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Luciana Saboia - Brasilia Et Oscar Niemeyer
Luciana Saboia - Brasilia Et Oscar Niemeyer
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/chrhc/1912
DOI : 10.4000/chrhc.1912
ISSN : 2102-5916
Éditeur
Association Paul Langevin
Édition imprimée
Date de publication : 1 juillet 2009
Pagination : 27-54
ISBN : 978-2-917541-18-0
ISSN : 1271-6669
Ce document vous est offert par CIRAD Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement
Référence électronique
Luciana Saboia, « Brasilia et Oscar Niemeyer: le contexte politique et la dimension esthétique », Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 109 | 2009, mis en ligne le 01 juillet 2012, consulté le 10
octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/1912 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.
1912
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Brasilia et Oscar Niemeyer: le contexte politique et la dimension esthétique 1
Brasilia, construite en seulement quatre ans, entre 1957 et 1960, devint l’une des plus
grandes réussites du Mouvement Moderne au XXe siècle. La construction de la nouvelle
capitale brésilienne fut accueillie par la critique à l’échelle nationale et internationale
par des réactions allant de l’exaltation au rejet. S’exprimèrent à la fois l’exaltation de
l’épopée de la construction, en quatre ans, d’une ville totalement planifiée selon les
idéaux égalitaires de construction d’une société nouvelle et le rejet d’une ville
artificielle et utopique face à la réalité d’une société extrêmement hiérarchisée.
Brasilia, incarnation de la « ville fonctionnaliste », divisa la critique en deux grands
courants opposés : l’un la reconnaissant comme la capitale brésilienne moderne, et
l’autre l’acceptant comme la ville moderniste, reflet du Mouvement Moderne
International. Dans une vision triomphaliste, Brasília, considérée comme le sommet du
modernisme brésilien, fut appelée la « capitale de l’espoir » d’un nouveau Brésil en voie
de développement. Le projet moderne signifiait l’ouverture sur un pays encore à venir.
On croyait qu’à partir d’espaces ouverts à caractère public et égalitaire et d’horizons
libres, on pourrait produire un nouvel ordre social. À la fin août 1959, le ministre
français André Malraux visita Brasilia. Au milieu des travaux, avant l’inauguration de la
nouvelle capitale, il déclara :
« Presque toutes les villes se sont développées d’elles-mêmes, autour d’un lieu
privilégié. Que l’histoire contemple aujourd’hui avec nous l’apparition des premiers
bâtiments d’une ville faite par la volonté d’un homme et par la présence d’une
Nation1. »
Mais par ailleurs, Brasilia, la ville moderniste, fut systématiquement dénoncée pour ses
vides monumentaux et pour sa plasticité exacerbée. On accusait le projet de la capitale
d’être une imposition de l’État qui voulait construire une ville sans mémoire et sans
vie citadine. La structure urbaine moderne fut critiquée pour son manque de
dimension humaine. L’architecture gouvernementale fut critiquée pour ses aspects
formels éloignés des préoccupations sociales d’un pays aux prises avec de graves
problèmes socio-économiques. Sybil Moholy-Nagy écrivit pour la revue Progressive
Architecture, en 1959, un article dans lequel elle critiquait la monumentalité de la
capitale et l’excès d’espaces urbains vides :
« Les squelettes rigides des ministères se dressent à gauche et à droite de l’axe
triomphal comme des ombres tardives de la Ville de trois millions de personnes de
1922. On se demande comment fonctionnent les communications entre les agences
gouvernementales d’un côté à l’autre d’une place publique de pareilles dimensions. 2
»
Le projet de Brasilia, en tant qu’application de la Charte d’Athènes, subit les critiques
faites au Mouvement Moderne. Pour Kenneth Frampton, l’inauguration de Brasilia en
1960 représenta le tournant du Mouvement Moderne international. La critique
n’épargna aucun argument contre ce que Manfredo Tafuri appela « l’architecture de la
bureaucratie ». Dans une critique ironique, Tafuri souligne les liens idéologiques entre
la configuration architectonique et les intérêts politiques de l’État : « Niemeyer avait
déjà montré les limites de son approche dans la nouvelle capitale du Brésil. […] Née
d’intentions démagogiques comme symbole d’une vitalité pionnière en habit
bureaucratique, elle fut aménagée par Costa sur un plan allégorique puéril – celui d’un
avion – et remplie d’un système de « super-blocs » résidentiels […]. Niemeyer produisit
la Place des trois pouvoirs – une paire de gratte-ciel flanquée d’une voûte sphérique et
de la tranche de coupole inversée du Sénat et de la Chambre des députés – avec la
cathédrale, le palais présidentiel, et d’autres bâtiments publics. Le gratuit y est teinté
de sophistication. Même si ces bâtiments offrent un beau spectacle, c’est un spectacle
de velléités superflues3. »
Quoique le projet urbain ait été conçu par Lucio Costa, les critiques de la ville et de la
conception architecturale furent adressées au seul Niemeyer. L’architecte, agent de
l’État, conçut en effet à l’invitation du président Juscelino Kubitschek la quasi-totalité
des œuvres gouvernementales de l’Axe Monumental de la capitale. Parallèlement à ses
activités professionnelles, comme d’autres intellectuels, Niemeyer participait à des
mouvements de gauche. Le militant Niemeyer n’hésita pas à exercer son activité
politique au PCB, le Parti Communiste Brésilien. Miguel Alves Pereira note qu’Oscar
Niemeyer subira toujours le poids de cette quête d’une cohérence entre l’œuvre et son
contenu social, quête qui le mena « à la recherche d’une explication d’un contenu
politique difficile et d’une formulation esthétique séparée du discours marxiste » :
« D’un côté le militant communiste, de l’autre le talent qui formule une expression
plastique exubérante ; d’un côté l’inspiration d’un monde (Union Soviétique), d’où
l’architecture moderne avait été bannie, de l’autre un pays (le Brésil) où les idéaux
de cette architecture fleurissaient d’une façon remarquable. D’un côté la
révolution ; de l’autre l’architecture. Que faire ?4 »
La question se pose donc de savoir comment Brasilia, œuvre construite et vécue, et
donc chaque jour reconfigurée, reprend la question de la matérialisation et de
l’imbrication des dimensions politique et esthétique. La compréhension de
l’architecture de Niemeyer s’affaiblit dans la recherche de l’équilibre entre ses
ambitions et le contenu social de son œuvre. L’analyse de Miguel Alves Pereira ouvrit la
voie à cette approche : en s’appuyant sur les textes d’Oscar Niemeyer, il concluait que
l’architecte n’opta pas pour le dialogue véritable sur son œuvre avec ses pairs de gauche,
négligeant la pensée marxiste non orthodoxe. Ce dialogue fut, d’autre part, également
négligé par la critique architecturale au profit de la volupté plastique de son œuvre.
Une autre question importante fut, et est encore la relation privilégiée entre
Partie I
Préfiguration : recherche d’identité culturelle, entre le moderne et le
national (1928-1956)
population serait la condition sine qua non de l’existence de la culture comprise comme
l’une des dimensions du développement, intégré et basé sur une croissance endogène,
centré sur les potentialités locales et nationales31.
L’idée dominait que seul un État démocratique pourrait permettre l’expression
authentique d’une culture nationale, représentant la société tout entière et que seule
une culture vraiment brésilienne serait en mesure de permettre un développement
intégré. Ainsi, entre 1975 et 1985, à mesure que les questions relatives à la démocratie
et à la décentralisation prenaient de l’ampleur dans les discours sociaux et politiques,
on assista à ce que Cohn32 appela, à juste titre, la socialisation et la politisation de la
perception officielle du champ culturel.
En 1985, le Mouvement pour les Élections directes et l’élection, même indirecte, de
Tancredo Neves à la Présidence de la République, amena au processus démocratique de
la Nouvelle République, avec l’élection directe de Fernando Collor de Mello en 1989. Ce
fut un moment d’euphorie politique, d’indécision économique et de restructuration
culturelle. Euphorie politique, parce que depuis Jânio Quadros, il n’y avait plus eu
d’élection directe d’un Président de la République. Indécision économique à cause de la
confrontation entre le modèle international de tendance néolibérale et l’héritage
national récent caractérisé par une perméabilité ou une interaction commerciale assez
limitée. Restructuration culturelle ancrée dans une série de mesures qui traduisaient
un manque de prestige du champ culturel et une crise de l’architecture.
Partie II
Reconfiguration : l’esplanade en tant qu’espace démocratique
Il existe des écarts énormes entre la Brasilia de 1957 et celle inaugurée en 1960, ce qui
témoigne d’un « processus d’élaboration » continue de la ville. Le parti initial, comme
une idée à développer, commence à subir des changements dès la publication des
résultats du concours en mars 1957. Les premières mesures d’ajustement au projet de
1957 furent le déplacement de la bande résidentielle, l’éloignement de la bande de
résidences individuelles de l’autre côté du lac. Ces mesures entraînèrent, selon Maria
Elisa Costa et Adeildo Viegas de Lima33, le changement du plan urbain initial : « L’axe
routier devint plus arqué et plus court, doublant la longueur de l’axe ouest de l’Axe
Monumental en raison de l’éloignement de la voie ferrée34. Cette nouvelle répartition
de l’axe altéra beaucoup la disposition initiale des équipements gouvernementaux,
municipaux et fédéraux le long de cet axe. En outre, il y eut des répercussions sur la
configuration interne du centre urbain qui fut substantiellement élargi pour répondre
aux diverses demandes d’affectation des entités gouvernementales, bancaires et
commerciales dans la zone centrale de la ville. »
Avec le déplacement du croisement des axes, suggéré par Holford, à une altitude plus
basse, près du lac Paranoá, la zone centrale projetée pour un espace relativement plat
se trouva située sur un terrain en pente. Dans son nouvel emplacement, la plate-forme
de la gare routière devient partie intégrante d’un ensemble de quatre terre-pleins
successifs, le premier et le deuxième existant à l’origine où se trouvent la Tour de
Télévision et l’Esplanade des Ministères. La place centrale de la capitale devient partie
d’un troisième et nouveau terre-plein, suivi d’un dernier où serait sauvegardée la
végétation native du cerrado. Dans la transition du terre-plein de la Tour de
tour de TV. La gare routière est le noyau urbain de la zone centrale de Brasilia. Son
immense plate-forme supportée par des piliers énormes relie la partie nord et la partie
sud de la ville, et a été planifiée pour être le point de rencontre central et culturel de la
ville. Toutefois, la plate-forme est marquée par l’absence de bâtiments significatifs et la
rareté des éléments architectoniques. Simultanément, en « dématérialisant » le point
central de la gare routière, ses espaces amples et libres permettent son appropriation
par la population.
Dans ce décor entre la gare routière et la Place des Trois Pouvoirs, les tours jumelles du
Congrès national sont le point de tension entre la matérialité de la place, composée des
palais présidentiel et de justice, et l’immatérialité de la dimension monumentale de la
ville présente sur l’Esplanade des Ministères. La construction projetée par Oscar
Niemeyer est la synthèse de ce que fut la configuration architectonique de Brasilia dans
les premières années de sa construction. L’art, la forme et la beauté étaient des
catégories appropriées comme facteurs de liberté et d’expérimentation. L’équilibre de
la composition entre les coupoles et les tours en asymétrie, la simplicité prismatique
des tours du Congrès, la légèreté structurelle de la coupole de la Chambre des Députés,
l’exubérance et la plastique de l’ensemble révèlent ce que fut la promesse de liberté :
d’un côté la liberté formelle, la nécessité d’une matérialisation de l’audace plastique et
technique d’un pays encore à venir, de l’autre la liberté des espaces libres et amples qui
encadrent le Congrès National. La construction appartient tant au décor de la place
civique qu’au décor de l’Esplanade des Ministères.
Cette dialectique entre matérialité et immatérialité dans l’urbs moderne révèle la mé
diation entre la nécessité d’une représentation symbolique des aspects « inhérents à
la capitale du pays » et la nécessité de libération de l’espace public comme
reconnaissance juridique du citoyen. Pour Lucio Costa et Niemeyer, le vide était
avant tout la possibilité d’appropriation par le peuple brésilien, du fait de la
possibilité réelle d’abriter les masses populaires et les manifestations, et surtout la
possibilité de visualiser l’ensemble urbanistique permettant un sentiment de prise de
possession délibérée par chaque citoyen qui circule dans la zone centrale de la ville.
La liberté plastique et le vide urbain s’installent comme des instruments de
démocratie, comme espace potentiel de liberté.
Mario de Andrade, l’un des principaux précurseurs dès les années 1920, affirme que l’un
des principes spécifiques du modernisme brésilien était le droit à la recherche
esthétique. La plasticité présente dans l’œuvre de Niemeyer était justifiée comme une
stratégie démocratique d’auto-affirmation nationale. Le modernisme n’admettait pas
les emprunts étrangers et critiquait la soumission aux courants européens du
Mouvement Moderne. En même temps, les intellectuels acceptaient le contrôle
idéologique de l’État et même le capital étranger comme source de croissance
économique.
En réponse aux critiques qui accusaient Brasilia de ne pas avoir une architecture
sociale, Niemeyer dit souvent que ce n’était pas l’architecture qui était importante,
mais la vie. Et que la société ne changerait qu’à partir de mouvements révolutionnaires.
Projeter une architecture sociale était une illusion, puisque la société brésilienne ne
disposait pas d’une base sociale juste. Selon Miguel Alves Pereira, Niemeyer estimait
qu’une architecture sociale à ce moment aurait été une « fantaisie trompeuse ou une
attitude purement intellectuelle, qui ne pourrait aboutir à rien » 37.
Mais Pereira prétend que l’architecte refusa l’opportunité de discuter son œuvre à
partir de l’analyse marxiste non orthodoxe, comme le dit Manfredo Tafuri. Selon le
critique italien, l’architecture moderne est une dialectique entre une conception sociale
de l’espace et l’acceptation de valeurs contemplatives. L’accent mis sur le vide est
ambigu, puisque le vide implique la polarité entre la matérialité et la dématérialisation
entre l’objet symbolique et la crise de l’objet, entre l’espace représentatif et l’espace
social. Ainsi, le projet urbain et architectonique de Brasilia révèle cette ambiguïté en
déployant la place de la ville-capitale sur deux espaces : la Place des Trois Pouvoirs et la
plate-forme de la Gare Routière, unies par l’Esplanade des Ministères et par le Congrès
National.
Tant et si bien que l’inauguration de Taguatinga eut lieu deux ans avant celle de
Brasilia. Et après ce noyau satellite pionnier, beaucoup d’autres suivirent, comme le
Núcleo Bandeirante, Samambaia, Gama, Guará, Sobradinho, entre autres.
En fait, c’est l’État qui fut le principal agent de l’organisation urbaine de la capitale,
jouant le rôle de planificateur, promoteur, constructeur et financeur du processus de
production spatiale. La séquence de création d’établissements montra très clairement
l’embryon d’une dynamique d’expansion urbaine qui allait marquer la configuration
territoriale de la capitale à partir de ce moment. L’occupation urbaine polynucléaire,
avec la création des villes dites satellites, disposées au-delà de la ceinture verte
entourant le plan urbanistique originel, l’expropriation de terres et le mépris des
structures urbaines préexistantes dans les limites du District fédéral, sont des
caractéristiques marquantes de ce premier moment.
Dans un second moment, l’approfondissement de la ségrégation spatiale fut continu et
on observa l’expansion et l’intensification des noyaux urbains préexistants comme
Planaltina et Brazlândia, ainsi que des villes satellites créées précédemment. Ces
noyaux périphériques constituèrent initialement de simples « villes-dortoirs », avec un
modèle urbanistique inspiré de la zone centrale, mais de qualité inférieure. Par la suite,
la pénurie de logements liée à la politique constante et délibérée du gouvernement
local de déplacer les bidonvilles en dehors des limites territoriales du Plan Pilote
explique l’approfondissement de ce processus de ségrégation, responsable, entre
autres, de la relation de dépendance établie entre la ville et les villes satellites,
installant un mouvement pendulaire d’influence mutuelle et contradictoire. D’une part,
l’esthétique urbanistique et architectonique du Plan Pilote influença la configuration
des villes satellites et maintînt la masse à une distance de sécurité. D’autre part, la
nécessité quotidienne de déplacements entre les villes-dortoirs et le lieu de travail
suscita une reconfiguration du Plan.
Pourtant, le Plan Pilote de Brasilia, rêvé comme une totalité sociale, culturelle et
artistique, œuvre d’art total, continua à être construit selon l’architecture d’Oscar
Niemeyer, matérialisation des contradictions de l’époque. D’une part, à la tête d’œuvres
de l’ampleur et de l’importance de la Cathédrale ou du Palais Itamaraty, on trouvait un
architecte ouvertement athée et communiste, affilié au PCB, Parti Communiste du
Brésil. D’autre part, pour la dictature militaire, terminer et consolider Brasilia et, avec
elle, le nationalisme, l’intégration nationale, représentait une urgence qui permettait
un degré élevé de tolérance envers la position politique d’un personnage clé dans le
processus d’affirmation de la nouvelle capitale du Brésil, Niemeyer lui-même.
Le fait est que la Cathédrale comme l’Itamaraty, commencés entre la fin des années 1950
et le début des années 1960, avaient été interrompus lors du coup d’État militaire, mais les
travaux furent ensuite repris sous la direction d’Oscar Niemeyer et de son équipe et achevés
en 1970. Les deux projets, symboles respectivement de l’Église catholique et des relations
diplomatiques du Brésil dans la capitale fédérale, sont dans une situation privilégiée au sein
de la configuration du Plan Pilote. Insérés en plein Axe Monumental, en évidence sur
l’Esplanade des Ministères, ils constituent des œuvres paradigmatiques de Niemeyer, qui
excitèrent la critique internationale pour laquelle ils représentaient l’incohérence entre
l’exercice de la profession et le discours politique, entre l’architecte et le militant.
L’orthodoxie esthétique marxiste, fondée sur l’interprétation des valeurs d’une
expression artistique par les seuls rapports de production existants, exigeait des
Conclusion
À partir des années 1990, on assiste à la politisation et à la culturalisation de la sphère
locale, de la ville. L’idée de la ville comme construction collective dont la dimension
esthétique est au service de la société, se superpose à la notion de la ville globale. Le
processus de promotion de l’espace urbain fondé sur une planification stratégique qui
prétend remplacer la planification fonctionnaliste se met en place. Dans ce scénario de
compétition et de marketing se redéfinit encore une fois la relation entre politique et
culture/architecture.
Basé sur le néo-libéralisme, l’État national perd son rôle central au profit de
partenariats associant le public et le privé et de la montée d’autres formes
d’institutions sociopolitiques tels que les États transnationaux 40 et les villes elles-
mêmes41. On adopte, dans la sphère publique, les modalités de gestion d’entreprise
fondées sur la captation d’investissements capables de générer une plus grande
productivité. Les grands projets architectoniques deviennent, pour la plupart des
politiciens de la dernière décennie du XXe siècle, et d’une manière de plus en plus
indépendante de l’orientation politique de gauche ou de droite, une manière efficace de
présenter au public une politique municipale ambitieuse, moderne, victorieuse. En
d’autres termes, le projet architectonique à caractère culturel se révèle être la meilleure
« carte de visite » de celui qui se veut le principal acteur de cette politique fondée sur la
question du développement local, le politicien. Matérialisée en particulier dans les projets
de musées et de maisons de la culture, l’architecture avec « griffe », avec « signature », en
vient à être considérée comme un instrument d’insertion internationale de la sphère
locale.
Dans ce contexte, la signature la plus importante de l’architecture brésilienne reste
celle d’Oscar Niemeyer qui, en effet, signe les œuvres que sont le Musée d’Art Moderne
de Niterói, le Musée Oscar Niemeyer de Curitiba et, plus récemment, le Musée National
de Brasilia.
Dans la capitale fédérale, entre 1987 et 2009, l’architecture de Niemeyer n’a cessé de
ponctuer l’Axe Monumental et ses environs. Après le monument commémoratif de
l’inscription de Brasilia sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1987,
vinrent l’Espace Lúcio Costa et l’Espace Culturel Oscar Niemeyer, entre 1988 et 1989, le
monument à Israël Pinheiro, en 1991, l’annexe II de la Cour suprême (1995-1998), le siège
du Bureau du procureur général de la République (1995-2002) et, récemment, le Musée
National et la Bibliothèque Nationale (2008), complétant le Secteur Culturel Sud dans une
zone visible de l’Esplanade des Ministères, entre la Cathédrale et la Gare Routière 42.
En observant cet ensemble d’œuvres de Niemeyer et plus précisément les formes du
Musée National et de la Bibliothèque Nationale, la réflexion d’Edson Mahfuz apparaît
comme particulièrement pertinente quand il affirme que « s’il est vrai que depuis les
années 1930 jusqu’à Brasilia, l’œuvre de Niemeyer se caractérisa par l’inspiration des
précédents de Le Corbusier, manipulés avec brio, à partir de ce moment sa propre
œuvre devient la référence de base.43 »
Chez Niemeyer, selon Mahfuz, la forme ne suit pas la fonction aussi catégoriquement
que le présuppose le postulat moderniste, puisque, à partir de Brasilia, la même forme
s’adapte à différentes fonctions. Selon Niemeyer lui-même, « lorsque la forme crée de la
beauté elle assume une des fonctions les plus importantes dans l’architecture », cette
fonction à laquelle se réfère Niemeyer étant la dénonciation.
Pendant toute la période de 1985 à aujourd’hui, la critique de l’orthodoxie esthétique
marxiste, entreprise entre autres par Marcuse et Tafuri dans les années 1970, a trouvé
beaucoup d’autres partisans. La croyance dans le pouvoir politique de la forme, de la
beauté n’est plus une hérésie dans la pensée marxiste qui, de façon catégorique, a
toujours nié l’esthétique du beau, considérée comme expression de la bourgeoisie.
Toutefois, bien qu’il soit possible de croire que l’expression exubérante de la forme, de
la courbe dans l’architecture de Niemeyer trouve encore sa fonction sociale dans la
dénonciation d’une base sociale injuste, ce qui fait qu’elle est sollicitée, aimée, détestée,
critiquée ou louée, c’est sa capacité à se mettre elle-même et son créateur au-dessus de
toute idéologie politique.
BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Kubitschek, 1975, p. 242.
2. Moholy-Nagy, 1959.
3. Tafuri, 1979, p. 354.
4. Pereira, 1997.
5. Ricœur, 1998.
6. Tafuri, Teorias e História da Arquitectura, 1979, p. 282.
7. Amaral, 1998.
8. Inspiré par Marx, Freud, André Breton et Rousseau, il théorise sur la révolution dans les
Caraïbes et le mythe du bon sauvage contre le cannibalisme. Andrade se réfère à « une
transformation permanente du Tabou en Totem. » Il se réfère au fait que le guerrier qui mange la
chair d’un autre brave guerrier assimile son courage et sa bravoure. Le mythe du bon sauvage de
Rousseau est inversé, il transforme l’ennemi ou étranger en sa propre chair. L’indigène devient
l’agent de l’action civilisatrice : en digérant et en assimilant des forces extérieures, le guerrier
devient plus fort et en même temps renforce ses traditions et ses croyances. D’autre part, le
guerrier sacrifié est divinisé plus tard. L’acte cannibale, considéré comme tabou, devient un acte
sacré se transformant en totem, Oliveira, 2002.
9. Segawa, 1998, p. 49
10. Oliveira & al, 1982, p. 72 cité par Pereira, 1997, p. 65.
11. Segawa, 1998, p. 89.
12. Segawa, 1998, Comas, 1987, Cavalcanti, 2001.
13. Selon Lauro Cavalcanti, l’exposition Brazil Builds organisée par Philip Goodwin et GE Kidder
Smith parcourut plus de 47 pays en trois ans. Elle comprenait les principales œuvres modernes,
construites depuis 1928 jusqu’alors au Brésil, période considérée comme la période héroïque de
l’architecture brésilienne moderne, Cavalcanti, 2001.
14. Pour certains, ce n’était que le reflet de la propagation du Mouvement moderne, comme le
souligne Kenneth Frampton, dans son chapitre « Variations d’un style international », Frampton,
1985.
15. Giedion, 1956.
16. Campelo, 2001, p. 16.
17. Pereira, 1997, p. 95.
18. Kubitschek, 1975, p. 48.
19. Kubitschek, 1975, p. 48.
20. Kubitschek, 1975, p. 45.
21. Sabbag, 1985, p. 29.
22. Le point marqué par le maréchal José Pessoa par l’érection de la Croix de Bois en Mai 1955,
est considéré par Juscelino Kubitschek comme la véritable pierre angulaire de la ville. Cette zone
est maintenant connue sous le nom de Cruzeiro, Kubitschek, 1975, p. 33.
23. Lucio Costa se réfère au cerrado indigène, qui serait conservé comme une référence à la
grandeur nationale et à l’immensité du territoire.
24. Costa, Memória Descritiva do Plano Piloto, 1997, p. 283.
25. Costa, Memória Descritiva do Plano Piloto, 1997, p. 283.
26. Apud Pereira, p. 107.
27. Pereira, 1997, p. 87.
28. Jameson, 1997.
29. Berman, 1988.
30. ONU, 1974.
31. Medeiros, 2002.
32. Cohn, 1987.
33. Dans un document préparé pour la NOVACAP en 1985.
34. Sabbag, 1985.
35. Costa, Lucio Costa, 1992.
36. Costa, Considerações em torno do Plano-Piloto de Brasília, 1974.
37. Pereira, 1997, p. 138.
38. Pereira, 1997, p. 139.
RÉSUMÉS
Le Mouvement moderne gagne le Brésil dès les années 1930. En 1940, le maire de Belo Horizonte,
Juscelino Kubitschek, fait appel à Oscar Niemeyer pour l’extension de sa ville. Quelques années
plus tard, en tant que président du pays, il confie la réalisation de la nouvelle capitale, Brasilia, à
Lucio Costa et à Niemeyer. Comment ce dernier, enclin à une architecture légère aux courbes
généreuses, peut-il concilier son engagement militant au Parti communiste et auprès des
courants marxistes orthodoxes du pays avec la poursuite de son œuvre pendant la dictature
militaire des années 1960 à 1980 ? Dans quelle mesure la grande esplanade de Brasilia, conçue
initialement comme un espace vide, lieu de l’appropriation politique populaire, prend-elle une
nouvelle signification ?
INDEX
Index chronologique : XXe siècle
Index géographique : Brésil
Mots-clés : Niemeyer, Brasilia, architecture, politique, identité nationale
AUTEUR
LUCIANA SABOIA
Docteure en architecture, enseignante à l’université de Brasilia