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P E T I T E

anthologie
DES PLUS BEAUX

POÈMES
d’amour
Claire Julliard

P E T I T E
anthologie
DES PLUS BEAUX

POÈMES
d’amour

L
L’INST
TANT

CUPCAKE
8

© 2014 L’Instant Cupcake, une marque des éditions Leduc.s


17 rue du Regard
75006 Paris
ISBN : 979-10-92251-05-0

Mise en pages : Patrick Leleux PAO

Achevé d’imprimer en République Tchèque par Těšínská Tiskárna a.s.

Dépôt légal : janvier 2014


S O M M A I R E

17 « J’ai rendez-vous avec vous »


31 « Je ne veux jamais l’oublier »
59 « Allons nous ébattre »
83 « La Folie et l’Amour
jouaient un jour ensemble »
115 « J’ai tant rêvé de toi »
127 « Elle s’en va de moi la mieux aimée »
Avant-propos
Placée sous le signe de la lyre d’Apollon, la poésie ren-
voie dès ses origines à l’amour, à ses joies, à ses obstacles
et aux tourments qui en découlent. Ronsard, le « prince
des poètes », regroupe ses plus beaux vers sous le titre
Amours. Il y donne libre cours à son génie, imitant tour à
tour l’ode antique, l’hymne et surtout le sonnet, introduit
en France par Clément Marot : « Me souvenant de tes bon-
tés divines / Suis en douleur, princesse, à ton absence »,
écrit-il à Mme de Ferrare en 1550. À son tour, Louise Labé
dédie vingt-trois sonnets à l’objet de sa flamme, le poète
Olivier de Magny : « Ô tristes plaintes, ô désirs obstinés ».
Chez le poète, le souvenir de l’amour est une plaie cuisante.
« Que nos plaisirs passés augmentent nos supplices ! »,
soupire Jean de La Fontaine. On connaît le fabuliste, moins
l’auteur d’Adonis et des Amours de Psyché et Cupidon, un
roman en vers, novateur dans sa manière même s’il s’ins-
pire d’Apulée. Un autre grand fabuliste, Jean-Pierre Claris
de Florian, a traversé les siècles pour « Plaisir d’amour »,
cette si charmante romance.
Au XIXe siècle, les romantiques exaltent les sentiments en
termes nobles : « Te voilà revenu, dans mes nuits étoilées, /
14 AVANT-PROPOS

Bel ange aux yeux d’azur, aux paupières voilées » (Alfred


de Musset à George Sand). L’âme romantique se noie
dans la nostalgie, elle se complaît dans la souffrance, se
délecte d’évocations morbides : « Nous aurons des lits
pleins d’odeurs légères, / Des divans profonds comme des
tombeaux » (Baudelaire, « La Mort des amants »). S’il se
place à ses débuts sous les auspices de l’auteur des Fleurs
du mal, Paul Verlaine tranche avec ses prédécesseurs par
la simplicité de sa petite musique. Ce poète sans emphase
remonte aux sources d’un art qu’il fait vibrer comme per-
sonne : « Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la
ville. » Sa passion pour le jeune Rimbaud emplit de mélan-
colie les Romances sans paroles. De son côté, l’enfant pro-
dige des lettres évoque son renoncement à Verlaine dans la
« Chanson de la plus haute tour » : « Oisive jeunesse / À
tout asservie, / Par délicatesse / J’ai perdu ma vie. » Autre
poète majeur, Guillaume Apollinaire compose un pur chef-
d’œuvre, « La Chanson du mal-aimé », fleuve de vers
mystérieux et envoûtants. Paul Éluard (« L’Amoureuse »),
Louis Aragon (« Elsa »), Robert Desnos (« J’ai tant rêvé de
toi ») marquent également le XXe siècle de leurs empreintes
fortes et singulières.
La poésie amoureuse est un vivier inépuisable. Nous vous
en proposons un florilège.

Claire Julliard
P A R T I E 1

« J’ai rendez-vous
avec vous »
« J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS » 19

P I E R R E D E R O N S A R D
( 1 5 2 4 - 1 5 8 5 )

Marie, qui voudrait


votre nom retourner
Marie, qui voudrait votre nom retourner,
Il trouverait aimer : aimez-moi donc, Marie,
Votre nom de nature à l’amour vous convie :
À qui trahit Nature il ne faut pardonner.

S’il vous plaît votre cœur pour gage me donner,


Je vous offre le mien : ainsi de cette vie
Nous prendrons les plaisirs, et jamais autre envie
Ne me pourra l’esprit d’une autre emprisonner.

Il faut aimer, maîtresse, au monde quelque chose.


Celui qui n’aime point, malheureux se propose
Une vie d’un Scythe, et ses jours veut passer

Sans goûter la douceur, des douceurs la meilleure.


Rien n’est doux sans Vénus et sans son fils : à l’heure
Que je n’aimerai plus, puissé-je trépasser !
20 « J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS »

A L P H O N S E D E L A M A R T I N E
( 1 7 9 0 - 1 8 6 9 )

Invocation
Ô toi qui m’apparus dans ce désert du monde,
Habitante du ciel, passagère en ces lieux !
Ô toi qui fis briller dans cette nuit profonde
Un rayon d’amour à mes yeux ;

À mes yeux étonnés montre-toi tout entière


Dis-moi quel est ton nom, ton pays, ton destin.
Ton berceau fut-il sur la terre ?
Ou n’es-tu qu’un souffle divin ?

Vas-tu revoir demain l’éternelle lumière ?


Ou dans ce lieu d’exil, de deuil, et de misère,
Dois-tu poursuivre encor ton pénible chemin ?
Ah ! quel que soit ton nom, ton destin, ta patrie,
Ou fille de la terre, ou du divin séjour,
Ah ! laisse-moi, toute ma vie,
T’offrir mon culte ou mon amour.
« J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS » 21

Si tu dois, comme nous, achever ta carrière,


Sois mon appui, mon guide, et souffre qu’en tous lieux,
De tes pas adorés je baise la poussière.
Mais si tu prends ton vol, et si, loin de nos yeux,
Sœur des anges, bientôt tu remontes près d’eux,
Après m’avoir aimé quelques jours sur la terre,
Souviens-toi de moi dans les cieux.
22 « J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS »

C H A R L E S B A U D E L A I R E
( 1 8 2 1 - 1 8 6 7 )

À une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.


Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair puis la nuit ! — Fugitive beauté


Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !


Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !
« J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS » 23

Ô toi que j’eusse aimée,


ô toi qui le savais !
24 « J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS »

G E R M A I N N O U V E A U
( 1 8 5 1 - 1 9 2 0 )

La Rencontre
Vous mîtes votre bras adroit,
Un soir d’été, sur mon bras… gauche.
J’aimerai toujours cet endroit,
Un café de la Rive-Gauche ;

Au bord de la Seine, à Paris,


Un homme y chante la Romance
Comme au temps… des lansquenets gris ;
Vous aviez emmené Clémence.

Vous portiez un chapeau très frais


Sous des nœuds vaguement orange,
Une robe à fleurs sans apprêts,
Sans rien d’affecté ni d’étrange ;

Vous aviez un noir mantelet,


Une pèlerine, il me semble,
Vous étiez belle, et s’il vous plaît,
Comment nous trouvions-nous ensemble ?
« J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS » 25

J’avais l’air, moi, d’un étranger ;


Je venais de la Palestine
À votre suite me ranger,
Pèlerin de la Pèlerine.

Je m’en revenais de Sion,


Pour baiser sa frange en dentelle,
Et mettre ma dévotion
Entière à vos pieds d’Immortelle.

Nous causions, je voyais ta voix


Dorer ta lèvre avec sa crasse,
Tes coudes sur la table en bois,
Et ta taille pleine de grâce ;

J’admirais ta petite main


Semblable à quelque serre vague,
Et tes jolis doigts de gamin,
Si chics ! qu’ils se passent de bague ;

J’aimais vos yeux, où sans effroi


Battent les ailes de votre Âme,
Qui font se baisser ceux du roi
Mieux que les siens ceux d’une femme ;
26 « J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS »

Vos yeux splendidement ouverts


Dans leur majesté coutumière
Étaient-ils bleus ? Étaient-ils verts ?
Ils m’aveuglaient de ta lumière.

Je cherchais votre soulier fin,


Mais vous rameniez votre robe
Sur ce miracle féminin,
Ton pied, ce Dieu, qui se dérobe !

Tu parlais d’un ton triomphant,


Prenant aux feintes mignardises
De tes lèvres d’amour Enfant
Les cœurs, comme des friandises.

La rue où rit ce cabaret,


Sur laquelle a pu flotter l’Arche,
Sachant que l’Ange y descendrait,
Porte le nom d’un patriarche.

Charmant cabaret de l’Amour


Je veux un jour y peindre à fresque
Le Verre auquel je fis ma cour.
Juin, quatre-vingt-cinq, minuit… presque.
« J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS » 27

J U L E S L A F O R G U E
( 1 8 6 0 - 1 8 8 7 )

Figurez-vous un peu
Oh ! qu’une, d’Elle-même, un beau soir, sût venir,
Ne voyant que boire à Mes Lèvres ! ou mourir…

Je m’enlève rien que d’y penser ! Quel baptême


De gloire intrinsèque, attirer un « je vous aime » !

(L’attirer à travers la société, de loin,


Comme l’aimant la foudre ; un’, deux ! ni plus, ni moins.

Je t’aime ! comprend-on ? Pour moi, tu n’es pas comme


Les autres ; jusqu’ici c’était des messieurs, l’Homme

Ta bouche me fait baisser les yeux ! et ton port


Me transporte ! (et je m’en découvre des trésors )

Et c’est ma destinée incurable et dernière


D’épier un battement à moi de tes paupières !
28 « J’AI RENDEZ-VOUS AVEC VOUS »

Oh ! je ne songe pas au reste ! J’attendrai,


Dans la simplicité de ma vie faite exprès

Te dirai-je au moins que depuis des nuits je pleure,


Et que mes parents ont bien peur que je n’en meure ?…

Je pleure dans des coins ; je n’ai plus goût à rien ;


Oh ! j’ai tant pleuré, dimanche, en mon paroissien !

Tu me demandes pourquoi Toi ? et non un autre…


Je ne sais ; c’est bien Toi, et point un autre !

J’en suis sûre comme du vide de mon cœur,


Et comme de votre air éternellement moqueur

— Ainsi, elle viendrait, évadée, demi-morte,


Se rouler sur le paillasson qu’est à ma porte !

Ainsi, elle viendrait à Moi ! les Yeux bien fous !


Et elle me suivrait avec cet air partout !
P A R T I E 2

« Je ne veux jamais
l’oublier »
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 33

V I C T O R H U G O
( 1 8 0 2 - 1 8 8 5 )

Quand deux cœurs en s’aimant


ont doucement vieilli
Quand deux cœurs en s’aimant ont doucement vieilli
Oh ! quel bonheur profond, intime, recueilli !
Amour ! hymen d’en haut ! ô pur lien des âmes !
Il garde ses rayons même en perdant ses flammes.
Ces deux cœurs qu’il a pris jadis n’en font plus qu’un.
Il fait, des souvenirs de leur passé commun,
L’impossibilité de vivre l’un sans l’autre.
— Chérie, n’est-ce pas ? cette vie est la nôtre !
Il a la paix du soir avec l’éclat du jour,
Et devient l’amitié tout en restant l’amour !
34 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

T H É O P H I L E G A U T I E R
( 1 8 1 1 - 1 8 7 2 )

Plaintive tourterelle
Plaintive tourterelle,
Qui roucoules toujours,
Veux-tu prêter ton aile
Pour servir mes amours !

Comme toi, pauvre amante,


Bien loin de mon ramier,
Je pleure et me lamente
Sans pouvoir l’oublier.

Vole et que ton pied rose


Sur l’arbre ou sur la tour
Jamais ne se repose,
Car je languis d’amour.

Évite, ô ma colombe,
La halte des palmiers
Et tous les toits où tombe
La neige des ramiers.
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 35

Va droit sur sa fenêtre,


Près du palais du roi,
Donne-lui cette lettre,
Et deux baisers pour moi.

Puis sur mon sein en flamme


Qui ne peut s’apaiser,
Reviens, avec son âme,
Reviens te reposer.
36 « J e n e v e u x j a m a i s l’ o u b l i e r »

C H ARLES BAU D ELAIRE


( 1 8 2 1 - 1 8 6 7 )

À une dame créole


Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés
Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés.

Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse


A dans le cou des airs noblement maniérés ;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,


Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d’honorer les antiques manoirs,

Vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites,


Germer mille sonnets dans le cœur des poètes,
Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 37

A N N A D E N O A I L L E S
( 1 8 7 6 - 1 9 3 3 )

Si je n’aimais que toi en toi


Si je n’aimais que toi en toi,
Je guérirais de ton visage,
Je guérirais bien de ta voix
Qui m’émeut comme lorsqu’on voit,
Dans le nocturne paysage,
La lune énigmatique et sage,
Qui nous étonne chaque fois.

— Si c’était toi par qui je rêve,


Toi vraiment seul, toi seulement,
J’observerais tranquillement
Ce clair contour, cette âme brève
Qui te commence et qui t’achève.

Mais à cause de nos regards,


À cause de l’insaisissable,
À cause de tous les hasards,
Je suis parmi toi haute et stable
Comme le palmier dans les sables ;
38 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

Nous sommes désormais égaux,


Tout nous joint, rien ne nous sépare,
Je te choisis si je te compare ;
– C’est toi le riche et moi l’avare,
C’est toi le chant et moi l’écho,
Et t’ayant comblé de moi-même,
Ô visage par qui je meurs,
Rêves, désirs, parfums, rumeurs,
Est-ce toi ou bien moi que j’aime ?
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 39

Est-ce toi ou bien moi


que j’aime ?
40 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

F R A N C I S J A M M E S
( 1 8 6 9 - 1 9 3 8 )

J’aime dans le temps


Clara d’Ellébeuse
J’aime dans le temps Clara d’Ellébeuse,
l’écolière des anciens pensionnats,
qui allait, les soirs chauds, sous les tilleuls,
lire les magazines d’autrefois.

Je n’aime qu’elle, et je sens sur mon cœur


la lumière bleue de sa gorge blanche.
Où est-elle ? où était donc ce bonheur ?
Dans sa chambre claire il entrait des branches.

Elle n’est peut-être pas encore morte


– ou peut-être que nous l’étions tous deux.
La grande cour avait des feuilles mortes
dans le vent froid des fins d’Été très vieux.
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 41

Te souviens-tu de ces plumes de paon,


dans un grand vase, auprès de coquillages ?…
on apprenait qu’on avait fait naufrage,
on appelait Terre-Neuve : le Banc.

Viens, viens, ma chère Clara d’Ellébeuse :


aimons-nous encore si tu existes.
Le vieux jardin a de vieilles tulipes.
Viens toute nue, ô Clara d’Ellébeuse.
42 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

G U I L L A U M E A P O L L I N A I R E
( 1 8 8 0 - 1 9 1 8 )

La Chanson du mal-aimé
À Paul Léautaud

Et je chantais cette romance


En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.

Un soir de demi-brume à Londres


Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu’il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

Je suivis ce mauvais garçon


Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 43

Que tombent ces vagues de briques


Si tu ne fus pas bien aimée
Je suis le souverain d’Égypte
Sa sœur-épouse son armée
Si tu n’es pas l’amour unique

Au tournant d’une rue brûlant


De tous les feux de ses façades
Plaies du brouillard sanguinolent
Où se lamentaient les façades
Une femme lui ressemblant

C’était son regard d’inhumaine


La cicatrice à son cou nu
Sortit saoule d’une taverne
Au moment où je reconnus
La fausseté de l’amour même

Lorsqu’il fut de retour enfin


Dans sa patrie le sage Ulysse
Son vieux chien de lui se souvint
Près d’un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu’il revînt

L’époux royal de Sacontale


Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
44 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

D’attente et d’amour yeux pâlis


Caressant sa gazelle mâle

J’ai pensé à ces rois heureux


Lorsque le faux amour et celle
Dont je suis encore amoureux
Heurtant leurs ombres infidèles
Me rendirent si malheureux

Regrets sur quoi l’enfer se fonde


Qu’un ciel d’oubli s’ouvre à mes vœux
Pour son baiser les rois du monde
Seraient morts les pauvres fameux
Pour elle eussent vendu leur ombre

J’ai hiverné dans mon passé


Revienne le soleil de Pâques
Pour chauffer un cœur plus glacé
Que les quarante de Sébaste
Moins que ma vie martyrisés

Mon beau navire ô ma mémoire


Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 45

Adieu faux amour confondu


Avec la femme qui s’éloigne
Avec celle que j’ai perdue
L’année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus

Voie lactée ô sœur lumineuse


Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses

[…]

Mais en vérité je l’attends


Avec mon cœur avec mon âme
Et sur le pont des Reviens-t’en
Si jamais revient cette femme
Je lui dirai Je suis content

Mon cœur et ma tête se vident


Tout le ciel s’écoule par eux
Ô mes tonneaux des Danaïdes
Comment faire pour être heureux
Comme un petit enfant candide
46 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

Je ne veux jamais l’oublier


Ma colombe ma blanche rade
Ô marguerite exfoliée
Mon île au loin ma Désirade
Ma rose mon giroflier

Les satyres et les pyraustes


Les égypans les feux follets
Et les destins damnés ou faustes
La corde au cou comme à Calais
Sur ma douleur quel holocauste

[…]

Juillet ton ardente lyre


Brûle mes doigts endoloris
Triste et mélodieux délire
J’erre à travers mon beau Paris
Sans avoir le cœur d’y mourir

Les dimanches s’y éternisent


Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
Penchent comme la tour de Pise
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 47

Soirs de Paris ivres de gin


Flambant de l’électricité
Les tramways feux verts sur l’échine
Musiquent au long des portées
De rails leur folie de machines

Les cafés gonflés de fumée


Crient tout l’amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumés
De leurs garçons vêtus d’un pagne
Vers toi toi que j’ai tant aimée

Moi qui sais des lais pour les reines


Les complaintes de mes années
Des hymnes d’esclave aux murènes
La romance du mal-aimé
Et des chansons pour les sirènes
48 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

C A T H E R I N E P O Z Z I
( 1 8 8 2 - 1 9 3 7 )

Ave
Très haut amour, s’il se peut que je meure
Sans avoir su d’où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,

Très haut amour qui passez la mémoire,


Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
Ô mon séjour

Quand je serai pour moi-même perdue


Et divisée à l’abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 49

Par l’univers en mille corps brisée,


De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor

Vous referez mon nom et mon image


De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l’esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.
50 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

P A U L É L U A R D
( 1 8 9 5 - 1 9 6 2 )

La courbe de tes yeux


fait le tour de mon cœur
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,


Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs de bruits et sources des couleurs

Parfums éclos d’une couvée d’aurores


Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Capitale de la douleur © Éditions Gallimard


« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 51

P A U L É L U A R D
( 1 8 9 5 - 1 9 6 2 )

L’Amoureuse
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre dans le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts


Et ne me laisse dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.

Capitale de la douleur © Éditions Gallimard


52 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

J A C Q U E S P R É V E R T
( 1 9 0 0 - 1 9 7 7 )

Chanson du geôlier
Où vas-tu beau geôlier
Avec cette clef tachée de sang
Je vais délivrer celle que j’aime
S’il en est encore temps
Et que j’ai enfermée
Tendrement cruellement
Au plus secret de mon désir
Au plus profond de mon tourment
Dans les mensonges de l’avenir
Dans les bêtises des serments
Je veux la délivrer
Je veux qu’elle soit libre
Et même de m’oublier
Et même de s’en aller
Et même de revenir
Et encore de m’aimer
Ou d’en aimer un autre
Si un autre lui plaît
Et si je reste seul
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 53

Et elle en allée
Je garderai seulement
Je garderai toujours
Dans mes deux mains en creux
Jusqu’à la fin des jours
La douceur de ses seins modelés par l’amour.

Paroles © Éditions Gallimard


54 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

R O B E R T D E S N O S
( 1 9 0 0 - 1 9 4 4 )

Non l’amour n’est pas mort


Non, l’amour n’est pas mort en ce cœur et ces yeux et cette
bouche qui proclamait ses funérailles commencées.
Écoutez, j’en ai assez du pittoresque et des couleurs et du
charme.
J’aime l’amour, sa tendresse et sa cruauté.
Mon amour n’a qu’un seul nom, qu’une seule forme.
Tout passe. Des bouches se collent à cette bouche.
Mon amour n’a qu’un nom, qu’une forme.
Et si quelque jour tu t’en souviens
Ô toi, forme et nom de mon amour,
Un jour sur la mer entre l’Amérique et l’Europe,
À l’heure où le rayon final du soleil se réverbère sur la sur-
face ondulée des vagues, ou bien une nuit d’orage sous un
arbre dans la campagne, ou dans une rapide automobile,
Un matin de printemps boulevard Malesherbes,
Un jour de pluie,
À l’aube avant de te coucher,
« J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R » 55

Dis-toi, je l’ordonne à ton fantôme familier, que je fus


seul à t’aimer davantage et qu’il est dommage que tu ne
l’aies pas connu.
Dis-toi qu’il ne faut pas regretter les choses : Ronsard
avant moi et Baudelaire ont chanté le regret des vieilles et
des mortes qui méprisèrent le plus pur amour.
Toi, quand tu seras morte,
Tu seras belle et toujours désirable.
Je serai mort déjà, enclos tout entier en ton corps im-
mortel, en ton image étonnante présente à jamais parmi les
merveilles perpétuelles de la vie et de l’éternité, mais si je
vis,
Ta voix et son accent, ton regard et ses rayons,
L’odeur de toi et celle de tes cheveux et beaucoup d’autres
choses encore vivront en moi,
En moi qui ne suis ni Ronsard ni Baudelaire,
Moi qui suis Robert Desnos et qui, pour t’avoir connue
et aimée,
Les vaux bien.
Moi qui suis Robert Desnos, pour t’aimer
Et qui ne veux pas attacher d’autre réputation à ma mé-
moire sur la terre méprisable.

À la mystérieuse, recueilli dans Corps et biens


© Éditions Gallimard
56 « J E N E V E U X J A M A I S L’ O U B L I E R »

J’aime l’amour, sa tendresse


et sa cruauté.
P A R T I E 3

« Allons nous ébattre »


« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 61

C H A R L E S D ’ O R L É A N S
( 1 3 9 4 - 1 4 6 5 )

Allons nous ébattre


Allons nous ébattre,
Mon cœur, vous et moi !
Laissons, à part soi,
Souci se combattre.

Toujours veut débattre,


Et jamais n’est coi :
Allons nous ébattre,
Mon cœur, vous et moi !

On vous devrait battre,


Et montrer au doigt,
Si dessous sa loi
Vous laissez abattre.
Allons nous ébattre,
Mon cœur, vous et moi !
62 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

L O U I S E L A B É
( 1 5 2 4 - 1 5 6 6 )

Sonnet de la Belle Cordière


Las ! cettui jour, pourquoi l’ai-je dû voir,
Puisque ses yeux allaient ardre mon âme ?
Doncques, Amour, faut-il que par ta flamme
Soit transmué notre heur en désespoir !

Si on savait d’aventure prévoir


Ce que vient lors, plaints, poinctures et blâmes ;
Si fraîche fleur évanouir son bâme
Et que tel jour fait éclore tel soir ;

Si on savait la fatale puissance,


Que vite aurais échappé sa présence !
Sans tarder plus, que vite l’aurais fui !

Las, Las ! que dis-je ? Ô si pouvait renaître


Ce jour tant doux où je le vis paraître,
Oisel léger, comme j’irais à lui !
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 63

P I E R R E D E R O N S A R D
( 1 5 2 4 - 1 5 8 5 )

Amour, que j’aime à baiser


les beaux yeux
Amour, que j’aime à baiser les beaux yeux
De ma maîtresse, et à tordre en ma bouche
De ses cheveux l’or fin qui s’escarmouche
Dessus son front astré comme les cieux !

C’est à mon gré le meilleur de son mieux


Que son bel œil, qui jusqu’au cœur me touche,
Dont le beau nœud d’un Scythe plus farouche
Rendrait le cœur courtois et gracieux.

Son beau poil d’or, et ses sourcils encore


De leurs beautés font vergogner l’Aurore,
Quand au matin elle embellit le jour.

Dedans son œil une vertu demeure,


Qui va jurant par les flèches d’Amour
De me guérir ; mais je ne m’en asseure.
64 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

Tout l’Univers
obéit à l’Amour
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 65

J E A N D E L A F O N T A I N E
( 1 6 2 1 - 1 6 9 5 )

Éloge de l’Amour
Tout l’Univers obéit à l’Amour ;
Belle Psyché, soumettez-lui votre âme.
Les autres dieux à ce dieu font la cour,
Et leur pouvoir est moins doux que sa flamme.
Des jeunes cœurs c’est le suprême bien.
Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien.

Sans cet Amour, tant d’objets ravissants,


Lambris dorés, bois, jardins, et fontaines,
N’ont point d’appâts qui ne soient languissants,
Et leurs plaisirs sont moins doux que ses peines.
Des jeunes cœurs c’est le suprême bien.
Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien.
66 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

J E A N D E L A F O N T A I N E
( 1 6 2 1 - 1 6 9 5 )

Les Amours de Psyché


et de Cupidon
Que nos plaisirs passés augmentent nos supplices !
Qu’il est dur d’éprouver, après tant de délices,
Les cruautés du Sort !
Fallait-il être heureuse avant qu’être coupable ?
Et si de me haïr, Amour, tu fus capable,
Pourquoi m’aimer d’abord ?

Que ne punissais-tu mon crime par avance !


Il est bien temps d’ôter à mes yeux ta présence,
Quand tu luis dans mon cœur !
Encor si j’ignorais la moitié de tes charmes !
Mais je les ai tous vus : j’ai vu toutes les armes
Qui te rendent vainqueur.

J’ai vu la beauté même et les grâces dormantes.


Un doux ressouvenir de cent choses charmantes
Me suit dans les déserts.
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 67

L’image de ces biens rend mes maux cent fois pires.


Ma mémoire me dit : « Quoi ! Psyché, tu respires,
Après ce que tu perds ? »

Cependant il faut vivre ; Amour m’a fait défense


D’attenter sur des jours qu’il tient en sa puissance,
Tout malheureux qu’ils sont.
Le cruel veut, hélas ! que mes mains soient captives.
Je n’ose me soustraire aux peines excessives
Que mes remords me font.

C’est ainsi qu’en un bois Psyché contait aux arbres


Sa douleur, dont l’excès faisait fendre les marbres
Habitants de ces lieux.
Rochers, qui l’écoutiez avec quelque tendresse,
Souvenez-vous des pleurs qu’au fort de sa tristesse
Ont versés ses beaux yeux.
68 «  A l l o n s n o u s é b a t t r e »

J EAN D E LA F ONTAINE
( 1 6 2 1 - 1 6 9 5 )

Hymne à la Volupté
Ô douce Volupté, sans qui, dès notre enfance,
Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux ;
Aimant universel de tous les animaux
Que tu sais attirer avec que violence !
Par toi tout se meut ici-bas.
C’est pour toi, c’est pour tes appas,
Que nous courons après la peine :
Il n’est soldat, ni capitaine,
Ni ministre d’État, ni prince, ni sujet,
Qui ne t’ait pour unique objet.
Nous autres nourrissons, si pour fruit de nos veilles
Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles,
Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son,
Ferions-nous un mot de chanson ?
Ce qu’on appelle gloire en termes magnifiques,
Ce qui servait de prix dans les jeux olympiques,
N’est que toi proprement, divine Volupté.
Et le plaisir des sens n’est-il de rien compté ?
Pour quoi sont faits les dons de Flore,
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 69

Le soleil couchant et l’Aurore,


Pomone et ses mets délicats,
Bacchus, l’âme des bons repas,
Les forêts, les eaux, les prairies,
Mères des douces rêveries ?
Pour quoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants ?
Mais pour quoi les Chloris aux appas triomphants,
Que pour maintenir ton commerce ?
J’entends innocemment : sur son propre désir
Quelque rigueur que l’on exerce,
Encore y prend-on du plaisir.
Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse
Du plus bel esprit de la Grèce,
Ne me dédaigne pas, viens-t’en loger chez moi ;
Tu n’y seras pas sans emploi.
J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.
Viens donc ; et de ce bien, ô douce Volupté,
Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ?
Il m’en faut tout au moins un siècle bien compté ;
Car trente ans, ce n’est pas la peine.
70 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

É V A R I S T E D E P A R N Y
( 1 7 5 3 - 1 8 1 4 )

Nahandove,
ô belle Nahandove !
Nahandove, ô belle Nahandove ! l’oiseau nocturne a com-
mencé ses cris, la pleine lune brille sur ma tête, et la rosée
naissante humecte mes cheveux. Voici l’heure : qui peut
t’arrêter, Nahandove, ô belle Nahandove ? Le lit de feuilles
est préparé ; je l’ai parsemé de fleurs et d’herbes odorifé-
rantes, il est digne de tes charmes,
Nahandove, ô belle Nahandove !

Elle vient. J’ai reconnu la respiration précipitée que donne


une marche rapide ; j’entends le froissement de la pagne qui
l’enveloppe ; c’est elle, c’est Nahandove,
la belle Nahandove !

Reprends haleine, ma jeune amie ; repose-toi sur mes ge-


noux. Que ton regard est enchanteur ! que le mouvement
de ton sein est vif et délicieux sous la main qui le presse ! Tu
souris, Nahandove, ô belle
Nahandove !
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 71

Tes baisers pénètrent jusqu’à l’âme ; tes caresses brûlent


tous mes sens : arrête, ou je vais mourir. Meurt-on de vo-
lupté, Nahandove, ô belle
Nahandove ?

Le plaisir passe comme un éclair ; ta douce haleine s’affai-


blit, tes yeux humides se referment, ta tête se penche molle-
ment, et tes transports s’éteignent dans la langueur. Jamais
tu ne fus si belle, Nahandove,
ô belle Nahandove !

Que le sommeil est délicieux dans les bras d’une maîtresse !


moins délicieux pourtant que le réveil. Tu pars, et je vais
languir dans les regrets et les désirs ; je languirai jusqu’au
soir ; tu reviendras ce soir,
Nahandove, ô belle Nahandove !
72 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

J E A N - P I E R R E C L A R I S
D E F L O R I A N ( 1 7 5 5 - 1 7 9 4 )

Plaisir d’amour
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment,
Chagrin d’amour dure toute la vie.

J’ai tout quitté pour l’ingrate Sylvie,


Elle me quitte et prend un autre amant…

Plaisir d’amour ne dure qu’un moment,


Chagrin d’amour dure toute la vie.

Tant que cette eau coulera doucement


Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Je t’aimerai, me répétait Sylvie ;
L’eau coule encore, elle a changé pourtant.

Plaisir d’amour ne dure qu’un moment,


Chagrin d’amour dure toute la vie.
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 73

V I C T O R H U G O
( 1 8 0 2 - 1 8 8 5 )

Toute la vie d’un cœur


Nous étions seuls dans l’ombre et l’extase suprême.
Elle disait : je t’aime ! et je disais : je t’aime !
Elle disait : toujours ! et je disais : toujours !
Elle ajoutait : nos cœurs sont époux, nos amours
Vaincront la destinée, et rien ne me tourmente,
Étant, toi le plus fort, et moi, la plus aimante.
Et moi, je reprenais : la ville est sombre, vois.
La sagesse serait de vivre dans les bois.
Elle me répondait : vivons-y, soyons sages.

Si vous voulez savoir le chiffre de nos âges,


Elle quinze, et moi vingt : à nous deux nous faisions
Un aveugle. Et nos yeux étaient pleins de rayons.
74 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

A L F R E D D E M U S S E T
( 1 8 1 0 - 1 8 5 7 )

À Laure
Si tu ne m’aimais pas, dis-moi, fille insensée,
Que balbutiais-tu dans ces fatales nuits ?
Exerçais-tu ta langue à railler ta pensée ?
Que voulaient donc ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots et ces cris ?
Ah ! si le plaisir seul t’arrachait ces tendresses,
Si ce n’était que lui qu’en ce triste moment
Sur mes lèvres en feu tu couvrais de caresses
Comme un unique amant ;
Si l’esprit et les sens, les baisers et les larmes,
Se tiennent par la main de ta bouche à ton cœur,
Et s’il te faut ainsi, pour y trouver des charmes,
Sur l’autel du plaisir profaner le bonheur :
Ah ! Laurette ! ah ! Laurette, idole de ma vie,
Si le sombre démon de tes nuits d’insomnie
Sans ce masque de feu ne saurait faire un pas,
Pourquoi l’évoquais-tu, si tu ne m’aimais pas ?
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 75

É M I L E V E R H A E R E N
( 1 8 5 5 - 1 9 1 6 )

Au clos de notre amour,


l’été se continue
Au clos de notre amour, l’été se continue ;
Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ;
Des pétale pavoisent
— Perles, émeraudes, turquoises —
L’uniforme sommeil des gazons verts.
Nos étangs bleus luisent, couverts
Du baiser blanc des nénuphars de neige ;
Aux quinconces, nos groseilliers font des cortèges ;
Un insecte de prisme irrite un cœur de fleur ;
De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ;
Et, comme des bulles légères, mille abeilles
Sur des grappes d’argent vibrent au long des treilles.
76 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ;


Sous les midis profonds et radiants
On dirait qu’il remue en roses de lumière ;
Tandis qu’au loin, les routes coutumières
Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils,
À l’horizon nacré, montent vers le soleil.

Certes, la robe en diamants du bel été


Ne vêt aucun jardin d’une aussi pure clarté.
Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes,
Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 77

P A U L - J E A N T O U L E T
( 1 8 6 7 - 1 9 2 0 )

Boulogne
Boulogne, où nos nous querellâmes
Aux pleurs d’un soir trop chaud
Dans la boue ; et toi, le pied haut,
Foulant aussi nos âmes.

La nuit fut ; ni, rentrés chez moi,


Tes fureurs plus de mise.
Ah ! de te voir nue en chemise,
Quel devint mon émoi !

On était seuls (du moins j’espère) ;


Mais tu parlais tout bas.
Ainsi l’amour naît des combats :
Le dieu Mars est son père.
78 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

Ah ! de te voir nue en chemise,


Quel devint mon émoi !
« ALLONS NOUS ÉBATTRE » 79

A N N A D E N O A I L L E S
( 1 8 7 6 - 1 9 3 3 )

Le Baiser
Couples fervents et doux, ô troupe printanière !
Aimez au gré des jours.
– Tout, l’ombre, la chanson, le parfum, la lumière
Noue et dénoue l’amour.

Épuisez, cependant que vous êtes fidèles,


La chaude déraison,
Vous ne garderez pas vos amours éternelles
Jusqu’à l’autre saison.

Le vent qui vient mêler ou disjoindre les branches


A de moins brusques bonds
Que le désir qui fait que les êtres se penchent
L’un vers l’autre et s’en vont.

Les frôlements légers des eaux et de la terre,


Les blés qui vont mûrir,
La douleur et la mort sont moins involontaires
Que le choix du désir.
80 « ALLONS NOUS ÉBATTRE »

Joyeux, dans les jardins où l’été vert s’étale


Vous passez en riant,
Mais les doigts enlacés, ainsi que des pétales,
Iront se défeuillant.

Les yeux dont les regards dansent comme une abeille


Et tissent des rayons
Ne se transmettront, d’une ferveur pareille,
Le miel et l’aiguillon,

Les cœurs ne prendront plus, comme deux tourterelles,


L’harmonieux essor,
Vos âmes, âprement, vont s’apaiser entre elles,
C’est l’amour et la mort…
«  A l l o n s n o u s é b a t t r e » 81

VI C TOR SE G ALEN
( 1 8 7 8 - 1 9 1 9 )

Mon amante
a les vertus de l’eau
Mon amante a les vertus de l’eau : un sourire clair, des gestes
coulants, une voix pure et chantant goutte à goutte.
Et quand parfois, — malgré moi — du feu passe dans mon
regard, elle sait comment on l’attise en frémissant : eau
jetée sur les charbons rouges.

Mon eau vive, la voici répandue, toute, sur la terre !


Elle glisse, elle me fuit ; — et j’ai soif, et je cours après elle.
De mes mains je fais une coupe. De mes deux mains je l’étanche
avec ivresse, je l’étreins, je la porte à mes lèvres :
Et j’avale une poignée de boue.
P A R T I E 4

« La Folie et l’Amour
jouaient un jour ensemble »
84 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 85

F R A N Ç O I S V I L L O N
( 1 4 3 1 - 1 4 6 3 )

Ballade à s’amie
Fausse beauté qui tant me coûte cher
Rude en effet hypocrite douceur,
Amour dure plus que fer à mâcher,
Nommer que puis, de ma défaçon seur,
Cherme felon, la mort d’un pauvre cœur,
Orgueil mussé qui gens met au mourir,
Yeux sans pitié, ne veut Droit de Rigueur,
Sans empirer, un pauvre secourir ?

Mieux m’eût valu avoir été chercher


Ailleurs secours, c’eût été mon honneur ;
Rien ne m’eût su lors de ce fait hâcher.
Trotter n’en faut en fuite et déshonneur.
Haro, haro, le grand et le mineur !
Et qu’est ce ci ? Mourrai sans coup férir ?
Ou Pitié veut, selon cette teneur,
Sans empirer, un pauvre secourir ?
86 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Un temps viendra qui fera dessécher


Jaunir, flétrir votre épanie fleur ;
Je m’en risse, si tant pusse mâcher,
Lors ! mais nenni, ce seroit donc foleur :
Vieux je serai, vous laide, sans couleur ;
Or buvez fort, tant que ru peut courir ;
Ne donnez pas à tous cette douleur,
Sans empirer, un pauvre secourir.

Prince amoureux, des amants le graigneur,


Votre mal gré ne voudrais encourir,
Mais tout franc cœur doit, par Notre Seigneur,
Sans empirer, un pauvre secourir.
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 87

P I E R R E D E R O N S A R D
( 1 5 2 4 - 1 5 8 5 )

Amour me tue
Amour me tue, et si je ne veux dire
Le plaisant mal que ce m’est de mourir :
Tant j’ai grand peur, qu’on veuille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire.

Il est bien vrai, que ma langueur désire


Qu’avec le temps je me puisse guérir :
Mais je ne veux ma dame requérir
Pour ma santé : tant me plaît mon martyre.

Tais-toi langueur je sens venir le jour,


Que ma maîtresse, après si long séjour,
Voyant le soin qui ronge ma pensée,

Toute une nuit, folâtrement m’ayant


Entre ses bras, prodigue, ira payant
Les intérêts de ma peine avancée.
88 «  L a F o l i e e t l ’ A m o u r j o u a i e n t u n j o u r e n s e m b l e »

T H ÉO D ORE A G RI P P A
D ’ AUBI G NÉ ( 1 5 5 2 - 1 6 3 0 )

Au tribunal d’amour,
après mon dernier jour
Au tribunal d’amour, après mon dernier jour,
Mon cœur sera porté diffamé de brûlures,
Il sera exposé, on verra ses blessures,
Pour connaître qui fit un si étrange tour,

À la face et aux yeux de la Céleste Cour


Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il saignera sur toi, et complaignant d’injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :

Tu diras : C’est Vénus qui l’a fait par ses ruses,


Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses !
N’accuse point Vénus de ses mortels brandons,

Car tu les as fournis de mèches et flammèches,


Et pour les coups de trait qu’on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches.
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 89

J E A N D E L A F O N T A I N E
( 1 6 2 1 - 1 6 9 5 )

L’Amour et la Folie
Tout est mystère dans l’Amour,
Ses flèches, ses Carquois, son Flambeau, son Enfance.
Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour
Que d’épuiser cette Science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici.
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l’Aveugle que voici
(C’est un Dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ;
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
J’en fais juge un Amant, et ne décide rien.
La Folie et l’Amour jouaient un jour ensemble.
Celui-ci n’était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l’Amour veut qu’on assemble
Là-dessus le Conseil des Dieux.
L’autre n’eut pas la patience ;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu’il en perd la clarté des Cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
90 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Les Dieux en furent étourdis,


Et Jupiter, et Némésis,
Et les Juges d’Enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l’énormité du cas.
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine pour ce crime assez grande.
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L’intérêt du Public, celui de la Partie,
Le résultat enfin de la suprême Cour
Fut de condamner la Folie
À servir de guide à l’Amour.
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 91

A L F R E D D E V I G N Y
( 1 7 9 7 - 1 8 6 3 )

Les Amants de Montmorency


Étaient-ils malheureux, Esprits qui le savez !
Dans les trois derniers jours qu’ils s’étaient réservés ?
Vous les vîtes partir tous deux, l’un jeune et grave,
L’autre joyeuse et jeune. Insouciante esclave,
Suspendue au bras droit de son rêveur amant,
Comme à l’autel un vase attaché mollement,
Balancée en marchant sur sa flexible épaule
Comme la harpe juive à la branche du saule ;
Riant, les yeux en l’air, et la main dans sa main,
Elle allait, en comptant les arbres du chemin,
Pour cueillir une fleur demeurait en arrière,
Puis revenait à lui, courant dans la poussière,
L’arrêtait par l’habit pour l’embrasser, posait
Un œillet sur sa tête, et chantait, et jasait
Sur les passants nombreux, sur la riche vallée
Comme un large tapis à ses pieds étalée ;
Beau tapis de velours chatoyant et changeant,
Semé de clochers d’or et de maisons d’argent,
Tout pareils aux jouets qu’aux enfants on achète
92 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Et qu’au hasard pour eux par la chambre l’on jette.


Ainsi, pour lui complaire, on avait sous ses pieds
Répandu des bijoux brillants, multipliés
En forme de troupeaux, de village aux toits roses
Ou bleus, d’arbres rangés, de fleurs sous l’onde écloses,
De murs blancs, de bosquets bien noirs, de lacs bien verts
Et de chênes tordus par la poitrine ouverts.
Elle voyait ainsi tout préparé pour elle :
Enfant, elle jouait, en marchant, toute belle,
Toute blonde, amoureuse et fière ; et c’est ainsi
Qu’ils allèrent à pied jusqu’à Montmorency.

Ils passèrent deux jours d’amour et d’harmonie,


De chants et de baisers, de voix, de lèvre unie,
De regards confondus, de soupirs bienheureux,
Qui furent deux moments et deux siècles pour eux.
La nuit on entendait leurs chants ; dans la journée
Leur sommeil ; tant leur âme était abandonnée
Aux caprices divins du désir ! Leurs repas
Étaient rares, distraits ; ils ne les voyaient pas.
Ils allaient, ils allaient au hasard et sans heures,
Passant des bois aux champs et des bois aux demeures,
Se regardant toujours, laissant les airs chantés
Mourir, et tout à coup restaient comme enchantés.
L’extase avait fini par éblouir leur âme,
Comme seraient nos yeux éblouis par la flamme.
Troublés, ils chancelaient, et le troisième soir,
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 93

Ils étaient enivrés jusques à ne rien voir


Que les feux mutuels de leurs yeux. La nature
Étalait vainement sa confuse peinture
Autour du front aimé, derrière les cheveux
Que leurs yeux noirs voyaient tracés dans leurs yeux bleus.
Ils tombèrent assis, sous des arbres ; peut-être
Ils ne le savaient. Le soleil allait naître
Ou s’éteindre Ils voyaient seulement que le jour
Était pâle, et l’air doux, et le monde en amour
[…]
Or c’était pour mourir qu’ils étaient venus là.
Lequel des deux enfants le premier en parla ?
Comment dans leurs baisers vint la mort ? Quelle balle
Traversa les deux cœurs d’une atteinte inégale
Mais sûre ? Quels adieux leurs lèvres s’unissant
Laissèrent s’écouler avec l’âme et le sang ?

Qui le saurait ? Heureux celui dont l’agonie


Fut dans les bras chéris avant l’autre finie !
Heureux si nul des deux ne s’est plaint de souffrir !
Si nul des deux n’a dit : « Qu’on a peine à mourir ! »
Si nul des deux n’a fait, pour se lever et vivre,
Quelque effort en fuyant celui qu’il devait suivre ;
Et, reniant sa mort, par le mal égaré,
N’a repoussé du bras l’homicide adoré ?
Heureux l’homme surtout, s’il a rendu son âme,
Sans avoir entendu ces angoisses de femme,
94 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Ces longs pleurs, ces sanglots, ces cris perçants et doux


Qu’on apaise en ses bras ou sur ses deux genoux,
Pour un chagrin ; mais si la mort les arrache,
Font que l’on tord ses bras, qu’on blasphème, qu’on cache
Dans ses mains son front pâle et son cœur plein de fiel,
Et qu’on se prend du sang pour le jeter au ciel. –
Mais qui saura leur fin ? –
Sur les pauvres murailles
D’une auberge où depuis on fit leurs funérailles,
Auberge où pour une heure ils vinrent se poser
Ployant l’aile à l’abri pour toujours reposer,
Sur un vieux papier jaune, ordinaire tenture,
Nous avons lu des vers d’une double écriture,
Des vers de fou, sans rime et sans mesure. – Un mot
Qui n’avait pas de suite était tout seul en haut ;
Demande sans réponse, énigme inextricable,
Question sur la mort. – Trois noms, sur une table,
Profondément gravés au couteau. — C’était d’eux
Tout ce qui demeurait et le récit joyeux
D’une fille au bras rouge. « Ils n’avaient, disait-elle,
Rein oublié. » La bonne eut quelque bagatelle
Qu’elle montre en suivant leurs traces, pas à pas.
Et Dieu ? — Tel est le siècle, ils n’y pensèrent pas.
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 95

Mais si je tremble,
Belle, ayez peur
96 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

V I C T O R H U G O
( 1 8 0 2 - 1 8 8 5 )

À la belle impérieuse
L’amour, panique
De la raison,
Se communique
Par le frisson.

Laissez-moi dire,
N’accordez rien.
Si je soupire,
Chantez, c’est bien.

Si je demeure,
Triste, à vos pieds,
Et si je pleure,
C’est bien, riez.

Un homme semble
Souvent trompeur.
Mais si je tremble,
Belle, ayez peur.
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 97

A L F R E D D E M U S S E T
( 1 8 1 0 - 1 8 5 7 )

J’ai dit à mon cœur


J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N’est-ce point assez d’aimer sa maîtresse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C’est perdre en désirs le temps du bonheur ?
Il m’a répondu : Ce n’est point assez,
Ce n’est point assez d’aimer sa maîtresse ;
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
Nous rend doux et chers les plaisirs passés ?
J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N’est-ce point assez de tant de tristesse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C’est à chaque pas trouver la douleur ?
Il m’a répondu : Ce n’est point assez,
Ce n’est point assez de tant de tristesse ;
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse
Nous rend doux et chers les chagrins passés ?
98 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

A L F R E D D E M U S S E T
( 1 8 1 0 - 1 8 5 7 )

À Ninon
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
L’amour, vous le savez, cause une peine extrême ;
C’est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même ;
Peut-être cependant que vous m’en puniriez.

Si je vous le disais, que six mois de silence


Cachent de longs tourments et des vœux insensés :
Ninon, vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d’avance ;
Vous me répondriez peut-être : je le sais.

Si je vous le disais, qu’une douce folie


A fait de moi votre ombre, et m’attache à vos pas :
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie ;
Peut-être diriez-vous que vous n’y croyez pas.
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 99

Si je vous le disais, que j’emporte dans l’âme


Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d’azur en deux éclairs de flamme ;
Vous me défendriez peut-être de vous voir.

Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,


Que chaque jour je pleure et je prie à genoux ;
Ninon, quand vous riez, vous savez qu’une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille ;
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.

Mais vous n’en saurez rein. – Je viens, sans rien en dire,


M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ;
Votre voix, je l’entends ; votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront de quoi m’être moins doux.

[…]

J’aime, et je sais répondre avec indifférence ;


J’aime, et rien ne le dit ; j’aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m’est cher, et chère ma souffrance ;
Et j’ai fait le serment d’aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; – je vous vois, c’est assez.
100 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Non, je n’étais pas né pour ce bonheur suprême,


De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu’à ma douleur même
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 101

T H É O D O R E D E B A N V I L L E
( 1 8 2 3 - 1 8 9 1 )

Le Vin de l’Amour
Accablé de soif, l’Amour
Se plaignait, pâle de rage,
À tous les bois d’alentour.
Alors il vit, sous l’ombrage,
Des enfants à l’œil d’azur
Lui présenter un lait pur
Et les noirs raisins des treilles.
Mais il leur dit : Laissez-moi,
Vous qui jouez sans effroi,
Enfants aux lèvres vermeilles !
Petits enfants ingénus
Qui folâtrez demi-nus,
Ne touchez pas à mes armes.
Le lait pur et le doux vin
Pour moi ruissellent en vain :
Je bois du sang et des larmes.
102 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

A L P H O N S E A L L A I S
( 1 8 5 4 - 1 9 0 5 )

Complainte amoureuse
Oui, dès l’instant que je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes ;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes ;
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
En vain je priai, je gémis :
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis.
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes,
Et je ne sais comment vous pûtes
De sang-froid voir ce que j’y mis.
Ah ! fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse,
Qu’avec orgueil vous vous tussiez !
Fallait-il que je vous aimasse,
Ou que vous me désespérassiez,
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 103

Et qu’en vain je m’opiniâtrasse,


Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez.
104 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

G U I L L A U M E A P O L L I N A I R E
( 1 8 8 0 - 1 9 1 8 )

La Loreley
À Jean Sève

À Bacharach il y avait une sorcière blonde


Qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde.

Devant son tribunal l’évêque la fit citer


D’avance il l’absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries


De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits


Ceux qui m’ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries


Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley


Qu’un autre te condamne tu m’as ensorcelé
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 105

Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge


Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain


Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure


Si je me regardais il faudrait que j’en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu’il n’est plus là


Mon cœur me fit si mal du jour où il s’en alla

L’évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances


Menez jusqu’au couvent cette femme en démence

Va-t’en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants


Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s’en allèrent sur la route tous les quatre


La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des
astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut


Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve


Puis j’irai au couvent des vierges et des veuves
106 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés


Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là-bas sur le Rhin s’en vient une nacelle


Et mon amant s’y tient il m’a vue il m’appelle

Mon cœur devient si doux c’est mon amant qui vient


Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l’eau la belle Loreley


Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 107

M A R I E N O Ë L
( 1 8 8 3 - 1 9 6 7 )

Chant de la muette
La Fille avait un amoureux
Qui s’en vint frapper à la porte.
– Amoureux, amoureux, que mon ange te porte ! –
La Fille avait un amoureux.
Le vent d’avril tournait la tête à tous les deux.
Sitôt que la mère le vit,
Jeune et pauvre qui se hasarde,
– Amoureux, amoureux, que mon ange te garde ! –
Sitôt que le père le vit :
« Cet effronté dit-il a trop bel appétit. »
Ils ont mis l’amoureux dehors.
« Va coucher avec la servante ! »
– Fuis, amoureux, va-t’en ! Va, fier et ne t’en vante ! –
Ils ont mis l’amoureux dehors
La Fille est sur le seuil : « Passez-moi sur le corps ! »
La mère a marché sur son cœur,
Le père a marché sur sa bouche.
– C’est femelle de chien qui par terre se couche. –
108 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

La mère a marché sur son cœur.


La porte s’est fermée avec un ris moqueur.
« La Fille, as-tu perdu l’esprit ? »
Elle a mangé ses chansons folles
Et dans son âme emmuré toutes ses paroles.
« La Fille, as-tu perdu l’esprit ? »
Depuis ce jour elle n’a plus jamais rien dit.
Elle brode, fil après fil,
Une histoire toute en dentelle
Avec des tours, des ponts, des moulins, des chapelles.
Elle brode, fil après fil,
Une histoire sans fin dont le sens est subtil.
« Fille, voici ton prétendu :
Ce notaire qui cherche femme. »
Pour broder, elle suit un modèle en son âme.
« Fille, voici ton prétendu. »
Elle brode la lune et n’a pas répondu.
Le père est sorti sur le seuil :
« En vain je trime, je lésine.
Mon bien, mon pauvre bien, qui l’aura ma voisine ? »
La mère a gémi sur le seuil :
« Qu’attendre des enfants hors amertume et deuil ! »
Or quand elle broda la mer
– Ses cheveux sont gris comme cendre –
Laisse passer les jours et les jours sans entendre,
« L A FO L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E » 109

Mais quand elle eut brodé la mer


Ses cheveux furent blancs comme neige en hiver.
Et la mère qui n’y voit plus
Lui cria : « Donne-nous à boire,
J’ai soif, j’ai faim, j’ai peur en cette nuit si noire. »
Le père qui ne bouge plus
Voulut lever au ciel de Dieu ses bras perclus.
« Voici du pain. Voici du vin.
Voici l’assiette et la chandelle. »
— « Réponds-nous, parle-nous, ô ma Fille, ô ma belle. »
– Voici du pain. Voici du vin.
— « Parle, Fille sans cœur, bouche nourrie en vain ! »
— « Vieillards, voici le chandelier,
Sous la porte, cherchez ma bouche
Et mon cœur à la place où la chienne se couche.
Vieillards, voici le chandelier,
Regardez bien aux semelles de vos souliers. »

Chants de quatre temps © Éditions Gallimard


110 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

J A C Q U E S P R É V E R T
( 1 9 0 0 - 1 9 7 7 )

Le tendre et dangereux visage


de l’amour
Le tendre et dangereux
visage de l’amour
m’est apparu un soir
après un trop long jour
C’était peut-être un archer
avec son arc
ou bien un musicien
avec sa harpe
Je ne sais plus
Je ne sais rien
Tout ce que je sais
c’est qu’il m’a blessée
peut-être avec une flèche
peut-être avec une chanson
«  L a F o l i e e t l ’ A m o u r j o u a i e n t u n j o u r e n s e m b l e » 111

Tout ce que je sais


c’est qu’il m’a blessée
blessée au cœur
et pour toujours
Brûlante trop brûlante
blessure de l’amour.

Histoires © Éditions Gallimard


112 « L A F O L I E E T L’A M O U R J O U A I E N T U N J O U R E N S E M B L E »

Brûlante trop brûlante


blessure de l’amour
P A R T I E 5

« J’ai tant rêvé de toi »


116 « J’AI TANT RÊVÉ DE TOI »
« J’AI TANT RÊVÉ DE TOI » 117

G É R A R D D E N E R V A L
( 1 8 0 5 - 1 8 5 5 )

Artémis
La Treizième revient c’est encor la première ;
Et c’est toujours la Seule, – ou c’est le seul moment :
Car es-tu Reine, ô Toi ! la première et dernière ?
Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant ?…

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;


Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
C’est la Mort — ou la Morte Ô délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.

Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,


Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule,
As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux ?

Roses blanches, tombez ! vous insultez nos Dieux,


Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
– La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !
118 « J’AI TANT RÊVÉ DE TOI »

F É L I X D ’ A R V E R S
( 1 8 0 6 - 1 8 8 0 )

Un secret
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère ;
Un amour éternel en un instant conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,


Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre.
N’osant rien demandé et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,


Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ;

À l’austère devoir pieusement fidèle,


Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.
« J’AI TANT RÊVÉ DE TOI » 119

A L F R E D D E M U S S E T
( 1 8 1 0 - 1 8 5 7 )

À George Sand
Te voilà revenu, dans mes nuits étoilées,
Bel ange aux yeux d’azur, aux paupières voilées,
Amour, mon bien suprême, et que j’avais perdu !
J’ai cru, pendant trois ans, te vaincre et te maudire,
Et toi, les yeux en pleurs, avec ton doux sourire,
Au chevet de mon lit, te voilà revenu.

Eh bien, deux mots de toi m’ont fait le roi du monde,


Mets la main sur mon cœur, sa blessure est profonde ;
Élargis-la, bel ange, et qu’il en soit brisé !
Jamais amant aimé, mourant sur sa maîtresse,
N’a sur des yeux plus noirs bu la céleste ivresse,
Nul sur un plus beau front ne t’a jamais baisé.
120 « J’AI TANT RÊVÉ DE TOI »

T H É O P H I L E G A U T I E R
( 1 8 1 1 - 1 8 7 2 )

À deux beaux yeux


Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;


Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.

Mille petits amours, à leur miroir de flamme,


Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.

Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,


Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal.
« J’AI TANT RÊVÉ DE TOI » 121

P A U L V E R L A I N E
( 1 8 4 4 - 1 8 9 6 )

Mon rêve familier


Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même,
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent


Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.


Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,


Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
122 « J’AI TANT RÊVÉ DE TOI »

L O U I S A R A G O N
( 1 8 9 7 - 1 9 8 2 )

Mon sombre amour


d’orange amère
Mon sombre amour d’orange amère
Ma chanson d’écluse et de vent
Mon quartier d’ombre où vient rêvant
Mourir la mer

Mon doux mois d’août dont le ciel pleut


Des étoiles sur les monts calmes
Ma songerie aux murs de palmes
Où l’air est bleu

Mes bras d’or mes faibles merveilles


Renaissent ma soif et ma faim
Collier collier des soirs sans fin
Où le cœur veille
« J’AI TANT RÊVÉ DE TOI » 123

Dire que je puis disparaître


Sans t’avoir tressé tous les joncs
Dispersé l’essaim des pigeons
À ta fenêtre

Sans faire flèche du matin


Flèche du trouble et de la fleur
De l’eau fraîche et de la douleur
Dont tu m’atteins

Est-ce qu’on sait ce qui se passe


C’est peut-être bien ce tantôt
Que l’on jettera le manteau
Dessus ma face

Et tout ce langage perdu


Ce trésor dans la fondrière
Mon cri recouvert de prières
Mon champ vendu

Je ne regrette rien qu’avoir


La bouche pleine de mots tus
Et dressé trop peu de statues
À ta mémoire
124 « J’AI TANT RÊVÉ DE TOI »

Ah tandis encore qu’il bat


Ce cœur usé contre sa cage
Pour Elle qu’un dernier saccage
La mette bas

Coupez ma gorge et les pivoines


Vite apportez mon vin mon sang
Pour lui plaire comme en passant
Font les avoines

Il me reste si peu de temps


Pour aller au bout de moi-même
Et pour crier-dieu que je t’aime
Tant

Le Fou d’Elsa © Éditions Gallimard


« J’AI TANT RÊVÉ DE TOI » 125

G E O R G E S S C H É H A D É
( 1 9 0 5 - 1 9 8 9 )

Mon merveilleux amour


comme la pierre insensée
Mon merveilleux amour comme la pierre insensée
Cette pâleur que vous jugez légère
Tellement vous vous égarez de moi pour revenir
À l’heure où le soleil et nous deux faisons une rose
Personne n’a dû la retrouver
Ni le braconnier ni la svelte amazone qui habite
Les nuages
Ni ce chant qui anime les habitations perdues
Et vous étiez cette femme et vos yeux mouillaient
D’aurore la plaine dont j’étais la lune

Poésies © Éditions Gallimard


P A R T I E 6

« Elle s’en va de moi


la mieux aimée »
128 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 129

C L É M E N T M A R O T
( 1 4 9 6 - 1 5 4 4 )

Du départ de s’amie
Elle s’en va de moi la mieux aimée,
Elle s’en va (certes) et si demeure
Dedans mon cœur tellement imprimée,
Qu’elle y sera jusques à ce qu’il meure.
Voise où vouldra, d’elle mon cœur s’assure :
Et s’assurant n’est mélancolieux :
Mais l’œil veut mal à l’espace des lieux,
De rendre ainsi sa liesse lointaine :
Or Adieu donc le plaisir de mes yeux,
Et de mon cœur l’assurance certaine.
130 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

P I E R R E C O R N E I L L E
( 1 6 0 6 - 1 6 8 4 )

Chagrin
Usez moins avec moi du droit de tout charmer ;
Vous me perdrez bientôt si vous n’y prenez garde.
J’aime bien à vous voir, quoi qu’enfin j’y hasarde ;
Mais je n’aime pas bien qu’on me force d’aimer.

Cependant mon repos a de quoi s’alarmer ;


Je sens je ne sais quoi dès que je vous regarde ;
Je souffre avec chagrin tout ce qui m’en retarde,
Et c’est déjà sans doute un peu plus qu’estimer.

Ne vous y trompez pas, l’honneur de ma défaite


N’assure point d’esclave à la main qui l’a faite,
Je sais l’art d’échapper aux charmes les plus forts,

Et quand ils m’ont réduit à ne plus me défendre


Savez-vous, belle Iris, ce que je fais alors ?
Je m’enfuis de peur de me rendre.
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 131

Si vous avez peur


des chagrins d’amour
Évitez les belles
132 «  E l l e s ’ e n v a d e m o i l a m i e u x a i m é e »

J EAN RA C INE
( 1 6 3 9 - 1 7 1 1 )

Bérénice
Eh bien, régnez, cruel, contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien ; et, pour jamais, adieu…
Pour jamais ! Ah ! Seigneur ! Songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ;
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que, de tout le jour, je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.
«  E l l e s ’ e n v a d e m o i l a m i e u x a i m é e » 133

C H ARLES BAU D ELAIRE


( 1 8 1 1 - 1 8 6 7 )

La Mort des amants


Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,


Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,


Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,


Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.
134 «  E l l e s ’ e n v a d e m o i l a m i e u x a i m é e »

J EAN - BA P TISTE C LÉMENT


( 1 8 3 6 - 1 9 0 3 )

Le Temps des cerises


Quand nous en serons au temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête.
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur.
Quand nous en serons au temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur.

Mais il est bien court, le temps des cerises,


Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles.
Cerises d’amour aux robes pareilles
Tombant sous la feuille en gouttes de sang.
Mais il est bien court le temps des cerises,
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant.

Quand vous en serez au temps des cerises,


Si vous avez peur des chagrins d’amour
Évitez les belles.
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 135

Moi qui ne crains pas les peines cruelles,


Je ne vivrai pas sans souffrir un jour.
Quand vous en serez au temps des cerises,
Vous aurez aussi des chagrins d’amour.

J’aimerai toujours le temps des cerises :


C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte,
Et dame Fortune, en m’étant offerte,
Ne saurait jamais calmer ma douleur.
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur.
136 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

P A U L V E R L A I N E
( 1 8 4 4 - 1 8 9 6 )

Il pleure dans mon cœur


IL PLEUT DOUCEMENT SUR LA VILLE.
ARTHUR RIMBAUD
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
Ô le chant de la pluie.
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine !
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 137

A R T H U R R I M B A U D
( 1 8 5 4 - 1 8 9 1 )

Chanson de la plus haute tour


Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête
Auguste retraite.

J’ai tant fait patience


Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
138 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

Ainsi la Prairie
À l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mille mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.

Mai 1872
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 139

G U I L L A U M E A P O L L I N A I R E
( 1 8 8 0 - 1 9 1 8 )

Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face


Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante


L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
140 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines


Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure


Les jours s’en vont je demeure
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 141

B L A I S E C E N D R A R S
( 1 8 8 7 - 1 9 7 6 )

Tu es plus belle
que le ciel et la mer
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
Il y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
142 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

Apprends à vendre à acheter à revendre


Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t’aime

Poésies complètes
© 1947, 1963, 2001, 2005, Éditions Denoël
Extraits tirés du volume 1 de « Tout autour d’aujourd’hui »,
nouvelle édition des œuvres complètes de Blaise Cendrars
dirigée par Claude Leroy.
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 143

J A C Q U E S P R É V E R T
( 1 9 0 0 - 1 9 7 7 )

Les Feuilles mortes


Oh ! Je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux où nous étions amis,
En ce temps-là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,


Tu vois, je n’ai pas oublié,
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,

Et le vent du Nord les emporte


Dans la nuit froide de l’oubli,
Tu vois, je n’ai pas oublié
La chanson que tu me chantais

C’est une chanson


Qui nous ressemble,
Toi, tu m’aimais,
Et je t’aimais,
144 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

Et nous vivions
Tous deux ensemble,
Toi, qui m’aimais,
Moi qui t’aimais

Mais la vie sépare ceux qui s’aiment,


Tout doucement, sans faire de bruit,
Et la mer efface sur le sable
Le pas des amants désunis

Paroles de Jacques Prévert, musique de Joseph Kosma


© MCMXLVII by ENOCH & Cie
« ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE » 145

C L A U D E R O Y
( 1 9 1 5 - 1 9 8 4 )

La Poursuivie
Je te poursuis encore sur le versant des songes
mais tu glisses de moi comme sable en la main
et comme un coquillage invente son mensonge
la courbe de ton corps esquive ton dessein

Je te traque et tu fuis Je te perds et tu plonges


Les forêts des grands fonds ont d’étranges détours
Je marche sur la mer et mon ombre s’allonge
sous le soleil obscur et dans l’ombre des tours

Aux plages de fraîcheur que déroule le lit


la trace de nos corps s’efface avec le jour
Le lit s’enfle et se gonfle aux brises de la nuit
Tristan la voile est noire et tu mourras d’amour

Tristan la voile est noire Iseut ne t’aime plus


La Belle au Bois s’endort du sommeil de l’hiver
Mourir ou bien dormir le flux et le reflux
me ramènent toujours aux lieux où j’ai souffert
146 « ELLE S’EN VA DE MOI LA MIEUX AIMÉE »

Mais que le chant du coq à l’aube revenue


mais qu’un rai de soleil qu’un pigeon qu’un appel
que le matin léger me rendent l’enfance nue
me voici de nouveau le complice du ciel

Sur son front la couronne invisible des Sœurs


Tristan la voile est blanche au flot des nébuleuses.

Le poète mineur © Éditions Gallimard


Table des matières
T A B L E D E S M A T I È R E S

AVANT-PRPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

« J’ai rendez-vous avec vous »


« Marie, qui voudrait votre nom retourner »
Pierre de Ronsard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

« Invocation » Alphonse de Lamartine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

« À une passante » Charles Baudelaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

« La Rencontre » Germain Nouveau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

« Figurez-vous un peu » Jules Laforgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

« Je ne veux jamais l’oublier »


« Quand deux cœurs en s’aimant ont doucement vieilli »
Victor Hugo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

« Plaintive tourterelle » Théophile Gautier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

« À une dame créole » Charles Baudelaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36


152 TABLE DES MATIÈRES

« Si je n’aimais que toi en toi » Anna de Noailles . . . . . . . . . . . 37

« J’aime dans le temps Clara d’Ellébeuse »


Francis Jammes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

« La Chanson du mal-aimé » Guillaume Apollinaire. . . . . . . . 42

« Ave » Catherine Pozzi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur »


Paul Éluard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

« L’Amoureuse » Paul Éluard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

« Chanson du geôlier » Jacques Prévert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

« Non l’amour n’est pas mort » Robert Desnos . . . . . . . . . . . . 54

« Allons nous ébattre »


« Allons nous ébattre » Charles d’Orléans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

« Sonnet de la Belle Cordière » Louise Labé. . . . . . . . . . . . 62

« Amour, que j’aime à baiser les beaux yeux »


Pierre de Ronsard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

« Éloge de l’Amour » Jean de La Fontaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65


TABLE DES MATIÈRES 153

« Les Amours de Psyché et de Cupidon »


Jean de La Fontaine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

« Hymne à la Volupté » Jean de La Fontaine. . . . . . . . . . . . . . . 68

« Nahandove, Ô belle Nahandove ! »


Évariste de Parny. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70

« Plaisir d’amour » Jean-Pierre Claris de Florian . . . . . . . . . . . . . . 72

« Toute la vie d’un cœur » Victor Hugo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

« À Laure » Alfred de Musset. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74

« Au clos de notre amour, l’été se continue » Émile Verhaeren. . . 75

« Boulogne » Paul-Jean Toulet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

« Le Baiser » Anna de Noailles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

« Mon amante a les vertus de l’eau » Victor Segalen. . . . . . 81

« La Folie et l’Amour
jouaient un jour ensemble »
« Ballade » François Villon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

« Amour me tue » Pierre de Ronsard. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87


154 TABLE DES MATIÈRES

« Au tribunal d’amour, après mon dernier jour »


Théodore Agrippa d’Aubigné. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

« L’Amour et la Folie » Jean de La Fontaine . . . . . . . . . . . . 89

« Les Amants de Montmorency » Alfred de Vigny. . . . . . 91

« À la belle impérieuse » Victor Hugo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

« J’ai dit à mon cœur » Alfred de Musset . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

« À Ninon » Alfred de Musset. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

« Le Vin de l’Amour » Théodore de Banville. . . . . . . . . . . . . . 101

« Complainte amoureuse » Alphonse Allais. . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

« La Loreley » Guillaume Apollinaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

« Chant de la muette » Marie Noël. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

« Le tendre et dangereux visage de l’amour » Jacques Prévert . . 110

« J’ai tant rêvé de toi »


« Artémis » Gérard de Nerval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

« Un secret » Félix d’Arvers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118


TABLE DES MATIÈRES 155

« À George Sand » Alfred de Musset . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

« À deux beaux yeux » Théophile Gautier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

« Mon rêve familier » Paul Verlaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

« Mon sombre amour d’orange amère » Louis Aragon . . . . 122

« Mon merveilleux amour comme la pierre insensée »


Georges Schéhadé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

« Elle s’en va de moi la mieux aimée »


« Du départ de s’amie » Clément Marot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

« Chagrin » Pierre Corneille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

« Bérénice » Jean Racine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

« La Mort des amants » Charles Baudelaire . . . . . . . . . . . . . . 133

« Le Temps des cerises » Jean-Baptiste Clément . . . . . . . . . . . 134

« Il pleure dans mon cœur » Paul Verlaine. . . . . . . . . . . . . . . . . 136

« Chanson de la plus haute tour » Arthur Rimbaud . . . . . . . . . 137

« Le Pont Mirabeau » Guillaume Apollinaire. . . . . . . . . . . . . 139

« Tu es plus belle que le ciel et la mer » Blaise Cendrars . . 141


156 TABLE DES MATIÈRES

« Les Feuilles mortes » Jacques Prévert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

« La Poursuivie » Claude Roy. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

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