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| Christopher HOGG Lg Eel (a anticrise Changer pour rétablir la confiance Préface de Laurent Maruani my DUNOD Im Copyright © 2012 Bunod. le pictogromme qui fi ceoontre dens st supérieur, vant une mie one emiconn "fon cb et bse Eu er ach bree do olerter le leckeur sur ka menace que revues, au point que la possiilié mme pour représente pour Vavenir de écrit, iar cuts de eer do coares partculgrement dons le domaine (DANGER) nouvelles et de les fire éciter com de edition technique et univers rectement et avjourd hui menage. tire, le développement massif du Nous rappelons donc que toute pillage, 1 partielle ou totale, le Code de la propriété intllec- de la présente publication est tuellc du 1% juillet 1992 interdit | LEPHITOGORLUME | inferdite sons outorisalion de en effet expressément Ic photoco- (TUE LELIVRE) auteur, de son éditeur ou du pie 8 usage collectif sons autori- Centre frangais d'exploitation du safion des aycnts droit. Or, cee prafique droit de copie (CFC, 20, nue des Yes pénéclée dans les Gblssemens GrondeAugunins, 75036 Pais) © Dunod, Paris, 2012 ISBN 978-2-10-058074-3 le Code de la propriété intellectuclle n‘autorisant, aux termes de l'article L. 122-5, 2° et 3° o}, d'une port, que les « copies ou reproductions siticiement réservées & lusoge privé du copiste el non destingas & une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les coustes citations dans un but d'exemple dillustrotion, « foule représentation au reproduction intégrale ou porielle faite sons |e consentement de l'auteur cu de ses ayants droll ou ayants cause est ilicite » fort. L. 1224). Cette représeniation au reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue. rait donc une contrefogon sonctionnée par les ariicles |. 3352 ef suivanis du Code de la propriété inellectuelle spoung Z7Oz 2 2ul 2012 Duroc. TABLE DES MATIERES Préface Introduction ou fwN Se doter d'une nouvelle vision socioéconomique Les principes d'une globalisation régulée Adapter les organisations et les stratégies Choisir le bon business modet Servir la création de valeur Manager avec responsabilité et éthique Conclusion Remerciements Index VII spoung Z7Oz 2 2ul Copyright © 2612 Dunod. PREFACE L notion de crise a chang¢ de srarut temporel. Elle était un mauvais fonctionnement passager de l'économie et appe- lait des solutions guidées par Etat : interventionnisme de croissance d’inspiration keynésienne ou, dl inverse, liberté don- née aux entieptises pour tétablir des foudamentaux equilibres sur des marchés, deux voies qui nourrissaient les délices écono- miques parlementaires et académiques. Désormais, la crise est partout et constamment. Elle s'est muée en une sorte de réfé- rence systématique. Elle guide non seulement nos comporte- ments de prudence mais surtout notre vision du monde. Et quand un pays se trouve étre en croissance prospére, on attend de savoir quelle crise l’atteindra. Nous vivons la crise de la crise. Pourtant cet ouvrage de Christopher Hogg n'est ni triste — il serait méme tonifiant — ni résigné — il serait plutét enthousias- mant — ni dénonciateur d'une idéologie qui serait la supposée source de tous les maux de crise. Par un mouvement assez inatcendu, ultime conseil, que le lecteur pourra noter & [a fin du livre, est que chacun garde son « intégrité personnelle », le manager « doit se respecter lui-méme en tant que sujet, avec sa propre complexité, qui va bien au-dela de son vile d'agent écono- mique ». Christopher Hogg sait de quoi il parle, car dirigeant d'entreprise, i] est professeur afhli¢é a HEC-Paris, Cette articulation qu'il propose, sur l’individu, est manifes- tement la clé que les responsables politiques et économiques ne yoient pas encore. Le raisonnement pour parvenir a cette conclusion est pourtant d’une grande clarté. En effet, si la crise Copyright © 2612 Dunod. Vill LE MANAGEK ANUCKISE, prend un statut de permanence, puisque tout a été essayé contre le chémage et la morosité frileuse sans parvenir 4 chan- ger la situation, alors, seul le changement qui passe par les indi- vidus est une solution envisageable. Le respect des personnes implique un élargissement de la vision er non un rétrécisse- ment sur Homo cconomicus en crise de discrédi Tout commence par le regard et la vision du monde socioéconomique, avant méme le verbe. Regarder avant de nommer, considérer les limites et les ruptures au lieu de ressas- ser des litanies usées ct impuissantes, estimer que les pourtours, Jes bornes conceptuelles et statistiques dont nous faisons notre langage sont a reconsidérer pour sculement espérer comprendre ce qui nous arrive. Le matériel et l’immatériel se confondent de plus en plus, symboliquement et effectivement : la liberté des pays de l'Est passe par la destruction physique du béton du Mur de Berlin, la menace de la spéculation financiére et celle de la pollution sont simultanées, notre corps physique est de plus en plus observé et consigné dans des bases numériques, voire dans des topologies comme le « cloud », done sans métriques et sans contréles possibles. Nous faisant avancer plus encore dans la liberté de penser le management, l’ouvrage nous désigne alors d’imperceptibles actifs, présents, quasi quotidiens, mais invisibles. Les mana- gers, faute de pouvoir les sentir et les désigner, les ignorent sou- vent lors de leurs prises de décision. Christopher Hogg nous les présente avec une simple efficacité. La théorie de l’agence nous aide & concevoir ces corps intermédiaires insoupconnés qui semblent nous dicter nos comportements. Le livre signale ensuite les dénivellations déterminantes issues de l’asymétrie de l'information, de la théorie des jeux et de l’aléa moral. Il nous aide a sortir de cette sphére stérile d’unc réflexion qui voudrait que [’Etat soit juste, car il est Pincarnation de la Copyright © 2612 Cunod. © Dumod. La reproduction non antoriséeest un délit Prétace 1X volonté du peuple et que le marché soit efficace, car il voit et sait tout. Le régulateur et le marché n’ont pas encore inventé conjointement la main invisible. Finalement, la prédation de Ja rente, substitut 4 Péquilibre vertueux, est la cause et la consé- quence de la crise. Le management anticrise doit donc aborder la réorientation des stratégies et des structures. Et pour cela, il faut faire le vide dans nos préjugés : les grandes entreprises peuvent couler en un instant, et seul Era peut les sauver quand le marché a quitté le navire. Nous aurions une sorte de capitalisme et d’éta- tisme d’exception qui se mettrait en place, comme la crise financiére de 2008 I'a bien exprimé, Mais les trés grandes entreprises sont elles aussi assez peu gérables, leur direction générale ne pouvant véritablement prendre que des décisions de ruptures (cessions, acquisitions, licenciements, implanta- tions) et approuver pratiquement tous les choix de leur tech- nostructure, en l’encadrant par un Comité des risques, lui-méme faisant l'objet en son sein dune gestion « régulée dallocation de capitaux, de moyens humains et de gestion de connaissances plus efficace que ne le serait un marché libre ». La crise de la firme révele sa faible mobilité. Ce qui se joue n’est donc plus uniquement, comme certains voudraient le croire désespérément, une allocation optimale dans un espace fluide, mais bien la captation des rentes, le contréle des accés, I’ établissement d’un oligopole de réseau, la capitalisation sur les marques et la propriété intellectuelle, la maitrise technologique et l’exclusivité de la relation client. Ce que nous observons sur le Web renforce et élargit cette clair- voyance. Si le modéle économique du profit ou du retour pour Tactionnaire reste une permanence, les business modeles se diversifient, s'adaptent et laissent au management anticrise les © 2012 Dunod., Copyrignt X LE MANAGER ANTICKISE coudées franches pour introduire des innovations. Mais leur succés, par diffusion, entrainera aussi l’amoindrissement de la rente d’exclusivité quelles procuraient au départ. Le modéle du « gratuit » en cst un exemple, car, par définition, il ne peut se généraliser sans transporter dans ses valises des modéles payants : « ,../e seul moyen de sortir de la dictature du présent, cest d étre capable de convier le futur, de le visualiser, de le repré- senter et de le raconter a ses salariés, ses fournisseurs, ses clients et bien sir ses actionnaires... ». Ces derniers verront les champs du marketing s'étendse & eux-mémes, et, en retour, « .../échange implique(ra] également un marketing des actionnaires vers les managers... ». Cest ainsi que non content d’affronter avec honneurs les difficultés de la crise, le manager créera de la valeur pour son entreprise, création non plus résultante finale des comptes, comme le profit, mais négociée 4 chaque instant de Ja chaine de valeur, faisant émerger des talents encore rares dans les firmes a structure de commandement hi¢rarchique. Nous rejoignons alors, 4 l’instar d’un fleuve Alphée qui reviendrait 4 une source aprés avoir été fleuve et mer, image de la connaissance qui réintégre les fondamentaux, la rive initiale de la réflexion éthique. Non pas une morale projetée et puni- tive, mais une volonté individuelle d’étre soi, cest-a-dire ni escroc manipulateur, ni cransgressif tricheur, ni cynique ou profiteur, ni suiveur ou lyncheur, ni défaillant ou far. La meilleure nouvelle de cet ouvrage, celle qui nous le fait lire passionnément tout du long, est bien la ; le manager anti- crise, avant toute solution technique, doit établir, partout, la confiance. C’est par elle que le pacte anticrise, si possible inter- national ec comprenant les pays émergents, passcra. Bien des regles de lAabitus, ensemble des régles sociales qui nous semblent aller d'elles-mémes dans une société donnée, y 2012 Duroc. Prétace = Xt compris la société managériale, sont 4 revoir & l’aune de la res- tauration de la confiance : accepter I’échee qui renforce, éviter T'arrogance du succés et la vanité des interviews d’autosatis- faction, se méfier de Pinstabilité qu’engendre le courtermisme généralisé, faire de la responsabilité sociale non pas une vanité publicitaire mais une valeur internalisée, ne plus laisser le col- lectif brider Pindividuel : « ... Attendre le retour de la croissance est vou & Véchec. Les problemes que nous avons devant nous ne seront pas résolus par les seules décisions d’institutions... C'est au manager de crise d'ugir sur son propre environnement pour sadap- ter & la nouvelle donne socioéconomique dans laquelle il évolue désormais, » Ka tristesse de la crise, Christopher Hogg substi- tue le bonheur d'une authenticité, d’une adéquation a la crise afin de l'éloigner de nous, individuellement et collectivement, avec justesse, pertinence et recevabilité. Laurent Maruant Professeus, coordinateur du Departement Marketing, HEC-Paris spoung Z7Oz 2 2ul © 2012 Dunod., Copyrignt INTRODUCTION L: crise de 2008 er 2009 est considérée par beaucoup comme la plus importante depuis la grande dépression de 1929, Début 2011, les marches boursiers semblaient pourtant avoir retrouvé une dynamique haussiére avec impression confuse que fa crise dit derritve eux. Cumumne aprts une wet péte violente, Porage était passé et le beau temps retrouvé, lais- sant tout de méme une accumulation impressionnante de dettes publiques. Ainsi, la croissance mondiale soutenue en grande partie par les pays émergents risquait de nouveau la sur- chauffe avec un retour des pressions inflationnistes sur les matigres premitres. Puis, subitement, & l’été 2011, nouvelle rechute due l'ampleur des dettes souveraines des pays déve- loppés, en particulier européens. Erymologiquement le mot « crise » vient du grec « Arisis » (décision, jugement) et relaie lidée d'un moment clef, char- niére, ott tout est passé au crible dans l’actente d’une décision. En latin, le mot « crisis » signifie « manifestation grave d’une maladie ». Aussi, si nous reconnaissons la violence de cette crise, nous devons également en conclure qu'elle est le signe soit d’une maladie grave, soit plus s{irement d’une mutation profonde de notre monde. En d’autres termes, nous devons la comprendre et ’analyser non seulement pour adapter nos comportements, mais aussi pour proposer de nouvelles idées et approches managériales qui tiennent compte de cette mutation. © 2012 Dunod. Copyrign: 2 LE MANAGER ANHICRISE Nous sommes nombreux 4 en étre conscients, mais qu’avons-nous pratiquement changé depuis la crise ? En tant que professeur affilié 4 lécole HEC, que dois-je dire 4 mes étu- diants sur ce sujet ? Quelle part de mon enseignement modi- fier ? Est-ce que nous véhiculons des principes er méthodes devenus caduques ou, pire, qui auraient pu favoriser cette crise ? Dans notre réle de dirigeant d’entreprise, nous constatons bien que les conditions de crédit se sont dégradées ou que les marchés monétaires ec de matitres premitres sont devenus extraordinairement nerveux et fluctuants. En quelques semaines durant l’été 2011, nous sommes ainsi passés d'un sentiment de post-crise, avec une perspective de retour & la croissance, a lidée d’étre de nouveau en pré-crise avec une récession qui s'annonce. Pour faire face & cette nou- velle donne, et éviter d’étre ballotté au gré d’une conjecture si imprévisible, que nous faut-il modifier dans nos analyses, dans notre vision stratégique ou dans nos pratiques managériales ? Lambition de cet ouvrage west pas seulement de chercher & nous donner des outils de pilotage et de management dans ce monde post- ou pré-crise, mais plus encore de dégager une cohérence d’ensemble. C’est un exercice délicat. I nous impose daborder en méme temps des domaines que souvent les livres d’économie ou de management traitent séparément. Un pre- mier enseignement de cette crise réside peut-étre 1a. A force daborder les sujets de fagon séparée, en faisant appel & des experts de chaque domaine, nous avons perdu une vision densemble et une compréhension de notre environnement socioéconomique. Or, un manager n’est pas un expert. Il se doit d’avoir une approche globale, une vision propre, et une ambition individuelle et collective. II doit étre conscient de la responsabilité sociale de son entreprise et étre guidé par son éthique personnelle. 2012 Dunod. int production non autoriséeese un 8 Introduction 3 Pour atteindre cet objectif et donner au manager cles clés de compréhension des stratégies et des types de management 4 mener face a la crise, nous détaillerons en six chapitres les prin- cipaux changements a opérer, comme autant de défis 4 relever pour chacun de nous. En conclusion, nous essaicrons de résumer cette réflexion en dix principes suivee par un manager anticrise. spoung Z7Oz 2 2ul Copyright © 2012 Dunod. SE DOTER D'UNE NOUVELLE VISION SOCIOECONOMIQUE vee la crise déclenchéc cn 2008-2009, Ie conscnsus d inspiration libérale s'est fissuré. Cette remise en ques- tion n/a pas été d’origine intellectuelle. Elle a été provoquée par une défaillance concréte du systéme financier. Comme toute pensée dominante, le néolibéralisme a empé- ché lexpression d’une pluralité salvatrice d'idées, avec des concepts aussi étranges que « la fin del’Histoire »'. Orl'extréme complexité de notre monde nous demande d’avoir de mul- tiples représentations idéologiques, suffisamment simples et compréhensibles, pour pouvoir s'y mouvoir avec un minimum daisance. II s'agit aujourd’hui de tirer avantage de cette remise en question afin de repenser notre environnement. En 1890, le Sherman Act visait & empécher les abus de positions dominantes et marquait le début du droit de la concurrence. Le régulateur américain n’a pas hésité A exiger le démantélemenc de la Standard Oil, le plus grand groupe pétrolier mondial, et fait prévaloir ainsi les intéréts des citoyens américains sur "homme qui était alors le plus riche de la planéte, John Davison Rockefeller. A l’époque, le libé- 1, Francis Fukuyama, La fin de Uhistoire et le dernier horwne, Champs Flarumarion, 1993. Copyright © 2612 Cunod. 6& LE MANAGE ANHCRISE talisme était une valeur politique que les pouvoirs publics imposaient aux marchés et aux puissants avec audace et sans atermoiement. Ces derniéres années, les néolibéraux avaient presque réussi 4 nous convaincre du contraire, & savoir que étaient les marchés et les puissants qui étaient les déposi- taires des valeurs libérales et qu’a ce titre il fallait éviter que les régulateurs ne les entravent. Cette décision de justice de la fin du xx siécle est donc tou- jours d’actualité. Elle oppose frontalement libéraux et néo- libéraux. D’aprés les néolibéraux, chantres du laisser-faire, la libre entreprise autorégulée devrait étre libre de toute contrainte imposée par les pouvoirs publics. En revanche, les libéraux clas- siques exigent une régulation pour que les libertés de tous puissent s’exprimer sans étre contraintes par les puissants et les renciers. Envisager les pensées « libérales » et « néolibérales » comme similaires et unifiées reléve d’une paresse intellectuelle certaine. Elles s opposent frontalement sur de trés nombreux sujets. Le mot « libéral » revét ainsi une consonance trés variable selon les pays et les sujets €voqués. En France, le libéralisme est associé & une approche de laisser-faire économique et & un capi- talisme agressif plucét marqué a droite, auquel on oppose le plus souvent le socialisme ou la social-démocratie. Dans nombre de pays anglo-saxons, étre libéral se référe en général & une mouvance a son apogée au XIX‘ sitcle qui préne la liberté de tous face aux puissants de toute nature. Elle se situe a gauche sur l’échiquier politique, au point qu étre appelé « /ibeval » aux Etats-Unis sous-entend que l’on est en fait un dangereux gau- chiste. Copyright © 2012 Dunod. © Dunod. La reproduction non aurorisée est un délit Se Goter d'une nouvelle vision socioéconomique = / LES LIMITES DU NEOLIBERALISME Une opportunité pour repenser notre environnement Un nouveau phénoméne doit nous amener 4 reconsidérer la compr¢hension de notre environnement socioéconomique : Tessor sans précédent des marchés émergents, Le cas de la Chine est intéressant. Il est acquis que le poids de ce pays, 4 la popu- lation d’un continent, va modifier trés forcement nos repré- sentations idéologiques dans un avenir proche. Pourtant, le syncrétisme de sa pensée actuelle, entre communisme, libé- ralisme et traditions millénaires, a été peu analysé. Il est cocasse de voir que les critiques sur le régime chinois oscillene toujours entre Je caracttre sauvage de son capitalisme et le caracttre totalitaire de son gouvernement : deux analyses issues du passé comme si aucune synthése n’avait été faite en Chine depuis. On peut aussi se laisser convaincre que croire & une idéo- logie politique ou économique est dénué d’importance. Cette affirmation est doublement trompeuse. Elle est hypocrite, car il existe bien des partis pris idéologiques entre les différents acteurs. Ne serait-ce que pour défendre leurs propres intéréts. Un débat est nécessaire. Mais surtout, il est impossible pour un manager de considéret que on peut faire abstraction d'une représentation idéologique du monde. Cela reviendeait & déci- der d’étre aveugle avec ses clients, ses fournisseurs, ses collabo- tateurs, bref avec l'ensemble de son environnement. Cette tentation se résume 4 décider de ne plus se représenter un monde devenu incomprehensible car trop complexe. Le résul- tat de cette posture est assez prédictible : un pilotage aveugle finic invariablement en crash. Copyright © 2012 Dunod. 8 LEMANAGER ANHCKISE Au contraire, il faut considérer la formidable opportunité de renouveaux idéologiques pour penser le monde et ses repré- sentations. Dans son livre : Le capitalisme est-il moral 2, Comte- Sponville distingue quatre ordres’ : — ordre technoscientifique (sphére de la nature et de |’écono- mique) ; — ordre juridico-politique (sphere du politique et du droit) ; — Tordre de la morale (sphére de la morale et de la justice) ; — ordre éthique (sphére de l'amour). Sa thése est de montrer que chaque ordre posséde sa logique autonome et que toute tentative d’un ordre de s'imposer & autre débouche soit sur l’'angélisme soit sur la barbarie. Le religieux qui serait tent d’expliquer par la foi les lois physiques de la nature ou les mécanismes d’allocation des capitaux est voué a un échec certain, Comme le dit Pascal, c'est ridicule, De méme, une idéologie technoscientifique qui essaierait de faire de la morale ou de la métaphysique déboucherait sur un maté- tialisme totalement inapproprié et dangereux. La barbarie de Tintégrisme religieux répond & Ja barbarie du marxisme ou du matérialisme. Ace titre, Comte-Sponville estime que le capitalisme, appar- tenant 4 Pordre technoscientifique, nest ni moral ni immoral, il est juste amoral, Si avoir une bonne réputation d’homme d'affaires est rémunérateur, cela signifie que c'est une bonne pra- tique, mais cela n’a rien & voir ayec de la morale. Les moralistes peuvent difficilement justifier de Pintérét de la verzu, car elle 1. Albin Michel, 2004 2, Tenajoure un cinquitme, le religicux ou métaphysique pour les croyants. Copyright © 2612 Cunod. © Dunod. La reproduction non autoriséeest un délit Se coter d'une nouvelle vision socioéconomique 3 serait profitable en business 4 long terme... Les deux ordres sont simplement disjoints. En revanche, un point de Panalyse de Comte-Sponville est plus critiquable. Son premier ordre confond deux sphéres pourtant & dissocier : le technoscientifique attaché aux lois de Ja nature et le socioéconomique attaché au fonctionnement des sociétés. L’étude économique et sociale des sociétés ne reléve pas des mémes principes que celle de la nature. D’un cété, les teprésentations de la nature, qui utilisent majoritairement les outils mathématiques, n’ont a priori pas d’influence sur Pobjet étudié. La théorie de Newton n’influence pas les lois de la balistique. En revanche, les représentations idéologiques du monde sociogconomique ne sont pas indépendantes de objet étudié. La valeur d'une mannaie dépend des théories moné- taires et des croyances qu’elles générent auprés des acteurs éco- nomiques. Comme le montre remarquablement bien George Soros', les modélisations financitres changent les fonctionnements des marchés, car une fois connues elles vont modifier les compor- tements des différents intervenants. Parfois, avec des effets redoutables de moutons de Panurge. La confiance dans les mécanismes économiques est ainsi une donnée endogéne et non une donnée exogéne. La derniére crise a bien moncré que Ja simple absence de confiance entre les opérateurs pouvait étre une cause massive de destruction de valeur. Un seul change- ment du regard porté peut ainsi modifier en profondeur la structure méme du tableau. Il y a interactivité entre le regard et le tableau. Ne pas faire cette distinction, c'est nier toutes les recherches en théorie des jeux et plus largement en théories économiques ces derniéres décennies. » George Soros, Le défi de argent, Plon, 1996. Copyright © 2012 Dunod. 10 LE MANAGEK ANJICIISE, Multiplier ses grilles de lecture Cette distinction des ordres est d’autant plus nécessaire qu'il sagit dans l’ordre socioéconomique d’abandonner toute illu- sion d’une approche monolithique donnant explication a tout. C’est la qu’intervient une deuxiéme exigence pour se repérer, la mobilisation simultanée de plusieurs paradigmes différents, popularisés par les idées dites postmodernes. Elle est utilisée par exemple en marketing pour expliquer les évolutions vers le marketing tribal ou le marketing du design. En schématisant, ily aurait trois représentations conceptuelles du monde: la tra- ditionnelle, la moderne et la postmoderne. La représentation traditionnelle a comme référent le village oti chacun se connait. Les comportements sont normés et les liens de solidarité trés forts. Les représentations idéologiques sont en grande pattie dictées par les traditions. C’est une société relativement prédictible dotée d’un degré de liberté et de déviance faible. La représentation moderne a comme référent la ville, ott cha- cun cherche 4 maximiser son utilité, Les comportements varient selon les besoins et les objectifs individuels. Les liens de solidarité sont distendus et compensés par des mécanismes sociaux. La liberté est forte et les représentations idéologiques sont essentiel- lement d’essence positiviste (le socioéconomique serait partie intégrante de l’ordre technoscientifique). C’est une société tationalisable par des fonctions d’utilité avec un réel degré de libercé inscrivant dans une rationalité utilitaire (la fameuse figure théorique de |’Homo economicus). La représentation postmoderne a comme référent des indi- vidus évoluant dans plusieurs tribus, plus ou moins disjointes, se retrouvant autour d’histoires communes, de centres d’inté- réts ou de communautés de risques. Les liens de solidarité sont Copyright © 2012 Dunod. © Dumod. La reproduction non antoriséeest un délit Se doter d'une nouvelie vision socioeconomque — i | socialisés dans des réseaux. Les libertés s'expriment de fagon polymorphe selon les tribus et ce, avec plus ou moins d’indé- pendances. Les représentations idéologiques varient et sont fondées sur une multitude de paradigmes en fonction des situa- tions et sujets abordés. Vidée du multiparadigme r’est plus de considérer qu’un paradigme scientifique ou social posstde une vérité immanente, mais qu'il est seulement plus ou moins per- tinent en fonction des objectifs recherchés. La théorie de Newton ne serait ni vraie ni fausse ; elle peut & Ia fois étre perti- nente en balistique et totalement inopérante en physique nucléaire. Devantlacomplexité des situations économiques ct sociales, la capacité & mobiliser plusieurs paradigmes socioéconomiques est une réelle force. Cela exige d’étre apte a juger la qualité de la représentation idéologique choisie et surtout sa pertinence. ‘Toutes les théories et représentations ne se valent pas. ll est trés probable que le talent de savoir choisir la bonne grille de lec- ture en fonction de la situation rencontrée et des objectifs poursuivis sera de plus en plus valorisé et recherché, Comme le montre Karl Popper, ’énoncé d'une théorie pour avoir un caractére scientifique se doit d’étre validé ou invalidé par l’expérience, par la confrontation au réel (Comte-Sponville appelle cela la sanction par le tamisage du possible ou de T'impossible). Or, les représentations sociogéconomiques sont beaucoup plus difficiles 4 confronter au réel, car elles modi- fient l'objet étudié et leur aspect interactif crée une instabilité itérative!. 1. Linstabilité itérative sera plus ou moins forte en fonction de la rapidité avec laquelle introduction du modéle va modifier le comportement des acteurs. Le modéle va perdre trés vite de sa pertinence et muter, car il altére Iui- méme les bases expérimentales sur lesquelles il s'est fonde initialement. Copyright © 2012 Dunod. 12 LEMANAGERK ANJICKISE, Une représentation socioéconomique n’a aucune yaleur en soi si elle n’est pas testée. Autrement, ce ne serait que simple spécularion inrellectuelle, intéressante, mais sans aucune valeur. Pour sortir de ce dilemme, il faut opter pour une approche pragmarique de type managérial. Une représentation socioéco- nomique nest pertinente que par rapport aux objectifs qu'on lui donne: pas d’immanence, pas de vérité, mais une pertinence temporaire qu'il faut sans cesse yérifier et remettre en cause. rant donné les enjeux économiques des dites représenta- tions socioéconomiques, en particulier sur le comportement des acteurs chargés d'optimiser allocation des ressources (& savoir les marchés financiers), il semble essentiel d’étre conscient a la fois de la précarité de ces représentations et de limpérieuse nécessité de sans cesse les tester pour s'assurer de leur pertinence, Linteractiviré entre le tableau et le regard rend l’ensemble en perpétuel mouvement. Comme le tableau change, il est néces- saire de tester réguliérement la pertinence de son regard et de changer périodiquement son angle de vision. C’est une chose de préner la pluralité des représentations idéologiques, il reste quill nous faut, de fagon non exhaustive, en répertorier au moins quelques-unes et les évaluer. HUIT LECTURES DU MONDE SOCIOECONOMIQUE Pour qu'une grille de lecture soit efficace, elle doit étre simple et comprehensible par un trés grand nombre. Pas de recherche dune pierre philosophale, mais la mise en evidence de quelques représentations plus ou moins pertinentes, en fonction des pro- blémes rencontrés et des objectifs recherchés. La huititme grille de lecture, le couple « liberté d’entreprendre » et « régulation » sera présentée de fagon plus détaillée dans le chapitre 2. Copyright © 2612 Cunod. © Dumod. La reproduction non autorisécest un délit Se doter dune nouvelie vision socioccanomique = 13 Le développement durable Cette représentation, qui s'appuic sur une analyse a la fois de ordre technoscientifique et de ordre politique, connait aujourd’hui un immense succés. Elle tire sa force de son syn- crétisme entre deux approches, l'une et Pautre a bout de souftle : la dynamique positiviste des progrés technologiques et Jes approches du club de Rome. Sil’un de ses pilicrs se désoli- darise de l'autre, alors cette représentation perdra une grande part de sa pertinence. Les idéologies d inspiration malthusienne, que l'on retrouve dans les recommandations du club de Rome au début des années 1970 avec la « croissance zéro », se sont révélées histori- quement plutéc défaillantes. Elles ont constamment sous- estimé les progrés rechnologiques et la capacité des sociétés & innover. Les rentes décroissantes des terres agricoles ont un fondement théorique, établi en son temps par Ricardo, mais en pratique elles ont été battues en bréche par les formidables progrés de la productivité du monde agraire. En partie inspi- rées d'un certain bon sens, les prévisions du club de Rome sont apparues rétrospectivement largement erronées voire risibles. En revanche, la mise 4 l’épreuve dans la durée de la produc- tion et de la consommation a non seulement mis une nouvelle contrainte environnementale positive mais aussi généré de nou- veaux défis aux progrés et 4 l'innovation technologique. II est pertinent de poser le temps et le respect de l'environnement comme une dimension d’évaluation nécessaire et indispensable aux progrés de nos sociérés. Il n’est qu’a noter le formidable dynamisme et l’effervescence créative de plusieurs secteurs éco- nomiques, dont celui majeur de l’énergie, pour valider la puis- sance du concept de développement durable. D’une certaine maniére, il a ouvert un champ des possibles aux progres et a la recherche. © 2012 Dunodl. Copyrignt 14 LE MANAGE ANIICRISE, Comme toute représentation socioéconomique, le concept de développement durable est lui aussi soumis au principe de réalité. Puisque le respect de l'environnement et le temps sont de nouvelles données, il s’agit de vérifier périodiquement que les contrainres et hypothéses pos¢es sont justifies et pertinentes. Le fait qu’une politique se méne dans la durée, différe son jugement dans le temps. Mais, cela ne l’absout aucunement d’une évalua- tion critique et contradictoire. Si tel n’était pas le cas, cela revien- drait a ajouter des cofits et des contraintes inuciles, voire nuisibles. Tin tour état de cause, il apparatc que Pidéologie du dévelop- pement durable est une grille de lecture dynamique et perti- nente dans de trés nombreux domaines, en particulier pour nous redonner une vision de long terme qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut. La question du réchauffement climatique est bien entendu centrale, et si les prévisions du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) se confirment, la crise de la dette souveraine que nous vivons aujourd’hui apparaitra bien mineure par rapport aux risques qui semblent s’accumuler devant nous. Le rattrapage des pays emergents Cette représentation est assez communément partagée. Fon- dée sur le principe d’égalité entre les hommes ct les femmes, elle considéte qu’a terme les richesses des nations devraient étre proportionnelles au nombre de citoyens, d’oii le fait que la Chine et I'Inde devraient devenir demain les nations les plus puissantes dans le monde (le concept de nation mérite cepen- dant unc analyse approfondie dans ce cas précis, la Chine et T'Inde étant plus comparables 4 un ensemble comme [Union européenne qu’a une simple nation), © Dunod. La reproduction non Se doter d'une nouvelle vision socioeconomique 15 Tableau 1.1 — Croissance des 15 premiers pays émergents Croissance 1995 | 2000 | 2005 | 2010 aaneane En milliards USD. sur 15 ans Chine 728 1198 225 5 879 14.9 % Venezuela be) 117 146 388 | 11.6% Inde 356 460 334 | 1729 | 11.1% Turquie 169 267 483 735 | 10.3% Russie 396 260 764 | 1480 | 9.2% Mexique 287 581 849 1040 9.0 Yo Iran 91 101 192 331_| 9.0% Indonésie 202 165 286 707 | 87% Pologne 139 171 304 469 8.4% Arabie saoudite 142 188 316 435 | __ 7.7% Brésil 769 645 382_| 2088 | 6.9% Afrique du Sud 151 133. 247 364 | 6.0% Corée du Sud 517 533 845 1014 4.6% Thailande 168 123 176 319 | 4.4% Argentine 258 284 183. 369 | 2.4% Total 15 pays émergents 4449 | 5227 | 8763 | 17345 | 9.5% %PIB mondial _| 17% | 16% | 19% | 28% | 5.9% %PIB Etats-Unis] 61% | 53% | 70% | 119% | 47% Source : World Bank National Accounts Data ; OECD National Accounts Data Files, Cette approche n’a pas montré une capacité prédictive trés forte au sitcle d lernier. Devant la croissance des pays émergents sur ces dernitres décennies, elle a regagné en crédibilité. Ainsi, Copyright © 2612 Dunod. 16 LE MANAGE ANIICRISE, de 2005 4 2010, le poids dans le PIB mondial des 15 premiers pays émergents est passé de 19 428 % (cf tableau 1.1). Il faut cependant adjoindre au poids démographique dautres facteurs pour expliquer un éventuel rattrapage. Les ultralibéraux expliquent que c'est gréce aux vertus du marché, mais cette explication est assez simpliste. II est probable que le facteur explicatif réside en grande partie dans le niveau d’édu- cation, couplé a une liberté « économique » pour transformer cette éducation en libérarion d’énergie. Le niveau d’éducation peut étre mesuré au moins sur deux aspects : le taux d’illetcrisme et la proportion de la population ayant accés A une éducation supérieure. Ace titre, il est pro- bable que I’Inde du Sud connaisse un rattrapage plus rapide et plus fort que Inde du Nord, ott les taux @illetcrisme restent beaucoup plus élevés. Quoi qu'il en soir, les pays émergents et en particulier la Chine ont réalisé d’énormes progrés ces der- nigres années, tant pour lutter contre [’illettrisme que pour augmenter le pourcentage de leur population ayant accés a des études supérieures. C’est indéniablement un des facteurs expli- catifs majeurs de leur croissance actuelle et plus globalement de la croissance mondiale (méme si la corrélation statistique est délicate & prouver en partie 4 cause des effets de décalage dans le temps entre mesures et effets). Ces politiques volontaires, tant publiques que privées, menées par les pays émergents et aussi par les pays de [OCDE, ont apporté des améliorations trés significatives si l'on en croit les chiffres publiés par "Unesco (tableaux 1.1 et 1.2). © Dunod. La reproduction non autoriséeest un délit Se doter d'une nouvelle vision socioéconomique is Tableau 1.2 — Taux diillettrisme depuis le début des années 1980. 1985-1994 | 1995-2004 | 2005-2008 | Aen % Asie de FOuest aCe, 52.7% | 41.2% | 381% | -14.6% Inde 51.8% 39.0 % 37.2% -14.6% pai 47.0% | 42.8% | 37.9% 9.1% subsaharienne Nigétia 44.6% | 452% | 39.4% 5.2% Pays arabes 4.4% | 32.9% | 27.6% | -16.8% Egypte 55.6% | 444% | 33.69 | 22.0% Amérique latine 15.0% 9.7 % 8.4% | 6.6% Brésil 25.4% 13.6% 10.0 % -15.4% Asie de Est 18.2% 8.5% 63% | -119% Chine 22.2% 9.1% 6.3% | -15.9% Europe centrale 4.1% 2.7% 2.4% | -1.7% et de Est (plus Turquie) Russie 2.0 % 0.6 % 0.5% “1.5% Turquie 24.0% | 208% | 113% | -127% Amérique du Nord | 1.3% 11% 1.0% | 03% et Europe de Ouest Source : National & Regional Literacy (personnes de plus de 15 ans), Unesco. Tableau 1.3 - Taux d’acceés aux études supérieures 1999-2000 | 2004-2005 | 2008-2009 | Aen % Afrique subsaharienne 4% 5% 6% 2% Nigéria 6% 9% 10 % 4% Asie de ’'Quest et du Sud 9% 10 % 12% 3% Inde 10% 11% 13% 3% Pays arabes 19% 20 % 21% ane Copyrig 18 LE MANAGER ANIICRISE rer Egypte ns 27% 28% ns Asie de PEst et Pacifique 14% 22% 25% 11% Chine 7% 18 % 23% 16 % Japon 45% 54% 58% 13 % Amérique latine 21% 29 % 38% 17% et Caraibes Brésil 14% 24% 34% 20 % Europe centrale et 38% 52% 64% 26 % de PEst (plus Turquie) Russie 51% | 70% 77% | 26% Turquie 22% 29 % 38% | 16% Amérique du Nord et 60 % 69 % 70% 10 % Europe de l'Ouest Etats-Unis 1% 81% 83% | 12% France 53% | 55% 55 % 2% Source : Gross Enrolment Ratio ISCED 5 and 6, Unesco. Cette représentation est encourageante et optimiste. Si ce rattrapage se confirme dans les décennies a venir, il en décou- era un changement important dans les équilibres mondiaux. La globalisation libérale Lintérét de la division internationale du travail a été démontré par Adam Smith dés le xvin’ sitcle. Ce principe s'est révelé exuré- mement efficace. Sa remise en cause lors de la grande crise de 1929 s'est soldée par un échec. II est reconnu aujourd'hui par une majorité d’économistes que le retour aux protectionnismes 4 T'époque a cu un effet dramatique en accentuant la récession. Cette vision est cependant mise en cause, notamment par lesaltermondialistes et tous ceux qui décrient les délocalisations. Laugmentation d'une main-d’ceuvre a la fois bon marché et Copyright © 2612 Cunod. © Dumod. La reproduction non antorisécest un délit Se doter dune nouvetie vision socioccanom:que iv qualifi¢e renforce dans un premier temps le capitaliste, qui voit sa part de captation de la valeur ajoutée grandir par rapport au travail. Certe globalisation a pour premier effet de changer le rapport de force avec le facteur travail, qui se trouve de facto en situation de faiblesse. Comme au xrx siécle, il est probable que cela puisse étre l'une des raisons majeures de la croissance récente des inégalités, en partie au profit du marchand et du capitaliste. Il est A noter que cette mutation sexplique essen- tiellement par un changement des circonstances et donc du rapport de force et non par un subit accroissement des talents de quelques-uns, ou par une politique fiscale qui serait deve- nue totalement inique. Dans le méme mouvement, le monde voit réapparaitre des Tycoon ou entreprises de trés grande taille en particulier dans les pays émergents. Dans le classement du Financial Times des dix plus grandes entreprises mondiales par capitalisation boursitre, en 2000, sept de ces entreprises étaient américaines, deux japonaises et une allemande. Cing ans plus tard, en 2005, huit étaient amé- ticaines, une britannique et une anglo-hollandaise. Fin 2010, quatre sont américaines, quatre sont chinoises, une brésilienne et une anglo-australienne. Parmi les 500 plus grandes firmes mondiales, au moins une centaine sont aujourd hui originaires de pays émergents. Cette analogie avec le capitalisme type xix‘ siécle s‘illustre également par le retour des trusts miniers ou industriels et la croissance trés forte de la classe des ultrariches. Si nous conti- nuons toutefois l’'analogie, nous devrions observer dans un second temps une montée en puissance des revendicarions des salariés et l’impérieuse nécessicé de réglementer les nouveaux trusts et leurs floriléges d’abus de positions dominantes. Cette tendance est visible, par exemple, dans la croissance récente du turnover des employés des industries trés intensives en main- © 2012 Dunod. Copyright 200 LE MANAGER ANIICRISE dceuvre, comme le textile en Chine, et dans l'augmentation concomitante des salaires de ce secteur. De méme, des lois anti- trust risquent de resurgir, malgré la difficulté de réglementer des entreprises transnationales. Le choc des civilisations Cette représentation a éré développée avec grand talent par Samucl Huntington dans son livre sur le choc des civilisa- tions’. Avec la chute du Mur de Berlin en 1989 et la fin des empires coloniaux, il estimait que les lignes de fraccures entre capitalisme et communisme ou entre impérialisme et anti- impérialisme étaient devenues caduques. Aprés ces grandes oppositions idéologiques qui ont marqué la seconde partie du xx* sitcle, la nouvelle ligne de partage du monde serait « civilisationnelle » avec le choc de huit grands ensembles : les civilisations chinoiscs, japonaises, hindoucs, islamiques, occi- dentales, latino-ameéricaines, africaines et orthodoxes. Sa thése S oppose a la représentation qui assimile la modernisation 4 une occidentalisation du monde et qui prévoit I’émergence d'une civilisation universelle ayant adopté par consensus l’idée de Pefficience de la démocratie libérale’. Pour quia un peu voyagé et négocié des contrats & travers le monde, il est tentant de partager l’analyse de Huntington sur la diversité du monde et de ses représentations’. Lexistence 1. Odile Jacob, 2007. 2. Ceite thase est en particulier soutenue par le concept de « fin de Histoire » développé par Fukuyama, 3. Testa noter que la diversité est aussi significative a lintérieur méme d'un pays. En France, on sait la différence entre un Chti et un Provencal, il en va de méme entre des Indiens de New Delhi et de Bangalore ou entre des Chi- nois de Schenzen, de Chengdu, de Shanghai ou de Quingdao. Copyright © 2012 Dunod. © Dumod. La reproduction non autorisécese un délit Se doter dune nouvelie vision sociceconomque = 2! dun consensus global débouchant sur une occidentalisation du monde apparait peu crédible et quelque peu absurde. Cette idée ne prend absolument pas en compte le pluralisme des visions qui existe 4 travers le monde et les sociétés. Cela étant dit, il n’est pas certain que Pidée du choc des civilisations soit une approche trés pertinente dans l’ordre sociogconomique. Elle serait plutét de l’ordre politique, voire morale et éthique. Crest sa force et sa limite. Elle génére méme un véritable risque de barbarie si les cenants de cette représentation en viennent & confondre les ordres, ce quils font déja en opposant, par exemple, religion islamique (ordre inétaphysique) ct capitalisine (ordre socioéconomique), ou pratiques séculaires morales (ordre de la morale) et libéralisme politique (ordre juridico- politique). La pluralité et le débat sont inhérents & chaque ordre tel que defini précédemment par Comte-Sponville. Toute ten- tative d’unifier ensemble dans un systéme unique reléve d'un intégrisme qui oscille entre le ridicule et malheureusement aussi la barbarie. Sortie du piége de l’intégrisme, cette représentation fondée sur une pluralité de civilisations peut aider 4 mieux comprendre les comportements des clients, collaborateurs, fournisseurs ou partenaires & travers le monde. La conscience de cette altérité, & savoir que autre ne partage pas forcément la méme vision, est indéniablement une force. Cela vaut aussi pour mieux comprendre [’hétérogénéité des mécanismes de « régulations économiques » des pays ou zones d’échanges’. Ensuite, le modéle est a affiner en fonction des objectifs techerchés. Si dans l’approche géopolitique dans laquelle se 1. Pour toute personne ayant pour ambition de faire des affaires en Chine, il est parfois essentiel de bien comprendre ces différences. A cet égard, lire Touvrage de Tim Clissold, Mr China, Comment perdre 450 millions de dollars & Pékin apres avoir fait fortune & Wall Street, éditions Saint-Simon, 2011. © 2012 Dunod. Copyright 2£ LE MANAGER ANIICRISE situe Huntington la division en huit ensembles peut étre rete- nue, il n’en est pas forcément de méme pour une politique d'entreprise. Il est ainsi peu pertinent de mener une politique marketing homogéne par ensemble, méme pour la civilisation occidentale. Les marchés européens et américains ne s'abordent pas de la méme fagon, Au scin de |'Europe, les approches glo- balisées, en particulier des groupes américains, ont souvent connu des échees cuisants en employant les mémes modéles de management en France, en Allemagne, en Gréce, en Espagne, ou en Hongrie. L'accélération de l'innovation Pour anticiper la croissance des innovations dans les années & venir, un bon indicateur est de connaitre le nombre et la prove- nance des étudiants qui ont mené des érudes supérieures ces dernitres années, Selon l'étude WET de P' Unesco’, il y acing ans en 2006, environ 7,6 millions d’étudiants au sein des pays de OCDE ont accédé & des études supérieures et 8,5 millions dans les pays émergents (tout au moins pour les 19 pays sujets de Pétude, hors Inde), chiffre que [’on peut porter & environ 10 millions d’écudiants si Pon ajoute /Inde. Le plus grand. nombre d’étudiants vient de Chine avec 2,8 millions pour ce seul pays, le deuxiéine demeurant les Etats-Unis. Certes, ce chiffre baisse nettement si l’on considére uniquement le niveau 6 de PISCED, qui se rapproche de la recherche universitaire. Il ren reste pas moins que jamais le monde n’a réuni autant de 1, WEI 2007 Report: Education Counts/Benchmarking in 19 WEI Countries (Argentine, Brésil, Chili, Chine, Egypte, Inde, Indonésie, Jamaique, Jordanie, Malaisic, Paraguay, Pérou, Philippines, Russie, Sri Lanka, Thailande, Tunisie, Uruguay et Zimbabwe). Copyright ¢ 2612 Cunad. © Dumod. La reproduction non auroriséeest 1 Se doter dune nouvelie vision socioccenomique = 23 personnes aussi bien formées que lors de ces cing dernitres années. Cette tendance va d’ailleurs en s’accentuant. A cet aspect purement quantitatif s'ajoutent les extraordi- naires progrés des technologies de l'information tant dans la gestion de la connaissance, grace aux bases de données, que dans le partage de cette connaissance & travers les différents réseaux qui proliftrent sur le Web. Il faut donc s’atrendre & une croissance sans précédent des connaissances et des innovations a travers le monde. Une large part de cette énergie nouvelle devrait étre mise au service du développement des pays émergents ou ceux, nem- breux encore, sous-développés. C'est déja largement le cas pour les grands pays émergents comme la Chine, I'Inde ou le Brésil. Pourtant, en méme temps que I’Unesco souligne la croissance quantitative des érudiants ayant suivi des études supérieures, elle estime qu'il devrait singuligrement manquer d’ingénieurs pour trouver les solutions techniques aux divers problémes du développement du continent africain. Il rest pas illusoire de penser que les révolutions technolo- giques des 50 prochaines années auront la méme ampleur (si ce arest plus) que celles connues depuis la fin du xvimsiécle. Peut- étre aurions-nous besoin de quelques Jules Verne supplémen- taires pour alimenter notre imaginaire et nous aider 8 mieux nous représenter ce futur. En cout état de cause, les « déclinistes » sous-estiment largement cette evolution. II va falloir aussi anti- ciper des ruptures technologiques rapides qui auront pour effet de créer de nouvelles rentes et richesses et également d’en détruire d'autres et ce, 8 un rythme élevé. Si une part considérable de cette explosion de connaissance devrait étre consacrée & la croissance matériclle des pays émergents, il est également 4 prévoir qu'elle alimentera tout autant une croissance immat¢riclle. Copyright © 2012 Dunod. 24 LE MANAGER ANIJICRISE Cetie représentation s'appuie sur les évolutions, dans les pays de lOCDE notamment, d’une économie dominée par la rareté de Poffre 4 unc économic dominéc par la rareté de la demande. Le passage du produit au service, puis a la proposition de valeur est essentiel. I marque une dématérialisacion de plus en plus importante des échanges de flux. Le produit ne devient plus qu'un support physique au service d’une fonction ou d’un usage. Pour plagier Magritte, ceci n’est pas une pomme. Un consommateur nachéte pas une pomme mais un en-cas, un apport nutritionnel sain, un complément de vitamines, un rat- tachement aux terroirs ou encore seulement un plaisir. Ce changement r’est pas simplement une justification des fabuleuses sommes investies dans les outils marketing et dans la communication. C’est simplement adapter sa grille de lec- ture & une réalité économique evidente : économie se déma- térialise. De [a méme facgon que la part du secteur primaire dans la valeur ajoutée produite par les différentes nations a décru de fagon drastique au sitcle dernier (et encore aujourd’hui dans de nombreux pays en voie de développe- ment), la valeur ajoutée produite par l'industrie et son corol- laire, la création d’ objets physiques, décroit de fagon rapide et continue au profit des services. IL est erroné de parler pour les pays de OCDE de sociétés matérialistes, alors que jamais le poids économique des pro- duits physiques n’a été aussi faible. I] s agit de consumérisme, non de matérialisme. La valeur s'est déplacée de fagon inéluc- table sur les services ct Pimmatéricl comme le montrent les tableaux 1.4 et 1.5. Copyrigh © Dunod. La reproduction non autoriséeest un délit Se doter d'une nouvelle vision socioéconomique = 25 Tableau 1.4 — Part de industrie dans la valeur ajoutée (PIB) des prin- cipaux pays de ‘OCDE et des BRIC 1970 1990 2008 Aen % France 35% 27% 20% -15 % Etats-Unis 34% 28 % 22% -12 % Royaume-Uni 43% 34% 24% -19 % Japon 44% 39% 29% -16 % Allemagne 48% 37% 30 % -18 % Brésil na 39% 27% -12.% Russie na 48% 36 % -12% Inde na. 27% 28 % 1% Chine na 41% 47% 6% Sources : OECD Factbook 2010 ; for BRIC country Worldbank sour Tableau 1.5 — Part relative des services dans la valeur aj ce starting 1990. joutée (PIB) des principaux pays de I'OCDE et des BRIC 1970 1990 2008 Aen % France 58% 69% 78% 20% Erats-Unis 62% 70% 77% 15 % Royaume-Uni 55% 64% 75% 21% Japon 50% 59% 70% 20 % Allemagne 49% 61% 69% 21% Brésil na 53% 67% 14% Russie na 35% 58% 23% Inde na 44% 54% 10% Chine na 32% 41% 9% Sources : OECD Factboole 2010 ; for BRIC country Worldbank source starting 1990, © 2012 Dunod. Copyrign: 26 LE MANAGER ANIICRISE, La frontitre entre marériel et immatériel est toutefois ténue. Un consommateur subjectivise tout objet et lui donne une valeur et un sens. De méme, la plupart des services ont des liens directs ou indirects avec une production matérielle. La plus grande partie de la valeur des nouvelles technologies de l'infor- mation est immatérielle, mais cette valeur pour se déployer repose également sur une production matérielle, ne serait-ce que pour construire les réseaux et les outils informatiques (hardware) a travers lesquels l'information transite. Les banques sont un service dont la majorité de la création de valeur est immatérielle, méme si une part de leur activité contribue aussi & financer des industries et réalisations mateérielles. Ainsi, les ser- vices financiers (plus de 21 % du PIB aux Etats-Unis en 2009) recouvrent les activités d’allocation des ressources (finance), de gestion des risques (assurances) et de management des actifs, pour une large part immobiliers. Une évolution notable de économie des services est la crois- sance trés forte de la socialisation de la valeur. Pour reprendre Aristote, [homme est un animal politique. Il n’y a aucune raison de croize que les perceptions de la valeur et des risques soient uniquement individuelles et non socialisées. Il existe une théorie économique qui est d’une grande pertinence pour se représenter ces mécanismes de socialisation, ce sont les effets de club. Les effers de club s’appuient sur une étude ancienne de l’économie des télécoms reposant sur un principe de base : la valeur du ser- vice est directement tributaire du nombre et de Ia qualité des clients qui ont souscrit au dit service. En tour état de cause, la croissance de l'économie immaté- tielle nécessite de repenser nos représentations, que cela soit pour les services ou pour les technologies de l'information. Nous reviendrons sur ce point au chapitre 4 sur comment choi- sir un business model adapté dans un monde post-crise. Copyright © 2612 Cunod. © Dunod. La reproduction non aurorisécest un délit Se doter dune nouvelie vision socioccanomque —Z/ Les nouvelles frontiéres du corps Léconomie de la santé est paradoxale. C’est un secteur qui a connu des progrés urs significatifs ces dernitres années avec unc baisse de la mortalité, unc haussc de l’espérance de vie ct de nouveaux champs de recherches trés prometteurs comme en génétique. D’un autre coté, les dépenses de santé aug- mentent a un rythme soutenu dans tous les pays. Les problémes de financement et de déficit publics sont chroniques et vont saccentuant. Le vieillissement de la population et ’importance croissante accordée A la santé, au corps et au bien-étre ne devraient pas réduire cette tension dans les années 4 venir. Tl est paradoxal de chercher & diminuer les déficits publics et la part des dépenses de l’Etat, et de constater dans le mame temps que la santé et l'éducation sont des biens supérieurs. Plus une société s’enrichit, plus la part des dépenses dans I’éduca- tion et la santé devra croftre au détriment d’autres jugées plus secondaires. Aussi, si nos sociétés continuent de croitre, ce qui est 4 espérer, les parts de dépenses d’éducation et de santé devront croitre plus vite, proportionnellement au reste de l'économie, avec le risque d’accentuer la part des dépenses publiques dans le PIB et avec les déficits budgétaires. La solu- tion alternative pour contenir cette hausse serait de privatiser une part de ces dépenses, ce qui semble étre la voie suivie aujourd’hui par de nombreux pays développés. Or, nous savons que l’économie de la santé fonctionne de fagon tres dégradée sans une régulation publique trés stricte. Il peut étre envisagé de diminuer la part des dépenses publiques mais 4 la condition de la définition Pune politique de santé forte et innovante. Le secteur de la santé plus que tout autre a besoin d'une redéfini- tion de ses modéles économiques en conciliant« liberté d’entre- prendre » et « régulation », et ce pour éviter deux écueils : une Copyright ¢ 2612 Cunad. 28° LE MANAGER ANIICRISE économie administrée trop peu efficace et un marché libre inefficient et injuste. Nous assistons aussi ces dernitres années 8 de nombreux débats éthiques, que cela soit dans les secteurs de la gynéco- logie, de la génétique, ou de l’extréme vieillesse. La santé, tout en étant dans le champ socioéconomique, est trés particulitre car elle agit sur le sujet lui-méme. Linteraction entre le modéle et la réalité, évoquée plus haur, est encore plus forte que dans tout autre domaine. Reprenons les modéles utilitaristes comment un individu donné peut-il évaluer Putilité d’années supplémentaires de vie, d'une mémoire non altérée, Pun bien- étre physique, alors que ce sont des facteurs vitaux et essentiels pour lui, ne serait-ce que pour étre physiquement et intellec- tuellement apte & mesurer cette utilité ? Si nous reprenons l’analyse de Comre-Sponville, la confu- sion des ordres devient de fait inévitable. Les ordres politique, moral voire éthique ne peuvent érre exclus des arbitrages portés sur le secteur socioéconomique de la santé. Tl n’existe plus de mesures totalement objectivables du type tamisage par le pos- sible ou l'impossible, Nous ne pouvons pas nous contenter de juger de la pertinence des politiques de la santé par la seule éva- luation des résultats obtenus par rapport a des objectifs fixés a Tavance, puisque la santé modifie les individus et le corps social qui les définissent. Cela pose une question essentielle 4 nos sociétés. Nous pou- vons imaginer en partic les progrés technologiques de I’écono- mie immatérielle et matérielle comme un facteur exogéne qui nous est extérieur. Les progrés futurs et prévisibles des sciences médicales, nous modifiant dans notre intimité corporelle la plus profonde, sont eux beaucoup plus délicats 4 imaginer. Les progtés médicaux qui ont permis la chute drastique de Ja mortalité infantile ont modifié en profondeur nos sociétés, Copyright © 2012 Bunod. luctian non anrorisécest un délit Se doter dune nouvelie vision sociaeconomque = 29 pas simplement dans le rapport parents/enfants mais aussi avec la révolution démographique qui a bouleversé les équilibres sociaux. Uaccroissement de Pespérance de vie a changé tout autant notre structure démographique que notre rapport & la mort er nos besoins existentiels qui en découlent. La contra- ception a changé radicalement les rapports entre les femmes et Jes hommes non seulement en changeant les structures fami- liales mais plus largement dans le rapport méme a V’intégrité corporelle, au désir ct au plaisir. Il en va de méme de fagon plus générale avec les progrés de la gynécologie qui ont déplacé le débat de la sphére scientifique & des débats éthiques et poli- tiques. Linnovation médicale est par nature en interactivité avec notre intimité la plus profonde. Deux constats s'imposent : — comme pour l’ensemble des études supérieures, le nombre @hommes et de femmes ceuvrant dans la recherche médi- cale dans le monde est en trés forte croissance. En toute logique, saufa observer une chute drastique de leur produc- tivité, cela devrait entrainer une explosion des progrés et innovations dans le secteur de la santé, comme nous le constatons aujourd’hui dans le secteur des hautes techno- logies ; — chaque progrés médical posstde en lui-méme, d'une maniére ou d’une autre, une capacité 4 modifier en profon- deur le corps, le sujet et par extension la société dans son ensemble. Il faut donc raisonnablement s’attendre a des évolutions en profondeur des sociétés et des modes de représentations. Il n'y aqu’a regarder les débats posés aujourd’hui par le clonage pour appréhender les changements potentiels futurs. Dans ce domainc, un affrontement classique et ancien oppose « traditionalistes », attachés A préserver la société et le Copyrignt © 2612 Dune, 300 LE MANAGER ANIICRISE corps dans ces représentations socioéconomiques mais aussi politiques, morales et éthiques, et « progressistes », attachés aux progres « scientifiques et médicaux » sans forcément appréhen- der comment il va modifier en profondeur nos sociétés. Peut- étre qu’a l'instar de l'idéologie du « développement durable » une représentation idéologique syncrétique devra les concilier dans une nouvelle dynamique. Lidée de cette section était d’exposer de fagon non exhaus- tive plusieurs représentations du monde, chacune avec un potenticl idéologique certain. Elles semblent assez stimulantes pour sortir un étac de Séthargie fondé sur un consensus néo- libéral, finalement assez mou. II serait extrémement risqué pour le manager de ne se concentrer que sur la performance & court terme de son entreprise pour faire face a la récession, sans essayer de comprendre les changements mis en évidence par chacune de ces représentations. C'est & lui d’en faire une syn- thése en choisissant, en fonction de ses objectifs et de sa propre situation, de porter une plus grande attention A une approche plutét qu’a une autre. AJUSTER LES MODELES MACROECONOMIQUES Une littérature abondante est consacrée depuis 2008 aux rai- sons de la défaillance des marches financiers. Les auteurs, le plus souvent des économistes ou des financiers, proposent avec talent des actions correctives et des principes 4 suivre pour évi- ter qu'une telle crise ne se reproduise. Le propos n’est pas dajouter une analyse supplémentaire, il est de proposer quelques pistes pour repenser nos modélisations économiques, et ce, quels que soient les outils utilisés dans nos différents méticrs. Copyright © 2612 Dunod. © Dumod. La reproduction non antorisécest un délit Se dotcr dune nouvclie vision socioecanomique 31 L’enjeu des dettes publiques Avant de regarder la pertinence des modeéles, il faut considé- rer Paccroissement historique, tant des volumes que de la nature des dettes souveraines. Les Etats ont dé intervenir avec une ampleur rarement égalée pour atteindre, avec succts dans un premier temps, deux objectifs primordiaux : — restaurer la confiance dans les marchés, ct par extension dans l'économie générale, en renflouant de grandes entre- prises privées et en offrant des garanties publiques aux acteurs financiers privés, — éviter une récession économique majeure en réinjectant dans l’économie réelle des sommes trés importantes pour soutenir la croissance et se substituer temporairement aux investissements privés en chute libre, Ce double mouvement ayant lieu dans un contexte de baisse des recettes fiscales a vu une croissance sans précédent du niveau des dettes des pays de OCDE, tant en valeur absolue que relative, comme le montre la figure 1.1. La dette des seules administrations centrales aux Etats-Unis est ainsi passée de 5 & 9 mille milliards de dollars entre 2007 et 2010, une hausse de pres de 80 %! En moyenne, les pays de ! OCDE ont vu en quatre ans leur dette augmenter de 29 % de PIB, +24 % pour la zone euro et + 39 % pour les Etats-Unis. Si nous regardons ce niveau en valeur relative le niveau d’endettement en passant de 73 % a 102 % a crit de 40 % pour l'OCDE et de 63 % pour les Etats- Unis. En temps de paix, il ne semble pas que nous ayons connu pareil précédent historique. Cetre accélérarion sur quatre ans ne peut pas s’expliquer seulement par des politiques de laxismes budgétaires sur les précédentes décennies. C’est un fait lié pour une grande partie a la gestion de la crise elle-méme. LE MANAGEK ANIICKISE 32 4090.1 ap shed sa] suep gid NP % Ua auIeJANOs onap e] ap assneH ~ 171 aaNBig ‘eomoree be ane rae RETIN soi LLOZ U8 id OP % US EHEP | Ep Splod HO. ve YOST YOO %OBL %O9t WOVE %OZE WOOL %0B, %09 Yr WOE #0 | [ *ons® 2 7 aa 2 Zo0z sindep gid ai) 01 Ua ayap ej ap % OZ ap assney ? dr * 2002 sindap gid Sale} Sep ay] (% 09) 149lNSeey op LLO? 18 L002 S1JUS Sep e| Bp soueSsiOsD Copyright © 2612 Dunod. © Dumod, La reproduction non aurorisécest un Se doter dune nouvelie vision socioccanomique = 3.3 Notons qu'il y a des pays ott la dette a cra de fagon extréme- ment force comme ’Espagne, les Etats-Unis ou, plus critique, I'Trlande, mais qui avaient avant la crise une dette relative plu- tot modérée. D’autres ont subi une augmentation de leur dette, en ayant un niveau d’enderrement déja erés fort avant la crise comme I’Iralie, le Portugal et bien sfir la Gréce. En rout état de cause, cette hausse de la dette en moins de quatre ans des principaux pays de TOCDE va avoir une conséquence sur ensemble de nos modélisations économiques. Un symptéme actuel de ce chambardement est la grande nervosicé des marchés. Echouanc & bien évaluer la situation actuelle et & la modéliser, les marchés subissent d’importantes variations sur la valeur des actifs mais aussi sur les monnaies et sur les taux d’intérét accordés aux créances publiques et privées. De telles variations sont bien une preuve que les acteurs écono- miques ont la plus grande difficulté & se repérer. Is oscillent entre des arbitrages & tres court terme au gré des annonces des uns et des autres, et une analyse au contraire 4 trés long terme en reprenant des s¢ries statistiques sur de grandes durées pour pou- voir faire des comparaisons et essayer d’en tirer quelques ensei- gnements. Le consensus des économistes est que la situation a drastiquement changé. Nous conservons cependant lidée erro- née que les modéles d’avant crise vont redevenir opérants avec le retour de la croissance... Nous sommes entrés dans une zone dincertitude en trans- férant un risque réel, porté par des acteurs privés, vers un autre risque réel porté par les Etats et les contribuables. De la méme fagon que la confiance entre les acteurs privés a été & deux doigts de disparaitre a la fin 2008, il faudra s’assurer que les poids des dettes publiques ne deviennent pas insupportables pour les contribuables. Elles pourraient créer de nouveau une crise fatale de confiance dans les monnaies et par la méme dans le systeme © 2012 Dunod.. Copyrignt 34 LE MANAGEK ANIICRISE, financier. Une rescruccuration des dettes publiques auprés de créanciers privés peut étre salutaire (en particulier les engage- ments repris par les Etats pendant la crise, soit par nationali- sation ou par garantie). Les marchés ont d’ailleurs en partie anticipé une telle restructuration A travers les taux auxquels les dettes souveraines ont été négociées. La restructuration de la dette grecque et le FSE mis en place a Tété 2011 et confirmé lors du Sommer européen du 26 octobre procéde de ce mouvement. La confiance dans les Erats européens étant ébranlée, il a fallu asseoir la confiance des créanciers sur Tultime cempart en Europe, la signature de Allemagne. Le sys- t&me financier mondial repose désormais sur les Etats-Unis ct PAllemagne. Encore faut-il que les pays émergents, et en parti- culier la Chine, continuent de soutenir l’édifice. D’un autre céré, sila confiance revenait, comme elle a sem- blé Ic faire de fagon fugace début 2011, les taux d’intérét faibles favoriseraient une injection forte de liquidités sur les marchés. Cette augmentation des liquidités couplée avec la croissance des pays émergents serait alors un vecteur d’une tension infla- tionniste. Celle-ci du point de vue du contribuable, si elle res- tait modérée, pourrait étre en partie souhaitable pour alléger Jes niveaux relatifs d’endettement. Encore faut-il savoir comment Pinflation déformerait les prix, avec un risque réel d’augmentation des prix des biens de premiére nécessité, accen- tuant les inégalités et fragilisant encore les solidarités natio- nales, comme nous l'avons observé dans les pays arabes au premier semestre 2011. A quelle échelle raisonner Les modéles macroéconomiques classiques prennent le plus souvent comme référent une entité géographique définie. Cela semble tout a fait pertinent puisque la plupart des politiques © 2012 Dunod., Copyrignt Se doter d'une nouvelle vision sociaéconomique = 35 économiques sont 4 priori menées au niveau de la nation. Quand Ja nation devient une zone comme [Union curo- péenne, les synthéses par nation deviennent plus délicates. A Vinverse, pour les Etats-Unis, faut-il se focaliser seulement sur les finances fédérales ou aussi sur les situations de chacun des Etats de l'Union. La dette californienne locale et gouverne- mentale représenterait ainsi prés de 400 milliards de dollars en 2011), soit un peu moins de 20 % du PIB de la Californie’, Le sujet est également pertinent sil’on étudie des pays-continents comme la Chine ou !’Inde, ott les écarts de développements par Erats sont trés importants et ott les problématiques d’aménage- ments du territoire sont d'une complexité inouie. Il existe enfin plusieurs entités géographiques ot |’entité Nation est encore en cours de constitution ou peu opérante si jamais elle le devient comme en Afrique. Sil’on regarde de fagon pragmatique le sujet, la pierre angu- laire est de savoir ce que les citoyens ont décidé de risquer soli- dairement @ la fois en termes de défense, de régulations et bien stir de dettes. Pour cela, il faut une conscience de solidarité dans les peines et les succés, solidarité qui peut étre mise grave- ment en danger par l’accroissement des inégalités tant en période de dynamique économique que de crise. Le discours quelque peu démagogique sur les bonus des banquiers gexplique en partie par la conscience des politiques que ce lien est aujourd’hui 4 risque. La croissance des inégalités dans les pays développés ou cn développement n’est pas pourtant le 1, Usgovernmentspending.com 2. La comparaison avec la Gréce est de fait délicate, car le PIB de la Californie est nettement supérieur (prés de 6 fois plus en valeur). D'un autre céré, cee dette sajoute a la dette fédérale ainéricaine pour les con:ribuables californiens, Copyright © 2012 Dunod. 36 LE MANAGEK ANIICKISE seul facteur explicatif de la dilution relative du sentiment des citoyens de partager un risque commun. La globalisation ne se limite pas 4 un phénomine favorisant Je commerce international et la croissance mondiale. Elle modi- ficles structures préexistantes ct les fait muter. Les mutualisations des risques et des opportunités ne sont plus & regatder unique- ment par zones géographiques mais aussi par secteurs écono- miques ou par réseaux @intéréts transnationaux. Les grands groupes internationaux choisissent ainsi souvent des organisa- tions matricielles conjuguant la dimension géographique avec une dimension sectorielle ou produit. En fonction des enjeux et des évolutions, la dominante est alternativement la zone géogra- phique, la ligne de produits ou le secteur d’activité économique. La conséquence concréte est que sur un méme territoire des salariés peuvent faire face & une crise majeure d'un secteur et leurs voisins connaitre une croissance forte. On peut entendre parler de la crise et en méme temps étre dans une belle dyna- mique d’enrichissement personnel et vice versa. Les secteurs miniers ou sidérurgiques devant le déclin de économie maté- rielle dans les pays développés ont connu une crise aigué avec plusieurs grands plans de restructurations. .. avant de connaitre de nouveau une croissance trés forte soutenue par le moteur puissant de la croissance des pays émergents. Les solidarités peuvent ainsi étre géographiques ou secto- tielles. La crise de 2008 a déburé non comme une crise identi- fide d'une zone géographique 4 l’exemple de la crise asiatique de la fin des années 1990, mais bien comme une crise d’un sec- teur vital a l'économie, le secteur bancaire. Les barométres et les régularions cenrrés sur les nations ou les zones géogra- phiques n’ont pas été d’une grande pertinence pour anticiper la crise. En revanche, la gestion de la crise a remis sur le devant de la sctne le pouvoir des Erats et les solidarités des contribuables © 2012 Dunod., Copyrignt © Dnod, La reproduction non anrorisécese un Se doter dune nouvelie vision socioccanomique 3 / de zones géographiques identifiées. La question de la légitimicé de cette solidarité mérite d’étre posée. Elle donne un éclairage positif & la pertinence des recommandations du FMI d’établir une réserve financée par le secteur bancaire (a travers une taxe) pour couvrir ses propres risques. Une des conséquences directes de la crise a été la montée en puissance des coordinations i nationales, avec le G20 et le début d’une volonté de régulations transnationales a minima par secteur économique (comme avec Bale 3 pour le secteur bancaire). Il s’agit de veiller & ce que cela soit fait non seulement a travers une forme d’autorégula- tion des acteurs cux-mémes, mais aussi sur la supervision des nations partiellement impactées par ces crises. ter- En paralléle, des solidarités de réseaux sociaux transna- tionaux se sont mises en place. Elles sont moins évidentes & observer en dehors des forums 2 forte exposition médiatique comme Davos ou divers clubs internationaux. II peut exister une communauté d’intéréts, et peut-étre plus encore une proxi- mité sociale, entre les classes les plus fortunées de différents pays pour, par exemple, optimiser leurs positions du point de vue fiscal. Elles sont souvent plus mobiles et ont l’avantage de savoir bien mieux naviguer au niveau transnational grace 4 des conseils avisés. Une nation peut connaitre une crise et voir dans le méme temps sa partie la plus fortunée s‘enrichir fortement. Cela peut créer 4 terme un risque pour le maincien de la solida- rité nationale. Cette solidarité de réscaux peut aussi prendre la forme de communautés d’intéréts par métiers comme des cher- cheurs ou des sportifs. Pour importante quelle reste, la nation n'est plus le seul référent de Panalyse macroéconomique nonobstant la puis- sance des outils de régulations dont elle dispose. Tl esc néces- saire de perfectionner nos outils d’analyses et de régulations transnationaux cant par secceurs économiques (a minima ceux Copyright © 2612 Cunod. 38° LE MANAGE ANIICRISE, qui sont stratégiques pour I’économie mondiale) que par réscaux sociaux. res internationaux La mutation des équi Nous avons tendance 4 analyser un changement & l’aune de notre environnement existant, en sous-estimant les consé- quences mutagtnes que le changement provoquesur ensemble de notre systéme. Nous retrouvons la problématique de l'inter- activité entre le regard et le tableau. Pour observer le change- ment nous devons le faire & partir de notre position initiale avec nos modeéles existants validés par l’expérience. En méme temps, nous savons que ce changement va modifier nos modeles et que ces derniers vont devenir, pour une part, caducs. Théoriquement un changement ne remplace pas l'état précé- dent, il le fait muter en profondeur. Prenons un exemple simple et de fagon récurrente 4 l'agenda du G20, la réforme du systtme monétaire. Nous savons que économie repose pour une grande part sur la confiance que nous avons dans une monnaie, le dollar. Mise 4 part peut-érre la zone euro, quia connu de fortes turbulences en 2011, etle Japon, ensemble des pays doivent constituer, pour soutenir leur mon- naie et leur économie, une réserve de changes constituée essen- tiellement par des dollars. Le dollar étant la principale monnaie utilisée dans le commerce international, cette réserve de changes ne peut se faire qu’a travers des excédents commerciaux. Comme par nature la somme des excédents et des déficits commerciaux de tous les pays doit étre nulle, il faut bien que certains pays soient déficitaires, et en particulier celui qui émet les dollars, & savoir les Etats-Unis, En d'autres termes, si les Etats-Unis avaient de fagon pérenne une balance excédentaire, cela heurterait les réserves de change des autres pays et créerait une perte de 2012 Duroc. production non a Se Goter d'une nouvelie vision sociaeconomique = 39 confiance sur leur propre monnaie et un risque de crise moné- taire couplée 4 de inflation. Ce raisonnement était largement justifié par le poids prédominant de I’économie américaine. La croissance des pays émergents — en particulier de la Chine, de]'Inde et dans une moindre mesure du Brésil — devrait 4 moyen terme faire baisser la valeur relative du poids de |’éco- nomie américaine. De facto, étalon dollar pourrait étre remis en cause. Si cela était le cas, ensemble du systéme monétaire et ses équilibres seraient A rebatir avec un risque systémique non négligeable de perte de repéres et de confiance de l’ensemble des acteurs dans la valeur des monnaies. Or une geande partie de la croissance mondiale est fondée sur la confiance d’avoir une valeur partagée, un dénominateur commun : le dollar. Ce point de passage peut donc se faire avec plus ou moins de vio- lence. La coordination de la Chine et des Etats-Unis sera pro- bablement un élément clé du processus. Il reste & savoir si la crise quia secoué si fortement le monde financier est un catalyseur d'un changement du systeme monétaire, ou sil faut s'arrendre a d'autres mouvements tec- toniques dans les prochaines années qui révéleront de fagon encore plus forte la nécessité de ce changement. En tout état de cause, il faudra du temps avant que l’ensemble des acteurs économiques aient la méme confiance dans le yuan que dans Je dollar. © 2012 Dunod., Copyrignt 2 LES PRINCIPES D'UNE GLOBALISATION REGULEE la suite de la crise, et du constat de faillite de 'autorégu- lation des marchés, un nouveau consensus semble voir le jour chez les économistes, avec la nécessité d’instaurer une régulation globalisée déclinge par région économique (Etats- Unis, Union européenne, Chine...). Elle peut se formuler de Ja fagon suivante. Orchestrer un environnement socioéconomique, en concurrence imparfaite, régi par un moteur puissant : le couple « libereé d’entreprendre » et « régulation » pour favoriser trois grands objectifs : — un assainissement des marchés financiers pour sauvegarder la confiance des intervenants économiques dans la monnaic et la société ouverte ; — un développement durable pour le plus grand nombre ; — une croissance des libertés et des connaissances. Le terme « concurrence imparfaite » est impropre. II laisse & penser qu’en corrigeant la concurrence de ces défauts, nous pourrions revenir & existence d’un marché pur et parfait, capable de générer les équilibres optimaux pour notre société. Le modéle de l’équilibre général en concurrence pure et par- faite n’est pourtant pas une représentation pertinente de notre monde socioéconomique. II n’existe pas de monde platonicien © 2012 Dunod. Copyrign: © Dumod. La reproduction non autoriséeesr na délit Les princtipes d'une gtobailsaton réguiée = 4! ott le marché serait virtuellement parfait. La régulation ne peut pas s’entendre comme une série de mesures correctives. Elle ne se juge pas de facon théorique mais en fonction de latteinte d’objectifs. La dynamique vient del interaction entre la liberté d’entreprendre (en concurrence imparfaite) et Pefti- cacité et la souplesse des régulations qui permettent 4 cette der- niére de fonctionner. La grande nouveauté de cette régulation est d’étre aujourd’ hui globalisée. Elle exige un renforcement du corpus législatif, comme avec les nouvelles lois de régulation financitre votées en 2010 par Ie Congrés & Washington, mais aussi [intervention d’organes internationaux tel que le FMI. Le rapport Stiglitz’ publié en 2010 nous donne unc analyse trts pertinente de la situation et des besoins de régulation des marchés. Il insiste sur la nécessité de favoriser les politiques contre-cycliques et d’éviter les aggravations des crises par les comportements procycliques des marchés. Une importante littérature traite de la « concurrence impar- faite », riche de plusicurs prix Nobel comme Spence, Stiglitz, Akerlof, Williamson, Nash ou Krugman. Elle montre avec talent les limites @’un marché laissé au seul libre arbitre de ses acteurs privés. Si celui-ci n'est pas sournis 4 une régulation pour le proréger, ses dysfonctionnements peuvent avoir des effets dévastateurs comme l'avilissement des prix et de la qualiré, la création de pouvoirs économiques contre-productifs, ou encore la destruction de la confiance entre les acteurs et la chute concomitante des marches. 1. Joseph E. Stiglice, Le rapport Sriglira : pour une vraie réforme du systéme moné- taire ot financier international, éditions Les Liens qui libérent, sep- tembre 2010. © 2012 Dunod.. Copyriant 42 LE MANAGER ANIICRISE Les défis soulevés par une régulation globalisée ne relévent pas seulement des institutions internationales. Nous y sommes confrontés trés souvent au scin de nos entreprises, et nous devons a chaque fois trouver les outils pour les gérer au mieux. LE COUPLE « LIBERTE D’ENTREPRENDRE » ET « REGULATION » Il est intéressant de regarder quelques raisons des défaillances des marchés, comme les abus de position dominante, l’asymé- trie d'information, les problémes inhérents 4 Ja théorie de Tagence, les dégits liés 4 Paléa moral, les équilibres sous- optimaux en théorie des jeux, les rentes « réglementées ». Pouvoir de marché et abus de position dominante Reprenons ici l’avis des libéraux américains qui motiva & T'époque le Sherman Act déja évoqué plus haut : « Si nous refusons qu'un roi gouverne notre pays, nous ne pou- vons accepter qu'un roi gouverne notre production, nos trans- ports ou la vente de nos produits. » Le premier cas abondamment traité dans les ouvrages éco- nomiques est 'existence de monopoles naturels, ott Pexistence d'un scul opérateur serait conomiquement plus efficiente que den avoir plusieurs. Ces cas existent et il s'agit de développer un certain nombre de techniques pour éviter qu un acteur privé capte cette position de monopole naturel et en abuse pour maximiser son propre profit au détriment du bien-étre social. Le contréle peut érre fait 2 ravers des établissements publics, un contréle des prix, un systéme de concession qu'il soit privé ou public, ou un cahier des charges de services Copyright © 2012 Dunod. © Dunod. La reproduction non aurorisécest un délit Les princtpes d'une globaisation réguiée 43 Une forme dérivée est l'existence d’un oligopole avec un nombre limité d’acteurs débouchant sur des risques d’ententes tacites ou implicites (les fameux cartels). I] est d’ailleurs inté- ressant que les analystes financiers valorisent les firmes qui ont réussi 4 étre dans de relles positions, étant certains qu'une cap- tation d’un surprofic est alors possible (on appelle cela surperformer). Cela signifie implicitement une anticipation d'une défaillance du régulateur pour empécher un abus de position dominante. Le laisser-faire a une probabilité forte d’engendrer des abus de positions dominantes avec clairement des gagnants et des perdants. Pour autant la nationalisation de tout monopole naturel peut aussi écre synonyme d’inefficacité, II n’en reste pas moins que la mise en évidence des éventuelles inefficacités d'une administration publique ne peut en aucun cas étre un prétexte pour favoriser une captation privée des rentes. Au contraire, elle exige la mise en place d'institutions de régula- tions fortes et impartiales avec un contréle démocratique. Nous retrouvons ces situations dans de nombreuses industries de réseaux comme les télécoms, le transport ferroviaire, la dis- tribution d’énergie comme le gaz, la distribution de P’eau ou encore les industries 4 trés forte intensité capitalistique comme le nucléaire. La nouveauté vient de l’extension de la définition du marché pertinent, que cela soit au niveau européen, ou de fagon plus large avec la globalisation. Cette intemationalisation incite sou- vent les régulateurs locaux a favoriser l’entreprise qui a son centre de décision sur son territoire, en relachant ses contraintes réglementaires. Cette tentation vient de Phypothése, Ja plus souvent erronée, que le surprofit profitera 4 son propre terri- toire, Comme le font les Etats-Unis, il est souhaitable que la régulation s'applique aux territoires de consommation, et non Copyright © 2012 Dunod. 44 LE MANAGEK ANIICKISE de production, pour continuer de défendre les consommateurs contre les abus de positions dominantes. Quoi qu'il en soit, une uniformisation des régulations au niveau international est pré- férable & la mise en place de nouvelles formes de barritres doua- niéres, pour éviter que certains profitent de leurs positions pour fausser le jeu de la concurrence. Asymeétrie d'information et théorie du signal Les effets négatifs de Pasymétrie @informarion ont été mis en évidence depuis longtemps par les économistes. Si une infor- mation est connue seulement du vendeur et non du client, et quil mexiste pas de moyen de révéler cette information au client, il existe un risque fort que les marchés s‘effondrent. Lexemple théorique développé par Akerlof" est celui du mar- ché des voitures d’occasions, oi si seul le vendeur connait le défaut de sa voiture, le prix de marché s’effondrera ne permet- tant que la vente des voitures avec défaut. En effet, si le prix est fixé sur la moyenne, les propriétaires de bonnes voitures ne seront pas incités 4 les vendre. En revanche, les propriétaires de mauvaises voitures verront l’opportunité de faire un surprofit et inonderont le marché qui ne proposera ainsi que de mau- vaises voitures entrainant alors un effondrement des prix... Pour éviter que les mauvais produits ne chassent les bons, il existe une série de réglementations publiques rout comme des mécanismes de signalement de la qualité. Ces mécanismes relévent de [a théorie du signal que les hommes de marketing ont largement contribué & développer. Cela peut se faire grace 1, George Akerlof, «The Market for “Lemons” : Quality Uncertainty and the Market Mechanism », Quarterly Journal of Economics, vol. 84, no 3, 1970. © 2012 Dunod.. Copyrignt E i a £ Q 5 4 g & 4 3 i a Les princtpes d'une globaiisation réguiée 45 a des garanties qui ne sont rentables que si l'information est juste (cas de la voiture d’occasion) ou grace a l’existence de marques qui signalent la réputation de l’offreur. Elles ont une valeur construite sur des années de dépenses publicitaires. Plus elles ont été importantes, plus l’offreur est incité a éviter toute tromperie. S’il trompe son client, la valeur de sa marque seffondre. Le scandale Enron a ainsi fait disparaitre le nom « Arthur Andersen », Pune des plus belles marques du service aux entreprises. Lautorégulation reste toutefois fragile. Les logiques de ren- tabiliré peuvent amener des entreprises & favoriser un profit court terme au détriment de la crédibilité a long terme de leurs marques. Des hommes engageant leur employeur peuvent valoriser leur profit personnel au détriment de la réputation de leur entreprise. C’est d’une certaine fagon ce que certaines ins- titutions financiéres ont vécu en perdant beaucoup de leur cré- dibilité, par manque de contrdle de ce qui a été fait et dit en deur nom par quelques-uns de leurs collaborateurs. Enfin, il existe de nombreux secteurs ot, méme 4 moyen terme, le client ne peut juger des effets négatifs des asymétries dinformations. C'est le cas de la relation entre un médecin et son patient. Le médecin posséde sur le patient des informa- tions qui ne sont pas directement accessibles a ce dernier. Si la relation médecin/patient était purement commerciale et si Tobjectif du médecin était uniquement la maximisation de son profit, ce dernier pourrait utiliser cette asymétrie d’informa- tions pour surprescrire et augmenter de facon indue ses reve- nus. Lautorégulation rest pas suffisante et doit étre complérée par une régulation pilotée par des autorités publiques, a travers des agences de santé ou des comités de déontologie. Les agences de santé ou les comités de déontologie engagent a leur cour leur répuration qui est mise aussi 3 |’épreuve des Copyright 2612 Dunod. 46 LE MANAGER ANIJICRISE faits. Laffaire du Mediator a nui non seulement aux labora- toires Servier mais également 4 l'image de l’agence frangaise du meédicament (I’Afssaps). Pour éviter une défaillance des mar- chés a cause des asymétries d'information, il faut que les clients puissent repérer une source, publique ou privée, 4 laquelle faire confiance pour leur révéler une information fiable. Ainsi, la mise en cause & Wall Street de la SEC (Securities and Exchange Commission), 4 la fois dans l’affaire Madoff et surtout avec les subprimes, a été critique pour la pérennité méme des marchés, 4 un moment oi il existait plus beaucoup de sources dans les- quelles les investisseurs pouvaient avoir confiance. Le Dodd- Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act de 2010 a notamment pour objectif de restaurer la confiance dans Je fonctionnement des marches en renforgant la SEC et les autres agences de régulation. Les difficultés relevées par fa théorie de l'agence La théorie de [’agence reléve d’un raisonnement similaire. Cest un vieux probléme qui date des relations entre propriétaires terriens et métayers, et que l'on tetrouve de fagon aigué dans la relation actionnaire/manager, ou plus récemment sur les mar- chés financiers dans Ja relation investisseuc/intermédiaire. Le mandataire, qu'il soit cadre dirigeant ou intermédiaire finan- cier, peut érre amené & tirer profit d’une asymétrie d’informa- tions de la méme fagon que dans la relation médecin/patient pour donner priorité & ses propres intéréts au décriment de ceux de son client. Il faut donc trouver un contrat qui conjugue deux qualités : permettre aux mandants d’avoir accés en trans- parence aux informations détenues par le mandataire et inciter le mandataire & avoir un objectif en ligne avec Pobjectif du mandant.

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