Revue des Etudes Augustiniennes, 35 (1989), 151-170
Autour de la bulle Unigenitus :
le cardinal Guillaume Dubois
(1656-1723)
Diplomate-né, Guillaume Dubois a joué un réle dans la politique francaise
durant la Régence et le début du régne de Louis XV. Aussi, les historiens n’ont
pas manqué de s’occuper de lui'. Ici nous n’envisagerons que la part qu’il a prise
dans histoire ultérieure de la bulle Unigenitus’.
Sa jeunesse
Il naquit le 6 septembre 1656 4 Brive, dite La Gaillarde, en Limousin. Son pére
Jean, médecin-apothicaire, appartenait 4 la bourgeoisie locale’, et fut plusieurs fois
membre du conseil communal. Sa mére, Marie Joyet, avait des ascendants dans
les ordres médical et judiciaire. Nullement riche, sa famille comptait trois garcons
et une fille. Guillaume, le second des fils, commenga ses études primaires en 1662
dans « la petite école » du prieuré Saint-Martin, ot, d'aprés son propre aveu, « il
apprit rapidement a lire et A écrire assez mal » ; mais en 1665, pour une grave
1. Mémoires secrets et correspondance inédite du cardinal Dubois, publiés par Sevelinger,
2vol., Paris, 1815 ; DE SEILLAc, L‘abbé Dubois, premier ministre de Louis XV, Paris, 1862;
L. Wiesner, Le Régent, l'abbé Dubois et les Anglais, Paris, 1948 ; J.L, AuoL, Le cardinal
Dubois ministre de 1a paix, Paris, 1948 ; P. BLIARD, Dubois, cardinal et premier ministre, 2 vol.,
Paris, 1901 ; Emile Bourczots, Le secret du Régent et la politique de I'abbé Dubois, 3 vol., Paris,
1910.
2. La principale source est Joseph Carreyre, Le jansénisme durant la Régence, 3 vol.,
Louvain, 1929, Cet ouvrage, dressé surtout sur les sources des Affaires étrangéres, est fort riche,
mais indigeste. L’ceuvre de Dubois n'y apparait guére.
3. La jeunesse de Dubois est peu connue. Nous suivons surtout Leon Dautrement, La
jeunesse briviste et parisienne de Guillaume Dubois, dans Bulletin de la Société scientifique,
historique et archéologique de la Corréze, 18, 1956, p. 16-40. Nous le citons sans références
ultérieures.
4, Guillaume écrira plus tard : « ... On m’accuse de n’étre pas fils d’un duc et pair, ce qu’ils
appellent étre né dans la boue... Pour moi, je suis bon cheval de trompette, le bruit ne
m'épouvante point. Ils croient me désoler, avec leur éternel reffain de Brives-La-Gaillarde et
Vapothicaire, Je les y enverrai, un jour, en exil, pour quils puissent contempler & leur aise la
boutique de mon pére » (CaRREYRE, III, 145).152 LUCIEN CEYSSENS
espiéglerie, il fut renvoyé et devint pour quelques mois apprenti-apothicaire sous
la direction de son pére. Cependant, vu « sa perspicacité précoce et son esprit
avide de savoir », il put, en 1666, commencer la cinquiéme au Collége des Péres
de la doctrine chrétienne, 4 deux pas de la maison paternelle. Aussitét il affirma
« ses dispositions extraordinaires qui s’étaient manifestées dés sa prime enfance.
Actif, prudent, déja réaliste et sr de lui, il brilla dans toutes les classes, mais on
lui reprocha un penchant au mensonge. Il se distinguait dans ]’étude du latin et
des racines grecques de Port-Royal. Il compulsait chroniqueurs et historiens avec
une aptitude supérieure 4 son age, faisait ses délices du Prince de Machiavel. Il lut
de préférence a haute voix, pour se défaire d’un défaut de prononciation’ ».
Le 18 novembre 1669, 4 l’age de 13 ans, éléve en poésie, il fait sa premiere
communion, et dix jours aprés il est tonsuré par Monseigneur Frangois de La
Fayette. « Le petit abbé», a-t-il l’intention de consacrer sa vie au service de
Eglise ? « Il parait, écrira-t-il plus tard, que je possédais les qualités requises, car
‘on n’épargna ni exhortations ni ruses pour m’enrdler. Je tins bon et m’applaudis
de n’ayoir pas cédé a ces séductions, qui n’eussent fait de moi peut-étre qu’un
régent de collége ». Aussi « pour étre prétre, Dubois attendra-t-il d’étre archevé-
que ; sa vocation religieuse mettra soixante ans a se décider ».
Grace 4 une bourse d’études’, le « petit abbé » peut suivre son frére ainé a Paris,
ou il prend logement au Collége Saint-Clément, suit les cours au Collége de
Navarre et obtient la maitrise és arts le 9 aodt 1674, tout gagné, dit-on, aux idées
de Descartes.
Malgré ses aptitudes, il ne poursuit pas d’études supérieures. Il est vrai, plus
tard, en 1720, lors de sa confirmation au siége de Cambrai, la Congrégation
consistoriale lui reconnaitra un doctorat dans les deux droits’, mais il doit s’agir
d'un «doctorat romain » acheté, car les sources ne mentionnent pas d’études
ultérieures entreprises 4 Paris. D’ailleurs, il parait bien que, sans vocation ecclé-
siastique, sans désir de succéder 4 son pére dans sa pharmacie briviste, le jeune
limousin ait cédé aussit6t aux attraits de la vie métropolitaine. Plus tard les auteurs
en parleront beaucoup, méme trop, sans manquer de mentionner la célébre
courtisane Ninon de Lenclos et son salon non moins connu.
Néanmoins, et c’est plut6t étonnant, Guillaume continue a habiter réguliére-
ment le Collége Saint-Clément, au moins jusqu’en 1680. I! pourvoit difficilement
4 sa subsistance. II s'en tire en donnant quelques cours de philosophie, de
géographie ou d'histoire dans son collége, en servant de domestique a son
principal, en veillant des morts, en donnant des legons particuliéres. Bientét, il lui
5. Guillaume parvint a une prononciation parfaite et agréable, quoique par ruse il affectat
parfois de bégayer pour trouver le temps de réfléchir ; Dictionnaire des Cardinaux, p. 848.
6. Guillaume eut cette bourse le 18 mai 1672 de la part de Jean III de Pompadour, lieutenant
général du Limousin, qui nommait 4 une dizaine de bourses au Collége de Saint-Clément, dit
aussi de Chagnac de Pompadour.
7. Hlerarchia catholica, V, 139.LE CARDINAL DUBOIS ET L'« UNIGENITUS » 153
arrive de quitter temporairement le collége pour s'introduire comme précepteur
dans quelques familles privilégices’.
Au service de Philippe d’Orléans, le futur régent
Le 15 janvier 1683, Guillaume a la chance d’entrer chez le duc Philippe
d'Orléans comme répétiteur de son fils Philippe II, duc de Chartres, futur régent.
Six mois plus tard, le 15 juin, il est déja promu sous-précepteur aux appointements
de 300 livres, C’est une position avantageuse. D'aprés sa propre expression, i! ne
doit plus nettoyer ses souliers avec sa salive. Le maitre et son disciple s’entendent
merveille, méme trop d’aprés les auteurs’. Le 3 aoat 1687, le sous-précepteur
se mue en précepteur et son salaire augmente. En 1690, nommé principal de son
collége, Guillaume aurait da y retourner, mais méme le roi intervient en sa faveur.
Le 19 avril 1690, « Sa Majesté, étant dans son Conseil, a dispensé et dispense ledit
Sieur Dubois de résider audit Collége pendant le temps qu'il sera auprés de M.
le duc de Chartres pour ses études »,
Ayant le vent en poupe, Guillaume regoit, en la méme année, un canonicat 4
Saint-Honoré, a Paris, et l’abbaye augustinienne d’Airyault au diocése de La
Rochelle. Le « petit abbé » s’appelle désormais « M. I’Abbé » tout court.
Les études de Philippe terminées, M. l’Abbé accompagne son ex-éléve dans ses
débuts dans l'art militaire. Avec lui, il prend part, en 1691, au siége de Mons, ot
il est présenté au roi, en 1692 4 la bataille de Steenkerque, ot le maréchal de
Luxembourg, vainqueur de Guillaume III, aurait dit : « Cet abbé Dubois va au feu
8. « Son premier stage de précepteur eut lieu chez M. Trotier de Riancé, de la Chambre des
comptes, oi il éduqua, deux ans durant, un jeune homme doux et timide, qui a la fin elit fait
honneur a un janséniste de Port-Royal. En second lieu, en 1677, il enseigna le petit ours mal
Ieché de M. le prince de Gourges, président du Parlement, vieux libertin, mais point tartufe, qui,
dit-on, fit trés vite de I'abbé son confident... et son complice en expéditions galantes »
(Daurrenenr, p. 34-36). Quant 4 cet éléve, il doit s'agir de Jean-Frangois-Joseph Gourges
d’Aulnay ; cf. Michel Antomve, Le gouvernement et l'administration sous Louis XV, Paris, 1978,
p. 120.
9. Les auteurs le répéteront ; perverti Iui-méme, Guillaume a perverti également son éléve.
Ils se fondent entre autres sur une lettre assez tardive (datée du 8 novembre 1717) d'Elisabeth-
Charlotte de Baviére, dit La Palatine, Ia robuste mére du Régent, a la langue méchante : « Javais,
d’abord de Pattachement pour I'abbé Dubois, parce que je croyais qu'il aimait tendrement mon
fils et qu’il ne cherchait en tout que son bien et avantage ; mais quand j'ai vu que c’était un chien
perfide qui ne s'occupe que de ses propres intéréts, qui ne songe nullement & soigner I’honneur
de mon fils, mais qui le précipitait dans la perte éternelle, en le laissant se plonger dans la
débauche, sans faire semblant de s’en apercevoir, toute mon estime pour ce petit prétre s'est
changée en mépris, Je tiens de mon fils lui-méme que l'ayant rencontré un jour tout seul dans
la rue au moment ot son éléve se disposait a une criminelle frequentation, il ne fit que rire au
lieu de le prendre par le bras et de le ramener a Ja maison, Par cette indulgence et par le mariage
de mon fils il a bien montré qu’il n'y a en lui ni foi, ni fidélité, ni honnéteté », Correspondance
compléte de Mme la duchesse d'Orléans, édit. Brunet, II, p. 183 ; cf. Bliard, I, p. 33-45, qui
infirme la valeur de cette fameuse lettre.154 LUCIEN CEYSSENS
comme un grenadier ». En 1692, il réussit méme 4 faire épouser 4 son ex-éléve
Mademoiselle de Blois, fille légitimée de Louis XIV. Il regoit l’abbaye de
Saint-Just, et va s’élever encore.
Le diplomate
En 1696, actif a l'ambassade de Londres, Guillaume s’initie 4 la diplomatie,
avec un tel succés méme que, jaloux, M. de Tallard, l’ambassadeur, le renvoie. En
1699, Guillaume est pourvu de la prévété d’Amac. Des 1701, quand, succédant
a son peére, Philippe devient le nouveau duc d’Orleans, l’ex-précepteur se nomme
le secrétaire de ses commandements et ne cessera plus de le servir.
Néanmoins, il ne regarde pas aux moyens, méme inattendus, pour se hausser.
Il s’adresse par exemple 4 Fénelon, archevéque de Cambrai, pour une recomman-
dation auprés de Nicolas-Etienne Roujault, intendant 4 Bourges!',
Pour notre édification, lisons, la recommandation que le célébre archevéque fait
parvenir 4 Madame Rovjault : « ... M. l’abbé Dubois, autrefois précepteur de Mgr
le duc d’Orléans, est mon ami depuis nombre d’années. J’en ai regu des marques
solides et touchantes dans les occasions ; ses intéréts me sont sincérement chers.
Je compterai, Madame, comme des graces faites 4 moi, toutes celles que vous lui
ferez. S'il était connu de vous, il n’aurait aucun besoin de recommandation ; et
son mérite ferait bien plus que mes paroles...’ »,
Ce sera surtout pendant la Régence que Guillaume se rendra utile a son maitre.
En 1715, quand s'inquiétant des intrigues de la cour d’Espagne, dominée par
le fameux cardinal Alberoni, Philippe cherche des alliés pour la France, Guillaume
promet de jes trouver et part donc en négociateur fortuné,
De fait, en janvier 1717, il réussit a faire signer 4 La Haye la Triple Alliance,
entre la France, ’Angleterre et la Hollande. En aoit, il parvient par l’accession
10. Le 23 octobre 1716, la Princesse Palatine, mére du Régent, écrira . Je l’ai regardé
comme un honnéte homme jusqu’au mariage de mon fils ; c’est alors que j'ai découvert toutes
ses fourberies », Correspondance compléte, I, p. 274,
11, Antone, p. 223,
12. FENELON, Oeuvres complétes, VIII, p. 26. Déja le 4 octobre 1706, Fénelon avait écrit a
Tabbé Dubois : « J’ai appris, Monsieur, les bons offices que vous avez rendus a mon neveu, et
je les ressens comme les marques de la plus solide amitié pour moi. J’espére que le jeune homme
ne négligera rien pour tacher de se rendre digne des bontés du prince [le futur regent] et pour
vous engager 4 continuer ce que vous avez bien voulu faire d'une maniére si effective et
obligeante, Je n’oublierai jamais ce que nous yous devons, Iui et moi, en cette occasion. Jugez
combien je suis touché, lorsque je joins une chose si digne de votre bon coeur, avec toutes les
autres qui m’ont remplis depuis si longtemps des sentiments les plus vifs et les plus sincéres pour
vous. Je ne puis faire que des souhaits pour la santé de Mgr le duc d'Orléans... et pour votre
satisfaction particuliére dans votre guerre. J'ai craint pour vous sachant combien vous vous
exposez, Réservez-vous pour servir le prince d’une maniére plus tranquille. Personne ne sera
jamais, Monsieur, avec une plus forte passion que moi, votre... », Ibid., VIL, p. 618-619.LE CARDINAL DUBOIS ET L’¢ UNIGENITUS » 155
de l’Autriche, a convertir la triple en quadruple Alliance, Voila |’Espagne paraly-
sée, la paix assurée 4 une Europe ou la France pourra jouer son réle traditionnel.
Pour Guillaume, c’est le faite de sa vie ; il a rang parmi les diplomates". Pourquoi
pas parmi les hommes d’Etat ?
Le grand réve
Ayant revigoré sa patrie, Guillaume désire aussit6t la gouverner pour la plus
grande gloire de la France et surtout de la sienne. Comme Richelieu et Mazarin,
il sera cardinal et premier ministre.
Quant au ministere, il est déjd en bonne voie. Le 11 avril 1716, il est devenu
secrétaire de la chambre et du cabinet du roi; le 26 mars 1717, conseiller au
conseil des Affaires Etrangéres. Le 27 octobre 1718, de retour a Paris, il devient
secrétaire du roi’. Dés lors, il exerce pratiquement déja la fonction de premier
ministre, encore que sa nomination officielle n’ait suivi que le 22 aoit 1722. Le
régent lui cédant le pas, il parle, il écrit, il commande au nom du régent et du roi.
Il va se défaire des Conseils que le Regent a érigés en 1715 et qui n’ont jamais
bien fonctionné. Méme il exilera temporairement le puissant chancelier Dagues-
seau et l’encombrant Parlement de Paris'*.
Si désormais le ministére s'annonce bien, le cardinalat n’est pas encore en
mouvement. C’est que le pape doit le conférer. Or, Clément XI’ n’aime plus la
France depuis l’échec qu’y a connu sa bulle, dont il attendait tant de succés, En
1713-1714, a l’ Assemblée d’acceptation, les évéques, tant les acceptants que les
opposants, l’ont gravement blessé dans ses convictions ultramontaines. Il est vrai,
devant fa nécessité, il a déversé son ire sur les seuls opposants, particuliérement
sur leur chef le cardinal de Noailles'’. Mais celui-ci et ses adhérents restent sur leur
position ; ils n’accepteront qu'une bulle suffisamment expliquée. Les premiers
essais d'accommodement", sur la fin du régne de Louis XIV et au début de la
régence, sont restés inefficaces. En 1717-1718, les Appels contre la bulle ont
exaspéré encore davantage le pape, hésitant et impuissant’. L’attitude de la
13. Voir par exemple BuarD, I, p. 117-345.
14. ANTONE, p. 69.
15. Voir mon étude Autour de la bulle Unigenitus, Le Régent (1674-1712), dans Bulletin de
J'Institut historique belge de Rome, 57, 1987, p. 111-163. «... Dans l’entourage du Régent, chez
Law et Dubois, ce fut un triomphe » (CarReyre, II, p. 16),
16. Voir mon étude sur Clément XI dans Bulletin de ‘Institut historique belge de Rome,
P. 253-304, 53-54, 1983-1984, reprise dans L. CeyssEns et J.A.G. TANs, Autour de I’Unigeni-
tus, Leuven, 1987, p. 737-788.
17. Nous avons consacré & Noailles une étude dans Lias, 11, 1984, p. 169-252, reprise dans
CeyssEns-Tans, p. 649-733.
18. Voir mon étude Autour de la Bulle Unigenitus. Les essais d'accommodement
(1714-1715), dans Antonianum, 60, 1985, p. 343-395.
19. Voir Autour de la bulle Unigenitus. La bulle Pastoralis officii (1718), dans Antonianum,
61, 1986, p. 340-380.156 LUCIEN CEYSSENS
Sorbonne, du Parlement, du clergé inférieur enchérit encore. Le Régent, qui remet
le cardinal de Noailles 4 ’honneur en le nommant chef du Conseil de conscience
et qui poursuit un accommodement qui parait néfaste a Rome, semble dépasser
la mesure. Concourant avec le Régent, collaborant 4 son accommodement,
Guillaume n’est certainement pas un candidat « in petto » chez Clément XI.
Malgré tout, Guillaume veut le cardinalat et méme aussi vite que possible, Il a
atteint la soixantaine, le temps presse pour accomplir une carriére insigne. De
plus, le jeune roi va bientét commencer son régne personnel et avoir besoin d’un
cardinal premier ministre.
Ainsi, d’aprés I’expression de Saint-Simon, ce funeste chapeau devient la
boussole de Dubois et plus funestement encore, Dubois est devenu la boussole du
régent”. Cependant, Guillaume ne désespére pas; 4 force de diplomatie il
obtiendra la pourpre. Car en 1715, Henri de Bissy, un simple évéque de Meaux
Ya eve pour avoir écrit ou plutot publié un médiocre livre en faveur de la bulle”’.
Bientdt, en 1719, trois autres |’obtiendront : Frangois de Mailly, archevéque de
Reims, pour avoir publié une audacieuse lettre contre la politique religieuse du
Régent” ; Thomas-Philippe d’Alsace, archevéque de Malines (dont les fréres
servent en France), pour avoir imposé un serment sur la bulle Unigenitus™ ; Léon
Potier de Gesvres, archevéque de Bourges, la suite d’une simple recommanda-
tion (nullement appuyée par le Regent) de 1a part du roi de Pologne™.
Pour atteindre son but, Dubois ne manque pas de recourir 4 tous les moyens
utiles. Connaissant la vénalité humaine, il va entre autres profiter du « systéme »
de ce fameux Law auquel (et surtout 4 sa sceur) il est trés lié, pour dépenser de
trés grosses sommes, méme, dit-on, des millions’. Il se fait continuellement
recommander 4 Rome, particuliérement par l’ambassadeur de la Trémoille et son
affidé le P. Lafitau, qui, 4 leur tour, font intervenir d'autres intermédiaires,
particuliérement les neveux du pape. Guillaume fait méme appel aux tétes
couronnées”, mais s’il s’agit de princes « hérétiques », comme le roi d’Angleterre,
leurs ingérences ont un résultat plutét négatif.
Au moment propice, notamment dans l’attente d'une nouvelle promotion de
cardinaux, le P. Lafitau suggére une issue facile et prompte: si Guillaume veut
réaliser la décardinalisation du chef des évéques opposants frangais, l’archevéque
20. Citation de Carrzyre, II, p. 259.
21. Nous avons consacré une étude Bissy dans Antonianum, 63, 1988, p. 74-115.
22. Voir entre autres Dictionnaire de théologie catholique, IX, c. 1655-1656.
23. Nous lui consacrons une étude dans Revue belge de philologie et d'histoire, 66, 1988,
p. 792-828.
24. Hierarchia catholica, V, p. 31.
25. Henri Lecterce, Histoire de la Régence, 3 vol., Paris, 1921, III, p. 302, CARRERE, III,
p. 144-145,
26. Butarp, II, p. 118-134.LE CARDINAL DUBOIS ET L’« UNIGENITUS » 157
de Paris, «le cardinal (Alexandre) Albani, neveu du pape, pourra lui obtenir le
chapeau en peu de jours” ».
Plus nettement, Lafitau a écrit le 6 décembre 1718 : « Les petits progrés que j'ai
faits touchant votre promotion au cardinalat sont de bon augure. Si le cardinal de
Noailles persiste 4 ne pas accepter, Votre Excellence peut regarder son chapeau
comme assuré™ »,
Certes, Noailles est assez excité 4 l’opposition par ses propres adhérents pour
dispenser Guillaume d’intervenir dans ce sens. Mais diplomate avisé, Guillaume
sait que ce cardinal archevéque a tant d’emprise sur le public parisien et meme
frangais que tout dessein de dégradation restera également vain a Paris et a Rome.
Noailles survivra a ses persécuteurs.
Pour atteindre son but, Guillaume a besoin d’autres expédients.
Le projet de la Trémoille
De l'ambassade romaine Guillaume regoit un autre projet. L’ambassadeur
lui-méme n’est pas moins inventif que son assistant. En vue de l’imminent nouveau
régne, le haut fonctionnaire prévoit Ja fin de sa carriére. Il tient les yeux sur un
bon évéché francais, ot, le cas échéant, il pourra se retirer. Déja en 1716, il s'est
fait nommer et confirmer a Bayeux, mais avant d’avoir pris possession, il s’est fait
renommer et reconfirmer 4 Cambrai”. Le pape daigne méme le sacrer dans la
basilique des Thermes 4 Rome. Bientét, il devra adresser un mandement a ses
ouailles lointaines. Pour plaire au pape, au jeune roi et au ministre, pourquoi ne
pas y promouvoir cet accommodement tant désiré, secrétement 4 Rome et
ouvertement a Paris, et du méme coup rapprocher Guillaume de son but? Il y
introduira donc, en grandes lignes, le Corps de doctrine avec les explications
indispensables de Ja bulle. Il fera approuver son mandement par le pape, il le
publiera a Rome avec toutes les permissions habituelles, et ... yoila les « explica-
tions pontificales » vainement sollicitées depuis si longtemps ; voila la route
ouverte l’accommodement, a Iacceptation pure et simple, a la paix de !’Eglise !
Le projet plait 4 Guillaume qui, le 13 juin 1719, écrit a La Trémoille : « ... Je
suis plus enjoué de votre projet que vous pouvez I’étre. Je souhaite que Dieu le
bénisse et que vous puissiez signaler votre ministére par un trait si brillant. Je me
livrerai tout entier a vous seconder et a vous aider, persuadé que je ne puis faire
mieux pour Ja religion, pour le Saint-Siége, pour le royaume et pour votre
gloire” ».
Malheureusement, La Trémoille meurt 4 Rome le 10 janvier 1720, et son projet
prometteur disparait avec lui. Mais le diocése de Cambrai se trouve vacant.
27, Carreyre, II, p. 55.
28. Ibid., II, p. 55-56, n. 1.
29. Hierarchia catholica, V, 111 et 139.
30, Carrere, II, p. 217.158 LUCIEN CEYSSENS
Archevéque de Cambrai
Certes, autrefois Fénelon avait éprouvé quelque sympathie pour Guillaume.
Mais depuis lors, le voyant a !’ceuvre, il devait l’avoir bientét perdue. En tout cas,
lorsque a Ja fin de ses jours, il souhaitait des successeurs capables de poursuivre
son action religieuse, il n’avait certainement pas pensé a l’abbé machiavélique de
Brive-la-Gaillarde.
Cependant, quand, le 10 janvier 1720, le nouvel archevéque de Cambrai, le
cardinal de La Trémoille, meurt 4 Rome, sans avoir mis le pied dans le diocese
de Fénelon, Guillaume pose sa candidature. Non pas dans l’intention de résider
ou de publier le Mandement préparé par La Trémoille, mais dans le dessein de
se rapprocher du cardinalat. Désormais, il ne sera plus le fils de l’apothicaire de
Brive-la-Gaillarde, ni le « petit abbé » ou « Monsieur |’Abbé » mais archevéque,
duc et prince du Saint-Empire.
Nommeé par le roi le 6 février 1720, il est confirmé par le pape le 6 mai suivant,
et regoit, outre le gratis pour ses bulles, une autorisation de cumul pour son prieuré
et ses quatre abbayes”’. « ... Je voudrais, écrit-il modestement 4 ses ouailles, bien
égaler les services de mes prédécesseurs, mais je n’aspire ni a leur richesse, ni a
aucune richesse quelconque, désirant seulement avoir de quoi ne pas avilir le haut
rang oti le roi m’a éleve” »,
En attendant, Guillaume a déja pris des dispositions. A exemple du Pape
Clément XI, qui ne recut les ordres que deux mois avant le conclave qui devait
Vélever au tréne pontifical, Guillaume n’y pense qu’au dernier moment. Puisque
Noailles lui refuse les lettres démissoriales, il se fait sacrer secrétement a Pontoise,
hors de l’archidiocése de Paris. Le 24 février 1720, il regoit les ordres mineurs
avec le sous-diaconat, le lendemain le diaconat, et le 3 mars la prétrise. Le 4 juin,
par souci d’édification, il commence quelques jours de retraite. Enfin, le 9 juin, au
Val-de-Grace a Paris, en grande pompe, le cardinal de Rohan le sacre en présence
des cardinaux de Bissy et de Gesves, des ambassadeurs et d’un nombreux public
de choix. Mais Noailles, le cardinal-archevéque de Paris, se fait Temarquer par son
absence, tant au sacre qu’au diner.
Pas plus que La Trémoille, Guillaume ne mettra le pied dans son diocése, qu'il
fera gouverner par trois vicaires généraux. Pour prouver sa droiture, il confie son
séminaire aux Sulpiciens®. Mais une fois de plus, il se trompe dans ses espoirs.
Ni sa mitre, ni ses nouveaux titres ne semblent le rapprocher de son but.
L‘accommodeur
Pour atteindre ce but, quel moyen lui reste-t-il encore, sinon l’accommode-
ment : aider le pape, malgré lui et malgré le cardinal Fabroni, a sortir de la pénible
31, Hlerarchia catholica, V, 139 ; BLIARD, II, p. 139-165,
32. BUARD, I, p. 139, n. 2.
33, Buarp, If, p. 155-160.LE CARDINAL DUBOIS ET L’« UNIGENITUS » 159
impasse de la bulle ? Si Guillaume réussit 4 réaliser une nouvelle Paix de I’Eglise,
il obligera le pape a la reconnaissance ; le chapeau amortira une dette !
En réalité, accommodeur a cété du Régent, Guillaume |’était déja depuis sa
rentrée triomphante 4 Paris en l’été de 1718. Cette paix de |’Eglise, le Régent s’en
était déja bien occupé, méme avec tant de succés que, 4 un certain moment,
Guillaume avait commencé 4 craindte que cet apaisement ne fit réalisé sans son
intervention™ et sans son profit personnel.
C’étaient pourtant 1a de vaines craintes. Malgré tous ses efforts, aprés des mois
de travaux assidus, le Regent n’a guére avance ; il n’est parvenu ni d faire terminer
le tantiéme Corps de doctrine qui devait servir de base 4 !’accommodement, ni a
mettre d’accord ces éyéques, dont la minorité et la majorité sont également
divisées entre elles. Dans I’aile droite des acceptants, il y a surtout le cardinal
Bissy, dominateur, le cardinal de Rohan, dominé, qui ouvertement a Paris et
secrétement 4 Rome entravent tout essai d’accommodement. Parmi le petit
nombre des évéques opposants, il y a quelques tétes chaudes qui veulent empécher
leur chef, le cardinal de Noailles, de fléchir, en poussant a l’appel ou au réappel,
y engageant la faculté de théologie, le clergé inférieur et méme le Parlement.
De l'autre cété, Guillaume craint toujours que le pape ne passe 4 des mesures
extrémes qui feraient échouer la pacification. Cependant, cette crainte est-elle
fondée ? Le pape ne semble-t-il pas plutét inviter expressément Guillaume a
réaliser ed nouvelle Paix de I’Eglise comme il venait d’effectuer celle des
Nations ?
En effet, au début de janvier 1719, arrive incognito 4 Paris un délégué spécial
du pape, a savoir ce jésuite extraordinaire si bien accrédité 4 la cour pontificale
et a l’ambassade romaine, le P. Lafitau, qui fait déja pour la troisiéme fois la
navette entre Rome et Paris et qui, cette fois-ci, ne restera pas seulement quelques
jours mais au moins six mois. Il négocie trés secrétement avec le Régent et plus
encore avec l'homme du moment, Guillaume™. Il leur annonce de la part de
Clément XI un projet incroyable. N’étant pas moins paralysé que le Regent devant
les difficultés inextricables de 1a bulle, le pape veut enfin en sortir, n’importe
comment, tout en sauvegardant l’honneur de la papauté, celui de !’Eglise et le sien
propre. « Pour lors, écrit Lafitau, je lui proposai un tempérament que le pape
m’avait en quelque sorte insinué. Avant mon départ, Sa Sainteté m’avait dit qu’on
[le cardinal de La Trémoille] venait de dresser a Rome méme des explications de
la bulle [ce a quoi le pape s’était jusque-ld toujours obstinément opposé], qu’on
lui en avait donné une lecture et qu’elle en avait été trés satisfaite. Le Saint-Pére
ne m’apprit pas qui en était l’auteur, mais il me répéta si souvent que les
explications étaient de son goat, que je crus y entrevoir du dessein. Je conjecturai
qu'il pouvait bien avoir voulu m’insinuer que s’il était nécessaire, j’en fisse quelque
usage. A tout événement, je crus que si M. le Cardinal de Noailles ne cherchait
34, CaRREvRe, II, p. 234.
35. Canrevre, II, p, 59.160 LUCIEN CEYSSENS
que des explications dont le pape fit content, je pouvais offrir celles dont Sa
Sainteté m’avait paru trés satisfaites™ ».
Ce langage singulier, langant un ballon d’essai, le diplomate de la triple et de
la quadruple alliance put l’apprécier 4 sa juste valeur. Déja quelques jours plus tard,
Lafitau, temoin sur place, annonga au pape qu'il trouvait « 4 la cour de France les
plus excellentes dispositions pour la paix de l’Eglise et que, sous les ordres de son
Altesse royale, M. l’abbé Dubois était occupé a suivre un projet qui de maniére
ou d’autre pouvait, sil était fidélement exécuté, finir la dispute a la satisfaction du
Saint-Siége, ajoutant qu’il était de son intérét [du pape] d’accorder le temps
nécessaire pour un si grand ouvrage...°’ ». « Pour lors, écrit Lafitau ultérieurement
(p. 438), M. l’abbé Dubois suivit le premier projet dont j'ai parlé ci-dessus avec
un nouveau degré de chaleur™ » !
Guillaume, te nouvel accommodeur, posséde-t-il, outre la chaleur, d’autres
qualités appropriées pour s’engager dans une entreprise qui, depuis 1714, s’est
avérée si vaine? Certes, quant aux questions provoquées par la bulle, il est
entiérement indifferent et méme ignorant, contrairement au Régent, qui, ne
cherchant pas, comme lui, son intérét personnel, s’est depuis plusieurs mois initié
aux problémes, participant patiemment aux longues et nombreuses tractations des
évéques, les dirigeant et animant méme.
Dans ces négociations, Guillaume ne se laissera ni voir ni entendre. Mais cela
ne l’empéche pas de jouer secrétement un réle actif et expéditif®. A un certain
moment, il offre méme a l’examen des négociateurs un projet d’accommodement
qui lui est propre“, Usant de moyens persuasifs, ou l’argent et les promesses jouent
un réle, il domine les évéques et parvient a faire céder les plus durs'. Au cardinal
36. Laritau, Histoire, p. 408. Assagi par son expérience, Noailles hésita a entrer dans cette
combinaison. C’est pourquoi Lafitau poursuit : « Cependant il {le Régent avec Guillaume dans
Je dos] voulait toujours que j'imaginasse quelque tempérament qui pit donner la paix. Je déclarai
nettement de la part du pape, que tout projet qui tendait a lui demander des explications de sa
bulle était désormais entiérement impraticable, depuis qu’il (le pape) s’était offert de la donner
et que les opposants les avaient refusées... J’ajoutai qu'il n’en était pas ainsi des explications,
que M,.. de Noailles pourrait publier de son propre mouvement. Pourvu qu’elles ne renfermas-
sent que le sens et le véritable esprit de 1a bulle, j'étais assuré que Sa Sainteté s‘en contenterait...
M. le Régent gotta cette ouverture. Voild Ie plan qui fut formé a Paris au commencement de
1719... qui fut fidélement suivi par M. Je Régent... »,
37, Ibid, p. 512-413.
38. Ibid, p. 438. Ce projet de Dubois était celui auquel le Régent travaillait déja depuis
longtemps ; et « dont les grandes lignes étaient les suivantes : donner des explications approu-
vées par le plus grand nombre d’évéques ; aprés quoi Noailles publierait un mandement avec
un préambule, un précis de doctrine et une formule d’acceptation ; puis des Lettres patentes du
roi ordonneraient I’exécution de la bulle dans tout le royaume » (CARREYRE, II, p. 272).
39. Biarp, II, p. 294-299,
40. Buiarp, IT, p. 296, n. 1,
41, Ibid, TI, p. 287.LE CARDINAL DUBOIS ET L'« UNIGENITUS » 161
de Bissy, qui finalement semble le dernier a résister, il adresse une réprimande
aigre et efficace’. Malgré quelques crises de découragement, il ne cesse d’éliminer
Jes obstacles. Pour mettre fin aux « lourdes machinations » du cardinal-nonce
Bentivoglio, il exige sa révocation”’,
Il bride efficacement la Sorbonne et le Parlement. Contre les innombrables
dénonciations, il se défend énergiquement a Rome et essaie de prolonger la
patience du pape et de Fabroni.
A Paris, il jouit de la collaboration entiére de Rohan, désormais soustrait 4
Vinfluence de Bissy. Il voit avec plaisir comment les évéques affluent par quadrilles
4 l'Hotel de Soubise pour examiner le corps de doctrine“ et appréter leur plume
a signer.
De fait, dés le 10 mars ~ a peine trois mois aprés l’arrivée du P. Lafitau —
Guillaume peut annoncer la paix faite. En effet, le 13 suivant, trente-trois — la
Presque totalité des évéques présents a Paris, tant acceptants qu’opposants —
donnent leur signature aux dispositions de l’accommodement**.
Que signent-ils au juste?
1. Un corps de doctrine, connu sous le nom d’Explications sur Ja. bulle
Unigenitus, qui comprend dix articles : la difference des deux Alliances, l’Eglise,
la volonté de Jésus-Christ, la grace, le libre arbitre, les vertus théologales, la crainte
des peines, |’administration des sacrements et l’assistance a la messe, l'excommu-
nication, 1a lecture de l’Ecriture sainte, les souffrances et les persécutions de
LEglise, les serments*”.
2. Une Lettre approbative qu’ils adressent directement au Régent et indirecte-
ment a Guillaume, pour le remercier de son zéle pour la concorde, le prier
d’achever l’ouvrage de la paix, de rétablir l’episcopat dans ses droits et son
42. Ibid., II, p. 295. Néanmoins, Bissy était toujours influent a Rome et pouvait contribuer
au cardinalat. Guillaume écrit un peu plus tard, le 6 avril 1721, a Lafitau: « M. le Cardinal de
Bissy m’honore d'une amitié particuliére ; c’est le meilleur cceur et le plus vrai qu'il puisse y
avoir » (BLIARD, II, p. 187, n. 6). Encore plus tard, aprés le cardinalat, Guillaume ne s’opposera
Pas au nouveau mandement de Bissy contre |'accommodement, mais le défendra devant le
Parlement.
43. BLIARD, II, p. 290-292, ot on trouvera des diatribes de Dubois contre Bentivoglio, « qui
s'est déterminé a tout noircir et 4 ne point changer de langage... Si donc I’on ne nous délivre
pas incessamment de ce nonce, j’aime mieux étre privé de tout commerce avec lui que de rester
le témoin journalier du tort irréparable qu'il fait 4 la religion, au Saint-Siége et a la réputation
du pape ». Est-il vrai que Bentivoglio « vomissait des horreurs » et présentait Guillaume comme
«un véritable fourbe et renard astucieux » ?
44, CARREYRE, II, p. 280.
45. Ibid., Il, p. 283.
46. Seuls les évéques de Nimes, Chartres, Saintes et Dole refusérent ; CARREYRE, II, p. 283.
47. Le, n.2.162 LUCIEN CEYSSENS
autorité, de maintenir dans la hiérarchie l’ordre et la subordination qui en sont la
beauté et la force'*.
3. Une Déclaration, assurant que leurs Explications ne renferment rien de
contraire a la doctrine de |’Eglise, plus particuliérement qu’elles sont conformes
au contenu de la bulle; si elles sont jointes a celle-ci, c’est uniquement pour
empécher que, par de fausses interprétations, la vérité ne soit attaquée, la pureté
de la morale corrompue et la liberté des écoles blessée’. L’acceptation est donc
pure et simple.
Aux signatures des évéques présents, Guillaume veut ajouter celles des absents.
En premier lieu a celles des cardinaux de Bissy, de Rohan et de Gesves, il désire
adjoindre celle de Francois de Mailly, cet archevéque de Reims qui, pour sa
résistance au Régent, a été honoré de la pourpre, ... que le Régent, c.-a-d.
Guillaume, lui a aussitét défendu de porter™,
Pour obtenir sa signature, Guillaume lui envoie son émule, Languet de Gergy,
évéque de Soissons, intrépide constitutionnaire, mais déja gagné a l’accommode-
ment. Celui-ci ira inviter son ami 4 se rendre a Paris, avec tout le décorum
cardinalice, pour y accomplir son devoir.
Sans difficultés, le négociateur « amena avec lui l’archevéque de Reims, qui
promit de tout signer et qui en conséquence fut transformé en cardinal de
Mailly »*!, et en promoteur de l’accommodement.
Pour recueillir dans les diocéses lointains les signatures des évéques absents,
Guillaume engage six agents. Ces « fourriers » bien choisis, bien instruits, surtout
bien nantis, se partagent la France et bient6t Guillaume peut se réjouir du résultat
obtenu : 98 signatures, parmi lesquelles celles d’évéques aussi obstinés que ceux
de Lugon et de La Rochelle.
Ce nombre est plus que suffisant, Noailles n’en ayant demandé que 80 pour
s'obliger 4 donner un exemple a ses adhérents moins dociles. Mais autant le succés
semble évident, autant l’opposition se fait jour*’. Elle se manifeste surtout au
moment ot Guillaume va rendre son accommodement légalement applicable.
Pour y servir de base, il fait rédiger une tantiéme Déclaration royale, celle du
48, Tuomas, p. 142.
49 Ibid, TI, p. 283-284,
50. Cette défense peinait beaucoup le nouveau cardinal de Mailly qui, le 20 décembre 1719,
dtait clandestinement arrivé a Paris : «il était en calotte noire, mais il avait la rouge dans sa
poche ; il la tirait de temps autre devant moi, la considérait avec ravissement ; par-ci, par-la,
la baisait, puis me disait, les yeux enflammés, qu’il ne se la laisserait pas du moins arracher des
mains ; en vérité, je crois qu'il couchait avec elle », SAINT-SIMON, Mémoires, édit. Boislisle,
XXXVII, p. 55-86; CARREYRE, II, p. 259.
31, DorsaNNe, Journal, I, p. 512; CARREYRE, II, p. 284-286.
52, CARREYRE, I, p. 288-291 ; Tomas, p. 144.
53. CARREYRE, II, p. 292-299.LE CARDINAL DUBOIS ET L’« UNIGENITUS » 163
4 aoit 1720. Les Explications nécessaires ayant été données, la bulle sera publiée
et observée dans toute la France. Désormais, tout nouvel Appel est interdit et tout
ancien est a regarder comme de nul effet. Défense, dorénavant, d’user de termes
Odieux, de publier des écrits équivoques. Mais sous la pression des gallicans,
Guillaume doit admettre une clause explicite : la Déclaration « ne porte aucune
atteinte aux régles de I’Bglise et aux maximes du royaume sur le droit d’appeler
au futur concile™ »,
Avec cette clause, la Déc/aration ne plaira certainement pas aux Zelanti
romains. Mais pour d’autres raisons, elle semble inacceptable au Parlement de
Paris ou plutot de Pontoise. Pour extorquer l’enregistrement et les Lettres
patentes, Guillaume doit s’adresser au Grand Conseil et méme le violenter“.
Finalement, le 24 septembre, la Déclaration est cri¢e et débitée a Paris. Mais ces
lettres patentes du Grand Conseil sont-elles valables ? Guillaume se voit oblige de
revenir au Parlement, et aprés promesse du retour de cette assemblée a Paris, il
obtient, le 4 décembre 1720, un enregistrement normal, mais ... « conformément
aux regles de l’Eglise gallicane et aux maximes du royaume sur les appels au futur
concile”® »,
Voila l’'accommodement chose faite. La bulle est légitimement publiée. Quel-
ques évéques retardataires, entre autres Noailles” et ses adhérents, s’exécutent,
54, Voir Je texte de la Déclaration, dans Histoire du livre des Réflexions, édit. in-4°, 1,
P. 428-432. Cfr. THomas, p. 144-145 ; Harpy, p. Bientét Guillaume justifiera A Rome le
Passage concernant les appels: CARREYRE, III, p. 45, n. 2. Les jansénistes parleront « d'une
déclaration de guerre en forme de publication de paix » (Cazier, I, p. 264),
55. «Le lundi 23 septembre, ce fut un coup d’éclat, Le Régent était précédé du chancelier,
du premier président, des conseillers d’état et de quatre maitres de requétes ; il était suivi de cing
Princes du sang, de treize ducs et pairs, de cinq maréchaux... Le Regent et tous ceux qui
Paccompagnaient opinérent pour I’enregistrement pur et simple... Il y eut trente-trois voix pour
Venregistrement pur et simple contre seize » (CARREYRE, III, p. 30).
56. CARREYRE, III, p. 40-45.
57, Le Régent et Guillaume en veulent particuliérement Noailles qui semblait faire cause
commune avec le Parlement. « Le Regent (avec Guillaume) était de plus en plus irrité. Cette
fois, il était décidé a agir. Sachant que le Parlement et Noailles s’étaient entendus pour se
soutenir mutuellement, il résolut de les séparer en les éloignant. Il envoya [le 11 novembre] des
lettres de cachet 4 tous les membres du Parlement pour leur prescrire de se rendre a Blois »
(Carrevre, Ill, p. 40-41). Quant au Mandement [de Noailles] signé le 2 aot 1720, pour la
publication de I'acceptation de la bulle suivant les Explications approuvées par un trés grand
nombre d’évéques de France, distribué le 19 décembre 1720 (Carreyrg, Ill, p. 42-43), il
provoquera des réappels.
Voulant préparer son clergé 4 son imminente acceptation de la bulle, Noailles avait, dés le
14 janvier 1719, publié sa Premiére instruction pastorale... au clergé séculier et régutier de son
diocése sur ta constitution Unigenitus (in-8°, 386 p.). D’aprés Gazier (I, 261), c’était dans son
genre un chef-d’ceuvre, mais qui avait fait mauvaise impression ; Bissy ne pouvait pardonner a
T'auteur d’avoir répandu une si grosse bouteille d’encre sur sa pourpre (/bid., I, p. 262, n. 1).
Le Saint-Office avait censuré 1’ Instruction le 3 aodt suivant, mais le Parlement cassa le décret
le 6 septembre ; Reusc, II, p. 739.164 LUCIEN CEYSSENS
bien que ce soit 4 contre-coeur et avec quelques réticences. Mais peu importe, cette
Paix de |’Eglise est conclue. Au pape de payer sa dette de reconnaissance.
La dette de l'accommodement
Au cours de ses négociations, le troc devant les yeux, Guillaume n’a nullement
manqué de tenir Rome au courant des généreux efforts qu’il fait et des multiples
entraves qu’il doit vaincre. Le 24 septembre 1720, envoyant la Déclaration et
Venregistrement a Lafitau, f.f. ambassadeur 4 Rome, Guillaume avoue : « ... Je suis
accablé de travail sans relache et des fatigues qu'il a fallu essuyer, nuit et jour, pour
le succés de cette occasion importante qui devait soutenir ou voir renverser tout
Youvrage™ ». Deux jours plus tard, envoyant d’autres documents, ¢.a. le Mande-
ment de Noailles, Guillaume prie Lafitau « d’assurer le pape et ceux qui feraient
des objections, qu’on leur donnera des éclaircissements dont ils seront satisfaits
et méme, si le pape le souhaite, on lui enverra quelqu'un (notamment le cardinal
de Rohan) pour lui rendre compte des difficultés que chaque article a rencontrées
et de l’impossibilité de les surmonter autrement qu’on ne I’a fait ». Il n’a pas exigé
une réyocation expresse des appels afin de ne pas donner « un nouveau relief 4 des
actes anéantis® »,
Dans le méme sens, sans doute sur les instances de Guillaume, le Regent justifie
Vesprit des Explications: « Elles sont Voeuvre de l’église gallicane, toujours
inviolablement unie au Saint-Siége par la pureté de la méme doctrine et par son
attachement au centre de I’unité... Il reste 4 désirer que Votre Sainteté, satisfaite
de mon zéle [et de celui de Guillaume] et de mes soins, entre dans le méme esprit
et que, ne consultant que ses lumiéres supérieures et sa charité paternelle, elle
tejette avec constance, les conseils inconsidérés ou dictés par un zéle amer,
capable de renverser l’ouvrage de tant de peines et de tant de travaux... »,
Mais 4 Rome, le pape ne dispose pas seulement d’informations intéress¢es. On
y examine les piéces officielles : le corps de doctrine, la Déclaration, les lettres
patentes, les Mandements des évéques, surtout celui de Noailles. Vieux et maladif,
le pape est devenu plus méfiant et plus indécis que jamais ; plus dominé aussi par
Fabroni qui gouverne également les cardinaux du Saint-Office. S’il ne veut
58. Ibid, TM, p. 31-32.
59. Ibid, IIT, p. 45,
60. Ibid, III, p. 45-46, A cette époque, la correspondance officielle de Lafitau ne s'occupe
guére que des moyens qu’il emploie pour arracher au pape l’'approbation de l'accommodement
et l'acquittement de la dette,
Diaprés une lettre du 15 septembre 1720, Lafitau « a supplié Sa Sainteté de ne consulter que
Dieu seul, A ce sujet, et de ne point écouter ceux qui, dans le passé, l'ont engagé dans les
démarches si préjudiciables au Saint-Siége ; ... de tenir pour un principe invariable, qu'on a fait
absolument tout ce qui était possible pour le contenter ; qu'il serait impossible de rien tenter
audela et de se mettre bien avant dans l’esprit que c’est de son inaction ou de ses démarches
que dépgndra non seulement le repos de la France, mais encore I’avantage du Saint-Siége et la
gloire de son pontificat » (CARREYRE, III, p. 84).LE CARDINAL DUBOIS ET L’« UNIGENITUS » 165
approuver I’accommodement, Clément XI n’ose pas non plus le condamner®!.
Tout au plus, le Saint-Office censurera-t-il les mandements de quelques évéques
adhérents de Noailles, qui par indulgence reste indemne.
Quant au chapeau, Clément XI ne reconnait pas sa dette. Son entourage, méme
immédiat, ne parvient pas a lui arracher la promotion de Dubois, pas méme sur
son lit de mort. Lafitau écrira le 19 mars 1721: « ... Je dois cette justice 4 M. le
cardinal [Albani] que, malgré la douleur qu’il avait de voir souffrir son oncle, il
T’a obsédé tout le temps pour chercher d’en obtenir cette grace, mais Sa Sainteté
a toujours été en délire... ». Cependant, le pape mourant hésita « s’il ne publierait
pas une sentence d’excommunication qu'il avait préparée depuis longtemps contre
Noailles® »,
Le troc tiare contre chapeau
Le pape Clément XI étant décédé le 19 mars 1721, il était important pour
Guillaume de faire élire un successeur qui reconnaitrait la dette que lui devait le
Saint-Siége et qui s’en acquitterait aussi vite que possible.
Mais l’influence francaise au conclave ne promettait pas beaucoup. Des six
cardinaux frangais, deux seulement se mirent en route, Déja d’avance désigné
pour Rome, Rohan arriva le 31 mars, juste 4 temps pour entrer au conclave. Au
contraire, Bissy, 4 qui Guillaume avait imposé comme conclaviste Pierre de
Tencin, vicaire général de Sens, un intrigant de haute classe et d’un grand avenir®,
ne partit que le 1" avril, et ne rejoignit les cardinaux qu’aprés l|’exclusion du
cardinal Paolucci, le fameux secrétaire d’état, ami de Fabroni, lorsque les yeux
s’étaient tournés vers le cardinal Michelange Conti®.
Tencin put aussitét entrer dans les intrigues déja en cours avec le candidat-pape.
Il s'agissait du « troc d’un chapeau pour une tiare™ ». Les négociateurs secrets
réussirent 4 obtenir une promesse, méme écrite. Le billet signé Conti est dans les
mains de Guillaume un atout important qu’il ne lachera pas facilement™.
61. Le 20 aodt 1720, Clément XI écrivit qu'il ne pouvait approuver 'accommodement, ni
Je tolérer, ni le dissimuler ; Gazier, I, p. 264.
62. Le 14 juillet 1723, le Saint-Office censurera les mandements des évéques d'Auxerre, de
Bayeux et de Rodez ; Hircers, Der Index, p. 443.
63. CARREYRE, III, p. 108-109.
64. Quoique invité, Noailles ne partit pas.
65, Carrere, III, p. 118; on trouvera une notice biographique sur Pierre de Tencin
(1680-1758), plus tard évéque d’Embrun et cardinal, dans le Dictionnaire de Théologie
catholique, XV, c. 115-116,
66. Carreyrg, III, p. 115. Cf. Pastor, Storia dei Papi, XV, p. 415-432.
67. CarReYRE, III, p. 132.
68. Ibid, IM, p. 121-124, Plus tard, promesse accomplie, voulant faire plaisir au pape,
Tencin demanda Dubois de lui renvoyer « le petit papier auquel le pape tenait beaucoup » et
qui était aux mains de Rohan, Celui-ci fut d’avis qu'il fallait expédier ledit papier « coupé en166 LUCIEN CEYSSENS
Méme aprés J’élection (le 8 mai 1721) et le couronnement de Michel Angelo
Conti (Innocent XIII), les instances continuent. Le 28 mai, Rohan, devenu chargé
affaires, écrit 4 Guillaume: « Vous serez bien servi par moi. Sous peu, j’aurai
toutes les semaines une audience de Sa Sainteté et je me promets de ne pas lui
donner un moment de repos, jusqu’a ce qu’Elle ait condescendu 4 nos justes
demandes... »,
Le 10 juin, Guillaume remercie Rohan des « miracles qu’il fait pour surmonter
les obstacles” », Et le méme jour il écrit a Tencin : « Si l'abbé Scaglione [qui de
conclaviste du cardinal Conti est devenu secrétaire aux brefs] est effectif, n"hésitez
point a lui faire donner mille pistoles... Continuez 4 le faire tourner comme il
faut... Je ferais des volumes entiers, non pas des avantages de la promotion que
vous sollicitez, mais des dangers et des inconvénients de son retardement et vous
pouvez compter que, jusqu’a ce qu’elle soit faite, je serai toujours sur la corde” »,
Quoique la mort ouvre des places cardinalices, Guillaume doit patienter. Mais avec
quel énervement ! Le 23 juillet (quand il n’a pas encore appris sa promotion), il
écrit 4 Tencin : « Vos lettres du 7 et du 10, mon cher abbé, m’ont mis dans une
telle détresse que je ne suis plus me souffrir moi-méme et il n’y a point de coiffure
qui me paraisse aujourd'hui plus extravagante qu’un chapeau de cardinal. Il me
semble que toutes les vertus et tous les vices des hommes se sont entendus pour
miaccabler...” », Mais le 16 juillet, Rohan peut annoncer 4 Guillaume : « ... Vous
étes cardinal, il n’y a plus de délai 4 craindre ni d’obstacles a redouter » et au roi :
«... Le pape vient d’acquitter la dette de son prédécesseur et du Saint-Siége” ».
Le cardinal
Promu le 16 juillet 1721, Guillaume exprime sa gratitude envers ses promo-
teurs. A l’égard du pape, il « s’estime indigne de cette recompense réservée aux
longs et aux plus importants services rendus 4 la religion ». Il montrera sa
teconnaissance « par la scrupuleuse et la plus persévérante application 4 remplir
les devoirs d'une aussi haute dignité » ; il travaillera « ala confusion de ses ennemis
[ceux de l’Eglise, du Saint-Siége et du pape] et la destruction de leurs projets...” ».
Voici un aveu aussi inattendu qu’important. Le but atteint, pour Guillaume le
moyen ne compte plus. Il oublie sa paix de l’Eglise, sa pacification du clergé, son
accommodement. Il perd aussi son indifference et son indépendance. Pour profiter
petits morceaux, successivement par divers ordinaires ou courriers. Dans le paquet d’aujour-
hui, écrivait Dubois le 8 juin 1721, se trouve la signature. Je souhaite que cette méthode soit
agréable aux personnes intéressées... » (Ibid., III, p. 367-368).
69. Ibid, TH, p. 131.
70. Ibid, TIL, p. 132.
Ti, Ibid, TH, p. 133.
72. Ibid., MI, p. 143.
73. Ibid., TM, p. 144.
74, Ibid, TH, p. 147, n. 3.LE CARDINAL DUBOIS ET L’« UNIGENITUS » 167
davantage de la faveur du pape, il devient, comme le commun des mortels, un
antijanséniste, un constitutionnaire, prét a laisser manoeuvrer les chefs des accep-
tants’ et 4 poursuivre ceux des opposants. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter
sa tactique que, le 20 janvier 1722, il révéle 4 Tencin, désormais son chargé
d'affaires a Rome : « Frapper les chefs les plus échauffés et les plus opiniétres qui
séduisent les simples, les plus influents qui sont les plus dangereux ; saisir les écrits
séditieux dés qu’ils paraissent, et arréter tous ceux qui les impriment et les
colportent”® ».
Entre-temps Guillaume, comme un avare insatiable, n’oublie pas ses propres
intéréts. Il profite de la venue de I'Infante d’Espagne pour se mettre en yedette.
Premier ministre en titre
Pratiquement, Guillaume exerce le ministére depuis le mois d’aoit 1718. Il ne
regoit le titre que le 22 aofit 1722, par des Lettres patentes élogieuses, qu’il a
probablement rédigées Iui-méme : vu « ... Votre habilité singuliére et vos soins
infatigables dans les fonctions des affaires étrangéres... votre bonne foi dans les
négociations... la part que vous avez eue a la réunion des prélats de notre
royaume... Nous ne pouvons douter que la continuation de yos soins n’aide
beaucoup 4 l’entiére perfection d'un ouvrage si pénible et si nécessaire... nous ne
youlons pas différer a vous donner la place que vous méritez a tant de titres” »,
Le lendemain, Guillaume préta serment entre les mains de Sa Majesté et
distribua 10 000 livres aux officiers de la chambre du roi’. Les réjouissances et
75. Le 17 juin 1722, Bissy publia une énorme Jnstruction pastorale et presque en méme
temps un Traité théologique du jésuite Thomas Dupré, en deux volumes, contre l’édition des
Hrexaples de 1714, Ces livres seront trés attaqués ; CARREYRE, III, p. 331-338 ; SOMMERVOGEL,
TIL, p, 296-297. Le Parlement voulut les condamner comme contraires a l’accommodement,
mais le Regent [avec Guillaume] !’en empéchait et aurait dit au Procureur général : « Laissez
les évéques [Bissy et Languet] en repos... vous étes un petit homme ; si vous faites quelque chose
contre le cardinal de Bissy, vous me trouverez » (Jbid., III, p. 334). Languet de Gergy, évéque
de Soissons, s’était toujours montré défenseur de 1a bulle et adversaire de l’accommodement.
Ses Avertissements avaient fait du bruit ; 4 partir du 25 mars 1722, il fit suivre six Instructions
pastorales qui firent du tapage, mais Guillaume se bornait 4 essayer «de tout arréter et en
particulier de calmer le zéle de lévéque de Soissons » (CARREYRE, III, p. 308).
76. Carreyre, IIL, p. 227. A la page précédente, on trouvera les directives que, d’aprés une
lettre du 6 janvier 1722, le Régent, avec Guillaume, fait suggérer au pape. « Si Sa Sainteté ne
se laisse pas émouvoir et attend avec dignité la fin que je me suis proposée, elle verra tout le
royaume se ranger insensiblement a la soumission la plus parfaite... et rendre hommage a la
sagesse consommée et 4 la charité paternelle du pape ». Dés le mois de décembre 1721,
Guillaume avait emprisonné a la Bastille les libraires et colporteurs qui répandaient les ouvrages
factieux, en particulier les estampes contre le pape Clément XI publi¢es au lendemain de sa
mort ; CaRREYRE, III, p. 254,
71. Ibid., MM, p. 255.
78. BLARD, II, p. 433-434.168 LUCIEN CEYSSENS
felicitations ne manquérent pas. A Rome, le pape et Fabroni y prirent part”. A
Paris, méme la Sorbonne suivit le courant, mais le Parlement se tint 4 ’écart’.
Orné de son titre, Guillaume peut officiellement organiser, pour le 25 octobre
1722, a Reims, le sacre du roi et s’y réserver une place d’honneur*’. Le 19 octobre,
T’Académie l’invite 4 occuper le fauteuil de Balsac ; le 8 janvier 1723, l’Académie
des inscriptions l’adopte comme membre honoraire” ; le 25 mai suivant, l’Assem-
blée quinquennale (retardée de 1720) V'invite et le désigne « pour président
au-dessus de tous les autres” », Mais il y a mieux. Le 25 feévrier 1723, au moment
ou le systeme Law ne rapporte plus, Louis XV lui offre la richissime abbaye de
Saint-Bertin, 4 Bergues-Saint-Winoc™.
Abbé de Saint-Bertin
C'est aprés tout sa huitigme abbaye, mais il y tient. Pour en obtenir la
confirmation pontificale, il se fait fortement recommander. Le Roi écrit au pape :
«... Les grands services qu’il m’a rendus et qu’il rend tous les jours 4 mon
royaume, dont il est le principal ministre, ne sont pas les seuls motifs qui
déterminent mon choix... Je regarde encore plus son ardeur pour Ja défense de la
foi et la vivacité de son zéle pour le Saint-Siége, dont il m’a rendu les intéréts si
précieux...* »,
Le Régent insiste, rappelant « les travaux infatigables... pour les intéréts de
lEglise... Sa Sainteté lui facilitera les moyens de travailler plus efficacement 4
soumettre les réfractaires 4 l’obéissance due au Saint-Siege™ ».
Guillaume lui-méme écrit curieusement au Pape : « ... J’ai l"honneur d’occuper
une grande place que mes prédecesseurs n’ont soutenue que par les libéralités
immenses dont le Saint-Siége les comblait », Richelieu avait 20 bénéfices ; Mazarin
22. « Dans les circonstances présentes j’ai plus de droit qu’eux, de demander a étre
79. Le 26 mai 1722, Tencin écrivit de Rome : « Le pape tire vanité de votre promotion et
il se fait plaisir de pouvoir vanter au Sacré-Collége votre zéle et votre reconnaissance », Le
2 juin, il manda 4 Dubois : « Vous étes a présent le héros du cardinal Fabroni ; il ne jure que
par Vi ae hautement que yous honorez la pourpre que yous portez » (CaRREYRE, III,
p. 265, n. 2).
80. BLiarD, II, p. 435-436.
81. Ibid, I, p. 438-444.
82. Ibid, Il, p. 448.
83, Carreyre, III, p. 318.
84, D'aprés les Actes de Ja Congrégation consistoriale, les revenus de l'abbaye s'élevaient &
50 000 florins ; mais Louis XV ne jouissait pas encore du droit de nomination a cette abbaye,
qui appartenait au pays nouvellement acquis ; il fallait obtenir un indult spécial ; cf. L. JADIN,
Les actes de la Congrégation consistoriale concernant les Pays-Bas, dans Bulletin de I'Institut
historique belge de Rome, 16, 1935, p. 418-423.
85. CaRRevre, III, p. 369,
86. Le.LE CARDINAL DUBOIS ET L'« UNIGENITUS » 169
aidé dans ce que j’entreprends chaque jour pour la défense de la foi et de !’autorité
du Saint-Siége..."” ».
Dans une autre dépéche 4 Tencin, du 25 juin, il se dit la « colonne inébranlable
de l’Eglise, que nul intérét, nulle considération et nulle machine ne fait chance-
ler... », Guillaume fait agir d’autres intercesseurs, surtout Tencin, le chargé
d'affaires, qui, dans une audience, assure le pape que « chaque jour les évéques
réfractaires regoivent quelques mortifications et que tous les coups de Sa Majesté
Tetombaient sur eux” ».
En effet, preuve spéciale de bonne volonté, sur les conseils de Guillaume, le roi
vient méme, le 11 juillet 1722, de réintroduire |’ancien formulaire dans les
diocéses oi, a cause des derniéres difficultés, il était tombé en oubli”®,
‘Vu ce beau zéle antijanséniste et constitutionnaire, le pape ne peut différer
davantage la confirmation de l’abbé de Saint-Bertin. Mais, malheureusement pour
celui-ci, le 10 aoat 1723, jour ot, par procuration, il prend possession de sa
huitiéme abbaye, il achéve prématurément sa carriére'. Méme le pape et le
cardinal Fabroni le regrettent”. Le 19 aod, l’inhumation a lieu A Saint-Honoré.
Sur l’ordre du Roi est célébré 4 Notre-Dame un service solennel, ot, malgré tout,
Noailles officie pontificalement ; le Parlement, la Chambre des comptes, la Cour
des aides, y assistent par députations, ainsi que l'Université et le Corps de ville.
Seulement — est-ce étrange ? — aucune oraison funébre ne résonne sous les voites
de Ja cathédrale, comme si on n’avait pu trouver ni orateur, ni matiere”*,
87. CARREYRE, IIL, p, 369.
88. Ibid, Ill, p. 369-370.
89. Ibid, II, p. 371. Bt cependant, au moment od il étale ce beau zéle, Guillaume,
diplomate jusqu'au bout, fait insérer les quatre articles de 1682 dans la thése que, le 22 juillet
1723, Louis-Jacques Chapt de Rastignac, évéque de Tulle, préside aux Grands Augustins ;
E. Appous, Le « Tiers parti », p. 91.
90. Ibid, TH, p. 355.
91. Guillaume mourut & la suite d'une hemie étranglée, causant des douleurs atroces et la
gangréne, Au dernier moment, il se confessa 4 un récollet, mais « lorsqu'on voulut faire venir
le curé avec les saintes huiles, Dubois s’écria en jurant et sacrant, selon sa coutume, qu'il fallait
bien d’autres cérémonies pour administrer le viatique & un cardinal, et ordonna d’aller chercher
son conftére le cardinal Bissy. Avant que Bissy flt arrive, Dubois était trépassé sans viatique »,
Ibid, MM, p. 375.
92. Lui-méme malade, le pape demande & Tencin des nouvelles de la santé de Guillaume « a
qui personne ne saurait étre comparé cent piques prés, pour remplir la place qu’il occupe, pour
Te bien de la religion et de I’Etat, aussi bien que pour la satisfaction personnelle du pape »
(Canneyre, Ill, p. 371). Apprenant de Tencin la mort de Guillaume, le pape s'écria : « Dieu
me veut punir, en m'enlevant cet homme-Ia ». Mais Tencin fe rassura : « Le duc d’Orléans qui
lui succéde, a toujours été I'ame qui a dirigé Dubois ; lequel ne fit qu'exécuter les desseins du
Regent ; il n’ya done rien de change » (CaRREvRg, III, p. 377). Cependant Dubois avait arraché
le Régent a sa neutralité ; Zbid, IT, p. 287.
93. BLIARD, II, p. 478-479.170 LUCIEN CEYSSENS
La pierre tombale, a Saint-Honoré, détaille bien les titres du défunt, mais avertit
en méme temps : « Viator, stabiliora solidarioraque bona mortuo apprecare” »,
En somme, si le pacificateur de |’'Europe n'a pas réussi a rétablir la paix de
LEglise, c’est qu’il eut a faire 4 plus fin que lui, notamment son émule romain le
cardinal Fabroni. Celui-ci, en le freinant dans la poursuite de ses intéréts
personnels, I’a finalement amené 4 devenir son collaborateur dans son entreprise
« bullaire », De son c6té Guillaume a ménagé |’étonnante transition du Régent 4
la politique constitutionnaire.
Lucien Ceyssens
Minderbroedersstraat 5
B. 3800 Sint-Truiden
Belgique
Résumé : Personnalité singuliére, jouant un grand réle politique durant la Régence et le début
du régne de Louis XV, le cardinal Dubois prit a 'égard de la bulle Unigenitus une extraordinaire
attitude constitutionnaire, uniquement motivée par son propre avancement.
94, Ibid, TL, p. 472-480, ott on trouve aussi une épitaphe hostile, mais réaliste :
Siste viator
Hic jacet
Gulietmus Cardinalis Duboisius,
‘Natali obscurus,
Titulis clarus,
Stupendum Gallis enigma :
Sine religione catholicus,
Sine sacrificio sacerdos,
Sine grege pastor,
Sine lege minister ;
Multiplex homo,
Homo nullus
Enigma solve, viator,
et miserans abi.
(Thomistic Ressourcement Series) Benoit-Dominique de La Soujeole - Introduction To The Mystery of The Church-Catholic University of America Press (2014)