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PAYSAGES POST-INDUSTRIELS Maxime Strebelle B3 PEI

LES SQUELETTES D’UNE EPOQUE

L’impact des zones industrielles sur les artistes a bien évidemment été à son apogée à la révolution
industrielle, « l’art » ayant toujours accompagné voir initié les changements de la société qui
s’incarnent dans les différents paysages architecturaux proposés dans l’émission « LSD » de France
Culture. J’ai choisi de m’intéresser à ce qu’il en était aujourd’hui, quels exemples d’artistes
contemporains traitent-ils les paysages post-industriels et les clés de lecture qu’ils charrient avec eux
(mémoire ouvrière, corps machine politisé, espace de production, abandon et désertion de ces lieux,
etc…) ?

Laurent Proux, né en 1980, peint à Paris des tableaux dont le « style s’émancipe par l’exploration
continuelle de solutions picturales, intégrant aberrations, télescopage de plans et couleurs
artificielles, définitivement affranchies de l’opposition entre figuration et abstraction » d’après son
galeriste Semiose. Mais ce qui fait sa spécificité réside dans sa collecte de photographies, et dans le
cas qui nous intéresse celle de de lieux de production industrielle des années 70, désormais à
l’abandon, dont il se sert comme d’une grammaire visuelle pour aborder les questions d’espace et de
temporalité. Dans son répertoire, les images photographiques se mêlent à des images trouvées,
glanées et des documents oubliés -manuels pédagogiques de la RDA, comptes d’exploitation
d’entreprises en 1976, centres de traitements informatiques, chaines de production, ateliers, etc…
Certaines de ces machines apparaissent comme des dinosaures archaïques, surgis d’une autre
époque, et dont le spectateur ne peut que se figurer la fonction… A travers cette exploration des
industries perdues, c’est une conception particulière de l’homme que Proux interroge : l’homme au
corps-machine, celui qui fait partie intégrante de son environnement d’acier et qui fournit une force
de travail concrète, matérielle. Car Laurent Proux voit dans cette époque une période charnière : un
basculement s’opère de la période industrielle, d’un homme rouage, à la période informatique,
dématérialisation de la force de travail humaine mise en réseau dans une globalisation qui n’a plus
aucune échelle humaine. Les juxtapositions envahissent ses toiles et leur donnent cette aura
déconstruite, comme une parole qui s’effondrerait en cours de route. On en vient à se demander si
ces tableaux ne seraient pas des « défauts de séries », ces objets usinés avec un défaut de
fabrication, et dans le cas Proux, d’impression. Il fait apparaitre de vastes lignes de représentations
qui se juxtaposent à d’autres scènes en transparence, comme si la machine de l’artiste avait déraillé,
que l’impression du pinceau n’avait pas laissé le temps de positionner correctement la toile. Un
mélange terrible d’automatisme industriel et de déraillement poétique (politique ?). L’exposition
consacrée à ses travaux autour de ces paysages post-industriels s’appelait One piece at a time :
hommage à une chanson de Johny Cash dans laquelle un ouvrier d’une chaine de montage vole une
pièce de voiture chaque jour, avec l’idée qu’un jour, il pourra lui-même se construire sa propre
voiture, et gratis.

Delphine Reist née en 1970, met en scène depuis Genève des environnements industriels,
mécanique, automatisés. Souvent animées, ses installations ou ses sculptures utilisent des objets se
mettant en marche et s'arrêtant tout seul, des objets du quotidien liés à  la production industrielle et
à la consommation et qui paraissent comme motorisés alors que les originaux ne le sont pas –
caddies, barils, pneux, etc… Dans l’ensemble, ces sculptures/installations s’avèrent proches de l’art
concret, puisque les objets utilisés ne représentent rien d’autre qu’eux même : ils gardent leur statut
et le plus souvent leur fonction première, mais sont soit mis en réseau dans un étrange ensemble
bien plus vaste afin de leur apporter un sens, soit modifiés imperceptiblement, ou dupliqués afin que
leur forme nous apparaisse tel quelle : une aléatoire possibilité du système capitaliste industriel. Un
scanner de la taille d’un entrepôt, des chaises de bureaux interconnectés, ses objets semblent tous
droits sortis des idées rejetées pour la production d’un designer fou aux ambitions démesurées.
Delphine Reist ouvre en quelque sorte la poubelle des objets qui auraient pu être, semblant fouiller
dans « l’inconscient matériel » de notre époque. « J’essaye de voir les objets comme des symptômes
de notre société » dit l’artiste : bien plus que du simple détournement, il s’agit pour elle de
« regarder des objets souvent sur le point d’être inutile et dans lesquels j’essaye non pas seulement
de voir à quoi ils ont servis mais surtout ce qu’ils montrent sur notre futur ou sur notre société.  »
L’on rejoint ainsi la vision d’un monde post-industriel, dont les objets hantent notre monde
contemporain d’une manière si naturelle que nous les oublions. En 2020, Delphine Reist investit le
FRAC grand large avec un projet monumental intitulé SCANNER : « Ce qui m’intéresse dans le FRAC
grand large c’est que c’est une architecture industrielle, qui a été conçue pour l’industrie, et qui est
utilisée aujourd’hui pour la culture. Une deuxième chose qui m’intéressait quand je suis arrivé dans
la halle c’est qu’il ne restait plus qu’un outil. Et moi j’aime vraiment beaucoup les outils, [plus
précisément] l’interaction de l’humain avec l’outil. Dans cette halle il ne restait plus que le pont
roulant, qui servait à fabriquer des bateaux, à transporter les pièces, etc…Je savais qu’il était
fonctionnel car il avait été réhabilité quelques années plus tôt. Le projet consistait donc à
l’automatiser et à « le laisser s’exprimer ». » En observant la danse du pont roulant, l’artiste songe
alors immédiatement au scanner. Macro-mécanique et micro-mécanique se confondent dans ce
mouvement : « au lieu d’aller pointer, d’aller travailler comme ouvrier dans les usines, aujourd’hui on
est ouvrier même sur notre temps libre. On va produire soi-même, de chez-soi. » Cette attention
portée aux objets révèle aussi, en transparence, la métamorphose de nos sociétés, et ce que
représentent ces paysages post-industriels investit.

Delphine Reist, comme Laurent Proux, offrent une réflexion sur l’articulation possible entre deux
mondes, deux époques, dont le point de bascule est quelque peu flou : lorsque les usines
occidentales ont commencé à être fermées en masse ? Lorsque l’informatisation de notre société a
commencé ? Lorsque les gouvernements européens ont commencé à aller chercher leurs matières
premières dans les mines d’Amerique du sud et d’Afrique ? Difficile de répondre à cette question, et
pourtant le résultat est là : les symboles de l’industrie demeurent en Occident, mais l’industrie s’est
délocalisée. Les paysages post-industriels ne sont plus que des reliques, des fantômes, des squelettes
désertés par les hommes mais encore habités par la mémoire ouvrière…

Preuve s’il en est que les industries désaffectés sont désormais réinvestit par les artistes :Initiée à
Dunkerque en 2019 par le Frac Grand Large — Hauts-de-France et le LAAC – Musée de France, la
Triennale ART & INDUSTRIE « explore les convergences entre ces deux champs, sources de frictions
et de contradictions passionnantes », et expose au seinde la friche de la halle AP2, ainsi que sur son
port et ses torchères idustrielles, de grands noms depuis 2020 tel que Daniel Buren ou Tatiana
Trouvé (à laquelle une exposition est en ce moment consacrée au Centre Georges Pompidou), avec
son exposition «  Gigantisme – Paysage mental »
Laurent Proux, Sécabilité, 2013Huile sur toile —  200 × 200 cmCourtesy of the artist & Galerie Semiose, Paris
SCANNER, Delphine Reist , FRAC Grand Large, Dunkerque, 2020

Queues de cochons, Delphine Reist, 2016


J’ai souhaité aussi présenter un texte et des photos issus d’une performance produite cette année :

Penser à la marge.

Aller voir aux périphéries.

Trouver les friches des « lieux » anthropologiques de la surmodernité

Je cherchais un lieu sur lequel commencer mon investigation autour des paysages de la post-
modernité, lorsque M… m’a parlé du projet qui se montait avec L… et J… autour de Charleroi, et plus
précisément du circuit de « la boucle noire », un itinéraire tracé par la ville comme dans une zone
touristique, au sein des territoires abandonnés des mines à charbon. Après l’avoir exploré sur Google
Maps, cette zone s’avérait principalement constituée de terril, de constructions et d’infrastructures
liés à l’exploitation du charbon. Visiblement, il devait coûter plus cher de les démonter que de tout
simplement les laisser, là, à l’abandon.

Mais si un itinéraire touristique y avait été tracé par la ville, cela signifiait que de « non-lieu »
existant, friche industrielle, il passait au statut de « lieu anthropologique » en lui instaurant une
valeur historique, du moins sur le plan symbolique. Nous en sommes venus à nous demander quels
types de flux continuaient d’exister au sein de cette zone, et de quelles manières.

C’est ce qui m’a décidé à rejoindre les expéditions.

Dès la première, l’atmosphère s’est instaurée. Nous avions choisi le terril des piges pour la vue
plongeante que son sommet offrait sur la zone à explorer. Sur les images satellites on distingue
surtout des arbres à la place de ce qui était une gigantesque colline de charbon, résidus des
exploitation minières et de l’ère industrielle. C’est parce que la végétation a investi l’endroit déserté
par les machines.

La distinction entre lieux et non-lieux passe habituellement par l’opposition du lieu à l’espace, ou à
l’utilité attribuée à un espace. C’est-à-dire que pour qu’un espace devienne lieu, il faut qu’il ait une
fonction (de production, de commerce, de communication, d’habitation, etc…) Or en effectuant mes
recherches je suis tombé sur la définition d’un certain Michel de Certeau, philosophe et historien
français, pour lequel les « lieux » ne s’opposent pas nécessairement aux « espace » comme les
« lieux » aux « non-lieux ». L’espace, pour lui, est un « lieu pratiqué », « un croisement de mobiles » :
ce sont les marcheurs qui transforment en espace la rue géométriquement définie comme lieu par
l’urbanisme. Il s’agit ainsi d’une mise en parallèle du lieu comme ensemble d’éléments coexistant
dans un certain ordre et de l’espace comme animation de ces lieux par le déplacement d’un mobile.
C’est donc ceux qui s’y déplacent qui transforment un lieu en « espace anthropologique » , lieu d’une
expérience de relation au monde d’un être essentiellement situé « en rapport avec un milieu ».

La deuxième analogie effectuée par Michel de Certeau pour construire une distinction opérante
entre espace et lieu passe par la parole et l’acte de locution : « L’espace serait au lieu ce que devient
le mot quand il est parlé, c’est-à-dire quand il est saisi dans l’ambiguïté d’une effectuation, mué en
terme relevant de multiples conventions, posé comme l’acte d’un présent (ou d’un temps), et
modifié par les transformations dues à des voisinages successifs… ».

En d’autres termes, le lieu devient espace lorsque son inertie est brisée par le parcours de mobiles
qui créent alors un « réseau spatial ». Le récit devient alors le médium privilégié d’un travail qui
« transforme des lieux en espaces ou des espaces en lieux ».

C’est ainsi que je veux appréhender ces territoires. En investissant leur espace par une nouvelle
narration : la nôtre. Et peut-être ainsi ranimer le lieu.

Notre itinéraire balisé la veille croise parfois des pans de la ville. Je me souviens avoir passé ma main
sur l’une des briques d’une des maisons ; de la suie s’est accumulée, et désormais ma main est
presque noire.

M… m’a expliqué que beaucoup d’anciennes famille descendantes des mineurs vivent toujours ici.
Une forte immigration italienne. Mais les environs sont déserts. Dès que l’on s’éloigne de la gare
pour rentrer dans les friches de la boucle noire, c’est comme si tout les humains avaient disparus. On
ne discerne leur présence que par quelques rares traces : des déchets principalement.

(Au retour du terril des piges, notre petit groupe est tombé sur un étrange parc. Des énergies
étranges y circulaient. Au centre, une petite construction ovale faisait office de terrain de jeu pour les
enfants. Mais l’endroit déserté n’invitait pas au jeu.)

A la seconde expédition, nous avons longé la Sambre pour accéder au Haut-Fourneau HF4 ; ca a été
la première fois qu’on a rencontré des individus sur notre trajet. Les ferrailleurs qui travaillaient à la
décharge. Ils chargeaient des débris métalliques à bord d’un camion, à l’aide d’une pince géante.

Le « pays noir »

  Davantage à Charleroi que dans d’autres métropoles nées des révolutions industrielles, un lien
existe entre l’essor industriel et l’essor urbain. Le bassin économique de Charleroi s’est édifié sur une
industrie lourde traditionnelle, antérieurement source de richesses, qui impose aujourd’hui des
reconversions. Les traces de ce passé industriel affectent l’aspect et le paysage de Charleroi. 68 %
des logements actuels ont été construits avant la deuxième guerre mondiale et beaucoup de maisons
ouvrières composent cette large proportion de l’habitat. De nombreux terrils façonnent le relief :
soixante-deux ont été dénombrés sur le territoire de la ville de Charleroi. Dès 1967, 290 sites
industriels désaffectés étaient recensés par l’Association de développement économique de
Charleroi-ADEC. Nombre d’entre eux doivent toujours être assainis et réaffectés. 

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