XXXVI NOUVELLE POESIE NBGRE ET M1 Directeur, vous ne laissex pas conduire votre automobile, si vous fen avez tne, par vos enfants. ‘On ne peut concilier plus élégamment christianisme et colo nialisme. Contre les sophismes, le noir, par le simple approfon- issement de sa mémoire d'ancien esclave, affirme que le douleur est le lot des hommes et qu'elle n'en est pas moins imméritée, Tl rejate avec horreur le marasme chrétien, la volupté morose, Thucilité masochiste et toutes les invites tendancieuses & la rési- ination ; i vit le foit absurde de la souffrance dans se pureté, Jans son injustice ot dans sa gratuité et il y découvre cate vérité néconnue ou masquée par le christianisme : 1a souffrance com- porte en elleeméme son propre refus ; elle est par essence refus ae souittir, elle est la foce d'ambre de la négativité, ele s'ourre ‘Sar la révolte et sur 10 liberté, Du coup il s'historialise dans la nesure of Mintuition de la souffrance lui confere un passé col- Teetif et lui assigns un but dons Cavenir. Tout & Mheure encore it fait pur surgissement présent dinstincts immémoriaux, pure manifestation de Ta fécondité universelle et ternelle. Voict wil interplle ses fréres de couleur en un tout autre langoge * « Nagee colporteur de révolte ‘tu connais les chemins du monde depuis que tu fas vendu en Guinée...» «ing sidcles vous ont vu les armes & la mai fet vous aver appris aux races exploitantes Ja passion de la liberté. » Déja ity « une Goste noire : Pabord Page dor de Afrique, puis Dire de la dispersion et de la captivité, puis Véeeil de Ta conscience, les temps hérofques et sombres des grandes révoltes, de Toussaint Louverture et des héros noirs, puts le fait de Vabo- lition de Pesclavage — « inoubliable métamorphose », dit Césaire — puis la lutte pour la libération définitive, « Vous attendes le prochain appel Yinévitable mobilisation car votre guerre & vous na connu que des tréves ‘car jl n'est pas de terre ol n’ait coulé ton sang de langue oft ta couleur n’ait été insultée JEAN-PAUL SARTRE ‘Vous souriez, Black Boy, vous chanter, ‘vous dances, ‘vous hercez les générations qui montent toutes les heures sur les fronts du travail et de Ia peine qui monteront demain a Passat des bastilles vers les bastions de 'avenir pour écrire dans toutes les langues aux pages claires de tous les ciels Ia déclaration de tes droits méconmus depuis plus de cing siécles... » Etrange ot décsifvirage + la race s'est transmuée en bisto- i le Present noir explose ot ve temporaise, la Négrtude Sinsive avec son Passé ef son Avenir dans U'Histoire Univer: sal, ce n'est plus un état_ni mdme une atitude existent est un Devenir; Papport noir dans Vévalution de THumanité, te mest plus une saveur, un gott, un rythme, une authenticity tin Bouguet instincts primis = c'est une enteprse. da tine patiente construction, un futur. Crest au nom des qualits cthniques que le Noir, tout @ Theure, revendiguait sa place a soleil; & présent, cest sur sa mission qu'il fonde son droit 8a vie ot cete mission, tout comme celle du proliarit, hi vient de sa situation historique : parce qu'il ay plus que tous les autres, souffer de Pexploitation capitalise, ia acquis, plus que tous les autres, le sens dela révote et Tamour de la liberté. Et parce qu'il est le plus opprimé, c'est la libération de tous qu'il Doursuit nécessairement, Torsqw'il travaille & sa propre déi- « Noir messager espoir tu connais tous Tes chants du monde depuis coux des chantiers immémoriaux du Nil.»x NOUVELLE PoMSIE NEGRE ET MALCACHE qw'd coincider avec histoire entiére de UHumanité ; tantat c'est tune attitude existentelle et tantét Pensemble objectif des traditions négro-africaines. Est-ce qu’on la décousre ? esi-ee qu'on la erée ? Apris tout, il est des noirs qui « collaborent » ; eprés tout, Senghor, dans les notices dont il a fait précéder les awures de chaque poite, semble distinguer des degrés dans la Négritude. Celui qui sen fait Vannonciateur auprés de ses frires de couleur les invite--il @ so faire toujours plus négres, ou bien, par une sorte de psycha- nalyse postique, leur dévoile-il ce qu'ils sont ? Estelle nécessité ou liberté ? S'agit-il, pour le nigre cuthentique, que ses conduites écoulent de son essence comme les conséquences découlent d'un principe, ou bien eston ndgre comme le fidéle d'une religion est croyant, c'est-d-dire dans la crainte et le tremblement, dans Van- goisse, dans le remords perpétuel de n’étre jamais asses ce qu'on voudrait étre? Estece une donnée de fait ox une valeur ? Liobjet une intuition empirique ou d'un concept moral? Este une conquéte de la réflexion ? Ow si la réflexion Tempoisonne ? Si elle n'est jamais authentique que dans Pirréfléchi et dans Pim- médiat ? Est-ce une explication systématique de Péme noire ou lun Archétype platonicien qu'on peut indéfiniment approcher sans jamais y atteindre ? Est-ce pour les noirs, comme notre on sens d'ingénieurs, In chose du monde la mieux partagée ? Ou descendeelle en certains comme une grace et choisitelle ses lus ? Sans doute répondra-t-on qu’slle est tout cela & la fois et jen d'autres choses encore. Et jen demeure d'accord : comme toutes les notions anthropologiques, a Négritude est un chatoie- ment dare et de devoir-tte ; elle vous fait et vous la faites : serment et passion, @ la fois. Mais il y a plus grave : le nigre, nous Favons dit, se erée un racisme antiraciste. I ne souhaite rnullement dominer le monde : il veut Vabolition des priv ethniques doi qu'ils viennent ; il ofirme sa solidarité avec les opprimés de toute couleur. Du coup la notion subjective, exis- tentielle, ethnique de négritude « passe », comme dit Hegel, dans celle — objective, positive, exacto— de prolétariat. « Pour Césaire, dit Senghor, le « Blane » symbolise le capital, comme le Nogre le travail... A travers les hommes & peau noire de sa race, cest Wa tutte du prolétariat mondial qu'il chante. » Crest facile & dire, moins facile a penser. Et, sans doute, ce n'est pas par hasard que les chantres les plus ardents de la Négritude sont en meme temps des militants marzistes. Mais cela n'empéche que la JEAN-PAUL SARTRE xu nation de race ne se recoupe pas avec celle de classe : celle-la est concrite et particuliére, celle-ci universelle et abstraite; Pune ressortit & ce que Jaspers nomme compréhension et Pautre @ Vintelletion ; Ia. premiére est le produit d'un syncrétisme psycho-biologique et Vautre est une construction méthodique & Partir de Vexpérience. En fait, la Négritude apparait comme le temps faible Pune progression dialectique : Pafirmation théo ique et pratique de la suprématie du blanc est la thise ; la pos tion de la Négritude comme valeur antithétique est le moment de ta négativité. Mais ce moment négatif n'a pas de sufisance ar dui-méme et les noirs qui en usent le savent fort bien ; ils savent qu'il vise a préparer la synthise ou réalisation de Thue ‘main dans une société sans races, Ainsi la Négritude est pour se déiruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin derniére. Dans le moment que les Orphées noirs embrassent Te plus étroitement cette Eurydice, ils sentent qu'elle s'6canouit ‘entre leurs bras. C'est un poime de Jacques Roumain, commu- niste noir, qui fournit sur cette nouvelle ambiguité le plus émou- vont témoignage : « Afrique j'ai gardé ta mémoire Afrique tw es en moi Comme V'écharde dans la blessure comme un fétiche tutélaire au centre du village fais de moi la pierre de ta froude de ma bouche les lévres de ta plaie de mes genoux les colonnes brisées de ton abaissement pourtant Je ne veux étre que de votre race ‘ouvriers paysans de tous les pays. » Avec quelle tristesse il retient encore un moment ce qu'il decide Pabandonner | Avec quelle ferté d'homme il ira dépouiller our les autres hommes sa fierté de négre ! Celué qui dit & la fois que T'Afrique est en lui « comme Vécharde dans la blessure », qu'il ne veut étre que de la race universelle des opprimés, celui: Ja n'a pas quitté Pempire de la conscience malheureuse. Un pas de plus et la Négritude va disparattre tout & fait : ce qui ‘ait le bouillonnement ancestral et mystirieux dis sang noir, le nagre lui-méme en fait un accident géographique, le produit inconsistant du déterminisme universel :