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Revue néo-scolastique de

philosophie

Abstraction et analogie
J. Jacques

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Jacques J. Abstraction et analogie. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 38ᵉ année, Deuxième série, n°48, 1935. pp.
530-535;

doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1935.2945

https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1935_num_38_48_2945

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530 /. Jacques, S. C. /.

ABSTRACTION ET ANALOGIE

Abstraction et analogie : prolégomènes obligés de toute


métaphysique, combien décevants dans la présentation courante des
manuels ; problèmes ardus que certaines études, traitant ex pro-
fesso de la connaissance intellectuelle dans ses rapports avec la
métaphysique, n'osent aborder, leur préférant souvent des
recherches historiques plus faciles ; questions inéluctables cependant et
qu'une réflexion philosophique sincère se doit de creuser,
d'approfondir, puisque de leur solution dépend toute la structure de
notre science de l'être et du transcendantal.
Fruit de cette réflexion personnelle, pénétrante, inlassable, tel
est l'opuscule récemment publié par M. N. Balthasar 1.
Reproduisant en grande partie une étude antérieure parue dans Estudis
franciscans de Barcelone (volume de Miscellania tomista, 1924 : cf.
la Revue nêoscolastique de philosophie, février 1926, pp. 84-87), sa
conclusion dégage, en fonction de travaux récents, la position du
rationalisme de Scot en face de l'intrinsécisme thomiste. D'une
part, pleine mise en valeur de l'abstraction intellectuelle, souplesse
et dynamisme d'une analogie accueillante au mystère, ouverte sur
l'infini et le transcendant ; d'autre part, conceptualisme rigide et
fermé, univocité d'une notion d'être inapplicable — sans
gauchissement — aux modalités du réel (fini et infini), postulat dogmatiste
de l'infinitude intensive des possibles et de l'être... subtile évasion,
au fond, du domaine propre de notre connaissance.
L'auteur y insiste à bon droit : « Redisons en terminant que
pour le Docteur angélique, l'objet de la métaphysique, c'est non
pas l'être en général, concept vague négativement infini ; ce ne
sont pas les possibles avec leurs caractères nécessaires et
apparemment mystérieux ; c'est ceci, cela en tant qu'être, désigné par
le sens et réalisé dans la raison d'être sans aucune restriction,
participant vraiment à être, devant se justifier absolument et non seule-

1 Nicolas BALTHASAR, Professeur de métaphysique à l'Institut supérieur de


Philosophie de l'Université catholique de Louvain, L'abstraction métaphysique et
l'analogie des êtres dans l'être. Un vol. 17x11 de 116 pp., Louvain, Em. Warny, 1935;
Belgique : 8 frs ; étranger : 2 belgas.
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ment relativement » (p. 111). L'affirmation métaphysique s'enracine


dans l'expérience humaine totale. Ses valeurs absolues sont
exercées implicitement dans la pensée en acte de pensée. Il appartient
à la réflexion de les expliciter. Réflexion difficile, certes, et plutôt
rare. M. Balthasar ne consentirait cependant pas à y reconnaître une
expérience métaphysique privilégiée, sorte de « superconscience »
qui serait « un don spontané et gratuit de Dieu » requérant une
intervention naturelle spéciale du « Père des intelligences » 2.
L'être n'est donc atteint par nous que dans l'actuel, l'existant.
Droit, valeur, nécessité s'inscrivent dans le fait vécu, le contingent
ramenés à l'être ou à la pensée. Sans doute y a-t-il abstraction.
N'est-ce pas le seul mode proprement humain de connaître? L'être
est incontestablement commun à plusieurs ; mais abstraction
métaphysique, c'est-à-dire abstraction dans un sens analogique. L'être
imprègne tout, pénètre tout : l'abstrait s'insère dans le concret.
« Quand il s'agit du transcendantal, la forme concrète être et la
forme abstraite entitas doivent s'identifier. Esse est entitas ; entitas
est esse. La désignation individuelle rentre dans entitas,
l'expression abstraite » (p. 16).
Ainsi s'amorce dans la nature même de l'abstraction
métaphysique, le problème de l'analogie.
Autres sont ici les points de vue logique et systématique,
psychologique ou métaphysique. Pourtant, si l'être est objet formel de
l'intelligence et si sa connaissance joue nécessairement dans toute
notre vie intellectuelle, il faut bien que ce soit par rapport à cette
analogie essentielle, primordiale — analogie de proportionnalité
stricte — que se définissent et se caractérisent les autres modes
de notre connaissance. L'analogie de l'être les soutient tous.
N'est-ce pas elle en définitive qui fonde la possibilité même de
l'univoque ? A l'opposé du P. Blanche qui résoud finalement
l'analogue dans l'univoque, l'auteur montre comment seule l'analogie
permet de comprendre et d'expliquer ce dernier. L'univocité des
genres et des espèces suppose l'analogie de l'être, tout comme les
distinctions virtuelles positives s'appuient sur la distinction réelle
dans le fini, entre l'essence et l'existence. « L'analogue dépasse
l'univoque et en explique la possibilité. L'essence commune reçoit
des déterminations qui lui sont extrinsèques. Etant transcendantal

3 Th. PHILIPPE, O. P., L'intelligence, mystère de lumière, dans Revue des


Sciences Philos, et Théol, août 1935, p. 443 et note 1.
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l'être n'en peut pas recevoir. L'univocité dans l'ordre des talités
finies suppose que l'être tout en englobant les talités les dépasse,
puisqu'il est aussi l'actualité dernière des différents êtres. Pour
connaître l'analogue il faut le ramener à l'univoque d'une notion
que l'analogue lui-même doit envelopper en la dépassant » (p. 64).
C'est cette conception fondamentale, cette reductio dans l'être
des modes variés de notre connaissance qui fait le lien et l'unité
de cette belle étude ; c'est elle qui, au delà des cadres du notion-
nel et du logique, nous maintient toujours en contact avec ce fond
mystérieux et incommunicable de la pensée vivante, de la pensée
de l'être, orientée spontanément vers la grande vue synthétique ;
c'est elle enfin qui commande l'attitude de M. Balthasar dans ces
thèses célèbres, controversées autrefois entre les grands
commentateurs, débattues aujourd'hui encore entre les meilleurs thomistes
contemporains. Chose étrange ! Cette rigoureuse fidélité au point de
vue strictement métaphysique semble avoir échappé totalement
jadis à la sagacité de certain critique, le déroutant jusqu'à la
méprise 3.
Analogie des êtres dans l'être par conséquent, et analogie
poursuivie jusque dans ses dernières exigences : applicabilité aux
individus du monde matériel et ordonnance essentielle à la
communauté analogique des rapports.
Le dernier en date, croyons-nous, parmi les opposants de cette
seconde thèse, le R. P. Philippe, O. P., met en garde son confrère
le P. Blanche contre une confusion facile entre la ratio et le modus
qu'il croit découvrir à l'origine de celle-ci4. Affirmer que l'analogie
de proportionnalité doit posséder nécessairement un principe, parce
que ce qui participe à une nature est nécessairement ordonné à ce
qui le possède par essence, c'est introduire dans la raison
analogique des modes divers déterminés que celle-ci n'implique pas
explicitement. Dans la pure ligne de la proportionnalité, « le
concept analogique n'est ordonné formellement à aucun mode
puisqu'il les contient tous... En ce qu'il a de propre et de formel, (il)
exclut donc tout principe et n'implique formellement aucune
relation » (p. [509]).
Nous concédons sans peine l'importance de cette distinction de

» M. T. L. Penido, Bulletin thomiste, 1926, Bibliographie critique, N° 800.


4 Th. PHILIPPE, Bulletin thomiste, 1932, Bibliographie critique, N° 437: F. A.
BLANCHE, O. P., Une théorie de l'analogie. Eclaircissements et développements,
PP. [5061-[509].
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la ratio et du modus; prise en elle-même, l'analogie appartient à


l'ordre de la connaissance et du concept. Il n'y a pas de « réalité
analogique » ; les expressions de M. Penido à cet égard sont
impropres, inexactes et abusives 5.
L'analogie pourtant doit avoir un fondement : elle ne peut
résulter que d'une réelle similitude des êtres dans l'être. C'est parce
qu'il y a une « parenté profonde » unissant entre eux les modes
et les rattachant à Dieu, qu'il y a dans notre connaissance des
rationes analogicae. Sans doute le participative et Y essentialiter ne
conviennent-ils explicitement qu'aux modes. N'en subsiste-t-il
cependant aucune trace dans le constitutif formel de notre concept ?
« L'unité mystérieuse » de l'être n'est précisément mystérieuse que
parce qu'elle inclut actuellement réelle diversité : diversité confuse,
soit, ramenée à une certaine identité proportionnelle, mais
comportant, parce que proportionnelle, essentielle inégalité. Sans exprimer
ce qui convient à tel analogue déterminé, ni à tout analogue
considéré en soi, absolument, cette unité proportionnelle signifie
néanmoins ce qui caractérise intrinsèquement n'importe quel analogue
en tant que tel, c'est-à-dire l'implication nécessaire des autres co-
analogués. Entre ceux-ci, toute ratio simpliciter communis étant
exclue par définition, il y a non seulement série, mais «
ordonnance » et premier terme 6.
Récuser cette thèse c'est dissimuler l'importance de cette
polarité essentielle à la notion d'être : être-essence et être-existence,
polarité qu'il est vain de prétendre résorber ou dépasser : être et
mode d'être constituant formellement le contenu in se du transcen-
dantal.
Aussi bien, puisqu'en métaphysique tout se tient, et que les
divergences sont un stimulant continuel précieux pour la recherche,
voudrions-nous achever ces réflexions en nous permettant de
signaler que le même défaut se rencontre dans l'article, d'ailleurs très
suggestif, du P. Philippe 7 auquel nous avons fait allusion au début
de cette étude. Le R. P. y a trop accusé les contrastes entre le

5 Th. PHILIPPE, Bulletin thomiste, 1932 : M. T. L. PENIDO, Le rôle de


l'analogie en théologie dogmatique, pp. [484] et [505] .
* Le terme de gradation est évité ici à dessein ; celui d'ordonnance s'étend
au contraire, sans restriction, à tout le domaine du transcendantal : depuis la
simple sériation des êtres spatio-temporels jusqu'au mystère des processions et
des divines Personnes dans l'Infini.
7 Cfr note 2.
534 /. Jacques, S. C. J.

mystère de l'intelligibilité et de la création d'une part, de la


connaissance et de l'amour d'autre part, faute d'avoir réduit
suffisamment dans l'être des oppositions auxquelles ne correspondent
pourtant fondamentalement que des distinctions de formalités. En
particulier, dans la connaissance, l'objet n'est jamais connu comme
pur objet, dans son altérité seulement. Faculté de l'être, ce que
l'intelligence atteint, c'est l'éfre objet, X être sujet, non seulement
dans leur opposition et leur distinction, mais dans une unité qui
transcende toute dualité. Ce que l'intelligence connaît, ce n'est
donc pas et exclusivement l'autre en tant qu'autre, mais en tant
qu être autre. Exerçant et possédant consciemment dans le
jugement le rapport de vérité logique, l'intelligence ne peut pas ne
pas se rendre compte réflexivement de cette convenance de son
acte avec le réel. Ainsi est-elle contrainte — et ce dans sa
spontanéité naturelle — à dépasser l'ordre du vrai pour se perdre dans
celui de l'être. Or, au moment même où l'intelligence touche, dans
la propriété transcendantale de la vérité, le fondement absolu de
l'objectivité de sa connaissance, elle saisit en même temps
l'orientation de sa nature qui est pure soumission à l'être. Mais du coup,
l'autonomie souveraine de l'intellectuel comme tel est-elle ruinée.
Le vrai, en effet, c'est l'être et l'ordination essentielle de
l'intelligence est de se conformer à l'être. Se résolvant dans l'être, le
vrai y rejoint nécessairement le bien. Car l'être déborde le vrai
et donc déborde aussi ce bien spécial qu'est le vrai dans la
connaissance. D'autres richesses et profondeurs se découvrent en lui.
L'être doit être capable non seulement d'être connu, mis en
rapport avec une intelligence, possédé intentionnellement, mais encore
d'être mis en rapport avec une tendance, c'est-à-dire d'être désiré,
voulu, aimé et possédé tel qu'il est en soi, absolument, puisqu'il est
toute valeur, toute perfection, toute bonté.
Connaître l'être, implique tout cela. Représenter par conséquent
l'intelligence comme un mystère de « solitude, d'impassibilité,
d'indépendance », la considérer comme une « puissance de lumière »
toujours en risque de devenir diabolique 8, c'est séparer ce qui dans
l'être s'avère inséparable, c'est opposer le vrai au bien tandis que
l'un et l'autre ne sont que des aspects de l'être et ne se distinguent
entre eux que d'une distinction virtuelle incomplète, c'est
considérer trop l'intelligence précisivement comme faculté du vrai, la

» Cfr note 2.
La controverse gnoséologique en Italie 535

volonté comme appétit du bien, alors que l'une est appétit


rationnel et l'autre faculté de l'être tout simplement. Le P. Philippe n'a
pas exploité suffisamment dans le sens de la synthèse, les voies
ouvertes au cours de sa pénétrante analyse de facultés si
heureusement appelées pourtant faculté de « l'unité » et puissance de
« l'union ». L'être créé, fini, relatif, mettant en soi — dans une
unité intentionnelle seulement — l'absolu selon un mode toujours
restreint et limité à sa propre immanence, ne peut pas — puisqu'il
y a distinction entitative entre l'Absolu et le relatif — ne pas tendre
à s'unir à lui comme à sa fin.

Ces réflexions se situent, croyons-nous, dans le prolongement


normal de thèmes familiers à la pensée de M. Balthasar.
Inspirées occasionnellement par l'article très vigoureux du P. Philippe
dont nous avons simplement voulu nuancer certaines affirmations,
elles ne nous paraissent pas totalement étrangères à la recension
d'un volume dont la remarquable originalité consiste à faire de
cet intrinsécisme de l'être le centre de perspective unique en
métaphysique. Au reste, c'est dans les Questions approfondies
de métaphysique. Au delà des manuels, dont le présent opuscule
nous annonce la prochaine publication, que ce problème des
rapports de l'être, des propriétés transcendantales et des causalités
correspondantes sera examiné dans toute son ampleur. Nous les
attendons avec impatience, sûrs d'y trouver l'expression d'une
pensée parvenue à sa pleine maturité.
J. Jacques, S. C. J.

LA CONTROVERSE GNOSÉOLOGIQUE EN ITALIE

Plusieurs publications récentes témoignent de l'intérêt que l'on


continue à attacher, dans les milieux scolastiques italiens, à la
« gnoséologie pure » professée par Mgr Zamboni et M. S. Contri,
son disciple 1. L'étude exhaustive des débats engagés depuis plu-

1 A diverses reprises déjà, il a été question, dans cette revue, des travaux de
ces auteurs. Signalons: L. NoËL, mai 1923, pp. 154-156, 158, et février 1925, pp. 12
et suivantes; R. Kremer, 1925, pp. 200-201, et nos comptes rendus à propos de

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