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2023-2024

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Les document
clés
Films &
playlists

3,50 €
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Invitation
au voyage…
Avec
es playlists
d
ANTHOLOGIE dédiées

Tous les documents clés expliqués


sur le thème du programme 2023-2024
de l’épreuve de Culture générale et expression

Sélection et présentation
de Johan Faerber
certifié de lettres modernes
docteur ès lettres modernes
sommaire

Présentation du thème 7

CIN & ie
lm pour entrer dans le vif du sujet 10
Le Nouveau Monde de Terrence Malick,
États-Unis-Royaume-Uni, 2005

A Partir à la découverte 13
1.Les définitions du dictionnaire
•LAROUSSE, Définitions des mots « Voyage » et « Aventure » 15
2.Une invitation au dépaysement
•C. BAUDELAIRE, « L’Invitation au voyage » 16
3.L’appel du large
•C. GELLÉE DIT LE LORRAIN, Port de mer avec villa Médicis 18

B Desvoyagesformateurs 19
4.Explorer le monde
•P. CLAUDEL, Le Livre de Christophe Colomb 20
5.Le voyage humaniste
•F. DE LA MOTHE LE VAYER, De l’utilité des voyages 24
6.Le voyage comme éveil artistique
•STENDHAL, Rome, Naples et Florence 25
© Hatier Paris 2022
2 I NVITATION AU VOYAGE …
C Voyager, un privilège de classe ? 28
7.Voyager : une organisation extrêmement coûteuse
•D. ROCHE, Les Circulations dans l’Europe moderne 29
8.Le voyage, un marqueur social
•A. L. EGG, Les Compagnes de voyage 31
9.Le « grand tour », une pratique élitiste
•B. RÉAU, « Du “grand tour” à Sciences Po.,
le voyage des élites ? » 32

PLAYLIST N° 1 38

CIN & ie
lm pour entrer dans le vif du sujet 42
À bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson,
États-Unis, 2007

A Une démocratisation progressive 45


10.Les congés payés, outil de la démocratisation
•D. BANCAUD, « Histoire de congés : qu’ont fait les salariés
avecleurs premiers congés payés en 1936 ? » 47
11.L’avènement du tourisme de masse
•C. BARRIQUAND, « Buffets à volonté, tables communes…
Comment le Club Med a révolutionné le tourisme » 51

S OMMAIRE 3
12.Le programme Erasmus : démocratisation
du « grand tour » ?
•C. KLAPISCH, L’Auberge espagnole 54

B Vers un risque de standardisation 55


13.La banalisation de l’expérience du touriste
•M. DEBUREAUX, De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages 56
14.Retrouver partout la même chose
•G. COOK, Pizza Hut aux pyramides de Gizeh, Le Caire, Égypte 59
15.L’uniformisation des voyages
•É. LA BONNARDIÈRE, « Nous avons trahi la promesse du voyage
enconfondant démocratisation et uniformisation » 60

C Les dangers du tourisme 64


16.La perte de sens du voyage
•C. LÉVI-STRAUSS, Tristes Tropiques 66
17.Le surtourisme : un fléau mondial
•V. BALLIVY, « Surtourisme : quand le touriste n’est plus
lebienvenu » 69
18.L’individualisme touristique : le cas du selfie
•N. KOMOLVANICH, Phuket, Thaïlande 73
19.Une invitation au voyage politiquement douteuse ?
•M. FŒSSEL, « Le touriste, seul étranger
désormais désirable ? » 74

PLAYLIST N° 2 78

4 I NVITATION AU VOYAGE …
CIN & ie
lm pour entrer dans le vif du sujet 82
Sur la route de Walter Salles,
États-Unis-Canada-Brésil-France, 2012

A Repenser le tourisme 85
20.Sortir du surtourisme
•C. GUILLOU, « Un autre tourisme est-il possible ? » 86
21.Réhabiliter le touriste ?
•J. BLANC-GRAS, Touriste 90
22.Du touriste au voyageur
•N. BOUVIER, L’Usage du monde 92
23.Voyager autrement
•S. PENN, Into the Wild 94

B Retrouver le sens du voyage 95


24.Changer de regard sur le monde
•M. DE MONTAIGNE, « De la vanité », Essais, III 96
25.Voyager pour exercer son esprit critique
•J.-J. ROUSSEAU, Émile ou De l’éducation, livre V 98
26.Le voyage, un outil d’émancipation
•L. AZEMA, Les femmes aussi sont du voyage 101

S OMMAIRE 5
C Sortir des sentiers battus 104
27.Le voyage comme fuite
•A. RIMBAUD, « Ma bohème » 105
28.L’échappée belle
•D. HOPPER, Easy Rider 107
29.Une nouvelle façon d’être au monde ?
•R. BARTHES, L’Empire des signes 108

PLAYLIST N° 3 109

Annexes
•4 sujets blancs guidés 112
•4 fiches méthode 116
•Tous les documents classés par genre 125

LES PLAYLISTS : MODE D’EMPLOI

 Au fil de l’anthologie, les références musicales commentées


sont associées aux documents avec, dans la marge, un numéro
qui renvoie à la playlist figurant à la fin du chapitre.
 Les trois playlists (p. 38, 78 et 109) sont accessibles
sur la chaîne YouTube des éditions Hatier : Playlists
« BTS –Invitation au voyage ».

6 I NVITATION AU VOYAGE …
Présentation du thème

Le 23 septembre 2019, une nouvelle stupéfiante fait le tour de la


planète : Thomas Cook, la plus ancienne agence de voyages orga-
nisés au monde, se déclare en faillite ! Fondée en 1841 par Thomas
Cook, un explorateur britannique en quête de sensations fortes, cette
entreprise touristique a bâti son succès sur la vente de séjours clés en
main. Inattendue, cette mise en liquidation résonne comme un coup
de tonnerre dans la longue histoire du voyage, depuis les premières
grandes expéditions jusqu’à l’avènement du tourisme de masse.
Mais comment expliquer une telle banqueroute ? Ce modèle du
voyage élaboré comme un pur produit industriel a-t-il fini par lasser ?
N’est-ce pas la conception même du voyage, telle qu’elle s’est imposée
avec sa démocratisation, qui est aujourd’hui remise en cause ?

POURQUOI VOYAGER ?
Pour répondre à cette question, sans doute faut-il se pencher sur la
longue histoire du voyage. Synonyme d’aventure et de découverte, le
verbe voyager porte en lui une dimension éducative.
Dès la Renaissance, on voyage pour explorer le monde, le cartogra-
phier mais aussi pour se former intellectuellement. Outre ces grandes
expéditions le plus souvent financées par les États, le « grand tour »,
ainsi désigné par les Anglo-Saxons, permet aux aristocrates des XVIIIe et
XIXe siècles de partir à la découverte du Monde. Toutefois, ces voyages
au coût exorbitant ne sont pas accessibles à tous.

DÉMOCRATISATION OU BANALISATION
DUVOYAGE ?
Jusqu’au début du XXe siècle, voyager coûte cher. Tout le monde n’a pas le
loisir de voyager. Mais les combats politiques en France qui débouchent
en 1936 sur le droit des travailleurs aux congés payés vont changer la
donne. On assiste à la démocratisation du voyage : à l’intérieur du pays,
comme à l’extérieur, tout le monde a désormais le droit de voyager.

I NVITATION AU VOYAGE … 7
Invitation au voyage…

Face à cette demande accrue, les progrès techniques favorisent la


multiplication des moyens de transport à moindre coût. C’est la nais-
sance des voyages organisés et des clubs de vacances. Les agences
de voyages, comme Thomas Cook, triomphent. L’industrie du tourisme
est florissante.
Toutefois, cette industrialisation du tourisme n’est pas sans consé-
quences. Elle engendre la banalisation du voyage et l’uniformisation
du monde : les mêmes enseignes commerciales se retrouvent partout, au
détriment du commerce local délaissé par les touristes qui se précipitent,
à Kuala Lumpur comme à Dallas, dans les mêmes restaurants fast-food.
Autre conséquence négative de cet afflux de touristes dans les mêmes
pays, sur les mêmes sites : la dégradation de l’environnement naturel
et social, qui ternit profondément l’image du touriste et de l’industrie
touristique auprès des populations.

RETROUVER LE GOÛT DE L’AVENTURE


Cependant, si le surtourisme a fini par dénaturer le sens même du
voyage, tout n’est peut-être pas perdu. Ce que démontre la faillite de
Thomas Cook, c’est que progressivement, le touriste cède la place à
un voyageur qui éprouve le besoin de retrouver le goût de l’aventure.
Le voyageur n’accepte plus de se soumettre aux contraintes des
voyages organisés. Il veut recouvrer sa liberté. Pour beaucoup, il s’agit
désormais de voyager autrement, de manière plus responsable.
Le temps semble venu d’adopter des solutions durables pour se
rendre, à l’invitation du poète, vers un monde meilleur, plus respectueux
des autres et de l’environnement. C’est, pour le voyageur, le moyen le
plus sûr de renouer avec soi-même.

8 I NVITATION AU VOYAGE …
PITR E 1
CHA

 Pourquoi voyager ?

dans le vif du sujet…

CIN & ie . 10
CIN & ie

Un film pour entrer dans le vif du sujet

Pourquoi les hommes voyagent-ils ? Qu’est-ce qui les pousse, depuis


des siècles, à prendre le large pour se lancer dans de longs et péril-
leux voyages ? Quels buts poursuivent-ils ? Telles sont les questions
que Terrence Malick pose dans son film Le Nouveau Monde qui, à
sa sortie en 2005, connut un véritable triomphe.
Renouant avec les reconstitutions historiques qui avaient fait son
succès à la fin des années 1970, le cinéaste américain s’interroge
sur le sens que les premiers explorateurs britanniques débarquant
en Amérique du Nord donnaient au voyage. À travers la romance
du capitaine Smith et de l’Indienne Pocahontas, Malick cherche à
mettre en évidence la quête de bonheur qui anime ces voyageurs.

Le Nouveau Monde de Terrence Malick,


États-Unis-Royaume-Uni, 2005
 Le résumé du film
Au début du XVIIe siècle, sur la côte est de l’Amérique du Nord,
accostent trois navires britanniques dont les membres d’équipage
sont bien décidés à fonder une nouvelle colonie et à installer un fort
sur une terre occupée par des Amérindiens.
Parmi les colons, l’impétueux John Smith (Colin Farrell) se
distingue par ses actes de rébellion qui lui valent d’être condamné à
la pendaison. L’homme est pourtant gracié par Christopher Newport,
le chef de l’expédition, qui va lui confier, en échange de sa vie, une
délicate mission : apaiser les tensions avec les Indiens qui voient
d’un très mauvais œil l’installation de colons britanniques sur leurs
terres. Mais la mission diplomatique tourne à la catastrophe. Smith
est fait prisonnier par les Indiens qui décident de le mettre à mort.
Il est à nouveau sauvé in extremis, cette fois par la fille du chef
de la tribu, Pocahontas, qui lui garantit la vie sauve s’il convainc les
Britanniques de renoncer à leur colonie.
Cependant, durant sa captivité, le regard de Smith sur les Indiens
a changé. Il a découvert un peuple généreux auprès duquel il fait
bon vivre. Prenant goût à cette vie, Smith tombe amoureux de

10 I NVITATION AU VOYAGE …
Pocahontas qui, elle-même, n’est pas insensible à ses charmes. Mais
bientôt Smith est renvoyé parmi ses pairs, les colons, qui doivent
repartir pour l’Angleterre.

 Le lien avec le thème


Avec Le Nouveau Monde, Terrence Malick choisit de s’intéresser aux
voyages des explorateurs du XVIIe siècle qui sillonnaient alors, durant
des mois, les mers du monde entier en quête de nouveaux terri-
toires. Ce film a d’emblée une vocation historique puisque Malick
cherche à restituer fidèlement la vie en mer de ces hommes, oscillant
entre euphorie de la découverte et découragement.
À ce témoignage historique, Malick ajoute une dimension humaine
en insistant sur le sens profond que les explorateurs donnaient au
voyage. Pour le capitaine Smith notamment, voyager ne relève pas
du déplacement d’agrément. Le voyage est bien plus que cela : une
quête du bonheur. Le personnage quitte l’Angleterre à la recherche
d’un monde meilleur où il s’établira. Son objectif premier est d’émi-
grer pour mieux vivre.

 Observez l’image du film


2e DE COUVERTURE

1. Quelles sont les différentes composantes de cette image ?


2. Quelle attitude adopte le capitaine Smith ici, au premier plan ?
3. Pourquoi Terrence Malick a-t-il cadré aussi largement ce plan ?

Visionnez le film et commentez- le !

1. Visionnez les premiers plans d’ouverture du film. Comment


Malick met-il en scène la découverte des côtes américaines par
les voyageurs ? Quel type de plan utilise-t-il ?
2. Revisionnez les scènes de construction du fort de Jamestown.
Quelle est l’attitude des explorateurs ? Comment les Indiens
réagissent-ils face aux colons ?
3. Revisionnez la scène finale : Pocahontas retrouve le capitaine
Smith et lui demande s’il a fini par trouver la nouvelle route des
Indes. Quelle vision du voyage dévoile-t-il à la jeune Indienne ?

P OURQUOI VOYAGER ? 11
L e voyage est au cœur des vies des héros du Nouveau Monde
de Terrence Malick. Qu’il s’agisse du capitaine Smith ou
du chef de l’expédition, Christopher Newport, les hommes du
XVIIe siècle que le cinéaste met en scène traversent les océans
dans l’espoir de trouver une vie meilleure sur des terres qui leur
étaient jusque-là inconnues. Mais tous les voyageurs sont-ils
animés par cette même soif de découverte et par cette même
aspiration au bonheur ?
Les raisons qui poussent chacun à voyager sont bien plus
diverses, même si force est d’admettre que l’invitation au
voyage lancée à sa compagne par Charles Baudelaire, dans
le poème ainsi intitulé, place pour le poète, comme pour bien
d’autres, le voyage sous le double signe de l’aventure et du
besoin d’ailleurs.
L’époque de la Renaissance est marquée par la découverte
de ce qu’il est communément admis d’appeler le Nouveau
Monde. Mandatés par leurs États, de nombreux explora-
teurs sont partis à la recherche de nouvelles terres et de leurs
richesses dans le but d’étendre la puissance de pays européens
aux visées expansionnistes et parfois civilisatrices. Parmi les
plus célèbres, figurent Christophe Colomb (1451-1506), navi-
gateur génois, considéré comme le découvreur de l’Amérique ;
le portugais Vasco de Gama (1469-1524), réputé pour être le
premier Européen arrivé aux Indes, important centre écono-
mique et commercial à l’époque ; Magellan (1480-1521),
navigateur portugais reconnu comme l’inventeur du Tour du
Monde.
Si les motivations de ces grands explorateurs dénotent un goût
évident pour la découverte et l’aventure, elles n’en trahissent
pas moins des ambitions plus économiques et expansionnistes.
12 I NVITATION AU VOYAGE …
Toutefois, au cours du XVIIe siècle, marqué par le règne flam-
boyant de Louis XIV en France, puis du XVIIIe siècle, le siècle
des Lumières marqué par la défense de la philosophie, de la
culture et de la littérature, voyager est devenu une manière
de s’instruire. Le voyage était ainsi recommandé pour
parfaire l’éducation des hommes du monde qui se devaient
de connaître les mœurs étrangères. Tout aussi important était
la redécouverte des beautés artistiques de l’Antiquité afin
d’éveiller leur sensibilité esthétique et artistique. Chacun
à son époque, les écrivains et philosophes Montaigne (1533-
1592) et Montesquieu (1689-1755) séjournèrent dans plusieurs
pays européens. Plus tard, c’est notamment Stendhal (1783-
1842) qui passa dix-sept années de sa vie en Italie.
Cependant, le voyage est longtemps resté un privilège
de classe. Qui était en mesure de partir à l’étranger pendant
plusieurs années sans travailler ? Aristocratique et bourgeois,
le voyage ne s’adressait alors, par son coût exorbitant, qu’à
quelques privilégiés s’enthousiasmant des merveilles de la
Grèce ou du climat chaleureux du sud de la France.
Si le XXe siècle paraît avoir délaissé cette pratique culturelle
de classe que les Anglo-Saxons nomment le « grand tour », elle
semble encouragée et reconduite dans des écoles sélectives
essentiellement fréquentées par la haute bourgeoisie.
Ainsi, alors qu’au fil des siècles, selon des motivations
diverses, le fait de voyager s’est imposé comme une néces-
sité, le voyage est longtemps demeuré un luxe inaccessible au
plus grand nombre.

A Partir à la découverte
« Larguer les amarres », « mettre les voiles », « prendre le large » :
autant d’expressions qui, dans le langage courant, renvoient
aussi bien à l’action de partir qu’à l’art et aux moyens de voyager.
Car voyager ne consiste pas uniquement à se déplacer d’un
P OURQUOI VOYAGER ? 13
point à un autre, comme quitter son domicile le matin pour son
lieu de travail avant d’y revenir le soir, ou faire une excursion le
dimanche non loin de chez soi.
Comme l’atteste la définition du mot DOC 1 • p. 15 , le voyage
consiste à se transporter dans un autre lieu que celui où l’on vit
habituellement pour gagner une destination lointaine. Voyager
implique donc de se rendre dans un pays étranger afin de l’ex-
plorer. D’emblée, on associe au voyage le goût pour l’aventure,
qui nécessite d’affronter, d’une manière ou d’une autre, l’imprévu
et le risque, mais aussi de découvrir l’extraordinaire d’un lieu et
s’en émerveiller.
C’est à cet imaginaire du merveilleux que répond, selon
Charles Baudelaire DOC 2 • p. 16 , toute invitation au voyage. Dans
son célèbre poème des Fleurs du mal, le poète s’adresse à sa
maîtresse et l’engage à quitter leur quotidien triste et mélanco-
lique pour un pays où tout sera à la fois splendide et radieux.
Voyager est la promesse de partir vers un ailleurs qui invite au
rêve et au dépaysement, le gage d’une expérience unique pour
se défaire de ses habitudes.
Partir à l’aventure et faire du voyage l’occasion d’une décou-
verte répond plus largement à un appel du large qui, très vite
dans l’histoire, a caractérisé la civilisation occidentale. Pour
preuve, cette célèbre toile de Claude Gellée dit Le Lorrain
DOC 3 • p. 18 qui apporte un double témoignage : tout d’abord, elle

montre que partir en voyage, c’est s’embarquer vers des horizons


nouveaux et quitter le monde que l’on connaît. Le second témoi-
gnage est historique : cette toile présente le XVIIe siècle comme
le siècle des grandes conquêtes maritimes, quand partir à
l’aventure consistait à s’approprier des territoires encore, pour
une large part, inconnus.

14 I NVITATION AU VOYAGE …
DOC 1
LAROUSSE
Définitions des mots
« Voyage » et « Aventure »
 Desireless,
Voyage, voyage, 1986 1

[ Les définitions du dictionnaire ]


VOYAGE
 Action de voyager, de se rendre ou d’être transporté en
un autre lieu ; trajet ainsi fait : Le voyage se fera par bateau.
Ressentir les fatigues du voyage.
 Déplacement, allées et venues, en particulier pour trans-
porter quelque chose : Monter toutes les valises en un seul
voyage.
 Action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou
étranger ; séjour ou périple ainsi fait : Aimer les voyages.

AVENTURE
 Événement fortuit, de caractère singulier ou surprenant, qui
concerne une ou plusieurs personnes ; histoire, péripétie :
Une aventure tragique.
 Entreprise comportant des difficultés, une grande part
d’inconnu, parfois des aspects extraordinaires, à laquelle
participent une ou plusieurs personnes : Le récit d’une aven-
ture en mer.
 Toute entreprise où le risque est considérable et dont la réus-
site est douteuse : Adopter ce projet, c’est se lancer dans une
aventure.
Le Larousse, © larousse.fr, 2022 

P OURQUOI VOYAGER ? 15
3 questions pour vous guider...
1. Relevez dans la définition du mot « Voyage » le terme qui
renvoie explicitement à l’aventure.
2. Dans la définition du mot « Aventure », quel sens renvoie
au voyage ?
3. Montrez dans chacune des définitions la part d’inconnu
propre au voyage et à l’aventure.

DOC 2
CHARLES BAUDELAIRE
« L’Invitation au voyage »,
Les Fleurs du mal (1857)
 Léo Ferré,
L’Invitation au voyage, 1957 2

Dans son recueil Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire (1821-1867) cherche par
tous les moyens à fuir la tristesse du quotidien qu’il nomme « spleen ». Parmi
les remèdes possibles pour défier cette existence morne, figure le voyage
vers des destinations lointaines. Partir pour des pays inconnus, se dépayser,
est l’occasion pour le poète d’atteindre un monde idéal.

[ Une invitation au dépaysement ]

Mon enfant, ma sœur,


Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir1,
5 Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés

1.À loisir : autant que tu veux.

16 I NVITATION AU VOYAGE …
Pour mon esprit ont les charmes
10 Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté1.

15 Des meubles luisants2,


Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
20 Aux vagues senteurs de l’ambre3,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
25 À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux


30 Dormir ces vaisseaux4
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
35 –Les soleils couchants
Revêtent les champs,

1.Volupté : plaisir. 3.Ambre : parfum dont la riche senteur


2.Luisants : brillants. est courante dans les pays tropicaux.
4.Vaisseaux : bateaux.

P OURQUOI VOYAGER ? 17
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe1 et d’or ;
Le monde s’endort
40 Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,


Luxe, calme et volupté.

3 questions pour vous guider...


1. Vers 1-6 : relevez deux raisons pour lesquelles le poète
décide de partir en voyage.
2. Vers 29-40 : en quoi cette description est-elle dépaysante ?
3. Expliquez ces vers 41-42 : « Là, tout n’est qu’ordre et
beauté,/Luxe, calme et volupté. » Quel est l’effet produit
par leur répétition ?

DOC 3
CLAUDE GELLÉE DIT LE LORRAIN
Port de mer avec villa Médicis
(1637)
 Rameau, le rondeau
des Indes Galantes, 1735 3

[ L’appel du large ]
Peintre français, Claude Gellée dit Le Lorrain (1600-1682) doit sa renommée
à ses toiles qui représentent des paysages portuaires. Port de mer avec villa
Médicis CAHIER PHOTOS • p. I , l’un de ses tableaux majeurs, ne faillit pas à la
règle. Il représente un embarcadère où, au soleil couchant, se pressent de
nombreux voyageurs et d’imposants navires sur le départ.
Cependant, loin d’être strictement réaliste, cette peinture figure au bord de
la mer la villa Médicis alors que l’édifice se situe dans les faits en plein cœur
1.Hyacinthe : fleur très parfumée.

18 I NVITATION AU VOYAGE …
de Rome. Car, pour Claude Gellée, à l’époque où débutent les grandes expé-
ditions vers les Amériques, il s’agit ainsi de suggérer que le voyage nourrit
un imaginaire puissant qui invite, hommes, bateaux et même bâtiments, à
tout quitter pour écouter l’appel du large.

3 questions pour vous guider...


1. Décrivez les différentes composantes du tableau, plan par
plan.
2. À quoi voit-on que les bateaux sont sur le départ ?
3. Pourquoi Claude Gellée a-t-il choisi de représenter la villa
Médicis au bord même du rivage ?

B Des voyages formateurs


Si voyager s’entend d’abord comme une recherche de dépay-
sement et d’évasion, le voyage ne remplit pas qu’une simple
fonction d’agrément. Très tôt, il s’impose comme un élément
majeur dans l’histoire des civilisations puisque, depuis la
Renaissance notamment, il joue une triple fonction.
La fonction première du voyage est une mission exploratrice.
De fait, à la Renaissance, voyager consiste à explorer des terri-
toires encore inconnus. C’est l’aventure exemplaire que connaît
Christophe Colomb DOC 4 • p. 20 , demeuré dans l’histoire pour
avoir découvert les Amériques en 1492 en voulant rejoindre
les Indes par l’Ouest, et non par l’Est. Le voyage permet alors
de participer à la connaissance géographique du monde, de
combler les lacunes ou les erreurs cartographiques, de conquérir
de nouvelles civilisations, de renforcer sa puissance économique
et politique.
La deuxième fonction du voyage est éducative DOC 5 • p. 24 . Dès
la fin de la Renaissance, les voyages ont commencé à se multi-
plier sur le continent européen de manière à approfondir puis
parfaire ce que l’on nommait alors « la formation de l’honnête
P OURQUOI VOYAGER ? 1
homme », c’est-à-dire l’homme instruit et cultivé. On s’initiait ainsi
aux beautés culturelles de l’Antiquité en se rendant en Grèce
et l’on enrichissait sa connaissance des différentes cultures en
visitant les pays européens. Voyager s’est alors imposé comme
un des principaux outils d’instruction au cœur de cette époque
dominée par l’humanisme.
La troisième fonction du voyage est enfin artistique DOC 6 • p. 25 .
À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, se multiplient
les voyages, notamment en Italie, lesquels n’ont pas seulement
un but éducatif. S’il s’agit de s’initier aux œuvres des maîtres
de l’Antiquité et de la Renaissance, le voyageur doit également
nourrir sa sensibilité artistique de manière à pouvoir imiter ces
œuvres, s’en inspirer pour devenir à son tour un créateur. Ainsi
les peintres et sculpteurs se sont-ils longtemps rendus en Italie
pour perfectionner leur carrière artistique.

DOC 4
PAUL CLAUDEL
Le Livre de Christophe Colomb
(1928)
 Guy Mitchell,
Christopher Colombus, 1957 4

Dans la pièce de théâtre Le Livre de Christophe Colomb, Paul Claudel (1868-


1955) met en scène les épisodes majeurs de la vie du navigateur. De sa
vocation précoce jusqu’à ses multiples aventures sur les mers, Christophe
Colomb devient le héros d’un drame où le désir de partir explorer le monde
l’emporte sur tout.
Dans cette scène à la fois racontée par l’explicateur et chantée par les deux
demi-chœurs formant le chœur, Claudel revient sur les décourageantes diffi-
cultés qu’a dû surmonter Colomb au départ de Gênes. Contrairement aux
autres voyageurs de l’époque qui naviguent à l’Est, le jeune homme réussira-
t-il à rejoindre les Indes en passant par l’Ouest ?

20 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Explorer le monde ]

Christophe Colomb au bout de la Terre

L’. – Christophe Colomb est parti.


L C. – Christophe Colomb est parti ! Il est parti ! Il est
parti ! Il est parti ! Adieu, Gênes1 ! Adieu, famille ! Il est parti !
C C I2. – Je suis parti et je ne vous reverrai
5 plus. Adieu, mère ! Adieu, mer fermée3 ! À moi, le grand horizon de
l’Ouest4 ! Je te salue, Océan, c’est bon de respirer, c’est bon d’être
avec toi, c’est bon de te sentir sur la face et sous les pieds ! Aussi
loin qu’on peut aller, j’irai ! aussi loin qu’on ne peut pas aller, j’irai
aussi ! Me voici sur le dernier petit tas de pierres vers l’Ouest !
10 Il lance une pierre vers l’Ouest.
L’. – Voici Christophe Colomb aux Açores5.
L C. – Voici Christophe Colomb aux Açores.
L’. – Là sur le rivage il rencontre une épave :
attaché à une épave, un vieux marin presque mort.
15 L C. – Attaché à une épave, un vieux marin presque mort.
Apparaît sur la scène, apporté par les Néréides6,
un vieux marin presque mort, enlacé et cordé à une figure de proue7.
C C II8. – Je me souviens ! je me souviens !
c’était un vieux marin épuisé de fatigue, à moitié mort ! On l’avait

1.Gênes : ville portuaire italienne 5.Les Açores : archipel de neufîles


dont Christophe Colomb au milieu de l’océan Atlantique
estoriginaire. queColomb découvrit en 1493
2.Christophe Colomb I incarne àsonretour des Amériques.
Christophe Colomb jeune. 6.Les Néréides : dans la mythologie
3.La conception de la terre plate grecque, nymphes marines.
envigueur jusqu’alors se représente 7.Proue : avant du bateau.
la mer Méditerranée comme la limite 8.Christophe Colomb II incarne
du monde. Christophe Colomb vieillissant.
4.L’Ouest : cap unique que se fixe
Christophe Colomb.

P OURQUOI VOYAGER ? 21
20 retrouvé sur une épave à moitié mort, à moitié fou, bien loin à
l’ouest des Açores.
D-1. – Ce qu’il a pris pour des îles, ce sont des
baleines soufflantes2 !
C C I. – Marin ! Marin ! Réponds-moi !
25 Qu’as-tu vu ? Quelles nouvelles de l’autre monde ? Est-ce vrai qu’à
l’Ouest il y a une terre ?
D-. – Sois humain, ne l’interroge pas, tu vois bien
qu’il va mourir.
C C I. – Et que m’importe qu’il meure pourvu
30 qu’il me réponde ! Fils de la mer ! qu’as-tu vu ? entends-moi !
réponds-moi ! est-ce qu’il y a un autre monde ? Est-ce vrai qu’il y
a un autre monde ? est-ce qu’il y a une autre terre vers l’Ouest ?
L C. – Fils de la mer ! entends-moi ! réponds-moi ! Et
que m’importe qu’il meure pourvu qu’il me réponde ! Fils de la
35 mer, entends-moi ! réponds-moi ! m’as-tu entendu ? Est-ce qu’il
y a une autre terre vers l’Ouest ?
D-. – Ce qu’il a pris pour des îles ce sont des baleines
soufflantes.
D-. – Ce qu’il a pris pour des îles, c’est le Poisson
40 Jasconius sur lequel Brandan3 a construit sa cathédrale.
D-. – À l’Ouest du monde les Bienheureux habitent
dans des îles d’or.
D-. – À l’Ouest du monde il y a de l’or ! À l’Ouest du
monde et par-delà la tombe du vieillard Atlas4, à l’Ouest du monde
45 et par-delà Hercule5 il y a un pays d’or et de vin !

1.Le demi-chœur est un des 4.La tombe du vieillard Atlas :


personnages du chœur qui commente dansla mythologie grecque, ce titan
l’action sur scène. qui aide Hercule à accomplir ses
2.Baleines soufflantes : grandes travaux meurt sur un mont qui, depuis,
baleines à bosse. porte son nom. C’est aujourd’hui
3.Brandan : héros et saint irlandais du leMont Atlas, au Maroc.
VIe siècle, Brendan et ses compagnons 5.Hercule : dans la mythologie
de voyage confondirent, selon la grecque, héros qui meurt en Grèce,
légende, la baleine Jasconius avec c’est-à-dire à l’Est du monde tel
une île avant de célébrer sur son dos quese le représente Colomb.
la messe et d’y bâtir une cathédrale.

22 I NVITATION AU VOYAGE …
D-. – Saint Brandan au milieu de l’Océan dit la
messe dans une cathédrale de verre.
D-. – À l’Ouest du monde il y a une terre d’or ! À
l’Ouest du monde il y a une terre verte et rouge ! Antilia1 est son
50 nom. À l’Ouest du monde il y a une terre d’Or.
D-. – Ce qu’il a pris pour des îles ce sont des baleines
soufflantes.
Pendant tout ce temps Christophe Colomb I (sur la scène)
est resté avidement penché sur le matelot qu’il essaye de ranimer.
55 On voit leurs deux têtes sur l’écran. Le matelot meurt.
Christophe Colomb le lâche.
C C I, soutenu par le Chœur. – Il y a une terre
vers l’Ouest ! Il y a une terre vers l’Ouest !
Le Livre de Christophe Colomb, © Éditions Gallimard, 1933 

3 questions pour vous guider...


1. L.4-9 : comment Christophe Colomb manifeste-t-il sa joie
de s’embarquer pour partir découvrir le monde ?
2. L.29-36 : relevez les questions qui montrent que Christophe
Colomb est avide de conquêtes.
3. L.50 : pourquoi le demi-chœur emploie-t-il l’expression
« terre d’Or » pour désigner l’exploration de l’Ouest ?

1.Antilia : île imaginaire au cœur saint Brandan est supposé avoir bâti
del’océan Atlantique sur laquelle sa cathédrale.

P OURQUOI VOYAGER ? 23
DOC 5
FRANÇOIS DE LA MOTHE LE VAYER
De l’utilité des voyages (1648)
Charlotte Gainsbourg,
 Voyage, 2009 5

Philosophe du courant libertin, adepte de la libre-pensée, François de La


Mothe Le Vayer (1588-1672) marque profondément les débats du XVIIe siècle
en s’interrogeant sur le rôle des voyages dans l’éducation des jeunes gens.
Pour ce grand voyageur qui, adolescent, sillonna l’Espagne et l’Italie, le
voyage ne se résume pas à une simple expérience plaisante. Véritable
méthode d’instruction, il participe de la formation humaniste des individus
en les éveillant aux beautés naturelles du monde et aux richesses culturelles
des autres peuples.

[ Le voyage humaniste ]

Laissant à part1 toute sorte d’exagération, je crois qu’il n’y a


point de meilleure ni de plus utile école pour la vie, que celle des
voyages, où l’on voit incessamment la diversité de tant d’autres
5 vies, où l’on étudie à toute heure quelque nouvelle leçon dans ce
grand livre du Monde, et où le changement d’air, avec l’exercice
ordinaire se trouvait si profitable au corps et à l’esprit, que l’une et
l’autre de ces deux parties2 qui nous composent s’y rendent tous
les jours plus vigoureuses, comme il y a des plantes qui deviennent
10 plus fortes et plus considérables3 par la transplantation4, non
diventa porro se non quel che si transpianta5. Cela ne se peut mieux
reconnaître6 que parce que nous lisons dans la vie de Plotin que
Porphyre7 nous a donnée.

1.Laissant à part : mettant de côté. qui signifie « on n’obtient pas


2.Ces deux parties : le corps et l’esprit. depoireau si on ne repique pas ».
3.Considérables : imposantes. 6.Cela ne se peut mieux
4.Transplantation : le fait d’extraire reconnaître : on ne saurait mieux
de la terre pour replanter un végétal ledémontrer.
à un autre endroit. 7.Plotin (205-270), Porphyre
5.Non diventa porro se non quel deTyr (234-310) : philosophes
che si transpianta : formule italienne del’Antiquité latine.

24 I NVITATION AU VOYAGE …
Celui-ci dit qu’étant travaillé des hypochondres1, et en volonté
de perdre la vie en se tuant lui-même, Plotin reconnut non seule-
15 ment sa maladie atrabilaire2, mais même le mauvais dessein3
qu’il avait. Il le combattit donc là-dessus, et non content de le
détourner par discours d’une si mauvaise action, il n’eut point
de cesse qu’il ne l’eût engagé à faire des voyages qui lui furent si
utiles, que celui de Sicile le remit en parfaite santé. Ne sont-ils
20 pas4 le dernier refuge auquel les plus savants médecins ont assez
souvent recours pour surmonter les infirmités qui se rendent
rebelles à leurs remèdes ordinaires ?

3 questions pour vous guider...


1. L.2 : quelle expression La Mothe Le Vayer utilise-t-il pour
désigner les voyages ?
2. L.5-12 : relevez dans ces lignes les bienfaits du voyage sur
le corps et l’esprit ?
3. L.13-19 : comment Plotin parvint-il, selon La Mothe Le
Vayer, à renoncer au suicide ?

DOC6
STENDHAL
Rome, Naples et Florence (1817)
Lilicub, Voyage en Italie, 1996

6

Dans Rome, Naples et Florence, l’écrivain français Stendhal (1783-1842) livre


ses journaux de voyage en Italie. Occupant des fonctions diplomatiques
qui lui permettent de se déplacer à l’étranger, il est notamment conduit à
séjourner longuement à Milan.

1.Hypochondres : parties Être atrabilaire signifiait alors être


supérieures de l’abdomen situées constamment agacé, irritable.
juste sous les côtes. 3.Dessein : projet.
2.À l’époque, la médecine supposait 4.Ne sont-ils pas : est-ce que
que la bonne santé de l’homme lesvoyages ne sont pas.
dépendait de lacirculation de la bile.

P OURQUOI VOYAGER ? 25
Pour cet homme passionné par l’Italie, voyager devient l’occasion rêvée de
goûter aux charmes de la vie milanaise et de s’initier aux plaisirs d’une vie
culturelle qui a toujours été pour lui une source d’inspiration artistique.

[ Le voyage comme éveil artistique ]

M, 24 septembre. – J’arrive, à sept heures du soir, harassé1


de fatigue ; je cours à la Scala2. – Mon voyage est payé. Mes organes
épuisés, n’étaient plus susceptibles de plaisir. Tout ce que l’ima-
gination la plus orientale peut rêver de plus singulier, de plus
5 frappant, de plus riche en beautés d’architecture, tout ce que l’on
peut se représenter en draperies brillantes, en personnages qui,
non seulement ont les habits, mais la physionomie3, mais les gestes
des pays où se passe l’action, je l’ai vu ce soir.
25 septembre. – Je cours à ce premier théâtre du monde : l’on
10 donnait encore la Testa di Bronzo4. J’ai eu tout le temps d’admirer.
La scène se passe en Hongrie ; jamais prince hongrois ne fut plus
fier, plus brusque, plus généreux, plus militaire que Galli 5. C’est
un des meilleurs acteurs que j’aie rencontrés ; c’est la plus belle
voix de basse que j’aie jamais entendue : elle fait retentir jusqu’aux
15 corridors de cet immense théâtre.
Quelle science du coloris dans la manière dont les habillements
sont distribués ! J’ai vu les plus beaux tableaux de Paul Véronèse6.
À côté de Galli, prince hongrois, en costume national, l’habit de
houzard7 le plus brillant, blanc rouge et or, son premier ministre
20 est couvert de velours noir, n’ayant d’autre ornement brillant que

1.Harassé : dévasté. 5.Filippo Galli (1783-1853) :


2.La Scala : situé à Milan, ce théâtre chanteur d’opéra.
d’opéra italien édifié à la fin du 6.Paul Véronèse (1528-1588) :
XVIIIe siècle acquit, par l’excellence peintre italien de la Renaissance que
de ses spectacles, une très haute Stendhal appréciait par-dessus tout.
renommée dans toute l’Europe. 7.Houzard : membre de l’unité de la
3.La physionomie : l’allure. cavalerie légère de l’armée hongroise
4.La Testa di Bronzo : opéra italien qui, en français, donna le terme
de Saverio Mercadante et de Felice de« hussard ».
Romani créé en 1827.

26 I NVITATION AU VOYAGE …
la plaque de son ordre ; la pupille1 du prince, la charmante Fabre, est
en pelisse2 bleu de ciel et argent, son schakos3 garni d’une plume
blanche. La grandeur et la richesse respirent sur ce théâtre : on y
voit à tous moments au moins cent chanteurs ou figurants tous
25 vêtus comme le sont en France les premiers rôles. Pour l’un des
derniers ballets, l’on a fait 185 habits de velours ou de satin. Les
dépenses sont énormes. Le théâtre de la Scala est le salon de la ville.
Il n’y a de société que là ; pas une maison ouverte. Nous nous verrons
à la Scala, se dit-on pour tous les genres d’affaires. Le premier
30 aspect est enivrant. Je suis tout transporté en écrivant ceci.
26 septembre. – J’ai retrouvé l’été, c’est le moment le plus
touchant de cette belle Italie. J’éprouve comme une sorte d’ivresse.
Je suis allé à Dèsio, jardin anglais délicieux, à dix milles au nord de
Milan, au pied des Alpes.
35 Je sors de la Scala. Ma foi, mon admiration ne tombe point.
J’appelle la Scala le premier théâtre du monde, parce que c’est celui
qui fait avoir le plus de plaisir par la musique. Il n’y a pas une lampe
dans la salle ; elle n’est éclairée que par la lumière réfléchie par les
décorations. Impossible même d’imaginer rien de plus grand, de
40 plus magnifique, de plus imposant, de plus neuf, que tout ce qui
est architecture. Il y a eu ce soir onze changements de décorations.
Me voilà condamné à un dégoût éternel pour nos théâtres : c’est le
véritable inconvénient d’un voyage en Italie.
Je paie un sequin4 par soirée pour une loge aux troisièmes,
45 que j’ai promis de garder tout le temps de mon séjour. Malgré
le manque absolu de lumière, je distingue fort bien les gens qui
entrent au parterre. On se salue à travers le théâtre, d’une loge à
l’autre. Je suis présenté dans sept ou huit. Je trouve cinq ou six
personnes dans chacune de ces loges, et la conversation établie
50 comme dans un salon. Il y a, des manières pleines de naturel et
une gaîté douce, surtout pas de gravité.

1.Pupille : personne mineure placée 3.Schakos : casque militaire rigide.


sous l’autorité d’un tuteur, ici le prince. 4.Sequin : monnaie d’or de Venise alors
2.Pelisse : fourrure. en cours dans plusieurs États italiens.

P OURQUOI VOYAGER ? 27
Le degré de ravissement où notre âme est portée, est l’unique
thermomètre de la beauté, en musique ; tandis que, du plus grand
sang-froid du monde, je dis, d’un tableau du Guide1 : cela est de
55 la première beauté !

3 questions pour vous guider...


1. Pourquoi Stendhal déclare- t-il que ses « organes sont
épuisés » (l.2-3) ?
2. L.23-30 : comment se traduit l’admiration que Stendhal
éprouve pour le théâtre de la Scala ?
3. Expliquez la phrase : « Me voilà condamné à un dégoût
éternel pour nos théâtres : c’est le véritable inconvénient d’un
voyage en Italie. » (l.42-43)

C Voyager, un privilège de classe ?


Voyager à travers le monde pour se former est un beau projet
qui, hélas, n’est pas accessible à toutes et à tous. Car voyager
n’est pas une activité comme une autre tant elle nécessite de
très importants moyens financiers et humains. C’est ce que
démontre l’historien Daniel Roche DOC 7 • p. 29 qui, revenant sur
l’histoire des voyages, montre combien ces périples forma-
teurs, nés dans la société d’Ancien Régime, sont onéreux, et les
moyens de transport, rares et coûteux. Partir est une véritable
expédition qui exige de savoir choisir les matériaux résistants
aux intempéries, donc les plus chers, ou encore d’avoir assez
d’argent pour loger dans des auberges de choix.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le voyage demeure donc une acti-
vité réservée aux classes privilégiées. C’est ce que montre le
tableau d’Augustus Leopold Egg, Les Compagnes de voyage
DOC 8 • p. 31 qui représente deux jeunes femmes de la très bonne

société anglaise voyageant dans le sud de la France en train.

1.Guido Reni dit Le Guide (1575-1642) : peintre italien de la Renaissance.

8 I NVITATION AU VOYAGE …
Leurs riches robes de soie grise, ainsi que le luxueux comparti-
ment privé dans lequel elles ont pris place, montrent pour qui en
douterait encore que le voyage était et reste, dans une certaine
mesure, une pratique élitiste.
Car voyager à travers l’Europe et bientôt le monde demeurera
très longtemps un véritable privilège de classe. C’est ce que
rappelle le sociologue Bertrand Réau DOC 9 • p. 32 qui revient sur
ce que les Anglo-Saxons ont nommé dès la fin du XVIIIe siècle le
« grand tour ». Loin d’être uniquement une pratique formatrice
intellectuellement, le « grand tour » est une initiation sociale qui
apprend aux jeunes gens le sens des responsabilités et les forme
à la prise de décision, l’objectif étant de les accoutumer aux
fonctions de futur dirigeant. Loin d’avoir disparu, cette pratique
aristocratique du « grand tour » a pris de nos jours une autre forme
mais a toujours cours dans de grandes écoles sélectives telles que
Sciences Po. Qu’en est-il alors de la démocratisation des voyages ?

DOC7
DANIEL ROCHE
Les Circulations dans l’Europe moderne
(2011)
Vanessa Carlton,
A Thousand Miles, 2002 7

Dans son essai Les Circulations dans l’Europe moderne, l’historien Daniel
Roche (né en 1935) s’intéresse à l’engouement pour les voyages qui a carac-
térisé l’Ancien Régime. Loin d’être immobile et figée, cette société avait fait
du voyage un rite de passage nécessaire à la formation intellectuelle. Mais,
parce que voyager ne peut se faire à la légère, son organisation coûteuse
exige des moyens que seuls les plus aisés peuvent assumer.

[ Voyager : une organisation extrêmement coûteuse ]

Voyager, c’est anticiper. La mobilité réussie se prépare par les


lectures et l’information déjà mobilisable sur les pays de l’itinéraire
P OURQUOI VOYAGER ? 29
retenu. L’avis d’un ami éclairé sera le meilleur des guides pour éviter
les erreurs d’appréciation. Cette préparation passe par le choix des
5 sujets indispensables à sélectionner : les lois, les règlements de
police, les grands objets de l’histoire naturelle1. Cette étape est aussi
celle de l’apprentissage d’un comportement qui impose le sens de
la précaution, de la prudence, voire de la méfiance, qui est de plus
en plus nécessaire au fur et à mesure qu’on s’éloigne des centres
10 de la civilisation. La connaissance préalable des obstacles (religion,
règles policières, coutumes) et des lieux (auberges, douanes) fait
partie de l’organisation. Elle est aussi matérielle, s’intéressant
au détail des bagages, de l’habillement, de l’équipement. La liste
des choses utiles doit être réglée par les nécessités : avoir trop de
15 bagages risque d’être onéreux aux passages frontaliers, accroît la
dépense des domestiques, attire l’attention, surcharge les voitures2.
On préférera le cuir de Russie3 pour son porte-documents ; les
malles seront longues, basses, faciles à porter, et l’on veillera à ce
que les serviteurs n’y cachent point de marchandises prohibées.
20 Tout voyageur doit avoir à sa disposition boîtes et instruments de
dessin, une bonne montre, un compas, un baromètre, un thermo-
mètre, un télescope, une lanterne sourde, des bougies, un briquet,
et des cadenas portatifs pour suppléer4 aux verrous défaillants.
Mieux vaut avoir sa literie, ses draps, ses couvertures, son sac de
25 couchage « en peau de cerf 5 ». Bref, le voyageur de Berchtold6 part
à l’étranger comme armé pour une expédition lointaine. La vie en
voyage n’est pas de tout repos ; tout est menace pour la santé, pour
la fortune, pour l’intelligence. Deux pistolets à deux coups valent
mieux qu’un, et l’on s’aventure en territoire inconnu. Le mieux est
30 de tout envisager et d’avancer à chaque instant comme en pays
ennemi. Aubergistes, cicérones7, joueurs, filles publiques sont à

1.L’histoire naturelle : la science 5.« En peau de cerf » : extrêmement


biologique. résistant.
2.Les voitures : les carrosses. 6.Léopold Berchtold (1759-
3.Cuir de Russie : cuir connu 1809) : voyageur anglais célèbre
pour son extrême résistance aux pour avoir rédigé un Essai pour
intempéries, ce qui en rend son prix diriger et étendre les recherches
très élevé. desvoyageurs, publié en 1797.
4.Suppléer : remplacer. 7.Cicerones : guides.

30 I NVITATION AU VOYAGE …
surveiller de près. De nuit, les forêts et les hôtelleries isolées sont
particulièrement à redouter. Quant à l’eau, il faut tout spécialement
la contrôler pour soi-même – le « vinaigre des quatre voleurs1 »
35 pourvoit à l’assainir – comme pour son cheval : on doit veiller aux
fontaines et aux puits pollués ; faute de filtre, on fera bouillir l’eau.
Les Circulations dans l’Europe moderne, © Librairie Arthème Fayard, 2011 

3 questions pour vous guider...


1. L.4-10 : quelle est la première étape de la préparation du
voyage ?
2. L.13-25 : énumérez le détail de l’organisation matérielle
du voyage.
3. Pourquoi Daniel Roche en vient-il à observer que « la vie
en voyage n’est pas de tout repos » (l.26-27) ?

DOC8
AUGUSTUS LEOPOLD EGG
Les Compagnes de voyage (1862)
LeJean-Louis Murat,
Train bleu, 1996 8

[ Le voyage, un marqueur social ]

Peintre anglais de l’ère victorienne, Augustus Leopold Egg (1816-1863) est


essentiellement connu pour son tableau intitulé Les Compagnes de voyage
CAHIER PHOTOS • p. II . Dévoilée en 1862, la toile représente deux jeunes femmes

qui sont occupées, l’une à lire, l’autre à se reposer. À travers les fenêtres du
train dans lequel elles ont pris place, l’on devine au loin le littoral de Menton.
Au-delà de la maîtrise de son exécution, cette peinture vaut surtout comme
un témoignage historique sur le haut niveau de vie de cette aristocratie anglo-
saxonne qui voyageait pour se former intellectuellement.

1.Le « vinaigre des quatre pour ses vertus àla fois énergétiques
voleurs » : stimulant naturel connu et purgatives.

P OURQUOI VOYAGER ? 31
3 questions pour vous guider...
1. Décrivez les différentes composantes du tableau.
2. Donnez trois éléments qui attestent du haut niveau de vie
des deux jeunes femmes.
3. Pourquoi peut-on parler d’un voyage effectué dans le plus
grand confort ?

DOC 9
BERTRAND RÉAU
« Du “grand tour” à Sciences Po.,
levoyage des élites ? » (2012)
Prince, Around the World
 in a Day, 1985 9

Cet article du mensuel Le Monde diplomatique, signé du sociologue Bertrand


Réau, revient sur l’histoire de ce que, depuis la fin du XVIIIe siècle, les Anglais
puis le reste de l’Europe ont appelé le « grand tour ». Vécu par des jeunes gens
de la haute société en compagnie d’un tuteur, ce voyage d’éducation avait
l’objectif de leur faire découvrir les humanités en parcourant le patrimoine
artistique de l’Antiquité et de la Renaissance.
Pouvant s’étendre au-delà de cinq ans pour les plus fortunés, le « grand
tour » s’avérait être une pratique élitiste qui n’a cependant pas disparu de
nos jours. Pour Bertrand Réau, des écoles supérieures sélectives comme
Sciences Po. maintiennent ce voyage d’excellence comme outil de distinc-
tion sociale.

[ Le « grand tour », une pratique élitiste ]

Pour qui aspire aux positions sociales les plus élevées,


apprendre à être à l’aise dans des contextes sociaux et culturels
divers représente un atout majeur. Au e siècle déjà, le « grand
tour » parachevait l’éducation des jeunes aristocrates. Ce voyage
5 de plusieurs mois les amenait non seulement à rencontrer des
32 I NVITATION AU VOYAGE …
savants et à se mêler à leurs pairs1 d’autres pays, mais aussi à
s’encanailler2 en vivant dans des conditions matérielles moins
confortables qu’à l’accoutumée.
Le « grand tour » n’a pas disparu. Des écoles prestigieuses ont
10 même intégré ce type de séjour à leur cursus : « Dans un monde aux
frontières de plus en plus ouvertes, la formation se doit d’être inter-
nationale », peut-on ainsi lire sur le site Internet de Sciences Po.
C’est que, comme l’explique le sociologue Norbert Elias3, à mesure
que la violence physique recule dans la vie sociale, la distinction
15 se met à reposer sur des pratiques pacifiées : il ne s’agit plus de
montrer sa force, mais ses qualités culturelles, son adresse, son
prestige, sa capacité à alimenter les conversations mondaines.
Autant d’aptitudes que les voyages aident à développer.
À l’origine, le « grand tour » – qui a donné le mot « tourisme »–
20 représentait la dernière étape de la formation des jeunes
aristocrates dans la quasi-totalité des pays européens, et en parti-
culier en Grande-Bretagne. Au-delà de l’objectif éducatif attaché
au voyage académique – visant à produire des jeunes scholarly
trained (« familiers du monde des idées ») –, il propose un autre
25 but : devenir civilly trained (« familiers des civilités »), selon la
distinction opérée par sir William Cecil4, secrétaire d’État de la
reine Elisabeth Ire.
Certains se mettent en quête de sacré, d’autres d’érudition5 ou
encore du sentiment de découverte, d’esthétisme. Mais, durant
30 leur voyage, ils font largement ce qu’ils veulent, car, selon l’histo-
rien Marc Boyer, leurs apprentissages fondent avant tout ce qui
les distingue en tant qu’élite par rapport aux autres. Qu’importe,

1.Pairs : personnes du même rang 4.William Cecil (1520-1598) :


social. homme d’État anglais connu
2.S’encanailler : fréquenter un milieu pouravoir été le principal ministre
social inférieur au sien afin de se du règne d’Elisabeth 1re d’Angleterre
divertir et d’éprouver de nouvelles (1533-1603).
sensations. 5.Érudition : connaissances précises
3.Norbert Elias (1897-1990) : et approfondies sur un domaine
sociologue britannique parmi les plus particulier.
remarquables du XXe siècle.

P OURQUOI VOYAGER ? 33
dès lors, « si les jeunes nobles fréquentent les académies d’équita-
tion des divers pays d’Europe, s’exercent à l’escrime, alors que l’art
35 de la guerre devient celui de l’artillerie savante et des fortifications
sophistiquées ».
Le voyage enseigne surtout ce qu’on ne peut apprendre sur le
sol natal. Il permet de réfléchir à la fois sur soi et sur sa propre
société. En ce sens, c’est bien l’objectif du retour qui guide les
40 voyageurs. Le philosophe britannique Francis Bacon1, qui a
séjourné deux ans en France, synthétise ainsi ses conseils aux
voyageurs : « Langue, préparation, tuteur, guides et cartes, lettres de
recommandation, tenir un journal, et leçons à tirer au retour ».
Le jeune homme va d’un point à un autre (Paris, Rome,
45 Florence), se familiarisant avec des pays différents, leur géogra-
phie, leur terroir, leurs œuvres d’art, leurs hommes de lettres et
leurs artistes, leurs lois et leurs usages. Il rencontre des hommes
d’État, des secrétaires d’ambassade ; il fréquente les cours de
justice et les églises ; il visite monuments, bibliothèques et
50 collèges ; il assiste aux exécutions capitales, etc. Même si le sensa-
tionnel l’emporte souvent sur la rigueur de l’étude scientifique, il
retient ainsi des éléments d’un parcours préconstruit.
Les loisirs qu’offrent des villes comme Paris, Berlin, Turin,
Florence ou Rome sont également une motivation puissante.
55 N’ayant besoin ni de gagner leur vie, ni de mettre en pratique
leur connaissance des pays visités, les « touristes » peuvent se
dispenser de procéder à des recherches approfondies. Les visites
de monuments les ennuient-elles ? Ils jouent aux cartes, observent
les arrivées et les départs des diligences. Les lieux à visiter étant
60 largement balisés, ils essayent d’y passer le moins de temps
possible. En 1914, William Edward Mead2 relativise l’étendue
des découvertes qu’autorisent l’empressement, l’incompétence et
l’inattention des jeunes touristes : « Même en prenant en compte, de

1.Francis Bacon (1561-1626) : 2.William Edward Mead (1860-


philosophe anglais. 1949) : historien anglais connu pour
ses recherches sur le « grand tour ».

34 I NVITATION AU VOYAGE …
façon aussi généreuse que possible, la maîtrise des langues étrangères
65 par les Anglais, au e, il est fort probable que – comme c’est toujours
le cas – la plupart rentraient de leurs voyages encore incapables de
commander ou de payer un dîner dans une autre langue que la leur
sans se faire tondre par le restaurateur. »

Pour la famille, les excès des jeunes aristocrates en vadrouille


70 sont un moindre mal
Le voyage offre enfin l’occasion de se soustraire à la contrainte
familiale. La camaraderie avec les pairs, les rencontres amou-
reuses, le jeu et l’alcool font partie intégrante de la socialisation.
Pour ces jeunes en bonne santé et peu encadrés, les occasions
75 d’aventures sexuelles et/ou amoureuses sont nombreuses. Certes,
l’opinion publique y est largement hostile, non seulement pour
des raisons morales, mais également à cause des maladies véné-
riennes1 qu’ils pourraient rapporter en Grande-Bretagne. Tolérant
à l’étranger ce qu’elles n’accepteraient pas chez elles, les familles se
80 dégagent d’un problème potentiel. Les frais du voyage et les excès
relatifs des jeunes aristocrates restent un moindre mal comparés
à la remise en cause des positions politiques de leur milieu, par
exemple.
[…]
L’une des fonctions de ces séjours pourrait bien être de favo-
85 riser ce sentiment d’ouverture, ce goût pour la mobilité que donne
une expérience encadrée de la position d’étranger. Plus ou moins
guidés dans leurs activités de loisirs et dans les offres de logement,
les étudiants sont largement pris en charge par les institutions
d’accueil ; habitués aux voyages à l’étranger, ils ont déjà un certain
90 nombre de repères et de savoir-faire. Quand ils sont livrés à eux-
mêmes, ils peuvent compter sur le soutien moral et financier de
leur famille et de leurs amis, même si leur réseau de relations habi-
tuelles ne peut être aussi facilement mobilisé que chez eux. Ces
expériences leur donnent l’assurance de ceux qui ont un regard

1.Maladies vénériennes : maladies sexuellement transmissibles.

P OURQUOI VOYAGER ? 35
95 « international », par rapport à ceux qui se retrouvent dès lors
cantonnés au local.
Les participants aux programmes de mobilité institutionna-
lisée se voient également faciliter les démarches administratives
que tout migrant doit effectuer (logement, visa, banque, etc.).
100 Ils doivent s’adapter à des modes de vie étrangers, mais il s’agit
de ceux d’étudiants aux origines sociales souvent homologues1,
vivant dans un cadre protégé. Cela ne signifie nullement qu’ils
n’éprouvent pas ponctuellement des difficultés pratiques,
morales et parfois financières ; mais ces obstacles contribuent
105 également au sentiment d’une « expérience qui rend autonome ».
C’est aussi un moment privilégié pour voyager sur place. Ainsi,
les rencontres avec des étudiants d’autres nationalités (mais de
classe sociale comparable) et, de temps à autre, avec des individus
d’autres milieux contribuent à cet effet d’ouverture culturelle si
110 valorisée, notamment chez ceux qui prétendent à des postes de
responsabilité ou d’encadrement. La connaissance pratique des
impondérables2 de la vie quotidienne dans un pays étranger, les
« combines », les « bons plans » sont très appréciés ; ils manifestent
et développent les capacités de l’étudiant à se débrouiller, à faire
115 face à l’imprévu – dans une situation, il est vrai, quelque peu
biaisée3, parce qu’institutionnellement éphémère et socialement
garantie.

Soutenus à l’étranger et attendus chez eux :


l’inverse de la « double absence » des migrants
120 « Les voyages forment la jeunesse », dit-on. Peut-être, mais
pas toutes les jeunesses. À la différence des travailleurs immi-
grés – parfois jeunes, eux aussi –, les étudiants de Sciences Po qui
voyagent se trouvent, tout comme les aristocrates avant eux, dans
une position de « double présence » : ils sont à la fois soutenus à

1.Homologues : équivalentes, 2.Impondérables : événements


semblables. inévitables.
3.Biaisée : faussée.

36 I NVITATION AU VOYAGE …
125 l’étranger et attendus chez eux, alors que l’immigré, lui, est pris,
comme l’a montré le sociologue Abdelmalek Sayad, dans une
« double absence » : il part vers un horizon incertain avec l’espoir
d’un retour, et, bien souvent, doit faire sa place dans la société
d’arrivée. Le retour devient rapidement une illusion, et quand
130 il a lieu, le migrant n’en retire pas nécessairement un avantage,
car son absence peut l’avoir exclu des relations sociales locales.
Tout voyage à l’étranger ne constitue donc pas un capital. La
valorisation de l’« international » comme ressource ne s’opère que
sous certaines conditions, celles-là mêmes qui contribuent à la
135 reproduction de l’ordre social national.
« Du “grand tour” à Sciences Po., le voyage des élites »,
© mondediplomatique.fr, juillet 2012 

3 questions pour vous guider...


1. Pour quelles raisons Bertrand Réau affirme-t-il que, durant
le « grand tour », les apprentissages des jeunes gens fortunés
« fondent avant tout ce qui les distingue en tant qu’élite par
rapport aux autres » (l.31-32) ?
2. En quoi l’« effet d’ouverture culturelle » (l.109) du voyage
est-il valorisé pour les postes à responsabilités ?
3. Pourquoi Bertrand Réau conclut-il son article en affirmant
que « Tout voyage à l’étranger ne constitue pas un capital. »
(l.132) ?

P OURQUOI VOYAGER ? 37
PLAYLIST N° 1

Chapitre 1 – Pourquoi voyager ?


Pourquoi larguer les amarres et partir à la conquête de terres incon-
nues ? Quel élan pousse certains à explorer le monde ? Telles sont
les questions auxquelles, depuis le XVIIIe siècle, nombre d’œuvres
musicales ont tenté de répondre. N’est-ce pas d’abord pour
succomber, comme le souffle la chanteuse Desireless, au frisson de
la découverte ? Découverte qui, selon John Mitchell ou Charlotte
Gainsbourg, fait de tout voyage une expérience formatrice. Pourtant,
au-delà de l’aventure et de l’enrichissement intellectuel, voyager
n’est-il pas, ainsi que le chantent Prince et Jean-Louis Murat, un luxe
réservé aux plus fortunés ?

A. Partir à la découverte
1Desireless, Voyage, voyage, 1986
Dans « Voyage, voyage », un des plus importants succès des
années 1980, Desireless, chanteuse issue de la scène punk d’alors,
compose un hymne à l’aventure. Sur un rythme électronique et
quelques nappes de synthétiseurs aux mélodies légères, le texte
revendique la puissance du voyage, qui n’est pas qu’un simple
déplacement dans l’espace. Voyager, c’est partir à l’aventure, se
mesurer au goût du danger et satisfaire son désir de dépaysement.

2Léo Ferré, L’Invitation au voyage, 1957


À l’occasion du centenaire de la parution des Fleurs du mal, Léo
Ferré, chantre de la chanson réaliste, a mis en musique de célèbres
poèmes de Charles Baudelaire dont « L’Invitation au voyage ».
Uniquement accompagné d’un piano, Ferré interprète cette
ode au dépaysement sur une mélodie enjouée dont les accords
reposent sur une valse à deux temps.

3Rameau, le rondeau des Indes Galantes, 1735


Dans Les Indes Galantes, qui demeure l’un des plus célèbres
opéras- ballets du XVIIIe siècle, Jean- Philippe Rameau met en

38 I NVITATION AU VOYAGE …
PLAYLIST N° 1
scène la découverte du Nouveau Monde. Au cœur d’une forêt
paisible, après leur défaite face aux conquérants espagnols, deux
Amérindiens, la jeune Zima et le jeune Adorio, vont enfin pouvoir
s’unir en un rondeau qui consacre leur amour. Par l’exotisme qu’il
met en scène, cet opéra-ballet exalte le goût de l’époque pour
le voyage.

B. Desvoyagesformateurs
4Guy Mitchell, Christopher Colombus, 1957
Chanteur américain pop de l’après-guerre, Guy Mitchell a dédié
son succès « Christopher Colombus » à ses parents croates émigrés
aux États-Unis. À travers la figure de l’explorateur Christophe
Colomb, Mitchell rend hommage à toutes les femmes et tous les
hommes qui ont quitté leur vie misérable en Europe, pour partir
à l’aventure et atteindre une vie meilleure en Amérique.

5Charlotte Gainsbourg, Voyage, 2009


Actrice et chanteuse française, Charlotte Gainsbourg livre à travers
le titre « Voyage » un hymne à la découverte du monde. Avec des
arrangements de Beck, en hommage à son père Serge, Charlotte
Gainsbourg chante les charmes du voyage formateur. Voyager
permet de se construire à double titre : outre le plaisir d’y passer
du bon temps, on part au bout du monde pour découvrir d’autres
cultures.

6Lilicub, Voyage en Italie, 1996


Duo issu de la scène jazz, Lilicub se fait remarquer durant l’été
1996 par une chanson pop qui devient vite l’un des tubes les plus
importants de la décennie. Sur un rythme entraînant et léger, le
groupe évoque des vacances en Italie où, au-delà des clichés
touristiques qui sacralisent le farniente, les deux jeunes gens sont
émerveillés par les beautés culturelles du pays : de Florence à
Rome en passant par la Sicile.

P OURQUOI VOYAGER ? 39
PLAYLIST N° 1

C. Voyager, un privilège de classe ?


7Vanessa Carlton, A Thousand Miles, 2002
Tube de l’été 2002, « A Thousand Miles »de la chanteuse améri-
caine Vanessa Carlton raconte comment une jeune femme quitte
le foyer familial pour rejoindre son amoureux. Cette chanson,
d’amour mais pas seulement, rappelle que partir à l’aventure ne
peut se faire à la légère et nécessite de nombreux préparatifs
matériels, même pour suivre son compagnon à l’autre bout du
monde.

8Jean-Louis Murat, Le Train bleu, 1996


Figurant parmi les plus grands chanteurs français, Jean-Louis Murat
s’est notamment illustré en 1996 par son remarquable album,
Dolorès. Parmi les succès qui jalonnent ce disque, « Le Train bleu »
évoque un voyage dans un train de luxe entre Lyon et Genève,
dans lequel Murat se prend à rêver en regardant par la vitre le
paysage défiler.

9Prince, Around the World in a Day, 1985


Figure majeure des années 1980, Prince amorce en 1985 un virage
pop après le succès planétaire du très rock Purple Rain. Avec
« Around the World in a Day », le Kid de Minneapolis découvre,
à la faveur des tournées mondiales, le privilège de voyager loin.
Avec ironie, sur une musique qui fusionne mélodies perses tradi-
tionnelles et ritournelles pop, il vante les progrès techniques qui
permettent d’aller toujours plus vite et d’accomplir, même en un
jour, le tour du globe.

40 I NVITATION AU VOYAGE …
PITR E 2
CHA

Démocratisation
 ou banalisation
duvoyage ?

dans le vif du sujet…

CIN & ie . 42
CIN & ie

Un film pour entrer dans le vif du sujet

Embarquer à bord d’un train mythique pour un pays inconnu qui


foisonne de richesses spirituelles et culturelles ! Voilà un voyage qui
a de quoi faire rêver !
Tel est l’enthousiasme qui anime les trois frères, dans le film de
Wes Anderson, Darjeeling Limited, lorsqu’ils se lancent dans un
merveilleux voyage en train qui se transforme en un épuisant et
banal périple touristique.
Œuvre majeure de Wes Anderson, Darjeeling Limited doit son
succès à l’univers toujours aussi original et surprenant du cinéaste.
Derrière la chronique en apparence loufoque du voyage percent des
interrogations majeures : que signifie voyager de nos jours ? Dans quel
but voyage-t-on ? Que reste-t-il du goût de l’aventure chez le touriste
pour qui, aujourd’hui, le monde n’a plus de frontières ? Faut-il consi-
dérer qu’il dénature le sens du voyage ainsi que les lieux qu’il visite ?

À bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson,


États-Unis, 2007
 Le résumé du film
Trois frères américains, Peter, Francis et Jack Whitman, qui ne se
sont pas vus depuis la mort de leur père, décident d’entreprendre
ensemble un grand voyage à travers l’Inde. À l’initiative de Francis,
cette expédition a pour but apparent de renouer les liens familiaux.
Tous trois montent à bord du « Darjeeling Limited », un train touris-
tique qui sillonne les plus hauts lieux culturels de l’Inde.
Mais ce voyage ne va pas se dérouler comme prévu. Car sans en
avoir informé ses frères, Francis a le projet de retrouver leur mère dont
ils ont perdu la trace. Secondé par Brendan, son assistant, Francis
transforme le voyage culturel en expédition militarisée. Chaque matin,
il distribue à Peter et Jack des emplois du temps aux horaires stricts.
À un rythme frénétique, les visites s’enchaînent. Excédés, Peter et
Jack s’en prennent à Francis qu’ils jugent responsable de ce périple
infernal qui n’est plus spirituel ni culturel. Une bagarre éclate alors
entre eux et les voilà débarqués du « Darjeeling Limited »…

42 I NVITATION AU VOYAGE …
 Le lien avec le thème
En filmant le séjour des frères Whitman qui tourne au cauchemar,
le long-métrage de Wes Anderson ne propose pas uniquement
une comédie burlesque. Il s’agit en réalité d’une critique féroce du
tourisme de masse. Le cinéaste montre comment le voyage culturel
des trois frères a progressivement changé de nature. Initialement
prévu pour profiter des richesses patrimoniales de la région, le voyage
s’est progressivement réduit à une visite guidée mais bâclée des sites
les plus connus. Les voyageurs sont devenus de simples touristes.
Mais Wes Anderson va plus loin en forçant la caricature de ces trois
touristes. Il prend plaisir à les ridiculiser, comme pour montrer que
leur équipée farfelue et grotesque n’a rien à voir avec la véritable
fonction du voyage. Censée, au départ, favoriser le rétablissement
du dialogue entre les trois frères, leur expédition a échoué. Peter,
Jack et Francis sont passés à côté de l’essentiel : l’ouverture aux
autres et la joie d’échanger et de partager.

 Observez l’image du film


3e DE COUVERTURE

1. Décrivez les différentes composantes de l’affiche.


2. Quels éléments suggèrent que les personnages sont en voyage ?
3. En quoi le slogan est-il une critique du voyage des personnages ?

Visionnez le film et commentez- le !

1. Visionnez les scènes où Francis et Brendan préparent les


emplois du temps plastifiés du voyage. Comment sont-ils remis
aux deux autres frères ? Quel angle de caméra Wes Anderson
privilégie-t-il dans ces plans ?
2. Visionnez les scènes où Francis puis Brendan remettent les
emplois du temps plastifiés du voyage aux deux autres frères.
Quel angle de caméra Wes Anderson privilégie-t-il dans ces plans ?
3. Revisionnez la scène où les trois frères se font expulser du
train. Quelle est la cause de cette expulsion ? En quoi cela
compromet-il la nature même du voyage ?

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 43


P artir à l’aventure pour oublier les querelles familiales et
resserrer les liens : telle est la promesse à laquelle s’engage
Francis Whitman lorsque, au début du film À bord du Darjeeling
Limited, il présente à ses frères son projet de voyage en Inde.
Hélas, ce voyage, qui devait leur donner l’occasion d’effectuer
un séjour apaisant, tourne vite au cauchemar et se transforme
en un parcours touristique effréné. Épuisés, les frères finissent
par renoncer à poursuivre leur périple.
Mais que révèle ce glissement d’un voyage présenté comme
spirituel et culturel vers un parcours balisé comme un quel-
conque circuit touristique ? À travers cette dérive, qu’il dépeint
de manière farfelue et caricaturale, Wes Anderson ne cherche-
t-il pas à sensibiliser son public à ce qu’est devenu le voyage à
l’heure du tourisme de masse ?
Force est de reconnaître qu’au cours du XXe siècle, le voyage a
radicalement changé. Les progrès techniques ont révolutionné
la manière de voyager : les caravelles de Christophe Colomb
qui mettaient plusieurs mois à rallier les Amériques ont cédé la
place à de luxueux paquebots de croisière prenant à peine cinq
jours pour traverser l’Atlantique ; les automobiles toujours plus
rapides ont remplacé les carrosses et autres voitures à chevaux ;
les avions sillonnent incessamment le ciel vers des destinations
lointaines qui, il y a encore un siècle, paraissaient impossibles à
atteindre…
Ces progrès techniques ont été suivis d’un progrès social qui
a permis la démocratisation du voyage. Alors qu’ils étaient
jusque-là réservés à une élite seule capable d’en assumer le coût,
les voyages se sont popularisés. Le « grand tour » des aristocrates
a cédé la place à un tourisme plus accessible à mesure que les
congés payés autorisaient les vacances pour tous.
44 I NVITATION AU VOYAGE …
Cependant, une telle démocratisation soulève un certain
nombre de questions. Le tourisme de masse n’entraîne-t-il pas
un risque de standardisation dont les voyages organisés sont
souvent l’exemple parfait ? Quelle touche personnelle donner
à son récit de voyage quand, dans leur grande majorité, les
touristes suivent un parcours absolument identique ? Est-il
encore possible de ressentir du dépaysement lorsque le loin-
tain n’a jamais paru aussi proche ? Que recherche le touriste
lorsque la globalisation économique présente un monde où l’on
retrouve les mêmes enseignes et où tout est partout identique
ou presque ?
Dès lors, se pose une question centrale : le voyage a-t-il
encore un sens ? Qu’est devenue sa vocation première qui vise
la connaissance de l’autre, pour apprendre de lui, se former et
se sensibiliser à l’art et à la culture de peuples différents et loin-
tains ? Alors qu’en 2020, plus d’un milliard de personnes ont
parcouru le monde, n’est-il pas urgent de dénoncer l’inquiétant
tournant pris par le tourisme industriel ? Car, à l’évidence, ce
phénomène, aujourd’hui qualifié de « surtourisme », provoque
des conséquences néfastes sur les populations comme sur l’en-
vironnement qu’il participe à détruire écologiquement et à
déséquilibrer socialement.
Peut-on encore parler de voyage, quand à plusieurs milliers
de kilomètres de chez lui, le touriste n’a jamais été aussi replié
sur lui-même et reste essentiellement à l’écoute de ses désirs
égoïstes ? Le doute est permis…

A Une démocratisation progressive


Alors qu’il a longtemps été réservé aux classes sociales privi-
légiées, le voyage a connu au XXe siècle des bouleversements
sans précédent. Aux grandes avancées technologiques, qui ont
favorisé l’amélioration et la diversification des moyens de trans-
port, se sont ajoutées d’importantes évolutions économiques et
D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 45
sociales qui ont mené, progressivement, à une démocratisation
du voyage.
Cette démocratisation n’a pu se produire qu’à la faveur de
nombreux et longs combats politiques. C’est ce que rappelle
la journaliste Delphine Bancaud DOC 10 • p. 47 qui souligne que les
voyages se sont popularisés lorsque, en 1936, l’État a imposé aux
entreprises d’octroyer deux semaines de congés payés à leurs
travailleurs. Ces congés, dès lors profitables à l’ensemble de la
population, ont provoqué une véritable révolution sociale. Les
ouvriers et les employés ont pu à leur tour découvrir les bains
de mer, séjourner à la montagne et s’émouvoir des richesses
culturelles des lieux visités. Une « culture des vacances » s’est
installée en France, laissant à tous le droit d’envisager de partir
en vacances. Charge à chacun de voyager plus ou moins loin,
dans des conditions plus ou moins confortables, selon ses
moyens financiers.
Sous l’impulsion de ce mouvement populaire, on a assisté à
une baisse importante des prix du voyage. Les promotions
vers des destinations de rêve se sont multipliées. La naissance
des clubs de vacances, comme le célèbre Club Med DOC 11 • p. 51 ,
a consacré l’avènement d’un tourisme de masse. Les voyages
« discounts » clés en main sont apparus, suscitant immédiate-
ment un engouement populaire. Voyager loin était enfin devenu
possible.
Ce mouvement de démocratisation s’est étendu aux voyages
éducatifs que les Anglo-Saxons qualifiaient de « grand tour ».
Longtemps l’apanage d’une élite sociale, ces voyages au cours
desquels des jeunes gens ont l’opportunité de se familiariser,
durant plusieurs mois, avec la langue et les mœurs d’un pays
se vulgarisent désormais grâce au programme universitaire et
européen Erasmus. Inspiré par le penseur de la Renaissance
Érasme (1466-1536), ce programme apparaît comme le prolon-
gement des voyages à vocation humaniste auxquels aspirait en
son temps la société d’Ancien Régime. Xavier, le protagoniste
du film L’Auberge espagnole DOC 12 • p. 54 de Cédric Klapisch,
6 I NVITATION AU VOYAGE …
en fait la riche expérience. C’est en tant qu’« étudiant Erasmus »
qu’il part vivre durant une année en Espagne. Le jeune homme,
égoïste et peu tolérant à son arrivée, découvre la vie en commu-
nauté et s’enrichit humainement et culturellement au contact de
ses colocataires issus de différents pays d’Europe.
Désormais, voyager loin et se former au contact des autres
est enfin devenu un rêve abordable, notamment pour les classes
moyennes.

DOC 10
DELPHINE BANCAUD
« Histoire de congés : qu’ont fait
lessalariés avec leurs premiers congés
payés en1936 ? » (2018)
Madonna, Holiday, 1983

10

Cet article du quotidien gratuit 20 Minutes, signé par Delphine Bancaud,


journaliste en charge des questions de société, revient sur une étape décisive
en France de la démocratisation des voyages : les congés payés. Institués en
1936 par le Front populaire, coalition gouvernementale de gauche, les congés
payés ont constitué un bouleversement profond dans la société française
en permettant aux familles modestes ou populaires de partir en vacances.
Le voyage n’est plus réservé aux classes privilégiées et devient un loisir acces-
sible au plus grand nombre.

[ Les congés payés, outil de la démocratisation ]

C’est une révolution sociétale1 et culturelle qui a changé la rela-


tion des Français au travail et aux loisirs. Via la loi du 20 juin 1936
qui leur a octroyé deux semaines de congés payés, les ouvriers
acquièrent un droit dont dispose déjà d’autres catégories de
5 travailleurs comme les fonctionnaires de l’État, les employés

1.Sociétale : sociale.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 47


des compagnies ferroviaires et du métro… « Ces nouveaux droits
sociaux ont été accueillis par une explosion de joie », explique
Jean Viard, sociologue, directeur de recherche associé au
Cevipof/CNRS, spécialiste des temps sociaux. « Le Front popu-
10 laire1 a arraché au patronat ces congés payés, ce qui a été fêté
avec exaltation2 dans le pays », confirme André Rauch, professeur
à l’université de Strasbourg et spécialiste de l’histoire culturelle.
Un bouleversement auquel ne s’attendaient pas les principaux
intéressés, comme le souligne André Rauch : « Certains ouvriers n’y
15 croyaient pas et les congés étant fixés du 1er au 15 août, beaucoup
n’ont pas eu le temps de s’organiser. D’autant que pour partir, il
faut une culture du voyage et de l’argent ». Du coup, beaucoup
d’ouvriers ont privilégié le tourisme de proximité. « Les Franciliens3
ont fait des excursions sur les bords de Marne ou de Seine. Dans
20 certaines régions, des processions4 dans les montagnes ont été
organisées pour occuper le temps libre de ces nouveaux vacan-
ciers », note Jean Viard. « Certains ont fait de longues balades à
vélo avec pique-nique à la clé, d’autres du camping improvisé ou
sont restés chez eux pour faire des travaux dans leur maison. Et
25 d’autres encore sont retournés dans leur village de naissance à
la campagne », complète André Rauch. « La première destination
pour ceux qui partent à l’époque c’est la famille, à la ferme. Mais
le rêve des ouvriers, c’était d’aller à la mer », complète Jean Viard.

La presse insiste sur les vertus thérapeutiques des vacances


30 La presse de l’époque souligne ce retour à la nature, comme
Le Petit journal du 16 août 1936 : « Je devine ces vendeuses, ces
employés ; tout ce prolétariat5 rendu à l’espoir et qui peut enfin,
de dessus la falaise, le coteau, la digue, chercher sur des horizons

1.Front populaire : rassemblement 3.Franciliens : résidents


des forces de gauche qui, de l’Île-de-France.
en1936, enréunissant socialistes, 4.Processions : importants groupes
communistes et radicaux, de personnes qui se présentent
accéda au pouvoir. dansun lieu à intervalles réguliers.
2.Exaltation : grande joie. 5.Prolétariat : classe ouvrière.

48 I NVITATION AU VOYAGE …
nouveaux l’éveil de ses destinées ». Et le retour des ex-ruraux
35 chez eux se traduit par une certaine affluence en gare, comme
le souligne Le Matin, le 17 août 1936 : « sur les grandes lignes
certains trains avaient été doublés, triplés, même dans plusieurs
cas ».
La presse exalte aussi les bénéfices de ces premiers congés
40 payés. En septembre 1936, L’Écho de Paris vante ainsi les vertus
de ces vacances sur la santé physique et morale des salariés en
soulignant « l’amélioration de l’état général que procurent les
vacances ». « C’est surtout chez les enfants que ces effets sont frap-
pants. En quelques jours, parfois sans changement notable dans
45 leur régime, par le seul fait de l’existence au grand air et d’une vie
où comme disait la chanson “c’est tous les jours dimanche”, ces
teints pâles se colorent, l’appétit devient formidable le sommeil
excellent et il y a non seulement accroissance du poids1, mais
même de la taille », décrit avec emphase2 le journaliste. « Il faut
50 se rappeler qu’en 1936, la tuberculose3 sévit en France. D’où l’im-
portante littérature4 qui vante les vertus de l’air pur », commente
André Rauch.

« Certains ont découvert la mer, d’autres ont vu le Mont Blanc »


Mais c’est surtout en 1937 que les départs s’accélèrent, notam-
55 ment sous l’impulsion de la mise en place du billet populaire de
congé annuel à tarif réduit. Plusieurs journaux de l’époque relatent
très bien ce phénomène, à l’instar de La Croix, en octobre 1937
qui explique que les congés payés « ont rapproché de leur famille
et de leur origine » des travailleurs, mais leur ont permis aussi de
60 découvrir des régions avec leurs richesses culturelles : « Il n’est
certainement pas niable que beaucoup de Français d’origine très
populaire, profitent maintenant des vacances pour chercher
à s’instruire », écrit le journaliste. Idem pour Le Matin qui en
1.Accroissance du poids : 3.Tuberculose : maladie infectieuse
prise de poids. respiratoire qui, alors, est très
2.Avec emphase : en insistant virulente en Europe.
trèsfortement. 4.Littérature : tous les textes.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 49


août 1937 décrit le retour de certains vacanciers : « certains ont
65 découvert la mer, d’autres ont vu le Mont-Blanc ».
Cette démocratisation du tourisme n’a d’ailleurs pas plu à tous
les Français : « Jusqu’alors le tourisme était une prolongation du
salon des élites. Ces dernières ont très mal vécu l’instauration des
congés payés et l’arrivée des classes populaires dans leurs lieux
70 de villégiature1 », insiste Jean Viard. Mais si différents milieux
sociaux sont présents aux mêmes endroits, ils ne se fréquentent
pas pour autant.

« Je n’avais pas besoin d’aller dans un palace pour être mieux »


Peu à peu une culture des vacances se met en place en
75 France : « Les congés sont considérés comme une récompense
de fin d’année. Ils sont fortement attendus et les familles vont
apprendre à économiser pour en profiter vraiment », explique
André Rauch.
Les articles se multiplient sur les retours de vacances, comme
80 celui paru dans Le Matin en 1937 : « Les usines Renault ont été
subitement tirées du sommeil dans lequel elles étaient plon-
gées depuis 15 jours », relate le journaliste. Un retour à la réalité
somme toute douloureux pour les travailleurs, mais qui est
atténué par le plaisir de se raconter ses vacances « devant le
85 zinc2 et l’apéro glacé », décrit le journaliste. « Je n’ai rien fait
de la journée, je n’avais pas besoin d’aller dans un palace pour
être mieux », indique un ouvrier. « On est bien reposé. Alors on
se sent d’attaque », confie aussi un ajusteur. « Avoir un récit de
vacances devient peu à peu au moins aussi important que les
90 vivre », André Rauch.
« Histoire de congés : qu’ont fait les salariés
avec leurs premiers congés payés en 1936 ? », © 20minutes.fr, août 2018 

1.Lieux de villégiature : 2.Le zinc : le bar d’un café.


lieux de vacances.

50 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. L.1-12 : pourquoi les congés payés sont-ils apparus d’em-
blée pour les Français comme « une révolution sociétale et
culturelle » ?
2. L.66-72 : pour quelle raison cette démocratisation des
voyages par les congés payés « n’a pas plu à tous les Français » ?
3. L.74-90 : comment se met en place, grâce aux congés
payés, ce que l’historien André Rauch nomme « une culture
des vacances » ?

DOC11
CHARLOTTE BARRIQUAND
« Buffets à volonté, tables communes…
Comment le Club Med a révolutionné
letourisme » (2021)
Las Ketchup,
The Ketchup Song(Asejeré), 2002 11

Dans cet article du site de la radio Europe 1, la journaliste Charlotte Barriquand


retrace l’histoire du succès d’une entreprise française qui a bouleversé le
tourisme : le Club Med. Immédiatement après la fin de la Seconde Guerre
mondiale, deux industriels imaginent des villages de vacances situés dans
des destinations de rêve, enfin accessibles aux classes moyennes. Les séjours
du Club Med reposent sur des formules prépayées, à bas prix, comprenant
l’hébergement et diverses activités. C’est la naissance du tourisme de masse.

[ L’avènement du tourisme de masse ]

La création des villages de vacances du Club Med a révo-


lutionné le monde du tourisme après la Seconde Guerre
mondiale. Puis, au début des années 2000, le concept a été
réinventé sous l’impulsion d’Henri Giscard d’Estaing, qui en
5 a fait un groupe haut de gamme. […]
D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 51
DÉCRYPTAGE
Ses villages de vacances sont connus dans le monde entier. L’an
dernier1, le Club Med a fêté ses 70 ans, mais aussi l’avènement2
d’une toute autre façon de voyager. Car depuis sa création en
10 1950, ce concept a révolutionné les vacances des Français avec la
naissance du « all inclusive3 », des tables communes et des séances
de sport collectives. […]

Un vent de liberté après 1945


C’est sur un terrain sans eau ni électricité que commence
15 l’aventure du Club Med. Nous sommes en 1950 et 200 tentes
et du matériel de cuisine sont installés pour préparer l’arrivée
des premiers clients au nord de l’île de Majorque4. L’objectif est
alors de proposer des vacances pas comme les autres, de créer un
vent de liberté juste après la guerre. À l’origine du projet, il y a
20 un homme, Gérard Blitz, qui voulait révolutionner le monde du
tourisme, comme l’explique Jean-Jacques Manceau, journaliste
et écrivain, auteur de livres sur l’histoire du Club Med.
« On sort d’une période de confinement forcé avec la Seconde
Guerre mondiale, qui a duré quatre ans et qui a été terrible, et il
25 y a une envie de bonheur, une envie de mordre la vie à pleines
dents. Et lui arrive à ce moment-là et invente un concept de
vacances où l’on ne parle plus d’argent, où l’on se rassemble
pour aller quelque part et partager un moment de convivialité.
On supprime la circulation de l’argent, que l’on remplace par les
30 fameuses boules rouges et on recrée un monde un peu à part »,
raconte le spécialiste.

La naissance du « all inclusive »


Buffets à volonté, tables communes, soirées partagées, sports
collectifs… Plus de deux mille clients sont présents à l’ouverture

1.En 2020. 4.Majorque : île espagnole dans


2.L’avènement : le succès. l’archipel méditerranéen des Baléares,
3.« All inclusive » : tout compris. réputée pour son excellent climat.

52 I NVITATION AU VOYAGE …
35 du premier club. Un succès qui donne naissance au concept du
« all inclusive », le tout inclus. Et le principe marche tellement
bien qu’un deuxième club ouvre ses portes en Italie l’année
suivante. Gérard Blitz a alors envie d’innover.
« Il se dit que pour continuer à se développer, il doit mettre
40 la main sur des campements qui puissent se monter et se
démonter. On lui donne alors un annuaire des différents indus-
triels qui fabriquent des tentes et c’est là que la rencontre se fait
avec Trigano. Et la compagnie lui semble encore plus sympa-
thique que c’est une histoire de famille », poursuit Jean-Jacques
45 Monceau.
Et justement, Gilbert Trigano joue un rôle crucial dans le
développement du Club Med dès les années 60 : campements
de qualité, création du mini-club, arrivée des fameux G.O., les
gentils organisateurs, ainsi que des G.M., les gentils membres…
50 Pendant 20 ans, c’est un succès et des Club Med se construisent
partout en France et à l’étranger.

Un concept moqué dans les années 1980


Mais dans les années 1980, le concept s’essouffle et est genti-
ment moqué. « Finalement, on finit par arriver à la caricature
55 du Club Med avec la sortie du film Les Bronzés1 en 1978. Et à
ce moment-là, on voit bien qu’il est associé aux cadres parisiens
beaufs, qui viennent se faire plaisir et où ne parle plus que d’his-
toires de fesses. Tout le concept est un peu galvaudé2 », poursuit
l’écrivain.
60 Et celui qui va essayer d’effacer complètement cette image,
c’est Henri Giscard d’Estaing, qui prend la tête du Club Med
en 2001 et décide de le rendre très haut de gamme. En 2015,
le groupe est racheté par l’entreprise chinoise Fosun, ce qui lui
permet de se développer et de prendre un nouvel essor. Si bien

1.Les Bronzés : comédie de Patrice 2.Galvaudé : usé.


Leconte qui, avec la troupe du Splendid,
parodie un été en club de vacances.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 53


65 qu’aujourd’hui, on trouve 70clubs à travers le monde. Si depuis
la crise du Covid, le Club Med affiche une baisse de 58 % de
son chiffre d’affaires, il prévoit toujours d’ouvrir 16 nouveaux
complexes d’ici 2023.
« Buffets à volonté, tables communes…
Comment le Club Med a révolutionné le tourisme », © europe1.fr, avril 2021 

3 questions pour vous guider...


1. En quoi le Club Med propose-t-il des « vacances pas comme
les autres » (l.18) ?
2. L.32-51 : qu’est-ce que le « all inclusive » ? Pourquoi ce
concept rend-il les Clubs Med si populaires ? Quels sont les
avantages de cette formule ? Quelles en sont les dérives ?
3. Pour quelles raisons, dans les années 1980, le concept du
Club Med est-il « un peu galvaudé » (l.58) ?

DOC 12
CÉDRIC KLAPISCH
L’Auberge espagnole (2002)
Sonia & Selena, Que viva la noche, 2001

12

[ Le programme Erasmus :
démocratisation du « grand tour » ? ]

Dans L’Auberge espagnole CAHIER PHOTOS • p. III , le cinéaste français Cédric


Klapish (né en 1961) présente l’histoire de Xavier (Romain Duris) qui, pour
être engagé au ministère des Finances, cherche à se perfectionner en langue
étrangère. À l’instar des jeunes bourgeois du siècle dernier, il décide de partir
vivre une année entière en Espagne pour accomplir ce voyage formateur.
Afin de réduire ses dépenses, l’étudiant choisit de s’installer à Barcelone via le
programme européen Erasmus. Il se retrouve alors dans un vaste appartement
qu’il partage avec d’autres étudiants européens. Comme lui, ils bénéficient
de la bourse de ce programme qui facilite les échanges entre universités.

54 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. Quelles sont les différentes composantes de l’image ?
2. Quels éléments montrent qu’il s’agit de jeunes étudiants ?
3. En quoi le décor renseigne-t-il sur le niveau de vie de ces
étudiants vivant en communauté ?

B Vers un risque de standardisation


En ce début de XXIe siècle, voyager ne présente plus grande
difficulté. Pour se rendre dans un pays voisin comme à l’autre
bout du monde, il est désormais possible, en quelques clics, de
réserver depuis son canapé une place en avion ou en train comme
une chambre d’hôtel. Pour organiser un circuit plus complexe,
nombreux sont ceux qui ont encore recours aux agences de
voyages qui prennent tout en main. On est loin des longs
préparatifs auxquels étaient contraints de se livrer les explora-
teurs, Christophe Colomb, Vasco de Gama ou encore Magellan,
avant de se lancer à la découverte de territoires inconnus. Car
de nos jours, le frisson de l’aventure exploratrice, incertaine et
souvent dangereuse, a cédé la place aux gages de sécurité que
fait espérer une organisation standardisée du voyage.
De fait, aujourd’hui, les touristes sillonnent le monde selon des
itinéraires prédéfinis, ce qui contribue à uniformiser le monde
dont ils ne voient plus les particularités. Parfaite illustration de
cette standardisation : les récits de voyage qui décrivent les
mêmes lieux et manquent d’originalité lorsqu’ils ne sont pas tout
simplement ennuyeux. Considérant que rien n’est aujourd’hui
plus prévisible qu’un récit de voyage, Matthias Debureaux
DOC 13 • p. 56 dénonce sur un ton satirique cette banalisation de

l’expérience du touriste.
Que l’on soit à Paris, New York, Bombay, Tokyo ou encore
Bali, le touriste peut retrouver les mêmes enseignes commer-
ciales. En témoigne l’étonnante présence de la chaîne de pizzas
D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 5
américaine, Pizza Hut, au pied des pyramides de Gizeh en Égypte
DOC 14 • p. 59 . Au lieu de valoriser le patrimoine culturel des lieux

visités, de nombreux professionnels du tourisme obéissent à une


logique de globalisation qui fait du tourisme un simple produit
de consommation.
Alors que l’industrie touristique représentait en 2019, avec un
flux d’1,4 milliard de voyageurs et 300 millions d’employés dans le
monde la première industrie du monde, le tourisme industriel ne
constitue plus, selon le voyagiste Éric La Bonnardière DOC 15 • p. 60 ,
une ressource permettant de « s’ouvrir, de rencontrer, de
connaître le monde ». S’il reconnaît que la prise de conscience
des méfaits du tourisme grandit, le voyagiste déplore que les
solutions tardent à se mettre en place.
Toutefois, ce cri d’alarme d’un professionnel du tourisme suffira-
t-il à préserver le monde du danger que représente aujourd’hui la
massification du tourisme ? Comment est-on passé, en quelques
décennies, de la démocratisation du tourisme à sa standardisation ?

DOC 13
MATTHIAS DEBUREAUX
De l’art d’ennuyer en racontant
sesvoyages (2015)
Courtney Marie Andrews,
 Songs for Tourists, 2011 13

Dans son livre De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages, Matthias


Debureaux (né en 1970) tire un bilan, sévère mais satirique, du tourisme
de masse. Pour l’essayiste, le nombre toujours plus important de touristes
à travers le monde a profondément dénaturé le voyage qui ne constitue
désormais plus une expérience singulière.
C’est ce dont témoignent les récits de voyage qui, en dépit des destinations
variées et lointaines, ont tous tendance à se ressembler et donc à ennuyer.
Ainsi, même s’ils se prennent encore pour des aventuriers, les touristes ne font
plus illusion : ils évoluent dans un monde qu’ils ont contribué à standardiser.

56 I NVITATION AU VOYAGE …
[ La banalisation de l’expérience du touriste ]

Voyager n’est plus exactement un privilège ou un acte


héroïque. Mais il est toujours1 un micro quelque part pour
recueillir les bouffées d’horizon d’un saute-ruisseau multi-
poche2. Overdose à la scène comme à la ville, cela donne lieu à
5 d’impressionnants numéros de bravade et de cuistrerie3. Du
jeune couple ayant détourné sa liste de mariage pour faire le tour
du monde au Pancho Villa4 de la salsa à tee-shirt sans manches,
chantant son baroud5 sud-américain, le martyre du récit de
voyage déploie une palette infinie. Le nouveau jeu consiste à
10 s’inventer un brillant alibi pour ne plus faire figure de touriste.
Le faux explorateur se mirant dans ses plumes est finalement
bien plus redoutable que le véritable touriste au profil bas.
Mais selon l’humoriste Edward Dahlberg6, la condition de ces
trotte-menu7 ne serait-elle pas identique ? « Quand quelqu’un
15 se rend compte que sa vie ne vaut rien, soit il se suicide, soit il
voyage. »
Les naïfs accolent souvent au voyage la bienheureuse
trinité « tolérance-curiosité-ouverture d’esprit ». Jules Renard8
souligne que les voyageurs ont changé de place, non d’idées.
20 Quant au voyageur qui, lui, avouait partir pour se changer
les idées, l’écrivain répliquait mielleusement9 : « lesquelles ? »
Au chapitre des « rencontres magiques » et des « moments de
grâce », des anecdotes souffrent parfois du rapprochement.
Interrogé sur sa plus belle rencontre, Philippe Gloaguen, le

1.Il est toujours : il y a toujours. 6.Edward Dahlberg (1900-1977) :


2.Un saute-ruisseau multipoche : écrivain et humoriste américain.
un jeune homme inexpérimenté vêtu 7.Trotte-menu : qui se déplace
d’une veste de grand voyageur. àtrès petits pas.
3.De bravade et de cuistrerie : 8.Jules Renard (1864-1910) :
defanfaronnades et de grossièretés. écrivain français connu pour ses traits
4.Pancho Villa (1878-1923) : d’esprit.
grande figure de la révolution 9.Mielleusement : d’un ton
mexicaine. faussement chaleureux.
5.Baroud : combat.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 57


25 fondateur du Guide du Routard1, s’est souvenu avoir été pris
en auto-stop, dans les années soixante, par Brian Epstein, le
manager des Beatles. Soit. À la même question, une jeune colla-
boratrice du même guide se rappelle avec émotion avoir pris
en stop un policier jordanien2 et de conclure : « Une grande
30 expérience ! »
Il y a mille ans, on frétillait d’empressement au retour du
chevalier. Aujourd’hui, on débranche son téléphone. Rien n’est
finalement plus prévisible qu’un récit de voyage. Quelques leçons
suffisent pour apprendre à mettre au supplice ses amis et connais-
35 sances. Bienvenue à bord de la navette du poncif operator3. Voici le
petit manuel du parfait exploraseur. Ou comment passer maître
dans l’art d’appliquer avec douceur le bâillon chloroformé de ses
aventures.
De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages, © Éditions Allary, 2015 

3 questions pour vous guider...


1. L.4-9 : pourquoi Matthias Debureaux parle-t-il d’une « over-
dose » de récits de voyage ?
2. L.13-23 : relevez la phrase de l’écrivain Jules Renard, citée
par Matthias Debureaux : comment interprétez-vous cette
réflexion ?
3. Expliquez cette phrase : « Rien n’est finalement plus prévi-
sible qu’un récit de voyage. » (l.32-33).

1.Le Guide du Routard : collection 3.Poncif operator : jeu de mots


de guides de voyage connus sur « poncif » qui signifie « cliché » et
pour recommander des lieux « operator » qui renvoie à l’expression
devillégiature à bas prix. tour operator qui signifie « agence de
2.Jordanien : résidant en Jordanie, voyages ». L’auteur suggère que les
au Moyen Orient. agences de voyages ne proposent
plus que des voyages clichéiques.

58 I NVITATION AU VOYAGE …
DOC14
GARY COOK
Pizza Hut aux pyramides de Gizeh,
LeCaire, Égypte
Combination Pizza Hut
Das Racist,
and Taco BellRemix, 2010 14

[ Retrouver partout la même chose ]

Fondée en 1958, la chaîne de restauration américaine Pizza Hut s’est déve-


loppée à l’échelle mondiale en multipliant les enseignes dans les grandes
villes ainsi que sur les sites touristiques les plus visités. Proposant d’un pays
à l’autre les mêmes pizzas, le restaurant doit son succès à ses menus standar-
disés qui permettent aux touristes de ne pas être dépaysés.
C’est notamment le cas au Caire en Égypte, où, en face des ancestrales
pyramides de Gizeh, au début des années 1990, s’est ouvert un désormais
célèbre restaurant Pizza Hut CAHIER PHOTOS • p. IV , fréquenté par des touristes
avides de retrouver, à l’autre bout du monde, les mêmes plats que chez eux.

3 questions pour vous guider...


1. Décrivez les différentes composantes de l’image.
2. Observez le cadrage du logo « Pizza Hut » : que cherche
à montrer le photographe à travers cet angle de prise de
vue ?
3. Quel contraste cette photographie met-elle en évidence ?
Quel message livre-t-elle ?

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 59


DOC 15
ÉRIC LA BONNARDIÈRE
« Nous avons trahi la promesse duvoyage
en confondant démocratisation
etuniformisation » (2019)
Drake, Flight’s Booked, 2022

15

Dans cette tribune qu’il signe pour le quotidien Le Monde, Éric La Bonnardière,
professionnel des voyages en ligne, déplore une massification du tourisme
qui prend désormais des proportions industrielles. Si, grâce à la baisse des
prix qui les a rendus abordables, les voyages se sont en effet multipliés, cette
démocratisation a pour revers la standardisation des lieux visités.
Obéissant à une logique économique de globalisation, ce tourisme uniformise
les sites en délaissant l’artisanat local au profit d’enseignes mondialement
connues. Le tourisme transforme donc le voyage et les lieux visités en banals
objets de consommation qu’il finit par dégrader.

[ L’uniformisation des voyages ]

Le voyagiste1 Éric La Bonnardière estime dans une tribune


au « Monde » qu’il faut réinventer d’urgence le modèle du
voyage, même si désormais la prise de conscience des impacts
négatifs du tourisme de masse est acquise.
5 Depuis quand n’avons-nous pas fondamentalement innové
dans le tourisme ? Nous ne pouvons que constater que le secteur
du tourisme international est en retard sur la prise de conscience
de son impact, en comparaison à d’autres industries. L’annonce
d’une écotaxe2 sur les billets d’avion divise. Des voix s’élèvent pour
10 ou contre cette mesure. Cette décision me semble révélatrice de
la fin du statu quo3, chaque acteur économique dans son secteur
d’activités doit prendre ses responsabilités.
1.Voyagiste : professionnel 2.Écotaxe : taxe dont les recettes
dutourisme chargé d’organiser visent à réparer les dommages
desvoyages. écologiques causés par la pollution.
3.Statu quo : état actuel des choses.

60 I NVITATION AU VOYAGE …
Au-delà de la question d’une écotaxe, quelles sont les respon-
sabilités du tourisme ? Je suis convaincu que c’est le modèle
15 même qu’il faut réinventer. La prise de conscience des impacts
négatifs du tourisme de masse est aujourd’hui acquise. Mais
quand l’industrie prendra-t-elle le risque de modifier en profon-
deur son comportement ?
Le tourisme représente 10 % du produit intérieur brut
20 mondial, ce qui en fait la première industrie du monde. Près
de 300 millions d’emplois sont liés au tourisme, faisant d’un
employé sur dix un employé du secteur touristique. Dans le
même temps, le tourisme est soumis à des logiques de globalisa-
tion, d’optimisation1 et de standardisation qui l’ont transformé
25 bien souvent en simple produit de consommation.

Le voyage est une ressource


Cependant, je crois que le voyage est bien plus qu’un simple
produit de consommation, c’est une ressource. Le voyage permet
de s’ouvrir, de rencontrer, de connaître le monde. Il participe
30 aussi à la réduction du nombre de conflits, c’est la raison pour
laquelle il faut le préserver dans les meilleures conditions. Si
une prise de conscience globale s’est installée ces dernières
années sur certains effets négatifs du tourisme de masse, les
solutions, au-delà des mesures restrictives prises par certaines
35 villes, tardent à émerger.
Aujourd’hui, l’industrie du tourisme est en train de scier la
branche sur laquelle elle est assise. Il y a 1,4 milliard de touristes
internationaux dans le monde, selon les chiffres de l’Organisa-
tion mondiale du tourisme des Nations unies (janvier 2019).
40 D’ici à dix ans, ils seront 400 millions de plus. Mais est-ce
tenable si 46 % d’entre eux, comme c’est le cas aujourd’hui, se
concentrent dans seulement dix pays ?
Car l’industrie du tourisme endommage, transforme, et ne
valorise plus. Si l’une des questions est de savoir qui du voyageur

1.Optimisation : recherche de rentabilité.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 61


45 ou du local doit être façonné pour vivre l’expérience, le réel
enjeu reste la préservation des destinations et des cultures.
Les dommages, ce sont par exemple les temples d’Angkor,
au Cambodge, où l’on demande aux populations locales de
s’adapter à l’afflux considérable de touristes : les marchands des
50 petits stands informels doivent cesser leur activité au profit de
magasins physiques répondant à la demande standardisée de
ce tourisme de masse, au détriment des communautés locales.
Les populations subissent des dommages dans le but
d’accueillir toujours plus d’infrastructures, vidant ainsi les desti-
55 nations de leur culture qui font leur richesse et l’origine de leur
attrait touristique. Et tout cela sans nécessairement bénéficier
financièrement aux communautés locales. En Thaïlande, 70 %
des revenus issus du tourisme repartent à l’étranger, car les
hôtels par exemple sont détenus en majorité par des structures
60 internationales.

Les changements indispensables pour un autre voyage


En parallèle de ces enjeux sociaux et culturels, la massification
du tourisme a également un impact environnemental signifi-
catif. Certains territoires sont sous pression. Dans notre course
65 au gigantisme1, nous avons formaté les voyages.
Nous avons trahi la promesse du voyage en confondant
démocratisation et uniformisation. Face à ce constat, trois
changements importants doivent être menés par nous, les
professionnels du tourisme.
70 Tout d’abord, nous devons stopper l’hémorragie ! Il faut
évaluer, compenser, et prendre les dispositions à la hauteur de
nos activités. En tant qu’acteur du tourisme, nous devons rendre
nulle l’empreinte carbone2 de nos voyageurs, de l’arrivée dans
le pays d’accueil au départ de celui-ci et les inciter activement

1.Gigantisme : démesure. laproduction de gaz à effet


2.Empreinte carbone : indicateur deserre relâché dans l’atmosphère
qui mesure pour chaque individu paractivité.

62 I NVITATION AU VOYAGE …
75 à compenser leur trajet directement auprès des compagnies
aériennes.
La deuxième étape pour faire évoluer durablement le
tourisme est celle qui redonne de la voix aux acteurs locaux, bien
souvent dissimulés derrière les intermédiaires. Redonnons-leur
80 le pouvoir, car c’est à l’échelle locale que se construit la proposi-
tion touristique. Battons-nous pour que le voyage « local made1 »
devienne la norme des voyages de qualité. Il est nécessaire d’in-
venter de nouveaux modèles de gouvernance2 des entreprises
du tourisme afin d’intégrer pleinement les acteurs locaux aux
85 prises de décisions qui les impliquent.
Enfin, le troisième changement est celui qui nous invite à
faire preuve de transparence. Faisons le choix de donner toutes
les clés aux voyageurs de demain afin qu’ils décident en pleine
conscience. Chacun devrait connaître le risque de surtourisme
90 de sa prochaine destination et se voir suggérer des solutions de
rechange. De plus, si la curiosité des voyageurs s’éveille avec un
accès facilité aux richesses de notre planète, cela conduira à des
flux de touristes mieux répartis sur les territoires.
Un tel projet ne peut être que collectif et doit pouvoir
95 s’appuyer sur tout le potentiel offert par le numérique. Ces enga-
gements à innover dans une perspective de tourisme durable
doivent être le combat du siècle pour les opérateurs du tourisme.
J’en suis convaincu et j’en ai fait personnellement mon leitmotiv
depuis dix ans. Il y a urgence à refonder le tourisme, urgence à
100 s’extraire d’un modèle qui multiplie les effets négatifs pour ceux
qui voyagent et pour ceux qui accueillent.
« Nous avons trahi la promesse du voyage en confondant démocratisation
etuniformisation », © lemonde.fr, juillet 2019 

1.« Local made » : en anglais signifie 2.Gouvernance : direction


« fabriqué localement ». d’uneentreprise.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 63


3 questions pour vous guider...
1. L.19-25 : pour quelles raisons Éric La Bonnardière soutient-il
que, de nos jours, le tourisme est devenu un « simple produit
de consommation » (l.25) ?
2. L.43-52 : pourquoi affirme-t-il que, désormais, « l’industrie
du tourisme endommage, transforme, et ne valorise plus »
(l.43-44) ?
3. L.70-93 : quelles sont les trois étapes nécessaires pour sortir
du tourisme de masse ?

C Les dangers du tourisme


À l’heure où le tourisme s’est mué en une florissante activité
industrielle, le voyageur est-il encore motivé par le besoin de
découvrir le monde ? Peut-on encore qualifier de voyageur celui
qui part à l’autre bout du monde sans se préoccuper de ce qui
se passe autour de lui afin d’en témoigner honnêtement à son
retour ?
C’est la question que se posait déjà, en 1955, l’ethnologue
Claude Lévi-Strauss DOC 16 • p. 66 lorsque, dans son célèbre
ouvrage Tristes Tropiques, il déclarait sans détour : « Je hais les
voyages et les explorateurs. » Derrière ce propos polémique
d’un scientifique qui passa sa vie à sillonner le monde, perce
une violente critique de ces « explorateurs » qui se conten-
taient trop souvent de rapporter des « détails insipides » et des
« événements insignifiants » au lieu de témoigner comme tout
chercheur « honnête », au terme d’années studieuses, de « faits
restés inconnus ».
Outre la perte de sens du voyage dénoncée en son temps
par l’ethnologue, force est de constater les effets négatifs du
tourisme de masse qualifié par la journaliste Violaine Ballivy de
« surtourisme » DOC 17 • p. 69 .

4 I NVITATION AU VOYAGE …
Face à l’afflux de visiteurs, les vols aériens se multiplient
provoquant toujours plus de pollution. Peu importent les
dégâts causés sur le plan environnemental comme sur les
plans humain et social, la rentabilité économique prime dans
certains pays où l’activité touristique est privilégiée au détri-
ment des besoins essentiels des populations locales. Ainsi aux
Philippines, les habitants subissent des coupures d’eau pour
que les touristes puissent jouir à leur guise de l’eau courante.
Cet individualisme du touriste, qui ne se préoccupe que
de son bien-être, est symbolisé par la pratique anarchique
du selfie par des touristes qui se prennent en photo, parfois
au risque de provoquer des accidents, devant les monuments
historiques. Il s’agit moins pour les plus narcissiques de garder
trace du site visité que de témoigner sur les réseaux sociaux
de leur présence à tel ou tel endroit couru dans le monde. Le
selfie pris sur une plage de Thaïlande par cette mère de famille,
indifférente à ce qui se passe autour d’elle, en est la parfaite
illustration DOC 18 • p. 73 .
Les critiques dont fait l’objet le touriste, accusé d’avoir
renoncé au sens premier du voyage et d’endommager
voire de détruire les lieux qu’il visite, sont de plus en plus
nombreuses. Autant que les critiques dénonçant les dérives
de l’industrie touristique. Toutefois, le philosophe Michaël
Fœssel DOC 19 • p. 74 nous engage à aller plus loin. À force de
vouloir attirer les touristes, de nombreux pays européens se
sont transformés en « musées ». Or pour le philosophe, cette
« muséification de l’Europe » est politiquement douteuse :
elle fonctionne comme une « machine à promouvoir l’identité
nationale » et le nationalisme.
Alors que l’invitation au voyage est censée mener vers
l’autre, la glorification du passé encourage au repli sur soi.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 6


DOC 16
CLAUDE LÉVI-STRAUSS
Tristes Tropiques (1955)
Thegiornalisti, Riccione, 2017

16

Dans Tristes Tropiques, Claude Lévi-Strauss (1908-2009) retrace l’essentiel


des expéditions qui l’ont conduit du Brésil jusqu’à l’Inde en passant par le
Moyen Orient pour ses études sur des peuples primitifs. Cependant, dès le
début de cet essai nourri de réflexions sur sa pratique d’ethnologue, l’auteur
condamne la mode d’alors pour les récits de voyage.
Pour Lévi-Strauss, ces récits, qui se perdent en détails et en anecdotes sans
intérêt, témoignent de la perte de sens du voyage à l’heure où, dans les
années 1950, le tourisme de masse commence à se développer.

[ La perte de sens du voyage ]

Je hais les voyages et les explorateurs. Et voici que je m’ap-


prête à raconter mes expéditions. Mais que de temps pour m’y
résoudre ! Quinze ans ont passé depuis que j’ai quitté pour la
dernière fois le Brésil et, pendant toutes ces années, j’ai souvent
5 projeté d’entreprendre ce livre ; chaque fois, une sorte de honte
et de dégoût m’en ont empêché. Eh quoi ? Faut-il narrer par le
menu tant de détails insipides1, d’événements insignifiants ?
L’aventure n’a pas de place dans la profession d’ethnographe2 ;
elle en est seulement une servitude3, elle pèse sur le travail effi-
10 cace du poids des semaines ou des mois perdus en chemin ; des
heures oisives4 pendant que l’informateur5 se dérobe ; de la faim,
de la fatigue, parfois de la maladie ; et toujours, de ces mille
corvées qui rongent les jours en pure perte et réduisent la vie
dangereuse au cœur de la forêt vierge à une imitation du service
15 militaire… Qu’il faille tant d’efforts, et de vaines dépenses pour

1.Insipides : sans intérêt. 3.Servitude : obligation.


2.Ethnographe : spécialiste 4.Oisives : non-travaillées.
deterrain des cultures et des mœurs 5.L’informateur : le guide.
de populations déterminées.

66 I NVITATION AU VOYAGE …
atteindre l’objet de nos études ne confère aucun prix à ce qu’il
faudrait plutôt considérer comme l’aspect négatif de notre
métier. Les vérités que nous allons chercher si loin n’ont de
valeur que dépouillées de cette gangue1. On peut, certes, consa-
20 crer six mois de voyage, de privations et d’écœurante lassitude à
la collecte (qui prendra quelques jours, parfois quelques heures)
d’un mythe inédit, d’une règle de mariage nouvelle, d’une liste
complète de noms claniques2, mais cette scorie3 de la mémoire :
« À 5 h 30 du matin, nous entrions en rade de Recife4 tandis que
25 piaillaient les mouettes et qu’une flottille de marchands de fruits
exotiques se pressait le long de la coque », un si pauvre souvenir
mérite-t-il que je lève la plume pour le fixer ?
Pourtant, ce genre de récit rencontre une faveur5 qui reste
pour moi inexplicable. L’Amazonie, le Tibet et l’Afrique enva-
30 hissent les boutiques sous forme de livres de voyage, comptes
rendus d’expédition et albums de photographies où le souci
de l’effet6 domine trop pour que le lecteur puisse apprécier la
valeur du témoignage qu’on apporte. Loin que son esprit critique
s’éveille, il demande toujours davantage de cette pâture7, il en
35 engloutit des quantités prodigieuses. C’est un métier, main-
tenant, que d’être explorateur ; métier qui consiste, non pas,
comme on pourrait le croire, à découvrir au terme d’années
studieuses des faits restés inconnus, mais à parcourir un nombre
élevé de kilomètres et à rassembler des projections fixes ou
40 animées, de préférence en couleurs, grâce à quoi on remplira une
salle, plusieurs jours de suite, d’une foule d’auditeurs auxquels
des platitudes et des banalités sembleront miraculeusement
transmutées en révélations pour la seule raison qu’au lieu de
les démarquer sur place, leur auteur les aura sanctifiées par un
45 parcours de vingt mille kilomètres.

1.Gangue : enveloppe 4.Recife : ville brésilienne


contraignante. en bord de mer.
2.Claniques : de différents clans, 5.Faveur : succès public.
dedifférentes tribus. 6.De l’effet : du rendu.
3.Scorie : déchet, résidu. 7.Pâture : nourriture.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 67


Qu’entendons-nous dans ces conférences et que lisons-nous
dans ces livres ? Le détail des caisses emportées, les méfaits du
petit chien du bord, et, mêlées aux anecdotes, des bribes d’in-
formation délavées, traînant depuis un demi-siècle dans tous les
50 manuels, et qu’une dose d’impudence1 peu commune, mais en
juste rapport avec la naïveté et l’ignorance des consommateurs,
ne craint pas de présenter comme un témoignage, que dis-je,
une découverte originale. Sans doute il y a des exceptions, et
chaque époque a connu des voyageurs honnêtes ; parmi ceux
55 qui se partagent aujourd’hui les faveurs du public, j’en cite-
rais volontiers un ou deux. Mon but n’est pas de dénoncer les
mystifications2 ou de décerner des diplômes, mais plutôt de
comprendre un phénomène moral et social, très particulier à la
France et d’apparition récente, même chez nous.
Tristes Tropiques, © Plon, 1955 

3 questions pour vous guider...


1. L.6-27 : à quels « détails insipides » et « événements insi-
gnifiants » des voyages fait allusion Claude Lévi-Strauss, selon
vous ? Pourquoi refuse-t-il de les raconter ?
2. Expliquez la formule suivante : « C’est un métier, mainte-
nant, que d’être explorateur » (l.35-36).
3. L.35-53 : pour quelles raisons Lévi-Strauss condamne-t-il
les conférences et les livres des explorateurs de son temps ?

1.Impudence : manque de retenue. 2.Mystifications : escroqueries.

68 I NVITATION AU VOYAGE …
DOC17
VIOLAINE BALLIVY
« Surtourisme : quand le touriste
n’est plus le bienvenu » (2019)
Friendly Fires, Hawaiian Air, 2011

17

En 2019, la journaliste Violaine Ballivy revient, pour le quotidien québécois


La Presse, sur les conséquences négatives du tourisme à travers le monde.
Jamais les hommes n’ont autant voyagé, provoquant ce que l’on appelle
désormais le surtourisme, à savoir un flux incontrôlable de voyageurs.
Les conséquences sont terribles : non seulement la multiplication des voyages
en avion nuit à l’environnement mais l’omniprésence des touristes au mépris
des habitants risque d’entraîner des mouvements sociaux. Autrefois désiré
pour ses retombées économiques, le tourisme est aujourd’hui synonyme
de fléau.

[ Le surtourisme : un fléau mondial ]

Jamais la population n’a autant voyagé qu’en ce moment. Et


jamais ne s’en est-on autant plaint. Oui, la croissance phéno-
ménale de l’industrie touristique soulève peur et colère… Mais
des solutions existent.
5 Vous avez envie d’aller à Amsterdam ?
Très bien. Mais dans les faits, on préférerait de loin que vous
alliez voir ailleurs. Rotterdam ? Groningen ?
L’Office de tourisme des Pays-Bas – dont le rôle essentiel vise
à accroître le nombre de visiteurs au pays – a décidé de ne plus
10 faire la promotion à l’étranger de sa destination la plus popu-
laire de toutes, Amsterdam, estimant qu’elle compte déjà assez
de touristes comme ça : 19 millions par année, pour une popula-
tion nationale totale de 17 millions de personnes. Amsterdam est
victime d’un mal qui n’avait même pas de nom il y a 10 ou 15 ans
15 encore : le « surtourisme ».
« Dans les années 80, on parlait plutôt des problèmes de
“capacité de charge” liés à l’écologie d’un site, remarque Pascale

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 69


Marcotte, professeure en tourisme à l’Université Laval1. Mais on
a trouvé un nouveau vocable2 parce qu’il ne s’adaptait plus à la
20 situation actuelle. » De fait, l’afflux de visiteurs ne menace plus
seulement l’environnement, mais aussi le climat social de certains
quartiers, de certaines villes, et fait naître des mouvements de
révolte. Le touriste est devenu dans certains endroits « persona
non grata3 ». Des communautés se sentent « envahies et dépos-
25 sédées », dit Pascale Marcotte.
Pourquoi ? Il y a d’abord un effet de masse. On voyage plus
que jamais : le nombre de touristes augmente bien plus vite que
la population mondiale, et bien au-delà des prévisions officielles.
« La réalité, c’est qu’en 1976, un billet d’avion pour aller en France
30 coûtait 1 200$4. J’y suis allé cette année pour 650$ !, note Paul
Arsenault, directeur de la Chaire de tourisme de l’UQAM5. Le
voyage se démocratise. Il n’y a aucun incitatif financier à moins
voyager, bien au contraire ! »
Sauf que voilà, le tourisme ne se répartit évidemment pas de
35 façon égale sur toute la surface du globe. L’Islande, par exemple, a
connu une hausse de 39 % du nombre de touristes internationaux
entre 2015 et 2016 et de 24 % l’année suivante ; quant à l’Asie du
Sud-Est, on y a vu une augmentation de 10 % en moyenne l’an
dernier, soit trois fois la hausse moyenne globale. Tout le monde
40 semble vouloir aller aux mêmes endroits au même moment.
Les réseaux sociaux sont souvent montrés du doigt pour
expliquer le phénomène, entre autres à cause des listes en tout
genre qui nomment les 10 endroits qu’il faut voir « dans sa vie,
en 2019, avant d’avoir 25 ans », alouette… Même si l’on n’y reste
45 que quelques heures, le temps de prendre des photos, les deux
tiers des 18-34 ans choisiraient d’abord et avant tout le lieu de

1.Université Laval : université 4.Il s’agit ici de dollars canadiens.


canadienne située au Québec. Undollar équivaut à 0,74 euros.
2.Vocable : terme. 5.Chaire de tourisme de l’UQAM :
3.« Persona non grata » : poste de professeur de l’histoire
personneindésirable. dutourisme à l’Université du Québec
à Montréal.

70 I NVITATION AU VOYAGE …
leur prochain voyage en fonction de son caractère « instagram-
mable1 » (selon un sondage mené par Expedia en 2017). Ce faisant,
20pays absorberont à eux seuls 70 % de la croissance du tourisme
50 mondial d’ici 2020, prévoit le Conseil mondial du tourisme et des
voyages (WTTC).
L’industrie touristique a toutefois aussi sa part de responsabi-
lité, tempère Pascale Marcotte.
« Pendant très longtemps, des villes comme Barcelone ont
55 travaillé pour avoir plus de touristes, ont investi dans des ports
de croisière, des aéroports, etc., pour pouvoir parler de croissance
et non pas de décroissance. »
Les villes ont récolté ce qu’elles avaient semé, sans toujours
prévoir avec acuité2 les conséquences qu’une telle croissance pour-
60 rait avoir sur la population ou les infrastructures. Un exemple
parmi tant d’autres : l’augmentation du tourisme aux Philippines
est liée à une raréfaction de l’eau potable et à une augmentation
des pannes de courant pour la population locale.

Vers un tourisme responsable


65 Cela dit, l’ampleur de la grogne n’est pas nécessairement liée
au nombre de touristes qui visitent un lieu donné, constate le
WTTC dans un rapport détaillé sur le sujet. À preuve : Barcelone
et Venise, têtes d’affiche des mouvements de protestation, ne
sont qu’au 23e et 38e rang des villes les plus fréquentées, derrière
70 d’autres villes où l’on remarque une meilleure cohabitation.
Il faut faire une distinction entre la touristophobie –une
aversion pour le touriste – et la tourismophobie– qui constitue
plutôt un rejet de l’industrie en soi, remarque Paul Arsenault, de
l’UQAM. La première s’explique en partie parce que le touriste est
75 plus visible, « il est beaucoup plus “proche” qu’avant, note Pascale
Marcotte. Il ne loge plus seulement dans les hôtels loin du centre,
1.Instagrammable : assez 2.Avec acuité : avec pertinence.
photogénique pour figurer
surInstagram, réseau social dédié
aux photographies.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 71


mais directement dans les quartiers résidentiels, avec Airbnb1 »,
remarque la professeure.
La « touristophobie » est à décrier avec force, insiste Paul
80 Arsenault. La tourismophobie, elle, peut être adoucie avec des
mesures d’apaisement établies notamment de concert avec
la population locale et en sensibilisant les touristes aux us et
coutumes locaux. « Il y a aussi des notions de civisme de base à
respecter », note Paul Arsenault. À Amsterdam, l’office de tourisme
85 a dû diffuser une série de consignes aux visiteurs… incluant celle
de ne pas piétiner les célèbres tulipes en les photographiant !
« Vous pouvez encore visiter des destinations “surfréquen-
tées” de façon responsable, observe ainsi Olivia Ruggles-Brise,
directrice des stratégies du WTTC. N’y allez pas aux heures de
90 pointe, dormez en périphérie du centre touristique, restez assez
longtemps sur place, achetez localement et sortez des sentiers
battus. Venise a besoin du tourisme et arrêter d’y aller ne réglera
pas le problème à long terme. »
« Il ne faut pas arrêter de voyager », confirme même Rodolphe
95 Christin, qui a pourtant signé le Manuel de l’antitourisme.
« L’homme a toujours voyagé, c’est une réalité anthropologique2.
Mais il faut retrouver une forme de voyage au long cours. On
ira une fois dans sa vie à Venise, trois mois au lieu de 24 heures,
dit-il. Il faut opposer le tourisme – qui est une opération commer-
100 ciale– au voyage, une vraie recherche de connaissance de l’autre
et de soi. »
Il faut faire de la place aux destinations « moins glamour », au
« slow travel », insiste Pascale Marcotte, et « ne pas passer en coup
de vent ». Prendre le temps de se perdre, comme l’écrivait Nicolas
105 Bouvier : « Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises
et c’est alors, mais alors seulement que le voyage commence. »
« Surtourisme : quand le touriste n’est plus le bienvenu »,
© lapresse.ca, mai 2022 

1.Airbnb : site de location 2.Anthropologique : constitutive


departiculier à particulier. del’espèce humaine.

72 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. L.16-25 : quels sont, selon Pascale Marcotte, les risques
du « surtourisme » ?
2. L.58-63 : quelles sont les conséquences négatives du déve-
loppement du tourisme aux Philippines ? Connaissez-vous
d’autres exemples de pays qui subissent de telles consé-
quences ? Justifiez votre réponse.
3. Quelle est, selon Paul Arsenault, la différence entre la
« touristophobie » (l.71) et la « tourismophobie » (l.72). Quelles
solutions sont cependant suggérées ?

DOC 18
NUTKAMOL KOMOLVANICH
Phuket, Thaïlande (2016)
 Takagi & Ketra,
L’esercito del selfie, 2017 18

[ L’individualisme touristique : le cas du selfie ]

Non contents de prendre en photo les sites visités, de nombreux touristes


cèdent à la mode du selfie en posant devant les monuments, au point que
l’on peut se demander s’ils ne sont pas plus intéressés par leur présence sur
le site que par le site lui-même.
C’est cet individualisme touristique que cherche à dénoncer cette photogra-
phie qui fit le tour du monde. Sur une plage de rêve de Phuket en Thaïlande,
une mère de famille se prend en photo avec ses enfants à l’aide de son
portable tenu par une perche à selfie CAHIER PHOTOS • p. V . Mais le sourire affiché
par la femme, sans doute à l’intention de ses proches via les réseaux sociaux,
tranche avec le reste du décor : un avion touristique est sur le point d’atterrir
sur l’aéroport aménagé à quelques mètres de la plage…

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 73


3 questions pour vous guider...
1. Décrivez les différents éléments de cette image.
2. Comment qualifier l’attitude de la mère qui tient le portable
avec la perche à selfie ?
3. Pourquoi aucun des enfants ne regarde l’objectif ?

DOC 19
MICHAËL FŒSSEL
« Le touriste, seul étranger
désormaisdésirable ? » (2014)
 Alain Chamfort,
Bons baisers d’ici, 1983 19

Dans cette tribune du quotidien Libération, le philosophe Michaël Fœssel (né


en 1974) met en garde contre le véritable objet des critiques sur la démo-
cratisation des voyages. Pour attirer les touristes, les pays européens se sont
transformés en musée. Ce qui a conduit chaque nation à glorifier son passé.
Mais cette glorification a des conséquences politiques douteuses : elle vire,
selon le philosophe, au nationalisme des peuples.

[ Une invitation au voyage politiquement douteuse ? ]

« Nous ne voyageons pas pour le plaisir de voyager, que je sache,


nous sommes cons, mais pas à ce point. » Deleuze1 citait souvent
cette phrase de Mercier et Camier de Samuel Beckett2 : elle dit
5 bien le mépris dans lequel la plupart des philosophes tiennent
le tourisme… Alors que le voyageur cherche à se séparer de son
Moi et des lieux qui l’entourent, le touriste, où qu’il se trouve,
est sûr de se retrouver égal à lui-même. Plus que l’étrangeté, il

1.Gilles Deleuze (1925-1995) : française, auteur notamment


philosophe français. duroman Mercier et Camier,
2.Samuel Beckett (1906-1989) : écrit en 1946 et publié en 1970.
écrivain irlandais d’expression

74 I NVITATION AU VOYAGE …
goûte le folklore qui le confirme dans ses habitudes. En partant,
il sait déjà qu’il va revenir. C’est à peine s’il aura pris le temps
10 de se mouvoir.
Ce genre de critique est devenu suspect depuis que le tourisme
a acquis le statut de phénomène de masse. Les sorties contre le
« touriste » ont désormais quelque chose du sarcasme1 adressé à
l’homme démocratique pressé de jouir en parcourant le monde
15 à moindres frais. La nostalgie pour l’explorateur d’hier cache
mal un mépris pour la démocratisation du voyage. Le rejet du
tourisme devient dangereux lorsqu’il débouche sur une apologie2
du « chez soi » derrière laquelle il n’est pas difficile de repérer une
défiance3 à l’égard des étrangers. Comme si la majeure partie des
20 hommes devait, en plus d’une vie sans relief, être condamnés à
la sédentarité.
Une nouvelle critique du tourisme, débarrassée de ces équi-
voques4, est pourtant plus urgente que jamais. Aujourd’hui, la
généralisation du tourisme n’est plus seulement le fait des classes
25 moyennes européennes partant à l’assaut du monde : elle se
traduit aussi par la transformation de l’Europe elle-même en site
touristique. Contrairement aux apparences, c’est un signe incon-
testable de déclin : on ne visite guère que des lieux qui incarnent
l’Histoire parce qu’ils ont cessé de la faire. C’est presque toujours
30 l’argument économique qui est présenté en renfort de la muséi-
fication5 de l’Europe. D’ici peu, un actif sur dix travaillera dans
l’industrie du tourisme ; quant à la France, on nous dit qu’elle doit
se préparer au plus vite à accueillir cent millions de voyageurs
étrangers par an. Là encore, le langage de l’hospitalité trahit le
35 sentiment du déclin. Délestés6 d’industries, les pays d’Europe occi-
dentale misent sur leur patrimoine (a priori non délocalisable)
pour se tirer d’affaire.

1.Sarcasme : moquerie féroce. 5.Muséification : transformation


2.Apologie : éloge. progressive en musée.
3.Défiance : méfiance. 6.Délestés : débarrassés.
4.Équivoques : ambiguïtés.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 75


L’hypermodernité1 ne va pas sans une nostalgie pour le passé
que l’on tente par tous les moyens de convertir en hausse du PIB2.
40 Les conséquences sociales d’un tel agencement sont connues :
c’est ainsi que l’ouverture dominicale des magasins est présentée
comme un impératif directement lié au tourisme. Mais les consé-
quences politiques de la patrimonialisation de l’Europe ne sont
pas moins importantes. Le gouvernement français s’en est rendu
45 compte qui, lors du dernier remaniement, a accolé au ministère
des Affaires étrangères celui du « développement international ».
Cela a valu au ministre de devoir, sans grand succès, accueillir des
touristes chinois à l’aéroport de Roissy.
Cette collusion3 entre la diplomatie, le commerce et la promo-
50 tion touristique a pour effet de livrer une nouvelle image des
nations. La France, comme l’Italie ou l’Espagne, est prise dans
un devenir-marque qui assimile un pays à ce que pourrait en dire
une agence de voyages. La marque France se vend bien, mais de
quoi est-elle faite sinon des hauts faits4 d’une nation qui a autre-
55 fois dominé le monde ? Une marque commerciale est toujours
la glorification d’un passé, c’est-à-dire l’immobilisation d’un
devenir. Pour que la France continue à se vendre et à attirer à
elle des touristes argentés5, il faut donc qu’elle ressemble à une
image politique bien précise : les châteaux d’Ancien Régime plutôt
60 que l’agitation sociale, le Paris monumental plutôt que la ville
cosmopolite.
Si le touriste constitue la seule catégorie d’étrangers qui soit
déclarée désirable sur le sol national, ce n’est pas seulement parce
qu’il vient dépenser son argent. C’est aussi parce qu’il est censé
65 aimer la France éternelle. Le fait nouveau, c’est donc l’alliance
entre la nouvelle économie du tourisme et le nationalisme. Réduit
au statut de marque, un pays se contemple et dépense toute son

1.L’hypermodernité : l’époque 3.Collusion : union douteuse.


contemporaine moderne. 4.Hauts faits : exploits.
2.PIB : Produit intérieur brut ; 5.Argentés : fortunés.
indicepermettant d’évaluer
larichesse d’unpays.

76 I NVITATION AU VOYAGE …
énergie à se conserver. Le tourisme, qui jusque-là était mal vu
par les conservateurs, se met à fonctionner comme une machine
70 à promouvoir l’identité nationale. Ce n’est pas un hasard si les
passions identitaires s’emparent de l’Europe au moment où elle se
transforme progressivement en musée à ciel ouvert. L’invitation
au voyage devient politiquement douteuse lorsqu’elle propose un
voyage dans le temps et que le touriste devient le témoin de nos
75 fantasmes de grandeur patriotique.
« Le touriste, seul étranger désormais désirable ? »,
© libération.fr, août 2014 

3 questions pour vous guider...


1. Pour Michaël Fœssel, le touriste a conscience qu’en partant,
« il sait déjà qu’il va revenir » (l.9). Expliquez pourquoi.
2. L.21-37 : que signifie « la patrimonialisation de l’Europe »,
selon Michaël Fœssel ? Quelles sont les conséquences d’un
tel phénomène ?
3. Pour le philosophe, l’invitation au voyage est désor-
mais « politiquement douteuse » (l.73) pour deux raisons.
Lesquelles ?

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 77


PLAYLIST N° 2

Chapitre 2 – Démocratisation
oubanalisation duvoyage ?
Les tubes de l’été, lorsqu’ils font l’objet de chorégraphies reprises
sur toutes les pistes de danse de la planète, illustrent parfaitement
la manière dont la représentation du voyage a évolué à l’heure du
tourisme de masse. Madonna, icône de la musique pop, clame très
tôt son goût pour ces évasions enfin partagées par tous. Cet enthou-
siasme est toutefois tempéré par la chanteuse Courtney Marie
Andrews qui décrit les états d’âme d’une artiste chantant devant
des touristes désabusés. Et c’est avec ironie que les membres du
groupe Friendly Fire, embarqués sur des lignes d’avion hawaïennes,
fustigent les dérives du surtourisme.

A. Une démocratisation progressive


10Madonna, Holiday, 1983
Madonna débute sa carrière avec « Holiday » qui s’impose, à
l’échelle planétaire, comme son premier tube. Sur un rythme
électronique post-disco, celle qui multipliera les provocations
célèbre ici le temps des vacances. Pour la chanteuse américaine,
les congés sont l’occasion de prendre du bon temps entre amis
et, pourquoi pas, de faire le tour du monde.

11Las Ketchup, The Ketchup Song(Asejeré), 2002


Groupe espagnol composé de trois sœurs, Las Ketchup signe avec
« The Ketchup Song (Asejeré) » une chanson taillée pour devenir
un succès estival qui s’accompagne d’une chorégraphie simple
et virale. Le tube célèbre le bon temps des clubs de vacances où,
délaissant les curiosités locales, on vient pour se détendre, voire
rencontrer l’âme sœur.

12Sonia & Selena, Que viva la noche, 2001


Ritournelle pop, « Que viva la noche » du duo espagnol Sonia &
Selena est extrait de la bande originale du film de C.Klapisch,

78 I NVITATION AU VOYAGE …
PLAYLIST N° 2
L’Auberge espagnole DOC . La chanson revient à intervalles
12 • p. 54
réguliers pour ponctuer le bonheur qu’ont les étudiants Erasmus
de vivre ensemble. Le cinéaste fait le choix d’un hymne populaire
pour montrer combien l’expérience de ces jeunes gens n’a rien
d’élitiste.

B. Vers un risque de standardisation


13Courtney Marie Andrews, Songs for Tourists, 2011
Originaire de Phoenix, Courtney Marie Andrews offre avec « Songs
for Tourists » une chanson folk sur le tourisme. Elle y raconte l’his-
toire d’une chanteuse qui, quelque part en France, interprète ses
compositions sur des sites touristiques. En dépit de son talent,
l’artiste ne suscite aucun enthousiasme de la part des touristes,
mornes et blasés.

14Das Racist, Combination Pizza Hut


and Taco BellRemix, 2010
Le trio américain Das Racist, au nom provocateur, mène dans
son unique album Shut up, dude ! une réflexion sur la société de
consommation. Parmi les titres figure ainsi « Combination Pizza Hut
and Taco Bell » qui ironise sur l’omniprésence des fast-foods dans
le monde. Où que l’on se trouve, on est toujours, dit la chanson,
entre un Pizza Hut et un Taco Bell.

15Drake, Flight’s Booked, 2022


Prenant à rebours les attentes de son public, Drake, rappeur
canadien, publie un surprenant album aux rythmes house et aux
mélodies répétitives. Parmi les titres de cet opus figure « Flight’s
Booked » (« Le vol est réservé »), qui raconte les déboires amoureux
du chanteur. Il a beau prendre tous les avions possibles, visiter
toutes les villes rêvées : ses voyages lui paraissent insipides en
comparaison de son amour révolu.

D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU  VOYAGE ? 79


PLAYLIST N° 2

C. Les dangers du tourisme


16Thegiornalisti, Riccione, 2017
Groupe italien de pop électro, Thegiornalisti signe avec « Riccione »
un hymne estival. Construite sur un rythme rapide, la chanson
évoque la plage de Riccione sur la côte Adriatique qui, avant le
tourisme de masse, n’était qu’une modeste station balnéaire.
Thegiornalisti partage sa mélancolie devant cette étendue surpeu-
plée qui a perdu son âme.

17Friendly Fires, Hawaiian Air, 2011


Groupe de rock britannique, Friendly Fires se fait remarquer
au début des années 2010 avec des chansons qui, malgré une
mélodie légère, traitent des questions sociales. Le morceau
« Hawaiian Air » par exemple, évoque, sur des rythmes frénétiques,
l’usure des voyages aériens low cost, dans lesquels s’entassent des
centaines de touristes.

18Takagi & Ketra, L’esercito del selfie, 2017


Les Italiens Takagi & Ketra critiquent violemment la mode des
selfies dans leur chanson « L’esercito del selfie » (« L’armée des
selfies »). Sur un rythme rétro des années 1950, le duo déplore le
comportement de ces amateurs de selfies qui, au lieu d’admirer
le paysage, préfèrent bronzer avec leur téléphone, se coupant de
tout contact humain.

19Alain Chamfort, Bons baisers d’ici, 1983


En 1983, influencé par Prince et Bowie, Alain Chamfort sort le
titre « Bons baisers d’ici », qui fait le bonheur des clubs. Sur un air
martial, Chamfort imagine une carte postale envoyée depuis la
Russie soviétique et rédigée par un agent secret digne de James
Bond. Loin d’être anodine, la chanson souligne que derrière les
sites touristiques de l’Union soviétique, un nationalisme guerrier
se fait sentir.

80 I NVITATION AU VOYAGE …
PITR E 3
CHA

Retrouver le goût

del’aventure

dans le vif du sujet…

CIN & ie . 82
CIN & ie

Un film pour entrer dans le vif du sujet

Voyager a-t-il encore un sens à l’heure de l’industrialisation du


tourisme ? Pris dans les circuits des tours opérateurs, le touriste
part-il vraiment à la découverte du monde et à la rencontre des
autres ? Dans de telles conditions, est-il en mesure de ressentir le
goût de l’aventure ?
C’est à ces questions, qui se posaient déjà dans l’Amérique des
années 1950, que l’écrivain américain Jack Kerouac (1922-1969)
répond dans son roman culte, Sur la route, paru en 1957. Ce récit
est à l’origine de la Beat Generation, un mouvement littéraire et
artistique qui encourageait la jeunesse américaine à conquérir plus
de liberté sur les plans moral, spirituel et sexuel. Ses adeptes consi-
déraient le voyage comme l’un des moyens de cette libération.
Longtemps réputé difficile à adapter, Sur la route fut enfin porté
à l’écran en 2012 par Walter Salles. À sa sortie, le film fut salué
pour avoir restitué l’esprit de la Beat Generation : faire du voyage
une aventure à part entière qui permet à chacune et chacun de
s’émanciper d’un quotidien pesant.

Sur la route de Walter Salles,


États-Unis-Canada-Brésil-France, 2012
 Le résumé du film
Alors que son père vient de mourir, Sal Paradise (Sam Riley), un
jeune écrivain new-yorkais en panne d’inspiration, fait la rencontre
de Dean Moriarty (Garrett Hedlund), un délinquant intriguant qui
vient tout juste de sortir de prison. Le personnage fascine Sal qui
décide de quitter sa vie étriquée pour sillonner avec lui en voiture
les routes d’Amérique du Nord.
En compagnie de Marylou (Kristen Stewart), l’amie de Dean,
l’aspirant écrivain et le repris de justice s’engagent au volant d’une
vieille voiture dans un périple improvisé. À chaque étape de leur
voyage dans des contrées qu’ils découvrent, Sal, Dean et Marylou
vont multiplier les rencontres aussi étonnantes qu’enrichissantes.

82 I NVITATION AU VOYAGE …
 Le lien avec le thème
L’aventure imaginée par Kerouac, comme le road-movie – genre
cinématographique sur le thème de la route et de la traversée des
grands espaces – réalisé par Salles servent le même objectif poli-
tique. Pour eux, il faut que l’individu change pour que la société
change. Aussi est-il impératif, pour partir en quête de soi, de
commencer par rejeter tout produit de la société de consomma-
tion, dont le tourisme de masse est notamment le fruit.
En lançant ses personnages sur la route avec peu d’argent, à
bord d’une vieille voiture symbolisant leur dépouillement matériel,
Salles montre que, pour Kerouac comme pour la Beat Generation,
le voyageur doit se débarrasser du superflu pour redevenir acteur
de son propre voyage. Ce n’est qu’à cette condition qu’il s’éman-
cipera moralement, intellectuellement et socialement.
Tel est le véritable sens du voyage que le poète Arthur Rimbaud
– tant admiré par Kerouac – nommait « La vraie vie ».

 Observez l’image du film


CAHIER PHOTOS • P. VI

1. Décrivez les différentes composantes de l’image.


2. Comment sont habillés les personnages ? Sont-ils équipés pour
faire un grand voyage ?
3. Pourquoi le réalisateur a-t-il pris soin de cadrer largement ?

Visionnez le film et commentez- le !

1. Comment se déroule la scène de rencontre entre Sal et


Dean ? De quelle manière le cinéaste met-il l’accent sur le désir
de liberté des deux personnages ?
2. Revisionnez la scène de départ de New York. Comment le
cinéaste montre-t-il l’enthousiasme des personnages ? À quoi
sont consacrés les premiers plans du film ?
3. Revisionnez la dernière scène. Où se déroule-t-elle ? Quel
bilan peut être tiré du voyage des personnages ?

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 83


P artir loin, très loin, fuir pour ne pas subir les contraintes
d’une société dont on refuse les lois et l’aliénation quoti-
dienne. Telles sont les motivations profondes qui animent les
trois personnages du film Sur la route de Walter Salles. Pour
Marylou, Dean et Sal, le voyage constitue avant tout une odyssée
morale et existentielle.
Paru au début des années 1950, le roman de Kerouac, dont
le film est l’adaptation, a été immédiatement perçu comme une
invitation à prendre ses distances avec le tourisme de masse
alors naissant. Car certains percevaient déjà les dérives qui
pouvaient naître de cette industrialisation du voyage. Plus d’un
demi-siècle plus tard, le bilan est là : il y a urgence à l’heure du
surtourisme à repenser le tourisme. Tout d’abord, en proposant
des pistes pour résoudre les crises écologiques et sociales que
l’afflux toujours plus important de visiteurs provoque. Ensuite en
réhabilitant la figure du touriste qui n’a pas que des aspects
négatifs. Pourquoi ne pas lui restituer le droit de prendre du
bon temps et de prendre son temps au cours de son voyage ?
N’est-ce pas le moyen de lui redonner le goût du voyage et de
rendre son expérience touristique singulière ?
Même à l’heure des voyages en ligne et des locations de
vacances en un clic, il est encore possible de voyager autrement. Se
rendre à l’étranger n’est pas une opération uniquement physique
qui mène le voyageur d’un pays à l’autre. Voyager, c’est aussi
changer de regard sur le monde, apprendre des différences
et s’enrichir au contact de cultures autres. L’expérience se fait
alors existentielle mais aussi politique car elle permet aux femmes
et hommes qui la vivent de s’émanciper des dures lois sociales.
Alors que le besoin d’évasion n’a peut-être jamais été aussi
grand, on voyage pour répondre à plusieurs aspirations. Voyager,
c’est s’éloigner des contraintes familiales et sociales. C’est donc
84 I NVITATION AU VOYAGE …
fuir pour retrouver le bonheur de vivre librement. Partir sans but
ne doit pas être considéré comme une errance mais comme une
délivrance. Car la finalité du voyage n’est pas tant la destination que
la promesse d’un rendez-vous avec les autres et avec soi-même.

A Repenser le tourisme
Est-il encore possible de corriger l’image extrêmement néga-
tive du tourisme ? Tant les professionnels du voyage que les
voyageurs eux-mêmes, commencent à réfléchir à la manière de
relever ce défi. Mais comment sortir de cette industrie touristique
qui, pour proposer un peu d’agrément à certains, cause tant
de désagréments à d’autres ? Preuve en est le site de Venise,
menacé par l’afflux de touristes et la hausse du niveau des mers :
la ville, dont les fondations sont peu à peu rongées par l’eau
saumâtre, risque de s’écrouler… Une solution s’impose : sortir
de cette industrialisation qui rime avec destruction.
Repenser le tourisme est une urgence dont se fait l’écho le
journaliste Clément Guillou DOC 20 • p. 86 qui souligne à quel point
la crise du Covid-19 a bouleversé l’industrie touristique. Du fait
des restrictions sanitaires, le trafic aérien mondial a été ralenti
et la fréquentation des lieux touristiques s’est effondrée. Alors
que cette baisse s’avère dramatique pour nombre de personnes
vivant du tourisme, sans doute faut-il saisir la gravité de la situa-
tion comme une opportunité de changement. N’est-il pas temps
d’envisager un autre tourisme, plus respectueux de l’envi-
ronnement et des populations ? Un tourisme qui pourrait enfin
obéir à ces deux priorités : laisser la nature se régénérer et privi-
légier le commerce local.
Mais, comme le souligne Julien Blanc-Gras DOC 21 • p. 90 , c’est
d’abord la figure même du touriste qui doit être réhabilitée.
Le visiteur ne doit plus être un simple consommateur pillant
et exploitant les richesses matérielles du pays qu’il traverse. Le
voyageur doit réapprendre à flâner, s’arrêter pour observer, et
s’émerveiller devant un patrimoine, une civilisation autres, une
R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 85
culture différente. À pas lents, toujours curieux, le touriste « prend
le temps d’être futile » et fait de sa vie « un long voyage ».
C’est une telle conception du touriste qui anime Nicolas
Bouvier DOC 22 • p. 92 , lorsqu’il traverse une partie du globe,
partant de la Yougoslavie d’alors pour rallier le Pakistan. Pour
faire de ce voyage une expérience singulière, loin des séjours
organisés, Bouvier choisit de prendre son temps, d’aller au gré
des rencontres, dormant le plus souvent chez l’habitant. Pour
Bouvier, voyager n’est pas seulement atteindre une destination :
« un voyage se passe de motifs » et se « suffit à lui-même ».
Sur un autre mode et dans un esprit encore plus radical, le
slogan de l’affiche du film de Sean Penn, Into the Wild DOC 23 • p. 94
donne le ton de l’aventure entreprise par le héros : « Au bout du
voyage, oubliez tout… ». Habité par une telle promesse laissant
supposer des jours meilleurs, le jeune héros du film va ainsi se
détourner de tout : sa famille et la société de consommation,
pour vivre son voyage comme une aventure capable de lui offrir
un autre point de vue sur le monde.

DOC 20
CLÉMENT GUILLOU
« Un autre tourisme est-il possible ? »
(2021)
Boy George, Runaway Train, 2018

20

Pour le quotidien Le Monde, le journaliste Clément Guillou revient sur les


conséquences de la crise sanitaire du coronavirus sur l’industrie du tourisme.
Après plusieurs mois de pause liée aux différents confinements, les profes-
sionnels du voyage ont pu mesurer les répercussions négatives du surtourisme
sur les populations locales et sur l’environnement.
Pour remédier à la dégradation de l’écosystème, de nouvelles politiques se
mettent en place. Certains territoires, et notamment certaines îles dont le
développement touristique repose sur les ressources naturelles, proposent de
limiter l’afflux de touristes et de laisser à la nature le temps de se régénérer.
86 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Sortir du surtourisme ]

C’est l’une des conséquences d’un tourisme mis sur pause :


plusieurs destinations ont revu leur politique, avec des préoc-
cupations de moyen et long terme comme le surtourisme et
l’impact climatique.
5 Key West, station balnéaire de Floride, pointe méridionale
des États-Unis, n’a rien, a priori, contre le tourisme. En 2019,
1,2 million de croisiéristes1 ont débarqué dans cette ville de
25 000 habitants. C’est pour eux qu’elle limite la place des voitures
en centre-ville, ripoline2 ses maisons caribéennes, entretient l’an-
10 cienne demeure d’Ernest Hemingway3, tolère les artistes de rue
sur les quais à l’heure du coucher de soleil. C’est grâce à eux qu’elle
connaît l’un des taux de chômage les plus bas des États-Unis.
Mais quand les touristes ont cessé de venir, au printemps 2020,
des habitants de Key West ont réagi de manière contre-intuitive :
15 ils ont réclamé un référendum sur l’avenir de la croisière. En
novembre 2020, plus de 60 % des votants ont répondu « oui » à
la limitation du nombre de croisiéristes quotidien, à l’interdiction
des géants des mers – plus de 1 300personnes à bord – et à la
priorisation des navires les moins polluants4.
20 Les motivations étaient avant tout environnementales : l’ar-
rivée des gros bateaux de croisière abîme la barrière de corail, l’un
des principaux attraits de l’archipel des Keys. Mais l’économie fut
au cœur de la campagne : après un an sans croisières, interdites
aux États-Unis en raison de l’épidémie de Covid-19, les résultats
25 des principaux acteurs touristiques demeuraient très satisfai-
sants. L’apocalypse promise par l’industrie de la croisière à la
moindre tentative de freinage n’avait pas eu lieu.

1.Croisiéristes : touristes qui sesgrands voyages, et qui acheva


effectuent un voyage en croisière. savie en Floride.
2.Ripoline : peint. 4.Priorisation des navires les moins
3.Ernest Hemingway (1899-1961) : polluants : fait d’accorder la priorité
écrivain américain connu pour aux navires les moins polluants.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 87


C’est l’une des conséquences d’un tourisme mis sur pause : de la
petite station des Alpes à l’un des pays les plus visités du monde,
30 la Thaïlande, plusieurs territoires en ont profité pour revoir leur
politique de développement touristique. Comme si le Covid-19
avait servi d’électrochoc et d’encouragement à agir sur un phéno-
mène largement pensé comme incontrôlable ; quand il était pensé.

Surtourisme et impact climatique


35 Partout, la préoccupation de court terme reste bien sûr de
faire revenir des touristes pour relancer un pan de l’économie
source d’emplois. Mais par endroits, cela n’empêche pas le souci
du moyen et long terme. Comme si le tourisme, jusqu’ici source
d’argent magique, s’était soudain manifesté aux yeux de la puis-
40 sance publique dans toutes ses dimensions.
« Le tourisme semblait partout évident, note Stéphane Durand,
du cabinet spécialisé Voltere by Egis1. La pandémie a mis en
lumière son impact absolument énorme sur l’économie franci-
lienne2 mais aussi sur l’ambiance même de Paris ; dans le même
45 temps, les collectivités ont pris conscience qu’elles subissaient
des impacts du tourisme qu’il fallait affronter. »
Le surtourisme et son effet sur le climat sont les deux stig-
mates3 les plus communément identifiés. Bien souvent, les
acteurs publics ont préféré l’ignorer. Jusqu’à maintenant. « Il y a
50 une prise de conscience généralisée que le tourisme doit prendre
sa part dans la réduction de l’empreinte carbone, qu’il doit régler
ses problèmes contre lesquels il n’y a jamais vraiment eu de
volonté d’agir », analyse M.Durand.
L’exemple des bateaux de croisière à Venise est le plus frappant :
55 depuis des années, l’indécision politique empêchait d’écarter les
paquebots du canal de la Giudecca4, en dépit des risques large-
ment documentés pour la lagune. En avril, le parlement italien,
1.Voltere by Egis : cabinet 3.Stigmates : cicatrices.
d’experts spécialisés dans le conseil 4.Canal de la Giudecca :
auxentreprises du tourisme. un des principaux canaux de la ville
2.Francilienne : de l’Île-de-France. italienne.

88 I NVITATION AU VOYAGE …
suivant le vœu du gouvernement de Mario Draghi1, a voté leur
interdiction à terme ; la première étape consistera à rediriger dès
60 que possible les navires vers le port industriel de Marghera2. La
disparition des bateaux et la montée des préoccupations environ-
nementales ont créé les conditions de l’action.

Les îles à la pointe du changement


En l’absence de touristes, le quotidien des opérateurs publics et
65 privés du tourisme a aussi radicalement changé. Les premiers ont
eu le temps de la réflexion, puisque la pandémie empêchait l’action.
Les seconds ont dû se concentrer sur la recherche de financements,
et bien souvent tendre la sébile3 à l’État. « On voit poindre un ques-
tionnement quant aux bases sur lesquelles on pourrait repartir de
70 ce terrible choc. On en est au tout début », estime Rémy Knafou,
professeur émérite4 de géographie à l’université Paris I – Panthéon-
Sorbonne et auteur de Réinventer le tourisme.
Islande, Hawaï, Nouvelle-Zélande : il faut se tourner vers les
îles dont le développement touristique repose sur les ressources
75 naturelles pour trouver les débats les plus avancés. La question
de la préservation de la poule aux œufs d’or – la nature – et des
retombées concrètes pour la population locale est partout posée.
En Thaïlande, le ministre de l’Environnement envisage de fermer
ses parcs nationaux plusieurs fois par an pour « que la nature se
80 revitalise et que les gardiens puissent s’occuper des parcs ».
En Nouvelle-Zélande, un groupe de travail gouvernemental
recommande d’orienter la politique touristique de manière à ce
qu’elle améliore les écosystèmes, fournisse des emplois porteurs
de sens, enrichisse les communautés locales et respecte la culture
85 maorie. En Jamaïque, le ministre du Tourisme, Edmund Bartlett,

1.Mario Draghi (né en 1947) : 3.Tendre la sébile : demander


président du conseil des ministres l’aumône, faire la charité.
d’Italie depuis 2021. 4.Professeur émérite : professeur
2.Marghera : port commercial situé retraité qui ne donne plus de
à l’entrée de Venise. cours mais poursuit ses activités
derecherche.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 89


veut convaincre les opérateurs privés d’en faire « une industrie
plus inclusive et que le tourisme ruisselle vraiment sur l’ensemble
de l’économie ».
« Un autre tourisme est-il possible ? », © lemonde.fr, juin 2021 

3 questions pour vous guider...


1. L. 13-19 : dans quelle mesure la crise sanitaire a- t-elle
permis à certains pays de revoir leur politique de dévelop-
pement touristique ?
2. L.47-57 : pourquoi le journaliste choisit de parler de « stig-
mates » du surtourisme ? Quels exemples concrets donne-t-il ?
3. L.64-80 : pour quelles raisons les îles sont-elles à la pointe
de la lutte contre le surtourisme ?

DOC 21
JULIEN BLANC-GRAS
Touriste (2011)
 Gérard Manset,
Il voyage en solitaire, 1975 21

Dans Touriste, Julien Blanc-Gras (né en 1976) témoigne de sa passion pour


les voyages. Depuis son adolescence, l’écrivain sillonne le globe, partant seul,
de très longs mois. Mais pour se définir, et contre toute attente, Blanc-Gras
préfère au terme d’aventurier celui de touriste. Pour lui, le voyage touristique
consiste à parcourir le monde, découvrir, apprendre, loin de tout esprit de
conquête.

[ Réhabiliter le touriste ? ]

L’écriture me servait de dérivatif1, une méthadone2 sur cahier


à spirale, où je traçais les grandes lignes de mes projets d’avenir :
1.Dérivatif : antidote. 2.Méthadone : drogue
desubstitution.

90 I NVITATION AU VOYAGE …
Il existe environ deux cents États souverains. On vit à peu
près trente mille jours. Si l’on considère l’existence sous un angle
5 mathématico-géographique, on devrait passer cent cinquante
jours dans chaque pays. Cinq mois ici, cinq mois là et ainsi de
suite jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Il faut se rendre à l’évidence. Je dois aller dans tous les pays
du monde. Je ne trouverai pas le repos dans l’immobilité. Je me
10 débrouillerai pour dénicher des ressources. Je mériterai mes kilo-
mètres. À nous deux, petite planète globalisée.
J’exige le respect pour mes rêves, aussi insensés puissent-ils
paraître. Un fantasme, ça ne se discute pas. Untel veut devenir
une star, un autre posséder un yacht ou coucher avec des sœurs
15 jumelles. Je veux simplement aller à Lusaka. Et à Thimbu. Et à
Valparaiso1. Certains veulent faire de leur vie une œuvre d’art, je
compte en faire un long voyage.
Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux
ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infer-
20 naux. Je ne suis pas si exigeant. Touriste, ça me suffit.
Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en
prime. Il prend le temps d’être futile. De s’adonner2 à des activités
non productives mais enrichissantes. Le monde est sa maison.
Chaque ville, une victoire.
25 Le touriste inspire le dédain3, j’en suis bien conscient. Ce
serait un être mou, au dilettantisme disgracieux4. C’est un cliché
qui résulte d’une honte de soi, car on est toujours le touriste de
quelqu’un. Rien n’empêche de concevoir le tourisme comme un
cours de géographie à l’échelle1, et la géographie comme le terreau
30 de toutes les sciences humaines. Sous les cartes, les hommes. La
dynamique du monde ne s’appréhende pas en restant dans un
fauteuil. Il faut que j’actionne mon mouvement perpétuel. Je ne
dois pas traîner, des civilisations s’écroulent au moment où j’écris
1.Lusaka, Thimbu et Valparaiso : 2.S’adonner : se livrer.
respectivement, capitales de la 3.Le dédain : le mépris.
Zambie, du Bhoutan et ville portuaire 4.Dilettantisme disgracieux :
du Chili. amateurisme maladroit.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 91


et d’autres émergeront à la fin de cette phrase. Elles nous tendent
35 les bras, je n’ai rien de mieux à faire que de leur rendre visite. Ma
place dans le monde, je l’inventerai à chaque pas.
Touriste, © Au Diable Vauvert, 2011 

3 questions pour vous guider...


1. L.8-11 : pour quelles raisons Julien Blanc-Gras désire aller
« dans tous les pays du monde » ?
2. Pourquoi, selon Julien Blanc-Gras, le touriste doit-il prendre
« le temps d’être futile » (l.22) ?
3. En quoi la formule « Sous les cartes, les hommes. » (l.30)
dévoile- t-elle, pour l’auteur, une conception nouvelle du
tourisme ? Que veut-il dire ?

DOC 22
NICOLAS BOUVIER
L’Usage du monde
(1963)
Alice Merton, No Roots, 2017

22

Dans son plus célèbre récit, L’Usage du monde, l’écrivain Nicolas Bouvier
(1929-1998) décrit le voyage qui, dans ses jeunes années, le conduisit de la
Yougoslavie jusqu’au Pakistan. Dans une après-guerre gagnée par la fièvre
touristique, Bouvier choisit de prendre le contre-pied des voyages organisés
en partant à l’aventure, en compagnie du dessinateur Thierry Vernet, dans
une rudimentaire Fiat Topolino.
Loin du tourisme industriel, Bouvier fait ici l’éloge d’un voyage « qui nous
fait », en se rendant disponible à ce qui arrive. Car pour Bouvier, « l’essentiel
est de partir ».

92 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Du touriste au voyageur ]

J’examinai la carte. C’était une petite ville dans un cirque1


de montagnes, au cœur du pays bosniaque2. De là, il comptait
remonter vers Belgrade3 où l’« Association des peintres serbes »
l’invitait à exposer. Je devais l’y rejoindre dans les derniers jours
5 de juillet avec le bagage de la vieille Fiat que nous avions retapée,
pour continuer vers la Turquie, l’Iran, l’Inde, plus loin peut-être…
Nous avions deux ans devant nous et de l’argent pour quatre
mois. Le programme était vague, mais dans de pareilles affaires,
l’essentiel est de partir.
10 C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur
le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout
planter là. Songez à des régions comme le Banat4, la Caspienne5,
le Cachemire6, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on
y croise, aux idées qui vous y attendent… Lorsque le désir résiste
15 aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons.
Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait
comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous
grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de
soi, on s’en va pour de bon.
20 Un voyage se passe de motifs7. Il ne tarde pas à prouver qu’il se
suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt
c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
… Au dos de l’enveloppe, il était encore écrit : « mon accordéon,
mon accordéon, mon accordéon ! »
25 Bon début. Pour moi aussi. J’étais dans un café de la banlieue
de Zagreb8, pas pressé, un vin blanc-siphon9 devant moi. Je

1.Cirque : plaine circulaire entre 5.La Caspienne : mer située en Asie


deux montagnes. occidentale.
2.Pays bosniaque : la Bosnie- 6.Le Cachemire : région d’Inde.
Herzégovine est alors unerégion 7.Motifs : raisons.
de la république fédérale 8.Zagreb : capitale de la Croatie,
deYougoslavie. alors région de la république fédérale
3.Belgrade : capitale de la de Yougoslavie.
Yougoslavie située en Serbie. 9.Vin blanc-siphon : vin blanc coupé
4.Le banat : région de Roumanie. avec de l’eau gazeuse.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 93


regardais tomber le soir, se vider une usine, passer un enterre-
ment – pieds nus, fichus1 noirs et croix de laiton. Deux geais2 se
querellaient dans le feuillage d’un tilleul. Couvert de poussière,
30 un piment à demi rongé dans la main droite, j’écoutais au fond
de moi la journée s’effondrer comme une falaise. Je m’étirais,
enfouissant l’air par litres. Je pensais aux neuf vies proverbiales ;
j’avais bien l’impression d’entrer dans la deuxième.
L’Usage du monde, ©La Découverte, 1985 

3 questions pour vous guider...


1. Pourquoi Nicolas Bouvier affirme-t-il d’emblée que « l’es-
sentiel est de partir » (l.9) ?
2. L.10-14 : d’où vient le goût de Nicolas Bouvier pour les
voyages ?
3. Expliquez : « On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt
c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » (l.21-22)

DOC 23
SEAN PENN
Into the Wild (2007)
Nicolas Peyrac, Je pars, 1977

23

[ Voyager autrement ]
Dans son film Into the Wild sorti en 2007, le cinéaste américain Sean Penn
(né en 1960) met en scène l’histoire vraie d’un brillant étudiant américain,
Christopher McCandless. Promis à une très belle carrière, le jeune homme
décide pourtant de tout quitter pour se lancer dans un grand voyage en
solitaire qui le mènera jusqu’en Alaska CAHIER PHOTOS • p. VII .
Pour Sean Penn, voyager est une manière de résister aux contraintes de la
société de consommation.
1.Fichus : foulards placés sur la tête 2.Geais : espèce d’oiseaux.
en signe de deuil.

94 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. Décrivez les différentes composantes de l’affiche.
2. Pourquoi le personnage est-il assis sur le toit du bus ?
3. Quelle vision du voyage dévoile le slogan ? Comment le
comprenez-vous ?

B Retrouver le sens du voyage


Partir à l’aventure, sillonner le globe à pied, à vélo, ou prendre sa
voiture sans itinéraire préétabli : voici comment, en se détournant
des circuits touristiques rebattus, redonner sens au voyage. Car
voyager n’est pas un simple loisir, c’est un acte existentiel qui
engage moralement l’individu en le confrontant au monde.
Ce constat est ancien. Dès le XVIe siècle, Montaigne DOC 24 • p. 96
interpellait ses contemporains : à quoi sert de voyager, de
traverser le monde, de conquérir des contrées inconnues, si c’est
pour ne rien modifier de ses pratiques, de ses opinions ? Le
voyage doit être au contraire l’occasion de changer son regard
sur l’autre, de grandir, de s’enrichir spirituellement. Toutefois,
cette conception du voyage nécessite d’être humble, ouvert aux
différences ; et de se délester en somme de sa vanité.
Mais est-ce suffisant ? Pour Jean-Jacques Rousseau, philosophe
des Lumières DOC 25 • p. 98 , si voyager permet de mieux connaître le
monde, tout voyage n’est pas pour autant formateur. Cela dépend
de la manière dont le voyageur exerce son esprit critique. Se
laisser aller béatement à la contemplation des paysages traversés
n’est pas voyager. Le voyageur doit avoir un rôle actif, être curieux
des autres, de leurs mœurs, et apprendre « à voir de lui-même ».
Être acteur de son voyage, c’est aussi en faire un outil
d’émancipation qui porte en lui, comme l’explique Lucie Azema
DOC 26 • p. 101 , une indéniable dimension politique. Cette dimen-

sion politique est d’autant plus signifiante quand ce sont des


femmes qui décident de devenir exploratrices. Se plaçant dans
R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 9
une perspective historique qui la mène de l’Antiquité au XIXe siècle,
Lucie Azema rappelle que voyager constitue alors pour les femmes
un formidable moyen de s’affranchir de la domination masculine
et des contraintes qui leur étaient imposées. Pour elles, revendi-
quer la liberté de circuler et de témoigner de ce qu’elles voient
en voyageant, constitue une étape cruciale vers la libération.

DOC 24
MICHEL DE MONTAIGNE
« De la vanité », Essais, III
(1580-1595)
Mahmood, Baci dalla Tunisia, 2021

24

Pour Michel de Montaigne (1533-1592), voyager ne consiste pas uniquement


à se déplacer d’un point à un autre du monde. Selon le philosophe français,
l’homme doit accomplir par le voyage une véritable révolution intérieure. Au
contact d’autres peuples et d’autres coutumes, le voyageur apprend ainsi à
changer ses manières d’être et ses façons d’agir. Pour ce faire, il doit s’ouvrir
avec bienveillance et humilité à ce qui lui est étranger.

[ Changer de regard sur le monde ]

J’ai la complexion1 du corps libre et le goût commun, autant


qu’homme du monde2. La diversité des façons3 d’une nation à une
autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage a
sa raison4. Soient des assiettes d’étain, de bois, de terre : bouilli ou
5 rôti : beurre ou huile de noix ou d’olive, chaud ou froid, tout m’est
un5, et si un que, vieillissant, j’accuse6 cette généreuse faculté, et
aurais besoin que la délicatesse et le choix arrêtât7 l’indiscrétion

1.Complexion : constitution. 4.Sa raison : son explication,


2.Autant qu’homme du monde : saraison d’être.
autant que n’importe quel autre 5.Tout m’est un : tout m’est égal.
homme de la société. 6.J’accuse : je pâtis de.
3.Façons : manières de vivre. 7.Arrêtât : fixa.

96 I NVITATION AU VOYAGE …
de mon appétit et parfois soulageât mon estomac. Quand j’ai
été ailleurs qu’en France et que, pour me faire courtoisie, on m’a
10 demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué
et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses1 d’étrangers.
J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur2
de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble
être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où
15 qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étran-
gères3. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient
cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre4 ensemble, à
condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Pourquoi non
barbares, puisqu’elles ne sont françaises ? Encore sont-ce les
20 plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire5. La plupart
ne prennent l’aller que pour le venir6. Ils voyagent couverts et
resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable, se défen-
dant de la contagion d’un air inconnu.
Ce que je dis de ceux-là me ramentoit7, en chose semblable,
25 ce que j’ai parfois aperçu en aucuns de8 nos jeunes courtisans.
Ils ne tiennent qu’aux9 hommes de leur sorte, nous regardant
comme gens de l’autre monde, avec dédain ou pitié. Ôtez-leur les
entretiens des mystères de la cour, ils sont hors de leur gibier10,
aussi neufs pour nous et malhabiles comme nous sommes à eux.
30 On dit bien vrai qu’un honnête homme c’est un homme mêlé11.
Au rebours12, je pérégrine très saoul de nos façons13, non pour
chercher des Gascons en Sicile (j’en ai assez laissé au logis14) ; je

1.Les plus épaisses : les moins 9.Ils ne tiennent qu’aux :


raffinées. ilsn’estiment que les.
2.Cette sotte humeur : 10.Hors de leur gibier : hors de leur
cettehabitude idiote. milieu naturel.
3.Les étrangères : les manières 11.Un homme mêlé : un homme
devivre des pays étrangers. qui s’est mêlé à d’autres hommes,
4.Recoudre : se rassembler. unhomme mélangé.
5.Médire : dire du mal. 12.Au rebours : au contraire.
6.Le venir : le retour. 13.Je pérégrine très saoul de
7.Me ramentoit : me rappelait. nosfaçons : je voyage pour oublier
8.En aucuns de : parmi. nos façons de vivre.
14.Au logis : à la maison.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 97


cherche des Grecs plutôt, et des Persans : j’accointe1 ceux-là, je les
considère2 ; c’est là où je me prête et où je m’emploie3. Et qui plus
35 est, il me semble que je n’ai rencontré guère de manières qui ne
vaillent les nôtres.

3 questions pour vous guider...


1. Expliquez la phrase suivante qui traite des Français qui
voyagent : « Où qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et
abominent les étrangères » (l.14-16).
2. Pourquoi Montaigne en vient-il à dire qu’un homme cultivé
est « un homme mêlé » (l.30) ?
3. L.31-36 : quelle leçon Montaigne finit-il par tirer de ses
voyages ?

DOC 25
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
Émile ou De l’éducation, livre V
(1762)
Pink Floyd, On the Run, 1973

25

Dans l’ Émile, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) décrit l’éducation idéale


que doit recevoir un jeune garçon, Émile, aux différents âges de sa vie. Si
l’adolescence constitue bien le moment privilégié pour effectuer un voyage
formateur, le philosophe des Lumières considère cependant que cette
pratique n’a pas toujours un rôle didactique.
Car, contrairement à ce que soutient la tradition humaniste, le voyageur ne
doit pas rester contemplatif. Il doit jouer un rôle actif : apprendre à « voir » et
à développer son esprit critique pour connaître et assimiler les us et coutumes
des pays et des peuples qu’il découvre.

1.J’accointe : je fréquente. 3.Où je me prête et où je


2.Je les considère : je les trouve m’emploie : où je me laisse aller
dignes d’attention. etoù je prends du plaisir.

98 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Voyager pour exercer son esprit critique ]

C’est trop d’avoir à percer1 à la fois les préjugés des auteurs


et les nôtres pour arriver à la vérité. J’ai passé ma vie à lire des
relations2 de voyages, et je n’en ai jamais trouvé deux qui m’aient
donné la même idée du même peuple. En comparant le peu que
5 je pouvais observer avec ce que j’avais lu, j’ai fini par laisser là les
voyageurs, et regretter le temps que j’avais donné pour m’ins-
truire à leur lecture, bien convaincu qu’en fait d’observations de
toute espèce il ne faut pas lire, il faut voir. Cela serait vrai dans
cette occasion, quand tous les voyageurs seraient sincères, qu’ils
10 ne diraient que ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils croient, et qu’ils ne
déguiseraient la vérité3 que par les fausses couleurs qu’elle prend
à leurs yeux. Que doit-ce être4 quand il la faut démêler encore à
travers leurs mensonges et leur mauvaise foi !
Laissons donc la ressource des livres qu’on vous vante à ceux
15 qui sont faits pour se contenter. Elle est bonne, ainsi que l’art de
Raymond Lulle5, pour apprendre à babiller de ce qu’on ne sait
point6. Elle est bonne pour dresser des Platons7 de quinze ans à
philosopher dans des cercles, et à instruire une compagnie des
usages8 de l’Égypte et des Indes, sur la foi de Paul Lucas ou de
20 Tavernier9.
Je tiens pour maxime10 incontestable que quiconque n’a
vu qu’un peuple, au lieu de connaître les hommes, ne connaît

1.Percer : dépasser. Ici Rousseau suggère que les jeunes


2.Relations : récits. gens qui se contentent de lire sans
3.Déguiseraient la vérité : voyager sont des philosophes
mentiraient. comparables àdesbêtes de foire.
4.Que doit-ce être : qu’est-ce 8.Des usages : des manières
quecela doit être. devivre.
5.Raymond Lulle (1232-1315) : 9.Paul Lucas (1664-1737),
philosophe catalan réputé pour Jean-Baptiste Tavernier
l’obscurité de sa pensée. (1605-1689) : explorateurs français
6.À babiller de ce qu’on ne sait respectivement connus l’un pour
point : à parler à tort et à travers sesvoyages en Égypte, l’autre
dece qu’on ignore. pourses expéditions en Inde.
7.Platon (427-348av. J.C.) : 10.Maxime : loi.
philosophe de l’Antiquité grecque.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 99


que les gens avec lesquels il a vécu. Voici donc encore une autre
manière de poser la même question des voyages : Suffit-il qu’un
25 homme bien élevé ne connaisse que ses compatriotes, ou s’il lui
importe de1 connaître les hommes en général ? Il ne reste plus ici
ni dispute2 ni doute. Voyez combien la solution d’une question
difficile dépend quelquefois de la manière de la poser.
Mais, pour étudier les hommes, faut-il parcourir la terre
30 entière ? Faut-il aller au Japon observer les Européens ? Pour
connaître l’espèce3, faut-il connaître tous les individus ? Non ; il
y a des hommes qui se ressemblent si fort, que ce n’est pas la peine
de les étudier séparément. Qui a vu dix Français les a vus tous.
Quoiqu’on n’en puisse pas dire autant des Anglais et de quelques
35 autres peuples, il est pourtant certain que chaque nation a son
caractère propre et spécifique, qui se tire par induction4, non de
l’observation d’un seul de ses membres, mais de plusieurs. Celui
qui a comparé dix peuples connaît les hommes, comme celui qui
a vu dix Français connaît les Français.
40 Il ne suffit pas pour s’instruire de courir les pays ; il faut savoir
voyager. Pour observer il faut avoir des yeux, et les tourner
vers l’objet qu’on veut connaître. Il y a beaucoup de gens que
les voyages instruisent encore moins que les livres, parce qu’ils
ignorent l’art de penser, que, dans la lecture, leur esprit est au
45 moins guidé par l’auteur, et que, dans leurs voyages, ils ne savent
rien voir d’eux-mêmes. D’autres ne s’instruisent point, parce qu’ils
ne veulent pas s’instruire. Leur objet est si différent que celui-là
ne les frappe guère5 ; c’est grand hasard si l’on voit exactement
ce que l’on ne se soucie point de regarder. De tous les peuples du
50 monde, le Français est celui qui voyage le plus ; mais, plein de ses
usages, il confond tout ce qui n’y ressemble pas. Il y a des Français
dans tous les coins du monde. Il n’y a point de pays où l’on trouve

1.S’il lui importe de : doit-il. 4.Par induction : raisonnement qui,


2.Dispute : discussion. de l’observation d’un cas particulier,
3.Sous-entendu l’espèce humaine. en déduit une loi générale.
5.Que celui-là ne les frappe guère :
qu’il est très peu marquant.

100 I NVITATION AU VOYAGE …


plus de gens qui aient voyagé qu’on n’en trouve en France. Avec
cela pourtant, de tous les peuples de l’Europe, celui qui en voit le
55 plus les connaît le moins.

3 questions pour vous guider...


1. L.1-13 : quel est le reproche majeur que Jean-Jacques
Rousseau adresse aux récits de voyage ?
2. L.24-26 : relevez la question que Jean-Jacques Rousseau
se pose à propos des voyages ? En quoi est-elle pertinente ?
3. Expliquez la phrase suivante : « Il ne suffit pas pour s’instruire
de courir les pays ; il faut savoir voyager. » (l.40-41).

DOC26
LUCIE AZEMA
Les femmes aussi sont du voyage
(2021)
Kendrick Lamar, Trip, 2010

26

Dans son essai Les Femmes aussi sont du voyage, la journaliste Lucie Azema
(née en 1989) remet en cause la vision masculiniste du voyage. Contrairement
aux idées reçues, le voyage n’est pas l’apanage des hommes car depuis l’An-
tiquité, les femmes partent explorer le monde. Mais leurs récits ont longtemps
été invisibilisés par la société patriarcale qui n’accepte pas que les femmes
puissent « circuler ». Elles ont dû ruser pour voyager.
Le voyage représente à ce titre, pour les femmes, un moyen de se libérer
du joug patriarcal.

[ Le voyage, un outil d’émancipation ]

La conception idéologique et masculiniste1 du voyage ne


survit pas longtemps à sa confrontation avec la réalité. Depuis
1.Masculiniste : qui met systématiquement les hommes en avant au détriment
des femmes.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 101


longtemps, les femmes ont voyagé et voyagent : scientifiques,
guerrières, pirates, écrivaines, archéologues, géographes,
5 espionnes, politiciennes, religieuses, journalistes, photographes,
cartographes – ou tout simplement des femmes libres en quête
d’ailleurs. Elles ont contribué à étudier le monde, à le dessiner,
à le cartographier, à le raconter. Le premier récit de voyage de
l’histoire de l’humanité aurait d’ailleurs été écrit par une femme,
10 Egeria, qui, en 381 de notre ère, entreprit un pèlerinage du mont
Sinaï jusqu’en Terre Sainte1 et rédigea à cette occasion des lettres
dans lesquelles elle décrivait ce qu’elle voyait. On date généra-
lement les premiers voyages d’exploration féminins de 1850.
Avant cela, il y a eu des voyageuses, mais elles ont été considérées
15 comme de simples accompagnatrices, ou bien ont dû partir sous
une fausse identité et travesties2 en hommes. Dans ce dernier
cas, celles qui sont passées à la postérité sont donc celles que l’on
a démasquées. Ce fut le cas de la botaniste Jeanne Barret3, consi-
dérée comme la première femme à avoir fait le tour du monde,
20 après s’être fait passer pour un marin et avoir rejoint l’équipage
de Bougainville4. Il est impossible de déterminer combien elles ont
été dans son cas, mais on les croise parfois au détour d’un récit de
voyage. L’explorateur Henry Stanley5 a par exemple raconté que,
en arrivant à la Nouvelle-Orléans, il a partagé sa chambre avec un
25 jeune homme qui s’est en fait avéré être une jeune femme. De
même, la célèbre pirate Mary Read6, alors qu’elle se trouvait dans
une auberge, a entendu parler d’Hollandaises qui embarquaient,
travesties en hommes, sur les navires en partance pour les Indes
1.Le mont Sinaï est une montagne 4.Louis-Antoine de Bougainville
égyptienne surtout connue par la (1729-1811) : explorateur français
Bible pour être le lieu où Moïse qui, le premier, effectua le tour
rencontra Dieu pour la première fois. dumonde.
La Terre Sainte est le nom que les 5.Henry Morton Stanley
Chrétiens donnent à la région autour (1841-1904) : journaliste
de Jérusalem où vécut et mourut etexplorateur britannique.
leChrist. 6.Mary Read (1685-1721) :
2.Travesties : déguisées. célèbrefemme pirate britannique.
3.Jeanne Barret (1740-1807) :
exploratrice et botaniste française.

102 I NVITATION AU VOYAGE …


orientales. C’est cela qui va la décider à s’engager en tant que
30 matelot, jusqu’à se faire enlever par des pirates et commencer la
carrière qu’on lui connaît aujourd’hui.
L’histoire classique des explorations, tout comme les antholo-
gies de littérature d’évasion, ont superbement ignoré ces parcours
et ces écrits féminins. Lorsque la négligence est systématique, on
35 peut alors parler d’une véritable entreprise d’invisibilisation1 du
voyage au féminin. Au mieux, elles ont été présentées comme
des prostituées ou des menteuses ; au pire, elles ont été jetées
aux oubliettes. Mais ce serait tomber dans le travers inverse2,
qui consisterait à affirmer que les femmes ont voyagé autant
40 que les hommes. Sortir leurs récits de l’oubli est une nécessité
historique et intellectuelle, mais cela ne règle qu’une partie du
problème. Le patriarcat3 a en réalité effectué son travail en aval
(en rendant leurs histoires invisibles), mais aussi en amont, en
créant pour elles des conditions d’accès au voyage défavorables sur
45 le plan matériel : impossibilité légale de gérer leur propre argent,
moindre accès aux études, injonctions à la maternité, interdic-
tions pures et simples de circuler prononcées par les lois de leurs
pays, par leurs pères, leurs maris, leurs frères. Il y a donc une
double transgression chez l’écrivaine-voyageuse : celle de partir,
50 et celle d’écrire.
Ces difficultés se posent en des termes extrêmement simi-
laires concernant les voyageurs non occidentaux. Il existe une
domination incontestable du regard occidental et de ses logiques
narratives dans la littérature de voyage : c’est toujours l’homme
55 blanc européen qui va « découvrir » les autres. Historiquement,
la littérature de voyage s’est construite comme une littérature
du dominant.
Les femmes aussi sont du voyage, © Éditions Flammarion, 2021 

1.Invisibilisation : opération 2.Travers inverse : défaut contraire.


menée dans le but d’occulter le rôle 3.Patriarcat : société fondée
d’ungroupe ou d’une personne. surladomination masculine.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 103


3 questions pour vous guider...
1. L.2-21 : relevez les noms de trois exploratrices qui prouvent
que « depuis longtemps, les femmes ont voyagé et voyagent »
(l.2-3).
2. Pourquoi Lucie Azema évoque-t-elle « une véritable entre-
prise d’invisibilisation » (l.35) des voyages effectués par les
femmes ?
3. En quoi consiste, selon Lucie Azema, la « double transgression
chez l’écrivaine-voyageuse » (l.49) ? Pour quelle autre catégorie
de voyageurs cette même double transgression se pose-t-elle ?

C Sortir des sentiers battus


Partir loin, très loin, sans attache, sans but précis, pour le pur
plaisir de voyager et de découvrir le monde. Telle paraît être
la seule et unique possibilité de redonner du sens au voyage. À
l’opposé des tour-opérateurs prisonniers d’une logique de renta-
bilité et des voyages organisés autour de circuits touristiques
savamment balisés, le voyageur qui entend vivre au cours de
son voyage une véritable expérience saura sortir des sentiers
battus. Il parviendra ainsi à découvrir les chemins de traverse qui
le guideront vers une vie plus authentique et plus libre.
C’est à cette vie libérée du poids de la société qu’aspirait
Arthur Rimbaud DOC 27 • p. 105 dès son plus jeune âge. Si sa poésie,
moderne et révolutionnaire, est passée à la postérité, le poète
est devenu le symbole éternel d’une jeunesse libre et affranchie.
Fuguant à maintes reprises pour échapper aux difficultés familiales,
l’adolescent savourait ces moments d’errance. Certains de ses
poèmes, qui dépeignent sa vie de bohème, font l’éloge de la fugue.
Cette conception rimbaldienne du voyage conçu comme
une fuite a probablement inspiré le mouvement de la Beat
Generation, apparu autour de Jack Kerouac et illustrée à l’écran
dès 1967, dix ans après la publication de son roman Sur la route,
04 I NVITATION AU VOYAGE …
par le film de Dennis Hooper, Easy Rider (1969) DOC 28 • p. 107 .
Réalisé par l’une des figures américaines les plus anticonfor-
mistes de l’époque, ce road-movie retrace l’itinéraire de deux
personnages qui ambitionnent de traverser les États-Unis à moto
pour se rendre à un carnaval. Mais cette expérience change leur
destin. Revendeurs de drogue et ardents défenseurs de la société
de consommation, ils apprennent, au fil de leurs rencontres, à
se libérer des contraintes de la société et à reconsidérer leur
propre mode de vie. Cette aventure, qui consacre la métamor-
phose progressive des personnages, est une ode à la liberté.
Pourtant, sortir des sentiers battus n’a pas pour seule saveur
la liberté. Quitter les itinéraires balisés, c’est aussi s’ouvrir à la
rencontre avec l’autre. Pour Roland Barthes, ce « rendez-vous »
est la motivation ultime de tout voyage DOC 29 • p. 108 . Évoquant
son séjour au Japon, le critique littéraire abandonne les guides et
visites touristiques pour apprendre à vivre dans le pays, avec le pays.
Et chaque rendez-vous avec l’habitant est pour lui un moment
de grâce qui l’immerge pleinement dans une culture nouvelle.
Aller à la rencontre de l’Autre, c’est peut-être là que réside
le sens profond et suprême du voyage.

DOC27
ARTHUR RIMBAUD
« Ma Bohème », Les Cahiers de Douai
(1870)
 Bernard Lavilliers,
On the Road Again, 1988
27

Poète précoce et surdoué, Arthur Rimbaud (1854-1891) est en partie connu


pour les poèmes qu’il écrivit à 17 ans, lors de ses premières fugues. Épris
de liberté et avide de découvrir le monde, le jeune homme a fui à plusieurs
reprises le foyer familial pour se rendre à Paris. Il espère pouvoir mener là-bas
une existence libre, aventureuse et poétique. Voyager, pour l’adolescent,
c’est donc fuguer ; une manière d’exprimer sa révolte et d’aspirer à un monde
idéal. « Ma bohème » témoigne de cette exaltation.
R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 105
[ Le voyage comme fuite ]

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot1 aussi devenait idéal2 ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal3 ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

5 Mon unique culotte4 avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais5 dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse6.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou7

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


10 Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur8 ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres9, je tirais les élastiques10
De mes souliers blessés11, un pied près de mon cœur !

3 questions pour vous guider...


1. Vers 1-4 : montrez en quoi le départ met en joie le poète.
2. Vers 5-8 : relevez deux éléments qui attestent de la liberté
que le voyage offre au poète.
3. Vers 9-11 : comment le poète profite-t-il concrètement de
son voyage ? Décrivez ses sensations.

1.Paletot : manteau. 7.Frou-frou : froissement d’étoffe.


2.Idéal : usé. 8.Un vin de vigueur : une eau-de-
3.Féal : fidèle serviteur vie.
d’unseigneur. 9.Lyres : instruments demusique
4.Culotte : pantalon. dont jouaient les poètes
5.J’égrenais : je semais. del’Antiquité.
6.Mon auberge était à la Grande- 10.Les élastiques : les lacets.
Ourse : je dormais à la belle étoile. 11.Blessés : troués.

106 I NVITATION AU VOYAGE …


DOC28
DENNIS HOPPER
Easy Rider (1969)
 Steppenwolf,
Born to Be Wild, 1968
28

[ L’échappée belle ]

Dans Easy Rider, son film culte sorti en 1969, le cinéaste américain Dennis
Hopper (1936-2010) raconte l’odyssée de deux jeunes motards, Billy et Wyatt,
qui décident de quitter leur vie à Los Angeles CAHIER PHOTOS • p. VIII . Les deux
hommes, après avoir vendu une grande quantité de drogue, entendent
profiter de leur argent en se rendant au carnaval de La Nouvelle-Orléans qui
les a toujours fait rêver.
Cependant, durant leur traversée des États-Unis à moto, Billy et Wyatt
rencontrent des hippies qui leur font découvrir leur communauté. Les mœurs
nouvelles de ces jeunes gens sans tabous font souffler sur eux un vent de
liberté qui les pousse à donner un autre sens à leur aventure. Les voilà bien
décidés à explorer de nouvelles manières d’être et de vivre, loin de l’argent
et de la société de consommation.

3 questions pour vous guider...


1. Décrivez les différentes composantes de l’image.
2. Comment sont vêtus les personnages ? En quoi leurs tenues
montrent un goût pour la liberté ?
3. Pourquoi le plan de la photo est-il large ? Que cherche à
montrer ici Dennis Hopper ?

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 107


DOC29
ROLAND BARTHES
L’Empire des signes (1970)
 Alphaville,
Big in Japan, 1984
29

Dans L’Empire des signes, le critique littéraire Roland Barthes (1915-1980)


raconte son voyage au Japon. S’il consacre de nombreuses pages aux mœurs
et coutumes du pays du Soleil-Levant, il s’intéresse également à la manière
dont lui-même conçoit l’art du voyage.
Pour Barthes, voyager ne peut se réduire à traverser un pays armé de son
guide touristique. C’est en partant à la rencontre de ses habitants qu’on
apprend véritablement à le connaître et à mieux se connaître.

[ Une nouvelle façon d’être au monde ? ]

Le rendez-vous
Ouvrez un guide de voyage : vous y trouverez d’ordinaire un
petit lexique, mais ce lexique portera bizarrement sur des choses
ennuyeuses et inutiles : la douane, la poste, l’hôtel, le coiffeur, le
5 médecin, les prix. Cependant, qu’est-ce que voyager ? Rencontrer.
Le seul lexique important est celui du rendez-vous.
L’Empire des signes, © Éditions du Seuil, 2005,
première édition publiée par les Éditions d’Art Albert Skira en 1970 

3 questions pour vous guider...


1. L.2-3 : quel est le temps verbal ? Pourquoi Roland Barthes
l’emploie-t-il ?
2. Relevez la définition que Roland Barthes donne du voyage
et commentez-la.
3. Pourquoi pour Roland Barthes le voyage est-il synonyme
de « rendez-vous » ?

108 I NVITATION AU VOYAGE …


PLAYLIST N° 3

Chapitre 3 – Retrouver le goût


del’aventure
Et si malgré tout, voyager avait du sens ? Pour certains artistes
comme Nicolas Peyrac, le voyage amorce une expérience nouvelle,
autant spirituelle que sensuelle. Pour d’autres encore, comme Pink
Floyd, voyager change notre perception du monde ; pour Bernard
Lavilliers, le voyage est une invitation aux rencontres qui défient la
monotonie du quotidien.

A. Repenser le tourisme
20Boy George, Runaway Train, 2018
Reprise d’un classique des années 1970, « Runaway Train », inter-
prété ici par Boy George, raconte l’odyssée d’un homme qui
embarque à Boston pour rejoindre la Californie. Loin des clichés
touristiques, le périple vise à l’émerveillement.

21Gérard Manset, Il voyage en solitaire, 1975


Gérard Manset signe avec « Il voyage en solitaire », l’une de ses
chansons majeures. Tiré de l’album Y a une route, sorte de carnet
de voyage musical,ce titre raconte la jubilation d’un touriste qui
fait du voyage une expérience solitaire singulière.

22Alice Merton, No Roots, 2017


D’origine allemande et irlandaise, Alice Merton débute sa carrière
avec « No Roots » (« Sans racines »). L’artiste y raconte son désir de
s’enrichir du contact des autres en voyageant.

23Nicolas Peyrac, Je pars, 1977


Succès de l’année 1977, « Je pars » impose son auteur Nicolas
Peyrac au public. Entre musique électronique et texte poétique,
la chanson raconte un homme qui s’engage dans un voyage sans
retour pour Bahia… ou Cuba. Peu importe la destination, l’essen-
tiel est de fuir son quotidien.

R ETROUVER LE GOÛT DE  L ’ AVENTURE 109


PLAYLIST N° 3

B. Retrouver le sens du voyage


24Mahmood, Baci dalla Tunisia, 2021
Mahmood dévoile en 2021 le morceau « Baci dalla Tunisia ». Ce
titre, qui rappelle la tournure des cartes postales, évoque ses
voyages et la manière dont ils ont modifié son rapport au monde.

25Pink Floyd, On the Run, 1973


Extrait de l’album Dark Side of The Moon, l’instrumental « On The
Run » de Pink Floyd s’inspire de l’angoisse que les voyages ont
suscité chez le groupe contraint de se déplacer en avion. Il dit
aussi combien le voyage aide à repenser sa place dans le monde.

26Kendrick Lamar, Trip, 2010


Figure majeure du rap contemporain, Kendrick Lamar se distingue
par le choix de textes politiques. Dans « Trip », le voyage est vu
comme un outil d’émancipation intérieure, même en restant à quai.

C. Sortir des sentiers battus


27Bernard Lavilliers, On the Road Again, 1988
En 1988, inspiré par Kerouac et Rimbaud, Bernard Lavilliers, de
retour d’un voyage en cargo, écrit « On the Road Again ». Dans
cette chanson, il célèbre le voyage comme une fuite qui redonne
goût au risque et à l’audace.

28Steppenwolf, Born to Be Wild, 1968


Chanson du film de Dennis Hopper, Easy Rider, « Born to Be Wild »
de Steppenwolf est devenu l’hymne de tous les aventuriers des
routes. Éloge du retour à la vie sauvage, le titre chante les bienfaits
d’une vie libre.

29Alphaville, Big in Japan, 1984


Sommet de pop électronique, « Big in Japan » est un tube du groupe
allemand Alphaville. Sur une boîte à rythme répétitive, la chanson
évoque le destin d’un couple vivant au Japon, et qui, au bord de
la rupture, ne doit son salut qu’à la chaleur humaine des habitants.

110 I NVITATION AU VOYAGE …


NEX ES
AN

Sujets guidés

Fichesméthode
4 sujets blancs guidés
UJET
Voyager est-il un privilège de classe ?
S

 Première partie : Synthèse (/40points)


Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée
des documents suivants.
Document6• STENDHAL, Rome, Naples et Florence (p. 25)
Document7• DANIEL ROCHE, Les Circulations dans l’Europe moderne
(p. 29)
Document9• BERTRAND RÉAU, « Du “grand tour” à Sciences Po.,
levoyage des élites ? » (p. 32)
Document12• CÉDRIC KLAPISCH, L’Auberge espagnole (p. 54)

Les conseils pour réussir


a. Lisez les textes attentivement et identifiez pour chacun d’eux le milieu
social évoqué.
b. Mettez en évidence, dans l’article de Bertrand Réau, les avantages
culturels et sociaux des voyages pour les élites.
c. Identifiez, dans le document iconographique, à qui s’adresse les voyages
du programme Erasmus.

 Seconde partie : Écriture personnelle (/20points)


Pensez-vous que les voyages sont, encore de nos jours,
réservés à une élite ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous
appuyant sur des documents du corpus, vos lectures de l’année
et vos connaissances personnelles.

Les conseils pour réussir


a. Relisez attentivement le chapitre 1 et dites pourquoi le voyage
alongtemps été une activité réservée à l’aristocratie.
b. Identifiez ce que recherchaient les voyageurs du « grand tour ».
c. Consacrez un temps de votre réflexion à la démocratisation progressive du
voyage au cours du XXe siècle.

112 I NVITATION AU VOYAGE …


UJET
Le tourisme, une chance ou un fléau ?
S

 Première partie : Synthèse (/40points)


Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée
des documents suivants.
Document10• DELPHINE BANCAUD, « Histoire de congés : qu’ont fait
lessalariés avec leurs premiers congés payés en 1936 ? » (p. 47)
Document14• GARY COOK, Pizza Hut aux pyramides de Gizeh,
LeCaire, Égypte (p. 59)
Document17• VIOLAINE BALLIVY, « Surtourisme : quand le touriste
n’est plus le bienvenu » (p. 69)
Document21• JULIEN BLANC-GRAS, Touriste (p. 90)

Les conseils pour réussir


a. Montrez, dans l’article de Delphine Bancaud, en quoi les congés payés
ontété une chance pour les classes populaires.
b. Mettez en évidence, dans l’article de Violaine Ballivy, les conséquences
négatives du surtourisme.
b. Confrontez le document iconographique sur Pizza Hut aux pyramides
deGizeh avecletexte de Julien Blanc-Gras.

 Seconde partie : Écriture personnelle (/20points)


Pensez-vous qu’il n’existe que des aspects négatifs
audéveloppement du tourisme ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous
appuyant sur des documents du corpus, vos lectures de l’année
etvosconnaissances personnelles.

Les conseils pour réussir


a. Relisez le chapitre 2 pour mesurer les aspects négatifs du tourisme.
b. Appuyez-vous sur l’article de Violaine Ballivy pour distinguer tourisme
etsurtourisme.
c. Relisez le chapitre 3 afin de dégager des pistes de réflexion
surlaréhabilitation de la figure du touriste.

4 SUJETS BLANCS GUIDÉS 113


4 sujets blancs guidés
UJET
Voyager a-t-il encore un sens ?
S

 Première partie : Synthèse (/40points)


Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée
des documents suivants.
Document5• FRANÇOIS DE LA MOTHE LE VAYER, De l’utilité des voyages
(p. 24)
Document11 •CHARLOTTE BARRIQUAND, « Buffets à volonté,
tablescommunes… Comment le Club Med a révolutionné
letourisme » (p. 51)
Document16• CLAUDE LÉVI-STRAUSS, Tristes Tropiques (p. 66)
Document29 • ROLAND BARTHES, L’Empire des signes (p. 108)

Les conseils pour réussir


a. Mettez en évidence dans le premier document les visées formatrices
duvoyage.
b. Lisez attentivement le texte de Charlotte Barriquand afin de voir comment
le tourisme de masse a modifié la nature des voyages.
c. Confrontez les textes de Claude Lévi-Strauss et Roland Barthes.

 Seconde partie : Écriture personnelle (/20points)


Pensez-vous que le tourisme a fini par dénaturer le sens
duvoyage ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous
appuyant sur des documents du corpus, vos lectures de l’année
et vos connaissances personnelles.
Les conseils pour réussir
a. Relisez attentivement le chapitre 2 afin de comprendre comment
letourisme apu modifier en profondeur le sens des voyages.
b. Appuyez-vous sur le texte de Claude Lévi-Strauss pour identifier
lesprincipales raisons de la perte de sens du voyage.
c. Revisionnez le film de Walter Salles, Sur la route, afin de montrer
quelevoyage comme aventure est encore possible au XXe siècle.

114 I NVITATION AU VOYAGE …


UJET
Le voyage permet-il de s’émanciper ?
S

 Première partie : Synthèse (/40points)


Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée
des documents suivants.
Document2 • CHARLES BAUDELAIRE, « L’Invitation au voyage » (p. 16)
Document22• NICOLAS BOUVIER, L’Usage du monde (p. 92)
Document26• LUCIE AZEMA, Les femmes aussi sont du voyage (p. 101)
Document28 • DENNIS HOPPER, Easy Rider (p. 107)

Les conseils pour réussir


a. Mettez en évidence, dans le poème de Baudelaire, un appel à la liberté.
b. Confrontez les textes de Nicolas Bouvier et Lucie Azema afin de montrer
les différentes manières de s’émanciper par le voyage.
c. Identifiez dans le document iconographique du film de Dennis Hopper
cequi montre la liberté des personnages.

 Seconde partie : Écriture personnelle (/20points)


Pensez-vous que les voyages donnent le goût de la liberté ?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous
appuyant sur des documents du corpus, vos lectures de l’année
et vos connaissances personnelles.
Les conseils pour réussir
a. Relisez le chapitre 3 en vous intéressant plus particulièrement
auxdocuments qui font du voyage une quête d’émancipation.
b. Appuyez-vous sur le texte de Lucie Azema pour souligner la dimension
politique de l’émancipation par le voyage.
c. En relisant le poème de Baudelaire, associez dépaysement et quête
deliberté.

4 SUJETS BLANCS GUIDÉS 115


FICHE n° 1 synthèse de documents
onstruire une
OFNI

 Notée sur 40, la synthèse est l’une des deux parties de l’épreuve écrite de culture
générale et expression au BTS.
 Cet exercice consiste à rapprocher et confronter un ensemble de 3 ou 4 docu-
ments (également appelé corpus) dans une synthèse rédigée, construite et objective
qui en fera apparaître les points de convergence et de divergence.
 Le devoir doit se présenter sous la forme d’une composition, avec une introduc-
F
tion, un développement et une conclusion rédigés.

Pour réussir la synthèse, il faut procéder en 4 étapes.

> ÉTAPE 1 Lire le dossier


 Lisez tout d’abord attentivement le titre du dossier : il annonce
le thème traité et vous sert de guide.
 Prenez connaissance du paratexte de chaque document. Vous y trou-
verez des informations précieuses : sur l’auteur, le titre, la date et la
source.
 Lisez enfin avec soin l’ensemble du dossier une première fois pour
identifier les idées clés.

> ÉTAPE 2 Reformuler et classer les idées clés


 Après les avoir identifiées, reformulez chacune des idées clés : énon-
cez-les d’une manière différente de celle du texte, en tâchant de les
expliciter.
 Relisez les idées reformulées et surlignez dans la même couleur celles
qui se rapportent à un même groupe d’idées.
 Vous obtenez différents groupes d’idées ou thèmes : en général deux
ou trois. Donnez-leur un titre.
 Faites un tableau récapitulatif permettant de visualiser, pour chaque
thème, les points communs et les différences entre les documents.

116 I NVITATION AU VOYAGE …


> ÉTAPE 3 Trouver la problématique
 Chaque thème peut être associé à une interrogation. S’ouvre alors un
débat entre les différents thèmes identifiés que l’on peut formuler sous
la forme d’une question : c’est la problématique générale de la synthèse.

> ÉTAPE 4 Construire le plan


 Les deux ou trois grands thèmes identifiés correspondent aux deux
ou trois grandes parties du plan. Classez-les du plus simple au plus
complexe de manière à proposer une progression dans le plan.
 Pour chaque partie, déclinez l’idée directrice en deux ou trois argu-
ments clés qui permettent d’asseoir la démonstration.
 N’oubliez pas de rédiger, toujours au brouillon, de brefs paragraphes
de transition articulant chacune des grandes parties entre elles.

L’astuce Le piège !

Il est souvent utile d'adopter un plan Évitez absolument un plan énumératif qui
analytique exposant les causes, analyse un à un les documents sans proposer
les conséquences et les solutions aux de synthèse. Il faut toujours procéder à un
problèmes posés dans les documents. recoupement entre les différents documents.

F ICHES MÉTHODE 117


FICHE n° 2 raiter un sujet d’écriture personnelle
OFNI

 Notée sur 20, l’écriture personnelle est l’une des deux parties de l’épreuve écrite
de culture générale et expression au BTS.
 Cet exercice consiste à répondre de manière argumentée à une question relative
aux documents du dossier. La question invite le candidat à confronter les documents
proposés à l’étude pour la synthèse aux connaissances acquises durant l’année
scolaire sur le thème.
 L’écriture personnelle réclame du candidat une prise de position claire et définie
sur la problématique qui sera développée sous la forme d’une composition française
de 80 à 100 lignes maximum. Elle doit comporter une introduction, un développe-
ment et une conclusion rédigés.

Pour réussir l’écriture personnelle, il faut procéder en 6 étapes.

> ÉTAPE 1 Analyser le sujet


 Lisez tout d’abord attentivement le sujet dont la formulation est
toujours identique : il s’agit soit d’une question ouverte soit d’une citation
à commenter en lien avec l’un des deux thèmes traités durant l’année.
 Identifiez les mots clés qui permettent de délimiter le sujet. Ces mots
clés doivent être reformulés pour favoriser la recherche d’idées et inviter
à poser les termes du débat.
 La confrontation des documents du dossier et de vos connaissances
personnelles vous permettra de définir une problématique autour de
laquelle vous pourrez articuler votre questionnement.

> ÉTAPE 2 Trouver les arguments


 L’écriture personnelle s’articule autour de six à neuf arguments prin-
cipaux. Chacun de ces arguments est présenté dans un paragraphe
distinct. L’idée directrice y est énoncée puis illustrée avec un exemple
précis puisé dans l’un des documents du dossier ou dans vos connais-
sances personnelles.
 Pour trouver les arguments principaux :
– relisez les documents du dossier ;
− passez en revue vos connaissances personnelles acquises durant l’ap-
prentissage des thèmes.

118 I NVITATION AU VOYAGE …


 Une fois les idées et les exemples trouvés, confrontez-les pour
éviter les redites et le hors sujet. Chaque idée doit bien répondre à la
problématique.

> ÉTAPE 3 Construire son plan


 Trois règles sont indispensables pour élaborer votre plan :
− classez les idées selon leur degré d’importance ;
− énoncez de manière claire chaque idée et enchaînez-les de façon
logique et cohérente ;
− démontrez toujours au lieu d’affirmer vos idées.
 Quel que soit le plan adopté, vous devez avant tout fonder votre
propos sur une argumentation personnelle.
 Trois types de plans sont possibles pour organiser vos idées :
− Avantages / Inconvénients / Solutions.
− Causes / Conséquences / Solutions.
− Explication / Nuances / Reformulation de la question.

> ÉTAPE 4 Rédiger l’introduction


 L’introduction comporte trois étapes :
− commencez par présenter le sujet avec une phrase d’accroche ;
− présentez la problématique sous la forme d’une question ;
− annoncez le plan en soulignant son mouvement démonstratif à l’aide
de liens logiques.

> ÉTAPE 5 Rédiger le développement


 Suivant le modèle de la composition française, le développement
propose trois parties rédigées distinctement. Elles doivent être séparées
par des sauts de lignes et marquées par des alinéas signalant chaque
début de nouveau paragraphe.
 Chaque partie définit d’abord son idée directrice. Suit l’énonciation
de chaque argument illustré pour chacun d’exemples précis.
 Chaque partie et chaque idée s’enchaînent et s’articulent à l’aide de
liens logiques.

F ICHES MÉTHODE 119


> ÉTAPE 6 Rédiger la conclusion
 La conclusion comporte deux étapes :
− commencez par répondre sous la forme d’un bilan à la problématique
posée en introduction ;
− puis ouvrez et élargissez le sujet à l’aide d’une question.

L’astuce Le piège !

Confrontez les idées et les exemples en Évitez de traiter le sujet comme une
les organisant de manière personnelle question réclamant une prise de position
pour aboutir à une réponse individuelle. subjective ! Vous devez donc impérative-
ment éviter les formules comme « selon
moi », « pour ma part », « personnellement »
ou « je pense que ».

120 I NVITATION AU VOYAGE …


FICHE n° 3 nalyser un texte d’idées
OFNI

 Les textes d’idées sont des documents écrits qui n’appartiennent pas à la fiction
comme le roman ou le théâtre : essais sociologiques, dialogues philosophiques,
articles de presse, entretiens, documents de référence…
 Ils constituent les documents les plus nombreux dans les corpus de synthèse. Les
idées qu’ils contiennent sont exprimées directement dans un discours informatif.

Pour analyser un texte d’idées, il faut procéder en 4 étapes.

> ÉTAPE 1 Identifier le texte d’idées


 Les textes d’idées ne racontent pas une histoire et ne décrivent pas
des personnages ou des lieux comme le fait le roman.
 Même s’ils abordent des situations concrètes, leur fonction est d’ex-
poser et de mettre en relation des notions abstraites, d’expliquer des
faits, de proposer des réflexions, des points de vue, des prises de posi-
tion argumentés.
 Ces textes relèvent du discours argumentatif. Ils peuvent être polé-
miques ou satiriques.
 Pour mieux les identifier, aidez-vous du paratexte qui contient toutes
les informations nécessaires pour présenter le document : auteur, titre,
source, date de publication…

> ÉTAPE 2 Déterminer le thème global


du texte, savoir qui parle
 La première lecture d’un texte d’idées doit vous permettre de déter-
miner son thème global.
 La mise en évidence du lexique dominant vous aidera à répondre à
la question : « De quoi s’agit-il ? ».
 Il est indispensable que vous trouviez à qui appartiennent les idées
énoncées. Celui qui parle est celui qui signe l’œuvre ou l’article.
Toutefois, il arrive fréquemment à l’auteur de reprendre des points de
vue ou des paroles qui ne lui appartiennent pas.

F ICHES MÉTHODE 121


> ÉTAPE 3 Identifier les idées, les arguments,
les exemples
 Le texte d’idées confronte des notions, des points de vue, des théories
qui ne vont pas nécessairement dans le même sens. Identifiez-les tous,
cela vous permettra de définir la ou les problématiques.
 Les orientations différentes des idées sont perceptibles grâce à
plusieurs indices :
− la présence de champs lexicaux qui s’opposent ;
− la présence de figures d’opposition comme les antithèses, les para-
doxes, et d’articulations qui soulignent les divergences : mais, cependant,
à l’inverse, au contraire…
 Les exemples illustrent les idées ou constituent leur point de départ.
Ils sont concrets et souvent imagés. Identifiez-les rapidement car ils vous
faciliteront la compréhension des concepts.

> ÉTAPE 4 Mettre en évidence la structure


du texte
 Pour mettre en évidence la structure du texte, déterminez le type de
raisonnement et le plan suivis par l’auteur.
 Le texte peut être construit selon trois types de plan :
− un plan dialectique : il permet la confrontation à partir d’une thèse de
différents points de vue ;
− un plan déductif : il permet de tirer des conséquences à partir d’un
fait ou d’une cause ;
− un plan linéaire : le texte développe une même idée en l’illustrant de
manière détaillée et approfondie.

L’astuce Le piège !

Repérer les mots de liaison aide à Ne confondez pas arguments et exemples !


découvrir les grandes articulations de Les arguments développent toujours des
la pensée et le type de raisonnement idées articulées logiquement alors que les
adopté dans un document. exemples, beaucoup plus factuels, sont
toujours des illustrations concrètes des idées.

122 I NVITATION AU VOYAGE …


FICHE n° 4 nalyser une image
OFNI

 Les corpus de synthèse peuvent comporter différents types d’images : peintures,


photos, affiches de film, bandes dessinées, gravures…
 Il s’agit de faire apparaître le message visuel délivré par l’image grâce à certains
procédés de mise en valeur.

Pour analyser une image, il faut procéder en 4 étapes.

> ÉTAPE 1 Identifier le document


 Préoccupez-vous en premier lieu de la nature de l’image étudiée.
De sa nature dépend l’interprétation qui en sera fournie : un tableau ne
s’analyse pas de la même manière qu’une photographie ou une bande
dessinée.
 Ensuite, identifiez la source de l’image : il s’agit de repérer les diverses
sources de l’œuvre, de son auteur à la date de publication ou d’exécu-
tion. Vous serez également attentif au titre de l’œuvre ou à la légende
qui, d’emblée, orientent l’interprétation.
 Enfin, identifiez précisément la nature de l’image : il faut savoir distin-
guer une peinture d’une photographie, d’une gravure, d’un dessin de
presse ou encore d’une affiche de film. Vous mettrez en évidence le
courant auquel l’œuvre appartient (impressionnisme, cubisme, Pop Art
par exemple) et la technique utilisée par l’artiste (photographie noir et
blanc, dessin au fusain par exemple).

> ÉTAPE 2 Étudier le sujet représenté


 Repérez qui et ce qui est représenté. S’agit-il d’un ou de plusieurs
personnages ? Comment sont-ils vêtus ? À quelle époque se situe la
scène ? Quel est le décor ? Que révèle-t-il des personnages représentés ?

> ÉTAPE 3 Étudier la composition de l’image


 Décrivez comment se compose plastiquement et techniquement
l’image. Quelles sont les principales lignes du dessin ? De combien de

F ICHES MÉTHODE 123


plans se compose l’image ? L’arrière-plan joue-t-il un rôle ? Quel est le
cadrage utilisé ? Quels sont les effets de perspective ? Y a-t-il un usage
particulier des couleurs et de la lumière ? L’image est-elle accompagnée
d’une légende ?

> ÉTAPE 4 Interpréter le message visuel


 Demandez-vous quel message est délivré par l’image. Pour répondre
à cette question, partez des éléments mis en évidence dans les deux
précédentes étapes ; ils vous aideront à découvrir les pistes d’interpré-
tation du message visuel.
 Quatre pistes d’interprétations sont possibles :
− si le message est explicatif, posez-vous les questions suivantes :
qu’est-ce que l’image veut expliquer ? Dénonce-t-elle un problème ?
Cherche-t-elle à séduire et à persuader ?
− si vous devez établir un lien entre l’image et un texte, posez-vous les
questions suivantes : quelles sont les relations entre le texte et l’image ?
Comment le visuel s’articule-t-il à la légende, au slogan ou au titre de
l’image ?
− si vous devez étudier le registre de l’image, posez-vous les questions
suivantes : l’image est-elle satirique, pathétique ou lyrique ?
− si vous voulez connaître sa fonction, son utilité, posez-vous les ques-
tions suivantes : quelle peut être l’utilisation de l’image ? S’agit-il d’une
image intime ? d’une publicité ? d’une affiche de propagande ou encore
d’une image religieuse ?

L’astuce Le piège !

Étudiez les couleurs avec précision Ne vous contentez pas de décrire l’image !
en distinguant couleurs chaudes et Vous devez toujours chercher le message
couleurs froides. Cela vous permettra visuel en vous aidant le plus possible des
de cerner avec efficacité la visée de éléments verbaux présents dans l’image :
l’image. titre, légende, slogan, bulles de bande
dessinée notamment.

124 I NVITATION AU VOYAGE …


CLASSÉS PAR

T
Articles
DOC 1 • LAROUSSE, Définitions des mots « Voyage »

ST N E M U C O D S EL
et « Aventure » 15
DOC 9 • RÉAU B., « Du “grand tour” à Sciences Po.,
le voyage des élites ? » 32
DOC 10 • BANCAUD D., « Histoire de congés : qu’ont fait
les salariés avec leurs premiers congés payésen 1936 ? » 47
DOC 11 • BARRIQUAND C., « Buffets à volonté, tables communes…
Comment le Club Med a révolutionné le tourisme » 51
DOC 15 • LA BONNARDIÈRE É., « Nousavonstrahilapromesse
duvoyage en confondant démocratisationetuniformisation » 60
DOC 17 • BALLIVY V., « Surtourisme : quand le touriste
n’est plus le bienvenu » 69
DOC 19 • FŒSSEL M., « Le touriste, seul étranger
désormaisdésirable ? » 74
DOC 20 • GUILLOU C., « Un autre tourisme est-il possible ? » 86

Essais, textes d’idées


DOC 5 • LA MOTHE LE VAYER F. (DE), De l’utilité des voyages 24
DOC 7 • ROCHE D., Les Circulations dans l’Europe moderne 29
DOC 13 • DEBUREAUX M., De l’art d’ennuyer en racontant
sesvoyages 56
DOC 16 • LÉVI-STRAUSS C., Tristes Tropiques 66
DOC 21 • BLANC-GRAS J., Touriste 90
DOC 22 • BOUVIER N., L’Usage du monde 92
DOC 24 • MONTAIGNE M. (DE), « De la vanité », Essais, III 96
DOC 25 • ROUSSEAU J.-J., Émile ou De l’éducation 98
DOC 26 • AZEMA L., Les femmes aussi sont du voyage 101
DOC 29 • BARTHES R., L’Empire des signes 108

I NVITATION AU VOYAGE … 125


Textes littéraires
DOC 2 • BAUDELAIRE C., « L’Invitation au voyage » 16
DOC 4 • CLAUDEL P., Le Livre de Christophe Colomb 20
DOC 6 • STENDHAL, Rome, Naples et Florence 25
DOC 27 • RIMBAUD A., « Ma Bohème » 105

Visuels
CINÉ & CIE CHAPITRE 1 • MALICK T., Le Nouveau Monde 10
DOC 3 • GELLÉE C. DIT LE LORRAIN, Port de mer avec villa Médicis 18

DOC 8 • EGG A. L., Les Compagnes de voyage 31


CINÉ & CIE CHAPITRE 2 • ANDERSON W.,
À bord du Darjeeling Limited 42
DOC 12 • KLAPISCH C., L’Auberge espagnole 54
DOC 14 • COOK G., Pizza Hut aux pyramides de Gizeh,
LeCaire, Égypte 59
DOC 18 • KOMOLVANICH N., Phuket, Thaïlande 73
CINÉ & CIE CHAPITRE 3 • SALLES W., Sur la route 82
DOC 23 • PENN S., Into the Wild 94
DOC 28 • HOPPER D., Easy Rider 107

126 I NVITATION AU VOYAGE …


Ta b l e d e s i l l u s t r a t i o n s

2e de couverture • Photo (2002), de Cédric Klapisch


extraite du filmLe Nouveau © Ce Qui Me Meut / BAC
Monde (2006), de Terrence FILMS – Collection Christophel
Malick
Page IV • Gary Cook,
© New Line Cinema / PizzaHutaux pyramides
Sunflower Productions –
deGizeh, Le Caire, Égypte
Collection Christophel ph © Gary Cook / Alamy Stock
3e de couverture • Affiche du Photo
filmDarjeeling Limited (2007),
Page V • Nutkamol
de Wes Anderson Komolvanich, Phuket,
© Fox Searchlight / BBQ_DFY / Thaïlande (2016)
Aurimages
ph © Nutkamol Komolvanich /
Page I • Claude Gellée dit Shutterstock
LeLorrain, Port de mer avec villa
Page VI • Photo extraite
Médicis (1637), huile sur toile, dufilm Sur la route (2012),
Florence, Galerie des Offices deWalter Salles
ph © 2022. Photo Scala,
© Mk2 Productions / American
Florence – courtesy of the Zoetrope / Jerry Leider
Ministero Beni e Att. Culturali Company / Film 4 / Canal+ /
edel Turismo
EVERETT / Aurimages
Page II • Augustus Leopold Page VII • Affiche du film Into
Egg, Les Compagnes de the Wild, de Sean Penn (2007)
voyage (1862), huile sur toile, © Paramount / Courtesy
Birmingham Museum and Art Everett Collection / Aurimages
Gallery
ph © Photo by Birmingham Page VIII • Photo extraite
Museums Trust, licensed under du film Easy Rider (1969),
CC0 deDennis Hopper
© Everett Collection /
Page III • Photo extraite du Aurimages
film L’Auberge espagnole

I NVITATION AU VOYAGE … 127


Conception graphique de la maquette : studio Favre & Lhaïk
Mise en pages : Soft Office – 8 pages couleurs : Clarisse Mourain
Iconographie : Hatier illustration
Suivi éditorial : Delphine Livet et Léonie Favier
Claude Gellée dit Le Lorrain, Port de mer avec villa Médicis (1637)


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 1, DOC 3, P. 18

I
Augustus Leopold Egg, Les Compagnes de voyage (1862)


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 1, DOC 8, P. 31

II
Photo extraite du film L’Auberge espagnole (2002), de Cédric Klapisch


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, DOC 12, P. 54

II I
Pizza Hut aux pyramides de Gizeh, Le Caire, Égypte, photo de Gary Cook


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, DOC 14, P. 59

IV
Phuket, Thaïlande (2016), photo de Nutkamol Komolvanich


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, DOC 18, P. 73

V
Photo extraite du film Sur la route (2012), de Walter Salles


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 3, CINE&CIE, P. 82

VI
Affiche du film Into the Wild (2007), de Sean Penn


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 3, DOC 23, P. 94

VI I
Photo extraite du film Easy Rider (1969), de Dennis Hopper


PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 3, DOC 28, P. 107

VIII
Affiche du film À bord du Darjeeling Limited (2007), de Wes Anderson
> PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, CINÉ & CIE, P. 42
Voyager est désormais une pratique à la portée du plus grand nombre.
Mais pourquoi voyageons-nous ? Pour découvrir d’autres contrées, nous enrichir
de nouvelles rencontres ? Le tourisme de masse nous montre que le voyage peut
aussi être pratiqué sans curiosité véritable, et au mépris des conséquences
écologiques et sociales. Comment réinventer l’art du voyage ?
Anderson • Azema • Barthes • Baudelaire • Blanc-Gras • Bouvier • Debureaux • Desireless • Egg • Hopper
Klapisch • Lavilliers • La Mothe Le Vayer • Le Lorrain • Lévi-Strauss • Malick • Manset • Montaigne • Penn
Peyrac • Rimbaud • Roche • Rousseau • Salles • Stendhal

t e a n t h o l o g i e ?
Qu e c o m p re n d c e t
 des PHOTOS
et des études de FILMS  une sélection
pour entrer dans le thème de DOCUMENTS
CIN associés
à un questionnement

 des FICHES
DE MÉTHODE
pour bien maîtriser
l’épreuve écrite
du BTS de français  des PLAYLISTS
commentées
dans chaque partie
 des SUJE
BLANCS guid
pour s’entraîner
en vue de l’examen

e p é d a g o g i q ue
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Iconographie : Frédéric Bélonie


Conception couverture : cedricramadier.com

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