You are on page 1of 29
& is _Les Physicions se passe entiar #64= °° *" la qu'on devine soles mene ses gigs DLA en ene te Turi de eu, de temps etd Soul cher tes yas oe eu eee NMEA] ou es de marque fois fous sont cose (MMMM Se ursoi, chacun Fepas on commun dans le salo « woriens quelques. propos scientifiques, lis seraient des fous modéles si certaines choses un peu ennuyeuses, carrément horribles méme, ne s‘étaient passées. L'un d'eux a étrenglé tne infirmiére, Autour du cadavee s‘affairent les fonctionnaires de ia police criminela, almables gailards a I'ma tranquille, qui ont deja absorbe leur ration de vin Blanc et quile sentent. lis mesurent, prennent des empreintes digitales, Au milieu du salon se trouve linspecteur Richard Voss. Non loin de lui, linfrmigre-majar Marthe Bol, & ar aussi résolu qu'elle lest en realté, Un polcier assis sur un siége prend des notes en sténo. L'nspec {eur tire un cigare d'un étui marron, Qui sontils? Ceux qui se font appoier Newton, Einstein et Mébius. Qui sontiis? Des eriminels? Des physiciens? Des'fous? Des simulateurs? Des espions? (Ou tout a la fois? Linspecteur Voss est confronté 18 & une énigre qui ressemble besucoup aux problemes que se pose, depuis quelques dzaines d années, ensemble de humanité! —= Friedrich Drrenmatt, considéré comme I'un des dramaturges majeurs de notre temps, est né & Konolfingen, pres de Berne, en 1921, et ast mort en 11980, Fils de pastour, i fait ces etudes de philosophie et de théologie at, paraliglementaIseriture, s'adonne avec passi {Les Physiciens est considére comme une de © le tour du monde, au méme titre que (illus Fomulus fe grand ou Le Marage de Monsiec ES PHYSICIENS NO COLLECTION «POCHE SUISSE» dirigée par P.-O. Walzer 1 réalisée avec le concours de Pro Helvetia © Diogenes Verlag, L’Age d'Homme 1988, pout la traduction frangaise LES PERSONNAGES: ct leur désignation dans la piéce LADIRECTRICE LIINEIRMIERE-MAJOR MONIKA INFIRMIER-CHEF INFIRMIER 1 INFIRMIER It NEWTON EINSTEIN MoBIUS LE MISSIONNAIRE MME ROSIER RUST Fusit FULS It LINSPECTEUR LE MEDECIN Gun, BOHRER Mile Mathilde von Zand, ‘médecin aliéniste Marta Boll, infirmiére-major Monika Stettler, infirmigre Olaf Sievers, infirmier-chef McArthur, infirmier Murillo, infirmier Herbert-Georg Beutler, dit Newton, pensionnaire Ernst-Heinrich Ernest, dit Einstein, pensionnaire Johann-Wilhelm Mobius, ‘pensionnaire Oscar Rosier, missionnaire Mme Lina Rosier, sa femme Adolf-Friedrich, ils de Mme Rosier Wilfried-Kaspar, idem Jorg-Lukas, idem Richard Voss, inspecteur de la brigade criminelle Un médecin Iégiste Guhl, agent de police Bohrer, agent de police PREMIER ACTE Le liew de Vaction est le salon de la « Villa», confortable bien qu'assez mal entretenue, de la clinigie privée Les Cerisiers. Dans les environs: ta rive d'un tae dans son 1at naturel, plus foin quelques maisons espactes et, dans le fond, une ville moyenne, dsons une petite ville. Autre- fois coquette, avec son chidteau et ses vieiles rues, elle Svagrémente actuellement d'affreux bdtiments de diverses compagnies d'assurances. Elle vit principalement d'une Imodeste université, dont la faculié de théologie a pris beaucoup d'extension et qui donne des cours de langues pendant les vacances; @ e6té de cela, d'une école le com ‘merce et d'un institut dentaire; enfin, des pensionnats de Jeunes filles ef d'une indusrie légere insignifante. Voula {qui sufft ata tenir a ’éeart de a vie moderne. Ajoutons {que le paysage apporte aux nerfs un surcroit de calme. 1 Ya des chaines de montagnes bleues, des collines boisées ‘par ta main de Vhomme et wn lac important. Dans le voi sinage immédiat, une vaste plaine d’oit se dégage du brouilard le soir. C'taitautrefois un marais sombre et ‘morne, il est actuellementsillonné par des eanauc qui le Jertlisen. 115") trouve quelque part un pénitencier avec ‘a grande expioitation agricole qui en dépend, si bien 4quion peut voir un peu partout des groupes fantomatt- {ques plus ou moins nombreux de détenus en train de pio- her et de labourer. Mais au fait le paysage qu’on ne ‘mentionne que par souci d’evaetitude n’a aucune impor- tance, car nous ne quitterons jamais a « Villa» de Vasile Galiénés (voila tout de ménie le mot léché). Pour étre encore plus précis: nous ne quitterons méme pas le salon, ar nous avons décidé de nous en tenir éroitement aux unites de temps, de lew et d'action. Une action qui se Joue parmi tes fous ne s'accommode que de la forme lassique. Mais venons é notre affaire. Pour fa Villa, on y logeait autrefois cous les malades de ta fondatrice de I'éiablissement, Mile Mathilde von Zahnd, docteur honoris causa, docteur en médecine: des aristo- ‘rates gatewx, des hommes politiques selérosés — ceux qui ont consenti d quitter le pouvoir — des millionnaires Impotents, des gros industriels souffrant de manie depressive, ete. Bref, route I’lite désaxée de la moitié du monde occidental. C’est que la docioresse est céiébre: ddéja parce que cette vieile fille bossue, dans son éternelle blouse de médecin, est issue dune puissante famille du pays, dont elle est le dernier rejeton digne d'etre men- onné, mais de plus, au titre de philanthrope et de ppsychiatre de renom, on peut carrément dire de réputa- tion universelle (sa correspondance avec C.G. Jung vient de paraitre), Mais actuellement, les malades marquants, loin d’étre toujours agréables, ont émigré depuis long- temps dans le nouveau bétiment, élégant et clair, ov ils oublient délicicusement meme le plus affreux des passés ppour des prix pharamineux. Ce nouveau batiment, com- prenant divers pavillons et une chapelle avec des vitraux @’Emi, s*étend dans la partie sud du vaste pare, du coré de la plaine. Devant la Villa, le gazon planté de quelques ‘arbres gigantesques descend jusqu’au lac. Le long de la rive court un mur de pierre. Dans le salon de ta Villa, ‘actuellement peu peuplée, se tiennent d’ordinaire trois pensionnaires qui, par hasard, sont trois physiciens — ce nest d'ailleurs pas tout a fait par hasard, car en s"inspi- rrant de principes humanitaires, on assemble ici ceux qui ‘0 ressemblent. Ils vivent chacun pour soi, enfermés dans eur monde imaginaire, prenant leurs repas en commun au salon, discutent parfois de leur science, ou se taisent fen regardant fixement devant eux: fous inoffensifs, dock fes, facles @ mener et sans exigences. Bref,ilsferaient des ‘malades modétes, s'il ne s’€talt pus récemmient produit quelque chose d’inguiétant, disons méme d'atroce. Hy a trois mois, l'un d’eux a étranglé une infirmiére, et ‘voila que le méme fait vient de se reproduire. Si bien que la police se trouve une deuxiéme fois dans létablisse- 10 ment. Voila pourquoi le salon est plus peuplé que d’habi- tude, L"nitmin et eowchae su le anche. dens ane position tragique et définitive, plutét a l’arriére-plan ‘pour ne pas effrayer inutilement le public. Mais il est évi- Gent quill yeu mute. Les meubles sont passablement en désordre. Une lampe a pied et deux fauteuils sont tombés eis @ gauche en avant, une table ronde est renversee, les Dleds pointant vers fe publi. Il faut dire que fa transfor. mation de la Villa en clinique (c’était autrefois la maison de campagne des von Zahnd) a laissé au salon des traces Aaffigeantes. Les parois sont recouvertes jusqu'a hauteur d’homme d'un vernis antiseptique, le platre n’apparait que plus haut avec des moulures en partie conservées. Au Fond, trois portes donnant sur un petit hall ménent aux chambres des trois physttens, elles sone capttonnees de cuir noire numéroiges de 1 a3. gauche, @e6té du petit hall, un vilain radiateur, d droite un lavabo avec une ser- vierte sur une tingle. De la chambre n° 2 cele du milieu), on entend Te son dum violon, accompasné ate piano: Sonate @ Kreutzer de Beethoven. A gauche, Ta Facade donnant sur le pare, avee de hauies fendires qu descendent jusqutau plancher recowwert de Tinoléum. A gauche et d droite des fenéires, de lourds rideaux. Une porte a deus battans donne sur une terrasse dont la balustrade de pierre se détache sur le pare dans tne lumiére relativement ensoleillée de novembre. Il est un peu plus de quatre heures et demie. A droite, au-descus une cheminge désaffectée devant laquelle on a mis un écran métallique, pend le portrait d’un vieillard a barbi- ‘che dans un cadre épais@ dorures. A droite en avant, une tourde porte de enéne. Un grand lustre est suspend dun sombre plafond @ cassons. Pour le mobiler (quand le salon est rangé): trois chaises autour de (a table ronde, Deintes en blanc comme Ia table: les autres meubles, de différentes époques, sont un peu usés; @ droite en avant, un divan avec un guéridon flanqué de deus feuieuis. En Jatt, la place dela lampe & pied est drritre le diven, si bien que le salon n'est pas du tout encombré: fant pew u de décors pour dresser une seine ott, au contraire des pid ‘ees antiques, le drame satirique se joue avant la tragédie. ‘Nous pouvons commencer. Des agents de la brigade eri- ‘minelle en civil s’affairent autour du cadavre, braves gar- cons d lame sereine, qui ont déja absorbé leur dose de vin blane, que trahit leur haleine. lis prenent des mesu- res, des empreintes, etc. Au milieu du salon se tent lins- ‘pecteur Richard Voss, en chapeau et pardessus; gau- ‘che, V'infirmigre-major Marta Boll, qui a air aussi rrésolu que son nom et son aspect U'indiquent. Sur le siege aVextréme droite, un agent assis siénographie. L’inspec- teur tire un cigare d’un étwi bran i LINSPECTEUR On peut fumer, je pense? LINFIRMIERE-MAJOR Ce n'est pas usage. ‘SPECTEUR Pardon. (1! remet le eigare dans W'étui.) LINFIRMIERE-MAJOR Une tasse de the? SPECTEUR Phutot un schnaps. LINFIRMIERE-MAIOR ‘Vous étes dans une maison de santé LINSPECTEUR ‘Alors, rien du tout. Bohrer, tu peux prendre tes photos. BOHRER Bien, patron, (On prend des photos. Flashes: LINSPECTEUR Le nom de cette infirmiére? LINFIRMIERE.MAJOR Iréne Straub. LINSPECTEUR Son ge? LIINFIRMIERE-MAIOR Vingt-deux ans. Née & Kohlwang, LINSPECTEUR De la famille? LINFIRMIERE-MAIOR Un frére dans les Grisons. ie a B LINSPECTEUR Informé? LINFIRMIERE-MAJOR Par télephone. LINSPECTEUR L’identité de Passassin? INFIRMIERE-MAJOR Monsieur Pinspecteur, je vous en prie! malade, INSPECTEUR Bon, disons Vauteur... de Vacte? LINFIRMIBRE-MAJOR Ernst-Heinrich Ernesti. Nous l'appetons Einstein, LINSPECTEUR Pourquoi? INFIRMIERE MAJOR Parce qu'il se prend pour Einstein. LINSPECTEUR Bon. (Il se tourne vers Vagent en train de sténogra- phier.) Guhl, vous avez pris la déposition de Pinfirmigre-major? cunt, Oui, patron, LINSPECTEUR Docteur! Strangulation? LE MEDECIN Pas de doute possible. Avec le cordon de Ia lampe. Les alignés de cette catégorie déploient souvent une force herculéenne. Il y a la quelque chose dadmirable, LINSPECTEUR Bon. C’est une opinion. Mais alors moi, je trouve qu’il faut tre inconscient pour faire soigner ce genre de fous par des infirmiéres. Voila déja le deuxiéme meur- tre. 4 LINFIRMIERE.MAJOR ‘Monsieur Vinspecteur, je vous en prie! LINSPECTEUR ‘Le deuxiéme accident a la clinique des Cerisiers dans espace de trois mois. (I! tire un agenda de sa pocke.) Le douze aotit, un nommé Georg Beutler, qui se prend pour le grand physicien Newton, a étrangié V’infirmigre Dorothée Moser. (ZI rempocke'son agenda.) Dans ce méme salon. Avec des infirmiers, ce ne serait pas LIINFIRMIERE-MAIOR Vous croyez? La premiére infirmiére, Dorothée Moser, était membre de la société de'lutte et la seconde, Iréne Straub, championne suisse de judo, LINSPECTEUR Et vous? LINFIRMIERE-MAJOR Haltérophile. LINSPECTEUR Au fait, puis-je voir le meurtrier? L'INFIRMIERE MAJOR Monsieur Pinspecteur, je vous en pric! LINSPECTEUR Bon. L’auteur de Pacte, LINFIRMIERE-MAIOR 1 joue du violon. LINSPECTEUR Comment ¢a: il joue du violon? LIINFIRMIERE-MAIOR ‘Vous l’entender, LANSPECTEUR Alors, il est prié de cesser. L'infirmiere-major ne réagit pas. LINSPECTEUR Je suis la pour Vinterroger. LINFIRMIERE MAJOR Pas question. LINSPECTEUR Pourquoi? LINFIRMIERE MAJOR Pour des raisons médicales. En ce moment précis, il est absolument nécessaire que M. Ernesti joue du violon. LINSPECTEUR Mais finalement, cet individu a étranglé une infir- mitre! LINFIRMIERE:MAIOR Monsieur Vinspecteur, il ne s'agit pas d'un individu mais d’un malade qu'on doit calmer. Bt comme il se prend pour Einstein, il ne peut se calmer qu’en jouant du violon, LINSPECTEUR Est-ce que je suis fou, oui ou non? LINFIRMIERE-MAIOR Non. LINSPECTEUR y aurait de quoi! (11 s‘éponge.) II fait chau ici. LINFIRMIERE-MAJOR Fe ne trouve pas, LINSPECTEUR Mademoiselle Marta Boll, veuillez appeler la direc- trice. LIINFIRMIERE-MAJOR Pas question non plus, Elle accompagne Einstein au piano. I ne peut se calmer que si la doctoresse en chef en personne 'accompagne. LIINSPECTEUR ELil y a trois mois, pour calmer Newton, il fallait que 16 la doctoresse en chef en personne lui fasse sa d'échees. Je ne marche plus. Je veux parler la diree- tice, DINFIRMIEREMAIOR A votre aise, Mais alors, attendez. LINSPECTEUR Ca va durer longtemps? LINFIRMIERE-MAJOR Un quart d’heure, une heure. Ca dépend, LINSPECTEUR se contenant: Bien, Pattendrai, (1 hurle.) Satten rai! BOHRER Nous, patron, on aurait fini. Silence. SPECTEUR s"épongeant. Vous pouvez enlever le corps, OHRER Bien, patron. LINFIRMIERE-MAIOR Je vais indiquer & ces messieurs P'allée de la chapelle. Elle ouyre ta porte de la terrasse. On emporte le caclax vre et les appareils; Pinspecteur enléve son chapeau et S'assied épuisé sur'le fauteuil @ gauche du divan, On entend toujours le violon et le piano. Herbert-Georg Beutler sort de la chambre n® 3. Il est en costume di début cu dix-huitiéme siele et porte la perruque. NEWTON Sir Isaac Newton, LINSPECTEUR Richard Voss, inspecteur de la brigade criminelle, (11 reste assis.) NEWTON ‘Trés heureux, vraiment trés heureux. J'ai entendu du i v vacarme, des gémissements, des res, et puis des allées ct venues. Puis-je vous demander ce qui se passe? LINSPECTEUR On a étranglé Pinfirmigre [rene Straub, NEWTON La championne de judo, LINSPECTEUR La championne de judo. NEWTON Quelle horreur! LINSPECTEUR Cette fois, c'est Ernst-Heinrich Ernest NEWTON Mais il est en train de jouer du violon! LINSPECTEUR, Ilse calme. NEWTON Lui aussi, Ia lutte a da Mépuiser, il est plurdt chef, ‘Comment 'a-til étranglée? LINSPECTEUR ‘Avec le cordon de la lampe. NEWTON Le cordon de Ia lampe, tiens! c'est une idée, Sacré Emnesti! Je le plains, je le plains énormément. La championne de judo aussi je la plains. Vous permet- tez? Paimerais faire un peu dordre, LINSPECTEUR Allez-y. Le constat est fait. ‘Newton relive la table et les chaises. NEWTON Je ne supporte pas le désordre. Au fond, c'est par amour de ordre que je suis physicien. (Hf reléve fa Jampe.) Pour rapporter ce qui parait désordonné dans 18 la nature & un ordre supérieur. (11 allume une cigarette.) La fumée vous dérange? LINSPECTEUR Joyeux: Au contraire! Moi aussi... (Il veut prendre un ‘igare dans son étui.) NEWTON Je vous demande pardon, mais puisque nous venons de parler dordre... Ici, ce sont les pensionnaires qui fument, pas les visiteurs. Autrement, tout le salon serait empesté, LINSPECTEUR Je comprends. (11 rempoche son étui.) NEWTON Cela vous dérange si je m’offre un petit verre de fine’? LINSPECTEUR as le moins du monde. Newton va prendre une bouteille et un verre derriére éoran de la cheminée. NEWTON Sacré Ernesti! Je n’en reviens pas. Comment peut-on Gtrangler une infirmiére ? (11 s‘assied sur le divan et se verse d bore.) LINSPECTEUR Vous aussi, vous avez bel et bien étranglé une infir- mitre! NEWTON Me LINSPECTEUR Dorothée Moser. NEWTON La lutteuse? LINSPECTEUR Le douze avait. Avee le cordon du rideau. 19 NEWTON Mais e’est tout différent, monsicur l'inspecteur, Moi, Je ne suis pas fou. Santé? LINSPECTEUR Ala votre! ‘Newton boit. NEWTON Dorothée Moser. Quand j’y repense, Blonde comme les blés. Etonnamment vigoureuse! Souple ailleurs, rmalgré sa carrure. Elle m’aimait et je 'aimais. Il n'y avail qu'un cordon de rideau pour résoudre un pareil dilemme, SSPECTEUR Quel dilemme? NEWTON Ma mission n’est pas d'aimer une femme, c'est de meéditer sur la gravitation universelle. LINSPECTEUR Je vois NEWTON Ly avait aussi énorme différence dage. LANSPECTEUR Bien siir. Vous devez étre plus de deux fois centenaire NEWTON le regardant d'un air trés étonné: Pardon? LINSPECTEUR Ben, Newton est né NEWTON Vous étes idiot, monsieur linspecteur, ou bien vous faites semblant ? LINSPECTEUR Dites done. NEWTON ‘Vous croyez vraiment que je suis Newton? L 20 LINSPECTEUR ‘Crest vous qui le croyez. NEWTON Jetant un regard méfiant autour de tui: Monsieur l’inspecteur, puis-je vous confier un secret? LINSPECTEUR Cela va de soi NEWTON Je ne suis pas Sir Isaae Newton, Mais je me fais passer pour lui. LINSPECTEUR Dans quel but? NEWTON Je ne veux pas troubler Ernest LPINSPECTEUR Pige pas. NEWTON Emnesti, lui, il est vraiment malade: il se prend pour Albert Einstei LINSPECTEUR Je ne vois pas le rapport, NEWTON Si Emnesti venait a savoir la vérité, il y aurait du gra- bbuge. Parce que Albert Einstein, c'est moi. LINSPECTEUR Ce serait vous?. NEWTON arfaitement. Le créateur de la théorie de la relativité, c'est moi. Lillustre physicien né & Ulm le 14 mars 1879, LINSPECTEUR se levant un peu troublé: Tres heureux, NEWTON se levant aussi: Appelez-moi done Albert 24 LINSPECTEUR Appelez-moi Richard Us se serrent la main. NEWTON La sonate & Kreutzer, je vous garantis que je vous la joue avec autrement plus de brio que monsieur Ernst- Heinrich Eesti! Vous Pentendez jouer Pandante? Un vrai barbare! LINSPECTEUR Je ne comprends rien & la musique. NEWTON ‘Asseyons-nous. (11 Ventraine vers le divan et Iui passe le bras sur Pépaule.) Richard! LINSPECTEUR Albert? NEWTON Ayouez-le: ga vous embéte de ne pas pouvoir m'arré- ter LINSPECTEUR Voyons, Albert! NEWTON Si vous m’arrétiez, ce serait pour avoir étranglé une infirmiére, ou pour avoir permis Ia bombe atomique? LINSPECTEUR Mais Albert! NEWTON Richard, si vous tournez le commutateur Ia prés de la porte, que se passe--il? LINSPECTEUR La lumiére s'allume, NEWTON Vous établissez un contact électrique. Richard, vous ‘comprenez quelque chose a Pélectricité? 2 LINSPECTEUR, Je n'ai pas fait de physique. NEWTON Moi, physicien, je n'y comprends pas grand-chose non plus. Fobserve la nature et j’élabore une théorie de Mélectricité, Jexprime cette théorie en langage mathé- matique et j'obtiens des formules. Sur quoi viennent les techniciens. Eux, ils ne s“intéressent plus qu’aux formules. Ils traitent l'électricité comme les maque- ‘eaux une putain, Ils lexploitent, Ils construisent des ‘machines. Mais dés le moment of une machine est uti lisable, elle ne dépend plus de la théorie qui a permis son invention, De nos jours, le premier imbécile venu est capable d'allumer une ‘ampoule — ou de faire exploser une bombe atomique. (11 frappe sur V’épaule de inspecteur.) Ft c'est pour cela que vous voulez marréter, Richard. Ce n'est pas loyal. LINSPECTEUR Mais Albert je n'ai pas la moindre intention de vous arréter. NEWTON arce que vous me croyez fou. Mais vous, du moment {que vous ne comprenez rien a Pélectricité, pourquoi ne Tefusez-vous pas de tourner les commutateurs? C'est, ‘vous, le eriminel, Richard. Mais il me faut cacher ma fine,’ sinon Tinfirmigre-major va se déchainer. (11 cache la boutelle derriére V’écran, mais laisse le verre d ssa place.) Au revoir, LINSPECTEUR Au revoir, Albert, NEWTON S'ily a quelqu’um a arréter, c'est vous, Richard. (Ise retire dans la chambre n° 3.) LINSPECTEUR, Tant pis, je fume! (I! prend vivement un cigare dans son étui, Vallume et fume.) 23 BOHRER HRECTRICE, entrant par la porte de la terrasse: Galui de mon oncle, Phomme d'Etat le chancelier Joa- Bee ae Colic le, Phomme d’Etat le chancelier Joa- chim von Zahnd. (Elle pose sa partition sur le guér- LINSPECTEUR don.) Ga y est, Ernest sestcalmé, Ihs'etjeté sur son ‘apant du pied: Pas moi! Sattends! La doctoresse en Tit ef s'est endormi. Comme un enfant. Je respire. chef. Fravais peur qu'il ne lui faille encore la roisieme BoHRER Sonate de Brahms. (Eile s'ssied sur le fauteuit@ ga Bien, patron, che du divan.) LINSPECTEUR LINSPECTEUR re ardomnersmoi de fuer mar Vintec > calmant W grogne: Retr en ile avec vite octet. pardones-mol de fumer male Vint équipe, Bohrer, Je vous suis, 7 somscrnica TAR a ” [Ne vous génez pas. Moi aussi, j’ai terriblement besoin 08 ordtes, patron. (Il ort.) : Pane cigarete Bi tant pis pour Finfimisre major! Liinspecteur fume @ grosses boiiffées, de mauvaise Doane el attet humeur. I! se léve, arpente le salon'a pas tourds, lui donne di feu, Elle fu S‘arréte devant le portrait au-dessus de la cheminée et tal domme du fe, lie fume. tesomine Eni ope nar ee oo Pomocice ; ta: Lepore de thon ner omer Cases. La paws ete. Une gose sl prope Me elie vn Zahe tedoctontes ok ce Be nee rman ne) ween fy dant lx gua cng i Sone beak oe, tapmecmicn Mie Goi Avge von ahha Oe te et tae nason avant que eT ae rant en ig ea Ten ere hs as oe va ls aie Cal ure honed erent emee ee Eins hig enfant haa Soo es - as tout pee huraie ge aaa soe ee pote A hte reas ton un aaa coe eae in Mie eat meme de dew danse es ee ahi reser” Cerncement innondsles sone bmsrecrau Psychiatres, moi comprise. Ah, voyez-vous, nous : autres médecins aliénistes, nous sommes des philanth- TA DIRECTRICE pa rece oe ee Vout eves Vavardé see Newton? ily tos mais, Pal w un auze port, Pal aan découverte (1 essed sure ivan.) 24 2s iere-major. LA DiRECTRICE plus, vous ne coffrez pas les assassins avant qu'il ent Félciations, ue, LINSPECTEUR LuNspecTEUR J'ai établi que Newton, lui aussi, se prend pour Eins- Ine s'agit pas d’assassins, mais de fous, c'est-i-dite icin, de gens qui peuvent tuer & a'importe quel moment LA DIRECTRICE La pinectRIce ‘Cs ce qu'il raconte a tout le monde. Mais en vite, ‘Les gens sans esprit aussi et ga leur arive méme plus il se prend bel et bien pour Newton, souvent. I! suffit d’évoquer mon grand-pére Léonidas i von Zahnd, le maréchal qui a tue tant de gens pour a hous? La médecine a fait des progres, oui ou non? LA pitecrnice Nous elsposons de moyens nowetar, Gu ou non? de ‘est mol qui détermine pour qui se prennent mes drogues qu endent dou comme des agneauy ly fous Inalades, Jes contais banicoup mus sus ne oe igs pts fries Faull nous remette &woler ler ala connaitentexx-bmes des dans des clues, vote meme les enmatloer das een des camisoles de fore & la mode d'aurefow? Comme Admettons. Mais alors, docteur, vous devriez collabo ‘si nous n’étions pas capables de discerner si un malade rer avec nous. On réclame en haut lieu. ‘est dangereux ou pas! LA binecraice LInsrecreuR Le procueur général? Cediscernement vous adrblement mangué danse cas cae. de Newton e nate ii ulmine LA binecraice ae Th ovif Voll ce qui m'obséde. Je me moque de votre C'est le cadet de mes soucis, ees aa i inst srt del chambre n*3avee son vilon. Mai binsrecren feces ngs ene men Dane, mote La pmecrnice : ss oe et een sivsrecreL Deak aesdents, En trois mois. Vous admetirer que es ee mesures de sécurité sont insuffisantes dans votre éta- ar blissement. EINSTEIN — Estee que ja bien joué? ‘Ces mesures de sécurité, comment les imaginez-vous? LA DIRECTRICE Se aiige une tinique; pas un penieacles Vous tog Mervllesement, profeseur 6 7 EINSTEIN Liinfitmiére Iréne Straub... LA DIRECTRICE N'y pensez plus, professeur. EINSTEIN Je retourne dorm LA DIRECTRICE ‘Crest gentil, professeur, Einstein rentre dans sa chambre. Liinspecteur s'est levé brusquement, LINSPECTEUR Cetait lui LADIRECTRICE Emst-Heinrich Ernesti, LINSPECTEUR L’assassn, LA DIRECTRICE Inspecteur, je vous en prie!... INSPECTEUR L'auteur de Paceident qui, se prend pour Einstein. Quand vous I'a-t-on amené? LA DIRECTRICE Ty a deux ans, LINSPECTEUR Et Newton? LA DIRECTRICE Unan. Incurables tous les deux. Voss, Dieu sait que je ne suis pas une débutante dans mon’métier, vous ne Frignorez pas et le procureur non plus. Tl a toujours apprécié mes rapports dexpertises. Ma clinique a une reputation mondiale et des tarifs & Pavenant, Je ne eux pas m’offrir Ie luxe dune seule faute, & plus forte raison ¢’histoires qui m’aménent la police a domicile, ily a cu une défaillance, elle est & porter au compte de la médecine, pas au mien, Ces accidents étaient impré- visibles; & vous comme moi, il pourrait nous arriver a’étrangler une infirmigre. Ce qui s'est passé ne s*expli gue pas médicalement. A moins que.. Elle s'est allumé une deuxidme cigarette. ‘Liinspecteur lui donne du few. LA DIRECTRICE Voss. II n'y a rien qui yous frappe? LINSPECTEUR ‘A quel propos? LA DIRECTRICE. Pensez.& nos malades. LINSPECTEUR Eh bien? LA DIRECTRICE Ils sont tous les deux physiciens. Physiciens du noyau. LINSPECTEUR Et alors? LA DIRECTRICE ‘Vous n'avez pas le soupgon facile, inspecteur. LINSPECTEUR apres avoir réfiéchi un moment: Docteur. LA DIRECTRICE Voss? LINSPECTEUR Si jal bien compris. LA DIRECTRICE sont étudié tous les deux des substances radioactives. LINSPECTEUR ‘Vous présumez qu'il existe un rapport?... LA DIRECTRICE Je consiate, c'est tout. Ils deviennent fous, leur mals die s'agerave, en fait des dangers publies et ils éiran- alent chacun leur infirmiére. 29 LINSPECTEUR Vous verrier une... altération du cerveau due a la radioactivité? LA DIRECTRICE Je suis malheureusement obligée d'envisager cette hypothése. LINSPECTEUR regardant autour de lui: O4 mene cette porte? LA DIRECTRICE ‘Au vestibule, au salon vert et a Métage. LINSPECTEUR Combien de malades avez-vous a la Villa’? LA DIRECTRICE Trois, INSPECTEUR Pas plus? LA DIRECTRICE On a transféré les autres dans le nouveau batiment le lendemain du premier accident. On venait d'achever es constructions, c'est une coincidence. Des parents & moi, des pensionnaires fortunés, ont contribué a leur financement, En mourant. La plupart du temps ici Leurs familles s’éteignant avec eux, c'est moi seule qui héritais. C'est le destin, Voss. Je suis toujours unique héritére. Quand on pense’ I'ancienneté de ma famille, c'est presque un miracle scientifique que je puisse passer pour a peu prés normale, j'entends men- {alement. LINSPECTEUR ‘apres un moment: Qui est le trois LA DiRECTRICE Encore un physicien, LINSPECTEUR (Crest curieux, Vous ne trouver pas? 30 LA DIRECTRICE Du tout. J'assortis, Les écrivains avec les écrivains, les ars industriels avec les gros industriels, es millionnai- res entre eux, et les physiciens avec les physiciens, LINSPECTEUR Celui-ci s’appelle? LA DIRECTRICE Johann-Wilhelm Mol LINSPECTEUR ILsest aussi occupé de radioactivite? LA DIRECTRICE TA DIRECTRICE Je le connais depuis douze ans, Il est inoffensif et son Etat est stationnaire LINSPECTEUR Désolé, docteur. Vous ne vous en tirerez pas comme ga. Le'procureur général est catégorique: pour vos Dhysiciens, il exige des infirmiers LA DIRECTRICE Hes aura. LINSPECTEUR : Prenant son chapeau: Bravo! voila qui est raisonna- ble. Je suis venu deux fois aux Cerisiers, docteur Expérons qu'on ne m'y reverra plus. I met son chapeau, sort @ gauche sur la terrasse et s‘éloigne dans le pare. La directrice pensive le suit des Jeux. L'infirmiére-major entre & droite, un dossier fa ‘main, Elle s‘arréte brusquement et renifie. LINFIRMIERE MAJOR Docteur, je vous en prie!, 3 La DIRECTRICE Oh, pardon! (Elle éerase sa cigarette.) Acton déposé V'infirmiére Irene Straub dans la cha- pelle? LINFIRMIERE-MAJOR ‘Au pied de l'orgue. LA DIRECTRICE Pensez aux cierges et aux couronnes. LINFIRMIERE-MAIOR J'ai deja télephoné au fleuriste, LA DIRECTRICE ‘Comment se porte ma tamte Senta? LINFIRMIERE: MAJOR Elle est agi LA DIRECTRICE. Doublez la dose. Mon cousin Ulrich? LINFIRMIERE. MAJOR Stationnaire, LA DIRECTRICE Infirmigre-major, je suis malheureusement obligée de ‘mettre fin a un vieil usage des Cerisiers, Jusqu’a pré sent je n'engageais que des infirmieres, dés demain ce seront des infirmiers qui s’oceuperont de Ia Villa LINFIRMIERE-MAJOR Docteur, je ne me laisserai pas arracher mes physi ciens! Ce sont les plus intéressanis de mes cas. LA DIRECTRICE Ma décision est irrévocable. LINFIRMIERE-MAJOR Je suis bien curieuse de savoir of! vous dénicheree vos infirmiers. En période de plein emploi, LA DIRECTRICE Crest mon affaire. Est-ce que Mme Mobius est art 32 LINFIRMIERE.MAIOR Elle attend dans le salon vert, LA DIRECTRICE. Priezla d'entrer. LINFIRMIERE MAIOR L'anamnése de Mobius. (Elle tui tend le dossier, se dirige vers la porte de droite, mais se retourne avant de sortir.) Docteur! LA DIRECTRICE Je vous en prie, mademoiselle Marta, je vous en prie! Liinfirmiére-major sort. La directrice ouvre le dossier et étudie @ ta table ronde. L'infirmiére-major intro- ‘duit Mme Rosier avec ses trois garcons de quatorze, ‘quinze et seize ans. L’ainé porte une serviette. Le mis- sionnaire Rosier ferme la marche. Mile von Zahnd se tev A DIRECTRICE ‘Chere madame Mobius! MME ROSIER Rosier. Madame Rosier. Je vais vous faire une cruelle surprise, docteur, mais jai €pousé le missionnaire Rosier il ya trois semaines. Ce mariage était peut-&re lun peu précipité, il n’y a que deux mois que nous avons fait connaissance, a la Semaine de la Mission. (Eile rougit et désigne gauchement son mari.) Oscar ait veut. LA DIRECTRICE en lui serrant cordialement la main: Mes felicitations, madame Rosier, mes sincéres félici- tations. Et & vous aussi, monsieur le missionnaire, (Elle tui fait un signe de te.) MME ROSIER ‘Vous nous comprenez, docteur? LA DIRECTRICE Mais naturellement, madame Rosier. 1 faut que la vie continue. 33 Le MussionwatRe quand il et tombé malade et il agit peut-étre Pun Comme cesttranquille chez vous. Comme c'est ave- adieu defini. nant. C'est la vraie paix du Bon Dieu qui reene dans pa Danse cette maison, conforme au mot du psalmiste: ie Sel Mésicalement, ily aurait des objections a cette réu- sneur eniend les pauvres ct ne méprise point ses pri- nion de familie; humainement, Je comprends votre Sonniers desi et j'y consens volonters. MME ROSIER MME ROSIER Vous savez, docteur, Oscar est un excellent prédica- ‘Comment va mon cher Johann-Withelm? “euiletant le dossier: Notre bon Mobius? I ne va ni ‘mieux ni ps mal Tl vt replie sur luiememe Me ROSTER Ls Fis Prétend:il toujours que le roi Salomon Iui apparait? Bonjour docteur. Pescinscn Le plus jeume a ramassé quelque chose sur le so. ‘Toujours. usm LE MISSIONNAn Un cordon de lampe. Il était par terre. “Triste et pltoyable aberration LA DIRECTRICE — Merci, mon petit. Vous avez de superbes garcons, Monsieur le missionnaire, ce jugement définitif' me madame Rosier. Vous pouvez regarder l'avenir avec surprendl de votre part. Un théotogien devrait croite au confianee, miracle, il me semble Mme Rosier sessed sur le divan droite, la directrce prés de la table a gauche. Derriére le divan, les trois LE MISSIONNAIRE LA DIRECTRICE, Bonjour mes garcons, fils. Sur un siege toui a droite, le missionnaire. Cela va de soi. Mais pas dans le cas d’un malade men- MME ROSIER ah Docteur, ce n'est pas sans motif que j’ai amené mes LA DIRECTRICE fis. Oscar va reprendre une mision dans Ieee Cher monsiur, la psychiatrie n'a pas a juger si les Mariannes, ‘son des alads mena Sn Ello non lle doit se soucier uniquement de 'iat de ler ae et TE MISSIONNATRE leurs nerfs, Celui ae Mobius est bien attristant, meme (Océan Pacifique. si le cours de la maladie est trés lent. Que faire de plus? MME ROSTER Mon Dieu! 4-un moment donne, on aurait pu tenter Selon moi, il est décent que mes gargonsfassent con- Une nouvelle cure d'insuine, jen conviens; mais ace avee leur pere avant de partir, C'est la pre- comme les cures préeédentes Gaientrestées sans suc mire et la deritre occasion. Ils étaient encore pets 8, j'v ai renoneé. Je ne peux pas iui rendre la santé & 4 as coups de pigires et de pilules. Je me fais pas de mira- cles, madame Rosier. Mais en tout cas, je refuse de le tourmenter. MME ROSIER Est-ce qu'il sait que j'ai demande... je veux dire, estil au courant du divorce? LA DIRECTRICE Ona informs. [MIME ROSIER La compris? LA DIRECTRICE Le monde extéreur ne Pinteresse plus guére IME ROSTER Comprenez-moi, docteur. Wai cing ans de phis que Johann-Wilhelm. C’était un lyeéen de quinze ans, ‘quand je Val conmi chez mon pére ot il louait une mansarde. Ce pauvre orphelin était dans une misére noire. Il fait son bachot grace & moi, et puis ses étu- ddes de physique. Nous nous sommes maries le jour de son vingtiéme anniversaire. Contre le gré de mes Parenis. Nous avons travaillé jour et nuit. Il r8 sa thése, moi j'étais employée dans une entreprse de transports. Adolf-Friedrich est né quatre ans plus tard, ses deux frétes I'ont suivi de prés. On nous a proposs une chaire de professeur, nous avons enfin cru pouvoir respirer; mais Johann-Withelm est rombé malade et sa ‘maladie « englouti des sommes folles. Pour nous trer affair, je suis entrée dans une fabrique de chocolat Chez Tobler. (Eile essuie une larme.) Wai fait tout mon possible, je me suis dévouée toute ma vie, Tout le mond est ému. 1A DIRECTRICE Vous étes une femme courageuse, madame Rosier LE MISSIONNAIRE, Une excellente mere, 36 MME ROSIER Docteur, jusqu’a présent, j’ai pu assurer le séjour de Johann-Wilhelm dans votre établissement. Les frais Gtaient bien au-dessus de mes moyens, mais Dieu m’est toujours venu en aide. Maintenant, mes ressources sont épuisées, je ne peux plus me charger de cette dépense supplémentaire, LA DIRECTRICE Cela se comprend, madame Rosier. MME ROSIER Ne crayex pas que j'ai épousé Oscar pour ne plus avoir a subvenir aux dépenses de Johann-Witheim. Ce n’est pas cela du tout. Ma charge est encore plus lourde & présent, Oscar améne six gargons dans notre foyer. LA DIRECTRICE Six? LE MISSIONNAIRE Six, MME ROSIER Six. Oscar a la passion d'etre pére. Mais nous voila avec neuf enfants & nourrir. Et puis Oscar n’est pas {és robuste et son poste pas tres lucratif. (Elle se remet @ pleurer.) LA DIRECTRICE Mais non, mais non, madame Rosier. Ne pleurez pas. MME ROSIER Je m’en veux énormément, dabandonner mon pauvre Johann-Wilhelm, LA DIRECTRICE Madame Rosier, ne vous faites pas de souci. MME ROSIE} ‘On vaT'interner dans un asile public, c'est sir. LA DIRECTRICE Mais non madame. Notre brave Mobius restera chez 37 nous, a la Villa. Parole d’honneur. II s'y est fait et ila trouve de gentils collegues. Aprés tout, je ne suis pas tun monstre, MME ROSIER ‘Comme vous étes bonne, docteur! LA DIRECTRICE Du tout, chére madame, du tout. Il existe des quantit de fondations: la donation Oppel pour les savants physiquement déficients, ICEuvre du docteur Steine- mann... Il y a de Pargent en masse et mon devoir de médecin, c'est d’en faire profiter votre cher Johann- Wilhelm. Vous pouvez vous embarquer pour les iles Mariannes la conscience en repos. Eh bien, allons chercher notre bon Mobius. Elle se dirige vers le fond et ouvre la porte n° 1. Mme Rosier se léve, tres émue, LA DIRECTRICE Mon cher Mobius! Des visites pour vous. Sorte de votre sanctuaire et venez les recevoir. Johann-Wilhelm Mobius sort de la chambre n° 1. Dans la quarantaine, wn peu emprunté. Il jette un regard incertain autour de lui, observe Mme Rosier, Duis les garcons, enfin le missionnaire. Il parait ne rien ‘comprendre, MME ROSIER Johann-Withelm, LES FILS Papa. ‘Mobius se tat. LA DIRECTRICE Mon cher Mobius, j'espére tout de méme que vous reconnaissez votre femme! Monts regardant fixement Mme Rosier: Lina? 38 LA DIRECTRICE Ga revient, Mobius. Mais bien sir, c’est votre Lina. MOBIUS Bonjour Lina. MME ROSIER Mon cher Johann-Withelm, mon trés cher Johann- Wilhelm, LA DIRECTRICE Bon. Voili qui est fait. Madame Rosier, monsicur le missionnaire, si vous désirez me parler, je suis a votre disposition dans le nouveau batiment. (Elle sort @ gau- che par la porte du pare.) MME ROSIER Johann-Wilhelm, tes fils. Mops : avec un mouvement de surprise: Uy en a trois? MME ROSIER Mais bien sar, Johann-Withelm, Trois. (Elle fui pré- sente les garcons.) Adolf-Friedrich, ton premier-né, MopIUS lui serrant fa main: Mon premier-né. Bonjour Adolf-Friedrich. Fits Bonjour papa. Monius Quel Age as-tu? FIs 1 Seize ans, papa. Mopius Que veux-tu devenir? FIs 1 Pasteur. 39 optus Je me souviens. Un jour, je te tenais par la main pour traverser la place Saint-Joseph. Le soleil était éblouis- sant ot les ombres avaient lair d’étre tracées au com- pas, (Se fournant vers le suivant.) Et toi, tu t'appelles?... MoBIUS Jorg-Lukas, tu ne dois pas. En aucun cas, Il faut te sortir cette idge de la téte, Je... je te Vinterdis, Fits 1 troublé: Mais toi aussi, papa, tu es physicien MOBIUS FILS It jour’ Fai cu tort. Absolument, Je ne serais pas aujourd'hui Wilfried-Kaspar, papa. dans un asile d’aliénés. Monrus MME ROSIER Tu as quatorze ans? ‘Mais mon ami, tu te trompes. C’est une maison de rus Fepos. Tu es un grand nerveux, c"est tout. Quinze. Moi, je voudrais étudier la philosophic, owiUs OBIS ‘Non, Lina. On me tient pour fou. Tout le monde. Toi La philosophie? aussi, Et mes fils aussi. Parce que le roi Salomon ‘m’apparait. MME ROSIER Tous se taisent, embarrassés, Mme Rosier présente le ‘Crest un enfant précoce. missionnaire. FILS MME ROSIER J'ai lu Schopenhauer et Nietzsche. Johann-Wilhelm, je te présente Oscar Rosier. Mon MME ROSIER ‘mati, Il est missionnaire. Ton benjamin: Jorg-Lukas, quatorze ans. Montus iene a ‘Ton mari? Mais c’est moi qui suis ton mari! Bonjour papa. MME ROSIER MOBIUS Plus maintenant, mon petit Johann-Wilhelm, (Elle ‘Mon benjamin. Bonjour Jérg-Lukas. rougit.) Nous sommes divorcés. MME ROSTER BSeIUS (Crest Iui qui te ressemble le plus. Divorcés? FILS It MME ROSIER Papa, je veux étre physicien, Tu Ie sais bien, MoBIUS Montus regardant son benjamin d'un air effrayé: Physicien? Non. FILS MME ROSIER Mais oui, papa. ‘Mlle von Zahnd t’a mis au courant. Jen suis sire. 40, a MoBIUS Possible. MME ROSIER Alors j'ai épousé Oscar. Il est pére de six garcons. I] était pasteur a Gutennen et il vient d'aecepter un poste aux iles Mariannes, MOBIUS ‘Aux fles Mariannes? [LE MISSIONNAIRE (Océan Pacifique, MME ROSIER ‘Nous embarquons aprés-demain a Bréme. MowiUs Je vois IL fixe le missionnaire du regard. Embarras général, MME ROSIER. Voila. MoBIUS vee une inclinaison de la téte & adresse du mission- naire: Monsieur le missionnaire, je suis enchanté de faire connaissance avec le nouvesu pre de mes fils. LE MISSIONNAIRE Is sont solidement ancrés dans mon affection, mon- sieur Mobius, tous les trois. Dieu nous viendra en aide. ‘Comme dit le psalmiste: Le Seigneur est mon berger et Je ne soutffrirai point de disett. MME ROSIER Oscar sait tous les psaumes par cceur, les psaumes de David, les psaumes de Salomon Monius Je suis heureux que mes fils aient trouvé un pire & la hhauteur. Moi, je n’ai pas bien rempli mes devoirs de pare. 2 LES FILS protestant: Mai si papa! MOBIUS Et Lina a trouvé un époux plus digne delle MME ROSIER Voyons, mon cher Johann-Wilhelm! MoBIUS Je vous félicite de tout mon caeur. [MME ROSIER va falloir nous mettre en route. MOBIUS, our les jles Mariannes? MME ROSIER ‘Nous dire adiew, MonIUs Pour toujours. MME ROSIER Johann-Wilhelm, tes fils sont trés musiciens, Mes enfants, jouez quelque chose pour votre pére avant de le quitter. Les FILS ‘Oui maman, Adolf-Friedrich ouvre sa serviette et distribue trois fl tes douces. MME ROSIER ‘Mon petit Johann-Witheim, assieds-toi Mobius prend place & la table ronde. Le missionnaire et sa femme s"assoient sur le divan. Les garcons se pla- cent aw milieu du salon. FIs in Un morceau de Buxtehude, Fs Un, deux, trois. (Les garcons jouent.) 8 MME ROSIER Plus de sentiment, mes enfants. Les garcons jouent avec plus de sentiment, Montus se levant d'un bond: 1 vaut mieux pas! Je vous en brie, il vaut mieux pas. Les garcons s'arréient désarconnés, MopiUus “Arrétez! Je vous en pr MME ROSIER Mais voyons, Johann-Wilhelm ! MonIUS Je vous en pric, ne jouez plus! Je vous en supplie! LE MISSIONNAIRE Monsieur Mobius, le roi Salomon serait le premier & se réjouir de Ja musique que font ces innocents. Réfé- chissez: le Salomon des Psaumes, Ie poste du Cant des Cantiques! MonIUS Monsieur Rosier, je connais Salomon pour lavoir vu face a face. Il n'est plus le grand roi fastueux qui a chante la Sulamite et les faons jumeaux qui paissent parm les roses, il a quitté son manteau de pourpre, (Mobius court tout d'un coup vers le fond, en passant devant sa famille effrayée, et il ouvre violemment fa porte de sa chambre.) Nu et puant, il est recroqueillé dans ma chambre, le pauvre roi de la vérité! et ses saumes sont tertibles. Ecoutez bien, monsieur le mis naire. Vous qui les connaisse? tous par coeur, apprenez encore celui-ci: (II s‘approche de la table ronde, la retourne, monte dedans et s'assied.) Psaume de Salomon dédié aux cosmonautes. ‘Nous avons foutu le camp dans lespace, de la Terre aux déserts de la Lune. Engloutis dans leurs sables, certains y ont déja crevé en ‘silence. Mais la plupart ont bouilli dans les - Au nom du roi Salomon! vapeurs de plomb de Mercure, ont fondu dans les flaques d’huile de Vénus; Et sur Mars, méme sur Mars, le Soleil explosif, radioactif et blanc, nous a dévorés. Jupiter puait, Bouillie de méthane en tourbillon vertigineux, Suspendu au-dessus de nous, il nous écrasait: Nous avons dégueulé sur Ganymede. MME ROSIER ‘Voyons, Johann-Wilhelm! Monts ‘Nous avons fait a Saturne Voffrande de nos jurons, La suite du voyage est dérisoire: De glace, aris ver- datre, Uranus puis Neptune. Pluion et Transpluton ont pereu nos ultimes obseé- nites. Car depuis longtemps nous confondions le Soleil et Sirius, puis Sirius et Canope. Déportés, nous étions emportés vers le goutfre des hhauteurs, en direction de quelques étoiles blanches {que nous n’avons jamais atteintes. Nous étions momitiés depuis belle lurette dans nos vaisseaux sous une croate d'immondices, Et sur nos visages grotesques et grimacants, plus aucun souvenir d'une Terre qui respire. LINFIRMIERE-MAJOR ‘Allons, allons, monsieur Mobius! Liinfirmiere-major est entrée par la droite avec V'infir- ‘miére Monika Stettler, Mobius est toujours assis dans {a table retowrnée, raidi, le visage semblable d un mas- que. Mopius Foutez-moi le camp aux tiles Mariannes! MME ROSIER Johann-Withelm 4s ps FILS MoBIUS Papa! ‘Ab oui, c'est exact, MoBIUS Monika se tait. Foutez-moi le camp! Bt plus vite que ga! Aux ies Monius Mariannes. un peu embarrassé: J'ai été plutot violent, non? Ise eve, menacant. La famille Rosier est décontenan- cA cee. a Lnenatne son voms oes, OC Ie. WU, Jed unt, amines elves ie a vee Imisiomai, Cote en ia aut da cao Era oats Pau roe, Sorter Sorter ce Prgmaccamtane Seine sul empont. Clestune en bnigne. U'nfrare etraauprs de fiselelecalmere, Une croe beione MONICA simul oats oons ‘ecampez! Pour toujours! Dans fe Paciigue! Ce em a ‘Adieu papa. Adieu, Liinfirmiére-major reconduit la famille ahurie et éplo- rée la porte de droite. MoniLs Cela fait deux ans que je vous soigne. Mobius arpente la piéce, puis s'arréte. Moatus Bon. J’avoue. J'ai joué au fou. ‘riant apres eux sans plus se reteni Re cicick, Je ne veux plus jamais vous revoir. Vous avez offensé al le roi Salomon. Soyez maudits! Allez vous engloutir marc dlans la fosse des Mariannes avec toutes vos les! Onze Montus mille metres de fond! Allez. pourrir dans Te plus som- Pour prendre congé de ma femme et de mes enfants. bre des trous de la mer, oubliés de Dieu et des hom- Un congé définitf. me MONIKA MONIKA Pourquoi avoir été si odieux? Nous sommes seuls, votre famille ne vous entend plus. Mosius Mobius regarde Monika d'un air étonné, puis il parait Par humanité! Du moment qu'on se trouve dans une se ressaisir. maison de fous, c’est encore de jouer au fou qui est la ‘meilleure fagon d'effacer le passé. Dorénavant ma 46 a famille peut m'oublier la conscience tranquille, La scéne que je leur ai faite leur a Oté toute envie de reve- nir me voir. Pour moi, c’est sans conséquence il faut penser ceux qui vivent hors de cet établissement, a ‘eux seuls. La folie revient cher. Ma bonne Lina a ‘dépensé des sommes démentielles pendant quinze ans, il fallait mettre le point final. Le moment était propice. Salomon m'a révelé ce qui devait etre révelé, le systeme de toutes les découvertes possibles est formule, les cer~ niéres pages sont diciées et ma femme a trouvé un nou- veau mari, le brave missionnaire Rosier. Soyez tran- quille, mademoiselle Monika. A présent tout est en ordre. (I! veut s‘en aller.) MONIKA ‘Vous avez donc agi selon un plan déterminé, Montus Je suis physicien, (11 se dirige vers sa chambre.) MONIKA Monsieur Mabius. montus qui s'est arr@té: Mademoiselle Monika? MONIKA Jai a vous parler. oats Je veux bien. MONIKA, I s'agit de nous deux. MoBIUs Asseyons-nous, Ils s‘asseoient, elle sur le divan, tui sur le fauteuil a sa gauche. MONIKA Nous devons nous dire adieu, nous aussi, pour tou- jours. 48 Montus effrayé: Vous m’abandonnez? MONIKA Sur ordre de la direction, MoBIUS Qu'est-il arrive? MONIKA, ‘On me transfére dans le batiment principal. Demain, ce sont des hommes qui se chargeront de ia surveil lance ici. Il est désormais interdit a toute infirmiére de franchir le seul de la Villa Monts A cause d’Einstein et Newton? MONIKA ‘Ala demande du procureur général. La directrive erai- gnait des difficultés, elle a cédé. Silence. Mobius est déprimé. opius Mademoiselle Monika, je serai maladroit, Jai désap- pris d'exprimer mes Sentiments. On ne peut guére hommer vraies conversations mes entretiens profes- sionnels avec les deux malades qui vivent pres de moi. Je suis réduit au silence, au silence intérieur aussi, je le ‘rains. Mais sachez bien que, pour mai, tout a change depuis que je vous connais, tout est plus supportable. Bon, ca va aussi éire du passé, ces deux années pen= dant lesquelles j'aurai été un pew plus heureux que Ghabitude, C'est que j'avais trouvé gréce A vous, Mademoiselle Monika, ie courage de prendre sur moi ‘mon isolement et mon destin de... fou. Adieu, (1 se eve et veut tui prendre la main.) MONIKA, Monsieur Mobius, pour moi, vous n’tes pas. un Mobius se met é rire et se rassied. 49 MoBius Pour moi non plus, je n'en suis pas un. Mais cela ne change rien & ma situation. Le roi Salomon m’appa- rait, je nal pas de veine! Il n'y a rien de plus choquant u’un miracle dans le domaine de la science. MONIKA Monsieur Mabius, je crois & ce miracle, Moatus décontenancé, la regarde intensément: Vous croyez”... MONIKA, Au roi Salomon, MoBIUS A ses apparitions? MONIKA, A ses apparitions. MonIUs ‘Chaque jour, chaque nuit? MONIKA, Chaque jour, chaque nuit. Moatus ‘Vous croyez qu’il me révéle les mystéres de la nature et la cohérence de toutes choses? Que j'écris sous sa die- tée le systéme de toutes les découvertes possibles? MONIKA Je le erois. Et si vous me disiez que le roi David vous apparait avec toute sa cour, je le croirais encore, Je sais que vous n’@tes pas malade. Je le sens. Silence. Soudain Mobius se léve d'un bond. Montus Mademoiselle Monika, allez-vous en! Elle reste assise. MONIKA Je reste, 50 Monius ‘Je ne veux plus jamais vous revoir. MONIKA, ‘Vous avez besoin de moi. A part moi, vous n’avez plus personne au monde, Pas un seul étre humai MoRIUS (Crest un danger mortel de croire au roi Salomon, MONIKA Je vous aime. ‘Mobius regarde Monika. Il est désemparé. Silence. MORILS abattu, avec douceur: Vous courez & votre perte, MONIKA Je ne crains rien pour moi, je erains pour vous. New- ton et Binstein sont dangercux. Monius Je mentends bien avec eux, Monika, Les deux infirmiéres aussi s'entendaient bien avec eux. Elles sont mortes. ‘MoniLs Mademoiselle Monika, vous m'avez, fait Paveu de votre foi et de voire amour. Vous m’obliger 4 vous dire la vérité & mon tour. Moi aussi je vous aime, Monika. Elle le regarde fixement. Moxius Plus que ma vie! Nous nous aimons, voila pourquoi vous tes tres en danger. Einstein sort de la chambre n° 2, fumant la pipe. ELNSTEIN Je me suis réveille, MONIKA, Professeur! SI EINSTEIN Ca m’est revenu, tout d'un coup. MONIKA Ce nest rien, professeur. EINSTEIN Fai etranglé Mile Iréne. MONIKA N’y pensez plus, professeur. EINSTEIN considérant ses mains: Je me demande si je pourrai encore bien jouer du violon. Mobius se léve d’un bond, comme pour protéger Monika, MoBIUs ‘Mais, vous avez déja rejoué depuis! EINSTEIN C’était bien? MoRIUS La sonate & Kreutzer. Pendant que la police était ici. EINSTEIN La sonate a Kreutzer. Dieu soit loué. (Som visage s'est éclairci, mais se rembrunit.) Dire que je n'aime pas jouer du violon et que je déteste fumer la pipe! Ca aun soit affreux. onius Eh bien, laissez tomber. EINSTEIN Je ne peux pas: je suis Albert Einstein. (1 observe les deux autres avee sévérité.) Yous vous aimez, vous deux, n’estece pas? MONIKA ‘Nous nous aimons. Einstein se dirige pensif @ Uarriére-plan, @ lendroit oi était étendue Vinfirmiere assassinée. 32 EINSTEIN Nous nous aimions aussi, Mlle Iréne et moi. Elle était préte & tout pour moi, l'infirmiére Iréne. Je ai préve- nue. Je l’ai engueulée, Je Iai traitée comme un chien. Je Vai suppliée de se sauver. Peine perdue. Elle est res- tée. Flle voulait se retirer i la campagne avec moi, & Kohlwang. Elle voulait m’épouser. Elle avait méme obtenu Mautorisation de Mlle von Zahnd. Alors je l'ai étranglée, la pauvre Iréne. II n’y a rien de plus absurde au monde que Ia rage que mettent les femmes a se sacrifier MONIKA S“approchant de lui: Allez vous recoucher, professeur. EINSTEIN ‘Vous pouvez m’appeler Albert MONIKA, Albert, soyez raisonnable, EINSTEIN Monika, c'est & vous d'etre raisonnable. Obéissez & homme que vous aimez et sauvez-vous. Sion vous tes perdue. (11 se dirige vers fa chambre n° 2.) Je vais me recoucher. (1 renire au n° 2.) MONIKA Pauvre malade! Momus 1 devrait vous avoir convaineue que je ne suis pas un homme qu'on peut aimer MONIKA, ‘Mais vous, vous n’étes pas fou. MoBiUs Ce serait plus raisonnable de le eroire. Sauvez-vous! Décampez. Déguerpissez! Sinon je serai obligé de vous traiter moi aussi comme un chien. MONIKA Traitez moi plut6t comme une femme que vous aimez. 3 Montus Venez, Monika. (I la méne jusqu’é un fauteuil, S‘assied en face d’elle et lui prend les mains. ) Ecoutez- moi. J'ai commis une faute grave. J’ai trahi_ mon secret, j'ai parlé des apparitions de Salomon. Il me le fait expier. A vie. Je mincline. Mais il ne faut pas que ‘yous soyez punie avec moi. Aux yeux du monde, vous @tes amoureuse dun malade mental. C'est accumuler Je malheur sur vous. Quitter cet établissement, ‘oubliez-moi. Cela vaudra mieux pour nous deux. MONIKA, Me désirez-vous? MoBIUS Pourquoi me parlez-vous ainsi? MONIKA, ‘Je veux coucher avec vous, je veux avoir des enfants de vous. Je manque de pudeur, je le sais. Mais ne voyer- vous pas que je suis une femme? Je ne vous plais pas? Jadmets que mon uniforme est affreux. (Elle arrache sson bonnet.) Je hais ma profession! Depuis cing ans, je soigne des malades au nom de 'amour du prochain: Je n'ai jamais détourné le visage, j'étais toujours la, je ‘me suis sacrifiée pour tout le monde. Mais je veux & présent me sacrifier pour quelqu’un, étre li pour une Personne unique. Je ne veux plus vivre pour les autres, ie veux vivre pour Phomme que j'aime. Pour vous. Je ferai tout ce que vous me demanderez, je travaillerai our vous jour et nuit. Mais vous, il y a une chase que ‘vous ne pouvez pas faire, c'est me repousser. Moi non plus, je n'ai plus personne au monde que vous! Moi aussi je suis seule Montus Monika, je dois vous repousser. MONIKA ‘au désespoir: Vous ne m’aimez done pas du tout? sa Montus Je vous aime, Monika. Mon Dieu! je vous aime, c’est bien ce qui est insensé, MONIKA, ‘Alors pourquoi me trahir? Et pas seulement moi. Vous prétendez que le roi Salomon vous appar pourquoi le trahissez-vous lui aussi? Moxius Hempoignant, au comble de Uexcitation: Vous pouvez

You might also like