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Ecologie, Travail, Féminisme : Le Nouveau Conflit Des Générations
Ecologie, Travail, Féminisme : Le Nouveau Conflit Des Générations
TALI RANDALL
Ecologie, travail,
féminisme : le
nouveau conflit des
générations
Par Nicolas Truong
Une « génération Covid » perçue comme « sacrifiée » par une société qui
n’a pas fait le choix de confiner uniquement les plus âgés. Une
génération « éco-anxieuse » à qui on ne peut enlever l’impression que les
« boomeurs » ont essoré une planète désormais surchau"ée. Des lycéens
plus tolérants ou, c’est selon, plus complaisants à l’égard des signes
d’appartenance religieuse et de ce que leurs aînés qualifient d’« atteintes
à la laïcité ». Des féministes historiques déboussolées par la « radicalité »
des nouvelles formes d’intersectionnalité. Des éditorialistes aux accents
pompidoliens qui pérorent contre une génération prétendument
fascinée par le stipendié wokisme.
Lire aussi la critique : « Pour une politique de la jeunesse » : radioscopie d’une classe d’âge fracturée
Une jeunesse dont l’avenir est, en France, scellé très tôt, analysait Louis
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Une jeunesse dont l’avenir est, en France, scellé très tôt, analysait Louis
Chauvel, dans Le Destin des générations (PUF, 2010), au point d’a!rmer
qu’« aucun pays n’est allé aussi loin que le nôtre dans cette maltraitance
des nouvelles générations ». C’est pourquoi l’essayiste et consultant
Hakim El Karoui, auteur de La Lutte des âges (Flammarion, 2013), regrette
que la France fasse aujourd’hui « le choix des retraités ». En e"et, relève
l’ancien directeur de l’Institut de l’entreprise Frédéric Monlouis-Félicité,
dans La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (Manitoba, 2022), « les
seniors sont les grands gagnants des transferts sociaux ». Ainsi que des
politiques publiques.
Lire aussi : Le rapport au travail des jeunes actifs a!ecté par l’horizon incertain de la retraite
TALI RANDALL
nazisme ?
Lire aussi l’entretien : Cécile Van de Velde : « C’est la jeune génération qui détient aujourd’hui les clés de sortie de
crise »
Pour autant, le fossé se creuse aussi bien par les outils que par les
contenus. « Il y a des références générationnelles que les autres
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Du politique au systémique
Chez les jeunes féministes, il y aurait une conscience plus vive
d’appartenir à un système de domination et à ne plus accepter des
formes invisibilisées d’oppression. Chez les plus anciennes, une attention
plus soutenue aux « libertés », ainsi qu’un souci accru des limites,
notamment autour des questions de procréation médicalement assistée
ou de transsexualité.
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ou de transsexualité.
Lire aussi l’enquête : Derrière le débat sur le « wokisme », les trois mutations du racisme : biologique, culturel,
systémique
Lycéen dans les années 1980, à l’époque des Rita Mitsuko mais aussi du
« Collaro Show », François Cusset trouve qu’« un monde où, pour faire rire
les copains, l’ado n’imite plus comme à cette époque l’accent africain ou la
démarche des nains, où les librairies ont cessé d’enterrer des pans entiers de
notre histoire, où on ne dîne plus en famille devant le strip-tease d’une
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La différence et l’identité
Les divergences d’approches et les écueils ne manquent pas, pourtant, du
côté d’une partie de la nouvelle jeunesse émancipée des universités : un
certain « purisme du langage », une propension à « lancer des polémiques
inutiles et des surenchères frénétiques », ou des « dénonciations virales
débordant l’objectif visé » par du « trolling médisant ». Néanmoins, afin
d’éviter « le risque fatal d’une rupture des liens et de tout langage
commun » avec les jeunes générations, il convient de « les retrouver sur
leurs terrains », poursuit François Cusset, à savoir ceux de la di"érence et
de l’identité.
Lire aussi notre entretien : « La jeunesse est traversée par un malaise démocratique profond »
« Vol d’avenir »
Le rapport au travail, lui aussi, s’est modifié, loin du procès en paresse fait
à toute une génération. On observe « un refus de la subordination comme
des bullshit jobs », témoigne Cécile Renouard. Une envie de se réaliser, de
profiter de la vie, de rechercher du sens à son travail, qui n’est plus l’alpha
et l’oméga de l’existence. Face : une volonté de « prendre soin de soi, des
autres et du monde ». Pile : « une réticence à accepter les contraintes, la
verticalité et à s’inscrire dans un engagement durable », dit la philosophe.
Lire aussi : Retraite et travail : « Pour les jeunes générations, l’impression d’une arnaque généralisée »
Les aînés ont tendance à « plaquer les normes de leur époque sur la
nôtre », remarque Bastian Gery, étudiant en histoire et en science
politique à l’université Paris-VIII. La « santé mentale », à savoir le bien-
être, est « une valeur supérieure » aujourd’hui, poursuit-il : « La
génération de nos parents et grands-parents considérait avant tout qu’il
fallait avoir un bon travail et un bon salaire. La vie était envisagée comme
un grand concours. Beaucoup percevaient les moments de détente avec les
amis, par exemple, comme un à-côté. Entre burn-out et échecs a"ectifs, ils
ont oublié de vivre. »
Lire aussi l’enquête : Le rapport des jeunes au travail, une révolution silencieuse
La jeunesse serait donc avant tout dominée par le « désir joyeux d’un
monde qui ne soit pas binaire », estime François Cusset. Mais la joie est-
elle toujours au rendez-vous ? Rien n’est moins sûr : la crise climatique et
le désastre écologique obturent l’horizon des nouvelles générations, qui
se retournent parfois sévèrement vers les précédentes. Professeure à
l’université de Montréal et actuellement plongée dans une recherche sur
la montée de la colère sociale au sein des jeunes générations de part et
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Réquisitoire sévère
La sensation d’un héritage trop lourd à porter semble traverser une
génération à la fois désabusée et hautement responsabilisée. Une
impression d’être même plus adulte que ses aînés, qui se comportent
comme de grands enfants, incapables de modérer leur alimentation
carnée ou de renoncer à leurs week-ends en avion à bon marché. Au
risque d’adopter un rigorisme résumé d’un trait par l’écrivain Régis
Debray, retournant un vers célèbre de Rimbaud : « On est trop sérieux
quand on a 17 ans » (L’Exil à domicile, Gallimard, 2022). « Si on grossit un
peu le trait, on pourrait aller jusqu’à dire que les générations les plus
anciennes sont en train de sacrifier le futur des jeunes générations »,
analyse la journaliste Salomé Saqué, qui publie Sois jeune et tais-toi !
(Payot, à paraître le 15 mars).
« Si on accorde aux soixante-huitards un minimum de capacité
autocritique, ils sont conscients de leur part de responsabilité dans le bien
mauvais état du présent », réplique le sociologue Erik Neveu, qui concède
avoir fait, « tant pour [ses] loisirs que [pour son] travail, de très, trop
nombreux vols aériens ». Les « valeurs environnementales » font
« relativement consensus » aujourd’hui, même si « l’intérêt et les
préoccupations sont plus marqués chez les jeunes », tempère Olivier
Galland.
partir des années 1990, nous n’étions pas nés quand les décisions les plus
néfastes ont été prises (extraction des énergies fossiles, politique
productiviste, destruction de la biodiversité, détricotage des droits sociaux
à partir des années 1980, etc.) et nous serons pourtant les premiers à en
subir les conséquences, s’emporte Salomé Saqué. D’où une certaine
amertume. Non seulement rien de significatif n’est entrepris pour aider les
jeunes, mais, en plus, ils doivent tolérer les critiques incessantes d’une
partie des plus âgés, notamment dans les médias, sur leur soi-disant
paresse, leur “obsession woke” et autres clichés conservateurs. »
« Un piège à dépasser »
« Inventer des responsabilités collectives et universelles, c’est estomper les
vraies », rétorque Erik Neveu, qui a mené une vaste enquête sur celles et
ceux qui ont fait Mai 68 loin de la capitale, notamment en Bretagne (Des
soixante-huitards ordinaires, Gallimard, 2022). Car, « dès les années 1970,
le syndicat des paysans travailleurs et la CFDT dénonçaient les méfaits du
productivisme, les dégâts du progrès que promeuvent aujourd’hui de
jeunes technos dans les ministères et à Bruxelles. Les bilans carbone sont
aussi corrélés aux revenus et au statut social. Un tradeur trentenaire
“pollue” plus que ne l’aura fait, sa vie durant, un employé ou un instituteur
septuagénaire ! »
Une analyse que ne dément pas Salomé Saqué, bien au contraire. La jeune
essayiste estime que, si « un conflit de générations se développe », il s’agit
d’un « piège à dépasser » : « Les jeunes ne peuvent pas changer les choses
seuls, ils ne pourront pas mener une quelconque révolution une fois que
tout sera détruit, il appartient donc aux plus âgés de tendre la main aux
plus jeunes pour utiliser au mieux nos ressources communes et réussir à
créer ensemble de nouvelles utopies. »
Nicolas Truong