Tl.
MATCA, la source
pice en deux actes, six tableauxPERSONNAGES:
IRINA, la future mere, 23 ans
LE VIEUX, pore d'irina
PREMIER EPOUVANTAIE, | trois masques venus a la
‘DEUXIEME EPOUVANTAIL anes a Tuer
bs @ Foccasion Je réle des
‘TROISIEME EPOUVANTAIL Parques, fées duu destin,
‘LE FIANCE (Za Voix)
ACTET
tableau T
It pleut, Eclairs, tonnerre, vent. Un chemin de campagne,
_glissant, Arbres déracinés barrent, ict ou la, le passage. Décor
primordtal, fait d'accessoires préexistanis au thédire, En route
‘vers sa makson, Irina semble érre la seule femme au monde, Ou,
tout au. moins, Ia seule a porter un enfant dans son sein, et —
sur ses épaules — limmense tdche de la consinuité. La boue
ceffiice instantanément ses pas ; c'est bien ce qui Vefrate: ne plus
lawsser de traces. It pleut, on dirait, deputs que le monde est
monde.
TRINA
(cheveux et vétements trempés, elle court, légere beureuse de
pantciper en quelque sorte a une manifestation de la nature. Se
‘éfugiant sous un arbre) Quelle humidité | Ga vous fait venir
Yeau a la bouche. Et des nua; la langue. Quand il tonne
les dents claquent, ¢a fait sauter Yémail.. On dit qu'elle aurait
arraché plein de dents, cette folle tempete... Avec la racine.
Gare 4 notre dent de sagesse !
(lle regarde a la ronde) ¥ia, ce que j'ai soif d'un mot sec !
(Cherche) « Déluge » (elle rit. Récite) « A peine le premier
déluge ordonné par Dieu finissait de s’évaporer ~ le fond des
océans et des mers embuait encore te miroir du ciel — que, le
diable cette fois, décida d’en déchainer un second, Pour faire
tun pendant a autre, d’abord, ensuite parce que le monde don-
nait trop dans la sainteté »... Cest peut-tre ainsi que la furure‘Manny SORESCU
ire dans Torage avec de
belles dents, c'est est quoi ces minaude-
tes ? (irritée contre elle-méme) Je ne suis qu'une idiote. Oui, et
Voffense) Une oie sauvage. LA!
(Grave) kutour de moi il se passe... je ne sais méme pas ce qu'il
se passe, et moi, je flotte sur les vagues, sur les mers, et les
océans.
Chut ! Un bruissement... @lle préte Treille) Ah, oui, quelque
chose a bougé, je l'ai entendu de mes oreilles... (elle écoure)
(Crie) Qui va la ? (ffrayée) Ca recommence... Un crissement
de feuilles... Ou un ceil qui ‘on croit sentir la pau-
pire... (Sursaute épouvantée) As "(geste du
chasseur) Un pauvre lapin
nue, fappelle es chasseurs
haute vote) He, chasseurs |
Cela dit, moi, je suis heureuse. Oui, cest bien le mot. Je res-
sens un bonheur étrange, inexplicable, d'une iniensité
extraordinaire, un peu comme du temps ob Fe reas quun
ement... Mais il y a cette
je Wartive pas 3 mex
it tombe, il est temps de ren-
ité céleste bat de Vaile. (Hclair) Qu’est-ce que je
86
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEI.
disais ? ¢a papillote drblement (Elle futt quelques pas, avancant
avec difficulté. Sur son chemin, un chéne géant avec un creux
; téte penchée, elle éconte a Vintérteur de son
ventre) Dis donc, toi, Hi-dedans ! (Elle nt, et, précautlonneuse-
ment, rentre dans le crux. Esplégle) Messieurs, Dames,
puisque apparemment c'est bien le déluge, vous étes priés de
monter dans Arche ! (sorta matin debors).. Ca ne s'est
pas arrété, il pleut toujours. Ouf !javais peur que, une fois ren-
trée lidedans, le phénoméne ne prenne dehors une autre
tournure, cependant que, moi, on me laisse ici, flotter 2 sec
Gortant Vautre main) Mais il pleut, Diev merci ! (Songeuse)
Peut-ttre, ¢a ne sarrétera plus. Jamais... (Se lovant dans le
creux).
En attendant, profitons de ce qu'on soit a V'aise et faisons un
brin de philosophie... idéaliste, ici, matérialiste, dehors, (Elle rit.
Tremblant de froid) Une chance d'étre tombée sur ce creux.
Cest de fa peut-etre que vient Vexpression, comment déja ?
attends... « dans le sein de la nature » ! (Triste) Tu parles dun
sein... Dans Je sein de la nature cétait avant... dans le ventre de
ma mere. A présent, je suis dans une espéce de creux de mal-
heur doit vient de stenvoler un....un je ne sais quoi. (Souvent
je n'ai plus fot...
‘mangé de humigre
snoux... les deux genoux. Ni volé 3
travers des espaces infinis, tout naturellement, sans effort, ai...
(En riand) Je dois ee la seule créature au monde... en tout
cas, dans ce village... dans ce creux, tout au moins, & avoir des
souvenirs du ventre de ma mere... (Prosalque) C’est bien mon
87
{
|
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‘Manny SORFSCU
‘c6té bizarre, je Tai méme dit & mon mari, avant qu'il ne
mépouse : « mieux vaut que tu le saches, jai des visions
avant ». Lui : « Et ga te prend souvent ? », «Ne crain:
ne suis pas... comme tu crois, ces.
quer ? dans le silence... ou quand dl pleut
je me complas & jouer de Himagination, alors que tout mest
grandisses avec ton époque » (Eile rt) Et voila, fai grand,
mri... et mon ventre aussi... le pauvre, Cest méme fou ce q
a mOri |... Maintenant_ qu’ 8
reviennent a esprit. Des
vécues...
i été au paradis, moi. Tous, nous
imbrassant la
ire, comme on
venons du paradis, a pied,
‘parot du creux) Mere ! Mere
est bien dans ton sein quand
‘agit A présent de te quitter, Mére-Nature, et
de rentrer & la maison. A ma maisonnette \... Allez, on se repose
tun peu et on repart. A pied, comme une grande, 2 travers le
déluge. (Un silence ; elle éoute Ja plute) Ce bonhe\
nvinonde tout & coup, mest pas le mien... il est 2 lui.
caresse son ventre proéminent, rond, dont on crolt presque sen-
tr la respiration sous les vétements transis) Je suis submergée
par son bonheur, c'est pour cela que je me sens si bien.
CFonnerres, foudres) Que mimporte si le déluge 2 commencé.
que miimporte si la digue est en train de s‘effondrer.... Tout le
village est R-bas, a la rivigre... a la digue... Py ai été aussi,
apporter ma pierre... une grosse buse — en fait, ce que j'ai
trouvé, on ne me laisse rien porter de lourd, Aussitat, ils me
LA SOIP DE LA MONTAGNE DE SEL
sont tous tombés dessus : « Allez, rentre chez. toi, ici on se
quoi, ces eaves! Et si ma mission était justement de rester Ia-
bas, sur ce talus de cailloux et de terre, et de tenir téte aux
vagues ? (Changeant de yabord, le mouvement facilite
Faccouchement ; de ce cét ‘eu mon compte... aU cas o8
‘cola devait arriver bonheur de celui
cemps ; peut-ttre en cochant de mes cils sur le ventre
mere, comme sur une ardoise. J'ai bien senti que
quelque chose allait m'arriver... une sorte de maladie...
saisie de frissons Jjusqu’alors inconnus... épouvantée)
les frissons de la mort |... Oui, puisqu’avant jétais immortelle.
Queique chose n'anrétait pas de tourner autour de mot. Javais
perdu la faculté de flotter ibrement dans espace, je tombais,
tombais, tombais... puis, d'un seul coup advint le désastre. La
chute, Totale. (Souptr) On dit que ma mére a cu du mal A me
mettre au monde. Le cataclysme, si je m’en souviens !
Je paradis, limmontalité, om s'y attache, faut croire... Foutaises !
Cest bien ce que dit aussi mon époux, « divagations intra-uté-
fines, ma chérie ! »... Ici, au moins, dans ce crew
parler ouvertement. (sourire) La nature est mere, el
peut comprendre la situation,
(Sur un autre ton) Tout 3 Pheure, a la lueur d'un éclais, je
me suis vue dans une goutte de pluie. (iriste) Je suis affreuse.
Dommage, une femme doit étre belle jusqu’a son dernier ins-
tant. S'il me voit ainsi, mon pére emportera une bien vilaine
impression du monde, en mourant, Quand au petit qu'est-ce
quill verra en ouvrant les yeux ? — une espece de mégere,
'épouvantail, qui le fera hurler de peur. Bon, n'exagérons rien,
9
/Magn SORESCU
on ten est pas 12 tout de méme, hier
retournaient sur mon passage, Tous. Sa
1» je Tespére. En ce moment, il lutte avec les vagues.
ipplié de ne pas s‘aventuter top loin avec son bateau,
. Pr aussi celui de mon pere, mon pauvre, malheu-
Gait pas aussi malade, je serais restée Ia-bas, &
Ja digue, on dit que la situation est désespérée... Il n'y a que lui,
‘mon pére, qui n'est pas désespéré. (Un Slancement , elle porte
Ja matn a son ventre) Mon Dieu | comme tout arrive en méme
temps ! Je le sens qui donne des signes dinquiétude. 1a hate
de venir au monde... d'avoir un destin, un certain... I se débat,
on dirait, il se tourne face au mur et refuse de... mouri. (explt-
cation) Je parle de mon pére. Tout a Theure, je parlais de mon
DébE. Mais... je les confonds ?... C'est 4 cause de ces douleurs
gnoire, od un tas de problémes nous attendent,
Jetons un ceil dehors (Elle regarde) Cest & vous ficher la
frousse ! (Grave) Comme si la pluie ne devrait plus jamais ces-
set. Des tuyatx par milliers plantés dans les nuages.
est pris sous une gouttiére qui déborde. Les sabots du
sont ramollis, Dans le pis des vaches le lait est coupé d'eau. Les
nuages trainent, bas, sur I
s'élever au-dessus, nager sur les nuages, mais elles s'y sont
noyées. Diable ! des nuages de dix kilometres d'épaisseur.. La
ne faut pas que l'eau rentre dans mon
lus que ga! son premier probleme, en
venant au monde, ce sera lalimentation, je fe vois déja. (Elle
Sexamine, tnguidte) Est-ce qu’au moins j'aurai du sein ? ces
machins que voici ne sont peut-étre que pour la forme. (Rant)
90
[LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
‘Jai entendu une bonne femme se plaindre de ne pas avoir de
buste !.. Non mais ! qu'est-ce que je peux étre idiote
Elle béstte, puis, prenant son courage, elle sort. La pute la
fouctte, elle court s'abriter sous un autre arbre. La foudre tombe
‘sur Te chéne qu rina vient de quitter, if n'est plus qu'une torche
cembrasée. Cependant qu'elle le regarde briler) incroyable... a
attendy mon départ pour s'immoler par le feu... pour attraper
‘un coup de foudre, et... rendre l'ime... Pour qui brale-ton des
cierges géants ?... (Avec assurance) Vain achamement que tout
cela, moi, rien ne peut m’atteindre aussi longtemps qu'il me
reste cette tache & accompli. Il existe une solidarité de ce qui
choses en gestation. Si jétais encore dans le creux, la foudre
nous aurait épargné, V'arbre et moi. Ah, oui, ¢2, Jen suis cer-
taine | (Caressant son ventre) On y va, bonhomme, viens !
(Fort, pour couvrir le meuglement de Forage) Solidarité des
choses en voie de naitre, protége-moi ! (Foudre, tonnerre.
Giissant sans cesse, Irina s'éloigne sur le chemin).
rideau
a1TABLEAU
Lintérteur d'une maison paysanne, Deux chambres, meu-
biées différemment. Lune est celle du jeune couple, autre, celle
duu mourant. Enire elles, un vestibule par on Yon entre de Vex.
terteur. Les portes des chambres sont ouvertes, l'on peut se voir
de l'une a Vautre. Dans la chambre de drotte, lovée sur son tt,
‘pale, le front emperlé de sueur, Irina est travatliée par les dou
leurs de Venfantement. A gauche— Le Views — pore d'lrina, a
du mal a rendre 'ame. Comme il se meurt de sa.« belle mort »
if wen ressent pas plus de peine que cela, une belle mors est
comme un accoucbement sans peine..
Wa demandé que son cercuetl, préparé a Vavance, tut sott
mis @ portée. Le Vieux eb Irina se parent, chacun de sa
chambre, chacun sur son it de souffrance.
VIEUX
Le vila qui commence a puer.
TRINA
Quoi ? Qui ga?
VIEUX
Ben ¢vespéce de trone, qui veux-tu ? Hier encore il flairait
bon le chéne, et I, il empeste la résine, Me Faurait-on changé,
dis?
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SE
TRINA
Genaillée par ses doulewrs) Qui veux-tu qui le change ? Tu
as de ces idées !
VIEUX
Je 'ai bien commandé en chéne, que je sache. Et, jusqu’a
hier il était en chéne... Jusqu’a tantét, quoi. (Ferme) Moi, je ne
me mettrai pas dans du sapin, pas méme mort!
TRINA
Ny pense plus, va.
viEUX
ETA quoi je vais penser, aux femmes?
IRINA
Gefforgant de sourtre) Aux,
VIEUX
"Y en a une, justement, qui réde, une espece de Paucheuse.
IRINA
N'y pense plus, je te dis.
VIEUX
Ben quoi, cest une femme comme les autres, A moins
espace de bores quills vendent pour des prunes, et qui vous
%Mani SORESCU
tiennent tout juste le temps qu'on vous descende dans Trou.
Parfois, méme pas jusque-la. Je me suis laissé dire qu’un gars
‘est tombé cul par terre, au milieu du chemin, Méme quill s'est
réveillé du coup, vu qui pas tout a fait mort, Veinard, le
bougre ! on Vaurait enterré, sinon... Et réciproquement,
TRINA,
Quoi, réciproquement ? de quoi tu parles ?
VIEUX
Je parle que Fodeur de résine est passé au mien, voila de
parle !
IRINA
VIEUX
Parce que, regarde (cherchant de V'air) je ne peux méme
plus respirer a cause de leur espace de résine, 1a
IRINA
Cest de ozone, la résine, de Pair pur.
VIEUX
Air de cercueil, oui !
IRINA
Dis plutdt que tu n’as pas envie de mourir, On se demande
pourquoi tu tes fait porter cette boite sous le nev.
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
‘VIEUX
Parce que,
TRINA
Parce que quoi?
VIEUX
Pour pas quills me le changent... Et pourtant, on dirait
Cinspectant le couvercle)...
porte | (Sur un autre ton) Dis, fillete, prenez votre temps
quand il faudra me mettre au trou, Une fois que je suis mort
faites venir un toubib de la
mon pouls. Ga, au moins, le pouls, ils s'y connais it:
«Crest liché ta rampe », attendez quand méme trois
jours, et si vous voyez que je ne bouge pas, allez-y... Mais, pen-
dant ce temps-l2, honorez-moi, faites selon la coutume...
pleurez, lamentez-vous.
IRINA
(pour le calmer) Ga ne presse pas, va.
VIEUX
Autrement dit, « Créve seulement, le reste, on s’en occupe >,
hein? (Hl nt jaune)
HRINA
Pere | tu n'as pas honte ? Qui veut ta mort?
VIBUX
1a Faucheuse, fillette, pas toi, je sais bien.
95,Maki SORESCU
IRINA,
‘Tuas mal?
VIEUX
De ma vie, je n’ai jamais eu mal, nulle par... Sinon & mon
ame, Maintenant, vila que méme celle-!4 ne me fait plus mal.
Pour ca je te dis, e vais pas bien du tout... Si, au moins, je savais,
cque jai.
IRINA
Les docteuss disent que tu n’as rien
VIEUX
Cest grave 4 mon Age ! Tres grave. (Ilse léve et wa foulller
dans un coffe, d’oi tsort des vbtements)
IRINA
Queest-ce que tu fais, Bi?
VIEUX
Rien. Je mvhabille.
IRINA
Pour alller od ?
VIEUX
‘Ben, pour aller... JA 08 je vais, (Mettant péniblement ses
habits) Pas méme mes habits de fete ne me vont plus comme
il faut. Si je n’étais pas aussi pressé, jirais chez le tailleur pour
les faire rajuster... (ri)
96
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
TRINA
On ne sait jamais si tu parles sérieusement ou situ blagues...
sérieusement. Méme cn un moment pare, il faut que tu fasses
ta comédie.
VIEUX
Jaimerais bien que ce soit de la comédie, tiens ! Liennui,
fillete, vois-tu... Non mats, qu’est-ce que Cest que 62?
IRINA
(affolée) Quoi?
VIFUX
une a Vendroit et lautre a Venvers
force de recommencer. Encore que.
i au... jugement demier ? ne vont-ils pas
me chercher noise, dis? voire méme se... se moquer de’moi ?
Crénom de nom, yz y ont pas intérét |. (Siallongeant sur son
It) Aic, aie, aie! (Souptr) Crest bien, n'emp@che, quand on s'est.
atifé pour mourir, un souci de moins... Avec celui de la vie
éternelle, cen fait deux !
IRINA
(Pour changer de conversation) Cette pluie alors...Tu Yen
tends?
VIEUX
Un bon déluge, vila ce quill faudrait.. ou plutot, non, qu'il
reste od il est, Trop de pluie, e’est pas bon, « 2 sac de vieux os,
Teau rien ne vaut », comme on dit. Moi, c'est ce qui a écourté
‘mes jours si ga se trouve,
”‘Manin’ SORESCU
IRINA
‘(gémti, soupire) Tu feras de plus vieux os que mot, Va.
VIEUX
(poursuivant une pensée) Sai toujours pensé que "homme,
quand il va pour se terminer, c'est sa raison qui se termine la
premiére.... La mienne tient le coup, a ce que je vois.
IRINA
Ga! tu pourrais bien en revendre,
VIEUX
‘Jen échangerais volontiers contre un peu de force, Méme
pour boutonner ma chemise jai eu du mal, misére de misére !
Et toi, qu’est-ce que tu fabriques ? tu ne viens pas mallumer le
ciemme?
IRINA
Parce que 18, tu... meurs pour de bon ?
VIEUX
Ben, qu’est-ce que tu crois !
IRINA
Ceut se lever, la doulour la faucbe) C'est donc ainsi qu'on
meutt ? Comme toi, bien portant ? en gardant toute sa tte ? et
cen plaisantant ?
VIEUX
est la vie qu’a été une plaisanterie, maintenant ¢a devient
sttieux. (Cherchant quelque chose) Mon chapeau ? ob est-ce
qu'elle me I’a fourré, ta mére ?
98
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
IRINA
Tu ne Fas plus pon... depuis ? Cing ans, dé.
VIEUX
Eh, oui, déja ! Elle était comme ¢a, ta mére, pressée.
IRINA
Je ne sais pas, pour ton chapeau. Et je n’ai pas la force de te
le chercher.
VIEUX
Laisse... De toute fagon, il mvauraitfallu le garder A fa main
Crest interdit, il parait, de garder son couvre-chef au paradis...
Bt en enfer, pareil. En enfer, a cause qu'l fait trop chaud, au...
parce que ca se fait pas... rapport au saints et tout et tout. Des
fois, quand je ferme les paupiéres, il me prend comme un ver-
tige, et je les vois, les saints... 4, groupes par groupes... tenant
leurs mystérieux conseils.. Ga te revient toujours pas?
IRINA
Quill me revienne quoi ?
VIEUX
00 quielle a pu le mettre, ta mere ?
IRINA
esprit ailleurs) Quoi?
Ben, mon chapeau.“Manin: SORESCU
TRINA
‘Un instant, je me léve, pére chéri.. je vais tele trouver. Al!
‘ce que jai mal... ca me scie... (Elle gémit, pleure) Oh, Seigneur
Dieu |
VIEUX
(aprés un temps) Cest sur moi que tu pleures, 12?
IRINA
Ga recommence...
i est bien,
IRINA
(crt aigu) affreux... c'est affreux... comment tu peux dire
que cest bien?!
VIEUX
Un autre viendra prendre la place, comme ¢2 la maison ne
restera pas vide aprés nous... Tache que ce soit un garcon.
TRINA
(Plaisamterte botteuse) On y voit rien dans cette baraque, ce
serait une fille que je ne men apercevrais pas... Avec ma vue
qui se brouille...
VIEUX
(@une votx éeinte) Tu en a pour long, dis ? Mets-y du tien,
fillete, magne ! Si Cest pas pour !'an prochain, jessaierais de
patienter...
100
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
IRINA
Crassénérée) Cest bon que tu sois li, pre, en ce moment,
‘Tu me fais tire, oublier ces...
VIEUK
Je viendrais bien te donner un coup de main, je sais ce que
eat, va! ta pauv’ mére a eu assez du mal avec toi... Mais, de
une, 'y a la pudeur — et de deux — mes jambes sont raides
‘comme des souches glacées.
IRINA
Et moi, mon ventre Cest du feu.
VIEUX
(On change, hein ? (if rit)
IRINA
Si cela ne tenait qu’a moi... (elle crfe fort) Je meurs...
VIEUK
Allons, allons, c'est quoi ce boucan ? Non, tu meurs pas,
‘est plus dur pour toi, forcément, tu ¢s une intellectuelle. Pour
ca que tu en fais tout un plat. Ta grand-mére allait au champ
Porter aux hommes leur casse-croite et, de retour & la maison,
elle vous ramenait un marmot dans son panier... Sur sa téte, elle
le ramenait, dans ce panier, avec les cuillers et les casseroles,
mu comme ver, tel qu'elle en avait accouché 4 ombre d'une
once ou dans un buisson, enfin, 1 of ca la prenait, car elle
vous faisait ¢2 ni une ni deux, comme les bétes. Cest ainsi
quelle en a eu quatorze... Le treiziéme c'est moi...Mason: SORESCU
TRINA
Le mauvais numéro... (ele gemtt)
VIEUX
Jai toujours &é treiziéme... VIR pourquot je suis en train de
remballer, & 'heure quill est... Gl gémit) de débarrasser le plan-
cher... emit) Ga vient, tol?
IRINA
Ab. Oh. Ale!
VIEUX
Cest ¢a, vas-y, grouille.. (gémit)
IRINA
Ga me fait mal de te voir souffrr.
VIEUX
Tu ferais mieux aller chercher la sage-femme... enfin, Cest
plut6t moi qui devrais, mais, comment ?... Ga mélance,
Ia céte...
IRINA
(burle)
VIEUX
Eh ben, tu vois ?jaurais pas dé tenvoyer a l’école. ‘Tu serais
en train d'accoucher sans peine, comme une bétasse....Ta mere,
carer son ceria dénues, je te ds pas fe cirque. Tf
te faudra la sage-femme, sortiras pas sinon...
Eh, l'Ecole Normale, ‘veux rice 7..." ont'y une sage:
femme dans le village ?
102
LA SOIP DE LA MONTAGNE DE SEL
TRINA
(entre deux gémissements) Ah !.. ls en ont une, oul. Mais,
quel rapport, Finstruction, et... ¢2?
VIEUX
Cest que ¢a affaiblit les gencives, l'instruction, pardi !..
Regarde, ta grand-mére, quatorze, je te dis. Bt elle ne savait méme
‘pas les compter .. (Riant) Ca, mon vieux, Cétait une €poque !
JRINA
Ge platnt)
VIEUX
Eh oui, eh oui... Si les poules en faisaient autant pour
basse-cour... bonjour les jérémiades !
IRINA,
Quand elles caquettent, c'est de plaisir tu crois 2... Ou, peut-
atre, si... Oh, ce que j'ai hite de caqueter, moi aussi... (SHlence)
VIEUX
HE | tu t'endors pas sur la besogne, au moins ?
IRINA
1¢ fais pas rire, ou je fais une fausse couche. Je dois me
to» (Bomtt) Cest comment quand on meust ?
VIEUX
Ben, on se termine. Comme un cierge.
103‘Mazin’ SORESCU
TRINA
Arete...
VIEUX
Fespére qu'il nous en reste, caf, justement, celuila se ter-
mine, je vois. Et moi de mourir, nenni !
IRINA
Parce que,
fens ton cierge ?
VIEUX
Puisque j'ai pas d'enfants pour me le tenis ! (Triste) A quoi
sert d'en faire, on se demande.
IRINA
Mais, qu’est-ce que tu.
VIEUX
Si on doit crever comme un paien, sans un
phutde... Pai meme pas communié, t sais ¢2, tol?
IRINA
Fallait y penser avant, quand tu as commandé ton cercueil.
VIEUX
Quiest-ce que fai A dire, moi, au pope ? pour ce qu'il
vécoute... Tu lui parles et lui, il pense a ses affaires... au repas
funéraire, aux... A ses affaires, quoi. Mais, li, jaimerais bien
‘communier, r’empéche... Seulement, qui envoyer le chercher ?
104
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
IRINA
Gourire) Si tu patientes un peu, on enverra le petit.
VIEUX
Ben, justement, je ne peux plus... Ft situ me confessais, toi?
IRINA
Mais je ne suis pas pope.
VIEUX
Et alors ? tu ¢s ma fille, tu es plus pure qu'un pope. Bon,
écoute, ma fille... (Silence) Je sais pas par quoi commencer.
IRINA
sont juste au chevet de ton lit, Tu peux te
VIEUX
‘Tant que c'est pas dans ma tombe, je peux... (Cherchant les
clerges) Ca ita, ten fais pas. Occupe-toi de ton affaire, 12, que
2 aille vite, Vite et bien fillette, tu m'entends ?
IRINA
SJentends
VIBUX
Non mais, comment jai fait pour vivre jusqu’a cet age ?
TRINA
Quest-ce que tu veux dire ?
105‘Mano’ SORESCU
VIEUX
que vivre, en
somme, On ne pense a sa vie qu’ la demniére heure...
IRINA
Cessayant de tourner les choses @ la platsanterie) Bt encore !
rien qu'un petit quart c'heure...
VIEUX
(Grave) Car ily a une espéce de... qui se pointe et qui n’ar-
réte pas de grimacer et de te faire des signes : « Allez, pressons,
bouge-oi, fainéant », qu'elle dit. Et est justement quand elle te
presse de bouger que tu te figes. Fh ! que veux-tu, nous autres,
a la campagne, on marche avec le soleil, les saisons... toujours
quelque chose 4 faire, et, vi. Tu sais,
rez-moi 2 la ville ! moins, je prendrai du repos... Ou,
plut6t, non... ils seraient capables de me fiche un réveil au che-
vet. Le soleil, Dieu merci, ne claironne pas a son lever !
IRINA
(rit)
vIEUX
Eh, fillete, elle a été ¢'qu’elle a été, ma vie. Elle a éé bien,
quoi. Cest juste la, la fin, tu vois, on me prend un peu a rim-
préparé a temps, mais
pas bousculer comme ga les gens, on est pas des sauvages ! (il
fait des efforts pour rentrer dans le cercuesl)
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
TRINA
Cun peu énervée) Od vas-ts encore te fousrer 7 Tu ne peux
'pas rester un peu tranquille, on dirait que Cest dans mon ventre
que tu remues.
VIEUK
Tu dis peut-étre vrai, je suis méme pas né si ga se trouve !
Alors, aurais encore une chance, hein ? (If rit avec difficulté)
Dieu me pardonne |... Ca fait ts mal, fillette ?
IRINA
Horriblement.
(afjolé) Ben alors, moi... ? fe peux pas partir comme ga, il
faut que je me confesse, moi ! Comme dit la chanson : « sur le
coeur si gros jen ai / qu’aux pierres je me lamenterais »...
TRINA
(prenant son réle au sérieux) Dis ce que tu as sur le coeur.
Mais, vite, je vais en finir avant toi, si ¢a continue, Tu as beau-
coup péché ?
VIEUK
Penses-tu t'ai pas eu le temps... Pas méme pour ga! 'aurais
dd @tre plus heureux... Eh! ga ne s'est pas trouvé... Etta mere,
laissé seul, celle-l2 ? pour
Un lourd silence, entrecoupe de gémissements de pant et
aauire.
107‘Maso SORESCU
IRINA
(@n oublie un temps le malade, tourmentée par sa propre
souffrance physique. File parle toute seule... comme Le Vieux.
Pour quelques tnstants, leurs répliques respectives cessent de se
répondre, devenant en fatt des fragments de monologues)
VIEUX
(gémit) Docteur Paico, tu connais ?
IRINA,
Un accoucheur ?
Quel accoucheur ? il regardait dans les pournons. Mais il a
attrapé un cancer rt un mois a Favance : tel
jour, telle heure, stest pas gouré d'une
seconde, ainsi que ¢a s'est avéré. Le jour en question, un peu
avant onze heures, vd qu'il appelle au téléphone son meilleur
ami, « Bientt onze heures, qu'il lui fait, viens, on bavarde un
coup »
TRINA,
Ge plaignant) Ob, mon Dieu |... mon Dieu |.
VIEUX
; autre anive, il se mettent & parler
TRINA
De quoi?
108
LA SOIP DE LA MONTAGNE DE SEL
VIEUX
De choses et d'autres, entre hommes. Et au moment précis
ot fa monte allat.. car il avait ce genre de montre, tu sais, qui
tape du poing dans la poitrine, docteur Paico, il fait : « Bon,
ben, je vais ayen aller, & présent »
IRINA
(qut a perdu le fil) Sen aller? 08 ? Malade, et alors que son
ami était venu le voir...
VIEUX
Creprenant son récit) Ga les a rendu fous, ses amis et
legues, les médecins de taux, de se dire que, s'il a
prévu avec tant de précision, cest que ce Palco avait aussi
trouvé le reméde.
IRINA
Quel reméde ?
VIEUX
(assez agacé) Tu peux pas suivre un peu, non?
IRINA
Ces douleurs... si ga continue, je tiens plus.
.. Avait aussi trouvé le
y ec lui dans
TRINA
Assez! qu'on me parle plus de morts !
109Mazin SORESCU
VIEUX
Assez ! qu'on me parle plus de naissances !
IRINA
(Apres une pause) A Vapproche du Nouvel An, les gens s'ai-
ment davantage... Tu as remarqué ?
VIEUX
(boudeur) Non.
IRINA
Lan passé, je rencontre quelqu’un... nous avions échangé
deux trois mots, il y a longtemps, je lavais presque oublié... I
me regarde au fond des yeux, prend ma main, et dit :
« Rattrapons ce qui reste de cette année, viens ! » (elle rit). Tu
sais, comme ¢a, tout & trac !
VIEUX
Un fou, quot.
TRINA
Non, pourquoi ? Enfin, je ne crois pas.
VIEUX
‘Tu hui as bien tapé sur les doigts, jespere ?
TRINA
n'ai pu oublier le désespoir empreint
n homme qui se
, moi 2... « Rattrapons ce qui
‘Oui. Mais tongtemps
sur son visa
quiest-ce que j
année... »
0
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
VIEUX
Je ten ficherai, moi, espéce de débauché !
IRINA
Non, mais, qu’est-ce que tu imagines, li ? 11 ne demandait
sien d'extraordinaire. Cétait un des hommes venus au village
avec la caravane cinématographique, tu te rappelles ? Tl aurait
aimé nvinviter a la séance. Pour se dire, plus tard, qu'il a vu ce
film avec mot, Yan passé, Enfin, qu'il fait quelque chose, cette
année.
VIEUX
me contenterais bien d'étre encore 1a, 'an prochain,
‘trop mal A mes os.
IRINA
Jai cru comprendre que tu n’avais pas mal. ’
VIEUX
‘Tiens donc 1 Od cela ?
VIEUX
1A od ca parle du partage des eaux... (Apres un silence, sou-
pirant) Pourquoi mai-je pas un bon cancer?
IRINA,
Dieu n'a pas voulu.‘Maun SORESCU
VIEUX
men serais fait une
Jaurais su au moins de quoi je meurs.
raison... peut-€tre jen aurais méme pavan
die importante, incurable, Cest pas donné 3 n'importe qui
service sanitaire : « Puisqui
tu peux me le dire, jai un cancer,
Et mol : « Alors, fai quoi? ». « Je sais
pas, qu'il me fait. Je dirais méme que tu n’as rien » (Révolté)
Alors, quoi, elle ne sait que la boucler devant la mor, ta science?
TRINA,
«Ma » science?
VIEUX
jen envoyée a Pécole, tu es institutrice,
a vous savants et docteurs. Pourquoi
TRINA,
Th est vétérinaire.
VIEUX
Et alors ? pour ce quiils s'y entendent, les uns comme les
autres... Seul ce Paico avait dégotté quelque chose, mais
‘a pas trouvé 2 se faire comprendre par la collectiv
pas malheureux |
IRINA
Remarque, c'est toujours lui, le vétérinaire, qui serait venu,
sion avait quelqu'un pour envoyer chercher de Vaide.
12
[LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SELL
VIEUX
Ha, elle passe la vie, elle passe ! (soupir)
IRINA,
Pour que autre artive..
VIEUX
Elle est déja arrivée, regarde voir sous le lit.
IRINA
Sous le mien, oui, dommage que je ne puisse pas regarder.
VIEUX
Dans ton ventre, je veux dire, (If rit)
IRINA
Ah, tu es terrible ! I! en est qui s'affolent pour un rhume ;
mors de panique, ils n’arrivent plus 4 dire deux mots cohé-
rents, alors que toi, pére, a Ventendre, personne ne pourrait
imaginer que... Cest comme si tu jouais un role, ou que tu te
préparais pour aller une noce...
VIEUX
Appetons la chose comme ¢a, cest plus drOle... Et qui sat,
aprés tout, Cest peut-étre bien 4 une noce que je vais, paré
comme me via...
IRINA
‘Tu ris toujours quand ga va mal, pre.
13,
eeVIEUX a
Jai vu ga de mes yeux, un obus Favait mis en morceaux, mais,
lui, il avait le sourire aux levres... Sauf que, ses lévres, l'une était
en place, et Tautre, a dix métres de li. Meme
quelque chose de terriblem
comprendre... "herbe pointait & travers son sour
silence)... Combien dannées que je suis mort ?
TRINA,
Crest 4 moi que tu partes ?
VIEUX
‘Tu veux pas que je parle tout seul, non ?
IRINA
‘Tu veux pas que je parle aux revenants, non ?
VIEUX
Goupire) Comme si fétais pani depuis une centaine d’an-
nées.., Une centaine de francs... d’années, je veux dire... ma
langue s'alourdit... (panique) J'ai divagué ?
IRINA
Un peu. Tu te croyais mort depuis longtemps.
VIEUX
Crest peut-étre vrai, qu’en savons-nous ? Allume, que je me
regarde.
IRINA
Je ne peux pas.
ng
7
Manin SORESCU a
1 faut bien, fillette, que faire autre ? Un gars sur le front, a
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
VIEUX
Eh ben, tu vois? (Silence) Je pensais & Rita, ta mére...¢a fait
bien une centaine d'années, elle aussi... une bonne centaine
clannées que... non, de billets...
IRINA
Caffolee) Pere!
VIEUX
Quoi? qu'est-ce qu'elle dit?
TRINA
Mais qui ?.. Pere, tu délires...
Ga mrest passé, fini
passera pareil... aprés ?
TRINA
Quoi done?
VIEUX
Le temps... Tout aussi vite?
IRINA
Ah | Est-ce que je sais, moi?
VIEUX
Mes forces m'ont iché d'un coup... Toi, ¢a vient ?
15,
eee
eeMaae SORFSCU
IRINA
(avec fermeté) Jai changé davis, Je fais une Fausse couche.
(Crte) Je nven veux plus. Je ne veux plus accoucher (Tout bas)
Ga n’a aucun sens. Vivre ce que tu as vécu, Cest homtible...
‘guerres, mistre, disette... des morts par ci, des mons par 1
Nooon !
VIEUX
(en colére) Et alors ? Ce sont tes mors | comment les
renier ... Tu oses juger ma vie ?... Attends voir, toi! je descends
ici et m'en vais te mettre une de ces tartes que tu n'oublieras
pas de sitét, tu n'entends ? Attention, je suis pas encore crevé |
Elle n'est pas née la morveuse qui va me juges, nom de nom !
(Acces de tous) Non, mais!
IRINA
Non, non et non ! Je n'en veux plus !
(Brats sourds, craquements, dans la chambre d'trina)
ViEUX
Apres une pause, écoutant les bruits) Tu te fais?
IRINA
(déchainée) Je le we. Je ne veux mettre au monde per-
sonne... je ne veux phis ! Quill meure, 13, dans mon ventre, il
‘ga ne ful fait
VIEUX
Si tu pleures, c'est que tu regrettes ce que tu as failli faire...
Simagrées de grande dame, situ étais restée une paysanne, ces
116
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
hystéries ne te seraient jamais venues. La vill
gée, ma pauv‘fille. Tout ce qui est de Dieu
IRINA
Bt toi ? pourquoi ta meurs ?
VIEUX
Davoir vécu, cte blague | Bt plus qu'assez. Je vais quand
méme pas faire le sigcle, non ? Enfin, a Dieu ne plaise ! car c'est
bien ce que disait aussi ce pauv' papé Coméa, et ita fini cen-
tenaire et demi... EXé comme hiver, il dormait face aux éoiles,
sur la véranda, et & table, il vous avalait un mouton.
TRINA
En disant quill ne ferait pas le siécle, peut-étre qu'il pensait
aun deuxiéme...
wait des petits-enfants,
‘idre-petits-enfants,
‘que vieux, une centaine d'années qu'on lappelait « Le Vieux ».
‘Moi aussi on m'appelle Le Vieux, mais c'est pas sir que j
assez pour me voir grand-pére, (Plein d'espoir) Me v
grand-pére ?
IRINA
‘iste) Je ne sais pas... je sais meme
qu'il ne bouge plus... (pouvantée) Sil est mort, pete ? si
jai tapé trop for ?,
n7
sane oi ne nner‘Maw SORESCU
VIEUX
‘Tu lui as bien tapé sur te cul, atv moins ? (assurance) it n’a
rien, va, la fessée d'une mere est plus douce que la caresse d'un
étranger.
IRINA
Hii! 11a bougé
. (Caltine) Mon petit, mon tout petit!
VIEUX
Saimerais que vous Vappeliez lon, comme son grand-pere.
IRINA
Pas question, un lon, ¢2 suffit dans la famille ! Autant lap-
peler Stan.
ViEUX
(a, non! Ona en eu un, ici au village, je 'aé connu, moi. Tu
sais ce quill a fait toute sa vie, ce Stan ? eh ben ila fait pattre
les chavres | Jaime encore mieux qu'il s‘appelle Georges.
IRINA
Je veux pas de Georges.
VIEUX
Vad ?
IRINA
Crest ca 1 a la queue de Falphabet, que tous lui passent
devant !
8
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
VIEUX
(€nervé) Comme vous voudrez, mais, attention ! pas de Jack,
, sinon, je Penvoie se faire
Ne vous avisez pas 4 me bis-
tourer le prénom du petit, tu m'entends ?! (Une pause, Bruits
dans la chambre du malade)
IRINA
Qu'est-ce que tu fais ? cest quoi ce vacarme ? (Brutts) Hé-
1a, qu’est-ce qui se passe ? Tu n’avais plus de forces, je croyais.
Qu’as-tu tenversé ?
VIEUX
Rien, je suis entré dans la boite... Me v1a dans Je bateau,
dans Farche de Noé.
IRINA
Tu changeras jamais, toi !
VIEUX
11 fait meilleur, ici. Fétais pris de tremblote. Ici, il fait plus
chaud.
TRINA
Est-ce qu'au moins il te. va?
VIEUX
1a, sous la céte (I rit)
Ca me serte un peu, oF
IRINA
Ga te sere?
19.eS ae
Many SORESCU
VIEUX
Sur le cbté... de autre c6t6. Jirai pas bien loin avec ce
rafiot-la, non plus, il mest davis.
IRINA
‘Tu nas pas assez voyagé comme ¢a?
VIEUX
Si, tu as raison. homme ferait le tour de la terre, tant quill
fest jeune, Mais quand la Camarde fui tire la grimace, il va de
Iui-méme se glisser dans un trou de serpent. Comme le chien,
ise traine jusqu’au seuil pour rendre Mime, fiddle, sous les
‘yeux du maitre. Lui, au moins, il eroit au maftre. Et nous, en quit
‘croyons nous ?
IRINA
Au seuil.
VIEUX
Bien dit, fillette. Moi, & présent, je suis au scuil. Mais tant
‘que je le vois pas, . je peux pas rendre Vame... Dis ?
IRINA
Quoi?
VIEUX
‘Les gens viendront, tu sais, pour la veillée. C'est fa coutume.
TRINA,
Pour quot faire ?
LA SOI DE LA MONTAGNE DE SEL
VIEUX
Pour me veiller, quoi, c'est ainsi qu’on dit. On reste avec le
mort, la premi@re nuit ; tant que son 4me est encore dans la
maison, les autres ont le devoir de le distraire, pour pas qu'il se
sente seul. Cest la coutume. Par chez nous, les gars ont la
langue délige, voire, un peu cochonne, tu les connais pas. Ils
arrivent, attifés je te dis pas comme, et se mettent & dire n'im-
porte quoi, Ne te Fiche pas. J'ai pris moi-méme part a pas mal
de veillées, cest bien, tu sais, méme pour les proches, on les
fait rire, oublier un peu. Un homme est mort, mais le monde ne
sfarréte pas pour autant. Les vivants sont lA pour s'amuser, pas
pour s‘abimer dans la souffrance, ils sont li pour vivre leur vie,
les vivamts. (II change de ton) Dis donc, vii aut'chose
maint'nant, jai soif !
VIEUX
Oui, soif. Mais je peux plus sortir de Ia. Allez, allez, y suis,
iy reste je commencais 4 me réchauffer un peu... I! pleut tou-
jours?
IRINA
(prétant Voretile) Toujours.
VIEUX
Et pourquoi sortir? pour une goutte d'eau? ici, au moins, je
suis & Tabri... Je sais pas ¢'qu’elle a, ma langue, elle se des-
sche... Je ne peux plus me tourner non plus... C'est li que je
créve, ce fois, c'est dit... Bh, fai réglé mon compte avec la vie.
jai tire un trait, et... je me suis couché sous le trait. Allez, je
mien vais, je Vous laisse. Dis 4 ton homme quill ne te tape pas.
m1——
oes
—
‘Many SORESCU
IRINA
Pourquoi me taperait-i ?
VIEUX
Si jamais fe petit ne lui ressembiatt pas...
IRINA
Gu) BLA qui vewetu quill ressemble ?
VIEUX
Cafjolé) Qui a coupé le chéne devant la maison’... Ga fait un
moment que je le vois plus.
IRINA
Forcément, tu es couché dedans... Tu as bien dit que tu le
voulais en chéne... (Une pause)
VIEUX
Les cigognes sont parties ?
IRINA
Parties
VIEUX
Bt les choux ? envolés aussi, pour... les pays chauds 7
IRINA
Les coucous, peut-étre... Les choux ont les a mis dans des
barils, comme tous les ans, en saumure.
122
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
VIEUX
Bien... C'est bien... des barils chauds..
‘quoi on causait ? Mes méchoires se coincent
encore... crier... (1 crte)
IRINA
Pourquoi j'ai crié si fort... ca ne m'a pas fait mal... comme
‘maintenant... Et on dirait que ce n’était méme pas ma voix...
VIEUX
(crie) Dieu... mon Dieu...
IRINA
(crig) Dieu... mon Dieu...
Cris et gémissements se multiplient dans les deux chambres.
Noir. ,
IRINA
Qu’est-ce que jlentends ? Comme sill a commencé a se
battre, la-bas... 2 crier.. A protester | (Elle préte Vorettle)
Quelque chose se déchire en moi... ah |... Chut ! Il parle &
nouveau...
VIEUX
Une perche ! Quelque chose pour m’accrocher... Le clel cha-
vire... oh, 'abime sans garde-fou !je tombe... Une corde... vite !
une corde... il faut que je mYaccroche... le vide me happe.
‘Quel vide... sans fond..
123,‘Maan SORBSCU
TRINA
Cau Vieux, en crlant) Titure pas ce cierge, est pas une
corde... Mes douleurs sont revenues... je meurs.. Cest moi qui
‘mourrai la premiére..
VIEUX
Qui me jete par fa fenttre ? ob, depuis quelle hauteur... Des
sacs, des sa
dun monde a
je maissais une nouvelle fois.. Mais pourquoi...
tombe ? Le vide... je savais pas qu'il existait, le vide.,
avait tant de vides entre... les nuages... le ciel... et now
corde |... je pourrais encore Vattraper !... un instant... une fois
‘encore... me balancer... Certs)
TRINA
Cécoute) Quel vacarme, dans mon ventre 1... Un volca
couche d'un volcan Je ne suis que feu, je prends feu.
entendu ? Ce sont les mots de celui qui doit venir... 1! quitte un
monde pour... oh, je Ia connais si bien cette sensation de...
chute. Qu’on en finisse... d'une maniére ou d'une autre, mais
qu'on en finisse. Il cri... Je meus... Je meeeeurs.
VIEUX
(crie) je tombe... je toooombe.
rideau
TABLEAU 1
Jes deux chambres du tableau précédent, A droite, le mort
dans son cercuell, tenant le clerge mortuaire dans sa matn
encore Hidde et qui le restera ausst longtemps qu’tl maura rejoint
le paradis ou, enfin, le Iteu on il dott se rendre. A gauche,
Vaccouchée et son bébé déja lange. Le courant d'atr fast batire
a porte de communication enire les deux chambres, mats irina
est trop épuisée pour aller la fermer. Par ailleurs, elle tient a
avoir un cell sur le mort.
IRINA
Je ne ressens qu'une immense lassitude. Et un vide dans la
téte, tout aussi immense, Comme si ciest de ma téte que je fai
de mon cerveau... Etrange. Ciest tout de méme d'un bébé
. Celle rit Vidée d'un bebe
notion de « concevoir », lorsqu’on
parle de procréation leurs la seule conception saine,
viable, Cingénue) On fait venir au monde une petite bestiole
alors qu’éclairs et plute s'achament sur le monde... Ici on est
bien, la pluie c'est lorsqu'l fat pipi.. et les éclairs, quand la
flamme de la bougie vacille, (On frappe @ la porte) Enfin, de
Faide ! Les gens viennent pour la veillée, ils s’occuperont de...
de Fautre c6té du logis. (elle monire la chambre de droite)
Entrez. Entrez. (Um silence ; nouveaux coups) Mais qu'est-ce
‘que vous attendex ? entrez donc | ne soyex pas génés, faites
comme chez vous, entrez !‘Mann SORESCU
La porte s'ouvre avec fracas. En méme temps que la pute et
Je vent qui donnent un apercu de ce qut se passe debors, entrent
trots créatures masquées, dont on ne sait sll sont des hommes
ou des femmes.
TRINA
Entrez, soyez les bienvenus, je m'ennuyais un peu, toute
seule ici, Se trouver dans une pareille situation, n'est pas tres,
drole... Des pensées... comment dire ? un peu confuses, me
ppassaient par la téte et... Enfin, je vous raconte ca parce que
‘yous étes du village, vous me connaissez de toute petite.
PREMIER EPOUVANTAIL
D/avant que tu ne sois au monde...
IRINA
Ceffrayée) Yai le sentiment, voyez-vous, que mon pere a
rendu lime au moment méme od j'ai accouché, ca me donne
des frissons glacés dans le dos, d'y penser... Il est vrai qu’avec
ce sale temps, des frissons glacés circulent un peu partout...
(plus effrayée encore) Crest comme si favais accouché de mon
propre pére, voila. Du délire, non? Moi, sa fille, accoucher de...
mort-né, en plus ! (elle seponge le front s'efforeant de soursre)...
je veux dire, ayant une vie déj faite, une expérience acquise,
enfin, tout prét mourir sans regret, en homme qui, comme ill
disait lui-méme, a vécu sa vie et mangé sa bouillie... Mais, ot
done ? od I'a-t-il mangée ? je ne comprends pas...
DEUXIEME EPOUVANTAIL
Fini, ces balivernes, oui ?
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
IRINA
(@clate de rire) VoilA le mot, bravo | balivernes, en effet,
absurdités... Si jen parle, c'est pour montrer que je suis une
femme normale... vous me connaissez, n'est-ce pas... Et si vous
quittiez vos masques et vos accoutrements, mot aussi je vous
reconnaitrais.. pas vrai 7... Qu’étes-vous, au juste, hommes ou
femmes ?
‘TROISIEME EPOUVANTAIL
Nous étions 18 4 ta naissance.
IRINA
(Gronnée) Pas déguisés en épouvantails, jespere ? (elle rit)
‘TROISIEME
‘Ton époux est de bonne taille, espere ?
IRINA
(Denstve) Mais, que faisiez-vous, 4 ma naissance ? que diable
&tes-vous venus y faire ? Bt d'abord, vous ees quoi, des sages-
femmes ? Je m’attendais 4 voir arriver de... sages vieillards,
pluté:. Mon pére, Dieu ait son ame ! mavait prévenue, tu vas
voir, ils vont débarquer, attifés comme pas possible, pour me
veiller, Mais, d'aprés lui, vous alliez me faire rire avec votre
humour de... bonne qualité..
PREMIER
Ces accouchées, vraiment ! Aucune suite dans les propos.
DEUXIEME
‘Aucune. Puisque ce sont elles qui assurent Ia suite ! (Rvcane)
wzManis’ SORESCU
PREMIER
Bon, Od estil?
TRINA
‘A c&té. Vous ne voulez vraiment pas me dire vos noms ?
‘Vous... celui du milieu, ne seriez-vous pas Georges le Mollasson ?
DEUXIEME
‘TROISIEME
Ge penchant au-dessus du cercueil) Charmant, ce petit
prince charmant 1
‘PREMIER
Et costaud !
DEUXIEME
Tl pase au moins deux kilos ! (rit)
‘TROISIEME
‘Trés bien langé. Intéressant !
PREMIER
Bt sage ! On croirait pas que est hui qui hurlait comme dans
ta gueule d'un serpent,
DEUXIEME
(mélopée d’un chant d’envotttement) De la gueule dun ser-
pent sot, qu'il rampe donc toute sa vie... Non, qu’il mue done,
128
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
‘comme un serpent... non, qu'il sifle comme... non, quion lui
écrase la téte du talon, comme aux... non...
PREMIER et TROISIEME
(protestant) Eh-la, eh-la... pas si fort quand méme !
DEUXTEME
(reprenant).,. Non, comme serpent qu'il remue la queue,
non, comme serpent puisse+til etre intelligent... (colere) Bon,
je cafouille, janéte ! Cau Premier Epouvantatl) Vas-y, toi, dis
quelque chose de sensé,
PREMIER
Solides soient-elles, ses attaches / comme Ia soie du mais
que rien ne détache... Que de son corps il soit bien ficelé / Vif
son esprit, et délié... Que toutes ses attaches soient de
Que femmes l'entourent toujours de leurs bras... A son
‘cou / attache-cou, surtout... Bt comme par serment il est lié, que
ses attaches les plus fortes, en haut il les ait !
DEUXIEME et TROISIEME
(@n riant) Autour du cou, bien serrées...
PREMIER
~~ Par-dessus sa téte, la téte d'une croix... avec un brin de
basilic, comme il se doit
DEUXIEME
‘Tu oublies lattache a la terre...
‘TROISIEME
Ca, Cest 10).‘Mann SORESCU
IRINA
(confuse) Non mais, sttendez, de quot parlez-vous, 13 ?
(Silence) ls confondent naissance et mort, ces tordus... A
moins quills jouent les imbéciles, et, au licu de déballer leurs
grossigretés, comme cela se fait aux veillées, ils se prennent
pour les fécs du destin. (Elle nt, non sans fssonner de peur)
Sauf que les fées du destin tiendraient des propos un peu
plus... élevés. Encore que. Quel que
‘qu'on parle du destin humain, ¢’
Sustout, rapportée a la beauté de la vie... vue de intérieur,
telle que je l'ai vue, Finstant avant de naitre, la réalité est fade,
pale, comme le mort, ¢’A cOté, Dieu me pardonae ! comme le
cierge qu’il tient dans sa main... Moi, dans le ventre de ma mere
favais une toute autre impression de la vie... Bt voila qu’a peine
née, faccouche... tout en assistant 4 une veillée montuaire...
‘TROISIEME,
Sorti de Pherbe fraiche et de la terre... (Mi sauitlle autour du
cercuetl)... De "herbe fraiche sont, et de la terre / qui donc est
si petit qu'on ne voit guére ?
PREMIER et DEUXIEME
Ha, ha, ha
“TROISTEME,
‘Jai vu un soleil aux rayons terreux / dans son ombre 'y avait
rPére Matthieu / Tl se te tenait coi, les os pleins de
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
PREMIER
‘Tu veux dire qu'il s'appeliera Dedé ?
"TROISIEME
Je veux dire que ¢a, mul ne le sait
PREMIER
Cen rian) Cesse donc alors de marmonner. Tu ne sais méme
pas ce que tu dis ?
‘TROISIEME,
Bien sir que non, abrut... Je suis le Destin, je prédis... es
mots. A lui d’en faire son lot / de leur rendre cohérence et
sens... Voila son sort !
DEUXIEME
Cen riant).. Quit leur donne un sens qui aille aussi bien
dans un sens que dans l'autre sens.
‘TROISIEME
Non, toujours dans le méme sens : les pieds devant...
TRINA
bien, mais le cocur me manque.
i aux fées, envoiitements et
que de coutumes
i nous viennent de nos ancétres, je
veux dite... (Le bébé pleure) Mon petit! qu'y a-tail, bébé ?
quon ferait mieux de...Maw SORESCU.
PREMIER
Chut ! On a réveillé le mort 2 c6té, vous voyer ? Tl va se
ficher. Toute notre attention va aux vivants, et, pendant ce
temps, lui n’a personne pour le veiller.
DEUXIEME
Susceptibles, ces morts récents, que veux-tu ?
‘TROISIEME
Ceest ainsi, au début. Mais par la suite la couenne durcit... Hi
bihit
PREMIER
(approchant du cercuell) Grands, petit
des ailes, pour traverser les mers / Mille ramilles d'érable puis-
sent-elles te chatouiller ! (rit)
DEUXIEME et TROISIEME
(au Premier) Allez, il suffit.. laisse-le dormir, prendre des
forces.
‘TROISIEME
résent, On a aussi une veillée sur les
Passe au trépassé,
bras,
PREMIER
Qu’on ne compte pas sur moi !Je suis ceci, ou bien cela, pas
Tes deux a la fois.
DEUXIEME
le priant) juste cette fois, allex ! Aprés, on en seras débar-
rassé. (Cris du nouveau-né) Tu entends ¢a ?
132
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEI.
‘TROISIEME
Minute, Graine-de-Chrysanthéme, on est a toi !
‘DEUXIEME
Voici, voici, nous apportons tisonnier et tamis. Hissant
‘comme étendard le tamis, nous te ferons cortége jusqu’aus para~
dis. (ils sonent de leurs bardes un tisonnier et un tamis et
Sapprochent tous les trois du nowveau-né)
PREMIER
Gautillant autour de Irina et de son enfant) Cette vie...
DEUXIEME
(idem)... apres ta vie...
‘TROISIEME
(dem)... qui commence un jeudi..
DEUXIEME
(Giouffe de rire)... finit Vapres-mmidi...
Lis exécutent diverses figures avec le tisonnter et le tamis. Le
tlsonnier, au bout duquel tls font ptooter le tamis, préfigure, tel
qu'll est place au-dessus du nouveau-né, un phallus géant.
‘TROISIEME
Si la perche était plus longue, il sautait par-dessus tombe.
(Gest plié de rire)
DEUXIEME
Dans la tombe il '2 plantée, et hap | elle Ia attrapé... (se.
| tHent le venire de rire)
133,“Magn SORESCU
IRINA
Cimierdite, ne sachant quot dire) On dirait pas des hommes
de chez nous, ceux-la... (Fort, comme lorsqu’on se donne du
fort encore) Hé, vous li-bas ! Vous n'avez. pas hon
‘ce que cest que cette mascarade ? (Les Epouvansails continuent
Jeur fet) Dehors !
PREMIER
Chut ! ly a des fauves ici, vous savez ? marchons sur la
pointe des pieds.
IRINA
‘Vous offenser les enfants, sortez !
DEUXIEME
Une lionne ! Comme on le disait,
IRINA
Jirai me plaindre a la Mairie.. Si mon mari était li, vous ne
Pauriez pas mené large, croyez-moi! (L'indignation d'trina ne
fait qu'amuser davantage les Epouvantatls)
PREMIER
Quelqu‘un ici mourra de rire, si ga continue... (Se fenant le
venire) Ob, non, vraiment, je n’en peux plus !
DEUXIEME
Aujourd’ hui, tout a marché comme prévu.
LA SOI DE LA MONTAGNE DE SEL.
‘TROISIEME
Btavec le déluge qui commence, ce n’est que le début.
IRINA
(Cattrape une pantoufle qu'elle jeite sur Tun des Epouvantatls.
Lobjet passe a travers le personage... du motns, telle est U'im-
pression de la Jeune femme) Seigneur | Cest comme si favais
Frappé Yair. pourtant, je lai bien touché... (Eile crie) Fichez-
moi le camps ! (Les Epouvantats, se ruent debors, effrayés)
Tignore les coutumes, cest peut-tre mal de les avoir mis &
la porte... Coutume ou pas, ga commencait a bien faire, leur
cirque, méme si je ne crois pas a ces stupidités, je n’en com-
‘mengais pas moins 4 avoir peur. I! n’est pas bon de jouer avec
cces choses ; au début, on trouve ¢8 drdle, puis, soudain, on est
figé d'effroi... Les fous, 2 ce qu'll parait, sont des gens normaux
qui ont si bien réussi a faire croire quills sont fous, qu'ils ont
: i, mes nerfs sont a vif ! Une
premigre naissance dans a famille, un premier décés... avec ¢a,
je ne connais pas les coutumes... (Songeuse) Tout de méme,
comment mon pare ail pu croire que jiallais rire ? ces gens
manquaient complétement dthumour... (Les Apouvantals
reviennent)
PREMIER
Nous ne partirons pas tant que la maman du mort n'aura pas
fi
DEUXIEME
Ft la maman du mort, c'est qui?
138‘Manin’ SORESCU
TRINA
La maman du mort ! Mais elle n’a plus... ce quill faut pour
rire, cette pauyre maman ?
‘TRON
ME
(Qu cela ne tiene, nous fui remettrons toutes ses dents.
IRINA
Si elle nfavait perdu que ses dents... !
PREMIER
Actelle perdu ses molaires aussi ?
IRINA
Grid Si elle n’avait perdu que ses molaires, dis... !
DEUXIEME
(mtmant la peur) durait-elle perdu, la pauvreite, ses che-
veux?
IRINA
Camusée) Je veux !
PREMIER et TROISIEME
Gautitlant) Elle a si, elle a si!
DEUXTEME
Cest toi, la maman du mort.
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
IRINA,
Pardon : je suis sa fille
PREMIER,
Pardon, tu es sa mére.
‘TROISIEME
Cest A ton rire que nous avons reconnue,
TRINA
Bon, maintenant, il suffit ! vous me prenez la téte. Merci
pour la veillée, ca va alles, je crois que je peux me débrouiller
‘toute seule. Mon mari ne va plus tarder, des amis vont venit
aussi... pleut toujours ?
PREMIER
(aux deux autres) Venez, on s'en va, les amis.
/DEUXIEME
« Restez, on s’en va» as-tu dit?
PREMIER
Allez, on se tire, j'ai dit
TRINA
‘Cest ¢a, allez donc vous faire voir ! Déguerpissez, bande
de... bavards ! Je dis pas que vous n’étes pas beaux, mais i me
tarde de vous voir de dos ! (Bile rit) Expressive, notre langue,
hein? Bonne route, et (énergiquement) que ga saute. Somtez |
137Mazi SORESCU
PREMIER
Bon, d'accord, on s'en va! Pas la peine de guculer comme ¢a.
TRINA
Ah, ca ne vous a donc pas suffi ? Alors, je continue, voici
Puisse le diable vous emporter, vc duire en fourmiliére,
vous mettre tous plus bas que terre |
DEUXIEME
(ex) Parle pas de matheur, mégere | Non, mais! est-ce que
je réve ou quoi ? — La langue de Taccouchée se délia |
‘TROISIEME,
(au Deuxtéme) Allez, ne te fache pas comme ¢a. (désignant
pas ? Corps de renard et téte d'oie ! (ils
PREMIER
Quoi quill en soit, nous avons fait notre devois, méme au-
del2. Nous avons bien prophétisé,
jeté des sons. Pisse de jument répa .
a plus d'eau. A présent nos selles enfourchons, et de ce pas
nous en allons ! (ls enfourcbent les gourdins et sortent en clau-
diquant)
TRINA
Grestée seule, est un peu décontenancée ; elle va vers le nour-
risson, ud rafuste les langes, le prend dans les bras ; va votr Ie
défunt, bus rajuste le Hnceul, etc. Stapprochant de la jenéire, elle
colle sa foue contre la vitre) Je me suis emportée d'une facon.
complétement idiote... Mais Cest un peu de leur Faute aussi, ils
138
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEI.
vous cherchent, ces gens, ils vous poussent 4 perdre votre
calme, 2 dire des bétises, 2 les injurier...
Dehors, i fait noir comme dans un four... Regardant autour
delle) Ici on est... bien. Un petit coin tranquille, on a pas a se
ute) wn susurrement... (Dans un coin de la
‘piece, sous le plancher, une source) Tiens ! Une source... une
soutce susurrante dans ma maison. Miracle ! Bon signe ? Bon
signe, oui ! de tous les temps la source symbolise la richesse,
la... come d'abondance... Comme la femme, d'ailleurs. Cest
Je tableau stintitule « La Source ». Je deviens aussi une corne
dabondance... sauf que je ne peux pas prendre la source dans
débouchais, elles se mettaient 4 susurrer...
in surgit, un peu plus violemment, une autre
on dirait que tous ces ruisseaux d'autrefois
me remercier.. 8 domicile... Qu’est-ce
(le court votr ka chambre die défunt)
Ie iit. , Gongause Ah,
(assez paniquée) mais, ca voudrait dice qu'elle
cave, et que... On vit sur une nape phréatique, ou quoi ?
(Diautres sources surgissent, et debors, le mugissement des eaux
tourbillonnantes se fait entendre de plus en plus fort)
1a tellement plu que la terre ne peut plus absorber une
seule goutte, et si maintenant les sources enfouies s'y mettent
139Mazin SORESCU
aussi... Quelle bonne idée,
centendre.(Elle commence a remplir marmiues, casseroles,
‘bidons, etc.)
Cela dit, il faudrait pas que tout se mette 2 arriver en méme
, sinon, je... je tiendrai te coup ! J'ai des obligations, moi,
autant envers... (geste ners le berceau, ensuite vers le cercueil) ka
société, quenvers moi-méme... je suis mere... (Lleau qui a
envabi une partie de la ptéce lus arrive a peu pres a la cbeville)
Inutile de se faire du souci pour moi, je vais me débrouiller,
isputant les sources) Vous, vous allez me fiche Te camp |
Allez, ouste ! Non, mais!
rideau
ACTE I
tableau IV
Trots jours plus tard. Lieau a tout envabi, de nombreuses
‘masons ont été emporiées par les floss. Celle de la maitresse
décole sient encore, mats la toiture a é46 balayée par la tempore.
(On voit en transparence dans les piéces comme dans un aqua-
rium, Tout ce qut peut flotier— boites, bouteilles, seau— flotte ;
ict, comme partous, le niveau des eaux a monté, elles s‘élevent
a bauteur des maielas, et la tendance est @ la bausse. On
observe de pettts tourbillons, ici ou Ja, Irina est sur som Its, Ie bbe
langé a ses cOtés, attentive a évtter que la moindre gouite nie le
mouille, i ne manquerait plus que ca ! Sur le lt de la chambre
votsine — le cercuetl. Une pause prolongée, apres la love du
rideau, afin que Ton puisse apprécter Tétendue du dssastre.
Irina éternue @ plustewrs reprises, dans cet tntervalle. A chaque
fols, elle dit: « @ tes soubaits !»
IRINA,
La situation n'est pas désespérée. Elle est méme loin d’étre
aussi désespérée qu’on le croit... que les apparences laisseraient
a croire... certaines apparences.. (Au nowrrisson) Il ne faut pas
cerler, mon petit chéri... il ne faut pas céder a la panique. De
le bébé crie) Pourquoi pleurer ?... Pourquoi
, et pas moi ? Tu anrives, la bouche en coeur,
a ton travail, a ta sueur, qu’astu 2 regretter 2... Nous, nous‘Manin SORESCU
avons trimé pour cette maison, qui... n’est pis... enfin, qui est,
mais... (geste vers le haut) regarde, on voit le ciel et pas par la
fendtre...
Cela dit, mon devoir de mére est de te présenter tous nos
menus objets domestiques — les tiens aussi, désormais — qui
flottent, regarde comme ils flottent, tu vois ? Elle plonge la
‘main dans Vea, en retire une pantoufle, un objet quelcongue,
qu'elle présente fiérement a Ver
natale... Tu Yen souviendras t
maison od tu as vu fe jour... U
puisqu’elle a résisté aux secous
bouge, je assure ! — tu n’as pas
il est dur de faire un enfant, je veux dire, le
le mettre au monde... Heureusement, nous, nous avons notre
petit coin of fon est en sécurité, 1 fait bon dans ton petit be
ceau, chaud. Et dans celui de papi aussi. Lui, qui dort, 1, tu
vois, (montre le cercuetl) c'est papi, C'est ainsi qu'on dit. Elle
est petite sa maison, hein ? ta grande,
est fait une petite petite pour hui
réve, tu sais, se retirer 3 la campagn
cchantent les petits oiseaux... Papi
parler de millénaires, tu n'as que trois jours, pauvre chou !
(Celle rt) Ainsi donc, ce qu'on voit ici, est notre bien. Ne me
demande pas od est passé notre bétail. Je sais, en véritable fils
de paysan... né 3 la campagne, je veux dite, a premire ques-
.. (triste) On en a plus... on en
mais il est parti... Veau.. Allez, on ne va pas tourner autour
du pot — pas de bétail ! De la volaille — pas davantage, les
premigres a patir du déluge, ce furent les poules, ensuite, tes
42
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
dindons... ies et canards nagent toujours, mais jusqu’s quand
? Leeau nous a tout pris, cochon, chien, tout. Mais ne ten fais.
pas, maman ten achétera d'autres... en plastique... comme ca
tu sauras a quoi ca resemble... le plastique reproduit trés bien,
tu sais, je dirais méme, 3 la perfection,
Comme je disais, notre situation n’est pas désespérée. Mais
celle des voisins n'est pas meilleure (prétant Foreille) jusqu’a il
y a un moment on entendait leurs plaintes, cris et appels au
A présent (elle écoure attentivement)... sien... Te
se sont calmés, en tout cas... soit d'avoir
en avoir pas regu... Une chose est sire Pinon
isée... ii, chez nous... Parce que, cette eau,
je vais te dire ce que cest, eh bien... cest de
. et quand je dis pluie... cest de Teau de
cette chance, de vivre le déluge... Et toi au:
venu au monde pour le voir... Suivront maintenant, dans l'ordre
, et fout le
Je plaisante, maman est une blagueuse, fais pas
attention... Tout ira bien, mon petit chéri... de mieux en mieux.
‘On se refera une situation, on vivra comme poisson dans...
Tiens, un petit poisson ! (L'enfant crte) Ne crie pas, mon chéri,
Jes voisins pourraient tentendre... déji que la terre se dérobe
sous leurs pieds et que nous ne pouvons rien pour les aider,
pourquoi, en plus leur faire de la peine ?... Nous, on doit dire
merci tre vivants, Vivants ? Et comment ! Regarde un peu
autour de nous comme elle foisonne, la vie | Ah oui, nous
vivons bien, mon petit ! Tant bien que mal, nous vivons bien...
wideauTABLEAU V
Lors d'un moment d'accalmie, on entend crier debors.
LA VOIX
Ty a quelqu'un ? Hé, la-bas | Y a-til des survivants dans
cette maison ? (criant plus fort) HE-€-€
IRINA
On dirait bien quelqu'un... 2 moins que je commence 2
entendre des voix...
vorx
IRINA
Un homme... (elle crie) H
(On dirait bien quelqu'un... (if erie) Crest moi.
IRINA
Qui ¢a, moi?
Tite, on n¥appelle Tite
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
IRINA
‘Tite comment ?
IRINA
Parle plus fort... Mon enfant pleute, je ttentends mal...
vorx
IRINA
Ah, tu tombes bien, Lachute ! (ile rit) Tu es bien te fils
Alexandre Lachute ? Ne reste pas li, viens te mettre a Vabri,
dehors cest le désastre,
vorx
Je peux pas, je suis dans un arbre,
IRINA
Quiestce que tu fais dans cet arbre?
vorx
Rica, je my tens, je.
IRINA,
Ala maison tu seras mieux...vorx
Avec ma fiancée... je suis fiancé... Nos parents ne voulaient
pas, mais nous avons saisi Foccasion et... nous avons grimpé
ensemble dans ce fréne.
IRINA
Bravo... Cest qui, ta fiancée ?
vors
La fille 3 Ton Besace, la Sylvette... (grave, ému) Si quelque
chose arrivait, dites bien que nous étions fiancés, qu’ils
sachent... Et vous ? n’étes-vous pas la jeune institutrice ?
TRINA
vorx.
Ainsi, cétait bien votre maison, j'en étais presque sti. Cest
Ia seule qui s
fréne... De votre toit, ¢2 do
mer... Avez-vous deja été a la mer ?
IRINA
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL
vor
Moi non plus... (Un stlence)
IRINA
Ga fait longtemps que vous étes dans cet arbre ?
VOIX
Ca doit faire... voyons, un, deux... c'est le troisiéme jour.
TRINA
(Gpouvaniée) Quoi? si longtemps? favais Timpression que...
vor.
Parce que vous étiez a Vabri, alors que nous, ici. Je vous le
dis, cétait la fin du monde... Ce qu’on a vu passer... des mai-
sons avee tout ce qu'il y a dedans, vous ne pouve7 pas vous
imaginer..
IRINA
Mais les hommes... ils en ont réchappé, les hommes ?
vor
Quelques-uns.... peut-étre... Mais, au début, quand Ia digue
a cédé, tous ceux qui se trouvaient l2.. Que d'efforss.. que de
biens engloutis... On avait bien constitué des équipes, mais on
‘a pas pu mettre les barques a Tau... Ils sont sur la colline, ils
‘ont tout vu... les barques... on aurait dit des coquilles de noix.
IRINA
(affolée) Mon Dieu | il ne leur est rien arrivé au moins ?
47‘Mazww SORESCU
vorx
Quill lear arrive quot ?
TRINA
Je ne sais pas... du matheur ? Parce que moi, en attends un,
justement, un de ces hommes sonis avec les barques.... Mon
‘mati..
vor.
Al n'est pas encore de retour, votre... ?
IRINA
vor.
Ga ne miétonne pas, ila sauvé beaucoup de vies... des
enfants, surtout... plus d'une quinzaine... Quan
TRINA
Gy tenant plus) It est vivant, out ou non ? Dis-le !
vor.
148
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEI.
TRINA
Je ne peux pas bouger dici.
vorx.
Restez tranquille, alors... l va venir, il doit venir, Je Fattends,
‘moi aussi... comme cest un ancien marin... I n'y a qu'eux, les
‘marins, qui... eux et Farmée... Une chance, pas vrai ?... Un héli-
coptére est passé tantdt, il a toumé, tourné.... Ne croyez surtout
pas que le monde nous a abandonné... quil y en a qui se sont
mis 4 abr, en oubliant les autres..
TRINA,
Moi, ils ne pouvaient pas me voir de [hélicoptére, mais toi,
pourquoi ne tont-ils pas sauvé ?
vorx
Ils en ont sauvé d'autres... Nous, quand ils sont venus nous
prendre... il s'est trouvé justement que nous soyons prés d'un
poteati 4 haute tension... Cest a fui qu’on s’était accroché, au
début, avec Sylvette, mais on glissait, on glissait, on a fini par
tomber... Heureusement ce fréne, nous ¥ avons grimpé de jus-
tesse... pourvu quill tienne encore... L’hélicoptére ne peut pas
descendre jusqu’’d nous, 2 cause des fils électriques...
TRINA
¥ @tes-vous 4 l'aise, au moins ?
vorx
Ben, comme sur la branche... Mais le poteau cétait pire,
était 'horreur...on glissait, chlouppp ! puis quand eau nous
Jéchait les pieds... viaaam ! on remontait je vous dis pas... avec
149
6Mazin SORESCU
tous ces cadavres qui passent... Regarder voir si Ie courant
‘marche encore ?
TRINA
Je crois que non, la radio s'est arrétée.... Mais, pourquoi ? Et
Pourquoi Cest toujours toi qui parle ? (Changeant de on) Alors,
la fille, tu ne dis rien ? quel bavard, ton fiancé... (amtcale) Tu
la laisses en placer une, dis, Lachute ? (Orguei! maternel) Sai
un drole de petit bonhomme ici dans le berceau, tu n'as pas
envie de le ciliner un peu ? it serait content, pauvre chou, de
Voir enfin un @e humain, aprés toutes ces fees masquées et
Ces individus qui jouent aux revenants. Oui, je sais, je dis n’im-
porte qu viendrais bien, si... (Soupir) Mais, dis-moi,
qu'est-ce qui 'a décidée de te lier pour la vie 2 un homme, lors,
dune conjecture aussi. hasardeuse ? (Silence) D'un autre cété,
vous avez bien raison, sil fallait toujours attendre le moment
idéal, on ne ferait plus rien dans la vie. Mo-méme, jai trouvé
Aaccoucher juste au moment od la digue prenait le large... (elle
rit; puis, effrayée) et que mon pete rendait Vme... La vie, la
mort, on ne les dissociera jamais...
vorx
(Gtmidement) &t ce drole de petit bonhomme, il. il vit ?
il ate, Hl Fat pipi...¢a, il
ne se gene pas ! Le fait que la moindre goutte de... de quoi que
ce soit, pourrait faire déborder le verre... je veux dire, empor-
ter Ja maison, et nous avec.
enfant pleure. irina sen occupe quelques instants. La Votx
commence a fredonner un atr,
LA SOIF DE LA MONTAGNE DE SEL.
IRINA
(aru bout dun moment) Ga va, ta chantes?
vor.
‘Oh, j'ai pas tellement de voit...
IRINA,
(pour dire quelque chose) Pourquoi ?.. une voix humaine.
‘ca fait toujours plaisir... Moi, tu vois, maintenant qu’on est 1a,
ensemble, je n’ai plus peur de la mort... Dis, je pensais @ une
chose.
VOIX
A quoi?
IRINA,
‘Mais, si C'est une bétise, i] ne faut pas men vouloir.
Diailleurs, vous avez dea quelqu’un peut-ttre.
vor
Je comprends pas, que nous ayons qui?
TRINA
Des témoins, je veux dire.Vous en avez, peut-étre déja,
Sinon, moi, cela me ferait plaisir d'@tre votre... avec mon mati,
quand il reviendra.... une fois que Veau aura regagné
151
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ip
Pee