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ABSTRACT
RESUMEN
___________
Recherches en Didactique des Mathématiques, Vol. 24, n° 2.3, pp. 137-168, 2004
138 Recherches en Didactique des Mathématiques
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
Cet article présente une recherche relative au traitement de la contra-
diction en mathématiques, en particulier en matière d’analyse com-
plexe. Cette recherche a été conduite selon l’approche socioépisté-
mologique en didactique des mathématiques, telle qu’elle est actuel-
lement développée par le groupe de recherche sur l’enseignement
supérieur du Département de didactique des mathématiques du Centre
de Recherche et d’Études Avancées de l’IPN (Institut Polytechnique
National).
La socioépistémologie procède d’une approche systémique qui
permet d’aborder les phénomènes de production et de diffusion de la
connaissance dans une perspective multiple, qui intègre l’étude des
interactions entre l’épistémologie de la connaissance, sa dimension so-
cioculturelle, les procédés cognitifs associés et les mécanismes d’insti-
tutionnalisation via l’enseignement. Traditionnellement, les approches
épistémologiques supposent que la connaissance est le résultat de
l’adaptation des schémas théoriques aux données empiriques, et mé-
connaît le rôle de l’histoire, de la culture et des institutions dans l’acti-
vité humaine. La socioépistémologie conduit à examiner la connaissan-
ce dans ses déterminations sociales, historiques et culturelles (Cantoral
1999, Cantoral et Farfán 1998, Cordero 2001, Cantoral et Farfán, 2003).
L’étude que nous avons menée tend à montrer que cette approche
permet d’interpréter la construction sociale des connaissances mathé-
matiques avancées et leur diffusion institutionnelle.
Le traitement expérimental mis en œuvre s’est appuyé sur la notion
d’ingénierie didactique robuste au sens de Michèle Artigue (1988), dont
l’analyse préliminaire a été enrichie en incorporant aux dimensions tra-
ditionnelles – didactique, épistémologique et cognitive – la dimension
socioculturelle, par la prise en compte des ressources cognitives dispo-
nibles et des conditions épistémologiques prévalant dans l’environne-
ment social particulier qui a motivé la construction de la notion de va-
riable complexe, regardée comme domaine autonome des mathéma-
tiques, et observée spécifiquement au moment où l’on cherche à étendre
la définition classique du logarithme des nombres positifs aux nombres
négatifs.
La question posée – à quoi peut bien être égal le logarithme d’un
nombre négatif ? – a engendré une profonde controverse durant quatre
décennies au XVIIIe siècle, mettant aux prises des mathématiciens aussi
importants que Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), Jean Bernoulli
(1667-1748), Leonhard Euler (1707-1783) et Jean le Rond d’Alembert
(1717-1783). Au moment des débats épistolaires entre Leibniz et Ber-
noulli (1712-1713), les logarithmes des nombres positifs étaient définis
140 Recherches en Didactique des Mathématiques
I. LE CADRE THÉORIQUE
L’étude didactique que nous avons développée se nourrit à diverses
sources. D’une part, en vue de localiser et d’analyser les conceptions
dominantes et les obstacles épistémologiques existants à cette époque2,
nous avons examiné l’origine des notions mathématiques concernées
par une exploration détaillée de la construction des logarithmes des
nombres négatifs au XVIIIe siècle. D’autre part, afin d’observer et d’ana-
lyser la manière dont les étudiants pensent, argumentent, négocient,
discutent et construisent leurs connaissances, nous avons conçu un
montage expérimental d’ingénierie didactique à développer avec l’aide
des professeurs et des étudiants.
Dans l’analyse des arguments produits par les étudiants en réponse
aux questions posées, nous avons tenté d’identifier les aspects relatifs à
la sensibilité à la contradiction et à la recherche de la cohérence à l’in-
térieur de l’appareil mathématique. C’est ainsi que, à propos des égalités
ln(x) = ln(–x) et πi = 0, nous avons observé comment la plupart des étu-
diants rejetaient l’identité de Bernoulli ou comment ils reconnaissaient
la possibilité d’accepter une construction plus sophistiquée telle celle
proposée par Euler à travers l’égalité ln(-1) = πi + 2nπ (où n parcourt les
entiers). Nous avons aussi mis en évidence l’importance du changement
de discours argumentatif chez les étudiants lorsqu’ils devaient défendre
leurs idées dans un débat avec le professeur : dans le cas particulier de la
définition de Bernoulli, nous avons ainsi examiné jusqu’à quel point les
étudiants acceptaient de travailler sous une hypothèse qui, dès le début,
leur paraissait douteuse, et tenté d’apprécier la qualité et la profondeur
des jugements émis. L’analyse des réponses, qui a ainsi porté sur les
arguments mathématiques et scolaires permettant aux étudiants d’accep-
ter, de réfuter ou de questionner les affirmations établies dans la séquen-
ce didactique, en faisant l’hypothèse d’un lien étroit entre les niveaux
d’argumentation et la sensibilité à la contradiction dans la situation mise
en place, a montré la variété et la richesse des discours argumentatifs
recueillis.
L’analyse historique peut partir des correspondances entre Leibniz
et Bernoulli (1712-1713), puis entre Bernoulli et Euler (de 1727 à
1729), qui révèlent la construction sociale du concept de logarithme,
processus dans lequel le débat, la justification, les croyances et les
critères de validité, entre autres, font apparaître l’activité mathémati-
que comme un fait de part en part humain et social. Les jugements de
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___________
théorie des proportions n’a aucun sens quand elle s’applique aux nom-
bres négatifs, puisqu’il est impossible de concevoir que quelque chose
de plus grand divisé par quelque chose de plus petit soit égal à quel-
que chose de plus petit divisé par quelque chose de plus grand... De la
même manière, pour prouver que le logarithme de la proportion –1/1
n’existe pas, Leibniz s’appuie à la fois sur la non-existence de ln(–1)
et sur l’égalité ln(–1/1) = ln(–1) – ln(1) = ln(–1) ; la discussion sur la
non-existence de ln(–1) se construit sur la base des propriétés des lo-
garithmes pour positifs :
« [... ]–1 n’a pas de logarithme réel puisque, d’une part, il ne peut pas
être positif car un logarithme positif est associé à un nombre plus
grand que 1 ; et d’autre part, il ne peut pas être négatif car un loga-
rithme négatif appartient à un nombre positif plus petit que 1, donc la
seule alternative possible c’est d’accepter que le logarithme de –1
n’est pas réel mais imaginaire. » (Cajori 1913)
L’extension aux nombres négatifs, précise encore Leiniz, aurait des
conséquences absurdes. « Si réellement le logarithme de –1 existait, sa
moitié serait le logarithme du nombre imaginaire –1, une conclusion
qui me semble absurde. »
Des arguments de ce type apparaissent dans les discours argu-
mentatifs des étudiants soumis à l’expérience didactique : comme
pour Leibniz, l’existence des logarithmes des nombres négatifs se
traduit pour ces étudiants par la conservation des propriétés établies
pour les nombres positifs. Il s’agit là, en quelque sorte, d’arguments
métamathématiques (ou plutôt culturels) qui conduisent à rechercher
une solution « plus proche de la nature », ainsi que le disait Leibniz.
Contrairement à Leibniz, Bernoulli propose de construire la courbe
logarithmique avec deux branches symétriques par rapport à l’axe y,
en s’appuyant pour cela sur des arguments ancrés dans la toute récente
théorie du calcul infinitésimal : d’une part, l’égalité dx/x = –dx/–x
conduit par intégration à l’égalité ln(x) = ln(–x) ; d’autre part, le
calcul, mathématiquement équivalent au précédent, des aires des deux
figures symétriques par rapport à l’origine des cordonnées que délimi-
te l’hyperbole équilatérale d’équation xy = 1 justifie la construction de
la courbe logarithmique comme représentant l’aire sous cette courbe.
On a souligné ailleurs (Cantoral et al. 1987) que la correspondance
Leibniz-Bernoulli était à bien des égards un dialogue de sourds : Ber-
noulli s’efforce d’étendre la définition du logarithme en supposant que
ln(n) = ln(–n) ; Leibniz, au contraire, refuse cette extension sans pro-
poser d’alternative, se bornant à signaler les contradictions générales de
l’extension suggérée par Bernoulli, tant du point de vue « philosophi-
que » qu’au plan mathématique. L’épisode participe d’une construction
strictement théorique, sans référence « empirique ». À cet égard, il
144 Recherches en Didactique des Mathématiques
___________
a2
[ln(cos θ + i sin θ ) − ln(cos θ − i sin θ )] =
4i
a 2 cos θ + i sin θ
ln .
4i cos θ − i sin θ
π π a2
Si θ = on obtient ainsi a 2 = ln( −1) et donc ln(–1) = πi.
2 4 4i
Mais précédemment nous avions obtenu ln(–1)=0, et on a donc πi = 0.
L’égalité précédente constitue-t-elle une contradiction ? Expliquez et
argumentez.
1. Peut-on dépasser ces contradictions ? Comment ?
2. Les contradictions obtenues apparaissent du fait qu’on a considéré
en même temps comme valides les égalités ln(–x) = ln(x) et
θ a 2 cos θ + i sin θ
a2 = ln . Réexaminez ces égalités.
2 4i cos θ − i sin θ
3. Si vous concluez que ln(–x) = ln(x) a été obtenue au moyen d’une
déduction incorrecte, considérez la fonction ƒ : → \{0}
ln( x ) x > 0
définie par x a f ( x ) = et répondez aux ques-
ln( − x ) x < 0
tions suivantes : a) la fonction ƒ est-elle bien définie ? b) ƒ est-
La sensibilité à la contradication 149
a2 x + iy
6. L’expression utilisée vers 1728 était en fait ln . Si l’on pose
4i x − iy
x = acosθ et y = asinθ, on obtient en effet :
a2 x + iy a2 cos θ + i sin θ a2
ln = ln = [ln(cosθ + isinθ) – ln(cosθ – isinθ)]
4i x − iy 4i cos θ − i sin θ 4i
a2 a2 a2 a2
= [ln(eiθ) – ln(e–iθ)] = [ln(eiθ) – ln(e-iθ)] = [iθ – (-iθ)] = (2iθ)
4i 4i 4i 4i
θ
= a2
2
150 Recherches en Didactique des Mathématiques
V. ANALYSE A POSTERIORI
Dans l’analyse des réponses et arguments des étudiants, notre atten-
tion s’est portée préférentiellement sur la relation entre sensibilité à la
contradiction et recherche de la cohérence mathématique, à propos no-
tamment de la façon dont la plupart des étudiants repoussaient l’iden-
tité donnée par Bernoulli mais, pour certains, reconnaissaient la possi-
bilité d’accepter une construction plus sophistiquée, telle celle propo-
sée par Euler (log(–1) = πi + 2nπ, n ∈ , en veillant chaque fois à abor-
La sensibilité à la contradication 151
Extrait 17
Professeur : Lorsque nous exposons le thème des logarithmes dans nos
cours, nous disons d’habitude – tout dépend du niveau de scolarité des
élèves – que si a et b sont des nombres positifs logab = N si aN = b, ou
bien que le logarithme est une fonction qui, à chaque x positif associe
x dt
∫ = ln(x). Dans les deux définitions on admet implicitement que le
l t
logarithme est applicable uniquement aux nombres positifs. Mais que
répondrions-nous si un élève demandait à quoi est égal le logarithme
d’un nombre négatif ? Pourquoi considérons-nous toujours uniquement
les nombres positifs ? Essayez de donner des réponses aux questions
précédentes sans éluder la question.
Manuel : Nous savons que les résultats seront donnés de la même
manière par un changement de signes, nous évitons donc les négatifs
qui, en général, sont le reflet des nombres positifs.
Patricia : Je pense qu’un nombre négatif n’a pas de logarithme. Le
fait de considérer uniquement les positifs, c’est parce qu’on peut avoir
des logarithmes à nombres positifs, alors que c’est impossible pour les
nombres négatifs.
Raymundo : Si on considérait les nombres négatifs, toute la théorie
changerait vu que les bases des logarithmes sont toujours des nombres
positifs et si b < 0, l’égalité aN = b n’est plus valable car aN > 0. Le fait
de considérer uniquement les positifs, c’est parce que la fonction
exponentielle est continue pour les positifs et discontinue pour les né-
gatifs car –aN = –b n’est pas toujours vrai lorsque N est pair ou impair.
Professeur : Quand tu parles de la fonction exponentielle, tu veux
dire aN = b ?
Raymundo : Oui.
Professeur : Pourquoi dis-tu que la fonction exponentielle est dis-
continue pour les négatifs ?
Raymundo : Elle est discontinue pour les négatifs du fait qu’elle n’est
pas définie pour ceux-ci.
Professeur : Mais pourquoi discontinue, peux-tu m’expliquer ça ?
Raymundo : Nous avons aN = b. Si nous changeons les signes, –aN =
–b, cette égalité n’est pas toujours vraie quand N est pair ou impair.
Professeur : Voyons un exemple : 23 = 8. Si nous changeons les si-
gnes, –23 = –8 est vrai, non ?
Raymundo : Je parle de –aN = –b comme (–a)N = –b.
Professeur : … alors cette égalité n’est pas vraie ? Pourquoi ?
Raymundo : Pas toujours, pour N pair non, car (–a)N > 0 et –b < 0,
par exemple (–2)2 ≠ –4.
___________
Extrait 2
Professeur : Lorsque nous exposons le thème des logarithmes dans
nos cours, fréquemment nous le faisons uniquement pour les nombres
positifs. Puisque la fonction logarithme est caractérisée principalement
par les identités ln(xy) = ln(x) + ln(y), ln(xm) = mln(x), on peut de
demander si ces égalités subsistent si on prend x et y < 0, c’est-à-dire
si l’on applique la fonction logarithme aux nombres négatifs.
Manuel : Elles restent valables car si ln(–x) = ln(x) et ln(–y) = ln(y),
alors ln[(–x)(–y)] = ln(–x) + ln(–y) et ln(–xm) = –mln(–x)...
Patricia : Elles ne sont plus valides... Par exemple ln[(–5)(3)]=ln(–5)
+ ln(3) et ln(–5) n’existe pas.
Raymundo : Elles ne sont plus valables car, comme je l’ai déjà dit, le
logarithme d’un nombre négatif n’est pas défini et ln[(–1)(–1)] = ln(–1)
+ ln(-1), c’est-à-dire, ln(1) = ln(–1) + ln(–1), c’est à dire, 0 = indéfini.
José Luis : Elles ne sont plus valables... ln(–x)m = mln(–x). Le premier
membre n’est pas valide pour m pair et le deuxième n’est valable dans
aucun cas.
Gustavo : Si les logarithmes des nombres négatifs ne se trouvent pas
dans notre univers de travail, nous ne pouvons pas considérer de telles
égalités.
Felix : Elles ne sont plus valables, par exemple ln[(e)(–1)] = ln(e) +
ln(-1). Mais la partie de droite n’est pas valable.
Raymundo : reprend la réponse de F.
Maria Eugenia : Elles ne sont pas valables si elles sont appliquées à
des nombres négatifs ln(–e)2 = 2ln(–e) = 2ln[(–1)(e)] = 2[ln(–1) + ln(e)]
= 2ln(-1) + 2ln(e) = 2ln(e) =2.
Professeur : Pourquoi tu utilises ln(–e)2 et ln(e)2 pour invalider les
propriétés des logarithmes pour les négatifs ?
Maria Eugenia : Parce que ln(–e)2 = ln(e)2 mais 2 ≠ 2ln(–1) +2, car
ln(–1) n’existe pas.
Horacio : On ne pourrait pas les trouver.
Tita : Les lois, avec les nombres négatifs, ne sont pas valables.
Professeur : Pourquoi elles ne sont pas valables ?
Tita : Parce que les logarithmes de nombres négatifs n’existent pas.
Antonia : Elles ne pourraient pas rester valables. Par exemple...
Leticia : Ça ne serait pas possible, car ces propriétés sont établies
pour les logarithmes de nombres positifs.
Tita : Je ne sais pas quoi dire, mais si c’était comme ça, les logarith-
mes seraient définis de la même manière, pour les positifs et les néga-
tifs. Cependant, on parle uniquement de nombres positifs.
dx − dx
Antonia : = , c’est vrai sur la base de la règle des signes, mais
x −x
ça ne veut pas dire que dx = –dx et x = –x. Alors au moment d’intégrer,
il y aurait ln(x) = ln(x) et non pas ln(x) = ln(–x).
Leticia : Silence. … Je ne sais pas... Peut-être il y a des erreurs que je
ne distingue pas.
Comme nous pouvons voir dans l’extrait précédent, les points de vues
sur l’acceptation d’un nouveau résultat en classe de mathématiques
sont différents.
Ces formes d’acceptation ne viennent pas de la logique interne de la
déduction mathématique, mais, au contraire, elles viennent d’une vraie
formation d’identités sociales des individus. C’est le cas des relations de
pouvoir traditionnel : professeur-étudiant ou bien professeur-texte. Les
situations de résistance se construisent à travers la négociation des signi-
fications dans le domaine scolaire.
L’acceptation ou la résistance viennent plutôt de l’interaction des
relations de pouvoir entre les participants à ce jeu du savoir. Dans cer-
tains cas, la résistance pour accepter l’extension de Bernoulli obéit à une
autre forme de relation de pouvoir qui pourrait s’expliquer par le rôle
que joue le livre en classe de mathématiques. La définition de loga-
rithme à nombre négatif n’était apparue dans aucun livre auquel les élè-
ves avaient eu accès.
Le critère de vérité ne vient pas de la discussion proprement, mais
d’une convention en train de se former.
5. Conflits entre l’acceptation scolaire et l’argument mathématique
Les deux questions qui suivent ont été posées aux étudiants qui
avaient fini par accepter, partiellement, que ln(x)=ln(-x). Elles ont été
conçues pour permettre aux étudiants d’imaginer un élève hypothé-
tique qui aurait accepté nos justifications. Dans l’expérience, les parti-
cipants sont des étudiants, futur professeurs, ils peuvent se projeter
dans l’interaction élève-professeur, même ils n’en ont pas véritable-
ment l’expérience.
Extrait 5
Professeur : Vos élèves seront d’accord? Et vous?
Manuel : Oui, car je verrai que les nombres négatifs sont le reflet des
nombres positifs. Par exemple, dans la droite numérique, chaque nom-
bre a son opposé.
Patricia : Oui, je serais satisfait, je croyais que l’on ne pouvait pas
avoir le logarithme d’un nombre négatif, mais finalement, si.
Raymundo : Peut-être que l’étudiant l’accepterait, mais moi, non. Il y
158 Recherches en Didactique des Mathématiques
CONCLUSION
Dans cette étude, nous avons voulu montrer que la sensibilité à la
contradiction des étudiants universitaires ne vient pas, ou pas seu-
lement, de la finesse avec laquelle on juge les procédés et les raison-
nements mathématiques. Des éléments propres au discours de l’envi-
ronnement scolaire et au discours mathématique scolaire interviennent
également. Les étudiants fondent leurs suppositions sur des situations
d’ordre culturel qui ne sont pas toujours partagés par tous ceux qui
participent au processus scolaire et qui, de plus, sont considérés par
160 Recherches en Didactique des Mathématiques
domaine numérique qui ne serait plus celui des nombres réels, même
si, comme nous l’avons vu, ils n’ont jamais proposé de travailler avec
les nombres complexes.
La deuxième catégorie d’étudiants, la plus nombreuse, contient
ceux qui refusent systématiquement d’admettre la possibilité de traiter
les logarithmes à nombres négatifs. Leurs arguments reposent sur le
fait que les logarithmes à nombres négatifs n’ont pas été définis, ou
bien qu’ils n’existent pas du tout. Les discours argumentatifs de ces
étudiants sont similaires aux explications données en classe : il ne peut
pas exister de nombre positif qui, élevé à une certaine puissance,
donne un nombre négatif. Ou alors, ils partent de la définition fré-
quemment donnée dans les livres dans laquelle on considère a et b
positifs pour montrer l’impossibilité de travailler avec des négatifs.
Dans la littérature specialisée et notamment dans la théorie des
situations de Brousseau (1990), on considère que le discours mathé-
matique scolaire est un type d’interaction fondé sur le contrat didacti-
que et sur les aspects socioépistémologiques du savoir mathématique
scolaire, c’est-à dire que les divers acteurs d’une interaction dans le
jeu didactique occupent des positions discursives différentes et dans
lesquelles certains usages sont valables et d’autres non. Même quand
le professeur est celui qui pose la question, les étudiants opposent une
résistance et ne l’accepte pas comme valable car elle n’a pas été pré-
sentée institutionnellement en classe et qu’on ne connaît pas de règles
appropriées pour les opérations.
La question : À quoi est égal le logarithme d’un nombre négatif ?
est un appel à la réflexion partagée, à l’exploration d’une affirmation
qui ouvre une incertitude car elle ne signale pas une voie d’action lo-
gique. Cette résistance a été mise en valeur dans la plupart des répon-
ses des étudiants.
Ce fait peut être expliqué dans la mesure où, même si le discours
scolaire est plein de questions, la plupart d’entre elles ont une fonction
pragmatique qui est loin des énoncés interrogatifs (dont les fonctions
sont plus quotidiennes).
Il s’agit de questions qui visent à contrôler, à mettre en évidence la
connaissance des interlocuteurs. Ces questions peuvent être posées
uniquement par celui qui enseigne de part la position qu’il occupe
dans l’institution et du rôle qu’il joue vis-à-vis du discours mathémati-
que scolaire. Ainsi, la métaphore: Que répondre si un élève demande à
quoi est égal le logarithme d’un nombre négatif ? ne reçoit pas d’inter-
prétation plausible pour les participants dans l’expérience.
Le discours mathématique, au contraire, permet les questions qui
ont une fonction pragmatique. Il s’agit de questions d’ordre théorique
dont la visée est de permettre la mise à jour d’une cohérence interne
162 Recherches en Didactique des Mathématiques
RÉFÉRENCES
ANNEXE 1
CORRESPONDANCE LEIBNIZ-BERNOULLI
(D’APRÈS CAJORI 1913)
CORRESPONDANCE EULER-BERNOULLI