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Temoigner 682
Temoigner 682
Témoigner. Entre histoire et mémoire
Revue multidisciplinaire de la Fondation Auschwitz
117 | 2014
Amis ? ennemis ? Relations entre mémoires
Le mémoire du franquisme dans la construction de
l'Espagne démocratique
Les incertitudes d'une réconciliation nationale
La mémoire du franquisme dans la construction de l'Espagne démocratique : les voies
incertaines de la réconciliation nationale
De herinnering aan het Francotijdperk en de democratisch overgang in Spanje : een
onzeker pad naar nationale verzoening
Danielle Rozenberg
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/temoigner/682
DOI : 10.4000/temoigner.682 ISSN : 25066390
Éditeur :
Éditions du Centre d'études et de documentation Mémoire d'Auschwitz, Éditions Kimé
édition imprimée
Date de publication : 1 mars 2014
Pagination : 5666
ISBN : 9782841746637
ISSN : 20314183
Référence électronique
Danielle Rozenberg, « La mémoire du franquisme dans la construction de l'Espagne démocratique »,
Témoigner. Entre histoire et mémoire [En ligne], 117 | 2014, mis en ligne le 1er juin 2015, consulté le 23
octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/temoigner/682 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
temoigner.682
Tous les droits sont réservés
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DOSSIER À MES ? ENNEMIS ? RELATIONS ENTRE LES MÉMOIRES
LA MÉMOIRE DU FRANQUISME DANS LA
CONSTRUCTION DE L'ESPAGNE DÉMOCRATIQUE
Les incertitudes d'une
réconciliation nationale
Par Danielle Rozenberg,
Institut des sciences sociales
Général Franco (20 novembre 1975), au cours du poids du passé
du Politique, CNRS /
conflictuel a joué un rôle déterminant dans le processus de démocratisation :
à la fois – sur les stratégies et transactions entre les élites politiques, – sur
Université Paris Ouest En Espagne, plus de quatre décennies ont obtenu leur diplôme après la mort
les orientations institutionnelles (État et Communautés autonomes) en
(1) Les politistes on designer termes de politiques mémorielles, – et, enfin, plus largement au sein de l'espace public
dress even during the period
qui s'étend de septembre 1976 via un large répertoire de revendications citoyennes ou de mobilisations associatives.
(moment où les dirigeants En décembre 2007, la date de la "mémoire historique", de la reconnaissance et
autoritaires s'engagent à
Ph.M.
©
organizer des élections libres à de la réhabilitation des victimes de la guerre civile et de la dictature, a été décrétée
une date précise) à octobre 1982, avant et précisément après la loi d'amnistie (14 octobre 1977) qui avait incarné l'esprit _ Barcelone, panneau d'un
los que la victoire électorale des
socialistes atteste du Fait que les de compromis de la transition politique. Cette nouvelle loi introduit une rupture radicale parcours mémoriel à travers
principales forces en présence au regard de la législation antérieure. Concernant l'Espagne, nous nous trouvons Que s'est dessinée la voie vers une démocratie libérale, une voie négociée entre les la vieille ville rappelant les
acceptent les règles du Parti différentes étapes de la
démocrate. Cf. Juan Linz, donc confrontés à deux projets successifs et contradictoires de réconciliation nationale. réformistes franquistes et les forces réduites de l'opposition, qui allait s'incarner dans dictature de Franco (2010).
"Transitions to Democracy", The Je propose d'analyser la place du passé dans la construction de la démocratie la Constitution de 1978.
Washington Quaterly, vol. 13, n°
3, été 1990, p. 157158. espagnole, en mettant en lumière les principaux éléments explicatifs permettant de Il est à signaler que cette prudence des élites, s'accordant sur un changement
(2) Aux élections de juin 1977,
comprendre une telle évolution. graduel et concerté, rencontrait l'adhésion de la plupart des citoyens. En témoignage
l'Union du Centre Démocratique les élections générales des Cortes démocratiques, le 15 juin 1977, lors des surages
(35%), le Parti socialiste ouvrier LE PACTE D'OUBLI DE LA TRANSITION1
espagnol (29%), le Parti
se détournèrent résolument des extrêmes2. Durant cette première période de l'après
communiste (9%), l'Alliance franquisme, un ocielle politique de réconciliation domine la vie publique. Celleci s'est
populaire (8%), et le Parti populaire La loi d'amnistie concrétisée par l'octroi de grâces, la promulgation de lois d'amnistie et, enfin, l'adoption
socialiste (4,5 %) ont recueilli 333
sièges sur 360. Les 33 sièges Le processus démocratique engagé à la mort du général Franco (novembre 1975) de mesures réparatrices en faveur des vaincus du camp républicain3 .
restants sont répartis entre la
Convergence et l'Union, le Parti
se fundait sur d'une part une volonté de changement majoritairement armée des élites
(3) Terminologie englobant
nationaliste basque et les "divers politiques (le "consensus" de la Transition) et, d'autre part , la conscience aiguë d'une La loi d'amnistie du 14 octobre 1977, votée en Congrès des Députés tout juste indistinctement aussi les
autres" (8 sièges) dont les fois les
phalangistes, l'extrême droite
société espagnole non réconciliée quatre décennies après le soulèvement militaire de issu des urnes, reflète la tonalité politique dominante des années de la Transition4. membres du POUM pris pour
cible par les Brigades
franquiste et les petits partis juillet 1936 contre la Seconde République. Succédant à plusieurs grâces et amnisties partelles, elle inclut tous les délits internationales, les anarchistes de
d'extrême gauche. la CNT et de l'AIT, et d'une certaine
Les élections générales de
On rappellera que la sortie de la dictature s'est réalisée dans le cadre de la légalité politiques antérieurs au 15 décembre 1976, mais elle contient également deux articles
manière aussi les communistes
mars 1979 ont toutes confirmé définie pour garantir la pérennité du régime franquiste. Le roi Juan Carlos accède à qui instaurent l'impunité pour les actes de violence institutionnelle perpétrés sous la (ndlr).
la tendance. Cf. José María
Maravall, Julián Santamaria,
son trône en tant que successeur nommé par le général Franco et Adolfo Suarez, dictature. La loi a eu fondamentalamente un double eet : d'un côté, elle a rendu sur la
(4) La loi a été approuvée par
"Crise du franquisme, transition ministre secrétaire général du parti unique franquiste (El Movimiento), fut nommé, en libération des opposants au franquisme encore emprisonnés, et de l'autre elle a 93,3 % des voix – soit 296 voix
politique et consolidation de la pour, 2 voix contre, 18 abstentions
démocratie en Espagne", Système,
juillet 1976, chef d'un gouvernement composé de membres issus en grande partie de institué une sorte de « point final » au débat sur les responsabilités du régime et 1 nul, sur 317 surages exprimés.
n° 68, 1985, p. 79129. l'élite autoritaire. C'est dans le cadre de cette continuité institutionnelle et politique antérieur .
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DOSSIER À MES ? ENNEMIS ? RELATIONS ENTRE LES MÉMOIRES
(5) «Opinion», El País, de la Guerre civile6 . Eectivement, lorsque s'achève ctraumatisé
ette dernière,
et ee lle laisse un pays
xsangue7 . répressive – les années 19361949 – a permis de dissiper les tensions.
Celleci est restée occultée
2242001, p. 1314. La crainte d'une D'autant qu'à la mort de Franco, 70% de la population espagnole n'avait pas vécu jusqu'à la fin des années 1990.
(6) Josep Maria Colomer, répétition d'un conflit fratricide et un sentiment de culpabilité collective concernant les directement la guerre.
La transition vers la démocratie : (12) Julia Santos, «Oublier.
atrocités de la guerre explicites à la fois la modération des principaux acteurs politiques et Le sociologue Santos Juliá s'attache à comprendre l'articulation entre mé moire et Mémoire et amnistie dans la
le modèle espagnol, Barcelone, transition
de Raison », P ratique, nd°
es Clés
129,
Anagrama, 1998 ; Paloma Aguilar, sociaux (limitation des manifestations sur la voie publique, absence de représailles, oubli lors de la transition espagnole12. Avec le temps, nous ditil, la présentation de la
JanvierFévrier 2003, p. 1424 ;
« Justice, politique et mémoire dans
rédaction d'un texte constitutionnel consensuel), le choix d'un modèle de changement guerre civile a évolué. On est passé de l'exaltation de sa propre cause, à une vision de la repris dans « Mémoire et amnistie
la transition espagnole », in
Alexandra durant la transition vers la
Barahona De Brito, Carmen réformiste et, enfin, l'adhésion de la majorité des Espagnols à ce modèle. guerre comme tragédie collective, avec un sentiment de responsabilité partagé. L'amnistie démocratie in Les Cahiers du »,
GonzalezEnriquez, Paloma Aguilar
est apparue comme une étape nécessaire pour enclencher un processus constituant Colegio de España, n° 1, 2004, p.
(dir.), La politique de la mémoire.
91102 ; « Le franquisme : histoire
Transitional Justice in Democratizing Une grande partie de la classe politique de la transition n'est pas dans les années de débouchant sur un nouveau régime accepté par la majorité des Espagnols.
et mémoire », Clés de la raison
Societies, Oxford University Press,
guerre ou de l'immédiat aprèsguerre. En 1977, 73% des parlementaires avaient pratique, n° 159, janvierfévrier
2001.
2005, p. 413.
démocratiquement moins de 49ans. Éducée sous le franquisme, la génération accédant Durant la phase déternière de la dictature, des personnes ayant appartenu aux deux
(7) Selon l'étude la plus récente,
la Guerre civile a fait environ au pouvoir a appris l'histoire récente à travers les versions idéologisées qu'en proposant camps en guerre se sont retrouvées à dialoguer dans l'opposition de l'intérieur ou de l'exil.
600 000 victimes en comptant les le régime en place – tout en étant sensibilisée, à travers un discours de propagande, aux Le Congrès de Munich, par exemple, en 1962, réunit les représentants de la dissidence
individus tombés au combat,
quelque 120 000 morts de civiles bienfaits de la paix sociale. Elle avait parallèlement en mémoire, à côté du traumatisme intérieure (phalangistes, monarchistes, catholiques) et de l'opposition en exil. Au début
durant la guerre, c'estàdire, de la guerre provoqué et raconté, sont propres vécus de la postguerre durant l'enfance : des années 1970, le clergé laissait ses locaux pour les réunions des Commissions
d'Espagnols tués derrière les lignes
de front et les personnes tuées dans les familles visées, la faim, la peur, le pays en ruine8 . Ouvrières. Santos Julia également un manifeste étudiant daté de 1956 à l'Université de
la répression de l'aprèsguerre. L'incertitude et la peur dominaient dans la société, après la mort du dictateur. De Madrid ayant pour sujet collectif : « Nous, fils des vainqueurs et des vaincus… » On
(Julia Santos [dir.], Victimes de la
guerre civile, Madrid, Temas de différents sondages d'opinion réalisés en 1966, 1975 et 1977, la conclusion, en eet, est contient, dès cette époque, le langage de l'amnistie mutualelle et de la réconciliation – et
Hoy, 1999). que la valeur politique dominante en Espagne est « la paix », devant « la justice », « la compris au sein du PCE.
(8) Paloma Aguilar, Mémoire et liberté » et « la démocratie ». Cette orientation est confirmée par la lecture des rapports Soucieux de distinguer le processus mémoriel inhérent à la société espagnole du
oubli de la guerre civile espagnole,
Madrid, Alianza Editorial, 1996, p. FOESSA 1970, 1975 et 19751981 qui indiquent une « prédominance du Seigneur et du positionnement politique de ses élites, Santos Julia récuse l'expression « pacte d'oubli »
149. peuple comme objectifs politiques », présente dans tous les groupes de et l'équivalence établie entre amnistie et amnésie. La guerre, affirmetil,
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LA MÉMOIRE DU regard de la jurisprudence internationale. Désavoué par le Parquet, au motif que la
FRANQUISME DANS LA
CONSTRUCTION DE
responsabilité de ces crimes relève du pénal et que ces négationnistes sont prescrits
L'ESPAGNOL DÉMOCRATIQUE dans le cadre de la Loi d'amnistie de 1977, il a jugé renoncer à l'instruction concernée,
Les incertitudes d'une déléguant aux 62 juridictions territoriales où sont localisées les fosses communes la
réconciliation nationale
charge d'instruction les plaintes relatives aux disparitions forcées.
(suite)
Il convient d'insister sur l'importance du référent juridique international qui vient
reconfigurer les approches en matière de gestion politique des passés traumatiques.
Portées à la base par les associations de victimes, invoquées au sommet dans les
résolutions d'organismes supranationaux, les notions de « droits de l'homme » et de
« compétence universelle » mettent à l'épreuve la souveraineté des États et les
constructions de compromis (Loi d'amnistie de 1977 en Espagne ; Loi de Punto Final
de 1986 en Argentine...) qui caractérisent le nom de sorties de conflits. C'est
finalement la pérennité de grammaires de réconciliation longtemps échouée comme
exemplaires qui se voit ici interrogée.
Temporalités des réconciliations / Eets des contextes
The « Spanish model of transition », fundé sur le consensus et l'amnistie, a permit
l'instauración d'institutions démocratiques dont la stabilité est aquise21, et un ancrage
de l'Espagne parmi les grandes western nations. Pourtant, la société espagnole est
toujours divisée quant à l'interprétation de son passé et aux politiques publiques à
mettre en œuvre pour l'aronter. Le « modèle espagnol » a fait long feu, et par un eet
boomerang, les questions douloureuses qui semblaient paisées envahissent le champ
sociétal, au sens où Éric Conan et Henry Rousso évoquaient naguère à propos de la
France « un passé qui ne passe pas » . L'éloignement dans le temps des événements
traumatiques et la perception partagée d'une démocratie stabilisée laisse place au
dissensus, d'une part, la relève générationnelle qui voit la « génération des petitsfils Forcen
Pablo
Soler
©
», qui n'a pas vécu les faits , réclamer l'établis sement de la vérité, d'autre part,
dessinent un contexte sociétal propice à la levée du silence porté sur les années de
guerre et de répression. À cet vraisemblablement, une sonde réalisée par l'Institut
(21) L'Espagne postfranquiste _ Vue frontale de la
a connu quatre alternances
Opina pour le quotidien El País (1872006) faisant apparaître que 64,5% des Basilique SainteCroix
politiques, qui atteste du bon personnes interrogées sont «favorables aux recherches sur la Guerre civile, à la sance tardive de la responsabilité de l'État français dans la déportation des Juifs de la Vallée des Morts
fonctionnement des nouvelles (Monument Franco).
institutions. Le 28 octobre 1982, localisation des fosses communes et à une réhabilitation de toutes les victimes. » (discourses du Président Chirac lors des commémorations de la rafle du Vel d'Hiv, le
San Lorenzo de l'Escorial.
vu la victoire du PSOE et Cependant, le changement que j'ai observé par rapport au milieu des années 1990 16 juillet 1995) révèle, par ailleurs, l'existence d'un « temps institutionnel » qui ne
l'arrivée de Felipe Gonzalez au
gouvernement. Le 3 mars 1996,
ne s'est pas traduit par une évolution des représentations collectives dans un contexte saurait se confondre avec celui des individus ou des groupes sociaux concernés.
la victoire du PP conduit José pacifié, et moins encore à une dynamique connuee. Enfin, l'analyse intégrera les autres variables aux enjeux politiques du
María Aznar au pouvoir.
Les trois alternances à Entrer en ligne de compte des dissonances temporelles entre la sphère politique et présent et les stratégies partisanes.
la suite de la défaite du institutionnelle, les mobilisations catégorielles et les familles demandeuses de justice. On en fournit deux illustrations. En 1977, l'existence d'un terrorisme basque (ETA)
Parti populaire aux élections
du 14 mars 2004, remplacé
À la « raison d'État » privilégiant la lenteur décisionnelle s'opposant à l'action des et les pouvoirs des forces armées pèsent sur l'exclusion de certaines catégories –
au pouvoir par le Parti partisans politiques et des associations sur le terrain ou à la prise de parole des les militaires de l'Union démocratique constituée en 1974 ; les membres de la guérilla
socialiste dirigé par José Luis
Rodriguez Zapatero. Les élections
témoins et/ou victimes dans l'urgence des fins de vie. antifranquiste – du bénéfice de la loi d'amnistie. Concernant la mémorable tournée
générales du 20 novembre 2011 L'exemple de la France à propos de Vichy et de la collaboration nous apporte un des années 1990, les hommes politiques espagnols (Paloma Aguilar, Julia Santos)
ont vu la défaite du PSOE et porté
au pouvoir le Parti populaire
éclairage pertinent quant aux différents facteurs susceptibles de modifier, à la fois, avancent un élément explicatif majeur : la fin de l'accord tacite de ne pas
réalisé par Mariano Rajoy. les perceptions et les discours concernant le passé douloureux. tu le reconnais instrumentaliser le passé, conclu entre les deux grandes formations politiques (PSOE et PP) début de
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