You are on page 1of 14

Traduction et culture dans le monde arabe

Author(s): Abdesselam Cheddadi


Source: Esprit , Février 2009, No. 352 (2) (Février 2009), pp. 96-108
Published by: Editions Esprit

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24268254

JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms

is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to


Esprit

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

Abdesselam Cheddadi*

Il faut le reconnaître: les pays arabes en général ont aujourd'hui


bien des difficultés à relever le défi commun à l'ensemble des nations
et des cultures, défi qui consiste à être pleinement soi-même et
ouvert au reste du monde. Malgré un dynamisme économique relati
vement élevé au cours des dernières décennies, ils ont pris un tour
nant dangereux vers une re-traditionalisation rigide, qui risque de les
empêcher d'entretenir une communication fructueuse avec les autres
et de participer activement à la compétition culturelle mondiale. Mais
surtout, ils tardent à réaliser les réformes sociales et politiques qui
s'imposent dans le cadre des États-nations modernes.
Les rapports du Pnud sur le développement humain, où l'on trouve
une des rares approches synthétiques des problèmes de la culture et
du développement, sont alarmants pour les pays arabes. En 2004,
seuls les pays du Golfe occupent des positions au-dessus de la
moyenne mondiale, entre les 33e et 56e rangs sur un total de 177
nations. La majorité des autres pays arabes est classée entre les 100e
et 153e rangs. Les principales lacunes relevées concernent le niveau
des connaissances dans la société, les libertés, la gouvernance et
l'autonomisation des femmes. Elles se ramènent en fin de compte aux
attitudes et aux approches que les pays arabes adoptent à l'égard des
éléments essentiels de la construction nationale, à savoir une culture
unifiée et homogène (avec les réserves et les nuances qu'il est impor
tant de rappeler à ce niveau) et un État démocratique, et à leur posi
tionnement vis-à-vis du processus de mondialisation en cours. Dans
ces conditions, la stratégie qui s'impose va de soi : repenser et réfor
mer la culture arabe telle qu'elle se présente sous sa forme actuelle
pour lui permettre une meilleure adaptation aux conditions du pré

* Université Mohammed V, Rabat.

Février 2009 96 ESFRIT

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

sent ; formuler une position ouverte et créative à l'égard de la mondia


lisation. Ce qui pose problème, ce sont les moyens théoriques et les
ressources humaines à mettre en œuvre pour atteindre ce but. Mais
les pays arabes n'ont pas le choix: ou bien ils s'approprient résolu
ment les outils scientifiques qui ont été forgés à l'époque moderne,
quelle que soit leur origine, ou bien ils en inventent d'autres, à condi
tion que les outils qu'ils proposent soutiennent la concurrence avec
ces derniers et qu'ils soient adaptés aux conditions du monde où nous
vivons.
Il est clair, cependant, que l'approche la plus réaliste serait
d'adopter sans préjugés les outils scientifiques modernes, quitte à les
soumettre à une critique objective radicale, le but visé étant d'obtenir
le maximum d'efficacité. Sur ce point, les pays arabes ont observé
jusqu'à présent des positions indécises, ambiguës, souvent contradic
toires. Plus grave, devant les difficultés rencontrées, après avoir
accompli des progrès importants au cours de la seconde moitié du
XIXe siècle et à l'époque de la Nahda, ils opèrent aujourd'hui un
recul, même si, sur le plan quantitatif, on enregistre plus d'écoles et
d'universités, plus de livres traduits et plus de travaux originaux. Ni
dans le domaine de la langue ni dans celui des sciences et plus parti
culièrement des sciences humaines et sociales, ils n'ont pu atteindre
une masse critique permettant un développement durable. À cause de
l'insuffisance d'un travail réflexif de la société sur elle-même et de
l'absence de débats sur les problèmes sociétaux vitaux, un double
divorce entre direction politique et société et entre production écono
mique et culture s'est durablement installé.
Les questions des rapports sociaux, de l'organisation politique, de
la langue et de la culture se présentent aujourd'hui quasiment dans
les mêmes termes généraux, quoique avec des modalités différentes,
dans la plupart des pays non occidentaux : partout elles doivent être
repensées à neuf et réformées afin de s'adapter aux nouvelles condi
tions de la mondialisation. À cet égard, on répète souvent que le
retard des pays arabes, comme celui des autres pays musulmans,
serait imputable à l'Islam. Je voudrais faire sur ce point quelques
remarques.
Dire que le retard des pays arabes est imputable à l'islam est à la
fois faux et vrai. Cela est faux si l'on pense à l'islam comme religion,
et qui plus est comme une religion immuable. Comme toutes les reli
gions, l'islam a sans cesse évolué, et il ne peut être détaché des
conditions historiques dans lesquelles il a été vécu. Cela nous
ramène à l'Islam comme civilisation, comme culture historiquement
déterminée. Dire que les sociétés musulmanes ont été déterminées
par l'Islam au sens où l'Islam constitue leur histoire est une évidence
ou un truisme. Toutes les sociétés sont déterminées par leur histoire,
et les sociétés arabes et musulmanes n'échappent pas à cette règle.

97

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

Une des plus grandes faiblesses des sociétés arabes à l'époque pré
sente réside justement dans le fait qu'elles ne se sont pas suffisam
ment penchées, et avec les outils adéquats, sur leur histoire.
Pour ce qui nous concerne ici, il ne serait peut-être pas inutile de
souligner qu'à l'aube de la modernité, par comparaison avec de nom
breux pays d'Asie ou d'Afrique, les Arabes jouissaient a priori d'une
situation favorable, en raison de leur proximité et de leurs affinités
historiques avec l'Europe pendant toute l'époque médiévale, et du
fait qu'ils avaient été au centre de la plus vaste expérience de mon
dialisation qu'eût connue le monde avant celle de l'époque moderne.
En effet, pendant plus d'un millénaire, les pays arabes et l'Europe
avaient cohabité dans le même monde méditerranéen en entretenant,
au-delà des hostilités militaires épisodiques, des échanges écono
miques et culturels intenses et continus. Ils partageaient les trois élé
ments capitaux de leur culture: l'héritage philosophique et scienti
fique grec et hellénistique, la tradition du monothéisme prophétique
et le système politique des empires bureaucratiques agro-lettrés. Au
travers du vaste mouvement de traduction effectué en Sicile, en Ita
lie, et en Espagne du XIe au XIIIe siècle et au-delà, qui coïncida en
partie avec les Croisades, l'essentiel des réalisations scientifiques et
technologiques du monde arabe et musulman passa à l'Europe, y
compris, comme l'a bien montré George Makdisi, les modèles de la
scolastique et de l'humanisme1, qui recouvrent en grande partie ce
que nous appelons aujourd'hui les sciences humaines. Pour ce qui est
de l'expérience de la mondialisation, il suffit de rappeler que la
société musulmane, jusqu'au XVIIe siècle, avait le plus d'expansion
dans le monde et exerçait la plus grande influence sur les autres
sociétés, d'une part à cause de sa position centrale et, de l'autre, en
raison de ses conceptions cosmopolites et égalitaires et de son idéal
culturel sophistiqué. Si l'on peut parler de mondialisation avant
l'époque moderne, c'est dans le cadre du monde islamique qu'elle
trouverait le mieux à s'incarner. L'historien américain Marshall G. S.
Hodgson a rendu compte de ce fait historique par cette remarque:
« Au XVIe siècle, un visiteur venu de Mars aurait pu supposer que le
monde était sur le point de devenir musulman2. »
Mais on pourrait également soutenir que, dans la mesure où les
pays arabes n'ont pas été capables, à partir du XVIIIe siècle, de
répondre au défi de l'Europe sur les plans militaire, commercial et
culturel, ils se sont trouvés dans la situation la plus défavorable, les
anciennes affinités qu'ils avaient avec celle-ci s'étant transformées

1. Voir George Makdisi, The Rise of Colleges. Institutions of Learning in Islam and the West,
Edinburgh, Edinburgh University Press, 1981, et The Rise of Humanism in Classical Islam and
The Christian West, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1990.
2. Marshall G.S. Hodgson, l'Islam dans l'histoire mondiale, textes réunis, trad, de l'améri
cain et préf. par Abdesselam Cheddadi, Arles, Sindbad, Paris, Actes Sud, 1998, p. 60.

98

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

en oppositions rigides leur faisant perdre la souplesse et la capacité


d'adaptation qui leur auraient permis de l'affronter avec les mêmes
armes. De plus, occupant une position géographique stratégique et
ayant été les rivaux contre lesquels l'Europe moderne a fourbi ses
armes et s'est construite, c'était sur eux que devaient porter ses coups
les plus acharnés et les plus mortels. De cet échec dramatique, qui a
eu sur eux des conséquences désastreuses, politiquement et culturel
lement, les pays arabes n'ont pas encore pu prendre toute la mesure
ni faire l'histoire. La perte de l'autonomie, la rupture des anciennes
formes d'organisation sociale et des anciens liens sociétaux, les diffi
cultés du système politique à évoluer vers une forme de gouvernance
moderne et à opérer des réformes sociales en profondeur après un
certain nombre de tentatives avortées, les résistances à promouvoir
un système de connaissances et de savoir-faire adapté aux exigences
nouvelles de la production économique et de l'ouverture sur le
monde, la profonde altération de la fonction d'intégration de la
culture, l'inaptitude à jouer un rôle actif politique, mais aussi cultu
rel sur la scène mondiale ont été les éléments les plus patents de ce
drame. Pour que les pays arabes puissent être de plain-pied avec
l'évolution mondiale, il leur faut se doter des moyens adéquats de
surmonter ces déficiences.
La question de la traduction d'une façon générale, et plus particu
lièrement dans les sciences humaines et sociales, ne peut être déta
chée de ce double contexte, mondial et national ou régional. Mais elle
est, évidemment, avant tout liée à la politique suivie en matière de
langue et de culture. Or les politiques arabes dans ces deux domaines
n'ont pas accompli de progrès décisifs depuis la nahda, comme cela
apparaît clairement lorsqu'on examine l'état actuel de l'éducation, de
l'enseignement, de la recherche et de la production scientifique et
culturelle en général. Je voudrais rappeler ici brièvement les pro
blèmes qui se posent à ces deux niveaux, en commençant par la
langue.

La langue

Lorsqu'on envisage la question du développement de la langue


arabe à notre époque, il convient d'avoir présente à l'esprit l'histoire
de la formation et de l'évolution de cette langue. Bien qu'à vrai dire,
même depuis l'esquisse de Johann Fiick voilà plus d'un demi-siècle3,
une telle histoire reste encore à écrire, on peut, toutefois, au moins
dégager un certain nombre de faits fondamentaux.

3. Johann Fûck, 'Arabîya. Recherches sur l'histoire de la langue et du style arabe, trad, par
Claude Denizeau, Paris, IHEM, 1955.

99

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

Tout d'abord on doit rappeler qu'un des plus grands événements de


la culture arabe fut la fixation au cours des IIIe et IVe siècles de l'hé
gire (lXe-Xe siècle après J.-C.) de l'arabe classique comme langue lit
téraire écrite. À cette œuvre gigantesque de mise en forme, de norma
lisation et d'enrichissement lexical contribua une multitude de
savants arabes et non arabes par des recherches systématiques sur la
grammaire, la syntaxe, le vocabulaire, les usages littéraires, les
aspects stylistiques et rhétoriques. Elle s'adossa, d'une part, aux cor
pus de textes religieux et littéraires constitués au cours des deux pre
miers siècles et, d'autre part, à une vaste production scientifique,
nourrie par un mouvement de traduction sans précédent dans l'his
toire par son ampleur, qui permit à la culture arabe d'assimiler les
legs grec classique, hellénistique, sémitique, iranien et, dans une
moindre mesure, indien.
Le deuxième fait à souligner est que cette langue littéraire écrite
fut destinée, comme c'était le cas dans tous les grands empires agro
lettrés de l'époque prémoderne, à une élite politique, religieuse et
intellectuelle, qu'elle avait pour fonction d'intégrer, d'unifier cultu
rellement et de doter d'un instrument efficace d'administration et de
gestion. Cette langue standardisée devait jouer, en outre, un rôle de
véhicule d'une culture commune entre les différentes cités, provinces
et les pays du vaste monde musulman, rôle qu'elle assuma sans inter
ruption pendant treize siècles, même là où elle n'était pas la langue
dominante. Bien que très tôt on trouve des écrits contenant nombre
de vulgarismes ou de régionalismes, grâce aux règles dont elle s'était
dotée, l'arabe littéraire put se perpétuer sans subir de changements
profonds ni au niveau de sa morphologie ni à ceux de sa grammaire et
de sa syntaxe.
Le troisième fait sur lequel je voudrais attirer l'attention est très
banal, mais je dois y insister parce qu'on l'oublie trop souvent : à côté
de cette langue littéraire essentiellement destinée à l'écrit, des
langues locales continuèrent à exister (le syriaque, l'araméen, le grec,
le kurde, le copte, le berbère, etc.), et chaque pays arabe adopta son
propre dialecte arabe, la 'âmmiya, comme langue de communication
dans les relations quotidiennes. Il se forma ainsi deux grands
ensembles dialectaux en rapport avec les langues étrangères parlées
localement : l'ensemble oriental comprenant principalement l'Arabie,
l'Irak, la Jordanie, la Palestine, la Syrie, l'Egypte et une partie du
Soudan ; et l'ensemble maghrébin avec la Libye, la Tunisie, l'Algérie,
le Maroc, l'Espagne et la Mauritanie. Dans les deux ensembles, on
remarque une différenciation interne entre un dialecte citadin et un
dialecte bédouin, eux-mêmes différenciés en divers dialectes locaux.
Enfin, il faut évoquer un dernier fait qui eut des répercussions pro
fondes sur le destin de l'arabe littéraire, bien qu'elles soient difficiles

100

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

à apprécier de façon précise : ce sont les grands bouleversements qui


affectèrent les pays arabes à partir du XVe siècle avec la prise de Gre
nade en 1492 et la conquête par les Ottomans de la presque totalité
du territoire arabe, jusqu'aux frontières du Maroc. Durant environ
trois cents ans, jusqu'au début du XIXe siècle, la production en arabe
littéraire diminua considérablement et se cantonna aux champs juri
dique et religieux.
Ces faits saillants de l'histoire classique et médiévale de la langue
arabe permettent de saisir à la fois les atouts dont cette langue dis
pose et les types de difficultés qu'elle a rencontrées et qu'elle ren
contre encore de nos jours au moment où elle doit opérer les muta
tions nécessaires à son adaptation aux conditions du monde moderne.
Les hésitations et le piétinement qui ont caractérisé les politiques
arabes de développement linguistique depuis le XIXe siècle reflètent
une certaine incompréhension de ces faits et une résistance à les
prendre en compte.
Qu'il eût fallu opérer une réforme profonde de la langue arabe afin
de lui impulser un nouveau souffle fut clairement perçu par un assez
grand nombre de responsables arabes en Égypte, en Syrie et en Irak
dès la seconde moitié du XIXe siècle, tant dans les milieux politiques
que dans les milieux intellectuels. C'est ainsi que l'on vit se déployer
une activité intense dans plusieurs directions : exhumation de textes
arabes classiques et publication d'ouvrages littéraires inspirés par
leurs modèles ; traduction des langues étrangères en arabe d'ouvrages
techniques et publication de lexiques spécialisés ; traduction et imi
tation des grandes œuvres littéraires européennes, notamment fran
çaises et anglaises ; adoption de la presse comme support fondamen
tal des activités culturelles ; promotion d'une littérature moderne
dans les divers genres de la nouvelle, du roman, du théâtre et de la
poésie. S'il importe de souligner que la nahda a produit des œuvres
remarquables qui constituent un acquis précieux pour la culture
arabe moderne, il est aussi important de se demander pourquoi, mal
gré la progression sensible sur le plan quantitatif de la production
culturelle, les réalisations de la nahda n'ont pu déboucher sur des
réformes décisives ni sur le plan de la langue ni sur celui de la
culture arabes.

La réforme de la langue n'a pas pu mener jusqu'à leur terme les


deux tâches essentielles de la modernisation linguistique : d'une part,
l'abolition de la dualité langue littéraire/langue parlée, autrement dit,
langue de l'élite/langue populaire, et, d'autre part, l'incorporation des
savoirs modernes par l'intermédiaire de programmes cohérents de
traduction.

Dès le départ, il y eut une méprise sur la nature de la réforme lin


guistique à accomplir: il ne s'agissait pas du retour à la langue arabe

101

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

classique dans sa pureté, laquelle, comme nous l'avons vu, était une
langue élitaire, conformément aux structures sociales et politiques
d'une société agro-lettrée comme celle de l'empire arabo-musulman,
mais de la construction d'une nouvelle langue, s'ouvrant à l'ensemble
des composantes de la société et mettant fin à la coupure entre langue
littéraire et langue des relations quotidiennes, langue écrite et langue
parlée. Seule une langue unifiée et standardisée de ce genre répond
aux besoins sociaux, politiques et économiques de la société
moderne. Or, aucune des nombreuses académies de la langue arabe,
dont la première fut créée à Damas en 1919, ne se donna un tel
objectif. Des tentatives pour introduire les dialectes locaux dans les
textes littéraires, notamment dans des genres comme la nouvelle, le
roman ou le théâtre, ont été faites dans la plupart des pays arabes,
mais elles n'ont pas apporté un changement significatif à la ligne
d'évolution générale de la langue arabe moderne, qui reste fondamen
talement tributaire des règles de la langue classique. Parmi les rai
sons de cette résistance, les deux plus importantes semblent être l'at
tachement au caractère sacré de la langue classique, langue du
Coran, et la menace qui pèserait sur l'unité arabe si on développait
des langues locales ou régionales. Mais il y a une raison plus pro
fonde, d'ordre politique et social, sur laquelle je reviendrai plus loin.

La culture

L'ouverture de la langue arabe aux savoirs et à la littérature


modernes devait normalement rencontrer moins de difficultés, étant
donné l'expérience de la culture arabe dans le domaine de la traduc
tion déjà évoquée. Du IIe au IVe siècle de l'hégire (viIIe-Xe siècle après
J.-C.), le monde arabe réalisa le plus vaste mouvement de traduction
que l'histoire ait connu avant l'époque moderne. La presque totalité
de l'héritage philosophique, scientifique et littéraire grecque et hellé
nistique, à l'exception des textes où affleuraient les conceptions poly
théistes, une grande partie de l'héritage littéraire et historiographique
iranien, et une partie non négligeable de la tradition scientifique et
littéraire indienne en sanscrit furent assimilées par la langue et la
culture arabes4. Des activités de traduction importantes furent égale
ment observées pendant plusieurs siècles à l'intérieur du monde
musulman, notamment entre l'arabe, le persan, le turc et l'ourdou.
Cette expérience de la traduction, qui est en grande partie respon
sable de la conception de la science dont le monde moderne a hérité,

4. Voir Dimitri Gut as, Pensée grecque, culture arabe. Le mouvement de traduction gréco-arabe
à Bagdad et la société abbasside primitive (lIe-IVe/vilte-Xe siècles), trad, de l'anglais par Abdesse
lam Cheddadi, Paris, Aubier, 2005.

102

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

aurait pu servir à la fois de référence et de stimulant pour la tâche de


traduction que doit accomplir le monde arabe aujourd'hui. Mais après
deux siècles de tentatives dans ce domaine, faute de cohérence, de
rigueur et, surtout, de continuité, les résultats obtenus, trop faibles
relativement aux besoins, n'ont pas pu créer la dynamique culturelle
attendue.

Commencées assez vigoureusement au XIXe siècle, les activités de


traduction dans le monde arabe ont connu une progression lente mais
sensible jusqu'à nos jours. Au cours des cinquante dernières années,
on peut distinguer quatre types d'actions: celles entreprises à
l'échelle de l'ensemble du monde arabe, celles menées par les gou
vernements au niveau national, celles menées par des organismes
étrangers ou des ambassades, et celles accomplies par les éditeurs et
les organisations arabes locales.
La politique de traduction à l'échelle panarabe s'est concentrée,
d'un côté, sur l'unification de la terminologie arabe dans tous les
domaines, et, d'un autre côté, sur l'élaboration d'un plan de traduc
tion. Le Bureau de coordination de l'arabisation, créé à Rabat en
1961 et rattaché à l'Alesco en 1972, a publié une soixantaine de
numéros du périodique al-Lisân al-'arabî et une trentaine de lexiques
spécialisés, qui ont été jugés peu satisfaisants, surtout dans le
domaine des sciences humaines et sociales, et qui n'ont eu presque
aucun impact sur l'usage de l'arabe moderne standard. Quant au plan
arabe de traduction qui a été adopté en 1985 et révisé en 1996, il est
resté lettre morte. Le projet de création d'un centre panarabe de tra
duction qui devait être localisé à Alger a été concrétisé avec beau
coup de retard et n'a pas encore accompli un travail significatif.
Pour les actions de traduction menées par les gouvernements au
niveau national, on ne peut citer que celles entreprises par l'Égypte,
le Kuweit et la Syrie. En Égypte, l'Organisation générale égyptienne
du livre (al-Hay'a al-misriyya al-'âmma li-l-hitâb), fondée en 1975, a
publié dans le cadre de son Projet de Mille livres bis 286 traductions,
essentiellement de l'anglais ; et le Haut conseil de la culture (al-Maj
lis al-a'lâ li-th-thaqâfa) a publié 511 traductions dans le cadre du
Plan national de traduction adopté en 1995. Au Kuweit, le Conseil
national de la culture, des arts et de la littérature, créé en 1973, a
publié 123 traductions jusqu'en 2004. Le programme de traduction
de la Syrie semble le plus important, mais on ne dispose pas de
chiffres précis sur ce qui a été réalisé. Enfin, on vient d'annoncer la
mise en place à Dubaï d'un programme visant à réaliser la traduction
de cent livres par an.
Deux organismes arabes ont apporté leur contribution : la Commis
sion libanaise de l'Unesco pour la traduction des chefs-d'œuvre, avec
22 ouvrages traduits de 1951 à 1998; et l'Organisation arabe pour la

103

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

traduction, créée à Beyrouth en 1999, avec 50 titres jusqu'en 2007.


On peut signaler également deux autres organismes qui ont des pro
jets de traduction : le Centre de recherche du Golfe à Dubaï, sponso
risé par un homme d'affaires saoudien, et la Fondation arabe pour la
pensée moderne, créée à Genève en 2002 et sponsorisée par un
homme d'affaires libyen. Le premier est un think tank privé qui a
ouvert un portail internet et a commandé la traduction d'ouvrages de
référence tels que le Blackwell Dictionary of Political Science, et le
Penguin Dictionary of International Relations. Il a par ailleurs signé
des accords avec The International Institute for Strategic Studies in
London et avec The Carnegie Endowment for International Peace in
Washington pour la traduction de leurs publications en arabe. Le
second projette de publier des travaux d'études et de recherche ainsi
que des encyclopédies en arabe et a établi un programme de traduc
tion d'ouvrages à partir de diverses langues européennes.
Pour ce qui est des organismes étrangers ou des ambassades, les
actions les plus importantes sont celles menées par les Français, les
Allemands, les Russes et les Américains. Le département de traduc
tion du Centre culturel français du Caire a lancé un programme de
traduction en 1980, reconduit en 1990 sous le nom de Projet Taha
Hussein de traduction, et abandonné en 2006. Le but était de traduire
vers l'arabe des livres universitaires et de fiction publiés en France,
et de traduire en français des livres arabes littéraires ou portant sur
des sujets contemporains. Environ mille titres ont été traduits dans ce
cadre.

Des traductions de l'allemand ont été sponsorisées par divers orga


nismes, comme le Goethe Institut, l'InterNationes, et diverses mai
sons d'édition privées. D'après une bibliographie établie par le
Goethe Institut d'Amman, 1000 ouvrages ont été traduits de l'alle
mand en arabe de 1938 à 1998, dont la moitié est constituée par des
ouvrages de fiction.
Les traductions du russe, publiées par les Éditions du progrès à
Moscou de 1950 à 1980, sont importantes, mais on n'a pas d'informa
tions précises sur leur nombre.
Enfin, des traductions de l'américain ont été effectuées par les
Franklin Publications dont le premier bureau au Moyen-Orient a été
ouvert au Caire en 1953. Rebaptisé Franklin Books Program en 1964,
il fut dissous en 1978. À partir du milieu des années 1980, l'ambas
sade américaine au Caire, qui supervisait le Regional Book Office,
avec une branche à Amman créée en 1986, mit sur pied un Arabie
Book Program. Le Regional Book Office du Caire semble avoir à son
actif jusqu'en 2004 environ 200 titres.
À ces diverses actions, il faut ajouter celles des maisons d'édition
privées, notamment celles du Liban (Dar al-adab, Dar al-Fârâbî, Dar

104

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

al-Talî'a, al-Hiwâr al-thaqâfî), du Maroc (al-Markaz al-thaqâfî al


'arabî, Toubkal) et, celles plus récentes, de l'Arabie Saoudite (Édi
tions Obelkian, Librairies Jarîr). Le nombre d'ouvrages traduits et
publiés dans ce cadre depuis une trentaine d'années peut être estimé
à 1500.

L'ensemble des traductions vers l'arabe ou à partir de l'arabe réali


sées au cours des cinquante dernières années serait de l'ordre d'une
dizaine de milliers, dont 4000 environ par des organismes étrangers,
ce qui fait un tiers de toutes les traductions réalisées depuis le XIXe
siècle.

Les statistiques sur la traduction vers l'arabe, souvent floues et


fragmentaires, ne nous donnent ni le découpage chronologique et géo
graphique ni la classification précise par domaine. Pour être pleine
ment significatives, elles devraient être complétées par des données
concernant le mode d'inscription des ouvrages traduits dans le champ
scientifique et culturel arabe, ainsi que sur le contexte social, poli
tique et culturel dans lequel elles ont été effectuées. Cependant,
aussi nues, sommaires et incomplètes soient-elles, elles nous donnent
une indication assez parlante sur l'état de la culture dans les pays
arabes. Le nombre total des ouvrages traduits est, on l'a vu, d'environ
10000 pour une durée de 50 ans, ce qui fait une moyenne de 200 par
an pour une population totale de 420000000 d'habitants en 2007,
soit un livre traduit pour 2 100000 habitants. Si on ôte la part réali
sée par les organismes étrangers, il ne reste qu'un peu plus d'une
centaine de titres par an, soit un livre traduit pour 4200000 habi
tants. Indiquons, à titre de comparaison, que le nombre de livres tra
duits dans le monde en 2007 est d'environ 80000 pour une popula
tion de six milliards quatre cents millions, soit un livre traduit pour
80 000 habitants.

Comment interpréter ces chiffres ? Pour tenter de répondre à cette


question, je partirai de l'idée généralement admise que la société
moderne est une société du savoir, et que les pays qui ne sont pas
encore parvenus à réaliser cet objectif doivent s'y atteler sans tarder.
Ce savoir est un savoir lettré, qui passe par l'écriture, et qui est struc
turé en un savoir spécialisé, réservé à un nombre relativement limité
de savants, de techniciens supérieurs ou de chercheurs, et un savoir
général, partagé par l'ensemble de la population. Toutes les sociétés
sont en réalité des sociétés du savoir. Ce qui distingue la société
moderne des sociétés prémodernes, c'est d'abord la généralisation
d'un savoir minimum de base d'un nouveau type : tout le monde doit
savoir écrire, lire et compter, et dans le même temps posséder un
bagage de connaissances générales, scientifiques, artistiques et litté
raires, appelé à s'élargir de plus en plus. Ensuite, les sciences et la
technologie, qui sont au fondement des deux aspects du savoir, revê

105

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

tent un double caractère : l'universalité et l'ouverture vers un progrès


indéfini. Une société du savoir au sens moderne est donc une société
où, d'une part, tout le monde doit savoir lire et écrire et posséder une
culture générale de plus en plus large et sophistiquée, et où, d'autre
part, la science et la technologie doivent avoir un caractère universel
et suivre le rythme de développement indéfini qui s'impose au monde
entier.
L'universalité de la science et de la technologie passe aujourd'hui
par l'usage de l'anglais, ce qui fait que toutes les sociétés sont obli
gées de traduire de cette langue. C'est ce qui explique en grande par
tie que 75% des ouvrages traduits dans le monde le sont de l'anglais,
suivi d'assez loin par les langues qui ont une longue tradition scienti
fique comme le français et l'allemand. L'extrême faiblesse du nombre
de livres traduits dans le monde arabe par rapport à la moyenne mon
diale pose donc un sérieux problème pour la formation de la société
du savoir au sens moderne, qui ne peut se passer de l'apport exté
rieur. En réalité, la situation est plus grave. Si la traduction de l'an
glais ou d'autres langues devient aujourd'hui une nécessité pour tous
les pays afin de suivre le rythme d'évolution des sciences et de la
technologie dans le monde, les pays arabes continuent à souffrir du
fait que les diverses disciplines de la science moderne n'ont été ara
bisées que très partiellement et souvent d'une manière qui laisse à
désirer.
L'arabisation de l'enseignement a été décrétée à la hâte, souvent
pour des considérations politiques ou idéologiques, sans tenir compte
des moyens disponibles en ouvrages en arabe et en ressources
humaines. Dans aucune discipline on ne dispose en langue arabe de
l'ensemble des éléments constitutifs du champ disciplinaire: les
ouvrages fondamentaux qui ont marqué l'évolution de la discipline
depuis le début de sa formation, ceux qui exposent les méthodologies
de la recherche dans cette discipline, ceux qui fournissent des syn
thèses, des parcours et des mises au point, les manuels d'apprentis
sage et la littérature de vulgarisation, et enfin les outils de travail tels
que les dictionnaires et les encyclopédies. Sans cette base, la produc
tion en arabe dans les disciplines scientifiques ne peut s'épanouir, et
il n'est pas étonnant que, malgré la multiplication des universités,
elle soit encore aujourd'hui quasi inexistante. Pour que les sociétés
arabes s'épanouissent comme des sociétés du savoir au sens moderne,
le besoin de traduction est donc immense. Immense et urgent, tant
pour le développement de la langue en tant que telle que pour la for
mation des savoirs modernes dans cette langue.
On peut s'interroger sur les raisons qui ont fait échouer tant la poli
tique de la langue que celle de la culture dans le monde arabe. C'est
là une question complexe, qui n'a jamais fait l'objet jusqu'à présent
d'une étude en profondeur et qui ne peut donc être abordée ici que de

106

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

façon rapide et schématique. En simplifiant beaucoup, on peut dire


que le problème qui se posait pour le monde arabe au tournant du
XIXe siècle était celui du passage d'un type de société agro-lettrée, au
sens où l'a défini Ernest Gellner, à un type de société industrielle
moderne dans le cadre de l'État-nation. En d'autres termes, il fallait
opérer une double réforme : culturelle et sociopolitique. Sur le plan
culturel, il fallait passer d'une langue et d'une culture de l'élite
(khâssa), qui se distinguaient des divers idiomes et des cultures
bigarrées de la masse du peuple ( amma), à une langue et une culture
unifiées, les mêmes pour toutes les composantes de la société ; sur le
plan sociopolitique, il fallait passer d'une société structurée en villes
et tribus, khâssa et 'âmma (élite et masse du peuple), dominée par un
gouvernement de type tyrannique ou absolutiste, à une société homo
gène et essentiellement mobile, gouvernée démocratiquement. Enta
mer une réforme sans l'autre, c'était se vouer à l'échec.
La plus grande difficulté pour réaliser ce programme résidait dans
le fait qu'il était dicté par la pression extérieure, qu'il n'émanait pas
d'une évolution interne, et qu'il devait être effectué rapidement et
dans tous ses aspects en même temps, alors que l'Europe, qui en avait
fourni le modèle, avait mis plusieurs siècles à l'accomplir. La domi
nation européenne constitua sans aucun doute un obstacle majeur,
jouant directement contre la réalisation des réformes dans la plupart
des pays arabes. Cependant, surtout après les indépendances, les
élites politiques arabes, contrairement à celles de pays comme le
Japon, la Corée et, aujourd'hui, l'Inde et la Chine qui ont été confron
tés à la même situation, n'ont pas montré jusqu'à présent une disposi
tion et une ouverture suffisantes pour faire le pas décisif en direction
des réformes. Ayant trouvé une échappatoire dans l'adoption pour
leurs propres besoins des langues, des cultures et des technologies
occidentales (y compris et surtout les technologies militaires et poli
cières), elles ont eu plutôt tendance à se contenter, à l'égard de leurs
peuples, de politiques démagogiques et, au mieux, de demi-mesures.
Le modèle industriel de société démocratique n'a, évidemment,
rien d'absolu. Toutefois, un certain nombre d'éléments de base ont
progressivement acquis au cours des deux derniers siècles un carac
tère quasi consensuel à travers le monde : sur le plan sociopolitique,
la garantie des libertés individuelles, des droits et des devoirs égaux
pour tous les citoyens, l'organisation démocratique du pouvoir; sur le
plan culturel, le développement de la langue nationale (avec le res
pect envers les autres langues locales quand il en existe), et une édu
cation de qualité pour tous les citoyens, adaptée aux besoins de l'éco
nomie et de l'administration, de la recherche, de l'exercice d'une
citoyenneté responsable, et de l'ouverture sur le monde.
Autour de ces éléments fondamentaux, chaque société est appelée
à se construire et à se développer à travers sa propre culture en

107

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Traduction et culture dans le monde arabe

tenant compte de ses réalités et en s'inspirant de son passé et de son


génie propre. Comme toutes les autres sociétés modernes, les sociétés
arabes ont fait de grands pas vers l'adoption de ce modèle, en tentant
de le rendre compatible avec leurs réalités socio-historiques. Mais,
d'une part, elles n'ont pas encore su profiter pleinement de leurs
atouts historiques (liens étroits et anciens, culturels et économiques
avec l'Europe, riche tradition scientifique, expérience de la première
forme de mondialisation véritable avant l'époque moderne) et, d'autre
part, leurs élites restent encore trop attachées aux modèles culturels
(notamment celui de la langue) et sociaux (notamment la structure
khâssal'âmma) de la société arabo-musulmane de l'époque classique.
Pour sauter le pas, il faut qu'elles réalisent une réforme sociale et
culturelle allant dans le sens de l'abandon du modèle de néoclienté
lisme et des privilèges exorbitants qui lui sont attachés, et de l'adop
tion d'une politique favorisant une plus grande mobilité sociale par
une éducation de qualité pour tous et par une gestion démocratique
de la société.

Abdesselam Cheddadi

108

This content downloaded from


193.194.76.5 on Thu, 17 Aug 2023 17:17:58 +00:00
All use subject to https://about.jstor.org/terms

You might also like