Amadou
Hampaté Ba
Il n’y a pas
| de petite querelle
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a aLa querelle des deux Iézards
ou
Iin’y a pas de petite querelle
‘Au temps oi les eréatures de'la terre se compre~
naient encore entre elles, un chef de famille ai
yivait dans un petit village, au sein d'une contrée
fertile. Sa ville mere était encore auprés de lui.
Dans le vaste enclos familial qu’entouraient les
cases des différents membres de la maisonnée,
plusieurs animaux, parmi lesquels un chien, un coq,
un bouc, un beuf et un cheval, déambulaient en
liberté.
Un jour, dans un village situé a environ deux jours
de marche, un vieillard, réputé pour sa sagesse, vint &
mourir. Le chef de famille fut obligé de s'absenter
pour se rendre a ses funérailles, en compagnie de
quelques autres habitants du village.
‘ rituellement la tombe de la vieille
maman. Celle-ci est enfin inhumée selon les régles, avec
‘tous les honneurs dus a son rang et a son age. On fait
rotir le reste de la viande pour nourrir les visiteurs,
et on porte au chien une bonne part de chair et d’os..
Quarante jours aprés le décés, moment oit I'ame
des défunts est censée se libérer des derniers liens qui
la retiennent encore dans le monde terrestre, des gens
arrivent de tous les villages avoisinants pour partici-
per & la grande cérémonie du « quarantiéme jour »
Pour nourrir tout ce monde, le chef de famille est
obligé de sacrifier le boeuf. Avant de mourir, celui-ci
lance au chien
«Ah! chien! Si seulement j'avais accepté de
m'occuper de cette querelle de Iézards
Plein de pitié, le chien pousse un grand soupir.
Mais Jorsqu'um peu plus tard on lui apporte une
éuorme part d’os et de morceaux de viande, il les
dévore sans facon..
Ainsi, a cause de la bataille dé deux petits lézards
pour une mouche morte, modeste querelle dont
Personne ne voulut s‘occuper, non seulement nos
fiers amis le coq, le bouc, le boeuf et le cheval y lais-
sérent la vie, mais i] en résulta un incendie, et une
mort qui endeuilla toute la maisonnée... Seul le
chien, fidéle a son devoir, sortit indemne de cette
tourmente, et y trouva méme une récompense
inattendu
Crest ce conte ! — parfois inttulé « Un rien tue tout »
— qui, en Afrique, sert a illustrer Uadage : «Il n'y a
pas de petite querelle, comme il n'y a pas de petit
incendie.»
Chez nous les vieux enseignent aux jeunes : « Dés
que vous assistez & une querelle, si minime soit-elle,
intervenes, séparez les combatants et faites tout pour
les réconcilier ! Car le feu et la querelle sont les deux
seules choses qui, sur cette terre, peuvent metire au
monde des enfants plus colossaux quieux-mémes : un
incendie ou une guerre. »
1. En octobre 1969, sous une forme trés résumé, Amadou
Hampité Ba a utilisé ce conte au Conseil exécuif de Unesco &
du confit araborisaélien, pour faire prendre conscience 3 chacun det
dangers potentiels dune tlle situation. Ila lassé plusieurs versions
de ce conte dans ses archives Cest la version la plus complite qui ea
st présente ied LLL)
CE, aussi Gérard Moyer, Contes du pas malinké (Paris, Karthala,
1987). pp. 18-19. CAS)