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Mattres et esclaves par Gilberto Freyre La Croix du Sud collection dirigée par Roger Caillois wf Gallimard AWS Ee Fre GILBERTO FREYRE | MAITRES ET ESCLAVES (Casa grande e Senzala) t traduit du portugais par Roger Bastide PREFACE DE LUCIEN FEBVRE LA CROIX DU SUD collection dirigée par Roger Caillois 4 arf GALLIMARD et oor M3 a ea PREFACE BRESIL, TERRE D’HISTOIRE i E : r F f Gilberto Freyre a bien voulu soubaiter que j’introduise dans le domaine frangais la premire en date de ses grandes { euvres — Casa Grande ¢ Senzala — qui devient chez nous, - un peu pauvrement, Maitres et Esclaves: bon titre pour roman p k § f é — E i b t f F t r E ¥ russe des années 1900. Mais vais-je me montrer convenable préfacier ? Peut-étre ai-je pris trop de plaisir a relire ce livre qui rendit célébre son auteur. Et d’abord (heureusement) qui ne conclut pas. Je veux dire, qui ne fournit pas au lecteur pressé, sous forme de trois paragraphes de cing lignes, bien frappés (1° ; 2°; 3° ;) — tout ce qu’on doit, non point penser (ne perdons pas notre temps A d’aussi vains exercices) mais savoir, et méme savoir « par cour» du Brésil pour en posséder la clef unique et magique, la tirer de sa poche d’un geste noncha- lant et forcer Padmiration des dames en ouvrant devant elles quelques-unes de ces serrures qui n’enferment que du vent : « Le Brésil, Mesdames, c’est bien simple...» Mais le livre de Gilberto Freyre n’est pas simple. A la fois une histoire et une sociologie. Un mémorial et une intro- spection. Un énorme pan de passé, né d’une méditation sur Tavenir. Pour finir, un essai d’écrivain-né, et qui contraint Je moins artiste des lecteurs 4 percevoir le talent de l’auteur : ce don étonnant de vision et de résurrection, fait de lucidité et de sensualité, Bref, le plus beau des gibiers pour un chasseur @idées, hostile aux déductions vaines comme aux sonorités ' creuses. Et ravi de comprendre enfin — (poyons plus modeste : ravi qu’on tente de lui explique:) — quelques-unes des choses dont les meilleurs guides ouklient toujours de fournir les raisons et qu’A Rio, A Sao Paulo, dans les villes, l’étranger passe des semaines & soupgonner sans les connaitre : pauvre passant, prisonnier d’un Brésil & faux-col empesé, A régate bien nouée, A jaquette digne d’un lord anglais : mais tout de i 10 BKESIL, TERRE D'HISTOIRE méme, il sent bien monter, le soir, tant d’odeurs violentes qui sortent des terres cuites et recuites au soleil — de ces terres que coupent en travers, au nord I'Equateur — au sug dans la hanlieue méme de Sao Paulo, le Capricorne. . Terre immense, et c'est déja un merveilleux probléme, celuj d'une pareille unité politique et culturelle maintenue depuis cing sidcles, sans effondrements, de Porto Alegre A Belom (ce qui veut dire de Gilbraltar A Stockholm) et des limites du Pérou A Recife (soit, A peu prés, de Paris & Moscou). Terre immense, compacte, puissamment continentale, On croit ’'avoir parcourue parce que, de Rio l’enchanteresse. on a fait un bond a Sao Paulo la dévorante, et d’abord cherché vainement dans sa banlieue un port visité il y a vingt ane, un port aux allures de bourgade, Santos : passés dintermi. nables docks de café, une rue assez cabossée en ce temps-la, un maigre hétel de sous-préfecture et, face 4 l’Océan, sur une grdve déserte, un petit café nostalgique. A la place de toutes ces modestics, aujourd’hui, un Nice décuplé, surgi en dix ans, avec ses Palaces, ses garages, ses cafés, ses promenoirs au long de Atlantique — et jusqu’é sa prison modéle... Petit début. Une tournée dans les campagnes paulistes. Le temps de voir les eucalyptus en rangs serrés filer vers le ciel, tout droits, les pieds plantés dans ce qui fut jadis la bonne terre a eafé. Et de contempler, de loin en loin, ces grandes maisons de maitre qui gardent Jeurs murs: mais des arbres poussent, dans les salons crevés et chantent Vorgueil déchu des fabuleux planteurs. — Un vol d’avion, de ces braves petits avions de cabotage qui s’emplissent et se vident, aux escales, de passagers chaque fois différents d’habits, d’intonation et de menu bagage : voila Belo Horizonte que les Stieler d’il y a vingt cing ans ignoraient, mais qui pousse dans la brousse, toutes jalonnées, des avenues, des places, des quartiers entiers qui jailliront du sol, demain. Voila surtout, cher & ’historien, ce Brésil de Tor qui n’est plus, Tant d’exquises cités, Sabala dans son fond de vallée, avec’ son charmant petit Musée. Ouro Preto et son peuple déglises, son palais municipal, 'ombre de Tiradente évoquée par Diego de Rivera, Et, au dela d'un désert sem’ a’énormes blocs de pierre, cette inoubliable vision, Ouro Branco” un long rectangle désolé, des masures derriére les naan haut palmier crucifié dominant une fontaine ; en face BRESIL, TERRE D’HIsTOInE tt délabrée, pleine de parfums rustiques, d’enfants curieux et de bonhomie patriarcale ; vieax monde du Minas, si attachant pour qui vit du passé. — Mais, 4 nouveau, saut brusque. Et c'est Bahia, sa lumitre, les grands voiliers qui sortent de la baie, leurs trois mats chargés de jtoile comme au xvmie sitcle. Grouillements d’hommes, grouillement de femmes surtout, de ces femmes dont nul n’a si bien parlé que Gilberto Freyre : négresses ‘ou mulitresses de port vraiment royal, enroulées dans leur chiles de la Céte, chargées de pendeloques, de coquillages, de bracelets, la jupe belle sur des amas de jupons blanes — la poitrine forte, comme préte & sauter par-dessus les dentelles. Et cette poursuite éperdue, un soir, dans la nuit chaude, Voreille tendue aux appels d’un tam-tam lointain : recherche demeurée vaine d’un introuvable candomblé perdu la-bas, quelque part, dans la campagne. Mais comme les yeux des bétes luisaient sous le jet des phrases ? Est-ce tout ? Voici Recife encore, ses aspects vénitiens, ses magnifiques colonnades de cocotiers au long d’une mer étonnamment verte — qui vit jadis se trainer sur elle, « gonflées comme des ventres de femmes enceintes», tant de nefs chargées de dépouilles orientales que les Lords du Sucre se disputaient entre eux... — Recife et Olinda qui domine, toutes églises dehors. Puis; de relais en relais, au long d’une bande saturée @histoire coloniale, Goiana, son marché rempli d’odeurs fortes et de nourritures exotiques, ses vieilles céramiques au. Musée, ses s@urs frangaises a l’école de filles — fitres d’avoir appris la Marseillaise aux grandes, mais dépitées parce que les lai- tues de Touraine refusent de pousser dans leur jardin : Goiana et, par la grace tutélaire de Gilberto Freyre, le jeu du Cheval marin sous les grands yeux de petites tétes crépues... Autant de villes, autant de mondes —~ pour passer de un 4 autre, toujours, ce survol de deux immensités + Pune, toute verte, d’un vert sombre troué de place en place par des miroirs Weau. L’autre, toute bleue vue d’en haut — d’un bleu frangé de blane qui ourle des festons sur des plages sans fin... Tant de Brésils dans ce Brésil... Et cependant, que d'autres Brésils encore ? Celui de Porto Alegre et du Rio Grande do Sul, réservoir d’énergies que je n’ai pu mesurer. Celui du Matto Grosso, objet de convoitises aprement viriles. Celui des Sauvages, la-bas, aux confins des Guyanes, aux Sources de PAmazone... Terres conquises sur la forét, violemment, sauvagement, par le bralis. Ou terres toujours voisines de Vinépuisable, de Pindes- tructible forét. De cette forét dont Gilberto Freyre, dans 12 Bre ) TERRE D'HISTOIRE son livre tout plein de sonteurs animales ct végétales, ne cesse de montrer Fombre puixsunte se profilant’ sur homme, Tomplissant do eraintes vagues, I rant de peurs paniques: fantimes, bétes imaginnires et sana nom — le myatare de «la chose», du negotium perambuluns in tenebris... — Voir tout cela, posséder tout cela, on n’en finirait pas, Et, witot la promenade termi encer. Avec de bonnes boussoles, car tout aurait changé dans Vintervalle, . Tant de Brésils... Mais qu’est-ce que leur variété d’aspects au prix de la diversité des hommes ? Et quelle étonnante accumulation de peuples, de races, de civilisations : unique, je ctois bien, sur la surface du globe ? Ty a les Cuivrés, Ou ce quien subsiste, co qui persiste du vieux stock indien. De ces peuples qui, au seuil de ce que nous nommons, nous, le xvie siécle, possédaient en muitres ces eaux et ces bois, ces rivages, ces escarpements et ces plateaux. Il y a les Blancs. Les découvreurs, les conquérants venus @Europe. Pas seulement les Portugais : des Francais aussi, entre autres ; et pour ne pas ’oublier, il suffisait nagudre de re- garder, A dire de chroniqueurs, tant d’enfants aux yeux bleus, Sux cheveux blonds, qui criaient P'ancétre normand ou breton, dcbarqué de ea coquille de noix et donateur pressé de ces legs perpétuels, — Mais les Portugais eux-mémes, ces Portugais dont, & maintes reprises, Gilberto Freyre évoque, avec uno puissance de synthése éblouissante, histoire do _mélanges et d’emprunts incessants ? Et qu'il nous montre, & Sao Paulo notamment, travaillant non«comme des négres »mais« comme des Mores» (mourejar, mot significatif de la langue portugaise) — ces artisans mozarabes, plébéiens énergiques et créateurs, venus de I’Ibérie et portant avec eux sous des cieux nouve: tout ce que contenait de traits mores et moresques uno ci sation fortement marquée par ses contacts, volontaires ow forcés, avec les fils de Sem ? — Des « Européens » cependant, cee hommes, Mais de quelle Europe, impure et compliquée ? Enfin, il y a les Noirs. Les Africains. Ceux du Soudan, cea aristocrates. Ceux du Congo et ceux de l’Angola, Des Hotten- tots trainant d’énormes croupes. D’autres, venus des Lea. Un. mnatérie) humuin prodigicux, identifié par les ethnologues dans sex provenances et ses aptitudes — avec win qui nous rend un peu confus, Mais, lui aussi, une étrange variété... BRESIL, TERRE D'HISTOIRE 13 Les Cuivrés, les Blancs, les Noirs... Encore s’ils étaient restés noirs, blancs et cuivrés, bien purement, bion sagement ! Chacun dans son chez soi, vivant sa vie traditionnelle. Gardant avec un soin jaloux ses biens hérités : outils et tours de main, rites et cérémonies, maisons et cuisine, remédes, usages, murs, fagons de parler, de penser, de raisonner... Mais voila. Les Blancs n’étaient pas nombreux. Une poignée, disséminée a travers d’énormes étendues. Quand, aprés un premier et rapide inventaire, ayant bien fait Ia moue (pas d’or, ni de perles, ni de pierres précieuses aux mains des indigtnes ; de simples orne- ments de plumes sur des hommes nus — ce qui voulait dire : rien A emporter, rien A vendre non plus, rien a troquer ni a brocanter) — ils durent se décider, par une mutation violente, a se transformer de trafiquants en colonisateurs, en récoltants de bois dans les foréts, puis bientét en producteurs de sucre — la conclusion fut évidente. Pour occupgr, pour cultiver le sol, il fallait peupler. Grandir en nombre. Or, il viendrait sans doute encore au Brésil des Européens : en petit nombre et dont la venue serait compensée par des départs. I] viendrait des hommes — mais des femmes ? Cétait le gros probléme. Les Blanches étaient rares qui, assant l’Océan, se jetaient a l’aventure dans un monde inconnu. és le début, elles manquérent. cruellement.. Cependant V'Indienne s’offrait. Bien. faite, robuste, propre, saine encore et neuve d’instincts, Sans pudeur importune. Toute nue. Mesu- rons-nous la puissance d’appel de ces deux mots pour ces marins, fréres, fiancés, époux de femmes plus que vétues, cachées, englouties dans’ des étoffes, dotées par leur {religion d’une pudeur vestimentaire stricte ? — Toutes nues; regardons méme les frontispices des livres savants, des descriptions, des atlas : le Blanc, vétu de pied en cap, son astrolabe et ses instruments d’une main, la croix de l’autre pour mieux assurer 8a vertu, se proméne — et autour de lui d’appétissantes sauva- gesses, fort potelées et ne cachant rien, se livrent placidement & leurs occupations, qui sont de dormir dans un hamac, ou parfois de cuisiner un de Jeurs semblables... Livres de science : mais les confidences d’homme 4 homme ?.« Tu débarques et, sur la plage, elles sont 14, tant que tu veux, qui te font des signes, te caressent, t’entrainent sous les arbres... » Folklore Wetres simples aux instincts véhéments. Quelques-uns, assez fortement séduits par tant de facilité qu’ils en oubliaient de regagner les nefs — troquant sans scrupules leurs bions de tradition contre un tel flot de délices charnelles,.. 14 BRESIL, TERRE D'HISTOIRE Brusquement libérés de contraintes sociales par leur voyage mame, et fils de temps qui, dans maints domaines, s’avéraient impatients de libérations — ils commencérent sans doute par Sassouvir, Eux,les marins. Eux aussi les premiers colons, qui n’étaient pas forcément saturés dascétisme chrétien, ni inca. pables de secouer le joug des morales imposées. Des enfams naquirent. Toute une marmaille mixte, a la peau éclaircie, semée dans les bois. Et puis, et puis, les voluptés du changement épuisées, ils réfléchirent. Ne vaudrait-il pas mieux avoir, chacun chez soi, son Indienne ? Pour la cuisine comme pour le lit —. je veux dire le hamac, vite adopté par les Blancs et qui inspire & Gilberto Freyre une de ses plus éblouissantes évocations, L'Indienne devint concubine. Et parfois, épouse légitime. C’est que des prétres, eux aussi, étaient descendus des bateaux : des religieux, Franciscains, Dominicains, Carmes, Jésuites — tous révant d’une prise définitive du christianisme sur ce monde insolite : comme le note Gilberto Freyre, un certain impé- rialisme religieux a précédé au xvi° siécle Yimpérialisme écono- mique. Et les prétres, les religieux poussaient A ces unions régu- litres — pourvu que l’Indienne se convertisse. Les liaisons de fait devenant des mariages chrétiens, tout rentrait dans l’ordre. Un ordre qui s’accommodait, sans trop de facon, de ces satis factions qu’exige « la Papillonne», comme dira plus tard notre vieux Fourier. Double profit : de plaisir, un plaisir qui bien vite mignora aucune perversité; mais d’intérét aussi: il suffit d’un texte pour J’illustrer, un texte tiré par Joaquim Nabuco d’un manifeste esclavagiste et que cite Gilberto Freyre « Je ventre, qui donne les enfants, est Ja partie la plus produc- tive de la propriété esclave »... Bref, quelques décades — et on ne savait plus bien, dans ce Brésil, qui était purement blanc, et qui purement cuivré ? Quelques décades encore, et le méme probléme se posait entre Blancs et Noirs — sans exclure les Cuivrés. Bref, chaque cellule de la société nouvelle qui s’élaborait entre 'Equateur et le Capricorne, offrait aux yeux une palette de tons dégradés, du rouge cuivre au blanc rosé. Nuances de peau ? Bien autre chose encore: nuances d’Ame. * 7” Alors, on comprend pourquoi, dans le livre courageux de Gilberto Freyre, la question sexuelle tient une si grande place. Crest qu’elle est au coeur méme du sujet — qui n’est pas BRESIL, TERRE D'HISTOIRE 15 « histoire du Brésil, du débarquement hasardeux de Cabral a la fin de la prépondérance sucriére » — mais bien l'étude des rapports, si complexes, de trois grandes masses humaines, Et non pas de leurs rapports de juxtaposition — mais de leur fusion progressive, de leur intime mélange. Au bout de quoi cette résultante : le Brésilien. Qui, méme Blane, fondamen- talement et visiblement Blanc, n’en est pas moins un chef- d’euvre de complication raciale et mentale épanoui sous les Tropiques. Et (en vidant Je mot de toute espace d’appréciation morale) — une réussite. Psychologique, historique aussi, Ici encore, gardons-nous de simplisme: La vie des Indiens au contact des colons n’eut rien d’une idylle. Ni celle des Noirs qui survinrent quand, Vindustrie sucriére s’étant implantée avec les grosses dépenses de force physique qu'elle exigeait, ilfallut bien seprocurer une main-d’@euvre d’une autre résistance que la main-d’ceuvre indienne. Non, rien d’une idyUe. Il est facile d’accumuler les témoignages, les récits contrélés de tant d’actes épouvantables : noirs liés vivants a la bouche @un canon et recevant le projectile par le travers du corps ou mulatresses trop aimées du maitre, dont la femme blanche, pour une fois jalouse, ordonnait qu’on arrache les beaux yeux — et qu’on les apporte au dessert, tout sanglants, a l'infidéle de ceeur. Il n'est point question de béler le paternalisme quand il faut hurler sa souffrance d’homme. Mais, A cété de telles scénes, il y en a d’autres, beaucoup d’autres, plus consolantes pour l’humanité. Et je dirai, en historien, de plus de consé- quence pour l'avenir. Il s'est en fait créé le plus souvent, dans ces grandes marsons de maitre dont le livre de Gilberto Freyre nous apporte la description vivante et forte — une sorte de société tampon, un cercle de privilégiés et plus encore de privilégiées. Belles mulatresses qui faisaient la conquéte, les unes du maitre, les autres de la maitresse — une maitresse inculte, analphabéte, et qui, vivant intellectuellement (si ’on peut dire) de ses conver. sations familigres avec ses jolies chambriéres de couleur, échangeait contre leurs préjugés d’Africaines ou, plus rarement, d'Indiennes métissées, ses propres préj gés d’ignorante étiquetée Européenne. Done, avec la méme facilité sinon la méme frénésie que les chairs, débris de croyances et Iambeaux heurtés de conception du monde et de la vie se mélaient et portaient fruit. Des fagons d’étre, de sentir, de penser naissaient — qui rapprochaient dans une fraternité Windigence mentale Jes sensibilités & Vorigine les plus disparates, mais devenues Fe I Be, MORES, wee Oe See o pins TrOrnT 16 nnitKrh, TREN A Pusago asses frustos pour que, toutos effigies particulitroment offncées, lo coura en fut universel,,, Co que la culture brésilienne, finalemont, doit a lu civilisation indienne, telle que les envahisseurs purent V'observer lorm de Jeurs premiers débarquements — Gilberto Freyro nous Je dit tout au long de eon livre. A sa fagon, qui est de revenir sur Jes choses, De ne pas s’astreindre au formalisme d’un ordre extérieur. Asa facon qui, dirais-je volontiers en songeant aux pages fortes qu’il écrit sur Pillusion des Jésuites cherchant a Gresser les petits Indiensala grammaire, au calcul, & Ia logique scolastique, A l’abstraction, le tout vainement — a sa facon qui n’est pas (faut-il dire heureusement 2) d'un trés excellent Give des Pares. Suivant son rythme propre, sa pensée dédaigne les rythmes appris. Il revient sur ses pas, reprend, ajoute ici une tache de couleur qui, dix pages plus haut, n’eit point trouvé sa place véritable. Et voila un inventaire. Et puis un autre. Et un autre encore. Emprunts et échanges : des plantes, des bates, des outils, des tours de main sans doute ; bien plus encore, des mots; a l'aide de leurs petits éléves indigines, dont ils révaient de faire autant de doux séminaristes aux cheveux bien lissés, les Péres n’ont-ils point fabriqué une Jangue, le Tupi ? Une langue qui servit de moyen de commu- nication aux Indiens entre eux, et aux Blancs avec Jes Indiens ? Une langue — qui, comme toute langue, engendra des habitudes d’esprit, des fagons de raisonner, toute une vie mentale ? Les Indiens — mais les Noirs ? Avec une délicieuse ironie, A un critique qui lui reproche de leur avoir fait la part trop ande dans l’édification d’une société brésilienne — de les Broir traités en collaborateurs alors qu'il eit été logique de Jes classer parmi les chevaux, les borufs et autres bétes de so nme — Gilberto Freyre répond trés doucement... ce qu’on lira plus loin, A son critique, il eft pu mieux encore, et plus péremptoirement, rappeler un fait d’importance singuliére. Ti montre au lecteur des noirs fugitifs s’enfongant dans la brousse qui, au Brésil, se nomme le Sertao — s’unissant & des Indiennes volées, prenant de l’influence sur les Cabocles incultes et misérables — finalement devenant, eux les esclaves en rupture de Blanc, les premiers et, & un certain niveau, les effi- caces agents d'une européanisation, sinon d’une christiani- sation, qui en dit long sur tant d’étonnants mélanges de menta- lité qui se sont produits au Brésil. — Le Noir, une béte de somme, et rien de plus, sinon un amas de vices grossiers ? Mais de ces 1, TRI DTUSTOINE 17 vices, Gilberto Freyre lo dit avec infiniment do justosse — ce n’est pas A la race, ce mystére, qu’il les faut imputer ; c'est a Tesclavage. Et puis, nous le savons maintenant : jamais les ponts n’ont été coupés entre les Noirs du Brésil et leurs civi- jisations africaines d’origine. Gilberto Freyre en multiplie Jes preuves — et ce n’est pas son traducteur, Roger Bastide, qui le contredira... — La encore, il ne s’agit pas seulement de plantes, d’objets, d’ingrédients, de parures. Mais de rites, de danses — et, par dela, de fagons de penser, de sentir, de se représenter le monde et la destinée. N’oublions pas, au surplus, qu'il y a au Brésil, parmi les Noirs, des musulmans @origine. Et que V’Islam dans certains milieux, 4 Bahia notamment, a pu jouer en diverses occasions graves, un role d’excitant nullement négligeable. Le livré de Gilberto Freyre — ce n’est pas seulement parce qu'il est plein de talent ; parce qu'il nous fait comprendre Ie Brésil et, par contrecoup, le Portugal : parce qu’il est noble d'inspiration, et courageux en tout ce qui touche au racisme, a la sexualité, a V'esclavage — ce n’est pas exclusivement jour ces raisons, si excellentes soient-elles, qu’il est bon de fg mettre & la portée des Francais. Qu’il est bon, disons, que la traduction attentive de Roger Bastide, savant de chez nous conquis au Brésil par un long séjour studieux, V'intro- duise dans le cercle des pensées familiéres A ceux qui, hantés par le devenir du monde, tournent leurs yeux dans une quéte angoissée, vers ces immenses terres sud-américaines — si riches de promesses et si trouées de vides. C’est parce qu’il pose A sa fagon, dans son secteur A lui, le plus gros des pro- blames qui se dressent, en 1952, devant les porteurs de la vieille civilisation européenne. Partout, ils voient se révolter contre eux ces peuples de couleur (et, de quelques-uns, A dire d’anthropologues, la couleur est blanche) — qu’ils n’ont voulu détruire ni physi- quement ni moralement, mais qu’avec une enfantine légd- ret6, ils ont cru pouvoir a leur heure, A leur gré, ct dans la mesure qui leur convenait, assimiler et, pour parler leur langage, ever au niveau du Blanc civilisé. Et voici que ces peuples secouent leur joug. Non qu’ils aient la force. Provisoirement, elle reste aux mains de ces Occidentaux qui sont pour tant autres contrées des Orientaux. Mais ’employer, cette force — la chose, moralement, s’avére malaisée. Et cette géne égalise 18 BRESIL, TERRE D'HISTOIRE dans une certaine mesure les chances et les pouvoirs. De la force, les non-Européens en ont assez pour revendiquer contre les Blancs d’Europe leur droit humain d’étre libres. De se faire responsables' de leurs propres destins. De renouer le fil rompu avec leurs vieilles civilisations — ces civilisations que, bien souvent, les Blancs eux-mémes, par le noble effort de leurs savants, ont sauvées de l’oubli et restituées a leurs légitimes héritiers. ‘Alors le Blanc s’affole. Tatonne. Hésite. Et, prisonnier de son admiration pour tout ce qu’il a pensé, construit, inventé et réalisé — A ces hommes en révolte contre une civilisation quils sentent étrangére — ne trouve a offrir que des inven- tions de Blanc, des créations de Blane, qu'il persiste baptiser « progrés ». Panem et Circenses ? nous avons fait du chemin ; le bulletin de vote, disons, et le cinéma. Avec prudence, s’entend, quant au bulletin de vote. Si, aprés ces cadeaux (ou du moins ces offres), ILS ne sont pas contents... Contents ou pas contents, le probléme n’est pas 1a. L’erreur n’est pas 1d. Une civilisation unique, en quoi tous les hommes puissent trouver leur patrie culturelle, est-elle possible ? Faut- il s’imaginer qu’a trés peu de frais, la civilisation européenne dont nous sommes si fiers pourra devenir le bien commun de tous les peuples ? — Pas plus, je le crains, qu'une alimen- tation propre A tous les hommes ne pourra s’établir, sans d’infinies précautions, du Groenland au Niger, du Kam- tchatka a Bornéo. Nos gouvernants, nos dirigeants, si éloquents lorsqu’ils exaltent dans leurs discours les conquétes de la Science — s’ils voulaient bien s’enquérir un instant de ce quelle enseigne, ils apprendraient des pionniers de la jeune science de l’alimentation, le nombre des catastrophes qui ont été causées au XIX° siécle par la bonne volonté, la géné- rosité d’Européens parfaitement intentionnés et qui, pour sauver de la famine les petits Groenlandais, les faisaient périr en masse en leur offrant soudain des aliments de Blanc, des aliments trop riches, trop « énergétiques» comme nous disons : rompant brutalement l’équilibre immémorial de leur genre de vie, ils les détruisaient en quelques mois, par un mécanisme que nous commengons A comprendre. — Mais quoi, la Science ? Passe encore pour celle qui permet d’inventer chaque jour des moyens plus infaillibles d’anéantir I’'Humanité. Celle de 'Homme ? Plaisanterie. On s’en passe. — Et le monde entre en révolution... musth, HEE Diwan: 19 . Deo tele problémes, le livre de Gilberto Freyre n'apporte spas Ia solution, Il ne se Vest jamais proposé. Main (out entier, il nous invite, de la fagon la plus pressante, a réflé- thir Ace quills signifient. Parce que, le Brésil qu'il nous offre, quelle magnifique expérience ethnique réalisée par l'histoire — avec ses réussites, avec 8¢8 checs plus instructifs encore que les réussites ? Echees des Jésuites se figurant que leur huma- nisme chrétien, A base de logique scolastique, de juridisme romain, de mathématisme abstrait, se révélerait doué d’une valeur universelle — propre & former, ou a reformer, sur le moule idéal de 'Homme en soi les esprits déformés des petits a cauvages ». Echec des juges et des prétres, des Iégistes et des missionnaires s’efforcant d’inculquer aux hommes de couleur, tranchée ou dégradée, le respect scrupuleux des vertus essen- tielles et des institutions fondamentales. A leurs yeux s’entend, qui n’étaient pas les yeux des métis ni des mulitres. Pauvres gens A qui deux crimes par-dessus tout étaient reprochés. Deux crimes dont ils refusaient de comprendre qu’ils fussent des crimes. Car ils n’avaient, devers eux, ni Ja notion romaine de la propriété telle qu’on s’efforcait de la leur inculquer— ni, moins encore, les exigences de chasteté que l'ascétisme chrétien voulait leur imposer. Propriété, chasteté, deux notions dont on les affublait comme on revétait de pantalons et de jupons leur libre nudité. Mais le soir venu, les maitres endormis, ils s’en libéraient bien vite pour retrouver I’allégresse de leurs corps dépouillés, — Ceux-la qui, au xvi° sidcle et plus tard, ouvaient s’en étonner auraient du songer que, de ces deux Potions A leurs yeux fondamentales, les hommes de Dieu et les hommes de Loi, depuis bien plus longtemps, avaient travaillé sans répit a badigeonner, & peindre et & repreindre en conscience les péres, grands-péres, arritre-grands-péres des anabaptistes de Minster, jusqu’a la vingt-cinquitme génération. Ce qui n’avait point empéché dans un sursaut, en pleine Allemagne du xv1° siécle, ces hommes et ces femmes faisant lititre des morales enseignées, de proclamer la liberté sexuelle et la communauté des biens. Eux entre tant d’autres. ‘Alors, s’étonner, s'indigner méme de l’échec des légistes et des missionnaires ? Grande legon de cette histoire brésilienne telle que la met sous nos yeux Gilberto Freyre. Elle est tout entire une immense expérience, une expérience privilégiée de fusion certe 20 BRESIL, TERRE D'HISTOIRE des races, d’échange des civilisations, Ce Brésil, un creuset, Ne pas se pencher sur lui avec ung curiosité passionnée —_. aveuglement et sottise d’Occidentaux se figurant toujou dans leur fatuité, dans leur inépris foncier de cette Sdon de YHomme que leurs savants eréent cependant au jour le jour, mais dont ils n’ont pas encore compris quels services elle peut rendre. N’est-il pas plus simple d’agir sans penser @intervenir sans savoir, de résoudre tous les problémes humains en inférant de soi-méme aux autres, sans plus— et deselamenter ensuite des résultats Est-ce tout ? Mais comment, historien, si désireux que je sois de laisser le lecteur commencer sa lecture — comment ne le dirais-je pas d’un dernier mot ? Casa Grande e Senzala ; un livre d’historien ou bien de socio- logue ? Je posais la question en commengant cette préface, Elle est oiseuse. Casa Grande e Senzala, un livre d’homme sur Vhomme. Et si je m’inquiétais de ce probléme de définition (pour refuser du reste de le poser) e’est que j'ai lemalheur, le grand malheur d’étre historien, A la fois, et Européen. Les hommes de la-bas, les libres chercheurs de l’Amérique méridionale qui s’efforcent de faire revivre la plus riche peut- étre des histoires culturelles — ils ont un bonheur dont ils ne se doutent pas. Pour aller droit aux réalités, ils n’ont pas & traverser, péniblement, la brousse épouvantable de. ces institutions, Je maquis épineux de ces paperasses adminis- tratives et politiques que, pour le moindre travail, nous devons traverser, nous, chaussés de nos plus grosses bottes, avant d’atteindre enfin, par dela tant d’obstacles, "homme vivant, Yhomme sensible, homme pensant, -agissant, enfantant, accomplissant ses fonctions d’homme et recréant au jour le jour sa civilisation. L’histoire transatlantique, ses archives & Peuropéenne ne commencent qu’au xvi® siécle. Et comme elle fut d’abord, politiquement parlant, Vhistoire d’organismes subordonnés — dépourvus du pouvoir enviable et souverain de préparer les conflits, de négocier les alliances venimeuses, finalement de faire la guerre pour conclure la paix et recom- mencer — les Sud-Américains soucieux dese chercher eux-mémes et de se retrouver dans le passé des hommes dont le sang coule dans leurs veines, n’ont point & soulever cette BRistL, TERRE D’NISTOIRE 24 masse prodigieuse de paperasses et de parchemins sur quoi repose toute histoire de France qui se respecte — de France, ou d’Angleterre, ou d’Espagne... ‘Ah, puissent-ils, les Brésiliens, comprendre leur bonheur. Puissent-ils ne pas troquer cette liberté d’allures, cet accord, cette intimité simplement renouée, sans tractations procé- duriéres, avec leurs péres, ceux qui les ont engendrés, ceux qui ont déposé en eux tant de sentiments instinctifs et profonds, tant de fagons d’étre et d’agir toujours vivantes — puissent-ils ne pas troquer ces bienfaits contre les pédantes régles d’une histoire de vieux, fiers paradoxalement de leurs artéres cassantes et de leur sclérose. D’une histoire pour diplomates fatigués — une histoire de pauvres diables qui se donnent Yillusion d’étre quelque chose en morigénant Philippe II, en redressant Louis XIV, en corrigeant Napoléon.. Mais en oubliant de chercher Homme, qui pourtant vit en eux. — Et de tout coeur, pour cette dernitre legon qui n’est pas la moindre: merci a Gilberto Freyre, et bonne chance a son livre ! ~ Lucien FEBVRE. PREFACE DE LA QUATRIEME DITION L’éditeur José Olympio désire donner le caractére de défi- t nitive & la quatriéme édition de ce livre, sorti il y a environ dix ans. Définitive, dans la mesure ot peut I’étre un essai de ce genre, dont l’objectivité dépend, en grande partie, des nouveaux progrés faits dans les diverses sciences ou recherches | qui lui servent de base. Ceci sans parler des aspects, peut-étre encore plus flottants, de sa subjectivité. Les idées et attitudes de auteur. Ses points de vue. Le caractére personnel qui prolonge parfois ses interprétations. En relisant aujourd’hui, @ dix ans de distance, un travail qui est né de ses études universitaires et de ses préoccupations d’adolescent, l’auteur se sent surpris de se trouver si en accord avec tout ce qu’il écrivit en 1933. Il n’y a pas dans cette édi- tion d’augmentation ou d’altération qui touche aux idées ou facons de dire essentielles. Ni méme un effort ou une tenta- tive de réforme, en vue d’éliminer des répétitions et de con- denser un matériel par nature désordonné et agreste — telle fut la rapidité avec laquelle fut écrit un livre si proche, par le sujet, de la vie et de la nature tropicale — afin de le faire tenir dans les limites de l’ordre frangais, ou de le plier & la discipline, pour ainsi dire militaire, des Allemands ou bureau- cratique des Nord-Américains. Dans des notes écrites il y a déja deux ou trois ans et pu- bliées dans la Revista do Brasil, auteur s’est efforcé d’éclairer quelques-unes des idées ou des expressions les plus obscures de l'essai qui suit. Ces notes auraient dd accompagner la troisiéme édition. On les trouvera dans la présente. L’auteur lui ajoute maintenant quelques observations, dans son désir d’éclairer encore les aspects les plus obscurs du plan du livre et de Ja présentation du matériel. I] doit demander pardon d’abord d’une lacune : de n’avoir pu mettre & jour la bibliographie. C’est qu’il s’est trouvé devant une tache impossible & réaliser au Brésil (oi il est resté ces deux dernitres années, a exception d'un’ rapide voyage en Ar- pein SS 24 MAITRES BT ESCLAVES gentine et Paraguay) quel que fit son d ot sa volonté de se servir des études de valeur pu s derniérement dans notre pays sur des questions @histoire ct @anthropologic social I lui suffit de citer les livres et les articles des P™ Roquette Pinto, Mario Marroquim, Arthur Ramos, Arbousse-Bastid Roger Bastide, Pierre Monbeig ct Pedro Calmon ; des hi toriens Affonso d’E. Taunay et Rodolfo Garcia ; des essayistes et chercheurs Gastao Cruls, Ieloisa Alberto Torres, Pére Serafim Leite, F, X. de Almeida Prado, J. C. de Macedo Soares, Sergio Buarque de Hollanda, Affonso Arinos de Mello Franco, Emilio Willems, Almir de Andrade, Honorio Ro- drigues, Estevao Pinto, Augusto de Lima Junior, Colonel F. de Paula Cidade, Arthur Hehl Neiva, M. de Barros Latif, Roberto Simonsen, Cassiano Ricardo, Sergio Milliet, Visconde de Carnazide, José Mariz de Moraes, Arthur Reis, Donald Pierson, Antonio Sergio, Jayme Cortesao, des physiologistes et hygiénistes Alvaro Ozorio de Almeida, Silva Mello, Couto e Silva Ruy Coutinho, Paula e Sousa, Josué de Castro, Et encore — les excellentes traductions annotées, publiées par Véditeur Martins de S. Paulo, les rééditions de I’Editora Nacional, le Journal de Reboucas (annoté par le colonel Ignacio José Verissimo) et autres publications de |’éditeur José Olympio, les diverses publications récentes d’intérét historique ou sociologique, de l'Institut brésilien de Géo- graphie et Statistique, et de I’ Institut du Sucre et de l’Alcool. Parmi ces derniéres, la traduction portugaise — due & M. Ro- dolfo Coutinho — de l’cuvre classique de Edmond von Lipp- mann sur le sucre et son histoire. Des maitres comme A. Mé- traux — l’auteur de travaux sur la civilisation tupi-guarani qui sont déja devenus classiques, A cdté de ceux de Bertoni, dont l’auteur a vu, ily a peu, & Assomption du Paraguay, tant de feuillets et de notes encore inédits — ont publié derniére- ment des essais d’un intérét considérable pour Vétude des cultures indigénes en Amérique dans leurs relations avec la civilisation brésilienne, aujourd’hui en formation. Métraux, Curt Nimuendaja, le Pt Imbeloni, de Buenos-Aires, le cher- cheur paraguayen Natalicio Gonzalez, les Nord-Américains Paul Radin et R. H. Lowie — pour ne citer que ceux-ci. Sous cet aspect bibliographique, ’édition publige maintenant est loin de prétendre a étre complete ou définitive. D’ailleurs, ce ne sera que lorsque le dernier volume de la série inaugurée par Casa Grande e Senzala aura été écrit et publié, que l’auteur pourra véritablement organiser la bibliographie qu'il prétend vie PRP Arn A DA OF RE RTE Me freee ta dee faire emvte de da publication de divers tnanuse mente rarer Marchives farnilales dont al vest scnen Meese pour ce prope oar ta bonne wolonté de parents et dans, comme aur celle dea mites et des apates Liauteur désirerait, pouvoir s‘occuper aussi longueme st qu'elle Je mérte d'une eritique ou d'une restriction que Von Dfaite & ce travail: celle qui insiste, tantot de bonne for, tantot malicieusement, sur le caractere regional —- et valable peulement pour le Nord ou Pernamnbouc — des materiaux qui suivent. Caractere regional qui reunis dans les pa infirmerait Jes conclusions ~- daileurs peu nembrey et Jes interpreta - cellessct abondantes —— que ont leur base dans étude de ces materiaux et d supyestions qu'ils oflrent Jinsistance de certains critiques ne a fait que deux ou trois étrangers ont deja tique peut-ttre sans grand fondement ; Fun deux, bien que peu fumilier encore avec le Bréal, va jusqu’a parire de ch mites de perspective » comme du plus grand drefaut —— 0 un des plus grands ~~ de cet effort pour interpreter le pateiars calisme brésilien, La vérité, c'est que da ramassées pour écrire tére rigoureusement géographique soit resté toujours fidéle au regional, & Vaire de formation historico-sociale du Brésil, Dans ce critére en mene temps génetique et regional — il n'a pu s'empécher de mettre en relief, fortement parfois, le role du sucre et par consequent des groupes du Nord dans le développement de la farnille patriareale — agraire et esclavayiste — de notre pays. Line fluence de cette technique de production et des societes qui se sont developpées sur elle — au Maragnan, @ Bahia, a Pere namboue, & Hio de Janeiro — fut si furte que ce fut le aucee qui donna longtemps & la socicté bresilienue prise dane son ensemble, considerce sans luxe de multiples distinctions, es wits les plus caractéristiques, ses conditions les plus fortes de stabilite éconumique et sociale, et de vie fatilisle. Traits qui par ja suite se transmettrout, parfois avec une puretée qui nous étonne — comme l'auteur s'etforcera de fe demuntrer vu plutet de le suggerer dans son prochain easai Ordre at Propres — & Veconumie du cate (>. Paulo et Hig de Jancure principalement) et a Pordre social établi sur cette Cconumie Les deux économics — celle du sucre et celle du cafe — ont ns les @vidences ou jonaux sur ce point ipté cette ere sda cucillette des données qu'il a essai, Pauteur n'a pas siivi un cet historique, bien qu'il 26 MAITRES ET ESCLAVES été les conditions du développement de notre patriarcalisme agraire. Tout au moins, de ce que le patriarealisme agraire présente, au Brésil, d’essenticl. L’auteur croit impossible de séparer de ce patriarcalisme l'étude sérieuse de la formation sociale brésilienne. Celle-ci évolue ou bien & Vintérieur de cette influence ou bien contre elle : avec par exemple, Ie mouvement bandeirante, auquel on doit peut-étre la forma. tion, non seulement de la société fondée sur l’exploitation de Yor — Minas Geraes — mais encore celle des groupes de pas- teurs, encore aujourd’hui antagonistes, dans leurs intéréts et leurs styles de vie ou de culture, de ceux qui sont massj- vement agraires. Mais les intéréts agraires ont été Je plus longtemps, économiquement et politiquement, ceux qui ont dominé au Brésil. De 1a Je caractére brésilien — et non pas seulement pernamboucain, bahianais, ou nordique — des interprétations fondées sur les matériaux recueillis dans ces centres de formation agraire et patriarcale du Brésil. Recueillis dans ces centres, c'est vrai, mais sans exclusivisme géogra- phique ou indifférence pour les aires marginales ou antago- nistes & celles du sucre et du‘café ; aires d’élevage du bétail, de polyculture ou de mines. Les voyages d’études ou d’obser- vation que auteur a pu faire dans des aires brésiliennes moins agricoles dans leur formation que celles du Nord-Est — soit entigrement pastorales, soit quasi industrielles, comme cer- taines aires néo-brésiliennes du sud du pays — n’ont fait que confirmer chez lui les idées et les interprétations ébauchées dans ce livre. Il prétend s’occuper de cette question avec plus d@’attention dans son prochain ouvrage, Ordre et Progrés. Cet essai continue A susciter des critiques contradictoires : « I ne conclut pas », disent les uns, répétant le grand maitre Jean Ribeiro. « Il conclut trop », disent les autres. M. Miguel Reale le trouve froid, sans Ame pour ainsi dire, tandis qu’un critique étranger qui utilise d’ailleurs (sans en signaler la pro- venance) les matériaux historico-sociologiques présentés par Yauteur, a dit de ce livre qu’il était « émotif », ou « passionné ». Si Pauteur était plus optimiste qu’il ne lest sur son propre effort, il serait suflisamment satisfait de ce que cet essai ait provoqueé des réactions mentales et sentimentales si différentes. Note du Traducteur : Nous avons éliminé de la 2¢, 3¢ et 4° préfaces un certain nombre de lignes de remerciements, qui s’adressaient A coux qui avaient aidé & la correction des épreuves, 4 Villustration du livre et a la constitution des Index de noms ou de sujets, puisque ni ces illus- trations, ni ces Index n'ont pu étre reproduits dans I’édition frangaise. CARACTERES GENERAUX DE LA COLONISATION PORTUGAISE AU BRESIL : FORMATION D'UNE SOCIETE AGRAIRE, ESCLAVAGISTE ET METISSE Quand la société brésilienne s’ organisa en 1532, économique- ment et juridiquement, tout un siécle s’était déja écoulé, de contact étroit entre les Portugais et les Tropiques ; ce peuple avait déja démontré, dans I’Inde et en Afrique, son aptitude a vivre la vie tropicale. En passant a San Vicente et a Pernam- bouc, la colonisation portugaise se transforma facilement ; de mercantile elle devint agricole ; c’est parce qu’au Brésil la société coloniale s’est organisée, sur une base plus solide et dans des conditions de stabilité plus grandes que dans l’Inde ou que dans les comptoirs africains, que le Portugal a donné ici la preuve définitive de son aptitude coloniale. A la base de cette société, agriculture ; comme conditions, la stabilité de la famille patriarcale, ja régularité du travail par le moyen de Pesclavage, union du Portugais avec l’Indienne qui se trou- vait ainsi incorporée a la culture économique et sociale de Penvahisseur. Il s’est formé en Amérique tropicale une société agraire dans sa structure, esclavagiste dans sa technique, celle de Yexploitation économique, et mélée & l’Indien — plus tard au négre — dans sa composition. Une société qui se développera, défendue moins par la conscience raciale, quasi nulle chez le Portugais cosmopolite et plastique, que par l’exclusivisme religieux, dédoublé en un systéme de prophylaxie sociale ct un systéme de prophylaxie politique. Moins par action de la métropole que par le bras et ]’épée des particuliers. Mais tout ceci subordonné & cet esprit politique, & ce réalisme écono- mique et juridique qui, au Brésil comme au Portugal}, fut, dés le premier siécle, J’élément décisif de la formation natio- 28 MAITR ESCLAVES nale ; mais entre nous, cet élément a agi & travers les grandes familles, propriétaires du sol et indépendantes : seigneurs de moulins ayant, en leur maison, autel et chapelain tenant sous leurs ordres Indiens armés d’ares et de fléches, négres armés d’arquebuses ; maitres de terres et desclaves, qui éléve- ront la voix dans les chambres municipales contre les représen- tants du roi et dont les fils, curés ou docteurs, clameront contre tous les abus de la métropole et de I’Eglise. Bien différents des créoles riches et des bacheliers lettrés de l'Amérique espa- gnole, restés si longtemps désarmés & lombre écrasante des cathédrales et des palais des vice-rois, ou constitués en. « cabildos » (simple plaisanterie pour les gens du royaume tout-puissants). La singuliére prédisposition du Portugais pour la colonisa- tion hybride et esclavagiste des tropiques 's’explique en grande partie par son propre passé ethnique, ou mieux encore cul- turel, de peuple mal défini entre Europe et l'Afrique. Ne faisant vraiment partie ni de l’une ni de l'autre, mais des deux. L’influence africaine bouillant sous l’européenne, donnant son Acre chaleur a la vie sexuelle, & ]’alimentation, & la religion ; le sang more ou négre coulant dans les veines d’une grande partie de la population blanche, quand il ne domine pas, comme dans certaines régions aujourd'hui encore peuplées de gens a la peau sombre ® ; l’air africain, un ‘air chaud, huileux, amollis- sant ce qu'il pouvait y avoir, dans les institutions et les formes de civilisation, de dureté germanique ; corrompant la rigi- dité doctrinale et morale de I’Eglise médiévale ; retirant son ossature au christianisme, au féodalisme, & J’architecture gothique, & la discipline canonique, au droit visigoth, au latin, au propre earactére du peuple. L’Europe régnant sans gouverner ; gouvernant avant tout : l'Afrique. Ce qui a corrigé dans une certaine mesure cette puissante influence d’un climat amollissant, le factour qui a agi sur le caractére portugais pour le raidir, ce fut existence d'un contact toujours tendu et vibrant entre I’Europe et PAfrique ; le constant état de guerre (qui, d’ailleurs, n’a jameis empéché ni la miscégénation, ni l’attraction sexuelle entre les deux races, moins encore l’interpénétration entre les deux civilisa- tions) * ; l'activité guerriére, qui trouvait une compensation a un effort militaire intense, en se relachant, aprés la victoire, par le moyen du travail agricole et industriel des captifs, de Vesclavage ou du demi-esclavage des -vaincus. Hégémonies et dominations qui ne se perpétuaient pas pour un seul pays, COLONISATION PORTUGAISE AU BRESIL 29 mais passaient de l'un a autre §, comme les cloches de Santiago de Compostele : les Mores les firent porter, sur le dos des chrétiens, & la mosquée de Cordoba et ces derniers, quelques siéeles plus tard, les firent retransporter en Galieie sur ledon des Mores. 4 Le fond, réputé autochtone, d’une population si mou- vante, est constitué par une snasse persistante de dolichocé- phales buns, que I’Afrique arabe et méme ndgre, en envahis. sant de larges régions de la péninsule, a plus dune fais avives de marron ou de noir. C’était comme si elle la reconnaissait, cette population premiére, comme une scour seulement un peu plus pale, comme si elle refusait de la voir disparattre sous des couches superposées de nordiques, se transformer devant l’envahissement successif ‘des civilisations venues d'Europe. Les invasions des Celtes, des Germains, des Ro- mains, des Normands U Anglo-Scandinave, 0 H. Europaeus L., le féodalisme, le christianisme, le droit romain, la mono- gamie. Elles furent limitées, réfractées par un Portugal, influencé par l'Afrique, soumis A un climat afrieain, miné par la mystique sensuelle de I’Islam, Le comte Hermann de Keyserling Ia noté, il y a peu, pour Je Portugal : « C’est en vain que l'on chercherait un’ type physique unifié. » Ce qu’il a trouvé, ce sont des éléments divers et opposés, « des types scandinaves a cété de types négroides », vivant, lui semblait-il, en « étroite union ». Et cet aigu obser- vateur conclut : « La race n’a pas ici de réle décisif ® » Dé; Alexandre Herculano avait écrit de la société mozarabe qu’elle était formée par « une population indécise entre deux bandes rivales (les nazaréens et les mahométans), a demi chrétienne, A demi sarrazine, comptant dans les deux camps des parents, des amis, des sympathies de croyances ou de mours? », Ce portrait du Portugal historique, tracé par Herculano, peut s’étendre peut-étre au pré et au proto-historique, que Parchéologie nous révéle peu a peu, ainsi que 'anthropologie, aussi mélangés et indécis que l’historique. Avant les Arabes et les Berbéres : les Capsiens, les Phéniciens, des éléments afri- cains plus éloignés. L’H. taganus *, Des vagues de sémites et de négres ou de négroides se battant contre celles des Nordiqu ion, du point de vue ethnique et du point de vue culturel, entre Europe et l'Afrique semble toujours avoir existé au Portugal, comme en d’autres territoires de la pénin- sule, Espéce de bicontinentalité d’une population floue et

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