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La sensibilité à la contradiction: logarithmes de nombres négatifs et origine de la


variable complexe

Article · January 2004

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2 authors:

Ricardo Cantoral Rosa María Farfán


Center for Research and Advanced Studies of the National Polytechnic Institute Center for Research and Advanced Studies of the National Polytechnic Institute
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LA SENSIBILITÉ À LA CONTRADICTION :
LOGARITHMES DE NOMBRES NÉGATIFS
ET ORIGINE DE LA VARIABLE COMPLEXE

Ricardo Cantoral*, Rosa María Farfán*

ABSTRACT

This paper reports a research experience based on the contradiction in


mathematics, particularly related to complex analysis. After a theoretical
analysis, we worked with several groups of Mexicans students at university
level. We use a research framework named socioepistemology, or socioepis-
temological approach to mathematics education research. This theoretical
approach is developed by the research team of Higher Education of the
Mathematics Education Department at Cinvestav (Research Center and the
Advanced Studies of National Polytechnic Institute). This approach to re-
search works on systemic relationships of four components, in order to
develop the mathematical thinking of the students. Is based on a theoretical
framework that deals with phenomena of production and diffusion of mathe-
matical knowledge. It deal with the study of interactions between epis-
temology, socioculture of knowledge, cognitive processes and the teaching
practice.

RESUMEN

Este artículo reporta una investigación relativa al tratamiento de la


contradicción en matemáticas, particularmente referida al origen del análisis
complejo. Después de un trabajo de orden teórico se implementó con un grupo
de estudiantes de una institución de educación superior mexicana, una
experiencia didáctica controlada; dicho estudio fue llevado a cabo siguiendo
una aproximación teórica que actualmente denominamos, aproximación socio-
epistemológica a la investigación en matemática educativa, sintéticamente
conocida como, socioepistemología. Esta aproximación teórica, es desarrolla-
da por el grupo de investigación del Área de Educación Superior del Departa-
mento de Matemática Educativa del Cinvestav (Centro de Investigación y
Estudios Avanzados del Instituto Politécnico Nacional). Dicho acercamiento a

___________

* Área de Educación Superior, Departamento de Matemática Educativa,


Cinvestav IPN, México.

Recherches en Didactique des Mathématiques, Vol. 24, n° 2.3, pp. 137-168, 2004
138 Recherches en Didactique des Mathématiques

la investigación incorpora, de manera sistémica, cuatro componentes con la


intención de desarrollar el pensamiento matemático de las y los estudiantes.
Se basa en un marco teórico que permite tratar con los fenómenos de produc-
ción y de difusión del conocimiento matemático desde una perspectiva múlti-
ple al incorporar el estudio de las interacciones entre epistemología del cono-
cimiento, la dimensión sociocultural del saber, los procesos cognitivos que le
son asociados y los mecanismos de institucionalización vía la enseñanza.

RÉSUMÉ

La recherche présentée dans cet article porte sur la contradiction en mathé-


matiques, en particulier à propos de l’origine de l’analyse complexe. Une ex-
périence didactique a été réalisée avec un groupe d’étudiants d’un éta-
blissement mexicain d’enseignement supérieur, dans une perspective de re-
cherche socioépistémologique en didactique des mathématiques. Cette appro-
che théorique, développée par le groupe de recherche sur l’enseignement su-
périeur du département de didactique des mathématiques du Cinvestav
(Centro de Investigación y Estudios Avanzados del Institut Polytechnique Na-
tional), intègre quatre composantes relatives au développement de la pensée
mathématique des étudiants, ce qui permet de regarder les phénomènes de
production et de diffusion des connaissances mathématiques du point de vue
de l’étude des interactions entre épistémologie de la connaissance, dimension
socioculturelle du savoir, processus cognitifs associés et mécanismes d’insti-
tutionnalisation propres à l’enseignement.

Mots-clés : Socioépistémologie, discours mathématique scolaire, sensibilité à


la contradiction, logarithmes de nombres négatifs.
La sensibilité à la contradication 139

INTRODUCTION
Cet article présente une recherche relative au traitement de la contra-
diction en mathématiques, en particulier en matière d’analyse com-
plexe. Cette recherche a été conduite selon l’approche socioépisté-
mologique en didactique des mathématiques, telle qu’elle est actuel-
lement développée par le groupe de recherche sur l’enseignement
supérieur du Département de didactique des mathématiques du Centre
de Recherche et d’Études Avancées de l’IPN (Institut Polytechnique
National).
La socioépistémologie procède d’une approche systémique qui
permet d’aborder les phénomènes de production et de diffusion de la
connaissance dans une perspective multiple, qui intègre l’étude des
interactions entre l’épistémologie de la connaissance, sa dimension so-
cioculturelle, les procédés cognitifs associés et les mécanismes d’insti-
tutionnalisation via l’enseignement. Traditionnellement, les approches
épistémologiques supposent que la connaissance est le résultat de
l’adaptation des schémas théoriques aux données empiriques, et mé-
connaît le rôle de l’histoire, de la culture et des institutions dans l’acti-
vité humaine. La socioépistémologie conduit à examiner la connaissan-
ce dans ses déterminations sociales, historiques et culturelles (Cantoral
1999, Cantoral et Farfán 1998, Cordero 2001, Cantoral et Farfán, 2003).
L’étude que nous avons menée tend à montrer que cette approche
permet d’interpréter la construction sociale des connaissances mathé-
matiques avancées et leur diffusion institutionnelle.
Le traitement expérimental mis en œuvre s’est appuyé sur la notion
d’ingénierie didactique robuste au sens de Michèle Artigue (1988), dont
l’analyse préliminaire a été enrichie en incorporant aux dimensions tra-
ditionnelles – didactique, épistémologique et cognitive – la dimension
socioculturelle, par la prise en compte des ressources cognitives dispo-
nibles et des conditions épistémologiques prévalant dans l’environne-
ment social particulier qui a motivé la construction de la notion de va-
riable complexe, regardée comme domaine autonome des mathéma-
tiques, et observée spécifiquement au moment où l’on cherche à étendre
la définition classique du logarithme des nombres positifs aux nombres
négatifs.
La question posée – à quoi peut bien être égal le logarithme d’un
nombre négatif ? – a engendré une profonde controverse durant quatre
décennies au XVIIIe siècle, mettant aux prises des mathématiciens aussi
importants que Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), Jean Bernoulli
(1667-1748), Leonhard Euler (1707-1783) et Jean le Rond d’Alembert
(1717-1783). Au moment des débats épistolaires entre Leibniz et Ber-
noulli (1712-1713), les logarithmes des nombres positifs étaient définis
140 Recherches en Didactique des Mathématiques

de façon satisfaisante et les règles des opérations avec ces logarithmes


avaient été convenablement formulées. En revanche, la conception du
nombre négatif restait incomplète (Glaeser, 1981). Ainsi, pour réfuter
l’existence des nombres négatifs, Leibniz écrivait-il : « si ln(–1) existait,
il serait égal à la moitié de ln( –1), conclusion qui pour moi s’avère ab-
surde ». Par ailleurs, cherchant une réponse à l’argument de Leibniz,
Bernoulli proposait une extension aux nombres négatifs fondée sur la
symétrie : « comme dx/x = –dx/–x, alors avec une intégration, on obtient
que ln(x) = ln(–x) », argument qui implique que la définition des loga-
rithmes des nombres négatifs ne requiert pas les nombres complexes.
Le débat entre Euler et Bernoulli met en évidence toute une série
de contradictions qui conduisent à reprendre et à étendre l’idée de
fonction, en acceptant les fonctions multivoques. Mais alors qu’Euler
vise au surgissement d’un appareil théorique nouveau incluant l’exten-
sion de l’égalité algébrique à l’égalité entre ensembles, Bernoulli sou-
tient (comme il l’avait fait contre Leibniz, dans la première étape de la
controverse) qu’il est nécessaire de conserver le corpus théorique
classique, d’après lequel les nombres réels sont le support de toute
extension théorique. Ainsi commence la construction sociale de la
variable complexe. Il faudra près de trois cents ans pour que les
complexes soient finalement acceptés (d’abord comme nombres, puis
comme variables), alors qu’il ne faudra que trente ans pour voir se
développer les bases théoriques de l’analyse complexe. On ne devrait
donc pas s’étonner que l’acceptation de cet univers de nombres nou-
veaux soit un vrai problème pour les étudiants du point de vue de la
compréhension.
En nous appuyant notamment sur les idées exprimées au cours des
débats entre Leibniz et Bernoulli d’abord, entre Euler et Bernoulli en-
suite, nous avons donc conçu une séquence didactique dans laquelle
étudiants et professeurs sont exposés à des situations nécessitant
l’extension de la fonction logarithme aux nombres négatifs et se trou-
vent donc obligés d’accepter les nombres et les variables complexes.
Dans ce but, nous avons élaboré une série de séquences d’appren-
tissage contenant plusieurs situations d’action, de formulation et de
validation dont l’activation dépend en principe des réponses apportées
par les participants. Cette organisation était en outre renforcée d’une
part par une série de réunions et de discussions entre les participants à
l’expérience, et, d’autre part, par deux moments de travail importants,
d’abord avec les professeurs, ensuite avec les étudiants1.
___________

1. Dans cet article, nous ne mentionnerons que les résultats observés en ce


deuxième moment.
La sensibilité à la contradication 141

I. LE CADRE THÉORIQUE
L’étude didactique que nous avons développée se nourrit à diverses
sources. D’une part, en vue de localiser et d’analyser les conceptions
dominantes et les obstacles épistémologiques existants à cette époque2,
nous avons examiné l’origine des notions mathématiques concernées
par une exploration détaillée de la construction des logarithmes des
nombres négatifs au XVIIIe siècle. D’autre part, afin d’observer et d’ana-
lyser la manière dont les étudiants pensent, argumentent, négocient,
discutent et construisent leurs connaissances, nous avons conçu un
montage expérimental d’ingénierie didactique à développer avec l’aide
des professeurs et des étudiants.
Dans l’analyse des arguments produits par les étudiants en réponse
aux questions posées, nous avons tenté d’identifier les aspects relatifs à
la sensibilité à la contradiction et à la recherche de la cohérence à l’in-
térieur de l’appareil mathématique. C’est ainsi que, à propos des égalités
ln(x) = ln(–x) et πi = 0, nous avons observé comment la plupart des étu-
diants rejetaient l’identité de Bernoulli ou comment ils reconnaissaient
la possibilité d’accepter une construction plus sophistiquée telle celle
proposée par Euler à travers l’égalité ln(-1) = πi + 2nπ (où n parcourt les
entiers). Nous avons aussi mis en évidence l’importance du changement
de discours argumentatif chez les étudiants lorsqu’ils devaient défendre
leurs idées dans un débat avec le professeur : dans le cas particulier de la
définition de Bernoulli, nous avons ainsi examiné jusqu’à quel point les
étudiants acceptaient de travailler sous une hypothèse qui, dès le début,
leur paraissait douteuse, et tenté d’apprécier la qualité et la profondeur
des jugements émis. L’analyse des réponses, qui a ainsi porté sur les
arguments mathématiques et scolaires permettant aux étudiants d’accep-
ter, de réfuter ou de questionner les affirmations établies dans la séquen-
ce didactique, en faisant l’hypothèse d’un lien étroit entre les niveaux
d’argumentation et la sensibilité à la contradiction dans la situation mise
en place, a montré la variété et la richesse des discours argumentatifs
recueillis.
L’analyse historique peut partir des correspondances entre Leibniz
et Bernoulli (1712-1713), puis entre Bernoulli et Euler (de 1727 à
1729), qui révèlent la construction sociale du concept de logarithme,
processus dans lequel le débat, la justification, les croyances et les
critères de validité, entre autres, font apparaître l’activité mathémati-
que comme un fait de part en part humain et social. Les jugements de
___________

2. On utilise ici la notion d’obstacle épistémologique au sens de Gaston


Bachelard (1938).
142 Recherches en Didactique des Mathématiques

valeur, la recherche de convictions et de consensus caractérisent tout


procédé de construction de connaissances : c’est en ce sens que nous
parlerons de construction sociale de la connaissance3.

II. ANALYSE DE LA CORRESPONDANCE


Les controverses épistolaires indiquées contiennent des éléments ayant
joué un rôle fondamental dans la construction de la connaissance, que
nous tenterons donc d’incorporer dans notre séquence d’apprentissage.
On sait que la définition des logarithmes dans les manuels scolaires de
mathématiques se limite aux nombres positifs. La question de l’exten-
sion de cette définition aux nombres négatifs puis aux nombres com-
plexes apparaît pour la première fois dans les cours d’analyse complexe.
Historiquement, on sait aussi que le concept de logarithme est né de la
nécessité de simplifier et de rendre plus fiables les calculs numériques
utiles à la navigation et aux observations astronomiques (Edwards
1979). Dans cette section, nous chercherons à montrer que les concepts
et les procédés relatifs aux définitions mathématiques sont le résultat
d’un long procédé d’interaction sociale dans lequel une réflexion et une
critique approfondies permettent la consolidation d’un savoir social
culturellement établi.
Dans le cas particulier des logarithmes, diverses notions font obs-
tacle à l’extension du domaine de définition : ainsi en va-t-il des no-
tions alors disponibles de nombre négatif et de nombre complexe. La
discussion soulevée à ce propos, il convient de le souligner, amorce
une rupture épistémologique en mathématiques dans la mesure où ses
« résultats » ne procèdent pas de la confrontation d’un modèle
théorique avec la réalité environnante, mais de l’utilisation de critères
plus ou moins généraux donnant une cohérence à un appareil théo-
rique socialement accepté, avec une structure logique spécifique per-
mettant de décider de la validité de diverses conclusions sans appel au
monde physique.
Lorsque la controverse entre Leibniz et Bernoulli commence, les
logarithmes des nombres positifs sont bien acceptés au sein du corpus
mathématique et technologique de l’époque, alors même que la notion
de nombre négatif résiste encore à un traitement entièrement articulé
avec le reste du corpus théorique. Ainsi la théorie des rapports et pro-
portions n’est-elle pas encore complètement acceptée : Leibniz sou-
tient que la proportion 1:–1::–1:1 est impossible, et en conclut que la

___________

3. On trouvera en annexe des extraits des correspondances mentionnées.


La sensibilité à la contradication 143

théorie des proportions n’a aucun sens quand elle s’applique aux nom-
bres négatifs, puisqu’il est impossible de concevoir que quelque chose
de plus grand divisé par quelque chose de plus petit soit égal à quel-
que chose de plus petit divisé par quelque chose de plus grand... De la
même manière, pour prouver que le logarithme de la proportion –1/1
n’existe pas, Leibniz s’appuie à la fois sur la non-existence de ln(–1)
et sur l’égalité ln(–1/1) = ln(–1) – ln(1) = ln(–1) ; la discussion sur la
non-existence de ln(–1) se construit sur la base des propriétés des lo-
garithmes pour positifs :
« [... ]–1 n’a pas de logarithme réel puisque, d’une part, il ne peut pas
être positif car un logarithme positif est associé à un nombre plus
grand que 1 ; et d’autre part, il ne peut pas être négatif car un loga-
rithme négatif appartient à un nombre positif plus petit que 1, donc la
seule alternative possible c’est d’accepter que le logarithme de –1
n’est pas réel mais imaginaire. » (Cajori 1913)
L’extension aux nombres négatifs, précise encore Leiniz, aurait des
conséquences absurdes. « Si réellement le logarithme de –1 existait, sa
moitié serait le logarithme du nombre imaginaire –1, une conclusion
qui me semble absurde. »
Des arguments de ce type apparaissent dans les discours argu-
mentatifs des étudiants soumis à l’expérience didactique : comme
pour Leibniz, l’existence des logarithmes des nombres négatifs se
traduit pour ces étudiants par la conservation des propriétés établies
pour les nombres positifs. Il s’agit là, en quelque sorte, d’arguments
métamathématiques (ou plutôt culturels) qui conduisent à rechercher
une solution « plus proche de la nature », ainsi que le disait Leibniz.
Contrairement à Leibniz, Bernoulli propose de construire la courbe
logarithmique avec deux branches symétriques par rapport à l’axe y,
en s’appuyant pour cela sur des arguments ancrés dans la toute récente
théorie du calcul infinitésimal : d’une part, l’égalité dx/x = –dx/–x
conduit par intégration à l’égalité ln(x) = ln(–x) ; d’autre part, le
calcul, mathématiquement équivalent au précédent, des aires des deux
figures symétriques par rapport à l’origine des cordonnées que délimi-
te l’hyperbole équilatérale d’équation xy = 1 justifie la construction de
la courbe logarithmique comme représentant l’aire sous cette courbe.
On a souligné ailleurs (Cantoral et al. 1987) que la correspondance
Leibniz-Bernoulli était à bien des égards un dialogue de sourds : Ber-
noulli s’efforce d’étendre la définition du logarithme en supposant que
ln(n) = ln(–n) ; Leibniz, au contraire, refuse cette extension sans pro-
poser d’alternative, se bornant à signaler les contradictions générales de
l’extension suggérée par Bernoulli, tant du point de vue « philosophi-
que » qu’au plan mathématique. L’épisode participe d’une construction
strictement théorique, sans référence « empirique ». À cet égard, il
144 Recherches en Didactique des Mathématiques

soulève pour la communauté où il prend place un problème difficile :


décrire de vrais outils tout à fait nouveaux pour valider et garantir aussi
bien la consistance interne du corpus théorique que l’éventuelle applica-
tion scientifique, technologique ou éducative de ces connaissances. La
correspondance des mois de juin et d’août 1712 entre Leibniz et Ber-
noulli est à cet égard révélatrice. Leibniz soutient que, si ln(–2) existait,
il devrait satisfaire la relation ½ln(–2) = ln –2, ce qui, pour lui, est im-
possible. Bernoulli réfute l’argument de Leibniz : la règle pour travailler
avec les logarithmes des nombres négatifs conduit en fait à l’égalité
½ln(-2) = ½ln(2) = ln 2…
La seconde partie de la controverse – entre Euler et Bernoulli –
prend une nouvelle orientation, car Euler met en évidence une contra-
diction dans la proposition de Bernoulli. Ainsi qu’on l’a vu, Euler
a2 x + iy
signale que l’expression ln , décrit l’aire d’un secteur cir-
4i x − iy
a2 a 2π
culaire, en sorte que, pour x = 0, il faudrait avoir ln (− 1) = .
4i 4
De là découle immédiatement que πi = ln(–1) ; si ln(–1) = 0, comme
le propose Bernoulli, alors πi = 0 et donc aussi i = 0.
Euler va alors développer les bases d’une nouvelle théorie mathéma-
tique des logarithmes des nombres négatifs et, par généralisation, des
nombres complexes. Il propose et justifie un théorème qui fait appa-
raître les logarithmes des nombres complexes comme valeurs de fonc-
tions multivoques, en démontrant qu’« il existe un nombre infini de
logarithmes pour n’importe quel nombre... ». Pour sa démonstration, il
considère aussi bien les nombres infinis, les infinitésimaux et les ima-
ginaires, prenant ω infiniment petit (de sorte que ln(1+ω) = ω) et N infi-
niment grand. Étant donné la nature de N et de ω, il est possible de trou-
ver un nombre fini x tel que x = ωN. Pour x et y complexes, on sait que
x = ey = (1+y/N)N implique que x1/N = 1+y/N et donc que y = N(x1/N – 1).
Euler observe que x1/N (et donc y) possède une infinité de valeurs puis-
que N est infiniment grand ; comme y = ln x, il en découle que ln x aura
aussi un nombre infini de valeurs complexes. Ainsi conclut-il que les
nombres positifs auront seulement une valeur réelle pour chaque loga-
rithme, alors que les autres seront imaginaires. Pour le cas des nombres
négatifs et les nombres complexes, ceux-ci n’auront que des logarithmes
imaginaires.
La sensibilité à la contradication 145

III. À PROPOS DE L’EXPÉRIENCE


Les participants à cette étude sont douze étudiants âgés de 18 à 26 ans
d’une institution publique mexicaine, leur professeur (qui à ce moment-
là suivait des études de doctorat), ainsi que deux spécialistes de didac-
tique des mathématiques.
Les étudiants avaient en commun de n’avoir jusqu’alors jamais
suivi de cours de variables complexes ; leurs connaissances en algèbre
et en calcul différentiel et intégral incluaient les thèmes classiques :
théorie des équations, algèbre linéaire, calcul différentiel et intégral à
une ou plusieurs variables, introduction à la logique et à la théorie des
ensembles. Ces étudiants et étudiantes de premier cycle scientifique
(mathématiques et physique) avaient l’intention d’exercer du point de
vue professionnel en tant qu’enseignants de mathématiques en lycée
ou dans l’enseignement supérieur.
L’expérience a également été réalisée avec 30 professeurs de ma-
thématiques du niveau lycée qui avaient suivi une spécialité en didac-
tique des mathématiques dans différentes institutions du pays mais
n’avaient jamais donné de cours de variables complexes.
La mise au point et la réalisation de l’expérience ainsi que l’inter-
prétation des phénomènes observés se sont appuyées sur de multiples
travaux d’ingénierie didactique et d’analyse théorique4.
Malgré la demande faite aux participants de ne pas étudier les thè-
mes abordés pendant le déroulement de l’expérience, il est possible
cependant que certains se soient reportés à des ouvrages universitaires
sur la question des logarithmes de nombres négatifs. On soulignera en
outre que la définition « algébrique » des logarithmes des nombres po-
sitifs (pour p > 0, on a lnp x = y si py = x), jouera un rôle dans certaines
des activités développées par les étudiants, alors que la définition de
lne x par l’intégration de l’hyperbole équilatère entre 1 et x (avec x >0)
a été moins utilisée par les étudiants et les professeurs.

___________

4. Voir ainsi Cantoral et Farfán, 2004, Cantoral et Farfán 1983, Cantoral,


Farfán, Hitt et Rigo 1983, Farfán et Hitt 1983, Cantoral, Farfán, Hitt et Rigo
1987, Soto 1988, Quiroz 1989, Ocampo 1992.
146 Recherches en Didactique des Mathématiques

IV. ANALYSE A PRIORI


La définition actuelle des logarithmes de nombres positifs provient en
général de trois genres d’approches didactiques. Tout d’abord, elle
peut provenir de l’extension de la correspondance – très anciennement
connue – entre progressions arithmétiques et géométriques : la corres-
pondance entre la suite arithmétique 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6... et la suite géo-
métrique 1, 10, 100, 1000, 10 000, 100 000, 1 000 000... devient appa-
rente lorsque cette dernière progression s’écrit sous la forme de la sui-
te de puissances 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106... On a ainsi par exem-
ple log10 100 = 2 et log10[100 × 1000] =2 + 3. Ensuite, cette définition
peut exprimer l’aire de la région délimitée par la branche positive de
x
dt
l’hyperbole équilatère : ln (x ) = ∫ , x 〉 0 . Enfin, on mentionnera la
l t
définition des fonctions logarithmes comme solutions de l’équation
fonctionnelle F(xy) = F(x) + F(y), où x et y sont des réels strictement
positifs.
Ces trois présentations correspondent à des moments historiques
distincts ou des circonstances différentes : la première est fortement
liée aux nécessités sociales en matière de calcul rapide et précis ; la
deuxième est plutôt adaptée au développement de la théorie des
fonctions, une fonction étant regardée comme un outil de modéli-
sation ; la troisième est un moyen de faire apparaître les mathémati-
ques comme une grande structure logique et déductive. Dans ce qui
suit, toutefois, nous avons pris pour point de repère la polémique inau-
gurée par Leibniz et Bernoulli en 1712, puisque c’est à partir de celle-
ci que commence la construction des logarithmes de nombres négatifs.
1. Première séquence d’activité
La première partie de la séquence didactique était appuyée sur les élé-
ments de consigne indiqués ci-après5.
Parmi les principaux problèmes de l’enseignement des mathémati-
ques, on s’intéresse ici à l’acquisition et au développement des capa-
cités permettant à l’élève de résoudre de manière satisfaisante des
problèmes de mathématiques. Nous nous plaçons donc dans la pers-
pective d’un apprentissage des mathématiques par découverte, où les
procédés comme l’analogie, l’induction et la contradiction sont – en-
tre autres – indispensables, procédés dont l’interrelation sera appelée
heuristique. Un exemple permettra d’illustrer ce point de vue.
___________

5. Les formulations présentées ne reproduisent évidemment pas verbatim


les formulations originelles.
La sensibilité à la contradication 147

Lorsque nous exposons le thème des logarithmes dans nos cours,


nous disons d’ordinaire – selon le niveau de scolarité de l’élève –
soit que si a et b sont des nombres strictement positifs, alors loga b =
N si aN = b, soit que le logarithme est une fonction qui, à x > 0,
x
dt
associe ln (x ) = ∫ t .
l
1. Dans ces deux définitions, on suppose implicitement que le loga-
rithme n’est applicable qu’aux nombres positifs. Mais que répon-
drions-nous si un élève demandait à quoi est égal le logarithme
d’un nombre négatif ? Pourquoi considérons-nous toujours uni-
quement les nombres positifs ? Essayez de donner des réponses
aux questions précédentes sans éluder la question.
2. Puisque le logarithme se caractérise principalement par les pro-
priétés ln(xy) = ln(x) + ln(y) et ln(xn) = nln(x), on peut penser que
de telles égalités seront encore valables pour x et y négatifs.
3. En considérant qu’il en est ainsi, essayez de donner une démons-
tration (ou, dans le cas contraire, d’exhiber un contre-exemple).
4. Examinons l’argumentation suivante : nous savons que (–x)2 = x2,
pour tout x ; en appliquant la fonction logarithme à cette égalité,
on obtient ln(–x)2 = ln(x)2 et il s’ensuit que 2ln(–x) = 2ln(x), en
sorte que ln(–x) = ln(x). L’argumentation précédente conduit à
penser que le logarithme d’un nombre négatif peut être défini, et
qu’il est donné par l’égalité ln(–x) = ln(x).
5. Si cette argumentation ne convainc pas entièrement, voyons un
autre argument. Il est clair que dx/x = –dx/–x, égalité dont l’inté-
gration conduit à l’égalité ln(x) = ln(–x). En admettant ici l’exis-
tence des logarithmes des nombres négatifs, on obtient ainsi une
manière de les calculer : ln(–2) = ln(2), ln(–3) = ln(3), etc.
6. Nous pouvons maintenant calculer le logarithme de n’importe
quel négatif, en particulier ln(–1). Calculez-le. Faites aussi un
graphique de la fonction que nous avons obtenue en considérant
les nombres négatifs.
7. Notre élève serait-il satisfait face à cette réponse ? Et vous ? Ar-
gumentez votre réponse.
Dans cette première séquence, nous avons donc essayé de placer les
étudiants devant le problème de la définition du logarithme d’un nom-
bre négatif, les questions initiales ayant pour objet de recueillir leurs
premières réactions à cet égard.
On a vu que l’un des arguments de Leibniz en faveur de la non-
existence de ln(–1) se fondait sur l’extension au cas des nombres né-
gatifs des propriétés des logarithmes de nombres positifs : cet argu-
ment nous a conduits à étudier, au moyen des questions 2 et 3, la posi-
tion des étudiants à ce propos.
Par ailleurs, face à l’égalité ln(x) = ln(–x) avancée par Bernoulli,
Euler avait d’une part avancé un argument favorable, d’autre part mis
148 Recherches en Didactique des Mathématiques

en évidence une contradiction : les questions 4 et 5 mettent les sujets


face à l’argument favorable uniquement. Finalement, avec les ques-
tions 6 et 7, nous cherchions à recueillir la conclusion à laquelle les
sujets pourraient arriver au cours de cette première phase.
La séquence d’activité a été réalisée en une heure environ par les
sujets choisis pour cette étude – auxquels nous avons demandé, au
moment de présenter la solution du problème proposé, d’indiquer leur
nom sans rien effacer de leurs diverses tentatives de résolution (en
signalant ce qu’ils y regardaient comme des erreurs éventuelles).
2. Deuxième séquence d’activité
Nous présentons ici la deuxième séquence, réalisée une semaine plus
tard avec les étudiants.
Nous essayerons maintenant de voir si les résultats obtenus lors de la
séance précédente sont cohérents.
θ
L’aire d’un secteur circulaire de rayon a est : a 2 .
2
Or on a
θ θ ( 2i ) a2 a2
a2 = a2 = ( 2 iθ ) = [iθ − ( −iθ )] =
2 2 ( 2i ) 4i 4i
a2
4i
[ ]
ln( e iθ ) − ln( e − iθ ) =

a2
[ln(cos θ + i sin θ ) − ln(cos θ − i sin θ )] =
4i
a 2 cos θ + i sin θ
ln .
4i cos θ − i sin θ
π π a2
Si θ = on obtient ainsi a 2 = ln( −1) et donc ln(–1) = πi.
2 4 4i
Mais précédemment nous avions obtenu ln(–1)=0, et on a donc πi = 0.
L’égalité précédente constitue-t-elle une contradiction ? Expliquez et
argumentez.
1. Peut-on dépasser ces contradictions ? Comment ?
2. Les contradictions obtenues apparaissent du fait qu’on a considéré
en même temps comme valides les égalités ln(–x) = ln(x) et
θ a 2 cos θ + i sin θ
a2 = ln . Réexaminez ces égalités.
2 4i cos θ − i sin θ
3. Si vous concluez que ln(–x) = ln(x) a été obtenue au moyen d’une
déduction incorrecte, considérez la fonction ƒ : → \{0}
ln( x ) x > 0
définie par x a f ( x ) = et répondez aux ques-
ln( − x ) x < 0
tions suivantes : a) la fonction ƒ est-elle bien définie ? b) ƒ est-
La sensibilité à la contradication 149

elle une fonction logarithme, c’est-à-dire satisfait-elle les proprié-


tés logarithmiques ?
4. Il découle de la définition précédente (ln(–x) = ln(x)) que l’on a
πi = 0. Que peut-on faire alors ?
Outre l’expression classique de l’aire d’un secteur circulaire de rayon
a, on présente donc ici aux sujets l’expression donnée par Bernoulli en
1728 et utilisée par Euler pour montrer que l’égalité ln(x) = ln(–x)
conduit à une contradiction, en invitant les sujets à examiner plus pro-
fondément la proposition de Bernoulli6.
Dans une première étape de notre travail, nous avions conçu une
seule séquence d’activité, qui était essentiellement la réunion des deux
que nous venons de présenter. Sa mise à l’épreuve avec divers groupes
d’étudiants (qui suivaient les cours de spécialité dans les villes de Coli-
ma, Morelia, Cuernavaca et Mexico) ainsi qu’avec des professeurs de
lycée et d’université a permis diverses observations ayant amené plu-
sieurs retouches. C’est ainsi que la notation « log » ayant été interprétée
fréquemment comme désignant une fonction logarithme de base quel-
conque, et non comme la fonction de base e, on l’a ensuite remplacée
par la notation « ln ». De même, on a ajouté la question 3 car la plupart
des sujets abordaient la question 2 sans argumenter leur réponse. Quant
à la question 4, elle permet de donner un surcroît de crédit à l’égalité
ln(x) = ln(–x).
La séquence initiale unique a été en outre divisée en deux pour
réduire les temps d’activité. Enfin, nous avons mis au point une deu-
xième séquence d’activité destinée spécifiquement aux sujets n’ayant
pas accepté les arguments de Bernoulli en faveur de l’égalité ln(–x) =
ln(x). Après un rappel de ces arguments, cette séquence procédait selon
les éléments de consigne ci-après.
Les arguments donnés en faveur de l’égalité ln(–x) = ln(x) ne vous ont
pas convaincu. Dans ce qui suit, nous avons essayé de proposer une
___________

a2 x + iy
6. L’expression utilisée vers 1728 était en fait ln . Si l’on pose
4i x − iy
x = acosθ et y = asinθ, on obtient en effet :

a2 x + iy a2 cos θ + i sin θ a2
ln = ln = [ln(cosθ + isinθ) – ln(cosθ – isinθ)]
4i x − iy 4i cos θ − i sin θ 4i
a2 a2 a2 a2
= [ln(eiθ) – ln(e–iθ)] = [ln(eiθ) – ln(e-iθ)] = [iθ – (-iθ)] = (2iθ)
4i 4i 4i 4i
θ
= a2
2
150 Recherches en Didactique des Mathématiques

nouvelle argumentation en faveur de cette égalité. On sait que, si x >0,


x dt
alors ln x = ∫ . Nous avons cherché à étendre cette définition aux
l t
nombres négatifs de la manière suivante :
− x dt 0 dt −1 dt − x dt − x dt − x dt
On a : ∫ =∫ + ∫ + ∫ . Étant donné qu’on a ∫ = ∫
1 t l t 0 t −1 t 1 t −1 t
(il s’agit d’une aire positive et d’une aire négative ayant même valeur
absolue),
0 dt −1 dt − x dt x dt
on a aussi ∫ = − ∫ . Il vient donc : ln( − x ) = ∫ = ∫ = ln( x ) .
1 t 0 t 1 t 1 t
Il s’ensuit que ln(x) = ln(–x).
1. Ce dernier argument vous a-t-il convaincu ? Convaincrait-il vos
élèves ?
2. Si ce n’est pas le cas, comment essayeriez-vous de répondre à un
élève qui vous questionnerait à propos du logarithme d’un nom-
bre négatif ?
Pour avoir une vision plus claire des comportements de réponse des
sujets, on a en outre fait débattre avec leur professeur les étudiants – au
nombre de 9 (sur 12) – dont les réponses apparaissaient confuses ou ap-
pelaient une discussion plus approfondie.
Cette interaction s’est effectuée deux semaines après la passation
des séquences d’activité. Les étudiants concernés s’entretenaient seuls
avec leur professeur dans un bureau, ce qui non seulement a permis de
créer une atmosphère de confiance mais encore a évité que le protoco-
le d’entretien ne soit connu à l’avance par les étudiants suivants, au
risque d’influer sur leurs réponses. Les échanges oraux ont été enre-
gistrés et nous avons transcrit ce qui avait pu être écrit sur feuille ou
au tableau.
L’interaction s’appuyait sur la structure des activités réalisées et
sur les réponses apportées par l’étudiant, tout en lui laissant un temps
considérable pour réfléchir. Certains des étudiants ont confirmé leurs
réponses initiales, tandis que d’autres ont modifié leur position.

V. ANALYSE A POSTERIORI
Dans l’analyse des réponses et arguments des étudiants, notre atten-
tion s’est portée préférentiellement sur la relation entre sensibilité à la
contradiction et recherche de la cohérence mathématique, à propos no-
tamment de la façon dont la plupart des étudiants repoussaient l’iden-
tité donnée par Bernoulli mais, pour certains, reconnaissaient la possi-
bilité d’accepter une construction plus sophistiquée, telle celle propo-
sée par Euler (log(–1) = πi + 2nπ, n ∈ , en veillant chaque fois à abor-
La sensibilité à la contradication 151

der l’examen de la sensibilité à la contradiction en tenant compte des


contraintes des situations argumentatives et des niveaux d’élaboration
qu’elles permettaient (ou interdisaient). À cet égard, le nombre d’étu-
diants apparaît moins pertinent que la variété des argumentations ren-
dues possibles et effectivement observées.
Un certain nombre de sujets acceptent l’idée que, si les logarith-
mes de nombres négatifs existent, il est raisonnable de penser qu’ils
sont en quelque sorte « symétriques » des logarithmes des nombres
positifs. En même temps ils soutiennent aussi que, si l’on accepte une
définition de ce type, alors toute une partie de la théorie est à recons-
truire, afin de rendre raison des égalités du type ax = y avec a > 0 et
y < 0. La chose, indique-t-on, suppose que x ne soit pas un nombre
réel. Mais en aucun cas le passage aux nombres complexes n’est envi-
sagé !
Un autre groupe de sujets, plus nombreux, a refusé l’idée de loga-
rithmes de nombres négatifs, en arguant du fait que de tels logarith-
mes… n’étaient pas définis ou n’existaient pas. Et ce avec des argu-
ments du type « Il n’existe pas de nombre positif qui, élevé à une puis-
sance, donne un nombre négatif », c’est-à-dire en n’essayant pas de
sortir de la situation numérique où l’on définit ordinairement les loga-
rithmes des nombres positifs.
Dans ce qui suit, on présente quelques extraits illustrant la variété
des réponses obtenues au cours des entretiens avec les étudiants.
1. La question n’est abordée ni en classe, ni dans les livres
La situation de questionnement à laquelle ont été soumis les sujets de
l’expérience était en rupture, non seulement avec les questions de la
vie quotidienne, mais aussi avec le questionnement usuel de l’ensei-
gnant dans la classe : si, dans le premier cas, les questions correspon-
dent souvent à une simple demande d’information (quand elles ne
relèvent pas simplement d’une stratégie de courtoisie), dans la classe
elles visent ordinairement à contrôler et à mettre en valeur les connais-
sances des élèves, en même temps qu’elles tendent à rendre sensible et
à renforcer la cohérence interne du discours mathématique (Tuson et
Unamuno 1999). La question des logarithmes de nombres négatifs,
qui ne renvoie à rien qui ait été étudié antérieurement, place donc les
sujets hors du cadre familier du contrat didactique : on ne s’étonnera
pas qu’elle soulève une certaine résistance de leur part, comme l’illus-
tre l’extrait ci-après.
152 Recherches en Didactique des Mathématiques

Extrait 17
Professeur : Lorsque nous exposons le thème des logarithmes dans nos
cours, nous disons d’habitude – tout dépend du niveau de scolarité des
élèves – que si a et b sont des nombres positifs logab = N si aN = b, ou
bien que le logarithme est une fonction qui, à chaque x positif associe
x dt
∫ = ln(x). Dans les deux définitions on admet implicitement que le
l t
logarithme est applicable uniquement aux nombres positifs. Mais que
répondrions-nous si un élève demandait à quoi est égal le logarithme
d’un nombre négatif ? Pourquoi considérons-nous toujours uniquement
les nombres positifs ? Essayez de donner des réponses aux questions
précédentes sans éluder la question.
Manuel : Nous savons que les résultats seront donnés de la même
manière par un changement de signes, nous évitons donc les négatifs
qui, en général, sont le reflet des nombres positifs.
Patricia : Je pense qu’un nombre négatif n’a pas de logarithme. Le
fait de considérer uniquement les positifs, c’est parce qu’on peut avoir
des logarithmes à nombres positifs, alors que c’est impossible pour les
nombres négatifs.
Raymundo : Si on considérait les nombres négatifs, toute la théorie
changerait vu que les bases des logarithmes sont toujours des nombres
positifs et si b < 0, l’égalité aN = b n’est plus valable car aN > 0. Le fait
de considérer uniquement les positifs, c’est parce que la fonction
exponentielle est continue pour les positifs et discontinue pour les né-
gatifs car –aN = –b n’est pas toujours vrai lorsque N est pair ou impair.
Professeur : Quand tu parles de la fonction exponentielle, tu veux
dire aN = b ?
Raymundo : Oui.
Professeur : Pourquoi dis-tu que la fonction exponentielle est dis-
continue pour les négatifs ?
Raymundo : Elle est discontinue pour les négatifs du fait qu’elle n’est
pas définie pour ceux-ci.
Professeur : Mais pourquoi discontinue, peux-tu m’expliquer ça ?
Raymundo : Nous avons aN = b. Si nous changeons les signes, –aN =
–b, cette égalité n’est pas toujours vraie quand N est pair ou impair.
Professeur : Voyons un exemple : 23 = 8. Si nous changeons les si-
gnes, –23 = –8 est vrai, non ?
Raymundo : Je parle de –aN = –b comme (–a)N = –b.
Professeur : … alors cette égalité n’est pas vraie ? Pourquoi ?
Raymundo : Pas toujours, pour N pair non, car (–a)N > 0 et –b < 0,
par exemple (–2)2 ≠ –4.
___________

7. NB. Les transcriptions complètes peuvent être consultées dans les


annexes de (Soto, 1988) et font partie du matériel recueilli durant diverses
expériences éducatives dans le projet de recherché dirigé par Ricardo Cantoral
et Rosa María Farfán.
La sensibilité à la contradication 153

José Luis : logab = N ⇔ aN = b. Supposons a < 0 pair, alors (–a)N est


le même que si N est impair, d’où (–a)N = –aN = b ou aN = –b. Mais il
n’existe aucune valeur de N pour laquelle aN = –b : l’égalité n’est pas
vérifiée pour a < 0 et b > 0.
Gustavo : Le logarithme d’un nombre négatif n’existe pas, il n’ap-
paraît pas dans le domaine où nous travaillons... Dans quel domaine
voulez-vous la réponse ? Parce que dans le domaine des réels, il
n’existe pas...
Felix : Si nous considérons la définition logab = N ⇔ aN = b et si b est
négatif alors aN doit donner un nombre négatif, mais si a est négatif,
alors N devrait être impair, ce qui n’est pas le cas général.
Raymundo : Si logab = N, c’est-à-dire aN = b, b < 0 et a > 0, nous
voyons clairement qu’il est impossible de trouver un nombre N pour
lequel en élevant la base, ça nous donne un nombre négatif, du fait
qu’un nombre positif élevé à n’importe quelle puissance (positive ou
négative) donnera toujours un nombre positif...
Professeur : Il ne peut donc pas y avoir un nombre, appelons-le *, tel
que e* = x ?
Raymundo : Non, enfin, je crois que non...
Maria Eugenia : Le logarithme d’un nombre négatif n’existe pas. On
considère seulement les nombres positifs car leurs puissances sont
toujours positives. Au contraire, les puissances des nombres négatifs
seront aussi bien négatives que positives.
Horacio : On ne peut les appliquer que pour des nombres positifs car
logab = N, si aN = b n’est pas définie pour 1/aN = b, que serait-il pour
N négatif, pour ne pas entrer dans des valeurs plus petites.
Tita : En ce qui nous concerne, ils n’existent pas...
Professeur : Mais pourquoi n’existent-ils pas ?
Tita : Parce qu’ils ne sont pas définis… On peut uniquement définir
logab = N, si aN = b pour a et b positifs.
Antonia : Le logarithme d’un nombre négatif n’existe pas parce qu’il
n’a pas été défini.
Leticia : Les logarithmes de nombres négatifs n’existent pas. Les loga-
rithmes ne s’appliquent pas à des nombres négatifs car nous ne savons
rien de ce qui pourrait se passer alors.

2. Extension des opérations et sensibilité à la contradiction


Pour répondre convenablement aux demandes du professeur, les sujets
doivent avoir à leur disposition des moyens de contrôle de l’activité
mathématique. Il ne suffit pas, comme nous l’avons vu dans l’extrait
précédent, de « penser à haute voix » à propos des implications de
l’existence supposée des logarithmes des nombres négatifs. Le pro-
fesseur axe en conséquence ses interventions sur l’exploration du pro-
blème étudié et sur les moyens didactiques de le résoudre, tout en ou-
vrant de nouveaux espaces à la négociation du sens.
154 Recherches en Didactique des Mathématiques

Extrait 2
Professeur : Lorsque nous exposons le thème des logarithmes dans
nos cours, fréquemment nous le faisons uniquement pour les nombres
positifs. Puisque la fonction logarithme est caractérisée principalement
par les identités ln(xy) = ln(x) + ln(y), ln(xm) = mln(x), on peut de
demander si ces égalités subsistent si on prend x et y < 0, c’est-à-dire
si l’on applique la fonction logarithme aux nombres négatifs.
Manuel : Elles restent valables car si ln(–x) = ln(x) et ln(–y) = ln(y),
alors ln[(–x)(–y)] = ln(–x) + ln(–y) et ln(–xm) = –mln(–x)...
Patricia : Elles ne sont plus valides... Par exemple ln[(–5)(3)]=ln(–5)
+ ln(3) et ln(–5) n’existe pas.
Raymundo : Elles ne sont plus valables car, comme je l’ai déjà dit, le
logarithme d’un nombre négatif n’est pas défini et ln[(–1)(–1)] = ln(–1)
+ ln(-1), c’est-à-dire, ln(1) = ln(–1) + ln(–1), c’est à dire, 0 = indéfini.
José Luis : Elles ne sont plus valables... ln(–x)m = mln(–x). Le premier
membre n’est pas valide pour m pair et le deuxième n’est valable dans
aucun cas.
Gustavo : Si les logarithmes des nombres négatifs ne se trouvent pas
dans notre univers de travail, nous ne pouvons pas considérer de telles
égalités.
Felix : Elles ne sont plus valables, par exemple ln[(e)(–1)] = ln(e) +
ln(-1). Mais la partie de droite n’est pas valable.
Raymundo : reprend la réponse de F.
Maria Eugenia : Elles ne sont pas valables si elles sont appliquées à
des nombres négatifs ln(–e)2 = 2ln(–e) = 2ln[(–1)(e)] = 2[ln(–1) + ln(e)]
= 2ln(-1) + 2ln(e) = 2ln(e) =2.
Professeur : Pourquoi tu utilises ln(–e)2 et ln(e)2 pour invalider les
propriétés des logarithmes pour les négatifs ?
Maria Eugenia : Parce que ln(–e)2 = ln(e)2 mais 2 ≠ 2ln(–1) +2, car
ln(–1) n’existe pas.
Horacio : On ne pourrait pas les trouver.
Tita : Les lois, avec les nombres négatifs, ne sont pas valables.
Professeur : Pourquoi elles ne sont pas valables ?
Tita : Parce que les logarithmes de nombres négatifs n’existent pas.
Antonia : Elles ne pourraient pas rester valables. Par exemple...
Leticia : Ça ne serait pas possible, car ces propriétés sont établies
pour les logarithmes de nombres positifs.

3. Sensibilité à la contradiction et déduction plausible


En classe de mathématiques, les affirmations du professeur s’appuient
sur des déductions ou des démonstrations, dont la cohérence repose
sur un corpus plus vaste, celui de tout le savoir mathématique dispo-
nible jusque là, et qui font appel si nécessaire à des thèmes rencontrés
précédemment, que les élèves doivent apprendre à exploiter en même
temps qu’ils apprennent à reconnaître les intentions didactiques du
professeur.
La sensibilité à la contradication 155

En ce qui concerne le problème soulevé ici, la déduction de


Bernoulli présentée aux sujets s’appuie sur des règles de différen-
tiation que les étudiants tiennent pour légitimes : sa mise en débat
devait donc permettre aux sujets de dépasser leur position première –
« les logarithmes de nombres négatifs n’existent pas », ce qui n’ira pas
sans mal, comme l’illustre l’extrait ci-après.
Extrait 3
Professeur : Considérons l’argumentation suivante : nous savons que
(–x)2 = (x)2 pour n’importe quel nombre x ; appliquons la fonction
logarithmique aux deux membres de l’égalité : ln(–x)2 = ln(x)2. Il en
découle que 2ln(–x) = 2ln(x) et donc ln(–x) = ln(x). Ainsi le logarith-
me d’un nombre négatif peut-il non seulement être défini, mais en
plus nous avons établi que l’on a ln(–x) = ln(x)…
Manuel : Silence.
Patricia : Silence.
Raymundo : Cette argumentation est fausse car elle considère les deux
nombres en soi, positifs et négatifs, comme égalité… Du fait que, par
expérience, ln(–x) n’est pas défini. Nous savons aussi que nous devons
prouver cela… À partir de (–x)2 = (x)2, (-x)2 = (x)2, |–x| = |x|, ln|–x| =
ln|x|, et cette égalité est valable.
Professeur : Et que penses-tu de ln(–x) = ln(x) ?
Raymundo : Je ne suis pas d’accord.
Professeur : Où tu n’es pas d’accord ?
Raymundo : Bon, c’est difficile à dire avec exactitude mais il y a des
développements qui semblent valables et qui ne le sont pas.
José Luis : loge2 = N, si eN = 2. Si ln(–2) = ln(2) on doit avoir ln(–2) =
N ⇔ eN = –2. Mais il n’y a pas de N qui puisse vérifier cela.
Professeur : Et qu’en est-il de la déduction ?
4 4
José Luis : Si je pars de x2 = –x2 au lieu de (–x)2 = (x2) ?
Professeur : Pourquoi veux-tu changer l’égalité de départ ?
José Luis : Parce que le résultat ne me satisfait pas du tout.
Professeur : Pourquoi ?
José Luis : Parce que... le logarithme... Ça n’est vrai que pour des va-
leurs positives.
Professeur : Mais je viens de présenter un argument qui affirme que,
non seulement on peut trouver le logarithme d’un nombre négatif,
mais qu’en plus il est égal à son symétrique positif.
José Luis : Silence.
Professeur : … Il n’existe vraiment aucune valeur N pour laquelle
eN = –2 ?
José Luis : Ben… non.
Professeur : Alors pourquoi l’argumentation nous a mené jusqu’à
ln(–x) = ln(x) ?
José Luis : Je ne sais pas, quelque chose ne va pas.
Gustavo : Cette argumentation n’est pas valable.
Felix : Silence.
156 Recherches en Didactique des Mathématiques

Raymundo : ln(–x)2 = ln(x)2, 2ln(–x) = 2ln(x), ln(–x) = ln(x), –x = x.


Ceci nous conduit au fait qu’un nombre positif est égal à son inverse
additif.
Professeur : Mais tu ne peux pas inverser l’égalité ln(–x) = ln(x) que
si la fonction ln a une inverse...
Raymundo : Je crois que l’erreur vient... de vouloir appliquer des
propriétés des logarithmes qui ne sont pas valables.
Maria Eugenia :... Si ln(–x) = ln(x)... alors ln(–1) = 0, et ceci est faux
car e0 ≠ –1.
Professeur : On pourrait avoir e0 = 1 et e0 = –1 ?
Manuel : Non, parce qu’alors… 1 = –1.
Horacio : Si on utilise (–x)3 ≠ (x)3 pour n’importe quel x, ln(–x)3 ≠
ln(x)3 et donc ln(–x) ≠ ln(x), ce qui va contre votre argument.
Professeur : Si tu pars de choses différentes, tu arriveras à des choses
différentes.
Horacio : Oui... Je crois alors que l’erreur réside dans les propriétés
des logarithmes dont nous avons dit qu’elles n’étaient pas valables.

4. Premiers signes d’adhésion et acceptation du contrat


Le professeur doit multiplier les arguments afin d’ébranler le scepti-
cisme quelque peu dogmatique des étudiants. L’extrait suivant illustre
une telle évolution.
Extrait 4
Professeur : Si l’argument précédent ne nous convient pas entièrement,
dx − dx
voyons un autre argument. Il est clair que = . Par intégration
x −x
on obtient l’égalité ln(x) = ln(–x). Nous avons ici, non seulement
l’existence de logarithmes de nombres négatifs, mais en plus une façon
de les calculer : ln(–2) sera égal à ln(2), ln(–3) à ln(3), etc.
Manuel : Silence.
Patricia : Je pensais que le logarithme d’un nombre négatif n’existait
pas, mais alors il existe !
− dx
Raymundo : Le procédé est incorrect si nous considérons et
−x
son signe comme des formes séparées, ce que vous faites dans votre
démonstration... De toutes façons quelque chose ne va pas.
Professeur : Où ?
Raymundo : Je ne sais pas… Je ne crois pas que ln(x) = ln(–x).
José Luis : Bon, si nous acceptons l’existence de logarithmes de
nombres négatifs, quel serait le N tel que eN = –x ?
Professeur :... e0 = –1.
José Luis : … e0 n’est pas égal à –1, par définition e0 = 1.
dx − dx − dx dx (−1) dx
= ∫
−x ∫ −x (−1) ∫ x
Felix : Si je pars de = , = = ln x et pas
x x
ln(x) = ln(–x).
La sensibilité à la contradication 157

Tita : Je ne sais pas quoi dire, mais si c’était comme ça, les logarith-
mes seraient définis de la même manière, pour les positifs et les néga-
tifs. Cependant, on parle uniquement de nombres positifs.
dx − dx
Antonia : = , c’est vrai sur la base de la règle des signes, mais
x −x
ça ne veut pas dire que dx = –dx et x = –x. Alors au moment d’intégrer,
il y aurait ln(x) = ln(x) et non pas ln(x) = ln(–x).
Leticia : Silence. … Je ne sais pas... Peut-être il y a des erreurs que je
ne distingue pas.
Comme nous pouvons voir dans l’extrait précédent, les points de vues
sur l’acceptation d’un nouveau résultat en classe de mathématiques
sont différents.
Ces formes d’acceptation ne viennent pas de la logique interne de la
déduction mathématique, mais, au contraire, elles viennent d’une vraie
formation d’identités sociales des individus. C’est le cas des relations de
pouvoir traditionnel : professeur-étudiant ou bien professeur-texte. Les
situations de résistance se construisent à travers la négociation des signi-
fications dans le domaine scolaire.
L’acceptation ou la résistance viennent plutôt de l’interaction des
relations de pouvoir entre les participants à ce jeu du savoir. Dans cer-
tains cas, la résistance pour accepter l’extension de Bernoulli obéit à une
autre forme de relation de pouvoir qui pourrait s’expliquer par le rôle
que joue le livre en classe de mathématiques. La définition de loga-
rithme à nombre négatif n’était apparue dans aucun livre auquel les élè-
ves avaient eu accès.
Le critère de vérité ne vient pas de la discussion proprement, mais
d’une convention en train de se former.
5. Conflits entre l’acceptation scolaire et l’argument mathématique
Les deux questions qui suivent ont été posées aux étudiants qui
avaient fini par accepter, partiellement, que ln(x)=ln(-x). Elles ont été
conçues pour permettre aux étudiants d’imaginer un élève hypothé-
tique qui aurait accepté nos justifications. Dans l’expérience, les parti-
cipants sont des étudiants, futur professeurs, ils peuvent se projeter
dans l’interaction élève-professeur, même ils n’en ont pas véritable-
ment l’expérience.
Extrait 5
Professeur : Vos élèves seront d’accord? Et vous?
Manuel : Oui, car je verrai que les nombres négatifs sont le reflet des
nombres positifs. Par exemple, dans la droite numérique, chaque nom-
bre a son opposé.
Patricia : Oui, je serais satisfait, je croyais que l’on ne pouvait pas
avoir le logarithme d’un nombre négatif, mais finalement, si.
Raymundo : Peut-être que l’étudiant l’accepterait, mais moi, non. Il y
158 Recherches en Didactique des Mathématiques

a des parties qui ne sont pas valables dans la démonstration, même si


en apparence elles le sont. Je crois que tout serait plus simple si on
donnait une démonstration claire de ce fait.
José Luis : Silence
Gustavo : …vous avez donc encore un doute….
Felix : … e0= -1 : contredit la théorie des exposants….
Maria Eugenia : Un élève serait satisfait, mais moi non.
Horacio : Les démonstrations qui ont été données ne sont pas correc-
tes, elles sont fondées sur des erreurs que l’on commet quelquefois.
Tita : L’étudiant peut être satisfait car il n’a pas une connaissance
profonde de ce problème. L´élève peut faire semblant de comprendre
alors que l’explication n’est pas du tout claire et en plus il ne pourra
pas continuer à poser des questions.
Antonia : Peut-être que oui. Je devrais lui fournir quelques exemples,
tout dépend du niveau de scolarité pour justifier mes réponses.
Extrait 6
Professeur : Maintenant nous essayons de voir ce qui se passe quand
cosθ = 0 et donc θ=π/2. a2θ/2=[a2/4i][ln{(cosθ + isinθ)/(cosθ – isinθ)}].
Nous avons ainsi obtenu ln(-1) = πi mais précédemment nous avions
obtenu ln(-1)=0, et donc πi = 0: L’égalité précédente constitue-t-elle une
contradiction? Expliquez et argumentez.
Peut-on dépasser ces contradictions? Comment?
Manuel : Si cosθ = 0 et θ = π/2 on a ln(-1)= πi . Donc ln(-1) = πi = 0
Patricia : C’est vraiment une contradiction car ln(-1)= πi mais comme
ln(-1)=ln(1), alors nous aurions πi = 0, je crois que ce n’est pas valable.
Manuel : Elle peut être dépassée, mais il faut bien comprendre le pro-
blème.
Patricia : Moi je pense que ces contradictions ne peuvent pas être
amoindries car si ln(-1)=ln(1) est égal à zéro, nous aurions alors
πi = 0.
En ce qui concerne la dernière séquence d’activités, qui cherchait à
rendre évidente la construction géométrique alternative en utilisant des
aires sous l’hyperbole, nous n’avons trouvé de changements ni dans
les stratégies de solution, ni dans le discours argumentatif. Les mêmes
explications se retrouvent ici.
Nous pensons que la persistance du refus s’explique par la volonté
d’éviter le travail avec les identités qui pourraient finir par produire
des contradictions. Nous soutenons qu’en définitive les étudiant(e)s
savent quelle sont les déductions qui sont fausses et qui apparaissent
fréquemment dans les livres de mathématique, pour montrer l’impos-
sibilité de la division par zéro par exemple.
Les questions qui ont été présentées dans cette partie avaient pour
but de permettre l’utilisation de formes argumentatives typiques en
classe.
La sensibilité à la contradication 159

Les arguments de Bernoulli, qui n’ont pas convaincu totalement


Leibniz, n’ont pas servi non plus à convaincre un groupe d’étudiants
universitaires qui ont nié systématiquement les arguments en cher-
chant des contre exemples et des arguments alternatifs pour discréditer
l’apparence de vérité venant du professeur.
Cette sensibilité à la contradiction s’est trouvée accentuée par le
fait que les étudiants ne connaissaient pas l’analyse complexe, qui leur
aurait permis d’accepter naturellement des expressions telles que:
ln(-1) = πi ou par équivalence eπi + 1= 0.
Nous pouvons maintenant pointer différents aspects relatifs à la
sensibilité à la contradiction.
L’utilisation d’arguments mathématiques élaborés pour convaincre
de la validité de l’extension n’ont pas permis l’acceptation définitive
de la part de la plupart des étudiants, du fait qu’ils ne disposaient pas
d’éléments théoriques complets. L’insistance du professeur n’a pas été
suffisante, ni la série de déductions mathématiques pourtant à leur
portée. La possibilité d’extension ne faisait pas partie du corpus visi-
ble des étudiants, ce qui nous permet de comprendre que le savoir ma-
thématique scolaire ne vient pas seulement de la déduction, qu’il n’est
pas constitué par un système ordonné de propositions dérivées de prin-
cipes, mais aussi et surtout, qu’il est la conséquence de nombreux pro-
cessus complexes d’acceptation sociale.
L’importance des processus sociaux a été récemment soulignée par
divers chercheurs, (Arrieta, 2003 ; Cantoral et Farfán, 2003 ; Martínez,
2003 ; Radford, 2004). Normalement, ces règles implicites ne consti-
tuent pas des thèmes de débat scolaire dans le domaine des mathé-
matiques car on admet que les résultats sont la conséquence directe
d’autres facteurs. Au contraire, notre étude réfute cette affirmation et
elle apporte des éléments pour la recherche de projets mieux adaptés à
l’enseignement, pour que, finalement, celui-ci produise réellement un
apprentissage.

CONCLUSION
Dans cette étude, nous avons voulu montrer que la sensibilité à la
contradiction des étudiants universitaires ne vient pas, ou pas seu-
lement, de la finesse avec laquelle on juge les procédés et les raison-
nements mathématiques. Des éléments propres au discours de l’envi-
ronnement scolaire et au discours mathématique scolaire interviennent
également. Les étudiants fondent leurs suppositions sur des situations
d’ordre culturel qui ne sont pas toujours partagés par tous ceux qui
participent au processus scolaire et qui, de plus, sont considérés par
160 Recherches en Didactique des Mathématiques

ces étudiants comme une partie de cette culture. Ces suppositions


constituent des cadres de référence robustes et permettent d’interpréter
aussi bien les interventions argumentatives des étudiants que les
formes d’acceptation d’un résultat mathématique dans la salle de
classe. À ce sujet, nous devons faire remarquer que ces suppositions
ne sont pas non plus naturelles, car elles sont de type social et culturel.
Le fait d’avoir choisi le discours mathématique scolaire comme
élément d’analyse pour cette étude a fourni à cette recherche un moyen
que nous considérons efficace pour détecter des problèmes et pour
intervenir afin de construire un véritable outil pour le changement
éducatif.
Dans le cas que nous présentons ici, si la définition de logarithme
de nombres complexes fait son apparition dans le domaine scolaire
sans aucun contexte et sans une préparation convenable qui puisse
garantir de bons résultats, alors les procédés éducatifs ne peuvent pas
véritablement permettre la compréhension de l’esprit mathématique
qui serait nécessaire pour apprendre et comprendre les mathématiques
Pour atteindre ce qui a été dit, nous sommes en train de développer
la perspective socioépistémologique comme un moyen efficace pour
transformer le discours mathématique scolaire. Nous croyons que
cette approche ouvre une possibilité de recherche dans notre domaine
qui a été souvent dédaignée à cause de sa perspective « sociale ».
Comme nous l’avons dit dans des paragraphes précédents, le fait
d’exposer le thème des logarithmes comme des entités réservées aux
nombres positifs, conduit à penser que le discours scolaire mathéma-
tique a établi comme valable, que si a et b sont des nombres positifs,
alors logab = N si aN = b. Ou bien, le logarithme est vu comme une
x
dt
fonction qui associe chacun x > 0, ln( x ) = ∫ ⋅
1 t
Les séquences didactiques que nous avons montrées dans cette
étude, ont permis de confronter des étudiants face à un véritable défi
intellectuel : que répondriez-vous à un élève qui demande à quoi sera
égal le logarithme à nombre négatif ? Pourquoi doit-on se borner aux
nombres positifs ?
Nous avons montré que les réponses des étudiants aux questions
posées, peuvent être classées en deux catégories.
La première, est celle des étudiants qui soutiennent que si le
logarithme des nombres négatifs existait, il devrait être le reflet du
logarithme des positifs, du fait que les positifs et les négatifs ont des
propriétés de symétrie. Ces étudiants savent qu’il faudrait reconstruire
la théorie afin d’expliquer avec cohérence le fait qu’un nombre positif
ax est égal à un négatif. Par conséquent, il faudrait travailler dans un
La sensibilité à la contradication 161

domaine numérique qui ne serait plus celui des nombres réels, même
si, comme nous l’avons vu, ils n’ont jamais proposé de travailler avec
les nombres complexes.
La deuxième catégorie d’étudiants, la plus nombreuse, contient
ceux qui refusent systématiquement d’admettre la possibilité de traiter
les logarithmes à nombres négatifs. Leurs arguments reposent sur le
fait que les logarithmes à nombres négatifs n’ont pas été définis, ou
bien qu’ils n’existent pas du tout. Les discours argumentatifs de ces
étudiants sont similaires aux explications données en classe : il ne peut
pas exister de nombre positif qui, élevé à une certaine puissance,
donne un nombre négatif. Ou alors, ils partent de la définition fré-
quemment donnée dans les livres dans laquelle on considère a et b
positifs pour montrer l’impossibilité de travailler avec des négatifs.
Dans la littérature specialisée et notamment dans la théorie des
situations de Brousseau (1990), on considère que le discours mathé-
matique scolaire est un type d’interaction fondé sur le contrat didacti-
que et sur les aspects socioépistémologiques du savoir mathématique
scolaire, c’est-à dire que les divers acteurs d’une interaction dans le
jeu didactique occupent des positions discursives différentes et dans
lesquelles certains usages sont valables et d’autres non. Même quand
le professeur est celui qui pose la question, les étudiants opposent une
résistance et ne l’accepte pas comme valable car elle n’a pas été pré-
sentée institutionnellement en classe et qu’on ne connaît pas de règles
appropriées pour les opérations.
La question : À quoi est égal le logarithme d’un nombre négatif ?
est un appel à la réflexion partagée, à l’exploration d’une affirmation
qui ouvre une incertitude car elle ne signale pas une voie d’action lo-
gique. Cette résistance a été mise en valeur dans la plupart des répon-
ses des étudiants.
Ce fait peut être expliqué dans la mesure où, même si le discours
scolaire est plein de questions, la plupart d’entre elles ont une fonction
pragmatique qui est loin des énoncés interrogatifs (dont les fonctions
sont plus quotidiennes).
Il s’agit de questions qui visent à contrôler, à mettre en évidence la
connaissance des interlocuteurs. Ces questions peuvent être posées
uniquement par celui qui enseigne de part la position qu’il occupe
dans l’institution et du rôle qu’il joue vis-à-vis du discours mathémati-
que scolaire. Ainsi, la métaphore: Que répondre si un élève demande à
quoi est égal le logarithme d’un nombre négatif ? ne reçoit pas d’inter-
prétation plausible pour les participants dans l’expérience.
Le discours mathématique, au contraire, permet les questions qui
ont une fonction pragmatique. Il s’agit de questions d’ordre théorique
dont la visée est de permettre la mise à jour d’une cohérence interne
162 Recherches en Didactique des Mathématiques

du discours argumentatif ou bien les implications éventuelles qui se


présenteraient sous des hypothèses peu usuelles : « Si nous acceptons
cela, alors il faudrait accepter cet autre élément » Une forme d’abs-
traction, dans le sens de Piaget, est fréquemment utilisée à certains
moments de l’activité scolaire dans le domaine particulier des mathé-
matiques scolaires. Cependant, le risque de commettre des erreurs a
tendance à augmenter la résistance des étudiants face à ces interro-
gations. Ceci a été délibérément accru pendant notre étude comme une
variable de contrôle (au sens de Artigue, 1988) lorsque nous avons
choisi des étudiants qui n’avaient jamais suivi des cours de variables
complexes.
En définitive, nous considérons que ces résultats révèlent la manière
dont nous pourrions analyser les questions d’ordre social et culturel
dans le but de développer des approches systémiques pour l’apprentis-
sage des mathématiques.

Les auteurs remercient Yves Chevallard et Claire Margolinas pour


leur travail de mise en forme de l’article en version française.

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164 Recherches en Didactique des Mathématiques

ANNEXE 1

CORRESPONDANCE LEIBNIZ-BERNOULLI
(D’APRÈS CAJORI 1913)

LEIBNIZ À BERNOULLI, 16 MARS 1712. – Leibniz dit que –1/1 est


imaginaire puisqu’il n’a pas de logarithme.
BERNOULLI À LEIBNIZ, 25 MAI 1712. – Bernoulli réfute la démons-
tration de Leibniz où 1:–1 ou –1:1 est imaginaire du fait que –x a un
logarithme. Nous avons dx/x = –dx/–x, ainsi, par intégration, ln x = ln(–x).
La courbe logarithmique y = ln x a alors deux branches symétriques par
rapport à l’axe des ordonnées, tout comme l’hyperbole a deux branches
opposées.
LEIBNIZ À BERNOULLI, 30 JUIN 1712. – Leibniz répète son argu-
mentation sur le fait que ln(–2) n’existe pas parce que, s’il existait, sa
moitié serait égale à ln –2, une impossibilité. La règle de différentia-
tion, dln x = dx/x, n’est pas applicable à –x. Dans la courbe logarith-
mique y = ln x, x ne peut décroître vers zéro et passer du côté opposé
du fait que la courbe ne peut pas couper l’axe des ordonnées, lequel
est asymptote à celle-ci.
BERNOULLI À LEIBNIZ, 13 AOÛT 1712. – L’argument sur le fait que
ln(–2) n’existe pas parce que ln –2 n’existe pas, n’a pas de validité. Il
nie que ln –2 soit la moitié de ln(–2), même s’il est vrai que ln 2 =
1/2 ln 2. La différence est que 2 est moyenne proportionnelle entre 1
et 2 ; –2 n’est pas la moyenne proportionnelle de –1 et –2. De même
que ln 1⋅2= 1/2 ln(2), de même ln (–1)⋅2 = ln –2 = 1/2 ln(–2). Si
l’on passe de +x à –x dans une courbe, il n’est pas nécessaire qu’elle
coupe l’axe des ordonnées : il suffit de penser à l’hyperbole équilatère
ou à la conchoïde de Nicomède par exemple.
LEIBNIZ À BERNOULLI, 18 SEPTEMBRE 1712. – Les logarithmes
sont des nombres en progression arithmétique qui correspondent à des
nombres en progression géométrique et desquels un nombre peut être
1 et un autre peut être n’importe quel nombre positif. Admettons
ln1=0 et ln2=1. Dans la progression géométrique alors limitée, -n ne
peut jamais être obtenue, peu importe combien de troisièmes
proportionnelles ont été formées. Dans les séries 1, 2, 4 la moyenne
proportionnelle entre 1 et 4 est aussi bien +2 que –2. Mais –2 ne peut
pas être dans la même progression géométrique qui contient +2; c’est
à dire qu’aucune valeur de a convient à -2=2ª ou a=ln(-2), donc, le
logarithme de –2 n’existe pas, et une courbe e=lnx qui est satisfaite
par x=1 et x=2, ne peut pas être satisfaite par x=-2. D’un autre point de
La sensibilité à la contradication 165

vue, si –2 a un logarithme, alors la moitié de ce logarithme existe est


c’est le logarithme de√-2. Mais√-2 est un nombre impossible; par
conséquent, la moitié de ln(-2) est impossible et le tout ou ln(-2) est
impossible. Un autre point dans la théorie logarithmique, na ou a/n
sont représentés par (lnn)a, ou lnn/e, respectivement; nn ou n/n sont
représentés par lnn±, respectivement; n est représenté par lnn; mais,
qu’est-ce ou que représente -n? Il n’y a pas moyen de représenter –n
sous ceux qui sont déjà cités.
De nouveau, en admettant le principe que ln(-2)existe, il s’ensuit
que ln√-2 est la moitié de celui-ci, mais√-2 est la moitié proportion-
nelle entre +1 et –2, par conséquent: ln√-2=[ln1+ln(-2)]+2=½ln(-2).
9 novembre 1712. Bernoulli à Leibniz : Bernoulli lui dit qu’il ne
voit rien dans sa dernière lettre qui prouve l’impossibilité de ln(-n). Il
admet qu’il n’y a pas de transition d’une série (géométrique) à termes
positifs à celle à termes négatifs, et donc, ln(-n) n’existe pas dans ce
cas. Cependant, les nombres négatifs déterminent leur propre série
particulière qui commence avec –1 au lieu de +1. Ainsi, les mêmes
propriétés logarithmiques se poursuivent pour –n aussi bien que pour
+n. Il répète que lnn=ln(-n) pour prouver que y=lnn a deux branches,
il utilise l’hyperbole rectangulaire POGpag et considère CF et EH
proportionnels aux aires hyperboliques RSQP et REGP. Soit PR et GE
des constantes et FS des variables. Quand S prend la valeur T, FS est
infinie et l’aire est infinie.
D’après la même loi de génération de la courbe RFH, nous permet-
tons l’avancement du point S vers e (peut-on l’en empêcher?) l’aire sur
Re est en partie + et en partie -, e égale à EP [l’aire REGP], lorsque
TE=Te, Nous avons alors EH=eh. Par similitude, si Ts=TS, alors sf=SF.
On génère ainsi la branche hfr laquelle, avec HFR constituent une
courbe logarithmique. Si TR=+1, Tr=-1 TS=+n, Ts=-n, alors SF=lnn,
sf=ln(-n). Comme SF=sf, nous devons avoir lnn=ln(-n).
Janvier 1713. Leibniz à Bernoulli : Admettons 2e =x, si x=1 alors
e=0, si x=2 alors e=1, Quand x=-1, e ne peut pas être déterminé.
28 février 1713. Bernoulli à Leibniz. Si en ye=x nous supposons
que x=2 et e=1, et x=1 et e=0, alors, quand x=-1 on ne peut vraiment
donner aucune valeur à e. Étant donné que ces suppositions sont
arbitraires, changeons-les de telle sorte que lorsque e=0, x=-1, alors e
peut être déterminé par n’importe quel –x.
26 avril 1713. Leibniz à Bernoulli : Vous dites que mes valeurs
pour e et x en 2e sont arbitraires. Vous établissez x=-1 pour e=0. Ce
qui est à moi est plus naturel. D’autre part, si nous considérons que: en
premier lieu, nous ne pouvons pas avoir en même temps lnn et ln(-n),
parce que si ln(-1)=0, alors ln(-1)2=ln(1)=2x0=0
166 Recherches en Didactique des Mathématiques

et ln√-1=0=0/2=0. C’est à dire que le même logarithme est obtenu


pour +1, -1, e i
En deuxième lieu, sous vos suppositions 20 a un nombre infini de
significations, à savoir : -1, +1, √-1, 4√-1, 8√-1, etc. À moins que 20 soit
multivaluée elle aura ces valeurs. Si 20 +1, alors 20 est univaluée et
cette difficulté n’apparaît plus.
En troisième lieu : si xe=-2, x2e=+4 mais cette transition de –n à +n
vous-même vous la réfutez.
En quatrième lieu : si log(-n) est réel, alors log√-n est réel, ainsi,
les nombres impossibles auraient des logarithmes impossibles. La sup-
position sur le fait que seul +n a un logarithme annule ce problème.
En cinquième lieu, vous admettez que nous ne pouvons avoir 2e=1
et 2e=-1 en même temps. Mais si vous mettez 20=-1, alors
(20)2=20=+1 . Ainsi, 20=1 et 20=1, pour e=0. Ce qui est contraire à
votre supposition. Tout ceci nous montre que votre hypothèse
concernant ln(-n) est antinaturel, inutile et inadmissible. D’autre part,
j’ai démontré que les proportions ne peuvent être formées en insérant
–n.
L’égalité des fractions +1/-1 et –1/+1 est vraie si l’on observe que
les fractions ne sont pas les mêmes en tant que raisons.
Il s’ensuit par évidence que chaque fondement d’aspect analytique
a été négligé.
7 juin 1713. Bernoulli à Leibniz : Qu’entendez-vous par nature ou
antinaturel?
Si ce qui est naturel est ce qui va avec l’usuel, alors ln(-n) est moins
naturel que ln(+n). La première de vos cinq objections sur ln(-n) est que
quelques +n, -n in peuvent avoir le même logarithme. J’admets
uniquement que ln(+n)=ln(-n). La moitié de tout logarithme n’est pas
nécessairement le logarithme de la racine carré, mais plutôt le logarith-
me de la moitié proportionnelle entre +1 et +n, ou –1 et –n. La moitié
proportionnelle entre –1 et –1 est √[(-1)·(-1)]=+√+1 ou -√+1. Il n’y a
rien d’absurde en cela.
Deuxièmement, je nie que 20=√[(-1)·(-1)]= √[(-1)·(-1)·(-1)·(-1)],
etc. Puisque je viens d’expliquer que
20=√[(-1)·(-1)]= √[(-1)·(-1)·(-1)·(-1)], etc. Tous ces radicaux sont
égaux à. √+1 o ±1
Il n’y a pas de désaccord sur ce résultat.
Troisièmement, vous dites que si xe=-2, alors x2e=+4. La courbe
logarithmique démontre que ceci n’est pas vrai… Deux fois ln(-n) n’est
pas lnn. La troisième proportionnelle de –n est obtenue de –1:-n=-n:x.
Ainsi, si xe=-2 alors pour 2e=(-2)(-2):-1=4. Par conséquent, il n’y a pas
de croisement de –n à +n. Quatrièmement, ma définition de moyenne
La sensibilité à la contradication 167

proportionnelle de –n ne permet pas d’arriver au résultat absurde: in a


un logarithme possible.
Cinquièmement, si 2o=-1, alors 22-0 n’est pas égal à +1 mais à
(-1) (-1):-1=-1. De ce fait, le résultat absurde ne provient pas du
fait que 2o soit simultanément +1 et –1.
28 juin 1713. Leibniz à Bernoulli : Je n’ai pas le temps de réfuter
vos objections sur ma doctrine qui établit que si ln i est impossible, le
double d’impossibles est impossible, que ln n est le double de ln√n .
Si vous supposez des logarithmes dans lesquels cela n’est pas ainsi,
alors ils n’ont aucune signification pour moi. J’appelle plus naturel
non pas celui qui est plus usuel mais celui qui est plus proche de la
nature et plus simple.
29 juillet 1713. Bernoulli à Leibniz : Vous ne niez pas la suppo-
sition que +1 est arbitraire et que –1 est permisible. D’après ce que je
viens de dire, ln(-1)=0. De ceci s’en découle tout ce que j’avais dit
préalablement au sujet de ln(-n).

CORRESPONDANCE EULER-BERNOULLI

5 novembre 1727. Euler à Bernoulli : l’équation y=(-1)x est


difficile de traiter car y est quelquefois positive, quelquefois négative
ou imaginaire. Elle ne représente pas une ligne continue.
9 janvier 1728. Bernoulli à Euler : Si y=(-n)x, alors ly=xl(-n) et
dy/y=dx. l (-n)=dx l (+n), car dl (-x)=-dz/z=dlz. Par intégration,
ly=xln, d’où y=nx. Ainsi y=(±1)x est 1x=1 c’est à dire y=1
10 décembre 1728. Euler à Bernoulli : J’ai des arguments
simultanément en faveur et contre l’égalité lx=l (-x). Si lxx=z, nous
avons ½z=l√xx. Mais √xx est aussi bien –x que +x. Ainsi ½z= lx = l
(-x). On pourrait objecter que xx ait deux logarithmes mais si l’on
affirme qu’il en a deux on doit affirmer qu’il a un nombre infini.
Argument contre : De l’égalité des différentielles on ne peut pas en
découler l’égalité des intégrales. D’autre part, l (-x)= lx+l (-1), ainsi l
(-x)= lx seulement si l (-1)=0. De nouveau si lx=l (-x), alors x=-x et
√-1=1, de ce fait, je pense qu’on ne peut pas conclure l’égalité des
nombres à partir de l’égalité des logarithmes. Son expression pour
aa x + y −1
l’aire d’un secteur circulaire de rayon a est: ⋅l
4 −1 x − y −1
Qui résulte pour un quadrant x, ayant alors, 0, aa/4√-1l(1). Ainsi si
ll (-1)=0 nous devons avoir √-1=0 et aussi 1=0. Mon bon monsieur,
que pensez-vous de ces contradictions?
168 Recherches en Didactique des Mathématiques

18 avril 1729. Bernoulli à Euler. Quand je dis que lx = l (-x) on


doit comprendre par-là l-(x) et non pas l (-x). Alors l-(x)½ est réel mais
l(-x)½ est imaginaire. L’aire du secteur circulaire est zéro lorsque x=0
même si celle-ci est égale à un quadrant. Soit le constant Q un
quadrant, alors nous pouvons écrire l’aire du secteur en général:
aa x + y −1
⋅l + nQ . De sorte que le premier terme s’annule
4 −1 x − y −1
quand le secteur est un quadrant n, peut être choisi pour que nQ soit
multiple ou sous multiple du quadrant dont nous avons besoin. Pour
un demi-quadrant, nous avons aa/4√-1, qui est Q, puisque l√1=0.
Dans ce cas nous devons prendre n=1/2
16 mai 1729. Euler à Bernoulli. La différence entre l (x) et l (-x)
aa x + y −1
n’est pas claire pour moi. L’expression ⋅l considérée
4 −1 x − y −1
comme une constante, je la vois comme une croissante puisque pour
x=0 nous avons un secteur nul. Je ne vois pas pourquoi nQ devrait être
ajouté. Si n peut être ½ , elle peut être aussi ¼ ou n’importe quel autre
aa x + y −1
nombre. Il serait superflu de démontrer que: ⋅l
4 −1 x − y −1
représente un secteur, si seulement nQ est suffisant pour représenter
n’importe quel secteur. Nul d’entre nous ne doit entrer en paradoxes.

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