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Addddiction
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Congrès Congrès
Poitiers, 26-28 juin 2014 On a souligné l’intérêt d’utiliser des échelles
d’évaluation de l’insight, en particulier la Levels
L’insight dans les addictions of emotional awareness scale, pour évaluer
l’insight de ses propres expériences émotion-
A. Dervaux* nelles et celles des autres. Exemple d’item : “Que
ressentez-vous et qu’est-ce que votre patron va
Un congrès sur l’insight (ou introvision) en psychiatrie et en addictologie s’est tenu ressentir si celui-ci vous dit que votre travail est
en juin dernier à Poitiers, à l’initiative du Pr Nemat Jaafari, qui travaille sur ce sujet insuffisant et qu’il doit être amélioré ?” Les scores
à cette échelle sont abaissés chez les patients, ce
depuis de nombreuses années. Il a réuni plusieurs spécialistes internationaux qui qui indique un déficit d’insight dans les situa-
ont exposé les dernières recherches scientifiques dans ce domaine1. tions de relations interpersonnelles complexes.
dans l’addiction
Pourquoi l’étudier un sous-groupe de patients présentant des à la méthamphétamine
addictions, on a récemment caractérisé des
chez ces patients troubles de l’insight par leur tendance à avoir Le Pr Edythe D. London (université de Cali-
des réponses automatiques à l’évocation de fornie, Los Angeles, États-Unis) a expliqué que,
D’après le Pr Rita Goldstein (Icahn School mots liés à la consommation et des difficultés à Los Angeles et dans sa région, la dépendance à
of Medicine at Mount Sinai, New York, États- à percevoir les déterminants de leurs compor- la méthamphétamine est un problème de santé
Unis) parce que les troubles de l’insight peuvent tements addictifs. publique, notamment parce que 90 % des actes
influencer notablement les relations interper- Les corrélats neurobiologiques des troubles de de violence sont liés à sa consommation. En
sonnelles des patients, leur évolution et la l’insight dans les addictions sont marqués par un outre, cette substance est bon marché et ses
réponse aux traitements. L’absence d’insight est hypofonctionnement des aires cingulaires anté- effets sont relativement longs, puisqu’ils durent
particulièrement bien illustrée par une étude rieures et des anomalies au niveau des cortex environ 6 heures. D’où l’intérêt d’en évaluer les
réalisée par le Substance Abuse and Mental frontaux médioventraux (3, 4). L’insula joue un soubassements neurobiologiques. Une étude
Health Services Administration (SAMHSA) rôle dans le craving chez ces patients. Cepen- d’IRM fonctionnelle a exploré les régions céré-
[cf. http://www.samhsa.gov/]. Dans cette étude dant, s’agissant d’études cas-témoins, il n’est pas brales associées à l’insight émotionnel chez des
réalisée en population générale, 94,6 % des sujets possible actuellement de savoir si ces lésions en consommateurs de méthamphétamine, lors de
présentant des addictions ont déclaré qu’ils sont les causes ou les conséquences. Au cours tâches cognitives et au repos. Elle a retrouvé
ne ressentaient pas la nécessité de recourir à d’études de fluence verbale, où la tâche cogni- une diminution de la densité de substance grise
des soins spécialisés. Seuls 1,7 % des sujets ont tive consiste à dire le plus rapidement possible au niveau du précuneus chez les consomma-
rapporté en ressentir la nécessité et avoir fait des mots liés aux addictions pendant 1 minute teurs par rapport aux sujets témoins. Ceux
des démarches dans ce sens, 3,7 % ont déclaré (lieux, personnes, état d’esprit, consommation, qui étaient au stade de précontemplation (de
avoir besoin de soins spécialisés, mais n’ont pas sevrage, etc.), on a retrouvé des liens entre déni), premier stade de motivation décrit dans
effectué de démarches en ce sens. troubles de l’insight et activité dopaminergique. le modèle transthéorique par J.O. Prochaska
Les troubles de l’insight dans les addictions ne En pratique, l’intérêt de ces données est et C.C. Diclemente, évalués à l’aide de l’Uni-
se résument pas à un déni des troubles, des d’avoir montré qu’améliorer les connaissances versity Rhodes Island Change Assessment Scale
mensonges ou des tentatives de manipulation des patients sur les risques pour la santé des (URICA) à 32 items, présentaient une connec-
des autres, comme le pense souvent l’entou- conduites addictives et la reconnaissance des tivité réduite au niveau du cortex orbitofrontal
rage des patients. Ils sont plutôt caractérisés situations de stress, de craving et de risque et du cortex préfrontal ventral (5).
par l’absence de reconnaissance du problème, de rechutes contribue à la diminution de leur D’autres études d’imagerie fonctionnelle
une sous-estimation de la sévérité des atteintes, consommation. L’utilisation de baclofène, de la évaluant l’insight émotionnel, ou l’alexithymie
une mauvaise perception du degré d’autocon- stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) dont la fréquence est élevée chez les patients
trôle (“je peux m’arrêter quand je veux”) et la ou du biofeedback, qui améliorent l’insight, peut avec addictions, évalués à l’aide de la Toronto
discordance entre les propos des sujets et les également favoriser une meilleure évolution des Alexithymia Scale (TAS-20) à 20 items, ont
informations rapportées par les proches (2, 3). patients. retrouvé, chez les sujets dépendants à la
Une approche plus pertinente des troubles de Selon le Pr Scott Moeller (Icahn School of Medi- méthamphétamine, des déficits dans l’aire
l’insight dans les addictions serait comparable à cine at Mount Sinai, New York, États-Unis), tous cingulaire antérieure et dans l’insula anté-
celle de la négligence survenant après des lésions les patients présentant des addictions n’ont pas de rieure, associés à l’alexithymie, en particulier
neurologiques du cortex pariétal, de l’anoso- trouble de l’insight. Toutefois, pour ceux qui en une diminution de la disponibilité des récepteurs
gnosie rencontrée dans d’autres troubles neuro- présentent, on a mis en évidence des corrélats dopaminergiques D2 dans ces régions (6).
logiques ou les troubles de l’insight rencontrés neurobiologiques. Une étude d’imagerie par
dans la schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer. IRM fonctionnelle, évaluant des sujets dépen-
L’évaluation de l’insight peut se faire par celle, dants à la cocaïne effectuant une tâche cognitive à et celle à la cocaïne
directe, des comportements, celle des perfor- l’aide du test de Stroop, a retrouvé une diminution
mances à des tâches cognitives et des tests de de substance grise et de l’activité de l’aire cingu- Le Pr Anna Rose Childress (université de Phila-
processing implicites ou automatiques. Dans laire antérieure chez les sujets à faible insight par delphie, États-Unis) a rappelé que certains stimuli
rapport aux témoins (4). Les résultats d’autres liés à la consommation de substances, qui favo-
* Rédacteur en chef adjoint ; service d’addictologie du études portant sur d’autres addictions sont simi- risent les rechutes, peuvent ne pas parvenir à la
Dr X Laqueille, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris. laires. D’après S. Moeller, l’aire cingulaire anté- conscience. Les patients évoquent à cet égard
1 L’intégralité des vidéos des communications du congrès est rieure, mais pas l’insula, est impliquée, car elle des pensées de type “je ne sais pas ce qui s’est
visible en libre accès sur le site de l’université de Poitiers (1). joue un rôle dans la réponse cérébrale aux erreurs. passé”, qui surviennent juste avant la rechute.
Dans l’étude d’imagerie cérébrale par IRM fonc- cognitifs (réponse de deuxième ordre). C’est, Un des intérêts de ces études était l’évaluation de
tionnelle, qu’elle a conduite (7), elle a délivré à par exemple, l’impression de connaître le mot leur vécu par les jeunes eux-mêmes. À la ques-
des patients dépendants à la cocaïne un stimulus mémorisé (“l’avoir sur le bout de la langue”). tion “Qu’est-ce que j’ai préféré dans les interven-
très bref, de 33 millisecondes, ne parvenant pas Dans le jeu pathologique, plusieurs études tions ?”, la réponse la plus fréquente était le fait
à la conscience. De ce fait, ils ne rapportaient ont retrouvé que les facultés métacognitives de discuter et de partager ses expériences avec
pas d’affects associés généralement aux stimuli étaient plus faibles que chez des sujets témoins. les autres. À “Quelle est la chose la plus impor-
de consommation, par exemple de sentiments Les joueurs pathologiques ont tendance à être tante que j’ai apprise ?”, les réponses les plus
de honte ou des regrets. Ces stimuli ont néan- trop confiants en la qualité de leurs réponses. fréquentes étaient “réfléchir”, notamment à gérer
moins activé les circuits mésolimbiques de la Ils ont notamment une illusion de contrôle les affects, “penser 2 fois avant d’agir”, “réfléchir
récompense : aire tegmentale ventrale, nucleus lorsqu’ils sont exposés à des séries aléatoires aux conséquences”, pour les autres notamment.
accumbens, amygdale, striatum ventral, pallidum (“ils pensent savoir, alors qu’ils ne savent pas”). Ce type de prévention ciblée semble donc
ventral et cortex orbitofrontal. Ces activations Leurs capacités d’apprentissage aux tâches de efficace et permet de retarder et de diminuer
étaient prédictives de la consommation ultérieure l’Iowa Gambling task ont tendance à être plus l’intensité des conduites de binge drinking, dont
de cocaïne (7). Il semblerait d’ailleurs que le faibles que chez les sujets témoins. Ces données les conséquences sur le développement céré-
baclofène ait un intérêt pour limiter l’activation renouvellent l’intérêt des thérapies de remédia- bral sont très délétères à l’adolescence. Il existe
limbique induite par de tels stimuli inconscients, tion cognitive chez ces patients. des exemples d’interventions sur le site : http://
associés à la consommation de cocaïne (8). co-venture.ca