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te Serpent & Plumes ‘allection motifs ‘Kéba-Dabo avrit pour tiche, en son ministre, de « procéder aux désencom brements humains», sit + doigner les rmendians de la Vile ences temps 03 Te | | tourism, qu pena son esr at pt ‘Mais es mendans sont humaine | Four 0, ras par Js bumitions ls | decide de se metre en grbve, de ne plus mend, cs toute la ie sone Days qui sien roue reser ‘Avec humour, avec gravité aus, Aminata Sow Fall dénonce dans ce roman ls teaver des pustants ce donne ‘un visage aux cterels bumbles, du | Séoégal ou dsl, ie ae z 2 é 8 DU MEME AUTEUR ‘Aux Eaitons Le Serpent Phames Le Inui du patrianche, call Moai n 52, 1998 ‘Aux NoueellesEiion Alricines Le Revenant, roman, 1976 Appel des arenes, roman, 1982 ‘Aux Editions L'Haemacan LB Pre del nation, ronan, 1987 ‘Aux Editions Khovdia Douceurs du bere, oman, 198 Aminata Sow Fall La Gréve des battu ou Les Déchets humains Roman Né deur eee VENDdU Le SPENT A LES Collection Motifs dirigée par Pere Bisiou MOTIFS n° 124 (© Nowe dos Aine Proitepulicon Nowe tos Aine, 179 (©2001 Le Serpent Plane perl prise nn hsraton de onvenate: © Kuen Per, (Olver Maud Bert Pery NPISBN.2.6061.2907 eee a Pues 20 a de Pet Cage 7302 Pais ‘ep ha pooneci APROPOS DE 1'AUTEUR Aminate Sow Fall est née 3 Saint-Louis du Sénégal Professcur de Lettres, étachée a la Commission de réforme de Penseignement du francais, elle ditige depuis 1987 le Centre Africain d’Animation et ‘Fechanges Calturls 3 Dakar, ou ell vt Elle est également la fondatrice et directtice des éditions Khoudia. Ecrivaine parmi les plus célébres du Sénégal, elle est auteur de romans ainsi que d'articles et de conférences. Son ceuvre est au programme de nombreuses universités, francophones et anglo- phones, eta fat objet de plusieurs mémoires. En 2000, La Greve des battu aécéadapté au cinéma par le réaliseteur Cheikh Oumar Cissoko. i C 'E MATIN encore Ie journal en a parle; ces ‘mendiants, ces talibés, ces lepreu, ces dimi- nués physiques, ces logues, constituent des encom bbrements humains. I faut debarrasse a Ville de ces hommes ~ ombres dhommes plutét ~ déchets humains, qui vous assllent et vous agressent par- tout et n'importe quand. Aux carrefours, c'est & soubaiter que ls feux ne soient jamsis rouges! Mais une fois que ona franc Pobstacle da fea fon doit vainere une nouvelle barrie pour se rendre 4 pital, forcer un barrage pour pouvoir alle traveller dans son bureau, se débattre ain de sortr de la banque, fate mille et un détours pour Jes évter dans les marché, enfin payer une rangon pour pénétrer dans Ia maison de Dieu. Ab ! ces Ihommes, ces ombres hommes, ds sont tenaces et ils sont partou ! La Ville demande a étre netoyée ” de ces éléments. Kéba Dabo en est d'autant plus convaincu qu'une fois de plus ila eu du mala avaler sa salve jil acu la malchance de se trouver ce ven Quelques jours aprés, il décide d’aller rendre visite & Serigne Birama. Celui-ci est toujours & Yombre du baobab majestucux, lisant le Livre saint, Mour Ndiaye le prend dans sa voiture pour lui éviter le trajet de deux cents métres qui doit le ener 3 sa demeure. Le sac de riz, les dix kilos de suete, le carton de lait Te thé; les noix de koa et les paquets de bougies remplisent la malle arritre de la voiture. Dans a vaste cour de a maison, une des femmes de Serigne Birama est assse, entourée de grandes calebasses remplies de farine de mil. Elle roule le couscous. Mour Ndiaye la salue avec beaucoup de chaleur et lui lance un billet de mille Francs; ele se met debout aussitt et n'en finit plus de le remer. cier et de formuler des souhaits de prospérité ‘Mour et Serigne Birama pénétrent ensuite dans une case, celle oi Serigne Birama recoit ses clients. ~ Scrigne, comment te portestu ? = Maangi sant, Je remercie le Créateur.Jerejé. [Aprés Lui, je te remercie, Lui qui seu sat ce que tu désires, u'll exauce tes voeux. Amin, amiin, Sidib€ | Et mes « affaires », ta les « regardes » toujours ? —N'aie aucune inquitude ace suet. Tu peux te contenter de dire arviin & chaque instant. Si les prigtes que jaccomplis pour ta protection et ta prospérité étaient des gouttes de pluie, il y a long- temps que tu seraisnoyé. Mour, tu peux remercier Jebon Diew = Waavato. Je remerce e bon Dieu, et ete suis seconnaissant. Ce que je ressens pout to, ma langue ne peut pas Fexprimer. Toute ma confiance exten tol. Cst pourquoi je vas te parler encore d'une aifsie importante, Tuas toujours appris routes mes difficults. Ces temps demners j'ai eu & me bate contre les mendiants, est méme la raison qui a fait «qe je ne suis pas venu depuis assez longtemps. ~ Te atte contre es mendians, toi qui donnes sivolonters ? Pourquoi te batire contre les men cliants? —Non, eestaicdire que ce n'est pas moi... C'est ute proccpation de tous les ators de a ile. Les mendiants génent un peu la propreté de 1a Ville. ae ~ Céy alla! La ile et en train de vous déshu smaniser dendurcie vos eeurs au point que vous nTayez plus pitié des fables. trenton, Mour, Diea Ya dit: ile faut pas écondhuie les pauvres. jets ist pas de ea Comment vais Je expliquer cela... Void: maintenant ls gens qui habitent loin, wae biti ra, les oubabs surtout, * Ceux del Burope et des Etats Unis 8 commencent dsintéresser& la beauté de nos pays, ce sont des tourists. Ta sais, avant, is venaient pour ‘nous piller; maintenant, ils viennent se reposer chez nous en y cherchant le bonheur. Cest pourquoi nous avons construit des hétels, des villages, des casinos pour les accueil Ces tourstes dépensent de grosses sommes d'argent pour venir chez nous, ily a méme des société spécialisées qui sen occupent la-bas, en ‘Europe. Quand oes touristes visitent la Ville, ls sont assailis par les mendiants, et ils risquent de ne plus revenir ou de faire une mauvaise propagande pour écourager ceux qui voudraient venit = Cé alla !Jen'y comprends rien. Vous autres de la Ville, c'est vous qui comprenez ces pro- blémes. Alors personne ne doit plus mendier li bas ? — Serigne, les temps ont changé ; maintenant nous sommes responsables du destin de notre pays. Nous devons combattre tout ce qui nuit & son essor touristique et économique. ‘Mour a senti air contrarié de Serigne Birama, et il sat que toute cette longue démonstration ne Ta pas convaineu, = Serigne, ce que nous voulons, au fond, cst que tout le monde se mette au travail. C'est pour ne pas encourager Ia paresse que nous exhortons tout le monde a se mettre au travail — Ligééy dé mooy dégg, Tout homme a le devoir de travaller. » vieilardsaffamés, De toute fagon, cela n'a aucune {importance pour hi ’ = Voila. Ligédy dé mooy dége. C'est pour quils travaillent qu'on les chasse des rues de la Ville ait une entreprise trés ardue de se battre contre un flu si tenace, Nous avons tenu des années, et ‘maintenant, grice & Dieu, je pense que nous avons ‘complétement gagné. Mon ministre m'a téléphoné pour me transmetcre les félcitations du président. Gen’est pas chose aisée d'obtenir les flctations du président, il et d'une exigence ! C'est pourquoi Jorsqu'l daigne ficier c'est quil est vraiment satis- fait = Les féictations du président ne s'aréteront pas 18, Inch Alla, __~ Inch’ Allah, Je voudrais que le président pense ‘moi. Serigne Birama, je ne te cache rien, Le prési- dent avait dit, ily a de cela quelques mois, qu'il choisirat un vice-président. Maintenant, la rumeur affirme que c'est imminent. Je voudrais que par tes prires, tu fases que le président pense & moi. j Rien est imposible au Créteur Tout Lat appartient et It nen fait pas dautre usage que Ease aaa a ~ Tout ce que tu me di, je le cro. Mour Ndiaye le croit sincérement. Qui aurait ule persueder qu'il en arriverat Ia aujourd'hui t Ab, ces laboricuses années la Société commerciale ” del’ Afrique occidentale oil avait du mal joindre les deux bouts ! Ses joues étaient creuses, son regard toujours inquict. Une chemise unique qu'il ne lavait que la nuit et qu'il faisat sécher la cha- Jeur du fourneau par temps froid. Rien ne restait de son maigre salaire de commis aux écrtures quand il avait satisfait les demandes pressantes argent de parents, cousins, copains, beaux: parents qui remplissaient, & chaque fin de mois, la chambre qu'il avait prise en location pour y vivre avec sa femme et ses deux enfants. Quel lointain souvenis, tout cela ! Maintenant tout est & st pportée, Maison somptueuse, deux voitures a sa dis- position, personnel domestique payé par I'Etet. Son embonpoint le géne quelquefois lorsque, dans les c&rémonies offcieles, il doit surveiller ses mou ‘vements pour ne pas fare eraquer le bouton de son smoking. Les perles se heurtent sur le chapelet. Tacstac- tac. A la musique des perles répond le murmure des levres de Serigne Birama. Mour est impatient et ne peut rien tirer du visage muet de Serigne Birama, [Tui faut attendre que le chapelet soit posé sur la peau de mouton, que les yeux de Serigne Birama se soient rouverts le lumiére, et que le dia logue & mesure dhommes soit rétabli, Ce que tu veux, Diew peut tele donner. Et je pense qu'll tele donnera, Inet’ Allah... Tu Vauras, s'il plait & Dieu. Fais seulement le sacrifice d'un “ ‘beau belier tout blanc. Tu l'égorgeras de ta propre sain, eu feras sept tas de viande que tu donneres 3 des mendiants. « [ts conmencenr a nous rendre lexistence impossible. Pace qu'on est des mendiants, is croient qu'on n’est pas des hommes fats comme eux!» ‘Crest Nguirane Sarr qui parle. Il en a assez des | tracasseries. Ila Pimpression que « ces fous-la » s'acharnent particuligrement contre lui, Pourtant il ceoyait qu'il avait gagné leur estime et méme eur amitié, UL n’avait jamais été inquiéeé Pourquoi lui‘en veulentils, lui qui se contente de rester a « son » feu, de ne jamais aller & Passaut des voitures, sachant qu’il a affaire a des «patrons » qui n’aiment pas étre dérangés et qui de toute facon donneront la charité pour leur propre intérét ? Et voila quills ne réfiéchissent meme plus, ces « fous-la». Ils ne distinguent plus personne. * = Ils m‘ont batty aujourd'hui ls ont déchiné | sésume en ceci: donner et reeevoit. Eh bien, eux, mes habits, ils ont confisqué ma eanne et ils ont cassé mes lunetes. C'est trop, c'est trop. Est-ce qu'on trate ainsi un ire humain ? Nauirane est exténué: Une balafresanglante surplombe son ail droit et se prolonge jusqu’a son, sup profonge jus = ls sont mauvais ! Quand a fureur de tabasser Jes posséde ils sont pires que des chiens enrages. Tous les mendiants ont peur maintenant. Ils sont traqués sans arrét. Plus de répit Ils ont peur «tis souffrent dans la chair, mais gane les empéche pas de gagner chaque matin leurs points straté- Biques ily sont ates comme par un aimant, avec comme seule arme Vespoir d’échapper aux ammes des laniéres grace & la vélocté de leurs jambes ou en se cachant dans les maisons environ. antes au passage des brigades. ~ Mais qu’est-ce qui leur prend maintenant ? Dioi leur vient cette rage ? = Ils sont méchants, c'est tout. Ils ne comprennent pas ~ qui le leur dirait Gilleurs ?— quils constituent une plaie quill est nécessaire de cacher. Ils se sont toujours considérés ‘comme des citoyens & part entire, qui exercent un étier comme tout un autre, et & ce titre ils n'ont jamais cherché a defini d'une maniére particuligre les liens qui les unissent a la société. Pour eux le ‘contrat qui lie chaque individu a la société se ne donnent-ils pas leurs bénédictions de pauvres, leurs préres et leurs voeux ? oe top, ces top repre Ngan See Puisquils weulent la guerre faisonsleur la guerre Non, Nuitne,tépond Gori Diop. Nepal pas ainsi. Quand on mendie i faut apprendre i étre patient, supporter beaucoup de choses. Celi quia besoin du bien dautrui doit satsfire jusqu’a ses caprices. Dailleurs, Nguirane, ceux qui nous don- nent, ce ne sont pas ceux qui nous frappent. Des voix multiples slévent au-dessus du mur- sure général. = Crest vrai, c'est vrai. Gorgui Diop a raison, Dans l vie il faut éviter d’envenimer les choses. Ce que Gorgui Diop adit est l seule verte. —Les paroles de Gorgui Diop sont dictées par Ja raison ct parla sagest. : = A écouter ls jeunes on fnit par aller Toin | En tout cas, pas dans Ja tombe, réplique rane Sar. Les jeunes ne vous méneront jamais ar Qu atut cep Nadnbel > Cesont bien ces « fous». Sans leur poursuiteféroce, ce ui ext arsivé ne serait pas arrive. Madiabel avait succombé es besures. I ait resté cing jours & ’hopital sans étre soigné parce 6 4u'il ne possédait aucune pigce sur lui et qu'il ui | ~~ Bcoutez, on peut bien sorganiser. Méme ces {alla prouver son indigence en fournissant un papier délivré parla mairie ; son état ne lui permet- tant pas d'aller chercher ce certfcat d'indigence ‘ui le dispenserait de payer le soins il tat resté couché dans un coin, deriére une salle commune dont les pensionnaires compatissaient& ses peines par d’éternels mdévsaan lorsque la douleur le tenallat et qu'il geignait et se vordait. Le jour de ses obséques, route la confréie avait accompagné a sa demiére demeure et avait ensuite réuni une somme assez substantille, qu'elle avait envoyée& sa famille en guise assistance. pu Be fommes as des chins, poursit irane Sarr | Est-ce que nous sommes des chiens? oa Sa voix aiguisée par Ia colére et la détresse déchive le vile de bread oul trouve ke faibles lueurs erépusculaires de Vatmosphére moite 4 odeur de bois brilé. Sur les visages teres & cou- leur de euivre perlent de fines goutteettes dan Boisse et de résignation, Nous ne sommes pas des chiens ! Vous le ‘saver bien, que nous ne sommes pas des chiens, I faut qu’eux aussi ils en soient persuadés, Alors organisons-nous, Comment nous organiser ? Des mendiants organiser ! Tu réves, Nguirane ! Tu es jeune ! Laissons-es tout simplement avec le bon Dieu. fous, ces sans-coeur, ces brutes qui nous raflent et nous battent, ils dannent la charté. sont besoin de donner Ia charité parce quils ont besoin de nos priéres; les vorux de longue vie, de prospérité, de pélerinage, is aiment les entendre chaque matin pour chasser leurs cauchemars de la ville et pout ‘entretenir espoir d'un lendemain meilleur. Vous ‘royez que les gens donnent par gentillesse ? Non, ‘est pat instinct de conservation. Le silence a brusquement envahi atmosphere. Les oreiles sont tends ; des paupiéres tremblent ‘sans pouvoir s‘ouvrt. Petit petit, le manteau eré- pusculaire se confond avec les ténébreuses sil hhouettes qui peuplent la cour de Salla Niang, Celle- cicest debout su le seuil de sa chambre, tout prés de Nguirane. A le voir si débrall, si abettu, & voir sa téte qui a roulé dans la poussitre et la large entaille ui lui donne un air de martyr, elle a piti Elle est indignée. Elle souffre du mal de cet homme qu'elle considére comme son propre frére et qui lui offre aujourd'hui un spectacle de déchéance. « Voila ce 4quils ont fait d'un homme qui, malgré sa pauvreté, devrait mérter le respect. » En regardant sa chemise réduite en lambeaux et lespéce de culotte d'un blanc douteux que lassententrevoit les largs fetes de ce qui n'est plus un pantalon, mais un ensemble de chiffons fottants réunis autour d'un semblant de ceinture, en observant le malheur de Nguirane, Sala a Nang est ative a conclusion que «ya des sou: frances qu'on ne doit ps infiger& un etre humain» ~ Jot na! Jog jot na at !* En parlant, elle pointe index droit en direction de Fasistance. Comme personne ne réagit 8 ce rave avertissement, elle poursuit ~ Hest temps dese réveiller, les gars. Nguirane « nason, Cen'egt pas par amour pour nous que 'on nous donne. C'est vrai, cela. Organisons-nous ! Pour commences, n'aceeptons plus qu'on nous jette ces petites pitces blanches et léyéres qui ne peuvent méme plus servir i 'achat d'un bonbon, 4'un tout petit bonbon. Eh ! petits tlibés, vous ¢ntendes !crachez sur leurs pigces d'un ou de deux francs ; crachez sur les tois morceaux de suete, crachez sur leur poignée de tiz, Vous aver entendu ? Montrons-leur que nous aussi, nous sonmes des hommes! Et surtout plas de veux avant d avoir regu une suméne bien grasse ! tars, tes vous daccord ? oe Ab laa dé somb nt ~ Mais si Ay voir de pres, ce que tu viens de direeseyni. 7 PES Eau ta viens ~Ca digg dégg lef li mot naa seetaat™** Marchons sur ce qu'a dt Salla. ‘les temps dese ees: ssTclet die! “Vent fat separ echoed pls prt “ ‘accord, nous sommes tous d’accord. Ts ont confiance en Sala. Ts la savent femme expérience. Flle a eu tout le losir de se froter ‘contre le monde. Toute petite et orpheline elle sat ‘vue dans Pobligation de woer trés tt de ses propres ailes. Son ancien métier de bonne & tout faire ui a appris 8 connaitre les gens, & percer les secrets les plus intimes et & mesurer les manies des riches tout aussi bien que les aspirations des pauvtes; car lle a balayé des villas somptueuses & matelas moelleux stutant que des masures sordides ola nuit venue, on se dsputait une pillsse éventrée avec des nuées de punaises. L’école de la vie, la meilleure école sans doute ! On voit tout, on saguertit contre tout. Rien nie vous éronne plus, méme pas les comportements Jes plus contradictoires dun homme. Salla est maintenant assise, par terre, juste devant sa porte. Sa jambe droite plige supporte son coude ; sa joue repose sur sa main = Ils font toujours semblant de mépriser ceux dont ils ont besoin. Mon patron, le demier chez qui j'ai travaillé, celui qui m’a fait obtenir cette par celle, passit son temps & pester contre les mara bouts, Je le voyais la télévision, je Yentendais& la radio, je reconnaissais sa photo dans le journal lorsque je le prenais pour allamer le fourneau. Ses cnfants m'expliquaient qu'il voulaitenrayer le éau du maraboutage. Il avait méme, e cris, regu une décoration pour ses beaux discours. Out ® » I Vavait rogue et avait orgenisé une grande séception. Pourtant cet homme, un vrai toubab qui se désaltéait de bigre t se chauffait de whisky, cet hhomme qui nes'adressit sa femme ta ses enfants 4qu’en toubab, ch bien, cet homme ne sortit jamais de la mason, e mati, sans tre endut du contenu de sept canarisremplis de mixtures de poudres et de racines fermentées. Lodeur nauséabonde qui se dégageait de ces canaris ct qui me donnait tant de ‘mal lorsque je faisais le ménage dela salle de bains 1a jamais rebuté Monsicur. Mais, aprés ses discours, que disaiil aux marabouts qu'il hbergeait?... La maison ne désemplissait pas de marabouts; sl en partat, il en revenait d'autres, avec leur linge. Ab deur linge. Ah. aa ce patron, quel homme Elle avait remarqué que ses seins dursattiraent le regard de Monsieur. Quand occasion se présen: tait, i lui faisait de petites taquineries, puis des vances pressantes.« Quel salaud, Monsieur. » Elle avait toujours résisté. Lorsque Madame était pré- sente, il ne la regardait méme pas ou alors il la rudoyait pour une couche de poussire sur le télé seus ou un col de chemise mal repassé, Madame intervenait et méme quelquefois ca dégénérait en dispute. ~ Laisse la gamine iranquill. Elle travalle ici, elle n'est pas notre exclave! ~Ah | rien que pour une bonne, tu oses 0 remettre mon autorité en cause ! Un de ces matins, je hui demanderai de faire ses paquets. Et tu la sui- = Ah ! le jour att Madame découvrit son jeu ! La villa se composait d'un rez-de-chaussée et d'un étage. Les chambres a coucher se trouvaient & étage ; lesalon, Ja salle a manger et la cuisine, au rez-de-chaussée. Monsieur était grand amateur de thé sien prenait aprés le déjeuncr, vers dix-huit heures aprés son traval et le soit aprés le diner. Tous les jours ouvrablesil dist : “Sala, garde-moi le dernier baraada.” >» Et apres sa siest, juste avant daller au travail, illdescendait la cuisine pendant que Madame était encore étendue. > Il en profitait pour me taquiner, me pincer les fesses et me tre les tétons. Un jour ~ je ne sais pas si lle soupgonnait quelque chose ~ Madame s'in- twoduist brusquement dans la cuisine pendant que Monsieur me faisait des taquineries et que essayais deme dérober. »On nvavait méme pas entendu ses pas. Lorsque Monsieur la vit, debout, immobile et muette prés della porte de Ta cuisine, ileut Pair de quelqu’un qui a regu une douche glacée en pleine saison froide ; il xegarda honteusement Madame, *Théte ui lobservait, se dirigea vers la table od se trou- vait la théigre &t commenga a versr le thé dans les » Madame resta encore quelques minutes, puis fit demi-tour Je ne us jamais sly eut des explica tions entre eux, car malgré mon oreille endue je rentendis jamais aucune dispute entre eux et, peu de sep apse uit a maison parce gu je Aptis la demiére visite de Mour a Serigne Birama, Lolli ait retournée a Keur Gallo pour -«sonder » Pévolution des choses. = Inch’ Allab, ce poste de vice président, il TYoura, Il devra cependant sacrifer un taureau yi en fera trente-trois parts qu'il distribuera a des pauvres, un vendredi, Qu’aucun des habitants de Jamaion ne gote la vane, nc’ Altura Lolli avait eu du mal a dissimuler sa joie. Elle avait lassé exploser son bonheur ets était €éparie de Ia retenue qu'elle observait toujours devant Serigne Birama. Pour la premiére fois, sa voix était dlevée en présence de homme piewx. ~ Ey waay amin { Que Dieu fasse cela ! Inch? Alllab! Dieu ne novs oubliera pas. Elle se voyait déja la femme du vice-président 2 de la République. Quel honneur ! Bien sti, sur le plan financier, peu de choses changeraient. N’avait elle pas tout ce A quoi elle pouvait aspirer ? Poignets toujours lourds d'or et de perles pré- cieuses, armoires pleines & craquer, parents com- 16, trois villas mises son nom par Mour Ndiaye parce que « en politique on ne sait jamais, micux vaut prendre ses dispositions quand on le peut ». ‘Mais, autre chose, le prestige d'étre la femme du vice-président ! Btre tout prés du président! Venir juste aprés Jui! Passer avant les femmes de ministres, avant les ministres méme ! Et tout ce monde qui vous entoure et qui nattend que d'exé- cuter vos volontés ! Ces séves vontils s'écrouler bétement cette nuit ? Une nuit noire, bien calme et bien froide. Mou® a’habitude de n’entretenir sa femme de pro- blémes graves qu’ heure od tout dort. Il pose sa main sur la hanche de Lolli, la tapote doucement Celle-ci bouge ; dans un mouvement de semi- inconscience, elle tire la couverture sur elle = Lolli j'ai une chose ts importante a te dire. Reveille. Han... = Lolli! Oui! Je dois te dre quelque chose. Tu voudras bien -m'écouter jusqu’an bout ? ~ Oui, jet écoutera... Parle je écoure. oy = Lolli, tu sais combien je tiens a toi. Tu sais bien que je ne Péchangerais contre rien au monde... Je connais tes mérites, ta patience, ta bonté: La vien'a pas toujours éé facile pour moi, twas enduré tous les maux qui découlaient de cette situation pénible, et m'asaidé& surmonter tous es obstacles. Tu es mon porte-bonheur et tu le sais. — As-tu besoin de me dire tout cela ? Je suis ton Epouse et il est normal que j¢ cherche ton bonheur, car ton bonheur est le mien. Pour moi, rien d’autre ‘ne compte, Mour. Lolli est sincére en disant ces mots. Sa méze le lui avait enseigné, ct toutes les tantes, les oncles, les parents proches ou éloignés lui avaient répété les mémes litanies de recommandations le jour de son ‘mariage, puis la nuit of elle devait rejoindre le domi- cile conjugal, eafin, en toute occasion, « Obi ton ‘mari, ne cherche rien d'autre que son bonheur, car cde lui dépendent ton destin et surtout celui de tes enfants, Si tu exécutes ses volontés, tu seras comblée ici-bas et dans l'au-dela et tu auras des enfants dignes et méritants, Sinon, attends-toi a la malédiction divine et a la honte d'avoir enfanté des ratés. » Lolli avait toujours suivi ces prescriptions. Dans les pre- mires années de leur mariage, Mour était sujet & des incartades fréquentes. I ne rentrait pratiquement qu'a l'aube et disparaissait tout bonnement les week- ‘ends. Sans jamais donner une explication a sa femme. Celle-ci ailleurs n’avait jamais cherché a en obtenir a une, mais elle souffrat profondément, surtout quand clle était en état de grossesse. Par deus fois, elle avait dd réeiller les voisins afin de se faire accompagner & I maternité pour accoucher. Quand ele sen plai gnait auprés de ses parents, ceux-i lui fisaient des remontrances. = Lolli, une femme ne doit pes rouspétes. Sache bien que ton mar est libre. Iln’est pas une chose qui Pappartient. Ta lui dois respect, obéissance et sou- mission. Le seul lot de la femme est la patience ; i cela dans latte si ru veux étre une femme it alors, et digérait lourdement son mal. Puis Mour donnait Pimpression de s'étre assagi. Peut-étre était fatigué de courir nuit et jour, peutéire aussi n’avaitil jamais eu une ‘eonquéte qui valat sa Lolli et qu’l s’éait rendu ‘compte alors qu'il avait ramassé une perle rare et ‘quil état plus sage de s’en contenter Pour moi, rien ne compte, Mour, que ton bonheur — Je sais, je sas. Mais il faut que tu comprennes. Dans la vie d'un homme il y a toujours des événe- ‘ments auxquels on ne s‘attend pas... on ne se les explique méme pas... quand ga doit attiver, ga ative. = Qu’estilarrivé ? Que Varrive-til ? Tu as des histoires? Lolli s'est nerveusement redressée. Elle ajeté Lolli se tas x ‘couverture au pied du lit Elle a appuyé sur Vinter- rupteur de la lampe de chevet qui diffuse une Jumigre blanchitre. Une chemise de nuit & pois verts sur fond blanc, un beeco brodé qu'elle tie mais qui narsive pas 8 couvrr ses cuisses pourtant as trop grosses —Non, rassure-toi.. Je veux seulement te faire savoir que l'homme ne trace pas tout seul son destin... Tout ce qui arrive devait ariver.. ~ Mais, Mour,jen’en peux plus; dis-moi ce qui se passe. Dépéche-toi ! ‘Mour est toujours couché. Peur ou honte ? Ilne ‘peut pas supporter le regard de Lolli I a T'impres sion qu'il en jallit des étncells. Il allume une ciga- rette pour se cacher derrire la fumée. Lidée que cette femme ne mérite pas un moment comme celuicci traverse son esprit comme un éclair. Maintenant que le sort en est jeté, se dit, des ides comme ga sont mal venues. Et puis, qu'y a-til anormal ? — Mour, gaawe ma* ! Mon pare estil mort ? Ce coup de téléphone, juste aprés le diner, annongai ila mort de mon pére ? Wédy mon pére ! Wady ‘mon pauvre pére ! — Non, Lolli, ton péren’a rien. Voila... Puisgu'l faut te le dire et que je veux te le dire moi-méme *Deépiches par respect et par amour pour toi, voila... On me «donne » une femme demain, Lolli a senti un courant glacial courir 8 travers son corps elle a senti ses machoires 'entrechoguer et une épaisse couche de brouillard assombrir sa ‘ue, puis, un moment aprés On te « donne » une femme ! Et tu me prives de mon sommeil !Tu me réveilles au milieu de la nuit pour m’apprendre qu'on te « donne » une femme demain ! — Lolli, maitrse tes nerfs, voyons ;ne tie pas si fort, tu vas ameuter le quarter... ce ne serait pas correct, surtout en pleine nuit! ‘Mout semble étre a Paise & présent. En vérité au fond de lui, ila presque quelques scrupules. Aprés ses années tumultueuses de libertinage, il avait appris a mesurer les qualités de son épouse. Ses rnombreuses aventures galantes lui avaient permis de voir des choses pas belles du tout; des femmes ‘qui n’ont plus aucune notion des valeurs qu'elles doivent incamer ; une débauche effrénée, une ‘course sans fin vers les plaisirs de la chair et les paradis artificies « Quand on a une femme comme Lolli, ui ne vous couvre pas de ridicule, i faut la gardee.» 11 état ative & cette conclusion au fil des ans, et son jugement n'avait fait que se raffermir de jour en jour lorsqu’l la voyait se démener comme un petit diable pour la propreté de la maison, pour 7 Péducation des enfants et méme pour leur instrue- tion ; car, selene svait nile ni écrie, elle veillat toujours a ce quils fussent devant leurs livres et cahiers,faisait contrler les plus petits par les plus arands, et se rendait réguligrement a leurs écoles respectives pour s'enquérir de leur comportement. Ex ces délicieux repas, cuisinés par elle, dont elle régalait route la famille! C'est en observant sa femme de jour en jour que Mour en était arsivé a changer attitude envers elle et a lui rendre le res pect quill lui devait. D'autre part il était txés croyant ; éducation religieuse regue avait laissé en ui quelques marques indélebiles;celles-is'taient refugiées au niveau de son subconscient et réappe trissaient en surface au fur et mesure que ange ddu repentir le pénétrat sil éprouvait alors un senti- ment de remords et aussi de peur ; il eraignait 4u'une sanction divine ne le punit des souffrances aquilinfigeat a cette personne de chai et d’os, qui ppourtant, au plus fort des brimades, des humilia- tions et des tortures morales, ne bronchait pas. Agu ingen baaxal®, Lolli s'en fiche. Le quartier peut bien se réveiller. Les gens peuvent bien venir en pyjama et en chemise de nuit jusqu’a la fenétre, et méme rapper &la porte pour assouvir leur euriosté mal- * Ceux qui malsaitent es femmes serot chit saine, Elle s'en moque. Elle a perdu tout contréle parce qu'elle pouvait sattendre a tout, sauf a cela. Elle qui avait tout encaissé et qui pensait que était fini, Ie temps des soutfrances et des coups inat- tendus, elle ne peut pas recevoir cette nouvelle charge. En d’autres temps, oui elle aurait pu sup- porter, elle aurait enregistré ’événement avec indi {érence, mais maintenant « les temps ont changé, ‘mon gat » Lolli était ouvert les yeux en fréquentant le monde. Elle avait vu que les femmes n’acceptent plus d’étre considérées comme de simples objets et engageaient une lutte énergique pour leur émanci- pation ; partout, la radio, dans les meetings, dans Jes cérémonies familial, elles clamaient qu'au point de vue juridique elles avaient les mémes droits que les hommes ; que bien sir elles ne cispu- tient pas a "homme se situation de chef de famille, mais qu’il était nécessaire que Thomme ft conscient que la femme est un étre& part entire, ayant des droits et des devois. Elles voulaient le plein épanouissement de la femme dans un cadre familial ob, en responsables, elles auraient aussi leur mot a dire. Elles avaient ailleurs réussi en partie, puisqu’une loi avait 6 votée, qui interdisait désormais a Thomme de se Tever un beau matin de mauvaise humeur et, pour tun rien, de dite & sa femme: « Prends tes bagages, vvact’en chez toi. » Méme sila répudie n’avat pas ETT TA Veet Atl un chez soi, elle quits Ie domicile conjugal, ylais- sait a contre-cecur ses enfants, q Gere comme le bien de homme et ala ture chez de lointains parents, des amis ou des Lolli était informée de la eampagne de libéra- tion que menaient ses sccus. Sa ile sinée, Raabi, qui est étudianteen sciences juridiques, passit son temps a dire: « On devrait supprimer la poly- ‘amie ;cest une pratique qui ne se justife plus de ‘nos jours,» Lorsqu'elle parlait ainsi en discutant bruyamment avec ses copains et copines, Lolli n'y voyait que es propos bavards et superfciels d'une jeunesse enthousiaste. Jamais ne avait effleurée idee qu'un joule unit mer es paroles de Eh quoi ! Et tu me dis de me taire pardessus Je marché ! Ingrat, salaud, menteur. Tieme* ! Ta veux que je me taise ! Vingt-quatre ans de ‘mariage ! Tu n’étais rien ! nurpieds, Etje tai support, j'ai patients jai « tr vailé, travaillé » et aujourd'hui, tout ce que tu as pu acquétirgrice A mon « travail» et ma patience, tout ce que tu as eu avec moi et avec aide que je #'i toujours apportée, tout cela tu veus le parager avec une autre maintenant. Voyou, menteur, * Expression de més ingrat ! Vous es tous paeils. Voyou, eréature sans vergogne. Ah... jaurais dit m’en douter ! La voix de Lolli résonne au loin; le torrent de colére qu’elle déverse I'a rendue rauque et sac cadée. Son visage exprime toute 1a rage d'une ionne blessée. Son regard de fauve darde des rayons flamboyants sur le visage de Mour. Celui-i a du mal la reconnaitre. Quelle mouche T's piquée ? Aurait-elle perdu la téte ? Mour décide de ne pas répondre aux injures de Lolli il veut la laisser crier tout son soil. Cela la soulagera peut- tre. Mais bientot son orgueil d’homme Pexcite, il nen peut plus. Ga suff comme ga, hein ! Je ne te permets pas de m’insulter. Ta entends, Lali, ene te per- ‘mets pas de dépasser les bornes ! Test debout, en face delle, la main menagante, = Aprés tout, poursuit:, smoi qui te nourrs et tentretiens ? Er dis est Ie contrat qui me lie et qui m’empéche de prendre une seconde épouse sje le désite ? =Le contrat de Phonnéteté, de la reconn sance. Quand tu n’étais rien, qui trimait ? Qi décarcassait avec quatre sous pour tenir convena- bblement a maison ? Qui courait derrire les mara- bouts ? Dis-moi a ton tour, ob passat Fargent que ‘me donnaient mon pére et mes fréres, qui avaient pitié de moi ? Dans la poche des marabouts, pour ouvrir les portes dela prospérité. Oa disparais- a Ve AU saient mes boubous pendant que ’en gardais éter- nellement un sur le dos ? Un unique boubou qui avait fini par se confondre avec ma peau ; les gens ne disaient plus «Cellela, livbas, c'est Loli Badiane », mais « Le boubou, li-bas, c'est Lolli Badiane. » Sous le vent, sous la pluie, sous le soleil, Je méme boubou, car les autres avaient été vendus, ainsi que bracelets et boucles, pour nous permettre cde mettre un peu plus de décence dans notre vie et de prévenir Ia faim qui guettait les enfants. As-tu coublié cela da ?Ingrat ! Menteur ! Quelle mouche Ia done piquée pour qu'elle se smette dans cet état et qu'elle parle a présent & son époux comme elle aurat parlé au plus détestable des individus ? La mouche de l'espoir décu, plus ‘que celle de lendoctrinement. Avant, Lolli ne se permettait aucun espoir, elle ne nourrissait aucun reve, Elle subisssit les événements et sa condition. vee 'évolution du comportement de Mour et de Tear situation politique et financiér, elle a insallé enelle espoir ete réve. ‘Or Mour a attendu ce moment précis 03 tous les réves lui sont permis ~ « Monsieur le vice-prés dent de a République et Madame » ~ pour hu faire comprendre que son bonheur peut exister ailleurs gu’en elle ; en une fraiche jeune fille de dix-sept ans, secrétaire dans une agence de tourisme, Mour avait rencontrée dans un hétel ’un pays voisin ob il avait accompagné son ministre pour voir ce qui avait éé fait dans le sens des désencombrements Jhumains et des réalisetions de sites touristiques. 1 avait écéséduit par sa spontanéité, par sa jeu nesse et surtout par Paisance avec laquelle elle s'ex- primait dans la langue officielle, oi Iui-méme, Mour, avait encore quelques diffcultés, Elle éait trés élégante et tr8s moderne. Pour la voir sans attirer I'attention de Lolli, Mour avait inventé des << réunions tardives avee des personnalités venues d'Europe pour étudier les potentialités touris- tiques » ou « des missions de deux jours dans un pays voisin », ou encore « des déjeuners avec des techniciens ». Puis un jour, Sine, qui avait eu rout le loisir d’apprécier et la générosité de son ami et son amour pour elle, Tui avait demandé de épouser : «Je sus jeune et ai toute ma vie devant moi, Epouse-moi ou laisse-moi tenter ma chance ailleurs. » Le mariage s'est fait. Rasbi a essayé de convaincre sa mére qu'elle doit se batre, qu'elle ne dit pas accepter une situation ambigué, qu’elle a Te devoir de ne pas lasser une intruse li disputer sa place, et pour cela «il faut prendre tes responsa- bilités et demander papa de choisir». Mais la mére de Loli, la vieille Sanou Cissé, célébre pour sa vert et sa probité, est venue. Ellea fondu en larmes parce que Mour lui adit que Loli Gist allée jusqu’a Pinjurer et que, n't été Pexis- tence des enfants, il aurait divoreé. Son pére, o 4 “Vet ER i ‘malade et tenant a peine debout, s'est train jus- u'a Ia maison : « Veux-tu achever mes jours, Lolli? Sache que si Mour te laisse tomber tu sefas couverte de honte. Quand on & huit enfants dont quelques-uns sont en age de se marier, on ne doit plus se permettre des comportements de petite fille, Mour est ton mari I est libre, il ne Pappar- tient pas.» ‘Ses amies aussi lui ont donné des conseils: « Ta serais bien béte de perdre ton mariet dele lisser’& tune autre ; celle-ci se moquerait de toi en disant qu'elle a fait peur.» — Maman, tout ce que te disent les femmes sont des arguments qu'elles cherchent pour se justfier. Chacune d’ellesaurait voulu avoir un mari elle seule ; elles se sont toutes dit au moins une fois dans leur vie gu’eles ne partageraient pas leur rari Siclles ne Font pas dt, elles en ont r@vé. Pus, «quand elles se sont trouvées dan la situation oi tu te trouves aujourd'hui, elles ont cédé a la pression des vieus et des vieilles, qui sont d'un autre age et ne peuvent pas comprende le monde d’aujour- hui; elles ont cédé surtout a la Hicheté car elles ront pas su prendre leurs responsabilité; elles se sont alors cherché et trouvé d’autres raisons qui leur permettaient de se maintenir dans une situa- tion qu’au fond elles détestent. En agissant ainsi, «les ont pensé avoir sauvé les apparences. Raabi en veut & son pére; elle sait que sa mére souffre et c'est pourquoi elle Iui parle en confidente. Un regard d’enfant ne s'éteint jamais, et elle se souvient toujours; les absences de son pte les peines de Lolli, les sanglots diserétement Gouffés dans un pan de foulasd, puis le sourire forcé pour apaiser ces yeux deja trop attentifs, A dix ans on devine tout, et Raabi avait dix ans, Page ci Fon peut presque prendre en charge le dernier: nié pour libézer un peu la mare et oit les parents sont loin de soupgonner qu’on le observe et qu'on les juge. Une infinie tendresse de Raabi pour sa mize ; quand Raabi parvint a ge de la puberté, Lolli lui faisait des legons sur les devoirs d'une femme, et au fur et & mesure que Raabi morissait, Te dialogue entre elles devenait direct et franc ; elles se parlaient comme deux amies ~ Raabi, ma fille, a des choses que tu ne peux pas comprendre. Si je quittais ce ménage avjour- hui, pére et mére me maudiraient, ainsi que tous les membres de la famille, Et méme sis venaient & mourir, on dirait que c'est moi qui les ai tués en mettant Ia honte et la misére dans leur cur. Refléchis bien, ma fille ; sans travail, oute seule, aque feras-je de vous si je vous emmenais ? Er si je ‘vous laisais ici, songe a ce que serait ma peine. ‘Aprés lorage, la résgnation. Aprés la bouderie des premiers jours, un zale redoublé pour recon- quétirlesfaveurs de son seigneur. Encore un espoir logé dans le corur de Lolli: celui de récupérer son 6 e ‘ € Saere: VER RUA mari pour elle toute seule ; ce sera la nouvelle raison de ses téte-tée avec les marabouts;ce sera aussi la signification des sommes exorbitantes et des nombreux cadeaux distribués & sa belle- famille. II faut bien cajoler celle-ci pour les remer- ciements publics, lors des cérémonies familiales, ‘qui donneront I'impression de faire pencher la balance de votre edté. Raabi n'a pas é convaincue. Elle promet de devenir une nature forte, cette Raabi. Lolli se demande parfois avec inquiétude comment sa fille pourra s'accommoder d’un mat. Pas belle, visage ‘ovale et sec, machoires proéminentes, petits yeux au regard dur ; une mise toujours stricte; pas de fard, pas de bijoux inutiles ; rien que les boucles Toreilles en forme de cercles, a petite chaine au cou et le bracelet d'argent au poignet droit; au poi- gnet gauche, une montre. Les futilités de la vie ne ont jamais intéressée ; toujours a ses livres ; des discussions interminables avec les copains sur les zrands problémes qui agitent le monde ; la guerre, exploitation des petits pays par les grandes puis- sances ; injustice qui régne en maitre ; In déshu- :manisation des sociétés. Elle n'aime pas les situa- tions de compromis, mais apprécic les prises de position nettes,claires, sans bavures. C'est pour- quoi elle 2 supplié sa mére de ne pas céder aux multiples pressions ; elle ni a parlé comme & un cre faible qui ne sait pas, ne peut pas défendre ses 66 droits. Sa mére ne 'a pas écoutée, mais Reabi ne Tui cn veut pas, au contra. Elle s’explique ses moti- vations mais ne les trouve pas justifiées. Cela n'al- tre en rien amour qu’elle a pour sa mére. Mais, quand le pére entre la maison, apres une absence de quatre jours passés chez la « deuxiéme », et qu'elle voit sa mére Paccuciliren roi, en grande toilette, large sourie, encens et mets recherches et délicieux, elle a un pincement au coeur 5 elle perd Pappétit pendant quetre longs jours od la commu nication entre elle et son pire se réduit aux saluta- tions d' usage et aux courtes réponses aux questions