Professional Documents
Culture Documents
Colloque "Le Judaïsme Marocain Contemporain Et Le Maroc de Demain" Compte-Rendu
Colloque "Le Judaïsme Marocain Contemporain Et Le Maroc de Demain" Compte-Rendu
Compte-rendu
Casablanca
Hotel Hyatt Regency
23 octobre 2008
CONCLUSIONS PRINCIPALES
2. Les exposés sur l’histoire des Juifs du Maroc ont souligné une fois encore le vieil enracinement de
ceux-ci dans le Maroc phénicien, amazigh, romain et arabe. Ils sont une part importante et
indispensable du Maroc : activités dans les ports et le commerce extérieur, artisanat, commerce entre
tribus (nomadisme de village en village jusqu’en 1940), judaïsme rural important.
L’âge d’or du judaïsme maroco-andalous, en même temps que l’essor du commerce transsaharien est
symbolisé par Fès el Alia, fondée par Idriss II ; 20% de la population de la ville de Fès est juive ; le
plurilinguisme y prévaut (amazigh, latin, arabe, hébreu) ; grandes figures de la culture judéo-
marocaine, comme Yehuda ben Koraich, auteur de “Rissalat ila jamaat yahud Fès” et chef de file
d’une école de linguistique de trois siècles ; ou Ytzhak Elfassi qui est le plus grand rabbin de l’époque,
avant Maimonide, qui reprend le talmud sous la forme d’un ”Talmud quatan” (petit talmud) ; la
grammaire hébraïque se forge au contact de la grammaire arabe.
En 1160, Maimonide est à Fès durant le règne des Almohades, et écrit son épître sur la persécution de
ses coreligionnaires.
Avec les Mérinides, c’est le retour à la judéité autorisée ; création de mellahs, quartiers réservés aux
Juifs ; concurrence économique entre communautés autochtones et allochtones dans les villes.
Quelle que soit l’époque de l’histoire du Maroc, la recherche rencontre les communautés juives.
L’histoire de celle-ci et du judaïsme marocain est à repenser et à revisiter, comme c’est le cas de
l’ensemble de l’histoire du Maroc. C’est le travail des historiens marocains contemporains. En
particulier, l'histoire contemporaine, avant et après l’indépendance du Maroc, est l’objet
d’investigations poussées et de remises en question. En témoignent les monographies élaborées dans le
milieu des années 1970 sous la direction de Germain Ayache, des monographies régionales, puis
thématiques, qui témoignent de la liberté de la recherche et de la sérénité de celle-ci, notamment en ce
qui concerne la composante juive de la nation marocaine. En 1997, le Groupe de recherches et
d’études sur le judaïsme marocain (GREJM) à la Faculté des lettres et des sciences humaines de
l’université Mohamed V - Rabat/Agdal, donne une impulsion décisive aux travaux historiques portant
sur les Juifs du Maroc à différentes époques de l’histoire nationale, de notre histoire.
Il faut aider cette recherche et ces travaux, car les moyens manquent et les étudiants sont souvent
démunis. C’est une des conditions pour garantir la liberté académique et pour analyser sereinement les
faits, comme les effets, positifs et négatifs du nationalisme ou des tendances panarabistes sur les Juifs
du Maroc, les causes de leur émigration ou sur l’occultation de la partie juive de notre histoire par les
ou les autres.
Ce devoir d’appréhender toute l’histoire nationale a été réitéré en conclusion de récits d’expériences
personnelles de grande convivialité vécue au quotidien pendant des générations entre concitoyens juifs
et musulmans dans le même espace urbain ou rural. Au-delà de l’émotion, le colloque a noté l’espoir
d’une collaboration renforcée entre les équipes d’historiens universitaires, notamment ceux du
GREJM, et la nouvelle Bibliothèque nationale - lieu de mémoire et d’avenir.
Une base de données sur le judaïsme marocain, élargie à un centre de documentation national, reste à
créer, grâce sans doute à une collaboration entre le GREJM et la Bibliothèque nationale. Les soutiens à
cette entreprise de grande utilité ne manqueront pas.
Tout en relisant l’histoire et en l’abordant dans sa totalité, il faut encourager le dialogue fondé sur la
participation, l’écoute, la non suprématie de l’un sur l’autre (se connaître pour se reconnaître) ; et
pourquoi ne pas participer équitablement et sereinement à un grand débat sur le conflit israélo-
palestinien et sur la paix - le Maroc donnant une fois encore l’exemple en raison de son action passée
et de la fidélité à son histoire.
3. Les interventions sur l’identité nationale et sur la place de la judéité au sein de celle-ci ont porté sur
un large éventail de questions :
- est-il possible de projeter le présent sur l’avenir? de négocier l’entrée dans la modernité tout en
conservant ses racines, à l’instar de ce qu’a pu faire la communauté juive marocaine? situation inédite
et spécifique du Maroc, caractérisée par l’accumulation heureuse de paradoxes - judéité et marocanité,
patrimoine judéo-berbère et judéo-arabe, dynamique de la modernité et esprit d’innovation et
d’ouverture (les Juifs ont été des passeurs, des relayeurs) ; pourquoi le Maroc ne pourrait-il pas
devenir une nouvelle Andalousie?
- identité millénaire, ouverte, en perpétuelle construction ; fondée sur la cosmologie (amalgame de
cultures) ; un système de valeurs (le système de valeurs juives était accepté par les Musulmans) ; des
lois et des jurisprudences (érudition respectée des rabbins séfarades, école rabbinique marocaine
reconnue) ; des comportements ou des lignes de conduite (vestimentaires, culinaires, linguistiques,
musicales, qui montrent peu de différences avec ceux ou celles des Marocains musulmans) ; il existe
d’autres analogies (absence de figuration humaine dans l’art religieux, fondements communs à
certaines superstitions, culte des saints).
- quelle place pour la judéité dans l’identité nationale? selon l’opinion d’un orateur : “elle y circule
comme l’eau dans les pétales d’une rose”.
- un lieu d’éducation partagée comme le lycée Maimonide à Casablanca est un lieu privilégié de
transmission de valeurs de coexistence conviviale entre étudiants juifs et musulmans dans le respect de
leurs confessions et de leurs traditions ; le respect des différences en même temps que l’adhésion à des
valeurs communes, renforcée par l’enseignement des langues arabe et hébraïque, sont un gage de paix
civile et de contribution à un Maroc ouvert et tolérant.
4. La première série de témoignages et de perceptions croisées sur le Maroc d’aujourd’hui et de
demain et sur la contribution du judaïsme marocain à cette évolution contemporaine ont permis de
dégager les conclusions suivantes :
- de la part d’un Israélien d’origine marocaine, ayant assumé des charges diplomatiques importantes,
le regard sur le Maroc a été présent dans les revendications culturelles des Juifs du Maroc ayant
émigré en Israël ; il a participé à leur valorisation culturelle. Ce même diplomate souligne le rôle du
roi Hassan II dans ce processus de valorisation du Juif marocain en Israël, qui réapprendra à puiser
dans son fonds culturel ; il n’y a point d’envol de la diaspora sans l’enracinement local ; travailler à la
consolidation de nos racines, décupler l’héritage commun, cela conduit à jouer un rôle dans la
recherche de la paix ;
- de la part d’un Canadien ( Montréalais ) d’origine marocaine, il faut avoir le courage de reconnaître
les difficultés et parfois les drames concernant les rapports entre juifs et musulmans au Maroc, mais
aussi les audaces et les visions rassembleuses de grands souverains du Royaume ; il faut se
réapproprier le passé et cesser de glorifier l’âge d’or de l’Andalousie (car là aussi les relations
intercommunautaires n’étaient pas toujours des plus heureuses) ; revenir à notre monde contemporain
et y rechercher les opportunités exceptionnelles qu’il peut offrir au judaïsme dans le Maroc en devenir
; au Québec, une communauté de plus de 25. 000 âmes, bien installée et bien intégrée, avec des
institutions communautaires qui fonctionnement, se donne pour objectif de pérenniser le patrimoine du
judaïsme marocain (chaires d’études, archives, bibliothèques, cursus scolaire), y compris les efforts
contribuant à extraire de cinq siècles d’archives conservées à Jérusalem les trésors du judaïsme
marocain ; du Québec aussi le message est venu que juifs et musulmans peuvent lutter ensemble pour
défendre des valeurs partagées, la pratique de langues vernaculaires (judéo-arabe et judéo-berbère) ;
qu’ ensemble ils peuvent mieux relever le défi de la marocanité et celui posé par la définition de
l’identité nationale marocaine, en interaction avec l’identité des pays d’accueil des immigrés
marocains ;
- du directeur du Centre communautaire de Paris-Lafayette, est venue l’annonce de retrouvailles à Fès,
en mai 2009, de centaines de Juifs originaires de cette ville, et cela à la suite de l’organisation par le
centre de la cinquième édition des Journées du judaïsme marocain à Paris en 2008 ; cela illustre la
continuité des relations avec le Maroc ainsi que le rôle des cultures de passage, que l’on retrouve dans
l’histoire des Juifs du Maroc ;
- de l’homme de foi engagé sur le terrain des Amitiés judéo-musulmanes de France (AJMF ), allant
défendre dans les quartiers réputés “difficiles” le dialogue et la conciliation entre communautés juives
et musulmanes, en dépit du manque de moyens, du repli identitaire ici et là, des prises de position des
média, le message au colloque a été de poursuivre ce dialogue contre vents et marées et de l’appuyer
sur la solidarité ; le Maroc peut jouer un rôle important dans la conduite et la réussite de ce dialogue ;
- d’un opérateur économique canadien, installé à Montréal, on retiendra que les identités se combinent
et se diluent dans le Juif d’origine marocaine ayant émigré au Canada / Québec (références à l’identité
locale, à Israël et à celle de l’identité des origines juives et marocaines ; érosion due au temps et à
l’intégration dans la nouvelle société d’accueil) ; on retiendra aussi le jugement sans détour sur le
Maroc des opportunités économiques, de la croissance, de l’ouverture, pas celui des folklores ; ce
Maroc qui appelle des investissements de raison et de cœur, et en faveur duquel il conviendrait de
mobiliser les principales institutions juives canadiennes, des leaders d’opinion, la communauté
marocaine en Israël et ailleurs ;
- du chirurgien réputé qui a réussi en France, mais qui investit beaucoup de son temps au Maroc pour y
promouvoir médecine et chirurgie avancées ainsi que les méthodes de gestion hospitalière modernes,
on retient qu’il n’est pas facile de réunir dans une même identité individuelle autant de composantes
provenant de l’adolescence à Fès, du militantisme paternel dans la lutte pour l’indépendance, de
l’intégration en France, de la pratique de la profession dans un cadre aux référents culturels distincts,
ainsi que la profonde affection pour le pays d’origine ; on retient aussi l’objectif qui n’est pas hors de
notre portée, de vivre mieux ensemble, en se fondant certes sur les leçons du passé, mais surtout sur
les actions communes de solidarité, aujourd’hui et demain ;
- du psychanalyste, installé en Belgique, mais gardant des liens étroits avec ses collègues marocains,
les historiens, les sociologues, et s’appuyant aussi sur une remarquable muséographie du patrimoine
culturel juif marocain, on se rend compte de l’importance et des difficultés à se réapproprier une
mémoire ; de la nécessité de s’enrichir en donnant aux autres ; et qu’enfin un tel travail à l’échelle
individuelle, mais aussi collectif, aiderait beaucoup à construire avec le Maroc contemporain de
nouveaux liens de coopération et d’affection.
6. En conclusion, ni l’histoire, ni les questions de diversité culturelle et d’identité nationale n’ont été
absentes des exposés, des interventions et des débats du colloque. On a ainsi constaté que la richesse
de l’histoire des Juifs du Maroc replacée dans le contexte de l’histoire générale du Maroc, elle-même
revisitée par les historiens marocains, est loin d’être épuisée. Il convient de soutenir tous les travaux de
recherche visant à donner à l’enseignement de l’histoire du Maroc sa plénitude pour embrasser la
grande diversité culturelle du pays depuis plus de deux mille ans. L’identité nationale, élément
fondamental de l’unité de la nation marocaine, ne peut ignorer cette diversité culturelle dont le
judaïsme est l’une des composantes. Cette diversité culturelle représente en effet la grande richesse du
Maroc moderne, un Maroc qui cultive l’ouverture et non le repli identitaire, qui accepte le changement
et s’y adapte, qui recherche la coopération et le mieux-vivre ensemble, un Maroc décidé à consolider
une société fondée sur l’égalité, la justice et la démocratie.
C’est dans cette perspective qu’ont été entendus les témoignages et les propositions d’action de Juifs
d’origine marocaine, aujourd’hui citoyens de plusieurs pays d’accueil et ce parfois depuis deux ou
trois générations. En effet, au-delà de la nostalgie émouvante, des sentiments d’affection, de
l’empathie des années de cohabitation fructueuse, mais aussi de regrets ou de critiques de situations
politiques et sociales injustes, il est apparu que la grande majorité de ces Juifs souhaite mieux
connaître le Maroc contemporain et établir avec la société marocaine des relations de solidarité et de
coopération.
Qu’il s’agisse d’activité économique, d’action sociale et culturelle, de recherche scientifique et
technique, ou encore des orientations politiques nationales à moyen et long termes, le Maroc a besoin
de toutes les bonnes volontés. Aussi, les Juifs marocains de l’étranger, de par leurs compétences en
matière politique, économique, sociale ou culturelle, peuvent contribuer au développement du Maroc.
Ils peuvent aussi participer, avec leurs coreligionnaires présents au Maroc, au débat national sur
l’identité et l’histoire de la nation, sur l’évolution du pays vers la modernité, dans le respect de ses
traditions de tolérance et d’ouverture à l’autre.
Il nous faut donc, comme a conclu le colloque de Casablanca, rétablir, élargir, amplifier et approfondir
les relations entre le Maroc et les Juifs d’origine marocaine, qui font partie de la grande communauté
marocaine à l’étranger. On s’inscrit là tout à fait dans le cadre de la mission fondamentale du Conseil
consultatif de la communauté marocaine à l’étranger (C.C.M.E.) que Sa Majesté le Roi Mohamed VI a
créé auprès de lui pour animer cette action de rapprochement.
Suivi du colloque
Pour donner une suite concrète aux conclusions du Colloque de Casablanca, deux types d’actions sont
proposées.
1. L’organisation d’un premier déplacement au Maroc d’un groupe d’une quarantaine de
personnes originaires des communautés juives marocaines de plusieurs pays (en veillant à l’équilibre
géographique, à celui des responsabilités professionnelles et à une représentation suffisante de jeunes),
en vue de leur faire connaître la réalité du Maroc contemporain. Il s’agit d’un séjour construit autour
de rencontres avec la société civile, les autorités, les responsables ; ces rencontres permettront de
donner une idée précise de l’évolution en cours, des difficultés ou insuffisances, des problèmes, mais
aussi des progrès et des réalisations. A partir de cette appréhension et après la réflexion critique
indispensable, il conviendra d’établir une liste des actions de coopération, de solidarité et de synergie,
qui paraissent pertinentes et d’en rechercher les partenaires.