 158, 1) et de la simi-
par l’évêque de Thina (Byzacène), admirateur de saint litude de la forme avec les tables polylobées de salle à
Démétrius, du matériel d’un ambon transporté d’Orient par manger (servant aussi d’autels), nous avons pensé à une
bateau et destiné à un saint Victor (de Marseille ?). Dans ce raison symbolique, à cause du rapport souligné par les Pères
dernier cas, nous pensons que, de toute façon, il s’agit d’un de l’Église entre la régénération par le baptême et celle par
monument du type de celui de Thessalonique, donc un le sacrifice du Christ renouvelé lors de la Cène et sur l’autel.
édicule mémorial, et non un ambon-tribune. Mais il est vrai que la forme de bassins ornés intérieurement
On vient de trouver à Jedidi (région d’Hammamet) un de niches (généralement alternant le demi-cercle et le rec-
fragment de plaque inscrit qui, d’après sa forme trapézoï- tangle) existait déjà pour les bassins d’agrément romains
dale, pourrait appartenir à un escalier d’ambon, mais le (dans les péristyles) et qu’elle sera reprise dans les patios
morceau était remployé au-dessus d’une tombe. des maisons islamiques. Le bassin de Bekalta déjà cité,
Grégoire de Tours mentionne, à propos du culte de exceptionnellement de plan carré à l’extérieur et à l’inté-
Cyprien, le monument de la mensa Cypriani à Carthage (dont rieur au niveau de la margelle, comporte cette alternance
il parle par ouï-dire). Le monument comporte une mensa d’alvéoles des deux formes vers l’intérieur.
monumentale qui servait apparemment d’estrade de lecture. Ces cuves africaines ont une profondeur assez constante
Nous avons tenté de comprendre ce passage assez obscur qui (1 m d’eau environ au maximum, souvent moins) qui ne
concerne de toute façon un monument exceptionnel qui com- permet pas l’immersion complète en général. L’alimentation
binait deux fonctions (Augustin Prédicateur, 1996). en eau courante et une évacuation sont loin d’être présentes
partout (on signalera le cas particulier du baptistère de l’égli-
e. Cuves baptismales se sous le lycée de Carthage, aménagé sur un puits qui sert à
la fois à l’alimentation et à l’évacuation), ce qui signifie
Nous avons déjà mentionné la fréquence des baptistères, qu’on devait se contenter souvent d’un apport d’eau symbo-
même dans les petites églises rurales, les rares baptistères lique. On constate d’ailleurs dans quelques cas (Thuburbo
monumentaux isolés de l’église, analysé la typologie d’une Maius, Bulla Regia, etc.) que, probablement pour économiser
série d’édifices cultuels qui placent volontiers le baptistère l’eau, on a condamné deux des bras d’une cuve cruciforme.
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Une forme très curieuse conservée en deux versions fois à Orléansville (Chlef actuellement) un curieux lustre en
entre le Ve et le VIe siècle dans le groupe épiscopal bronze en forme d’église ajourée qui est conservé au Musée
catholique de Sbeitla (N. Duval, Sbeitla, I, p. 117-121 et de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Sa date est incertaine.
278-283) vise sans doute aussi à diminuer le volume d’eau Un médaillon de suspension trouvé dans une église du
au fond de la cuve ovoïde, en y insérant une banquette d’un VIe siècle de Sbeitla est identique, aux dimensions et aux
côté alors que le célébrant doit prendre place en face sur détails près, à d’autres exemplaires trouvés à Salone
une saillie demi-circulaire de la margelle. Il s’agit d’une (Dalmatie), Scythopolis / Beth-Shean (Palestine II), Arka
variante régionale dont on a retrouvé des exemples très (Épire) : cette large dispersion montre que ce matériel de
voisins dans deux églises à l’est de Sbeitla. série doit être commercialisé dans toute la Méditerranée
Les cuves de Tunisie sont très souvent recouvertes de comme les productions courantes de mobilier en marbre de
mosaïque décorative, avec des symboles chrétiens (au Proconnèse ou de Thasos.
fond notamment) auxquels s’ajoutent parfois les motifs On commence aussi à signaler des porte-mèches en
courants dans les bassins profanes (figurations de vagues bronze (qu’il faudrait plutôt appelé « fixe-mèches »),
et d’animaux marins) et des éléments végétaux (guirlande destinés aux lampes en verre ou en terre-cuite. Un pied de
de vigne ou de laurier, fleurs, surtout sur la margelle) ou candélabre en bronze comportant une marque byzantine
des images appartenant à la symbolique chrétienne (l’arche vient d’être signalé en plein cœur de l’Aurès alors qu’on
de Noé et les cierges, colombes, etc.), par exemple dans le contestait la réoccupation de cette montagne à cette époque.
bassin de l’église de Demna près de Kélibia. Celui-ci, Maintenant qu’on sait les identifier, les morceaux de
prélevé pour le Musée du Bardo, est une des plus célèbres godets en verre de polycandela, dont on connaissait deux
de ces cuves mosaïquées, avec celui de l’église II de exemplaires complets en Tripolitaine et dans le Cap Bon, et
Sbeitla (restauré sur place) et celui de Bekalta, trouvé plus les anses de lampes suspendues en verre sont couramment
récemment, qui a figuré dans plusieurs expositions. catalogués, soit dans les fouilles de Carthage, soit dans les
Beaucoup de bassins ont conservé des traces des bases déblaiements d’églises en Tunisie. Là aussi, la typologie est
de ciborium scellées sur la margelle, en général au nombre étrangement commune aux deux extrémités de la Méditer-
de quatre (exceptionnellement six pour les plus grandes ranée et suit la même évolution.
cuves), ou bien leur emplacement est indiqué dans le On a signalé encore des fragments de verre plat qui
décor. De ces ciboria de baptistères, on a conservé un peu doivent provenir de vitres, notamment dans les églises, mais
de matériel : bases, colonnettes et chapiteaux le plus non décorés.
souvent. Les superstructures sont très rares : pas plus d’une
dizaine d’arcatures. Cependant, à partir du matériel trouvé
dans le puits du baptistère souterrain de Carthage, nous VIII. ARCHITECTURE FUNÉRAIRE ET TOMBES
avons pu reconstituer le ciborium jusqu’au niveau de la
Sommaire: Martyria et mausolées monumentaux : architecture,
couverture (CA, 1959, cf. RbK, III, col. 1179). installations intérieures, superstructures – Cryptes visitables et
trajets de pèlerinage – Catacombes, hypogées, mausolées de
f. Ustensiles d’éclairage surface – Inhumations dans l’église; dans le sol, dans des tom-
bes en saillie ou protégées, dans les absides et contre-absides,
En dehors de la céramique (on a recueilli plusieurs dans des “chapelles” au flanc des églises – Typologie des tom-
bes des églises, rareté du mobilier; superstructures des tombes
lampes multi-becs en terre cuite, suspendues ou sur pied), des de plein air; sarcophages de Tipasa, caissons stuqués peints et
ustensiles d’éclairage en métal, attestés déjà par l’inventaire inscrits – Organisation et orientation des sépultures, surtout
de la perquisition de l’église de Cirta en 303, ont été recueillis dans les églises – Le problème de l’inhumation intra muros.
dans les églises en petit nombre, aussi parce qu’ils ont été
souvent conservés ou dispersés par les fouilleurs, mais égale- a. Martyria et mausolées monumentaux
ment jetés quand ils étaient fragmentaires et non identifiés.
On a signalé plusieurs polycandela de bronze dans les Nous avons déjà évoqué l’architecture des martyria et mau-
fouilles italiennes de la basilique sévérienne de Lepcis solées de plan centré: triconques d’Algérie et de Tunisie qui, à
Magna, un grand polycandelon à deux étages trouvé dans une plusieurs reprises, ont été prolongés ensuite par une nef, tétra-
citerne au Kbor Klib en Tunisie, un fragment d’une couronne conques comme à Cincari, rotondes de Tipasa près de la porte
de lumière beaucoup plus simple à Sbeitla; les éléments des de mer à l’ouest (dont la couverture n’est pas assurée) et de
suspensions (chaînes, médaillons, croix dont une inscrite) Carthage. Ces édifices peuvent être liés à une église principale
sont un peu plus nombreux Il faut sans doute ajouter la série comme le triconque de Tébessa et celui de l’atrium de Damous
de polycandela retrouvés dans une réserve de la Grande el Karita et la rotonde du même complexe, ou indépendants.
Mosquée de Kairouan (souvent exposés en Europe ces der- Malheureusement, presque aucun de ces monuments n’a
nières années) qui pourraient être des récupérations de conservé de traces des installations intérieures (sauf un
matériel byzantin puisqu’ils ne diffèrent en rien de ceux des stylobate de chancel ou de ciborium dans le triconque de
églises des VIe-VIIe siècles. On rappellera qu’on a trouvé autre- Tébessa et dans la rotonde de Damous el Karita, une tombe
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souterraine peinte au centre du tétraconque de Cincari; on ne Des tombes collectives souterraines de petites dimensions,
peut tenir compte du plan ancien du triconque qualifiées parfois aussi de catacombes, ont été fouillées à
d’Aguemmoun Oubekkar en Kabylie (Inv. Alg., no 17). Beau- Tipasa et sous la basilique de Tébessa, des souterrains de
coup de ces martyria ne sont pas datés: plusieurs sont nature indéterminée sont liés à plusieurs église de Numidie et
évidemment antérieurs à la période byzantine comme la des hypogées souterrains familiaux ou individuels ont été
rotonde de l’Odéon à Carthage et le triconque de Tébessa. explorés à Gargaresc au sud de Tripoli (l’un d’eux est connu
Les superstructures, parfois partiellement conservées, pour ses peintures chrétiennes), à Tipasa (Matarès et cimetière
comportent en général pour les triconques un tambour d’Alexandre, où certains sont décorés aussi de peintures), à
carré surélevé et éclairé couvert de voûtes d’arêtes, épaulé Lemta. Des mausolées de surface et des caveaux souterrains
par les trois demi-conques des absides (observables pour le mieux caractérisés par leurs formes, parfois ornés de peintures
triconque de Tébessa et trois triconques de Tunisie), une ou avec des tombes recouvertes de dalles ou de mosaïques
coupole centrale pour les rotondes ; celle de Damous el funéraires à Tipasa, à Tébessa, à Tabarka, à Furnos Minus
Karita comporte deux étages que les deux architectes cités (mausolée de Blossius Honoratus avec la mosaïque de Daniel
ont tenté de restituer (il ne reste guère que l’étage souter- dans la Fosse aux lions, au Musée du Bardo), à Carthage (où
rain avec un décor de colonnade plaquée sur le pourtour) ; on a signalé autrefois plusieurs « oratoires chrétiens », notam-
la restitution proposée de la rotonde de l’Odéon (de toute ment sur les flancs de la colline de Byrsa, dont la nature exacte
façon beaucoup plus ancienne et hors d’usage à l’époque échappe) et sur la côte tunisienne, à Lemta, Acholla (MÉFR,
byzantine) ne convainc pas. 2004). La plupart de ces exemples de caveaux chrétiens sont
situés dans des cimetières préexistants ou prennent la suite de
b. Cryptes visitables lieux de sépultures déjà utilisés avant la christianisation (c’est
certain pour les catacombes de Sousse, de Lemta). Leur utili-
Les cryptes à destination funéraire (pour des saints ou sation à l’époque byzantine paraît plus restreinte. D’autres
défunts vénérés comme tels) sont assez rares: on citera – comme à Tipasa, à Haïdra II (église des martyrs de la
l’église de Benian avec les caveaux alignés derrière l’abside Persécution de Dioclétien), à Carthage-Saïda et à Damous el
(Inv. Alg., no 3), les cryptes de deux basiliques funéraires de Karita – font partie d’areae funéraires qui paraissent liées à des
Djémila (ibid., nos 27, 4-5 avec pour le no 4 une tombe privi- sanctuaires chrétiens périphériques particulièrement vénérés.
légiée assez bien conservée: pl. 73, 2), peut-être le sous-sol
du chevet des deux églises du groupe épiscopal de cette d. Installations pour banquets funéraires,
même ville, où aucune installation n’a été trouvée ou con- mensae funéraires et martyriales,
servée (ibid., nos 27, 1-2: pl. 70, 1), la crypte de l’église de survie des mensae et des libations
Dougga en Tunisie (avec la tombe d’une virgo). D’autres à l’époque byzantine
sont destinées à un culte martyrologique limité à des reliques
comme les cryptes de la Basilica Majorum à Carthage et de Plusieurs de ces areae ou mausolées, comme certains
Iunca I (Duval, Églises, II, nos 10 et 27). hypogées (à Gargaresc), comportaient aux IVe-Ve siècles,
Ces cryptes, plusieurs fois antérieures à l’époque byzan- généralement au-dessus de la tombe, des installations pour
tine suivant toute vraisemblance (c’est certain à Bénian), banquets funéraires (banquettes maçonnées rectangulaires ou
visitables sous l’abside ou observables derrière l’abside, en sigma, mensae parfois inscrites en pierre ou en mosaïque),
génèrent un trajet de parcours à sens unique avec deux bien observables surtout dans les nécropoles chrétiennes ou
escaliers, observable dans les deux églises cimétériales de christianisées de Tipasa (à Matarès, autour de la chapelle
Djemila et dans celle de Dougga (et dans la partie souterraine d’Alexandre et de l’église de Sainte-Salsa); un cas a été
de la rotonde de Damous el Karita); le parcours peut-être signalé sous l’église de Rusguniae. On en a trouvé aussi plus
beaucoup plus monumentalisé sous le chevet des églises récemment à Tébessa et dans le Cap Bon, et ces installations
jumelées du groupe épiscopal de Djémila (voir l’étude de pouvaient être groupées comme dans l’area « des martyrs »
J. Christern), mais il ne reste rien du décor et du mobilier. proche de la chapelle d’Alexandre à Tipasa (où un sigma
funéraire est même installé dans l’église) et près de Sainte-
c. Catacombes, hypogées, mausolées de surface Salsa (notamment dans le bâtiment considéré comme le
mausolée primitif de la sainte). On connaît aussi à Sabratsha
On rappellera l’existence de catacombes, autrefois une enceinte encore païenne, décorée intérieurement d’inté-
fouillées et décrites par le curé de Sousse devenu évêque ressantes peintures, où ont été regroupés quatre stibadia:
d’Alger, Mgr Leynaud, à partir des exemples de la côte tuni- c’est un exemple rare de triclinium funéraire collectif en
sienne creusés dans le tuf (Sousse et Lemta notamment); à plein air (A. Di Vita, CRAI, 2007).
Lemta, des fouilles récentes ont révélé de nouvelles salles Mais, d’après les exemplaires nombreux de mensae
souterraines, dont une de grande taille avec des « mosaïques inscrites retirées de leur contexte (en général non étudié) ou
funéraires » bien conservées (JRA, 2006). Une plus petite remployées plus tard, qui ont été transportées dans les
avait été aussi explorée à Sabratha. musées d’Algérie et de Tunisie (Tipasa, Alger, Guelma et
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Madaure, Constantine, Tébessa, Mactar, Carthage, Le Bardo, Mais il existait des tombes en saillie: ainsi le lit pour
Lemta, Louvre, etc.), l’usage existait partout en Afrique, repas funéraires placé dans un entrecolonnement et d’autres
comme ailleurs aussi aux IIIe-IVe siècles : devant ou au-dessus tombes dans le bas-côté nord dans la chapelle d’Alexandre à
des tombes païennes à inhumations puis chrétiennes de la Tipasa, des caissons de mosaïque à Tabarka et à Demna dans
Péninsule hispanique (en particulier à Tarragone, à le Cap Bon (au nord de Kélibia), des enceintes réservées
Carthagène et à Troia au Portugal), de Rome et d’Ostie, de comme celle qui protégeait primitivement la tombe de
Sardaigne, des catacombes de Malte, de l’Adriatique l’évêque des Vandales dans la grande église d’Haïdra I
(Aquilée et Salone), de l’Illyricum (Sirmium), etc. (N. Duval et alii, Haïdra, II, p. 116-119); peut-être des sarco-
Cette pratique qui a été combattue en Afrique, notamment phages en marbre ou en pierre décorés (mais aucun des
à l’initiative d’Augustin, par les autorités ecclésiastiques sarcophages de qualité découverts en Algérie et en Tunisie
vers 400, devait avoir perdu de son universalité à l’époque n’a été trouvé en place).
byzantine, mais pouvait survivre, notamment dans le cadre Plusieurs estrades d’autels (dans la Chapelle
du culte des martyrs et des saints, parfois dans l’église d’Alexandre à Tipasa, à Tabarka, à Carthage: Bir Ftouha et
même où l’on soupçonne l’existence sous cette forme de Bir Knissia, à Demna dans le Cap Bon: Karthago, 9, 1959),
plusieurs installations martyriales : des tombes ou des à La Skhira (N. Duval, Églises, II, no 29) sont constitués de
monuments mémoriaux, tardifs d’après l’inscription, sont formes juxtaposées au-dessus du sol.
des mensae ou comportent des orifices pour des libations Les « contre-absides » peuvent contenir, outre des instal-
communiquant avec la tombe ; l’exemple le plus fameux lations martyrologiques, des tombes privilégiées (celle d’un
est celui d’un sarcophage vénéré faisant saillie au centre de évêque mort en 475 à Orléansville/Chlef: Inv. Alg., no 4,
l’église dite « cathédrale donatiste » de Timgad (Inv. Alg., pl. 16) ou des monuments funéraires (mais les superstructures
no 98, 7) où l’on utilisait, apparemment jusqu’à l’abandon n’ont pas été observées en général) qui avaient fait croire à
de cette grande église, un trou à libation encore pourvu de une destination globalement funéraire de ces adjonctions.
sa passoire en bronze servant de filtre. Par contre, sont évidemment funéraires et dépourvues en
général d’installations liturgiques, les mausolées-satellites,
Chapelles funéraires avec autel assez souvent absidés (et dits pour cette raison « chapelles »,
À Carthage-Saïda dans la zone où, lors de la construction à tort si on entend un usage liturgique) et parfois de plan plus
du lycée, un sanctuaire a disparu (dont on a conservé le bap- complexe (à Damous el Karita, Carthage, où les installations
tistère semi-enterré), on a fouillé deux exemples de mauso- intérieures n’ont pas été étudiées) qui s’alignent aux flancs
lées individuels semi-souterrains clairement datés de des églises comme à Tabarka, Demna dans le Cap Bon
l’époque byzantine par l’épigraphie dans un cas, par la (Karthago, 9, 1959) et Uppenna dans l’Enfida (N. Duval,
mosaïque et des monnaies dans l’autre: la « chapelle de Églises, II, no 13) et où se regroupent des tombes sous
Redemtus » (archidiacre? régionnaire), détruite, et la « cha- mosaïques, parfois des caissons collectifs à Demna, ce qui
pelle dite d’Asterius » (l’épitaphe est remployée), transportée permet de reconnaître des mausolées familiaux. L’usage
dans le parc archéologique des Thermes d’Antonin; les deux n’est pas propre à l’Afrique: on le retrouve à Rome autour
se caractérisent par la présence dans la « nef » d’une seule des grandes églises cimétériales (basilica Apostolorum, Ad
tombe privilégiée signalée par une épitaphe (détruite pour la Duas Lauros, et même Saint-Pierre où les mausolées
« chapelle d’Asterius »), avec une absidiole abritant un autel annexes sont plus monumentaux). En Afrique, un usage litur-
pourvu de reliques protégé par un chancel. Donc la possi- gique n’est pas prévu d’après les exemples cités de Demna et
bilité de cérémonies liturgiques était prévue (CA, 1959; d’Uppenna; dans d’autres cas, à Mactar III et IV, Iunca III, il
MÉFR, 1959, cf. RbK, III, col. 1171-1172). existait un autel dans ces chapelles latérales: N. Duval,
Églises, II, nos 15-16 et 28).
Les inhumations dans l’église : tombes dans le sol, en
saillie, caissons et sarcophages, enceintes réservées e. Typologie des tombes et mobilier
L’usage africain a été dès le IVe siècle, mais avec une
grande variété de règles suivant les lieux (il n’y avait pas de Que ce soit dans les cimetières ou dans les églises (où les
tombes dans les églises urbaines de certaines villes, ainsi à inhumations ne sont pas en général directement sous le sol),
Tipasa de Maurétanie et à Carthage), d’enterrer à l’intérieur les tombes chrétiennes africaines sont jusqu’à la période
des églises jusque dans l’abside (avec une préférence dans byzantine relativement simples et modestes: la plupart des
ce cas pour les membres du clergé), généralement dans le morts sont placés, avec un simple linceul (parfois dans une
sol, ce qui implique l’insertion fréquente dans celui-ci couche de chaux ou d’herbes odoriférantes), dans des caissons
d’épitaphes sur pierre ou de couvertures de tombes en faits de dalles ou de pierres non ravalées, de bouts de sarco-
mosaïque, au détriment des sols existants (dans certains phages remployés qui peuvent être complétés avec quelques
cas, les tombes sont signalées par une inscription en dalles, de tuiles ou de briques (souvent en plâtre dans les
mosaïque qui prend place dans le canevas du pavement églises et cimetières de Sbeitla) ou sous des couvertures en
refait après l’inhumation). bâtière. Dans les églises, les tombes sont souvent signalées par
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154 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

une inscription horizontale (mais tracées verticalement au mur villes étaient dépourvues d’enceintes (à Carthage avant le
ou sur un support dans plusieurs églises d’Haïdra). À l’exté- Ve siècle) et d’un territoire nettement séparé des nécropoles
rieur, il arrive que des tombes soient localisées par un cippe en (puisqu’elles ont connu des extensions jusqu’au IVe siècle)
pierre (un cas de caisson – cupula – traditionnel à Haïdra, et et où la pratique de l’inhumation dans et autour des églises
plusieurs cas pour des martyrs en Sitifienne et Numidie) ou un urbaines a été très répandue très tôt. Les résultats des cam-
pierre dressée formant stèle, mais, là aussi, les superstructures pagnes des fouilles de sauvegarde de Carthage et une syn-
ont été très rarement décrites. thèse récente (A. Leone, AnTard, 10) ont montré l’extrême
Certaines inhumations en plein air (par exemple à Iunca complexité du problème dans cette ville en raison de
dans le sud de la Byzacène et à Lepcis Magna) sont couvertes de l’imprécision des localisations, des descriptions et des data-
demi-cylindres ou parallélépipèdes en maçonnerie (cupulae) tions anciennes et du caractère fragmentaire des recherches
plâtrés ou stuqués, comme les tombes romaines des cimetières récentes : il faudrait pour juger connaître l’évolution de tous
du Sahel et plus tard les tombes arabes, avec parfois l’inscription les quartiers de la cité et des types d’occupation sur deux
gravée ou peinte, comme ce sera encore le cas au XIe siècle dans siècles et demi, et connaître aussi l’ensemble de la topo-
les cimetières chrétiens du Jebel tripolitain. graphie chrétienne qui peut expliquer certains groupes
Les sarcophages en pierre (non décorés) sont rares dans d’inhumations – ce qui est loin d’être le cas.
le sol des églises sauf pour des personnages vénérés ou
importants (en particulier dans les absides et contre-absides),
mais grossièrement taillés. IX. LE DÉCOR SCULPTÉ
Fait exception le cas de Tipasa où les cimetières en plein
Sommaires: Importations de colonnes et surtout de chapiteaux
air de l’est et de l’ouest sont formés presque exclusivement en marbre oriental – Variétés des chapiteaux en calcaire ou
de sarcophages en pierre couverts en bâtière plate sauf une en grès: type ionique maurétanien, dérivés de corinthien et
tablette horizontale au pied qui, primitivement, portait l’ins- de composite; problème du stucage et de la peinture pour les
cription (en général sur mosaïque, d’où sa disparition) et chapiteaux « à feuilles lisses » – Ateliers locaux de Tébessa,
dont la cuve comporte dans des cas très rares un décor Thélepte, Sbeitla, de Numidie méridionale (piliers et vous-
soirs), de Tripolitaine – Abondance des linteaux – Rareté du
sculpté. Il existait aussi à Tipasa des caissons de plein air décor extérieur en dehors des linteaux.
mosaïqués (un seul, orné de scènes bibliques, est conservé).

f. Organisation et orientation des inhumations a. Importations de marbres orientaux

Si la plupart des tombes ne sont pas matériellement Nous avons quelques supports importés à Sabratha
soignées (sinon extérieurement avec l’installation pour (colonne complète à croix sur globe : Ward Perkins,
banquet pour les plus anciennes et par l’épitaphe) et ne Goodchild, fig. 5) et à Iunca en Byzacène méridionale
contiennent qu’exceptionnellement du mobilier en dehors de (même type).
rares monnaies, de quelques boucles de vêtements et Les grandes mosquées – de Kairouan surtout, de Tunis et
anneaux (nous avons signalé des lampes plus nombreuses en de Sfax –, les Ribats de la côte tunisienne (Ribat de Sousse sur-
Numidie et sans doute à Carthage), l’organisation est assez tout) sont des conservatoires de chapiteaux et de tailloirs
rigoureuse dans les grands cimetières de Tipasa et dans les romains et byzantins en marbre, montrant suffisamment (à
églises où les tombes sont disposées soit parallèlement à côté des trouvailles, assez rares en dehors de fragments, dans
l’axe soit perpendiculairement, quelle que soit l’orientation des églises et édifices chrétiens comme la Rotonde de Damous
effective, en situant approximativement – mais systémati- el Karita, Bir el Knissia et maintenant Bir Ftouha à Carthage,
quement – la tête le plus à l’ouest possible et les pieds vers à Sabratha et Iunca surtout) que l’Afrique, principalement les
l’est. Cette organisation implique l’intervention d’une l’auto- cités côtières, ont importé (sans doute même pendant la
rité, ecclésiastique au moins dans le cas d’une église: ce fait période vandale) les différents types de matériel en vogue en
est confirmé par saint Augustin qui, dans un sermon prononcé Méditerranéen orientale, notamment des chapiteaux. Il existe
vers 400 (Nouveaux Sermons, II D, p. 297-303) défend quelques exemples isolés de chapiteaux bizones à aigles ou à
l’évêque local qui avait refusé l’inhumation dans l’église à béliers. On constate que, comme en Cyrénaïque à Apollonia,
une jeune notable non encore baptisé, et par une inscription on continue à importer des modèles passés de mode (chapi-
de Tipasa qui mentionne l’autorisation de l’évêque. teaux dits « théodosiens ») au VIe siècle, mais les créations de
l’époque Justinienne sont aussi présentes.
g. Le problème de l’inhumation urbaine
b. Chapiteaux d’imitation en pierre,
Sous l’influence des recherches sur le Haut Moyen Âge problème du stucage
en Italie, on s’est intéressé au phénomène de l’inhumation
urbaine aux époques vandale et byzantine. Cette problé- On connaît une grande quantité de chapiteaux en calcaire
matique n’a pas grand sens en Afrique où la plupart des et grès provenant d’églises, dont, surtout en Maurétanie, des
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chapiteaux grossièrement ioniques qui ont été longtemps En Tripolitaine, il existait des traditions comparables
produits et utilisés et qui sont difficiles à classer. Dans les comme le montrent les mausolées de Ghirza et le matériel
variétés de chapiteaux dérivés du corinthien ou du compo- (provenant surtout de Breviglieri/El Khadra : Ward
site, le traitement des feuilles, des volutes, du milieu de face Perkins, Goodchild, pl. xv, XVII-XIX) conservé à Tripoli.
et du bouton d’abaque peut développer chez les lapicides
locaux une grande fantaisie qu’on constate par exemple dans d. Les linteaux
les têtes de support utilisées dans la basilique VI de Sbeitla
(voir plus haut pour le matériel des ciboria). Il est souvent Mais beaucoup d’autres sites ont fourni notamment des
difficile dans ces conditions de distinguer les créations linteaux inscrits et/ou sculptés (essentiellement de symboles
contemporaines des bâtiments. chrétiens et de motifs géométriques), des voussoirs, parfois
Il faut aussi tenir compte, pour les mauvaises pierres (sur- des mensae décorées comme celle de saint Montanus à
tout le grès dans les sites côtiers de Tunisie et de Maurétanie), Hr Faraoun (Inv. Alg., pl. 191, 3 = LSA, no 59, cf. 61). En géné-
de l’habitude de stuquer la surface (un chapiteau de La ral, seule la paléographie, quand il existe une inscription, et le
Skhira avait conservé cette surface, beaucoup plus détaillée type du symbole chrétien (on reconnaît maintenant assez bien
que l’épannelage, au moment de la fouille: beaucoup de les usages de l’époque byzantine) permettent une datation
chapiteaux dits « à feuilles lisses » étaient donc probablement approximative. Parmi les linteaux certainement byzantins, se
de simples épannelages complétés au stuc et/ou à la peinture). distingue par la qualité de l’encadrement et la variété relative
du décor (une silhouette d’église en relief plat, traitée en deux
c. Ateliers locaux de Tébessa, Thélepte, Sbeitla, parties de chaque côté du cartel inscrit) le linteau de la grande
de Numidie méridionale, de Tripolitaine porte de l’enceinte voulue par Justinien à Cululis/Aïn Jelloula
dans le nord de la Byzacène (cf. Pringle, AnTard, 10).
Il existait par ailleurs en Afrique avant l’époque byzantine
des ateliers actifs de décor sculpté dans le calcaire, notam- e. Absence de décors extérieurs
ment dans la région de Tébessa vers la fin du IVe siècle et le
début du Ve siècle, si la datation proposée par P.-A. Février D’une façon générale, comme on le constate par exemple
et J. Christern est la bonne (voir supra) : le répertoire de dans les forteresses byzantines et les églises soignées
cet atelier talentueux était très complet (chapiteaux, enca- d’Haïdra/Ammaedara et de Sicca Veneria / Le Kef, en
drements de portes et d’ouvertures, fenestellae, corbeaux Afrique, l’extérieur des bâtiments, même construits en pierre
appartenant à un décor intérieur plaqué, chancels, etc.). de taille, ne comporte pas de décor en dehors des linteaux.
Cet atelier est très proche par le style des éléments Par contre, outre les moulures classiques sur les arcs et les
recueillis autrefois dans la grande église de Thélepte, corniches, l’intérieur peut comporter des décors assez recher-
qu’on recommence à fouiller, et dans le « monument à chés (comme aussi certains « monuments à auges »), mais
auges » voisin d’Hr Goubeul (le traitement est cependant également des motifs grossièrement ébauchés (sur les clefs
plus plastique). J. Christern voyait aussi une parenté avec notamment) qui devaient être dissimulés sous un revêtement.
quelques éléments plus rares de Djémila/Cuicul.
Plus à l’est, dans la région de Sbeitla (en Byzacène), nous
avons publié (BCTH, 1972) une série d’éléments de consoles X. LA MOSAÏQUE DE PAVEMENT
(supports d’arcs reposant aux extrémités sur une colonne et un ET LE DÉCOR MURAL
pilastre), décorés surtout de motifs classiques (rinceaux de
vigne ou d’acanthe et cratère, feuille d’acanthe à l’extrémité Sommaire: Délimitation de la mosaïque d’époque byzantine
– Datation hypothétique des mosaïques de Djémila, la basi-
visible), mais traités en relief plus plat et plus linéaire. À lique de Constantine fouillée au XIXe siècle – Le répertoire de
l’ouest de Tébessa, diverses séries de piliers, de chapiteaux, la basilique « justinienne » de Sabratha et les églises de
de consoles, d’arcs (de fenêtres?), etc., conservées à Tébessa, Tunisie: influence de Constantinople ou de l’Adriatique?
– Autres motifs végétaux et géométriques en vogue – Un ate-
à Mediana ou à Khenchela et trouvées surtout dans des lier de Numidie Proconsulaire en Tunisie? – Les petites églises
églises de Numidie méridionale à Ksar el Kelb (Inv. Alg., du Sahel – Le style tardif de Byzacène centrale et méridionale
no 103), Vazaïvi/Zoui, etc., au répertoire moins classique et à – Bassins et cuves baptismales mosaïqués – Mosaïque murale
et stuc – La mosaïque funéraire à l’époque byzantine – Survie
la technique plus “populaire”, sont difficiles à dater et à re- de la mosaïque après la conquête islamique.
placer dans les monuments parce que les fouilles n’ont pas été
satisfaisantes, mais aussi parce que les techniques et les
motifs ont peu varié dans le temps. On signalera encore le a. Délimitation de la mosaïque d’époque byzantine
décor (au Musée d’Alger) de la basilique d’Aïn Zirara, près
d’Aïn Beïda, où a été trouvé le reliquaire d’argent («Capsella Rappelons qu’en Afrique (contrairement à l’Orient),
Africana ») offert au Vatican. (Inv. Alg., no 115, cf. LSA, 83), aucun pavement n’est explicitement daté par une inscription
celui des églises de Morsott (Inv. Alg., no 113, 1) et de Bordj sauf quelques épitaphes en Maurétanie (où il existe une ère
Steh (Inv. Alg., no 114), situées au nord de Tébessa. provinciale), à Tébessa et à Lemta (année consulaire ou année
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de règne vandale). La mosaïque d’époque byzantine est princi- d’acanthe très caractéristiques qui apparaissent dès le Ve siècle
palement connue par des pavements d’églises, plus faciles à à Grado et par la suite dans toute l’Adriatique septentrionale
dater avec les particularités architecturales et les dispositions (et en Afrique – où il y a quelques exemples plus anciens – au
liturgiques, mais aussi par des découvertes dispersées de VIe siècle à Carthage et dans le Sahel) et que les motifs de
pavements de salles de maisons (rarement datées par une « palmettes » sont évidemment apparentés aux pavements de
stratigraphie précise) et de thermes, surtout à Carthage, sur la Ravenne du VIe siècle (notamment San Vitale), nous avons
côte tunisienne et en Byzacène centrale et méridionale. pensé plutôt à une influence des ateliers d’Italie septentrio-
Pendant longtemps, on s’est contenté, comme P. Gauckler nale. D’autres motifs plus complexes des mosaïques de
mais avec moins de nuances et d’expérience, d’attribuer à la Carthage se retrouvent aussi, en effet, à la cathédrale de Luni.
période d’occupation byzantine (comme déjà à la période La datation et le répertoire ont été confirmés à Carthage
vandale) des pavements de style « décadent » ou à l’iconogra- par les fouilles de l’église dite « de Carthagenna » et celles
phie étrange. Cependant, à Carthage, la basilique de Dermech complémentaires dans les basiliques de Bir Knissia et de Bir
I (dernières phases) et les fragments prélevés à Bir Ftouha, Ftouha. Une partie de ce répertoire se retrouve aux Baléares
complétés par les découvertes des fouilles récentes, ont été dans la basilique de Son Peretó (Manacor, Majorque), ce qui
considérés dès cette époque comme représentant la mosaïque n’a rien de surprenant puisque ces îles dépendent de la
byzantine, avec une église de Sfax d’où provient le tableau de Préfecture d’Afrique à l’époque byzantine.
Daniel dans la Fosse aux lions (un autre tableau de Daniel, du
même style, vient d’être découvert dans une nouvelle fouille d. Autres motifs végétaux et géométriques en vogue
près de La Hencha, entre Sfax et Thysdrus/ El Jem).
Maintenant, on sait distinguer, au moins pour les motifs Viendrait peut-être d’Orient la vogue des semis de
géométriques et végétaux, un répertoire nouveau, parfois des boutons de roses ou de fleurettes ouvertes, probablement
types de traitement des motifs et des gammes de couleur. apparus antérieurement (cf. l’église de Sbeitla II, et le salon
En Maurétanie, où la presque totalité des églises est anté- principal du bâtiment de façade de l’ensemble thermal de
rieure, même si elles ont été reconstruites et remaniées, on ne Jebel Oust) qui se traitent en Afrique sur fond d’écailles, en
peut distinguer les réalisations d’époque byzantine. général bordées de guirlandes entrelacées ou non ; mais
l’Afrique a un répertoire varié où les fleurettes peuvent être
b. Datation hypothétique des mosaïques de Djémila ; remplacées par des plumes de paon (Byzacène) et où les
la basilique de Constantine fouillée au XIXe siècle guirlandes peuvent sortir de cratères. Ces motifs assez
répandus accompagnent notamment le fameux tableau de
En Numidie, on peut mentionner de façon hypothétique personnification qu’on appelle la « Dame de Carthage » dans
la basilique de Cresconius à Djémila (Inv. Alg., no 27, 2), si un salon de maison du quartier de Saida qu’on a parfois attri-
on abandonne la datation du Ve siècle, avec encore moins de bué à la période byzantine (CA, 10, 1959).
certitude la chasse du grand triclinium de la Maison de On peut y joindre les motifs ondés, traités avec des
Bacchus sur le même site (qui peut être de la seconde moitié écailles de couleur alternée ou des peltes, qui imitent les
du Ve siècle), en tout cas une petite église de Constantine, vagues mourant sur une plage, très courants dans des espaces
disparue aussitôt mais dessinée en couleurs au milieu du secondaires comme les portiques ou les bas-côtés des églises.
XIXe siècle par Delamare (Inv. Alg., no 75, 2). Autres canevas encore plus répandus mais caracté-
ristiques du VIe siècle, notamment à Carthage (Bir Ftouha,
c. Le répertoire de la basilique « justinienne » Dermech II et baptistère souterrain): les entrelacs de câbles
de Sabratha et les églises de Tunisie : et/ou guirlandes ménageant des panneaux carrés ou octo-
influence de Constantinople ou de l’Adriatique ? gonaux garnis de motifs parfois figurés (Fleuves du Paradis
à Bir Ftouha, spécimens partagés entre les musées du Bardo
C’est surtout, entre les deux guerres mondiales, la fouille et du Louvre), ainsi que les combinaisons d’octogones et de
italienne de la basilique II de Sabratha, identifiée dès l’ori- motifs cruciformes répandues dans toute la Méditerranée,
gine avec celle que mentionne Procope et dite pour cette en particulier au VIe siècle.
raison « justinienne » (Ward-Perkins, Goodchild, pl. III, V,
XXVI), celles d’après la seconde guerre mondiale de e. Un atelier de Numidie Proconsulaire en Tunisie ?
Sufetula/Sbeitla en Byzacène et de Bulla Regia en Numidie
Proconsulaire (N. Duval, Églises, I, p. 359-369, II, no 6) qui Ce répertoire, qui se réalise avec une gamme de couleurs
ont permis de constater l’usage d’un répertoire nouveau de plates assez restreinte, à dominante plutôt sombre, avec des
motifs, centrés notamment sur des combinaisons variées de tracés schématiques et avec un traitement assez simplifié
« palmettes » (qui sont en réalité des feuilles de vigne styli- mais décoratif de motifs plus anciens (aussi des silhouettes
sées). K. Dunbabin a supposé dans les années 1980 que ce d’oiseaux et d’arbres dans des panneaux carrés et des
répertoire était venu directement de Constantinople avec la médaillons), se retrouve aussi en partie dans un certain
reconquête. Comme il se combine avec des quatre-feuilles nombre d’églises de l’ouest de la Tunisie: on le reconnaît
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par exemple (à côté de motifs plus rares comme la bordure cuves baptismales à décor mosaïqué déjà évoquées, qui
végétale sur fond noir de la nef centrale) dans deux églises où sont attribuées aux VIe-VIIe siècles. On connaît quelques
ont œuvré les mêmes constructeurs, à Haïdra II (église des bassins de thermes de la même période (par exemple à
martyrs de la Persécution de Dioclétien, voir le volume Sbeitla, avec une technique très caractéristique en « pied
Haïdra) et au Kef (Dar el-Kous: mosaïque non visible, de poule » ou en échiquier alternant des tesselles blanches
connue par des dessins). Le même atelier a dû travailler aussi et foncées comme les mosaïques médiévales de Venise).
pour les deux églises récemment découvertes à Chemtou
(voir Sirmium II). i. Mosaïques murales et stucs en relief

f. Les petites églises du Sahel Alors que l’opus sectile mural a laissé peu de traces
(quelques fragments au Louvre proviennent de la basilique de
On peut reconnaître encore une École du Sahel apparentée Tébessa), on sait qu’il existait des décors en mosaïque murale
aux ateliers qui ont travaillé dans la région d’Hammamet (Sidi (on recueille assez souvent des tesselles de verre, en parti-
Djedidi, Pupput) et de l’Enfida (Sidi Habich), avec un culier dans les absides) et que le stuc était largement employé
répertoire comportant souvent des arbres (palmiers et arbres aussi dans certaines églises, en particulier sur la côte tuni-
parasols), des médaillons avec des moutons à Sidi Habich et sienne où la bonne pierre manque, soit pour remplacer,
à Hr Sokrine, parfois de grands panneaux figurés (Daniel de compléter et affiner la sculpture architecturale (moulures des
Sfax et de la nouvelle église de La Hencha, El Mouassat, arcs, chapiteaux), soit comme élément du décor mural: on a
Iunca I et III, baptistères d’Hr Sokrine et de La Skhira), ne recueilli par exemple des fragments importants à La Skhira.
dédaignant pas l’inorganisation et la variété comme à Hergla
(publication de T. Ghalia), mais plus souvent livrant des pave- j. La “mosaïque funéraire”
ments de petites églises bien organisés et homogènes (Sidi
Habich, Bekalta, Hr Sokrine, El Mouassat) qui, malheureu- L’Afrique, avec des règles très variables, enterrait volon-
sement, n’ont pas été publiés en détail pour la plupart. Ces tiers dans les églises (voir plus haut). Donc la couverture de
pavements utilisent aussi, à côté des quatre-feuilles d’acanthe ces tombes continue à être parfois réalisée en mosaïque (mais
et d’autres motifs géométriques courants, des rinceaux on recouvrait aussi de mosaïques quelques tombes à l’exté-
ondulés d’acanthe réunis par un anneau gemmé qui ont un rieur : elle était largement utilisée à Tipasa). Cette “mosaïque
aspect recherché (Sfax, El Mouassat). On devrait placer vers funéraire”, assez bien classée maintenant, grâce à des dates
le VIIe siècle une partie au moins du décor de la petite basilique insérées dans les épitaphes en Maurétanie (ainsi à Sétif) ou à
de Bekalta voisine de Thapsus dont nous avons déjà men- d’autres critères (chronologie relative, style, paléographie,
tionné la cuve baptismale. formulaire, mention de la date indictionnelle) dans les pro-
vinces de l’est qui ne disposent pas d’une ère, a connu son
g. Le style tardif de Byzacène centrale et méridionale développement principal avant la période vandale, mais on a
retrouvé des exemples de la période byzantine en Algérie à
Dans le centre et le sud de la Byzacène, les découvertes Rusguniae, à Carthage, Belalis Maior/El Faouar, Mactar,
récentes, dues le plus souvent à un sauvetage et seulement en dans le Cap Bon et dans le Sahel.
partie publiées, ont permis de compléter le tableau restreint On continue à distinguer les épitaphes – le plus souvent
qu’on avait avec la chapelle d’Honorius dans les environs de avec décor plus ou moins élaboré complétant le panneau qui
Sbeitla (Sbeitla VII: deux spécimens seulement ont été a la dimension de la tombe – insérées dans un pavement pré-
conservés). Le répertoire est très varié, à la fois dans des existant (Rusguniae, Sidi Habich, Mactar, etc.), et celles qui,
églises (où souvent une partie du sol seulement est mosaï- en se juxtaposant dans un sol en terre battue ou dans un
quée) et dans des édifices profanes (surtout des thermes?) où simple mortier, finissent par constituer dans certains cas pri-
l’on retrouve des thèmes mythologiques traités dans un style vilégiés (ainsi dans l’église de Demma et dans plusieurs
assez surprenant et difficile à dater, qui évoque parfois des autres du Sahel et de Byzacène centrale) un pavement con-
pavements de Syrie-Palestine datés par des inscriptions des tinu grâce à quelques bandes de raccord.
VIe-VIIe siècles (exemples publiés par F. Bejaoui dans AnTard, Le répertoire dressé par M. Alexander dans les années
10; Africa, 15, 1997; CRAI, 2001, 2004, etc.). 1950, puis par nous dans les années 1970, pourrait être main-
tenant doublé avec les découvertes incessantes, surtout en
h. Les bassins thermaux et cuves baptismales Tunisie, au Cap Bon, dans le Sahel et en Byzacène centrale.
recouverts de mosaïque
k. Survie de la mosaïque après la conquête islamique
On rappellera que c’est dans les mêmes régions (du
Cap Bon à la côte sud de la Byzacène et en Byzacène cen- On savait, depuis les découvertes dans les palais de la
trale) qu’ont été réalisées, avec des motifs et une technique région de Kairouan et de Madhya, que la mosaïque n’avait
qui s’apparentent à ceux des pavements, la plupart des pas disparu avec la conquête islamique (comme en Orient
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158 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

avec les palais omeyyades et les mosaïques murales des mos- continu, soit, sur deux côtés opposés, des réglettes en relief
quées de Damas et Médine et le Dôme du Rocher). D’après pour le calage (transformées parfois en colonnes).
l’iconographie, on pouvait attribuer à la haute époque isla-
mique une mosaïque profane de Belalis Maior (El Faouar) au Le décor
nord de Béja. Une étude récente de la stratigraphie des Le décor, varié, comporte, avec parfois une inscription,
fouilles canadiennes dans le secteur de la « rotonde de des rosaces et compositions végétales plus ou moins com-
l’Odéon » à Carthage (AnTard, 10) a proposé une date simi- plexes, des animaux de profil, avec parfois une ébauche de
laire pour des mosaïques qu’on avait attribuées à une période paysage (surtout lion, cerf, cheval, etc.), des thèmes
beaucoup plus haute. mythologiques (la toilette de Pégase est assez courante),
Il reste en réalité à classer et à dater précisément (autant des scènes de l’Ancien ou du Nouveau Testament (Adam
que possible objectivement par la stratigraphie et la tech- et Ève, le sacrifice d’Abraham, des scènes de la vie du
nique) toute une série de mosaïques figurées (qu’on aurait Christ), des images de saints (saint Pantaléon appartient
attribuées autrefois à la période vandale ou à la période aux apports byzantins), de la Vierge trônant, des images
byzantine en général) entre le VIe et le VIIe siècle. symboliques traditionnelles (paons affrontés au cratère) ;
on a considéré qu’une tête d’homme barbue et stylisée était
une figuration du Christ, mais on n’a pas l’inscription. Le
XI. LA CÉRAMIQUE DE DÉCOR OU DÉCORATIVE décor peut être entièrement peint (on vient de retrouver
une de ces têtes peintes, qui fait douter de l’identification
Sommaire : Les carreaux de terre cuite décorés : les progrès de
la recherche ; caractéristiques techniques ; le décor ; usage
avec le Christ) ou simplement rehaussé de quelques traits
des carreaux, essentiellement pour des plafonds ; princi- de pinceau ; la conservation de ces rehauts est très inégale
paux centres de production ; des antéfixes à Sbeitla ; pro- suivant le lieu de trouvaille.
ductions similaires en Occident – Vaisselle peinte – Objets
de terre cuite excisée. L’usage des carreaux :
essentiellement pour des plafonds
a. Les carreaux de terre cuite : Bien qu’on ait pensé au départ à des ex voto ou à des
progrès de la recherche couvertures de tombes (c’était la thèse de La Blanchère),
les considérations techniques (notamment les réglettes
La période byzantine semble la grande époque du décor destinées à caler la plaque entre deux chevrons, ou
en carreaux de terre cuite, surtout répandu sur le territoire des l’application de la peinture qui ne couvre que les parties
provinces de l’est, notamment en Proconsulaire et Byzacène. visibles) prouvent que l’emploi de base est celui de
Après les premiers catalogues de musées (Constantine, caissons d’un plafond, soit sous la charpente, soit (c’est
Tébessa, Le Kef, Carthage, Bardo, Sousse, Sfax, Louvre), suggéré par quelques cas rares de double surface en terre
des études synthétiques comme celle, dans les années 1940, cuite encadrant du mortier) pour la surface interne de
du conservateur des musées de Tébessa puis de Sousse, couvertures plates (terrasses) ou courbes (absides). À
A. Truillot, les découvertes ont été extrêmement nombreuses notre sens, l’usage dans les tombes de carreaux au lieu de
depuis trente ans, de nombreuses collections nouvelles, briques, dont La Blanchère faisait état et qui a été étudié
publiques et privées, se sont constituées en Tunisie et à encore dans les années 1950 par l’architecte Pinard à
l’étranger et des synthèses plus élaborées ont été esquissées Carthage et par nous dans le martyrium de Cincari, résul-
à plusieurs reprises par N. Ben Lazreg (la thèse est encore te du remploi de carreaux ébréchés ou cassés de rebut,
inédite) à partir des collections tunisiennes. même si on cherche probablement aussi, en orientant la
Malheureusement, les fours, parfois identifiés, et les face décorée vers l’intérieur, à orner la sépulture à l’égal
chutes en place (qui étaient encore observables en Tunisie d’une peinture (voir infra).
centrale) n’ont pas été vraiment étudiées, mais on a fait
beaucoup de progrès depuis les premières publications de Les principaux centres de production
la fin du XIXe siècle (voir surtout R. de La Blanchère, Dom On a pu distinguer, outre des productions exception-
H. Leclercq, DACL, s. v. Carreaux, 1910) pour le classe- nelles, plusieurs ateliers ou groupes d’ateliers principaux
ment des ateliers, les techniques de fabrication et qui ont leurs caractéristiques et leur répertoire propres : un
l’utilisation de ces carreaux, la connaissance des décors en dans la région de Carthage, notamment autour de Mahrine
relief et des compléments à la peinture. près de Tébourba ; plusieurs en Byzacène : un dans le nord
du Sahel, un dans l’arrière pays d’El Jem et au sud de
Caractéristiques techniques et motifs Kairouan (on avait déjà identifié un atelier vers Hadjeb
Ces carreaux mesurent en général théoriquement un el Aïoun à la fin du XIXe siècle), un dans la région de
pied de côté (autour de 27 à 30 cm), mais il existe des Kasserine et de Thélepte dans le sud-ouest de la Byzacène
ateliers qui produisent des carreaux plus petits (par exemple (les fouilles reprises à Thélepte permettront sans doute de
à Jebel Oust). Ils comportent soit un encadrement carré mieux connaître cette fabrication). On a pu étudier dans
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An Tard , 1 4 , 2 0 0 6 L’AFRIQUE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE ET LA PÉRIODE BYZANTINE 159

plusieurs cas le transfert des motifs d’un atelier à l’autre et XII. LA FIN DE PRODUCTION DE LA VAISSELLE
ses déformations, aussi l’évolution de la production dégé- DE TABLE SIGILLÉE, DES LAMPES ET DES AMPHORES
nérant par la pratique des surmoulages.
Sommaire : Progrès des recherches – Variations des exporta-
On a déjà signalé à Sbeitla des antéfixes qui sortent tions : crises économiques au début du VIe et au VIIe siècle ?
sans doute des mêmes ateliers. – Évolution des centres de productions ; permanence des
lampes africaines – Les amphores : anciens et nouveaux
Productions similaires en Occident types et nature des exportations – Productions tardives :
L’Afrique du Nord n’a pas l’exclusivité de ce type de problème de la continuité avec la période islamique.
production : un carreau isolé, peut-être africain, a été
recueilli à Majorque, mais c’est un témoignage unique qui a. Progrès des recherches
peut correspondre à un transfert récent. Cependant, en
Espagne existent plusieurs productions, notamment en Ce n’est pas le lieu d’un exposé économique ou tech-
Andalousie : des grands carreaux rectangulaires, du format nique sur l’évolution des formes et de la production mais,
d’une brique, qui sont clairement des éléments de plafond, pour fixer le contexte économique et social, il faut rappe-
mais aussi des scènes composées de plusieurs carreaux qui ler que les trois séries de “sigillée” africaine (B, C, D) sont
peuvent être un décor mural, et un cas de sol composé de maintenant assez bien connues et chronologiquement clas-
plusieurs éléments en reliefs comme certains sols d’époque sées avec soin (malgré quelques divergences de spécia-
romane en Occident. L’usage d’éléments de décor en terre listes sur les classements successifs de J. Hayes et de
cuite (notamment de petites antéfixes avec une tête ana- l’Atlante delle forme ceramiche italien), à la fois sur les
logue à celles des carreaux de Byzacène, mais avec une lieux d’utilisation en Afrique (et en particulier à Carthage
croix) est également connu dans plusieurs régions de et dans le Cap Bon) et sur les lieux d’exportation dans
Gaule. Une série exceptionnelle, avec des inscriptions en toute la Méditerranée qui permettent de mesurer le rayon-
latin et un répertoire d’images variées, en partie bibliques nement du commerce africain et la vogue des principales
ou chrétiennes, a été révélée il y a plus d’une vingtaine d’an- formes sur deux siècles. L’étude des lieux de production,
nées dans l’est de la république de Macédoine et exposée à malgré trois prospections successives dans les années 1960
plusieurs reprise en Europe (les carreaux rectangulaires (A. Ennabli et J. W. Salomonson), 1970 (équipe tuniso-
sont qualifiés à tort d’« icônes »). anglaise animée par D. P. S. Peacock) et plus récente
L’usage de carreaux en relief, le plus souvent émaillés (M. Mackensen), est moins avancée sauf pour la région de
et plus petits (notamment pour les sols et les revêtements Mahrine et un site de l’arrière-pays d’El Jem
de poêles), s’est perpétué dans toute l’Europe centrale et (M. Mackensen) et Nabeul (M. Bonifay et L. Slim).
occidentale.
b. Variations des exportations : crises économiques
b. Vaisselle peinte au début du VIe et au VIIe siècle ?

Outre cette céramique décorée pour les bâtiments, des La vaisselle de table (sigillée D) continue à être pro-
ateliers mal localisés ont fourni des récipients de forme duite et pendant longtemps exportée (avec une chute dans
courante (et peut-être un brûle parfums à Haïdra), mais la première moitié du VIe siècle et une autre après le
décorés de peintures rouges, bistres ou blanches (avec premier tiers du VIIe siècle, qui semblent suggérer de situer
quelques motifs chrétiens) qui ressemblent à celles, deux crises économiques à ces époques, au moins dans le
fréquentes, en Égypte et en Arabie (et sporadiquement commerce international). Les formes ne changent pas
attestées dans tous les pays) à partir du VIe siècle. fondamentalement et tout de suite avec l’islamisation,
mais la production dégénère lentement (cette période est
c. Terre cuite excisée encore mal connue).

D’autres (quelques exemples à Carthage et en c. Évolution des centres de production ;


Numidie, datables par des inscriptions et des symboles permanence des lampes africaines
chrétiens) ont produit des récipients, du matériel (un écri-
toire) ou des décors avec une technique de façonnage de Les centres de production les plus prospères, qui étaient
motifs géométriques profondément entaillés dans l’argile au sud du Cap Bon et en Byzacène côtière et intérieure
avant cuisson, qui ressemble à celle pratiquée en Afrique précédemment, semblent plutôt, à l’époque byzantine, dans
ou au Moyen-Orient dans le calcaire ou l’albâtre et, de tout le nord de la Proconsulaire (conclusions de M. Bonifay
temps, dans le bois. On aurait trouvé aussi cette céramique dans une thèse récente). Parallèlement, la production des
en contexte proto-islamique. Des ateliers de la région de « lampes chrétiennes africaines » rouges (forme Atlante X),
Tlemcen ont eu, sans doute plus tard, une production abon- d’ailleurs imitées ou surmoulées dans toute la Méditer-
dante de céramique excisée de couleur claire. ranée, a continué jusqu’au VIIe siècle.
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160 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

d. Les amphores : nouveaux types Topographie et organisation ecclésiastique


et nature des exportations
On signalera une discussion (qui n’est pas encore close)
Les amphores de la tradition punico-africaine puis sur la topographie chrétienne de Carthage et l’organisation
romaine d’Afrique continuent à être longtemps produites et ecclésiastique de la cité. Celle-ci qui comptait sans doute,
donc utilisées, en particulier pour des exportations, mais avec comme à Rome, sept régions (six sont connues par des
des formes spécifiques (spatheia: petites amphores effilées). sources littéraires ou épigraphiques) ; la division en régions
Grâce à un certain nombre d’analyses qui permettent ecclésiastiques suppose probablement un découpage préa-
d’établir si l’amphore était enduite ou non de poix, on sait lable en régions civiles, lesquelles ne sont cependant pas
mieux à quoi servaient les différents types d’amphores attestées (on ignore aussi la répartition des régions ecclé-
(vin, huile, ou conserves de poisson, garum). Il s’avère que siastiques sur le terrain). Il existait donc autant de centres
le vin aussi était largement exporté. pourvus d’une administration (dirigée vraisemblablement
La forme de l’amphore de Maurétanie Césarienne repré- par un archidiaconus) et d’une église principale, sans doute
sentée sur une station de la place des Corporations d’Ostie d’un baptistère, c’est-à-dire des ensembles assimilables à
avec la marque MC et un palmier a été confirmée par la une « cathédrale » ou préfigurant un système paroissial. Ces
découverte de ces marques. Il s’avère que l’amphore palesti- régions avaient-elles aussi des cimetières qui leur étaient
nienne dite « de Gaza », caractéristique par sa forme et par sa affectés? La question s’est posée pour Rome (mais la
panse marquée de sillons horizontaux, a été imitée en réponse est plutôt négative).
Afrique, ce qui explique mieux qu’elle soit très fréquente sur La campagne de sauvegarde et les nombreuses prospec-
les sites de l’intérieur. tions et fouilles ponctuelles entreprises à cette occasion ont
profondément modifié les idées reçues concernant la topo-
e. Productions tardives : problème de la continuité graphie et la population de la cité à l’époque byzantine et au
avec la période islamique début de la période arabe. Mais les résultats sont très frag-
mentaires et contrastés suivant les secteurs urbains et les
Plusieurs questions se posent encore pour le classement périodes (on oppose volontiers un VIIe siècle de décadence à
de la vaisselle commune, la datation des jarres marquées un VIe siècle encore florissant). On mesure mal, malgré des
de tracés ondulés au peigne (qu’on retrouve en synthèses récentes (A. Leone, AnTard, 10), parce que la
Méditerranée orientale), l’apparition de la vaisselle plupart des trouvailles sont anciennes, peu décrites et mal
vernissée aux dessins géométriques de couleur qu’on attri- datées, la pratique de l’inhumation urbaine et ses rapports
bue en général à l’époque aghlabide. Le classement de la avec la répartition des édifices chrétiens qui peuvent avoir
céramique du quartier sud de Sbeitla où la vaisselle des attiré les tombes. Il subsiste de toute façon une agglomé-
premières dynasties arabes est abondante, confrontée avec ration à l’époque islamique dont on commence à repérer les
celle d’Uchi Maius dans la région de Dougga, permettra couches d’occupation.
sans doute de mieux préciser le passage de la céramique de
l’Antiquité tardive à l’époque médiévale. Édifices chrétiens intra muros

La connaissance des édifices urbains situés intra muros a


fait des progrès sensibles. Outre des installations tardives et
APPENDICE mal identifiées autour de Byrsa et dans le théâtre et l’odéon,
SUPPLÉMENT À L’ARTICLE qui auraient été détruites par les Vandales, on avait reconnu
KARTHAGO / CARTHAGO DE J. CHRISTEN un seul ensemble d’églises importantes qu’on attribuait pour
l’essentiel à l’époque byzantine dans le quartier dit Dermech
Depuis l’article Karthago, rédigé par J. Christern vers ou Douimès à l’ouest des Thermes d’Antonin. Nous avions
1970, l’apport des nouvelles recherches a été important, proposé une analyse vers 1972 (MÉFRA, 1972) de l’église de
notamment dans le cadre de la campagne internationale de “Dermech I” fouillée au début du XIXe siècle et sommai-
sauvegarde du site, menacé par l’urbanisation moderne (voir rement décrite dans Gauckler, Basiliques chrétiennes de
la synthèse par N. Duval dans REA, 1990 et 1992, puis Tunisie, amélioré la description de Dermech II fouillé en
L. Ennabli, Carthage, 1997 et les comptes rendus, ainsi que 1942, en supposant une double orientation (le ou les chevets
les rapports succincts dans CEDAC Carthage). Le commen- manquent), identifié une troisième église probable à double
taire des textes connus ou redécouverts (par exemple les abside (N. Duval, Basiliques, II, p. 74-86). Une quatrième
Nouveaux Sermons édités par F. Dolbeau : voir le colloque église, que L. Ennabli identifie, sans pouvoir en apporter des
Augustin Prédicateur en 1996) a fourni des éléments relatifs preuves certaines, comme étant la basilique “des Scillitains”
à de nouvelles constructions d’église (vers 400 à la Mensa ou “de Célérina” citée par les textes, avait été détruite au
Cypriani) et à l’aménagement intérieur des édifices, notam- moment des travaux du début du XXe siècle. La préparation
ment celui de la cathédrale catholique, la Restituta. du fascicule I consacré à ce quartier du Corpus des
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mosaïques de Tunisie pour Carthage a permis de reprendre Dans la vaste basilique civile, P. Gros a retrouvé des traces
l’examen de ces monuments. On a précisé en particulier d’une reconstruction byzantine assez monumentale, peut-
l’évolution de “Dermech I” qui n’est pas un ensemble être une grande salle à trois nefs voûtée avec double abside,
unitaire d’époque byzantine, comme on le croyait. L’église qui a pu servir également de fortification (car une tradition de
primitive (dont le vocable n’est pas connu) datait du Ve siècle « château suspendu » persiste à cet endroit au Moyen Âge).
et comportait deux absides (qui seraient vraisemblablement L. Ennabli propose, sans grande vraisemblance, d’y voir le
contemporaines, ce qui en ferait le premier exemple certain monastère fortifié, protégeant le port de Carthage appelé par
de double abside pour l’Afrique), et l’autel était alors à mi- Procope Mendracium, d’après la nomenclature de
distance. L’abside occidentale a été supprimée lors d’un Constantinople, mais cette hypothèse n’emporte pas
agrandissement de l’église au VIe siècle. Autour de cet l’adhésion, d’autant que le port est assez éloigné. Une autre
ensemble, on avait trouvé autrefois un certain nombre de ruine, ou plutôt une plate-forme bétonnée fortement fondée,
tombes et des épitaphes qui ne sont pas bien localisées, ce qui où l’on reconnaît le plan d’une salle à trois nefs et abside et un
prouverait l’existence d’un cimetière autour des églises, triconque précédé par un vestibule, a suscité beaucoup
puisque celles-ci, à l’exception de “Dermech III”, ne com- d’hypothèses depuis les fouilles des Pères Blancs dans les
portent pas d’inhumations dans les nefs. années 1930-1950. En fait, la localisation du palais du pro-
À l’est de Byrsa, dans le secteur de la plaine littorale dit, consul, puis du palais vandale (sans doute repris par les
au XIXe siècle, “Carthagenna” (ce qui est le nom grec de fonctionnaires byzantins) et de la basilique dédiée à la Vierge
Karthago, conservé par la tradition islamique), les travaux de qui y était installée (et qui a été reconstruite sous Justinien)
construction des années 1960-1970 ont permis de découvrir n’est pas assurée et il serait prématuré de conclure d’après les
deux ensembles pourvus d’un baptistère qui ont été très vestiges visibles: ils ont beaucoup souffert des nombreuses
endommagés par la première fouille d’urgence. Du premier, occupations successives et des multiples fouilles qui ont été
au lieu-dit Bir Messaouda, il ne reste que la cuve baptismale pratiquées, souvent sans contrôle, depuis le XIXe siècle.
et, dans deux explorations complémentaires successives, on La rotonde voisine de l’odéon au nord-ouest de la ville,
n’a pu identifier que quelques traces de murs et du sol de qu’on prenait autrefois pour un temple et dans laquelle
l’église qui se trouvait probablement à proximité. Dans le G. Picard était tenté de reconnaître le mausolée de Cyprien, a
second secteur, dit d’abord « du supermarché » en raison de fait l’objet de plusieurs campagnes de fouilles menées par une
la proximité d’un centre commercial aménagé à cet endroit, mission canadienne du Québec, dirigée par P. Senay, et de
puis « de Carthagenna » (appellation trop imprécise à mon nombreux rapports et communications, notamment dans les
sens), dont l’exploration a été partagée en 1978 entre une mis- Cahiers des Études Anciennes. Ce monument, très détruit et
sion américaine de l’Université du Michigan (J. Humphrey) incomplètement dégagé, pose un problème d’identification et
et le musée de Carthage (L. Ennabli), on a fouillé un édifice de chronologie. Il se présente comme une rotonde à déambu-
allongé avec des mosaïques datant de la seconde moitié du latoire et à périmètre dodécagonal avec galerie extérieure,
IVe siècle, dont une partie était partagée en trois nefs, dont le inscrit dans un carré, et qui serait contrebuté par des arcs sur
plan ne semble pas correspondre à celui d’une église. Il a été massifs rayonnants. Le plan et les dimensions ont été
remplacé, après remblaiement massif, par une importante rapprochés de ceux de l’Anastasis de Jérusalem par P. Senay,
basilique à cinq nefs (36,25 x 25, 50 m), avec, au sud-ouest, qui y a vu une memoria destinées à reliques de la Croix et a
un grand baptistère carré à niches d’angle et à cuve cruci- identifié cet édifice avec le monument désigné dans les
forme. La basilique, seule publiée jusqu’ici (avec une maison sources comme l’Aedes Memoriae, sans convaincre les
tardive voisine du baptistère), incontestablement d’époque spécialistes. Une datation au IVe siècle semble certaine, mais
byzantine d’après les mosaïques et la stratigraphique, com- le monument aurait été endommagé très vite en raison de
porterait deux absides symétriques et contemporaines pour vices de construction ou/et d’un ou plusieurs séismes et aurait
L. Ennabli, mais il s’agit d’une restitution a priori d’après des étéreconstruit et remanié dès la fin du siècle, puis il aurait été
vestiges très mutilés, qui a été contestée. Cet auteur a proposé assez rapidement abandonné ; à l’époque byzantine, il était en
aussi, sans vraisemblance, que, dès son premier état, l’édifice tous cas désaffecté: la chronologie n’est pas bien claire et on
pouvait être la cathédrale catholique de Carthage, la Restituta, a contesté la restitution très hypothétique. On discute aussi
dont on ne sache pas qu’elle ait été détruite par les Vandales d’une basilique (?) annexe (à chevet triconque?), repérée et
qui l’ont confisquée au profit de l’Église arienne. partiellement fouillée à l’ouest de la rotonde, et de son rapport
La colline de Byrsa a fait l’objet de longues recherches de avec celle-ci. La stratigraphie décrite et l’histoire de l’occu-
la mission française (P. Gros, J. Deneauve), qui ont permis de pation du terrain sont mises en cause par une partie de
prendre la mesure des travaux considérables d’urbanisme l’équipe de fouille qui critique la datation du triconque sup-
(arasement sommital et remblaiement massif contrefortés à posé et son lien avec la rotonde et identifie dans ce secteur une
l’est par des murs en abside) qu’avait nécessité l’aména- occupation monumentale d’époque islamique ancienne avec
gement du grand forum avec basilique monumentale (située des mosaïques qui seraient donc omeyyades.
dans le jardin du musée) et des autres monuments annexes, On a étudié à nouveau le « quartier des villas » entre
surtout dans la phase d’urbanisme de l’époque antonine. l’odéon et les thermes d’Antonin, dont certaines demeures
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162 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

(maison « du cryptoportique », maison « de la rotonde », Musée des Pères Blancs, le Père Delattre, et ses successeurs.
maison « du triconque » dite autrefois, par G. Picard, « schola Pour ces fouilles anciennes, on pourra encore utiliser la syn-
du culte impérial »), ont été réexplorées, avec des fouilles thèse réalisée en vue d’un travail universitaire par J. Vaultrin
stratigraphiques qui ont permis de montrer une évolution et publiée dans la Revue Africaine de 1932-1933. Nous
complexe allant jusqu’à l’époque byzantine, avec parfois avions fait quelques observations, notamment sur “Damous
des remaniements ambitieux des maisons, mais aussi l’in- el Karita” et la Basilica Majorum, dans les années 1970
sertion d’édifices cultuels, alors qu’on pensait le quartier (MÉFRA, 1972 et Basiliques, II, p. 63-73); de son côté,
déserté par l’aristocratie romaine dès la période vandale et J. Christern en a fait d’autres et a proposé des recons-
voué aux édifices religieux (voir supra), aux monastères et tructions, notamment pour Damous el Karita.
aux inhumations. Les recherches de L. Ennabli en vue de la republication
Deux monuments, qui ont servi effectivement au culte des inscriptions et les travaux de la campagne internationale
chrétien et sont installés dans d’anciennes maisons, posent de Carthage et ses suites n’ont pas bouleversé la cartographie
problème : l’un, trouvé sur le trajet du chemin de fer Tunis- des cimetières chrétiens et des basiliques qui en marquaient
Goulette-Marsa (et ensuite détruit ou remblayé) au début du le centre, encore que des cimetières secondaires postérieurs à
XXe siècle par P. Gauckler, est appelé couramment « le la construction de la muraille théodosienne aient été mis au
monastère de saint Étienne » parce qu’il a livré une inscrip- jour au nord, près de la Rotonde de l’odéon, et au sud, à
tion au nom du proto-martyr (ainsi que les noms d’autres proximité du cirque.
martyrs de Carthage) : mais faut-il l’identifier avec le Du point de vue topographique, on s’est longtemps
monastère doté de reliques d’Étienne mentionné par demandé si les « basiliques cypriennes » étaient au nombre
Quodvultdeus, au Ve siècle, à l’occasion d’un récit d’exor- de trois ou de deux. On s’accorde aujourd’hui, après relec-
cisme… ? Un autre édifice, d’abord bâtiment d’habitation, ture des textes (notamment des sermons d’Augustin), à
fut transformé par la suite en « monument à auges » (voir penser qu’il y avait deux églises commémoratives de
supra). L. Ennabli a proposé d’y reconnaître le « monastère l’évêque martyr Cyprien, l’une à l’emplacement de son lieu
de Bigua » dans lequel les “Sept moines de Gafsa” auraient du martyre (la Mensa Cypriani dont nous possédons une des-
été inhumés, d’après leur Passion qui est annexée au récit de cription partielle, mais de seconde main, par Grégoire de
Victor de Vita, en s’appuyant notamment sur une inscription Tours), l’autre érigée au lieu de l’inhumation (la memoria).
sur mosaïque retrouvée en 1957 dans une zone proche, qui Deux des basiliques situées au nord – la basilique où sem-
fait allusion aux “Sept frères” martyrs mis à mort par le roi blent avoir été vénérés la martyre Perpétue et ses compagnons
Hunéric en 483 et qui sont assimilés aux Macchabées ; on d’après des inscriptions tardives, qui serait donc la Basilica
notera cependant que la memoria n’a pas livré de reliques, Majorum, et la basilique dite « de Sainte-Monique », au-des-
et que l’on n’a pas trouvé non plus de tombe sous l’inscrip- sus du ravin d’Hamilcar, qui serait la memoria funéraire de
tion qui, d’après la stratigraphie, est très tardive. Comme Cyprien – n’ont fait l’objet que d’observations ponctuelles
pour saint Étienne, la vénération des martyrs ne suffit pas à d’après les plans anciens (Basilica Majorum avec une propo-
identifier les lieux avec les rares monuments cités dans les sition de reconstruction d’élévation par J. Christern) ou un
sources, puisque ces cultes sont très populaires. nouveau relevé (Basilique de Sainte-Monique).
On rappellera enfin que, dans un quartier romain cadastré Par contre, au nord-ouest, la connaissance du complexe
d’aménagement tardif, qui était sans doute encore inclus à de “Bir Ftouha”, qui semble avoir été aménagé dans une rési-
l’intérieur des murs du ve siècle, sur le plateau de Sayda, on dence suburbaine, est sans doute celui de la Mensa Cypriani
a probablement détruit dans les années 1950, lors de la (l’hypothèse est d’autant plus vraisemblable que d’après les
construction du lycée et d’un certain nombre de maisons, une Acta Cypriani, Cyprien avait été exécuté dans la résidence
église entourée d’un cimetière; celle-ci comportait plusieurs d’été du proconsul). Le complexe avait été fouillé partielle-
« chapelles funéraires » (des mausolées semi-enterrés ment en trois points par les Pères Blancs du Musée de
pourvus d’un autel) dont l’une a été transportée dans le Parc Carthage et P. Gauckler. Un plan inédit de la partie fouillée
des Thermes d’Antonin. Nous avons publié en 1959 ce qui par les Pères Blancs a été redécouvert (L. Ennabli, Carthage,
en restait, notamment le baptistère souterrain aménagé au- fig. 89: voir mon commentaire dans AnTard, 4). Depuis, le
dessus d’un puits, sans doute à l’époque byzantine, et les complexe a fait l’objet de plusieurs campagnes par une mis-
deux « chapelles ». Il y avait là les restes d’une fresque avec sion américaine sous la direction de S. Stevens, qui a permis
une série de têtes des martyrs de Carthage, qui n’ont pas été de localiser le triconque rempli de tombes et le “baptistère”
encore reproduits en couleurs. signalé autrefois (qui paraît bien appartenir à un groupe
thermal de modestes dimensions, comme nous l’avions
Églises extra muros supposé). Plus à l’est, on a redécouvert la grande église à
déambulatoire fouillée partiellement par P. Gauckler, dont on
Les églises cimétériales de Carthage avaient été fouillées n’avait pas de relevé. Ce plan, correspondant à une recons-
et publiées sommairement entre la fin du XIXe siècle truction byzantine, est très ambitieux, avec un chevet
(« Damous el Karita ») et les années 1930 par le fondateur du combinant symétriquement espaces découverts et couverts
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pour encadrer une rotonde grandiose servant de baptistère une église jumelle) avec de nouvelles mosaïques. La fouille
derrière l’abside. Malgré l’état des ruines, très malmenées et a été particulièrement fructueuse, comme celle de l’église
pillées, d’importants vestiges de la décoration et des maté- dite « de Carthagenna », pour la typologie et la datation des
riaux (avec des tuiles de céramique sigillée) ont été recueillis. mosaïques d’époque byzantine.
La publication n’est pas parfaite techniquement, mais a le
mérite de révéler pour la première fois clairement un édifice Les inscriptions chrétiennes
unitaire de grande ambition, au décor recherché et varié, qui
est de toute évidence une commande officielle (voir ma Les quelques inscriptions non funéraires et les très nom-
recension dans AnTard, 15). breuses épitaphes chrétiennes, souvent fragmentaires et
Plus près de la muraille, au nord de l’odéon, le complexe presque toutes déplacées, recueillies surtout par le P. Delattre
de « Damous el Karita » (qui pourrait être la basilica Fausti dans ses fouilles rapides des basiliques funéraires (menées
qu’avaient réussi à conserver les catholiques au début de la jusqu’au terrain vierge) ou achetées par le musée de Carthage,
période vandale), dont l’évolution, particulièrement com- ont fait l’objet d’une nouvelle publication avec photographies
plexe (avec plusieurs phases byzantines importantes), avait et description attentive par L. Ennabli (trois volumes publiés;
suscité nos remarques (parfois contestées par L. Ennabli) et il manque encore celles de Damous el Karita). Malgré des
des tentatives de restitution de J. Christern, a été partielle- incertitudes de lecture et d’interprétation, on y trouvera
ment exploré à nouveau par une mission autrichienne dirigée commodément rassemblée l’importante série d’inscriptions
par H. Dolenz. Ce dernier s’est attaché (avec des sondages d’époque byzantine, distinguée par la mise en page, l’écriture
stratigraphiques limités) à tenter de préciser l’utilisation et le formulaire, faute de datations précises que n’assure pas
(comme secretarium, propose-t-il) de la grande salle à la mention de l’indiction. Nous renvoyons, pour une nouvelle
colonnes (qui a connu deux phases), située entre la basilique étude de l’épigraphie chrétienne d’après les publications de
et la rotonde souterraine et la date de cette dernière, qui paraît L. Ennabli, à un mémoire à paraître dans AnTard.
être avec certitude un monument commémoratif, sans doute
un martyrium et non un baptistère, comme l’avait encore Les mosaïques
proposé en 1975 l’architecte bulgare S. Boyadjiev. La conne-
xion des murs et les éléments stratigraphiques amènent à Les fouilles des dernières années (Bir Ftouha,
attribuer sa construction à l’époque byzantine. Malheureu- « Carthagenne », Bir Knissia surtout) ont beaucoup apporté
sement, le plan du complexe tel qu’il est proposé (Dolenz pour la connaissance du répertoire nouveau de mosaïques
conserve les carrés noirs correspondant au tracé des fonda- géométriques et végétales d’époque byzantine (voir plus
tions et non à la forme réelle des supports) ne résulte pas d’un haut). Le premier fascicule du corpus des mosaïques n’a pas
nouveau relevé, qui aurait été bien utile, même si les restau- eu de suite et on est obligé de continuer à se référer au réper-
rations du P. Delattre ne facilitent pas la tâche. On n’a pas toire inédit et ancien dans la thèse de Mme Ben Osman.
exploré non plus le terrain faisant face, au nord, à la rotonde
(traversé maintenant par une autoroute urbaine), où nous Le matériel
avons cru voir un grand bâtiment qui permettait peut-être
d’expliquer (par une basilique à déambulatoire ? cf. Bir Le réexamen des trouvailles anciennes ou de nouvelles
Ftouha) le mur courbe situé en façade de la rotonde, inter- découvertes, au total peu nombreuses parce que les pillages,
prété comme un portique libre par H. Dolenz. les remplois ainsi que la combustion des matériaux antiques
Au sud-ouest, au lieu-dit « Bir el Knissia » (le « puits de dans les fours à chaux ont fait disparaître l’essentiel, a été
l’église »), avait été fouillée, en 1922-1923 par le Père fructueux pour mesurer en particulier l’importance des
Delattre, une grande église à trois nefs. À proximité, une importations de chapiteaux et autre mobilier en marbre
autre église, dont on connaît seulement une partie du d’origine orientale dans la capitale africaine, qui est plus
pavement (avec des épitaphes en mosaïque) a fait l’objet de important qu’on ne le croyait (voir plus haut). Le décor de
dégagements partiels par la direction des Antiquités en 1912 l’église de Bir Ftouha, récemment refouillée, bien que réduit
et 1921 (L. Ennabli, Carthage, 1997, fig. 64-65 : croquis à l’état de fragments, est très varié et montre la présence de
inédits). La grande église a été explorée à nouveau partielle- matières choisies (opus sectile et sculpture en marbres
ment et avec soin par une mission américaine dirigée par divers) ainsi que de nombreuses importations, qui existaient
S. Stevens en 1989-1992 et a fait l’objet d’une publication aussi dans les autres grandes églises mais n’ont pas attiré l’at-
détaillée qui permet de retracer une partie de l’évolution et tention du P. Delattre. La publication soignée de F. Bessière
surtout d’en dater la construction et les transformations. À la guidé par J.-P. Sodini est la première contribution majeure
différence des autres édifices chrétiens de Carthage, cette dans ce domaine après le catalogue des chapiteaux de la
église serait de fondation tardive, au Ve siècle avancé, et grande mosquée de Kairouan. On signalera aussi qu’il a étu-
plusieurs fois réaménagée (mais pas à l’époque justi- dié pour sa thèse les chapiteaux du musée, très disparates, et
nienne), elle serait restée en fonction jusqu’au VIIe siècle, qu’il a consacré un chapitre important aux pièces de
époque où elle comportait une annexe parallèle (peut-être l’Antiquité tardive (dont une série vient d’Oranie).
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164 NOËL DUVAL An Tard , 14, 2006

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