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Le dernier jour d'un condamne : lit
Hilles
AGT0956
D'UN CONDAMNÉ
LE DERNIER JOUR
D'UN CONDAMNÉ
COLLECTION HETZEL
PARIS
1862
Droit de traduction réservé
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2285
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1962
XХ
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Il n'y avait en tête des premieres éditions de cet ouvrage,
Publié d'abord sans nom d'auteur, que les quelques lignes
qu'on va lire :
« Il y a deux manières de se rendre compte de l'exis
« tence de ce livre. Ou il y a eu, en effet, une liasse de pa
« piers jaunes et inégaux, sur lesquels on a trouvé, enre
« gistrées une à une, les dernières pensées d'un misérable;
« ou il s'est rencontré un homme, un rêveur, occupé à ob
a server la nature au profit de l'art, un philosophe, un
« poële, que sais -je ? dont cette idée a été la fantaisie, qui
« l'a prise, ou plutôt s'est laissé prendre par elle, et n'a pu
« s'en débarrasser qu'en la jetant dans un livre.
« De ces deux explications, le lecteur choisira celle qu'il
« voudra . »
Comme on le voit, à l'époque où ce livre fut publié, l'au
teur ne jugea pas à propos de dire dès lors toute sa pensée.
4
Il aima mieux attendre qu'elle fût comprise et voir si elle
le serait. Elle l'a été . L'auteur aujourd'hui peut démasquer
l'idée politique, l'idée sociale , qu'il avait voulu populariser
sous cette innocente et candide forme littéraire . Il déclare
donc, ou plutôt il avoue haulement que le Dernier Jour
d'un Condamné n'est autre chose qu’un plaidoyer, direct
ou indirect, comme on voudra, pour l'abolition de la peine
de mort . Ce qu'il a eu dessein de faire, ce qu'il voudrait
que la postérité vît dans son œuvre , si jamais elle s'occupe
de si peu , ce n'est pas la défense spéciale, et toujours fa
cile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi,
de tel ou tel accusé d'élection ; c'est la plaidoirie générale
et permanente pour tous les accusés présents et å venir ;
c'est le grand point du droit de l'humanité allégué et plaidé
à toute voix devant la société, qui est la grande cour de
cassation ; c'est cette suprême fin de non -recevoir abhor
rescere a sanguine, construite à tout jamais en avant de tous T
les procés criminels; c'est la sombre et fatale question qui
palpite obscurément au fond de toutes les causes capitales
sous les triples épaisseurs de pathos dont l'enveloppe la
rhétorique sanglante des gens du roi ; c'est la question de
vie et de mort, dis-je, déshabillée , dénudée , dépouillée des
entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour ,
et posée où il faut qu'on la voie, où il faut qu'elle soit, ou
elle est réellement , dans son vrai milieu, dans son milieu
horrible, non au tribunal, mais à l'échafaud ; non chez le
juge, mais chez le bourreau. 1
Voilà ce qu'il a voulu faire. Si l'avenir lui décernait un
jour la gloire de l'avoir fait, ce qu'il n'ose espérer, il ne
voudrait pas d'autre couronne.
Il le déclare donc, et il le répète, il occupe, au nom de
tous les accusés possibles, innocents ou coupables, devant
toutes les cours, tous les préloires, tous les jurys, toutes
les justices. Ce livre est adressé à quiconque juge . Et, pour
5
que le plaidoyer soit aussi vaste que la cause, il a dû, et
c'est pour cela que le Dernier Jour d'un Condamné est
ainsi fait, élaguer de toutes parts, dans son sujet, le con
tingent, l'accident, le particulier, le spécial, le relatif, le
modifiable, l'épisode, l'anecdote , l'événement, le nom pro
pre, et se borner (si c'est lå se borner ) å plaider la cause
d'un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque,
pour un crime quelconque. Heureux si, sans autre qu'il
que sa pensée, il a fouillé assez avant pour faire saigner
un coeur sous l'æs triplex du magistrat! heureux s'il a
rendu pitoyables ceux qui se croient justes ! heureux si, å
force de creuser dans le juge, il a réussi quelquefois å y
retrouver un homme !
Il y a trois ans, quand ce livre parut, quelques person
nes imaginèrent que cela valait la peine d'en contester
l'idée à l'auteur. Les uns supposérent un livre anglais, les
autres un livre américain . Singulière manie de chercher å
mille lieues les origines des choses, et de faire couler des
sources du Nil le ruisseau qui lave votre ruel Hélas! il n'y
a en ceci ni livre anglais, ni livre américain , ni livre chi
nois. L'auteur a pris l'idée du Dernier Jour d'un Con
damné, non dans un livre, il n'a pas l'habitude d'aller
chercher ses idées si loin , mais là où vous pouviez tous la
prendre, où vous l'avez prise peut-être (car qui n'a fait ou
rêvé dans son esprit le dernier jour d'un condamné ? ),
tout bonnement sur la place publique, sur la place de
Grėve . C'est là qu'un jour en passant il a ramassé cette
idée fatale, gisante dans une mare de sang, sous les rouges
moignons de la guillotine.
Depuis, chaque fois qu'au gré des funèbres jeudis de la
cour de cassation, il arrivait un de ces jours où le cri d'un
arrêt de mort se fait dans Paris, chaque fois que l'auteur
entendait passer sous ses fenêtres ces hurleurs enroués qui
ameutent des spectateurs pour la Grève, chaque fois, la
6
15 mars 1832
UNE COMÉDIE
A PROPOS
D'UNE TRAGÉDIE
PBRSONNAGBS
MADAME DE BLINYAI...
LE CHEVALIER .
ERGASTE .
UN POÈTE ÉLÉGIAQUE .
UN PHILOSOPHE.
UN GROS MONSIEUR .
UN MONSIEUR MAIGRE .
DES FEMMES.
UN LAQUALS.
UN SALON
QUELQU'UN.
Ah ! ce vers !
LE POÈTE ÉLÉGIAQUE.
Cela peut s'écrire en chiffres, voyez- vous, mesdames :
- Demain, 25 juin 1657 .
Il rit. On rit.
LE CHEVALIER .
C'est une chose particulière que la poésie d'à présent:
LE GROS MONSIEUR .
Ah cả ! il ne sait pas versifier, cet homme- lå ! Comment
donc s'appelle-t-il, déjà ?
37
LE POÈTE ÉLÉGIAQUE .
Il a un nom aussi difficile à retenir qu'à prononcer. Il y
n du goth, du visigoth, de l'ostrogoth dedans.
Il rit .
MADAME DE BLINVAL.
C'est un vilain homme.
LE GROS MONSIEUR.
Un abominable homme.
UNE FEMME .
Quelqu'un qui le connaît m'a dit...
LE GROS MONSIEUR .
Vous connaissez quelqu'un qui le connaît ?
LA JEUNE FEMME .
Oui , et qui dit que c'est un homme doux, simple, qui vit
dans la retraite, et passe ses journées à jouer avec ses pe
tits enfants .
LE POÈTE ÉLÉGIAQUE.
Et ses nuits å rêver des cuvres de ténébres . - C'est
singulier ; voilà un vers que j'ai fait tout naturellement.
Mais c'est qu'il y est, le vers :
LE GROS MONSIEUR .
Vous disiez donc que l'auteur en question a de petits en
fants. Impossible, madame. Quand on a fait cet ouvrage
là ! un roman atroce !
QUELQU'
Mais, ce roman , da
- 38
LE POÈTE ÉLÉGIAQUE.
Est -ce que je sais, moi ?
LE PHILOSOPHE .
A ce qu'il paraît, dans le but de concourir à l'abolition
de la peine de mort .
LE GROS MONSIEUR .
One horreur, vous dis-je !
LE CHEVALIER .
Ah ça ! c'est donc un duel avec le bourreau ?
LE POÈTE ÉLÉGIAQUE .
Il en veut terriblement à la guillotine.
UN MONSIEUR MAIGRE .
Je vois cela d'ici : des déclamations.
LE GROS MONSIEUR .
Point . Il y a à peine deux pages sur ce texte de la peine
de mort. Tout le reste , ce sont des sensations .
LE PHILOSOPHE .
Voilà le tort . Le sujet méritait le raisonnement. Un
drame, un roman , ne prouvent rien. Et puis, j'ai lu le li.
vre , et il est mauvais .
LE POÈTE ÉLÉGIAQUE .
Détestable ! Est- ce que c'est lå de l'art ? C'est passer les
bornes , c'est casser les vitres . Encore, ce criminel , si je le
connaissais ? mais point. Qu'a - t- il fait ? on n'en sait rien .
C'est peut-être un fort mauvais drôle. On n'a pas le droit
de m'intéresser à quelqu'un que je ne connais pas.
LE GROS MONSIEUR.
On n'a pas le droit de faire éprouver å son lecteur des
souffrances physiques. Quand je vois des tragédies, on se
tue ; eh bien ! cela ne me fait rien . Mais, ce roman , il
vous fait dresser les cheveux sur la tête, il vous fait venir
ia chair de poule, il vous donne de mauvais rêves. J'ai été
deux jours au lit pour l'avoir lu.
39
LE PHILOSOPHE .
Ajoutez à cela que c'est un livre froid et compassé.
LE POÈTE .
Un livre !... un livre ! ...
LE PHILOSOPHE.
Oui . Et , comme vous disiez tout à l'heure, monsieur,
ce n'est point lå de véritable esthétique. Je ne m'intéresse
pas å une abstraction, å une entité pure. Je ne vois point
lå une personnalité qui s'adéquate avec la mienne . Et puis
le style n'est ni simple ni clair. Il sent l'archaïsme. C'est
bien lå ce que vous disiez, n'est-ce pas ?
LE POÈTE .
s
Sans doute, sans doute. Il ne faut pas de personnalité .
LE PHILOSOPHE .
Le condamné n'est pas intéressant.
LE POÈTE .
Comment intéresserait-il ? il a un crime et pas de re
mords. J'eusse fait le contraire . J'eusse conté l'histoire de
mon condamné . Né de parents honnêtes. Une bonne édu
cation. De l'amour. De la jalousie . Un crime qui n'en soit
pas un . Et puis des remords , des remords, beaucoup de
remords . Mais les lois humaines sont implacables . Il faut
qu'il meùre ; et lå j'aurais traité ma question sur la peine
de mort. A la bonne heure !
MADAME DE BLINVAL .
Ah ! ah !
LE PHILOSOPHE .
Pardon . Le livre, comme l'enlend monsieur, ne prouve
rait rien . La particularité ne régit pas la généralité.
LE POÈTE .
Eh bien ! mieux encore ; pourquoi n'avoir pas choisi
pour héros, par exemple ... Malesherbes , le vertueux Males
herbes ? son dernier jour, son supplice ? Oh ! alors, beau
- 40
et noble spectacle ! j'eusse pleuré, j'eusse frémi, j'eusse
voulu monter sur l'échafaud avec lui .
LE PHILOSOPHE.
Pas moi.
LE CHEVALIER .
Ni moi. C'était un révolutionnaire, aụ fond, que votre
monsieur de Malesherbes .
LE PHILOSOPHK .
L'échafaud de Malesherbes ne prouve rien contre la peine
de mort en général.
LE GROS MONSIEUR .
La peine de mort ! à quoi bon s'occuper de cela ? qu'est
ce que cela vous fait, la peine de mort ? Il faut que cet au
ceur soit bien mal né, de venir nous donner le cauchemar
à ce sujet avec sou livre !
MADAME DE BLINVAL .
Ah ! oui, un bien mauvais cæur !
LE GROS MONSIEUR .
Il nous force à regarder dans les prisons, dans les ba
gnes, dans Bicêtre . C'est fort désagréable. On sait bien que
ce sont des cloaques ; mais qu'importe å la société ?
MADAME DE BLINVAL.
Ceux qui ont fait les lois n'étaient pas des enfants.
LE PHILOSOPHE .
Ah ! cependant, en présentant les choses avec vérité...
LE MONSIEUR MAIGRE .
2
Eh ! c'est justement ce qui manque , la vérité. Que vou.
lez -vous qu'un poète sache sur de pareilles matières ! Il
faudrait être au moins procureur du roi . Tenez : j'ai lu,
dans une citation qu'un journal fait de ce livre, que le
condamné ne dit rien quand on lui lit son arrêt de mort;
eh bien ! moi, j'ai vu un condamné qui , dans ce moment
lå, a poussé un grand cri. Vous voyez .
- 41
LE PHILOSOPHE .
Permettez ...
LE MONSIEUR MAIGRE .
Tenez, messieurs, la guillotine, la Grève, c'est de mau
vais goût ; ... et la preuve, c'est qu'il paraît que c'est un
livre qui corrompt le goût, et vous rend incapable d'émo
tions pures, fraiches, naïves . Quand donc se lèveront les
défenseurs de la saine littérature ? Je voudrais être, et mes
réquisitoires m'en donneraient peut-être le droit, membre
de l'Académie française...- Voilà justement monsieur Er
gaste, qui en est. Que pense-t- il du Dernier Jour d'un
Condamné ?
ERGASTE .
Ma foi, monsieur, je ne l'ai lu ni le lirai. Je dinais hier
chez madame de Sénange, et la marquise de Morival en a
parlé au duc de Melcourt. On dit qu'il y a des personna
lités contre la magistrature, et surtout contre le président
d'Alimont. L'abbé de Floricour aussi était indigné . Il pa
raît qu'il y a un chapitre contre la religion, et un chapitre
contre la monarchie. Si j'étais procureur du roi ! ...
LE CHEVALIER .
Ah bien oui! procureur du roi ! et la Charte, et la li
berté de la presse! Cependant un poète qui veut suppri
mer la peine de mort, vous conviendrez que c'est odieux.
Ah ! ah ! dans l'ancien régime, quelqu'un qui se serait
permis de publier un roman contre la torture l ... - Mais
depuis la prise de la Bastille on peut tout écrire ... Les li.
vres font un mal affreux.
LE GROS MONSIEUR .
Affreux. On était tranquille, on ne pensait å rien . Il
se coupait bien de temps en temps en France une tête par
ci par-lå, deux tout au plus par semaine. Tout cela sans
bruit, sans scandale . Ils ne disaient rien , personne n'y
42
songeait... Pas du tout, voilà un livre... Un livre qui
vous donne un mal de tête horrible !
LE MONSIEUR MAIGRE .
Le moyen qu’un juré condamne après l'avoir lu !
ERGASTE .
Cela trouble les consciences .
MADAME DE BLINVAL .
Ah ! les livres ! les livres ! Qui eût dit cela d'un roman ?
LE POÈTE .
Il est certain que les livres sont bien souvent un poison
subversif de l'ordre social .
LE MONSIEUR MAIGRE .
Sans compter la langue , que messieurs les romantiques
révolutionnent aussi.
LE POÈTE.
Distinguons, monsieur, il y a romantiques et roman
tiques.
LE MONSIEUR MAIGRE .
Le mauvais goût, le mauvais goût.
ERGASTE.
Vous avez raison . Le mauvais goût.
LE MONSIEUR MAIGRE .
Il n'y a rien à répondre à cela.
LE PHILOSOPHE , appuyé au fauteuil d'une dame.
Ils disent lå des choses qu'on ne dit même plus rue
Mouffetard .
ERGASTE .
Ah ! l'abominable livre !
MADAME DE BLINVAL .
Eh ! ne le jelez pas au feu : il est à la loueuse.
LE CHEVALIER .
Parlez -moi de notre temps . Comme tout s'est dépravé
depuis, le goût et les moeurs ! Vous souvient-il de notre
temps , madame de Blir val ?
- 43
MADAME DE BLINVAL .
Non , monsieur, il ne m'en souvient pas.
LE CHEVALIER.
Nous étions le peuple le plus doux , le plus gai , le plus
spirituel. Toujours de belles fêtes, de jolis vers ; c'était
charmant. Y a - t-il rien de plus galant que le madrigal de
monsieur de la Harpe sur le grand bal que madame la ma
réchale de Mailly donna en mil sept cent... l'année de
l'exécution de Damiens .
LE GROS MONSIEUR, soupirant.
Heureux temps ! Maintenant les moeurs sont horribles,
et les livres aussi . C'est le beau vers de Boileau :
D'UN CONDAMNÉ
Bicêtre .
Condamné à mort !
Voilà cinq semaines que j'habite avec cette pensée, tou
jours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours
courbé sous son poids !
Autrefois, car il me semble qu'il y a plutôt des années
que des semaines , j'étais un homme comme un autre
homme . Chaque jour, chaque heure, chaque minute, avait
son idée . Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantai
sies . Il s'ainusait à me les dérouler les unes après les au
tres, sans ordre et sans fin , brodant d'inépuisables ara
besques cette rude et mince étoffe de la vie. C'étaient des
jeunes filles, de splendides chapes d'évêques, des batailles
gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumières, et
puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la
nuit sous les larges bras des marronniers. C'était toujours
fète dans mon imagination . Je pouvais penser à ce que je
voulais, j'étais libre .
Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans
un cachot, mon esprit est en prison dans une idée . Une
horrible, une sanglante, nine implacable idée ! Je n'ai plus
20
46 LE DERNIER JOUR
qu'une pensée , qu'une conviction , qu'une certitude : -
condamné à mort !
Quoi que je fasse , elle est toujours là , cette pensée in
fernale, comme un spectre de plomb à mes côtés , seule et
jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi
misérable, et me secouant de ses deux mains de glace,
quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se
glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la
fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les pa
roles qu'on m'adresse, se colle avec moi aux grilles hi
deuses de mon cachot, m’obsède éveillé, épie mon som
meil convulsif, et reparait dans mes rêves sous la forme
d'un couteau.
Je viens de m'éveiller en sursaut, poursuivi par elle en
me disant : - Ah ! ce n'est qu'un rêve ! -- Eh bien l avant
même que mes yeux lourds aient eu le temps de s'entr'ou
vrir assez pour voir celle fatale pensée écrite dans l'hor .
rible réalité qui m'entoure, sur la dalle mouillée et suante
de ma cellule , dans les rayons påles de ma lampe de nuit,
dans la trame grossière de la toile de mes vêtements , sur
la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit
à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une
voix a murmuré à mon oreille : Condamné à mort !
II
III
Condamné à mort !
Eh bien ! pourquoi non ? Les hommes, je me rappelle
l'avoir lu dans je ne sais quel livre où il n'y avait que cela
de bon , les hommes sont tous condamnés à mort avec des
sursis indéfinis. Qu'y a-t-il donc de si changé à ma situa
tion ?
Depuis l'heure où mon arrêt m'a été prononcé, combien
sont morts qui s'arrangeaient pour une longue vie ! Com
bien m'ont devancé qui , jeunes , libres et sains, comptaient
bien aller voir tel jour tomber ma tête en place de Grève !
Combien d'ici lå peut-être, qui marchent et respirent au
grand air, entrent et sortent à leur gré, et qui me devan
ceront encore !
Et puis , qu'est-ce que la vie a donc de si regrettable
pour moi ? En vérité, le jour sombre et le pain noir du
cachot, la portion de bouillon maigre puisée au baquet des
galériens, être rudoyé , moi qui suis raffiné par l'éducation,
être brutalisé des guichetiers et des gardes-chiourmes, ne
pas voir un être humain qui me croie digne d'une parole
et å qui je la rende, sans cesse tressaillir et de ce que j'ai
fait et de ce qu'on me fera : voilà à peu près les seuls biens
que puisse m'enlever le bourreau .
Ah ! n'importe! c'est horrible !
D'UN CONDAMNÉ. 53
IV
VI
Je me suis dit :
- Puisque j'ai le moyen d'écrire, pourquoi ne le ferais
je pas ? Mais quoi écrire ? Pris entre quatre murailles de
pierre nue et froide, sans liberté pour mes pas , sans hori.
zon pour mes yeux , pour unique distraction, machinale.
ment occupé tout le jour à suivre la marche lente de ce
carré blanchâtre que le judas de ma porte découpe vis-ů.
vis sur le mur sombre, et , comme je le disais tout à l'heure,
seul à seul avec une idée, une idée de crime et de châti
ment, de meurtre et de mort ! Est-ce que je puis avoir
quelque chose à dire , moi qui n'ai plus rien à faire dans
ce monde ? Et que trouverai-je dans ce cerveau flétri et vide
qui vaille la peine d'être écrit ?
Pourquoi non ? Si tout, autour de moi, est monotone et
décoloré, n'y a -t- il pas en moi une tempête, une lutte, une
tragédie ? Cette idée fixe qui me posséde ne se présente
t-elle pas å moi à chaque heure, à chaque instant, sous une
Bouvelle forme, toujours plus hideuse et plus ensanglantée
. à mesure que le terme approche ? Pourquoi n'essayerais -je
pas de me dire à moi -même tout ce que j'éprouve de vio
lent et d'incopnu dans la situation abandonnée ou me
voilå ? Certes, la matière est riche ; et , si abrégée que soit
ma vie, il y aura bien encore dans les angoisses , dans les
terreurs, dans les tortures qui la rempliront de cette heure
á la dernière , de quoi user cette plume et tarir cet encrier.
D'ailleurs ces angoisses , le seul moyen d'en moins souſ
frir, c'est de les observer, et les peindre m'en distraira.
Et puis, ce que j'éerirai ainsi ne sera peut-être pas inu
56 LE DERNIER JOUR
tile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure, mi.
nute par minute, supplice par supplice, si j'ai la force de
le mener jusqu'au moment où il me sera physiquement
impossible de continuer ; cette histoire, nécessairement
inachevée, mais aussi complėte que possible, de mes sen
sations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et pro
fond enseignement ? N'y aurait-il pas dans ce procès- ver
bal de la pensée agonisante, dans cette progression tou.
jours croissante de douleurs, dans cette espèce d'autopsie
intellectuelle d'un condamné, plus d'une leçon pour ceux
qui condamnent ! Peut-être cette lecture leur rendra - t-elle
la main moins légère quand il s'agira quelque autre fois
de jeter une tête qui pense, une tèle d'homme, dans ce
qu'ils appellent la balance de la justice ! Peut-être n'ont- ils
jamais réfléchi , les malheureux, à cette lente succession de
tortures que renferme la formule expéditive d'un arrêt de
mort ! Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée
poignante que dans l'homme qu'ils retranchent il y a une
intelligence, une intelligence qui avait compté sur la vie ,
une âme qui ne s'est point disposée pour la mort ? Non . Ils
ne voient dans tout cela que la chute verticale d'un cou
teau triangulaire, et pensent sans doute que pour le con
damné il n'y a rien avant, rien aprės .
Ces feuilles les détromperont. Publiées peut-être un jour,
elles arrêteront quelques moments leur esprit sur les souf
frances de l'esprit ; car ce sont celles-là qu'ils ne soupçon
nent pas. Ils sont triomphants de pouvoir tuer sans pres
que faire souffrir le corps . Eh ! c'est bien de cela qu'il s'a
git ! qu'est-ce que la douleur physique près de la douleur
morale ? Horreur et pitié , des lois faites ainsi ! Un jour
viendra, et peut-être ces Mémoires , derniers confidents
d'un misérable , y auront- ils contribué...
A moins qu'après ma mort le vent ne joue dans le préau
avec ces morceaux de papier souillés de houe, ou qu'ils
D’UN CONDAMNÉ. 57
VII
VIII
IX
XI
XII
XIII
XIV
XV
XVI
Un peigre du quartier,
Maluré.
Va - t'en dire à ma largue,
Lirlonfa malurette,
Que je suis enfourraillé,
Lirlonfa maluré.
Ma largue tout en colère,
Lirlonfa malurette,
M' dit : Qu'as-tu donc morfillé ?
Lirlonfa maluré.
Et souliers galuchés
Maluré.
Mais grand dabe qui s' fâche,
Lirlonfa malurette,
Dit : Par mon caloqu ?t !
Lirlonfa maluré,
J' li ferai danser une dine
Lirlonfa malurette,
Dù n'y a pas de plancher,
Lirionfa maluré.
78 LE DERNIER JOUR
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
De la Conciergerie.
XXIII
( 1) Le bourreau.
(2) A été pendu.
(5) La guillotine.
(4) Le poltron devant la mort.
(5 ) La place de Grève.
(6) Vous.
D'UN CONDAMNÉ.
La gravité de ma parole la renda pensif tout à coup. Il
a remué sa tête grise et presque chauve ; puis , creusant
avec ses ongles sa poitrine velue, qui s'offrait nue sous sa
chemise ouverte : Je comprends, a- t-il murmuré entre
ses dents ; au fait, le sanglier (1 ) ! ...
Puis, après quelques minutes de silence :
Tenez, m'a -t - il dit presque timidement , vous êtes un
marquis, c'est fort bien ; mais vous avez lå une belle re
dingote qui ne vous servira plus à grand'chose ! le taule la
prendra. Donnez -la-moi, je la vendrai pour avoir du tabac.
J'ai ôté ma redingote et je la lui ai donnée . Il s'est mis
å battre des mains avec une joie d'enfant. Puis, voyant
que j'étais en chemise et que je grelottais : - Vous avez
froid, monsieur , mettez ceci ; il pleut, et vous seriez
mouillé ; cl puis il faut être décemment sur la charrette .
En parlant ainsi, il ôtait sa grosse veste de laine grise
et la passait dans mes bras ; je le laissais faire .
Alors j'ai été m'appuyer contre le mur, et je ne saurais
dire quel effet me faisait cet homme . Il s'était mis å exa
miner la redingote que je lui avais donnée, et poussait å
chaque instant des cris de joie. · Les poches sont toutes
neuves ! ... le collet n'est pas usé ! ... j'en aurai au moins
quinze francs . Quel bonheur ! du tabac pour mes six se
maines !
La porte s'est rouverte . On venait nous chercher tous
deux , moi , pour me conduire à la chambre où les con
damnés attendent l'heure ; lui , pour le mener å Bicêtre. Il
s'est placé en riant au milieu du piquet qui devait l'em
mener, et il disait aux gendarmes : Ah çå ! ne vous
trompez pas , nous avons changé de pelure, monsieur et
moi ; mais ne me prenez pas à sa place . Diable ! cela ne
in'arrangerait pas , maintenant que j'ai de quoi avoir du
tabac .
( 1) Le prêtre.
96 LE DERNIER JOUR
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
XXIX
XXX
XXXI
XXXII
XXXIII
J'ai fermé les yeux, et j'ai mis les mains dessus, et j'ai
tâché d'oublier le présent dans le passé. Tandis que je
rêve, les souvenirs de mon enfance et de ma jeunesse me
reviennent un å un , doux , calmes, riants, comme des iles
de fleurs sur ce gouffre de pensées noires et confuses qui
tourbillonnent dans mon cerveau .
Je me revois enfant, écolier rieur et frais, jouant, cou
rant, criant avec mes frères dans la grande allée verte de
ce jardin sauvage ovi ont coulé mes premières années, an .
D'UN CONDAMNÉ. 107
cien enclos de religieuses que domine de sa tête de plomb
le sombre dôme du Val-de - Grace .
Et puis , quatre ans plus tard , m'y voilà encore, toujours
enfant, mais déjà rêveur et passionné . Il y a une jeune fille
dans le solitaire jardin .
La petite Espagnole, avec ses grands yeux et ses grands
cheveux, sa peau brune et dorée , ses lèvres rouges et ses
joues roses , l'Andalouse de quatorze ans , Pepa.
Nos méres nous ont dit d'aller courir ensemble : nous
sommes venus nous promener .
On nous a dit de jouer et nous causons, enfants du même
åge , non du même sexe.
Pourtant, il n'y a encore qu'un an , nous courions , nous
luttions ensemble . Je disputais à Pepita la plus belle pomme
du pommier : je la frappais pour un nid d'oiseau . Elle pleu
rait ; je disais : C'est bien fait ! et nous allions tous deux
nous plaindre ensemble l'un de l'autre à nos méres, qui
nous donnaient tort tout haut et raison tout bas.
Maintenant elle s'appuie sur mon bras , et je suis tout
fier et tout ému . Nous marchons lentement , nous parlons
bas . Elle laisse tomber son mouchoir; je le lui ramasse .
Nos mains tremblent en se touchant. Elle me parle des pe
tits oiseaux , de l'étoile qu'on voit là- bas, du couchant ver
meil derrière les arbres, ou bien de ses amies de pension,
de sa robe et de ses rubans. Nous disons des choses inno
centes, et nous rougissons tous deux. La petite fille est de.
venue jeune fille.
Ce soir -là, c'était un soir d'été . Nous étions sous les mar
ronniers, au fond du jardin . Après un de ces longs silences
qui remplissaient nos promenades, elle quitta lout à coup
mon bras et me dit : Courons !
Je la vois encore; elle était tout en noir, en deuil de sa
grand'mère. Il lui passa par la tête une idée d'enfant; Pepa
redevint Pepita, elle me dit : Courons !
108 LE DERNIER JOUR
Et elle se mit à courir devant moi avec sa taille fine
comme le corset d'une abeille , et ses petits pieds qui rele
vaient sa robe jusqu'à mi-jambe. Je la poursuivis, elle
fuyait; le vent de sa course soulevait par moments sa pėle ..
rine noire, et me laissait voir son dos brun et frais.
J'étais hors de moi . Je l'atteignis près du vieux puisard
en ruine ; je la pris par la ceinture, du droit de victoire, et
je la fis asseoir sur un banc de gazon ; elle ne résista pas.
Elle était essoufflée et riait . Moi , j'étais sérieux, et je re
gardais ses prunelles noires à travers ses cils noirs.
Asseyez-vous lå , me dit-elle . Il fait encore grand
jour, lisons quelque chose . Avez- vous un livre ?
J'avais sur moi le tome second des Voyages de Spallan
zapi . J'ouvris au hasard , je me rapprochai d'elle, elle apo
puya son épaule à mon épaule, et nous nous mîmes å lire
chacun de notre côté, tout bas , la même page. Avant de
tourner le feuillet, elle était toujours obligée de m'atten
dre. Mon esprit allait moins vite que le sien . Avez-vous
fini ? me disait-elle, que j'avais à peine commencé.
Cependant nos têtes se touchaient, nos cheveux se mê.
laient ; nos haleines peu à peu se rapprochérent, et nos
bouches tout à coup .
Quand nous voulůmes continuer notre lecture, le ciel
était étoilé.
Oh ! maman, maman, dit-elle en rentrant, si tu sa
vais comme nous avons couru !
Moi, je gardais le silence. Tu ne dis rien , me dit ma
mère, tu as l'air triste . J'avais le paradis dans le cœur.
C'est une soirée que je me rappellerai toute ma vie.
Toute ma vie !
D'UN CONDAMNÉ. 109
XXXIV
25 .
110 LE DERNIER JOUR
XXXV
XXXVI
XXXVII
XXXVIII
XXXIX
XL
XLI
XLII
XLIII
Elle est fraiche, elle est rose, elle a de grands yeux, elle
est belle !
On lui a mis une petite robe qui lui va bien .
Je l'ai prise , je l'ai enlevée dans mes bras, je l'ai assise
sur mes genoux, je l'ai baisée sur ses cheveux.
Pourquoi pas avec sa mére ? Sa mère est malade, så
grand'mère aussi . C'est bien .
Elle me regardait d'un air étonné. Caressée, embrassée,
dévorée de baisers et se laissant faire, mais jetant de temps
en temps un coup d'eil inquiet sur sa bonne, qui pleurait
dans un coin.
Enfin j'ai pu parler.
D’UN CONDAMNÉ.
119
— Marie ! ai-je dit, ma petite Marie !
Je la serrais violemment contre ma poitrine enflée de
sanglots. Elle a poussé un petit cri .
Oh ! vous me faites du mal , monsieur, m'a-t-elle dit
Monsieur ! Il y a bientôt un an qu'elle ne m'a vu , la
pauvre enfant ! Elle m'a oublié, visage, parole , accent ; et
puis, qui me reconnaîtrait avec cette barbe, ces habits et
cette påleur ? Quoi ! déjà effacé de cette mémoire, la seule
où j'eusse voulu vivre ! Quoi ! déjà plus père ! être con
damné à ne plus entendre ce mot, ce mot de la langue des
enfants, si doux qu'il ne peut rester dans celle des hom
mes : papa !
Et pourtant l'entendre de cette bouche, encore une fois,
une seule fois, voilà tout ce que j'eusse demandé pour les
quarante ans de vie qu'on me prend.
Ecoute , Marie, lui ai -je dit en joignant ses deux pe
tites mains dans les miennes, est-ce que tu ne me connais
point ?
Elle m'a regardé avec ses beaux yeux, et a répondu :
Ah bien non !
Regarde bien, ai -je répété. Comment, tu ne sais pas
qui je suis ?
Si, a-t-elle dit. Un monsieur.
Hélas ! n'aimer ardemment qu'un seul être au monde,
l'ạimer avec tout son amour, et l'avoir devant soi, qui
vous voit et vous regarde, vous parle et vous répond , et
ne vous connait pas ! Ne vouloir de consolation que de lui,
et qu'il soit le seul qui ne sache pas qu'il vous en faut
parce que vous allez mourir.
Marie, ai -je repris, as- tu un papa ?
- Oui , monsieur, a dit l'enfant.
Eh bien ! où est-il ?
Elle a levé ses grands yeux étonnés : Ah ! vous ne sa
vez donc pas ? il est mort,
120 LE DERNIER JOUR
Puis elle a crié : j'avais failli la laisser tomber .
Mort ! disais-je. Marie, sais-tu ce que c'est qu'être
mort ?
Oui, monsieur, a -t-elle répondu. Il est dans la terre
et dans le ciel.
Elle a continué d'elle- même .
Je prie le bon Dieu pour lui matin et soir sur les ge
noux de maman .
Je l'ai baisée au front. Marie, dis-moi ta prière.
- Je ne peux pas , monsieur. Une prière, cela ne se dit
pas dans le jour. Venez ce soir dans ma maison ; je la
dirai.
C'était assez de cela . Je l'ai interrompue :
Marie, c'est moi qui suis ton papa .
Ah ! m'a-t- elle dit .
J'ai ajouté : - Veux - tu que je sois ton papa ?
L'enfant s'est détournée . Non , mon papa était bien
plus beau .
Je l'ai couverte de baisers et de larmes . Elle a cherché à
se dégager de mes bras en criant : Vous me faites mal
avec votre barbe.
Alors je l'ai replacée sur mes genoux, en la couvant des
yeux , et puis je l'ai questionnée :
Marie, sais-tu lire ?
Oui , a -t -elle répondu . Je sais bien lire. Maman me
fait lire mes lettres .
- Voyons, lis un peu , lui ai-je dit en lui montrant un
papier qu'elle tenait chiffonné dans une de ses petites
mains .
Elle a hoché sa jolie tête .-- Ah bien ! je ne sais lire que
des fables .
Essaye toujours. Voyons , lis.
Elle a déployé le papier, et s'est mise à épeler avec son
doigli - A, R , ar, R , E, T, rét, ARRÊT ...
D'UN CONDAMNÉ . 121
Je lui ai arraché cela des mains . C'est ma sentence de
mort qu'elle me lisait . Sa bonne avait eu le papier pour un
sou . Il me coutait plus cher, à moi .
Il n'y a pas de parole pour ce que j'éprouvais . Ma vio
lence l'avait effrayée ; elle pleurait presque.
Tout à coup elle m'a dit : Rendez- moi donc mon pa
pier ; tiens ! c'est pour jouer.
Je l'ai remise à sa bonne. - Emportez - la .
Et je suis retombe sur ma chaise, sombre, désert, déses- •
péré . A présent ils devraient venir ; je ne tiensplus à rien ;
la dernière fibre de mon cæur est brisée. Je suis bon pour
ce qu'ils vont faire.
XLIV
XLV
XLVI
XLVII
MON HISTOIRE .
XLVIII
XLIX
QUATRE HEURES.
ET
PHILOSOPHIE MÊLÉES
BUT DE CETTE PUBLICATION
Mars 1834.
lui qui les a écrits que sur une échelle de quinze années ,
de 1819 à 1834 .
Nous ne ferons aucune observation sur les dépouille
ments de style et de manière que la critique y pourra no
ler de saison en saison . L'esprit de tout écrivain progres
sif doit être comme le platane dont l'écorce se renouvelle
à mesure que le tronc grossit .
Pour finir ce que nous avons å dire de ce livre, si l'on
nous demandait de le caractériser d'un mot, nous dirions
que ce n'est autre chose qu'une sorte d'herbier où la pen
sée de l'auteur a déposé, sous étiquette , un échantillon
tel quel de ses diverses floraisons successives .
Que le lecteur de bonne foi compare et juge si la loi
selon laquelle s'est développée cette pensée est bonne ou
mauvaise.
Maintenant il se rencontrera peut-être des esprits bien
veillants et sérieux qui demanderont à l'auteur quelle est
la formule actuelle de ses opinions sur la société et sur l'art .
L'espace lui manque ici pour répondre à la première de
ces deux questions . Ce serait un livre tout entier å faire;
il le ſera quelque jour. Des matières si graves veulent
ètre traitées à fond et ne sauraient être utilement abordées
dans un avant-propos. Le peu de pages qui nous reste
morcellerait la pensée de l'auteur sans profit, car il serait
impossible de détacher, pour des proportions si exiguës,
rien de fini, d'organisé et de complet d'un bloc d'idées
où tout se tient et fait ensemble . De quelque façon que
nous nous y prissions, il y aurait toujours des aſférences
latérales sur lesquelles il faudrait s'expliquer, des choses
purement affirmées faute de marge pour les démontrer ,
des préliminaires supposés admis , des conséquences tron
quées , d'autres qui se ramifieraient trop å l'étroit ; en un
mot , des tangentes et des sécantes dont les extrémités de.
passeraient les limites de cette préſace.
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 141
En attendant qu'il puisse se dérouler complétement et
à l'aise dans un écrit spécial, l'auteur croit pouvoir dire
dès à présent que , quoique le Journal d'un révolutionnaire
de 1830 renferme beaucoup de choses radicalement vraies
selon lui , sa pensée politique actuelle est cependant plutôt
représentée par les dernières pages du second de ces deux
volumes que par les dernières pages du premier. Si ja
mais , dans ce grand concile des intelligences où se débat.
tent de la presse à la tribune tous les intérêts généraux
de la civilisation du dix-neuvième siècle, il avait la pa
role, lui si petit en présence de choses st grandes , il la
prendrait sur l'ordre du jour seulement , et il ne demande
rait qu'une chose pour commencer : la substitution des
questions sociales aux questions politiques.
Une fois son intention politique ainsi esquissée, il croit
pouvoir répondre avec plus de détail aux personnes qui
le questionneraient sur son intention littéraire. Ici il peut
être plus aisément et plus vite compris ; tout ce qu'il a
écrit jusqu'à ce jour sert de commentaire å ses paroles.
Qu'on lui permette donc quelques développements sur un
sujet plus important qu'on ne le pense communément.
Quand on creuse l'art , au premier coup de pioche on en
tame les questions littéraires ; au second , les questions so
ciales .
L'art est aujourd'hui à un bon point. Les querelles de
mots ont fait place à l'examen des choses . Les noms de
guerre , les sobriquets de parti , n'ont plus de signification
pour personne. Ces appellations de classiques et de ro
mantiques, que celui qui écrit ces lignes s'est toujours
refusé à prononcer sérieusement , ont disparu de toute
conversation sensée aussi complétemeut que les ubiqui.
taires et les antipædobaptistes. Or c'est déjà un grand
progrés dans une discussion quand les mots de parti sont
hors de combat. Tant qu'on en est å la balaille des mots,
142 LITTERATURE
puis quinze années . Ce qui a été fait par les idées ne sera
pas détruit par les fantaisies. Réformons, ne déformons pas .
Si le nom qui signe ces lignes était un nom illustre, si
la voix qui parle ici était une voix puissante, nous supplie
rions les jeunes et grands talents sur qui repose le sort
futur de notre littérature, si magnifique depuis trois siė.
cles, de songer combien c'est une mission imposante que
la leur, et de conserver dans leur manière d'écrire les ha
bitudes les plus dignes et les plus sévères . L'avenir, qu'on
y pense bien , n'appartient qu'aux hommes de style. Sans
parler ici des admirables livres de l'antiquité, et pour nous
renſermer dans nos lettres nationales, essayez d’ôler à la
pensée de nos grands écrivains l'expression qui lui est pro
pre ; ôtez å Molière son vers si vif, si chaud , si franc, si
amusant , si bien fait, si bien tourné , si bien peint ; ôtez a la
Fontaine la perfection naïveet gauloise du détail; ôtez à la 1
phrase de Corneille ces muscles vigoureux , ces larges at
laches, ces belles formes de vigueur exagérée qui feraiení
du vieux poëte demi-romain, demi - espagnol , le Michel
Ange de notre tragédie, s'il entrait dans la composition de
son génie autant d'imagination que de pensée ; ôtez à Ra
cine la ligne qu'il a dans le style comme Raphaël, ligne
chaste, harmonieuse et discrete comme celle de Raphaël,
quoique d'un goût inférieur, aussi pure, mais moins
grande , aussi parfaite, quoique moins sublime; ôlez à Féne
lon , l'homme de son siècle qui a le mieux senti la beauté
antique, cette prose aussi mélodieuse et aussi sereine que
le vers de Racine, dont elle est seur ; ôlez à Bossuet le
magnifique port de tête de sa période ; ôlez á Boileau sa
manière sobre et grave, admirablement colorée quand il le
faut; ôtez à Pascal ce style inventé et mathématique qui a
tant de propriété dans le mot, tant de logique dans la mé
taphore ; ôtez à Voltaire cette prose claire , solide , indes
tructible, celle prose de cristal de Candide et du Diction
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 153
naire philosophique; ôtez à tous ces grands hommes cette
simple et petite chose, le style; et de Voltaire, de Pascal ,
de Boileau, de Bossuet, de Fénelon , de Racine , de Corneille,
de la Fontaine, de Moliére, de ces maîtres , que vous res.
tera -t -il ? Nous l'avons dit plus haut, ce qui reste d'Homère
après qu'il a passé par Bitaubé.
C'est le style qui fait la durée de l'auvre et l'immorta
lité du poête. La belle expression embellit la belle pensée
et la conserve ; c'est tout à la fois une parure et une armure .
Le style sur l'idée, c'est l'émail sur la dent .
Dans tout grand écrivain il doit y avoir un grand gram
mairien , comme un grand algébriste dans tout grand astro
nome. Pascal contient Vaugelas ; Lagrange contient Bezout.
Aussi l'étude de la langue est - elle aujourd'hui , autant
que jamais, la première condition pour tout artiste qui
veut que son cuvre naisse viable. Cela est admirablement
compris maintenant par les nouvelles générations littéraires .
Nous voyons avec joie que les jeunes écoles de peinture et
de sculpture, si haut placées à cette heure , comprennent
de leur côté combien est importante pour elle aussi la science
de leur langue, qui est le dessin . Le dessin ! le dessin ! c'est
la loi première de tout art . Et ne croyez pas que cette loi
retranche rien à la liberté, å la fantaisie , å la nature . Le
dessin n'est ennemi ni de la chair, ni de la couleur. Quoi
qu'en disent les exclusifs et les incomplets , le dessin ne fait
obstacle ni å Puget , ni á Rubens . Aujourd'hui donc, dans
toutes les directions de l'activité intellectuelle, sculpture,
peinture et poésie, que tous ceux qui ne savent pas dessiner
l'apprennent. Le style est la clef de l'avenir. Sans le style
et sans le dessin , vous pourrez avoir le succès du moment,
l'applaudissement, le bruit, la fanfare, les couronnes, l'ac
clamation enivrée des multitudes ; vous n'aurez pas le vrai
triomphe, la vraie gloire , la vraie conquêle, le vrai laurier.
Comme lit Cicéron , insignia victoria , non victoriam.
154 LITTÉRATURE
Sévérité donc et grandeur dans la forme; et, pour que
l'æuvre soit complete, grandeur et sévérité dans le fondo
Telle est la loi actuelle de l'art; sinon il aura peut- êlre le
présent , mais il n'aura pas l'avenir .
Dans le drame surtout, le fond importe, non moins certes
que la forme. Et ici , s'il nous était permis de nous citer
nous-même , nous transcririons ce que nous disions il y a
un an dans la préface d'une pièce récemment jouée : « L'au
« teur de ce drane sait combien c'est une grande et sérieuse
« chose que le théâtre ; il sait que le drame, sans sortir des
« limites impartiales de l'art , a une mission nationale, une
« mission sociale , une mission humaine. Quand il voit cha
« que soir ce peuple si intelligent et si avancé, qui a fait
« de Paris la cité centrale du progrés , s'entasser en foule
« devant un rideau que sa pensée , à lui chétiſ poëte , va
« soulever le moment d'après, il sent combien il est peu
« de chose, lui, devant tant d'attente et de curiosité; il
« sent que , si son talent n'est rien , il faut que sa probité
« soit tout ; il s'interroge avec sévérité et recueillement
« sur la portée philosophique de son cuvre ; car il se sait
« respectable , et il ne veut pas que celte foule puisse lui
« demander compte un jour de ce qu'il lui aura enseigné .
« Le poëte aussi a charge d'âmes. Il ne faut pas que la mul.
« titude sorte du théâtre sans emporter avec elle quelque
« moralité austère et profonde . Aussiespère-l -il bien , Dieu
« aidant, ne développer jamais sur la scène ( du moins tant
« que dureront les temps sérieux où nous sommes) que des
« choses pleines de lecons et de conscils . Il ſera toujours
« apparaître volontiers le cercueil dans la salle du banquet,
« la prière des morts à travers les refrains de l'orgie, la
« cagoule à côté du masque. Il laissera quelquefois le car
« naval débraillé chanter à tue - tête sur l'avant-scène;
a mais il lui criera du fond du théâtre : Memento quia pul
« vis es ! Il sait bien que l'art seul , l'art pur, l'art propre.
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 155
A UN HISTORIEN.
FRAGMENTS DE CRITIQUE
Décembre 1819.
II
III
188 LITTERATURE
de M*** s'arrête : Ce n'est pas l'argent, dit- elle, c'est
le fer. D'accord , ce n'est pas avec des écus que l'on se
bat, c'est avec des soldats ; toute la question se réduit å
savoir s'il est plus facile d'avoir des soldats sans argent
que d'en avoir avec de l'argent. Le premier moyen sera
plus économique. Il ne parait pas cependant qu'il fût du
goût de Sully.
Je lisais dernièrement dans Grotius la définition de la
guerre : « La guerre est l'état de ceux qui tâchent de vi
der leurs différends par la voie de la force . » Il est évident
que cette définition est la même que celle du duel.
Mais, a-t-on dit aux duellistes, vous allez à la mort en
riant, vous vous battez par partie de plaisir . Il en a été
absolument de même de la guerre. Avant la révolution
on ne s'égorgeait plus que le chapeau à la main . Le grand
Condé fait donner l'assaut à Lérida avec trente-six violons
en tète des colonnes ; et dans les champs d'Ettingen et de
Clostersevern on vit les jeunes officiers marcher aux bat
teries comme å un bal , en bas de soie et en perruque pou.
drée å blanc.
Il prit un jour fantaisie à Rousseau, le Don Quichotte
du paradoxe, de soutenir une vérité. C'était pour lui
whose nouvelle. Il s'y prit comme pour une mauvaise
cause, il alla chercher des autorités comme les gens qui
ne trouvent pas de bonnes raisons. C'est ainsi qu'à propos
du duel il a cité les anciens. Il est probable que Rousseau
n'avait pas lu Quinte-Curce . Il y aurait vu qu'il n'y avait
guère de festin chez Alexandre où il n'y eût quelques com
bats singuliers entre les convives . Qu'était-ce d'ailleurs
que le combat d'Étéocle et de Polynice ? Et dans l'Iliade,
est-il probable que si Minerve n'était pas venue prendre
Achille par les oreilles, Agamemnon aurait laissé son
épée dans le fourreau ?
Mais, ont dit les philosophes, les Grecs ! Ah ! les Grecs !
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 189
IV
Avril 1820.
3
Il a paru ces jours-ci un recueil de Lettres de madame
de Grufigny sur Voltaire et sur Ferney . Cet ouvrage tient
beaucoup moins que ne promet son titre . Le nom de Vol
taire, placé en tête d'un livre quelconque, inspire une cu
riosité vive et tellement étendue dans ses désirs, qu'il est
bien difficile de la satisfaire. Il semble que la vie privée
de Voltaire devrait offrir au lecteur une foule de détails
pleins d'agrément et d'intérêt , si le caractère de cet écri
vain extraordinaire était reproduit par une peinture fidèle
avec toute sa mobilité originale et ses brusques inégali
tés . Il semble encore que le pinceau fin et délicat d'une
femme serait plus que tout autre capable de saisir cette
foule de nuances variées dont se compose la physionomie
morale de l'homme universel, surtout dans sa liaison avec
l'impérieuse marquise du Châtelet . Il aurait été piquant et
peut-être plus facile à une femme qu'à un homme de dé
brouiller les causes de cet attachement bizarre qui rendit
un homme de génie esclave d'une femme d'esprit, et ré
sista si longtemps aux tracasseries fatigantes, aux violen
tes querelles que faisaient naître inopinément , et à toute
heure , l'irascibilité de l'un et l'orgueil de l'autre . Si la
collection des lettres de Voltaire å sa respectable Émilie
n'avait été détruite, nous pourrions espérer encore d'ob
tenir le mot de cette énigme ; car les lettres de madame
de Grafigny ne nous présentent sous ce rapport aucun
aperçu satisfaisant. Il faut le dire et le croire pour son
honneur, l'auteur des Lettres péruviennes n'avait sans
doute pas écrit ces lettres sur Cirey avec l'idée qu'elles
seraient imprimées un jour . On ne doit pas savoir beau
coup de gré à l'éditeur d'avoir extrait ce manuscrit du
portefeuille de M. de Bruſtlers. Madame de Grafigny n'a
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 197
Mai 1820.
I
II
III
IV
Voici donc enfin des poëmes d'un poēte , des poésies qui
sont de la poésie !
Je lus en entier ce livre singulier ; je le relus encore,
et, maigré les négligences , le néologisme, les répéti.
tions et l'obscurité que je pus quelquefois y remarquer,
202 LITTÉRATURE
je fus tenté de dire å l'auteur : « Courage, jeune homme !
« vous êtes de ceux quie Platon voulait combler d'honneurs
« et bannir de sa république. Vous devez vous attendre
« aussi à vous voir bannir de notre terre d'anarchie et
a d'ignorance, et il manquera à votre exil le triomphe
« que Platon accordait du moins au poëte, les palmes, les
« fanfares et la couronne de fleurs . »
THÉATRE
II
IV
VI
VII
VIII
IX
FANTAISIE
Février 1819.
Février 1819.
Avril 1819
Avril 1820,
SATIRIQUES ET MORALISTES.
anima, eile
Etre un de
SUR ANDRÉ DE CHÉNIER.
e vanter
1819.
, Horace
ace, Un livre de poésie vient de paraître. Et quoique l'auteur
soit mort , les critiques pleuvent. Peu d'ouvrages ont été
strapauri
plus rudement traités par les connaisseurs que ce livre .
hènes, Il ne s'agit pas cependant de torturer un vivant, de décon
ses TIA rager un jeune homme, d'éteindre un talent naissant, de
tuer un avenir, de lernir une aurore . Non , celte fois la
5 critique , chose étrange ! s'acharne sur un cercueil ; pour
quoi ? en voici la raison en deux mots : c'est que c'est
. bien un poëte mort, il est vrai, mais c'est aussi une poé
sie nouvelle qui vient de naître. Le tombeau du poële n'ob
à crainine
tient pas grâce pour le berceau de sa muse .
re; Pour nous, nous laisserons à d'autres le triste courage
de triompher de ce jeune lion arrêté au milien de ses for
ces. Qu'on invective ce style incorrect et parfois barbare ,
Emu. Camp
ces idées vagues et incohérentes, cette effervescence d'i
y laive est
magination , rêves tumultueux du talent qui s'éveille ;
ime.Ilse
cette manie de mutiler la phrase, et, pour ainsi dire, de
rlui deeur
la tailler à la grecque; les mots dérivés des langues an
ciennes employés dans toute l'étendue de leur acception
maternelle ; des coupes bizarres, etc. Chacun de ces dé
les directe
fauts du poëte est peut-être le germe d'un perfectionne
C une sort
ment pour la poésie . En tout cas, ces défauts ne sont
point dangereux, il s'agit de rendre justice à un homme
qui n'a point joui de sa gloire . Qui osera lui reprocher
ses imperfections lorsque la hache révolutionnaire repose
220 LITTÉRATURE
Il va fendre sa tête ;
Soudain le fils d’Egée, invincible, sanglant,
L'aperçoit, à l'autel prend un chêne brûlant,
Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible,
S'élance, va saisir sa chevelure horrible,
L'entraîne, et quand sa bouche, ouverte avec effort,
Crie, il y plonge ensemble et la flamme et la mort.
• A UN TRADUCTEUR D'HOMÈRE.
Juin 1820.
Juin 1820.
38
230 LITTEPATURE
Campistron , comme Lagrange -Chancel, avait montré de
bonne heure des dispositions pour la poésie, et cependant
ils ne se sont jamais élevés tous les deux au - dessus du mé.
diocre . Il est rare , en effet, que des talents si précoces par.
viennent jamais à la maturité du génie. C'est une vérité
dont nous pouvons tous les jours nous convaincre davan
Lage. Nous voyons des jeunes gens faire à dix - neuf ans ce
que Racine n'aurait pas fait à vingt- cinq ; mais à vingt-cinq
ils sont arrivés à l'apogée de leur talent, et å vingt-huit
ans ils ont déjà défait la moitié de leur gloire. On nous
objectera que Voltaire aussi avait fait des vers dès son en
fance , mais il est å remarquer que, dės quinze ans, Cani
pistron et Lagrange -Chancel étaient connus dans les salons
et considérés comme de petits grands hommes ; tandis qu'au
même âge Voltaire était déjà en fuite de chez son père ; et ,
en général, ce n'est pas dans des cages , fussent -elles dorées ,
qu'il faut élever les aigles .
UN FEUILLETON .
Décembre 1820.
D'APRÈS LA RÉVOLUTION.
ARISTIDE A BRUTUS.
LA SAINT-CHARLES DE 1820 .
DU GÉNIE.
épargner la lutte des passions ; mais est -ce donc vivre que
d'avoir évité la vie ? Qu'est-ce qu'exister ? dit Locke . C'est
sentir. Les grands hommes sont ceux qui ont beaucoup
senti, beaucoup vécu ; et souvent , en quelques années , on
a vécu bien des vies. Qu'on ne s'y trompe pas, les hauts
sapins ne croissent que dans la région des orages . Athènes ,
ville du tumulte , eut mille grands hommes ; Sparte , ville
de l'ordre, n'en eut qu'un , Lycurgue; et Lycurgue était
né avant ses lois .
Aussi voyons-nous la plupart des grands hommes appa.
raitre au milieu des grandes fermentations populaires;
Homère, au milieu des siècles héroïques de la Grèce ; Vir
gile, sous le triumvirat ; Ossian , sur les débris de sa patrie
et de ses dieux ; le Dante , l'Arioste, le Tasse, au milieu
des convulsions renaissantes de l'Italie ; Corneille et Ra
cine au siècle de la Fronde ; et enfin Milton , entonnant la
première révolte au pied de l'échafaud sanglant de White
Hall .
Et si nous examinons quel fut en particulier le destin
de ces grands hommes , nous les voyons tous tourmentés
par une vie agitée el misérable ; Camoëns fend les
mers , son poëme à la main ; d'Ercilla écrit ses vers sur des
peaux de bêtes dans les forêts du Mexique . Ceux - là que
les souffrances du corps ne distraient pas des souffrances
de l'âme , traînent une vie orageuse , dévorés par une irri
tabilité de caractère qui les rend à charge à eux-mêmes et
à ceux qui les entourent, Heureux ceux qui ne meurent
pas, avant le temps , consumés par l'activité de leur pro
pre génie, comme Pascal ; de douleur, comme Molière et
Racine ; ou vaincus par les terreurs de leur propre imagi
nation , comme ce Tasse infortuné !
Admettant donc ce principe reconnu de toute l'anti
quité, que les grandes passions font les grands hommes
nous reconnaîtrons en même temps que, de même qu'il
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 249
y a des passions plus ou moins fortes, de même il existe
divers degrés de génie.
Et examinant maintenant quelles sont les choses les
plus capables d'exciter la violence de nos passions, c'est
à- dire de nos désirs, qui ne sont eux - mêmes que des
volontés plus ou moins prononcées, jusqu'à cette volonté
ferme et constante par laquelle on désire une chose de
toute sa vie, tout ou rien , comme César, levier terrible
par lequel l'homme se brise lui-même ;
Nous tomberons d'accord que, s'il existe une chose ca
pable d'exciter une volonté pareille dans une âme poble
et ferme, ce doit être sans contredit ce qu'il y a de plus
grand parmi les hommes .
Or, jetant maintenant les yeux autour de nous, consi
dérons s'il est une chose à laquelle cette dénomination su
blime ait été justement attribuée par le consentement
unanime de tous les temps et de tous les peuples .
Et nous voici , jeunes gens, arrivés en peu de paroles å
cette vérité ravissante devant laquelle toute la philosophie
antique et le grand Platon lui-même avaient reculé : Que
le génie c'est la vertu !
O fortune contraire,
J'ose après de tels coups défier la colère!
Décembre 1820 .
D'UN
RÉVOLUTIONNAIRE DE 1830
AOUT.
SEPTEMBRE.
1
Chose étrange que la figure des gens qui passent dans
les rues le lendemain d'une révolution . A tout moment,
vous êtes coudoyé par le vice et l'impopularité en per
sonne avec cocarde tricolore . Beaucoup s'imaginent que la
cocarde couvre le front.
OCTOBRE.
41 .
270 LITTÉRATURE
L'Eglise affirme, la raison nie. Entre le oui du prêtre
et le non de l'homme, il n'y a plus que Dieu qui puisse
placer son mot.
NOVEMBRE.
DÉCEMBRE .
NAPOLÉON .
Voyez-vous cette étoile ?
CAULINCOURT,
Non .
NAPOLÉON .
Eh bien , moi, je la vois.
JANVIER
FÉVRIER.
42
278 LITTÉRATURE
MARS.
TOAST :
NOBLESSE . PEUPLE .
Le comte de Mirabeau. Franklin .
Napoléon Bonaparte, gentilhomme corse . Washington .
Le marquis Simon de Bolivar. Sieyès.
Le marquis de Lafayette. Bentham .
Lord Byron . Schiller.
M. de Goëthe. Canaris.
Sir Warter Scott. Danton.
Le comte Henri de Saint- Simon . Talma.
Le vicomte de Chateaubriand. Cuvier.
Madame de Staël .
Le comte de Maistre.
F. de Lamennais.
O'Connell , gentilhomme irlandais.
Mina, hidalgo catalan.
Benjamin de Constant.
La Rochejaquelein .
Riego.
284 LITTERATURE
1823. 1824 .
SUR VOLTAIRE .
Décembre 1823 .
Epargne-toi ce soin ,
L'art n'est pas fait pour toi , tu n'en as pas besoin.
Juin 1823 .
Juillet 1823.
A PROPOS DE SA MORT .
IDÉES AU HASARD .
Juillet 1824.
11
III
IV
VI
1827 .
FRAGMENT D'HISTOIRE .
47 .
342 LITTERATURE
1830.
SUR M. DOVALLE.
1825. — 1832.
1825.
1832 .
« MONSIEUR,
1833 .
YMBERT GALLOIX .
(1) Le mot est souligné dans la lettre que nous avons sous les
yeux .
56.
378 LITTÉRATURE
montagnes, douleurs positives, douleurs idéales, persua
sion du malheur enracinée dans l'âme, certitude que la
fortune, quoique un grand bien , ne nous rendrait pas pare
faitement heureux : voilà ce qui tourmente ma pauvre åme .
Oh ! mon unique ami! qu'ils sont malheureux ceux qui
sont nés malleureux !
Et quelquefois pourtant, il semble qu'une musique
aérienne résonne å mes oreilles , qu'une harmonie mélan
colique et étrangère au tourbillon des hommes vibre de
sphère en sphere jusqu'à moi , il semble qu'une possibilité
de douleurs tranquilles et majestueuses s'offre à l'horizon
de ma pensée comme les fleuves des pays lointains à l'ho
rizon de l'imagination . Mais tout s'évanouit par un cruel
retour sur la vie positive , tout !
Que de fois j'ai dit avec Rousseau : 0 ville de boue et de
fumée ! Que cette âme tendre a dû souffrir ici ! Isolé,
errant, tourmenté comme moi , mais moins malheureux
de soixante ans d'un siècle sérieux et de grands événe
ments , il gémirait à Paris ; j'y gémis, d'autres y viendront
gémir . O néant, ô néant !
J'ai pourtant eu deux ou trois moments d'extase. Un jour,
à l'Opéra , la musique enchantée du Siége de Corinthe m'a.
vait fait oublier mes peines . Vous savez combien j'aime
l'élégance, la somptuosité , les titres , tout enfin , tout ce
qui nous place dans un monde aussi beau que possible
ici-bas, du moins à l'extérieur. Eh bien , ces impressions
que m'apportaient à Genève tant de physionomies étran
gères et distinguées, tant de belles âmes , de grands per
sonnages, tant de livrées, d'équipages enfin , ce spectacle
ravissant des pompes de la civilisation au milieu des pom
pes de la nature, spectacle qui fait de Genève une ville
peut- être unique en Europe relativement à sa grandeur ,
ces impressions, je ne les ai retrouvées à Paris qu'à l'Opéra ;
et en relisant avec passion la vie d'Alfiéri, écrite par lui.
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES .
379
même , que je n'avais pas lue depuis quatre ans . Qiie de
choses pour moi et pour chaque âme dans ces quatre ans !
J'étais donc à l'Opéra. Les prestiges de la musique, lit
magnificence du théâtre, les toilettes et les physionomies
qui garnissaient les loges , je respirais tout cela , je me
croyais prince, riche, honoré ; les portiques d'un monde
qui n'est beau pour moi que parce que je l'ignore , se dessi
naient à ma vue entourés d'une auréole d'élégance et de
recherche. J'avais oublié ma situation, ou plutôt je cher
chais à me convaincre qu'e.le allait cesser . Quoique entourė
des simples mises du parterre, c'était bien aux loges que
j'étais. Je ne voyais qu'au-dessus de moi . J'étais plongé
dans un océan d'illusions , d'espérances démesurées, d'hart
monie, de splendeurs, de vanités; etc. Cet état dura une
demi- heure. Oh ! qu'ils furent tristes les moments qui sui
virent, qu'ils furent amers ! Il en est de même de lå vie
errante de ce riche, noble et malheureux Alliéri. On n'y
voit que des ambassadeurs nobles, des voyages en poste
continuels , des valets de chambre , etc. Oh ! qu'il fait bon
être malheureux avec trente mille francs de rente ! Non ,
non ; excusez cette phrase . Vous savez combien je sais dė
pouiller le malheur de son entourage positif, et le contein
pler dans son affreuse nudité, qui est la même pour toutes
les conditions lorsqu'on a dans l'âme quelque chose qui bat
plus fortement pour nous que pour la foule. Les sensations
m’accablent. Je quitte la plunie ; je vais rêver. Riez, car là
vous me reconnaissez tout entier, n'est- ce pas ?
Je reprends la plume aujourd'hui 27 décembre. Je
souffre, et toujours. J'ai eu des moments horribles ; mais
je ne veux pas vous lasser encore de mes plaintes. Il est
minuit et quelques minutes . Nous sommes donc le 28 .
Qu'importe ? Quelques voitures roulent encore de loiri en
loin ; mais on est sorti de l'Odéon . La tristesse, l'hiver,
la solitude et la nuit règnent.. Je veille au coin d'un feu
380 LITTERATURE
au quatrième étage de la rue des Fossés-Saint-Germain
des-Prés . Ma chambre ,' assez élégante, est seule , et je
suis face à face avec ma tristesse et mon ennui . Croiriez
vous que je n'aime plus les femmes ? Pas le moindre dé.
sir physique. Il faut que la douleur m'absorbe entière
ment . Mais je me laisserais faiclement aller à de nouvelles
rêveries . Venons au fait. Depuis longtemps je suis très - lie
avec
1
Mon ami , je continue ma lettre bien après l'avoir com
mencée et reprise. Il est huit heures du soir, et nous
sommes le 31 mars . Je suis fou de douleur, mon déses
poir surpasse mes forces. J'ai souffert aujourd'hui ce
qu'il est à peine possible à un homme de se figurer. En
fin , un accès de fièvre m'a pris ce soir, c'était l'excés de
la peine morale . Ecoutez . Si du moins je pouvais nie
persuader qu'un jour je serai heureux ! mais l'avenir
rembrunit encore le présent. Vous me connaissez ; vous
savez les bizarreries de mon caractère. J'ai fait une dé
couverte en moi , c'est que je ne suis réellement point
malheureux pour telle ou telle chose , mais j'ai en moi
une douleur permanente qui prend différentes formes.
Vous savez pour conibien de choses jusqu'ici j'ai été
malheureux , ou plutôt sous combien de formes le foie,
la bile, ou enfin le principe qui me tourmente s'est re
produit . Tantôt, vous le savez , c'était de n'être pas né
Anglais qui m'affligeait ; tantôt de n'être pas propre aux
sciences ; plus habituellement encore de n'être pas ri
che , de lutter avec la misère et les préjugés, d'être in
connu . Vous savez encore que depuis Genève il me sem
blait que si jamais je parvenais å percer à Paris je serais
enfin heureux . Eh bien , mon ami , je suis lié avec pres
que tous les littérateurs les plus distingués. Quelques
uns, tels que ***, C.N—, etc. , sont d'illustres amis avec
qui je suis presque aussi familier qu`avec vous. Eh bien ,
ma vanité est satisfaite ; souvent dans les salons j'ai des
moments de satisfaction mondaine ; enfin quelquefois je
suis enivré de ces petits triomphes d'une soirée, d'un in
stant ; et avec cela, le fond, la presque totalité de ma vie ,
c'est je ne dirais pas le malheur, mais un chancre aride ;
un plomb liquide me coule dans les veines ; si l'on voyait
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES. 385
mon âme , je ferais pitié ; j'ai peur de devenir fou . Depuis
que je suis ici , ma douleur a pris cinq å six formes ; d'a
bord ç'a été le regret de ma patrie , et mon incertitude de
l'avenir ; ensuite le sentiment de mon isolement, de mon
néant; puis un vide occupé par cet affreux tumulte de
sensations dont je vous ai tant parlé ; enfin, depuis deux
mois , toutes mes facultés de douleur se sont réunies sur
un point. J'ose à peine vous le dire, tant il est fou ; mais ,
je vous en supplie, ne voyez lå dedans qu'une forme de la
douleur, qu'une des apparences de l’ulcère qui me ronge :
ne me jugez pas d'après les règles ordinaires, et voyez le
mal et non pas son objet. Eh bien , ce point central de
mes maux , c'est de n'être pas né Anglais. Ne riez pas, je
vous en supplie ; je souffre tant ! les gens vraiment amoll
reux sont des monomanes comme moi , qui ont une seule
idée, laquelle absorbe toutes leurs sensations. Moi, dont
l'âme a élé en butle si longtemps à un tumulte si varié ,
je suis monomane aussi maintenant.
Je lisais dernièrement Valérie, de madame de Krude
ner ; je ne puis vous exprimer les sensations que j'en ai
reçues . Ce livre étonnant m'avait ennuyé jadis ; mainte
nant il m'a déchiré. C'est que Gustave est comme moi
victime d'une passion dévorante, ou plutôt d'une énergie
de sensations qui le dévore , et qui s'est portée sur un ali
ment naturel, l'amour, tandis que cette même énergie,
lultant dans mon âme avec le vide , y enfante des fantô
mes . Je lisais ce roman , aux premiers rayons du soleil du
printemps, dans les vastes et tristes allées du Luxembourg.
A chaque instant , je m'arrêtais anéanti .
Maintenant, voici l'origine de ma passion pour l’An
gleterre. D'abord vous savez que j'aime à revivre avec
les morts , à connaître leur vie d'autrefois , à habiter
avec eux , à les suivre dans les circonstances de leur exis
lence, à me créer enfin des sympathies que pare l'illuc
T17 51
386 LITTÉRATURE
1834.
SUR MIRABEAU .
1.
L'ONCLE.
Où voulez - vous courir ?
LE PÈRE .
Las I que sais -je !
52
402 LITTÉRATURE
L'ONCLE .
Il me semble
Que l'on doit cornmencer par consulter ensemble
Les choses qu'on peut faire en cet événement .
La scène est complėte ; rien n'y manque, pas même le
coquin de neveu .
Ce qu'il y a de frappant dans le cas présent, c'est que la
scène qu'on vient de retracer est une chose réelle, c'est
jue ce dialogue du père et de l'oncle a eu textuellement
lieu par lettres , par lettres que le public peut lire à l'heure
qu'il est (1 ) ; c'est qu'à l'insu des deux vieillards il y avait
II
IV
(1 ) Madame du Saillant,
ET PHILOSOPHIE MÊLÉES . 427
!
432 LITTÉRATURE
avec ce qu'il tuait . A en croire les naturalistes, il y a du
chat dans le lion .
Une autre fois, comme les procureurs de l'assemblée
'avaient barbouillé un texte de loi de leur mauvaise ré
daction , Mirabeau se lève : « Je demande à faire quel
« ques réflexions limides sur les convenances qu'il y aurait
« à ce que l'Assemblée nationale de France parlåt fran
« çais, et même écrivît en français les lois qu'elle pro
« pose . »
Par moments , au beau milieu de ses plus violentes dé
clamations populaires, il se rappelait tout à coup qui il
était , et il avait de fières saillies de gentilhomme . C'était
une mode oratoire alors de jeter dans tout discours une
imprécation quelconque sur les massacres de la Saint
Barthélemy. Mirabeau faisait son imprécation comme tout
le monde, mais il disait en passant : Monsieur l’amiral
de Coligny, qui, par parenthèse, était mon cousin . La
parenthèse était digne de l'homme dont le père écrivait :
Il n'y a qu'une mésalliance dans ma famille, les Médicis.
Mon cousin, monsieur l'amiral de Coligny ; c'eût été
impertinent à la cour de Louis XIV, c'était sublime à la
cour du peuple de 1791 .
Dans un autre instant il parlait aussi de son digne cou
sin , monsieur le garde des sceaux (1 ) ; mais c'était d'up
autre ton .
Le 22 septembre 1789 , le roi fait offrir à l'assemblée
l'abandon de son argenterie et de sa vaisselle pour les
besoins de l'État . Le côté droit admire, s'extasie et pleure.
Quant à moi, s'écrie Mirabeau, je ne m'apitoie pas aisé.
ment sur la faïence des grands.
Son dédain était beau , son rire était beau ; mais sa co
lére était sublime.
VII
FIN
TABLE .
FIN DE LA TABLE .
PARIS . IMPRIMERIE DE CH . LAHORE ET C'e
Rues de Fleurus, 9 , et de l'Ouest, 21
!
1
1
1
1
HILLES LIBRARY
HARVARD COLLEGE
DATE DUE
HILLES LIBRARY
M57 04 1985
OCT 25 '85
LES
HIL
OCT 22 2003
ES
Le dernier jour d'un condamne : lit
Hilles AGT0956
Hugo
Widener Library
HD
COS