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Delphine Gardey

Politique
du clitoris

PETITE ENCYCLOPÉDIE CRITIQUE


COLLECTION « PETITE ENCYCLOPÉDIE CRITIQUE »
Comité éditorial :
Manuel Cervera-Marzal, Sébastien Chauvin, Milena Jaksic, Lilian Mathieu, Sylvain Pattieu
Directeur d’ouvrage : Sébastien Chauvin

Historienne et sociologue, Delphine Gardey est professeure à l’Université de Genève à l’Institut des Études
Genre. Elle a récemment publié Les Sciences du désir. La sexualité féminine de la psychanalyse aux neurosciences (avec
Marilène Vuille) (Le bord de l’eau, 2018), Politiques de coalition. Penser et se mobiliser avec Judith Butler (avec
Cynthia Kraus) (Seismo, 2016) et Le Linge du Palais-Bourbon. Corps, matérialité et genre du politique à l’ère
démocratique (Le bord de l’eau, 2015).
Graphisme de la couverture : Agnès Dahan
© éditions Textuel, 2019
4 impasse de Conti
75006 Paris
www.editionstextuel.com
Version numérique : 2019
ISBN : 9782845977969
Pour celles que j’ai vu grandir, parentés recomposées, amitiés électives, trublion·n·es des jours de classe et
d’été : Jeanne, Noémie, Nadja, Zoé, Lila,Loïse, Flora, Maia, Angela, Zélie, Mila.
Clitoris,
j’écris ton nom…

A u printemps 2018, Le Courrier, journal de la gauche genevoise titre :


« Un clitoris à la craie leur vaut une amende ». Le journaliste
s’indigne : deux étudiantes « féministes » ont été verbalisées « après
avoir dessiné à la craie un clitoris au Jardin anglais »1. Une photographie,
utilement annexée, permet de constater l’outrage. Au même moment en bord
de lac, là où aux beaux jours la cité calviniste fait valoir ses charmes, un « clito »
s’expose, provocateur. L’intervention est éphémère (un dessin à la craie
blanche), elle n’en est pas moins efficace. Clito et jet d’eau géants se jaugent.
D’un côté, le jet, installé dans la rade depuis 1891, portant à 140 mètres de
hauteur les eaux du lac, devenu depuis l’emblème de la ville et dont la nature
phallique soudainement nous apparaît ; de l’autre, un clitoris aux bulbes
« réalistes », une image sans référent dont il s’agit de manifester l’importance
aux yeux de toutes et de tous. « À part sa partie externe (et visible) », précise
l’une des activistes – et nous devons nous interrompre à la lecture,
reconnaissant avec une fierté vite refoulée qu’il s’agit d’une de nos anciennes
étudiantes – le clitoris complet « est méconnu autant des hommes que des
femmes ». Et d’ajouter : « il est ignoré des manuels scolaires et même des cours
d’éducation sexuelle »2. Ici se situe le véritable outrage : l’ignorance d’un organe
massif et de sa physiologie. La performance se veut pédagogique. Révéler aux
yeux de toutes et de tous cette « réalité » du clitoris vise à briser les tabous qui
entourent « la sexualité féminine », déjouer le mythe de « l’orgasme vaginal »,
tordre le coup à Freud et à sa conception de la sexualité de la « femme adulte »,
questionner les normes qui continuent de guider les conduites dans les
chambres à coucher… Exposé ainsi sur la place publique, le clitoris « entier »
devient un objet et un enjeu public et politique. Donner à voir, c’est proposer
de savoir. Et comme depuis Foucault, savoir c’est pouvoir, les liens que savoir,
science et politique entretiennent ordinairement deviennent ainsi manifestes.
C’est bien d’ailleurs la nature publique de l’intervention, et plus précisément
les entraves à l’usage de l’espace public et à la liberté de circulation qu’elle
suscite, que la police municipale invoque pour justifier l’amende. Du contenu
du message, de ce drôle « d’objet-clitoris », il n’est bien entendu pas question.
La police évite de mentionner ce qui manifestement a posé problème. La
contravention de 100 francs suisses pour chacune est justifiée, précise la
commandante de la police municipale, par le fait que « ces contrevenantes,
outre le fait qu’elles dessinaient sur le domaine public (…) avaient oblitéré une
partie du cheminement public avec un vélo afin de protéger leur dessin ».
L’acte helvète n’est pas isolé. Il s’inscrit au contraire dans une longue chaîne
de performances contemporaines. Une jeune américaine, Laura Kingsley,
répertorie sur un site créé à cet effet les interventions qu’elle décompte, une
centaine dans différentes villes des États-Unis. Clitorosity, c’est le nom du projet,
se présente comme un effort « communautaire » pour « célébrer la structure
entière du clitoris »3. Le constat est simplement mais efficacement formulé :
« Des milliards de personnes sont dotées d’un clitoris, mais cette partie du
corps reste largement méconnue. Le clitoris est souvent considéré (…) comme
une petite structure externe du corps. Nous souhaitons changer cela ».
L’ensemble de l’organe clitoris « peut être cartographié et sa fonction peut être
expliquée comme pour n’importe quel autre organe. Que vous ayez ou non un
clitoris, il est temps de nous informer et d’informer les autres sur l’une des
parties les plus sensibles du corps humain ». La page d’accueil du site arbore –
clichés photographiques et vidéos à l’appui – moult clitoris urbains et trottoirs
clitoricisés. La motivation de l’activiste ? Changer les représentations pour
changer les expériences possibles de la sexualité. Dessiner pour informer,
troubler, provoquer la discussion.
Si on suit les préconisations de la théoricienne féministe et critique des
sciences Donna Haraway4, de tels gestes symboliques et matériels comptent
comme autant de propositions perturbantes, d’actions contaminatrices. Il s’agit
par la répétition de l’acte, sa diffusion matérielle et virtuelle, de transformer les
représentations autant que la réalité de ce qui est donné comme « nature ». Les
pionnières de la critique féministe des sciences ont montré comment le corps
apparaît toujours signifié dans des contextes particuliers et suivant des
perceptions et des interprétations traduites dans la langue et la culture d’une
époque5.
Qu’il soit possible de dessiner à la craie un clitoris dont la forme diffère des
représentations antérieures disponibles (tant profanes que savantes) témoigne
des transformations intervenues depuis quelques décennies dans la sphère
scientifique et médicale autant que dans la société. Il faut sans doute de
nouveaux rapports de genre et plus généralement de nouveaux rapports
sociaux pour que des scientifiques s’intéressent à décrire autrement les
caractéristiques physiologiques et fonctionnelles de ce mal-connu, le « clitoris ».
Cette connaissance nouvelle est à son tour appropriable et susceptible de
dessiner de nouvelles formes de l’expérience. Il faut encore et toujours de la
science et de la société pour que ce qu’il en est de la nature de ce qui est (ici un
organe) puisse être collectivement (et individuellement) signifié. Qu’en est-il
alors des capacités d’agir (l’agency comme on dit en anglais) de l’organe ainsi
redéfini ? Qu’est-ce que cela change de savoir (c’est-à-dire d’admettre
collectivement) que le « clito » serait plus qu’une « simple excroissance au-
dessus d’une fente », mais un organe volumineux, interne et externe, doté de
« corps spongieux » et de « bulbes » ? Quelles sont les potentialités nouvelles
qui s’offrent à ce nouveau « sujet-femme » doté d’un tel « clito », d’un clito dit
« entier » ? Quels effets, tant du point de vue privé que public, existentiel que
sexuel, individuel que collectif ? En quoi les connaissances actuelles pourraient-
elles être le moyen pour les femmes de se réapproprier leur corps, leur sexualité
et leur histoire ?
Que la question soit mise à l’ordre du jour en s’écrivant sur les trottoirs de
nos villes est matière à réjouissance. L’interpellation est un acte salutaire. Elle
est mise en acte du fait que nos corps sont politiques et suggère qu’ils
pourraient être « notre » politique. Interpeller sur ce qu’il en est de la nature
des choses c’est finalement questionner la politique des savoirs et prendre acte
du fait, comme dirait Bruno Latour, que « les sciences sont la continuation de
la politique par d’autres moyens ». L’adresse porte alors et aussi sur les savoirs
et les pratiques que nous souhaitons ou non collectivement favoriser.
Quels savoirs, pour quelles politiques du clitoris ?
Au moment où j’écris ces pages, l’actualité du clitoris semble ne jamais devoir
céder. Indéniablement, il est à la mode. Embrasser et décrire l’objet et les
multiples manières dont on en a parlé, l’affaire devient de plus en plus
complexe, risquée, tant il est désormais investi et brandi. Comme autrefois
« liberté », il s’agirait aujourd’hui, « clitoris », d’écrire ton nom ? Sur mes cahiers
d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres, Sur le sable sur la neige… Sur toutes les pages lues,
Sur toutes les pages blanches… Dessiner, écrire, quelle est la stratégie de ces
actrices et quelle peut être la nôtre ? S’agit-il seulement d’interpeller ou
d’intervenir ? De réparer l’oubli, de corriger les erreurs, de parler à la première
personne, dire « nous », ou bien faut-il, une fois encore, pour mieux
comprendre, écouter ce qu’ils en dirent, entendre les mondes qu’elles et ils ont
habités au fil du temps et des lieux, mesurer avec effroi ce qu’ils en firent,
déployer ce qu’il en est – pour imaginer ce qui pourrait être ?
Ce livre prend la forme d’une anatomie politique méthodique mais partielle
et donc partiale. Il s’organise autour des mots des autres (et plus rarement des
unes). Mots savants pour une part, normatifs ou coloniaux de l’autre. Mots
surprenants, édifiants parfois. Assertions fortes, sentences définitives,
interrogations plus rarement. Il s’agit de suivre des hommes de sciences et des
femmes de lettres, des hommes politiques et des activistes, des hommes et des
femmes d’ici et d’ailleurs qui, d’hier à aujourd’hui, ont écrit ou parlé du clitoris.
Dans ces textes et discours, le savoir paraît toujours premier, l’expérience
seconde, reléguée dans les plis de l’intimité, dite par des tiers plutôt
qu’exprimée par soi, contrôlée et jugée de l’extérieur plutôt que vécue. Suivre
et développer ces bribes d’écritures permet de passer d’une situation à une
autre, d’une époque à une autre, d’un espace culturel à un autre, faire varier ce
qu’on a pu connaître et expérimenter du clitoris comme « siège de la volupté »
chez les femmes, et prendre la mesure des implications personnelles, sociales et
politiques d’une telle connaissance ou, au contraire, d’une telle méconnaissance,
ou dénégation.
Loin d’une formule didactique ou d’un exposé magistral, j’ai choisi une
réflexion qui progresse du plus concret au plus abstrait, du plus technique et
médical au plus social et politique, permettant de mettre en œuvre ce qu’une
lecture féministe et sociale des sciences ouvre en termes d’espace critique.
D’une scène à l’autre, d’une histoire ancienne à une situation contemporaine, le
caractère historiquement situé et contingent des significations liées au corps, au
genre et à la sexualité s’affirme. Des ressemblances et dissemblances entre les
formes de conceptualisation et de représentation passées et présentes
s’esquissent et permettent de penser la répétition des motifs autant que les
transformations effectives, tant du point de vue des connaissances « objectives »
de l’anatomie féminine que de l’expérience « subjective » de la sexualité et du
plaisir. Les chemins par lesquels science et société se trouvent reliés s’avèrent
multiples, plus étroits et plus denses qu’on ne l’imagine généralement ; le
partage entre « faits » et « représentation » plus incertain. Plus
fondamentalement, les liens entre connaissance et capacité d’agir des femmes
peuvent être questionnés. Savoir sur les femmes ou à partir de leur expérience ?
Expériences objectivées ou venues de l’expérience du corps et appropriables ?
Et quelle différence entre l’actuel clitoris 3D à taille réelle, le clitoris infantile
de la théorie Freudienne ou les labia minora de la Renaissance ? Comment et
pourquoi mesurer, disséquer, coudre, circoncire, exciser, réparer ou
standardiser l’organe ? Quel clitoris pour quelle sexualité – mais aussi quelle
politique ?
Entre médecine, art et société, il s’agit de faire varier les facettes multiples
d’un « clitoris » dénié, méconnu, minimisé, « objectifié » ou, au contraire,
reconnu, redéfini, réinvesti, « agentifié ». S’ouvre alors la question des enjeux de
pouvoir à l’œuvre dans les luttes pour la connaissance et la reconnaissance. Que
nous apprend l’orientalisation du clitoris de la colonialité du désir ? Comment
« être femme » avec ou sans clitoris dans un monde globalisé ? Quelle place
pour celles et ceux qui « diffèrent » tant du point de vue morphologique que du
point de vue des sexualités ? Si la « reconquête » du clitoris a été thématisée
comme un instrument de décolonisation du corps et de la sexualité des femmes
hétérosexuelles qu’en est-il des appropriations lesbiennes, queer et postconiales
de l’organe ? Clitoris d’hier et d’aujourd’hui, clitoris savant et profane, clitoris
d’Occident et d’Orient, clitoris hétéro ou lesbien, il est ici question de la façon
dont les savoirs et les pratiques médicales façonnent et définissent l’expérience
intime des femmes, dont la connaissance peut devenir un enjeu de lutte
individuelle ou collective.
1
ClitOccident.
Clito d’ici.
« Ce pudendum est si petit et caché […] que je fus le premier à
le découvrir »
Gabriele Fallopio, 15616

Les mots et la chose… La connaissance savante a beaucoup composé au


cours du temps avec un organe embarrassant à plus d’un titre. Il semble que
l’Occident latin disposait de la description savante du clitoris. Il en est ainsi de
la description de Soranus, transmise par Moshion, où le clitoris est nommé
landica7. Les médiévistes considèrent que cette connaissance (grecque et arabe) a
été « perdue » par les autorités médicales européennes et imputent cette
disparition aux approximations et variations des traductions latines des sources
arabes. Le clitoris est alors soit identifié aux labia minora (lèvres), soit, suivant
Avicenne, conçu comme une croissance pathologique que ne posséderaient que
certaines femmes. Ce que nous nommons aujourd’hui « clitoris » n’est ni un
terme ni un objet stable dans le temps et l’espace. Les recherches
terminologiques récentes de Michèle Clément en témoignent, le clitoris est
d’abord dit « par toutes sortes de détours lexicaux » tout au long de l’Antiquité
et du Moyen Âge – mais « la réalité existe sans le mot technique pour la
désigner ». « Symétriquement », écrit-elle, « le mot “clitoris” apparaît en grec
tardif (Diogénien, Rufus d’Ephèse, Hésychius) sans toutefois qu’il désigne ce
que nous appelons aujourd’hui “clitoris”, mais plutôt comme ce que nous
désignons comme la “nymphe” »8.
Lost in translation, le clitoris ? Déniés la chose et le mot ? On peut imaginer
qu’il existe de bonnes raisons pour que le siège du plaisir féminin disparaisse de
la réalité et de la représentation savante de l’Occident chrétien. On doit
pourtant prendre au sérieux les historien·n·es qui insistent sur le fait que dans
un contexte où la science du corps est avant tout exégèse des textes anciens,
nommer un organe est essentiel à son mode d’existence. Au-delà des premières
dissections animales puis humaines qui se produisent à partir de la fin du
XIIIe siècle, l’anatomie demeure pour l’essentiel une « quête des mots »9. La
toponymie des organes sexuels et reproducteurs fournit un exemple privilégié
de l’amplitude des divergences qui peuvent se manifester d’un auteur à l’autre.
Si cette instabilité des données anatomiques peut paraître inconciliable avec un
système physiologique cohérent c’est aussi que la conception de la physiologie
d’alors diffère de la conception qui émerge à partir du XIXe siècle et qui nous
est familière. Dans la physiologie médiévale fondée sur les mécanismes des
humeurs et des forces transmises par les esprits (pneuma), les organes sont
considérés comme des lieux de passage, des réceptacles ou des véhicules – ils
n’ont pas, comme dans la physiologie moderne, de « fonction spécifique ».
Qu’en est-il du « mode d’existence » du clitoris quand la dissection s’impose
comme un mode de la connaissance des corps ? Soyons claires : les « faits
anatomiques » ne surgissent pas tout armés sous le scalpel du chirurgien, ils ne
surgissent pas avec plus d’évidence ou de facilité que d’autres faits « naturels » –
et le corps ne parle pas de lui-même. Dans la chirurgie de Mondino dei Luzzi
et de Guy de Chauliac, à la fin du Moyen Âge, le clitoris est décrit avec une
grande imprécision mais se voit doté d’une utilité, avec l’attribution d’un rôle
de protection des corps étrangers similaire à celui joué par la luette dans la
gorge. Il s’agit de la reprise d’une tradition disponible. Galien avait lui aussi
accordé un rôle de ce type à l’organe : « Les apophyses charnues, qui, dans les
deux sexes, se trouvent à l’extrémité du pudendum, chez la femme, servent
d’ornement, et sont disposées en avant des matrices comme un rempart contre
le froid […] » écrivait-il10. C’est Gabriele Fallope, élève du chirurgien Vésale et
professeur d’anatomie à l’université de Pise et Padoue qui, selon les corpus
savants, établit en premier un lien entre une « sensibilité particulière » du corps
féminin et l’organe, l’autorisant à dire : « Ce pudendum est si petit et caché […]
que je fus le premier à le découvrir ». Il désigne cette partie de l’anatomie
féminine par le mot « keitoris » (« clitoris ») qu’il reprend du grec à Rufus
d’Ephèse11. Le terme qui dérive du verbe « fermer » et signifie littéralement
« fermoir », sera également utilisé par Paré (1575) et Liebault (1585) pour
désigner l’organe. Une dispute de priorité intervient alors entre Fallope et
Mateo Realdo Colombo, un autre disciple de Vésale. Colombo n’utilise pas le
terme « clitoris » mais s’appuyant sur de nombreuses dissections (et
manifestement sur d’autres formes d’expérience) décrit précisément cette partie
comme « le principal siège du plaisir féminin quand elles font l’amour »
précisant à l’attention de ses lecteurs : « si tu le touches, tu te rendras compte
qu’il se durcit et s’allonge, présentant même l’apparence d’une sorte de membre
viril ». S’étonnant de ce que « personne jusqu’ici n’a remarqué ces
protubérances, ni leur utilité » il se propose de nommer ce qu’il a trouvé
« l’amour de Vénus » ou la « douceur »12. La querelle de priorité entre Fallope
et Colombo demeure, elle n’est pas tranchée par Vésale qui, lui, conteste avec
vigueur qu’il y ait même « découverte » – c’est-à-dire, qu’on puisse établir que
le clitoris participe de la structure anatomique « normale » des femmes. Vésale
réaffirme ainsi la tradition disponible selon laquelle le clitoris est un fait
pathologique, présent uniquement chez les « femmes hermaphrodites ».
Comme le rappelle l’historienne américaine Katharine Park13, qui a proposé
une histoire détaillée de cette « redécouverte » du clitoris par la médecine de la
Renaissance, le clitoris pose problème aux chirurgiens dans un contexte où
domine une représentation des organes génitaux féminins et masculins qui
fonctionne terme à terme. Depuis les travaux de Thomas Laqueur14, nous
savons que l’Occident a longtemps développé une conception de la différence
de sexe basée sur le modèle d’un « sexe unique », d’une représentation unifiée
du corps humain dans laquelle les différences s’inscrivent sur un continuum
entre un pôle masculin et un pôle féminin. Hommes et femmes ont les mêmes
organes génitaux et reproducteurs, les uns situés à l’extérieur, les autres à
l’intérieur. Sans nier toute hiérarchie, ce modèle est essentiellement
« symétrique » et l’emporte de l’Antiquité à la fin du XVIIIe siècle. Ce n’est
qu’avec le développement des sciences naturelles et biologiques modernes que
s’affirme le modèle dit des « deux sexes », une conceptualisation de la différence
comme incommensurablement ancrée dans le corps des unes et des autres, un
destin corporel qui aidera à justifier les inégalités politiques entre hommes et
femmes à l’heure de l’émergence des idéaux égalitaires.
C’est bien sûr dans l’univers du « sexe unique » et de l’analogie entre organes
féminins et masculins que travaillent Fallope et Colombo. L’espace des
représentations possibles est celui de la matrice comme organe équivalent mais
inverse (et caché) du pénis. Ainsi, les planches anatomiques réalisées par Vésale
(1543) donnent-elles à voir une matrice ressemblant en tout point à une verge
en creux et intérieure. Cette représentation est stupéfiante pour l’œil
contemporain qui se trompe immanquablement et n’y reconnaît jamais
l’appareil génital féminin, un test qu’il est possible de réaliser auprès de tout
public en cachant la légende de l’image. Sur une planche plus détaillée, figurant
trompes et ovaires, on peut y lire que ces dernières sont les « testicules des
femmes », ce qui nous renvoie à cette économie de l’analogie entre appareils
féminin et masculin. Depuis Galien, en effet, les ovaires sont les testicules,
l’utérus le scrotum, son col le pénis et le vagin le prépuce. Dans un tel contexte,
les propositions de Gabriel Fallope et de ses disciples ne peuvent être
facilement assimilées – sauf à inventer un équivalent masculin au clitoris (ce
que certains feront du prépuce) de façon à ne pas doter les femmes d’un pénis
miniature en sus.
Comme « fait empirique », le clitoris est donc un fait explosif puisqu’il
menace de dissoudre le modèle en place – un modèle qui, pourrait-on dire,
avait fait ses preuves en matière de représentation savante du monde. Ainsi, le
« fait scientifique » (ici « anatomique ») ne surgit-il pas spontanément de
l’expérience ou de la dissection. Il est le fruit d’une discussion soutenue entre
l’existant et le nouveau. Comme « surgissement », il ne peut advenir qu’en
négociation avec la tradition, en accord avec une communauté en redéfinissant
en son sein les propositions. Vésale rejette la « découverte » de Fallope car elle
est incompatible avec la conception existante (et donc avérée par ses propres
observations) de l’anatomie des appareils génitaux masculins et féminins. Et
plus Fallope décrit et précise les « capacités » du clitoris, plus il le décrit en
homologie avec celles du pénis, insistant sur son excitabilité. Il entre alors en
contradiction avec le modèle prévalent et contredit les certitudes « naturelles »
et morales en vigueur.
La « (re)découverte » du clitoris comme organe non pathologique de
l’anatomie féminine a donc des implications médicales et politiques. Si la
confusion entre le clitoris et les lèvres semble levée vers 1590 du fait des
travaux des chirurgiens15, de nouvelles questions et de nouvelles inquiétudes
surgissent qui ont trait à la taille de l’organe et au risque que fait courir, à la
nature comme à la société, le fait que « des » femmes en soient dotées et en
fassent usage.
« Au reste, la conformation de ces tribades se rapproche de
celle des hermaphrodites, parce que leur clitoris ressemble à la
verge humaine »
Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, 180316

Dans la période qui suit la « redécouverte » par les chirurgiens de la


Renaissance du clitoris, ce dernier prend de plus en plus de place dans les
discours comme dans les faits, prenant des proportions avantageuses (ou
désavantageuses) conduisant à de nouveaux positionnements, de nouvelles
remédiations – et à des questions politiques inédites. Si les femmes (ou
certaines femmes) sont dotées d’un petit pénis, cela signifie qu’elles sont
susceptibles de pénétrer d’autres femmes et de leur donner du plaisir. Le
désordre qui s’ensuit est autant « naturel », « moral » que politique. Dans son
traité Monstres et prodiges publié pour la première fois en 1573, le chirurgien
français Ambroise Paré17 opère une série de déplacements sur ce sujet. Il établit
un lien entre clitoris de « grande taille » et hermaphrodisme et entre clitoris et
homoérotisme féminin. L’hermaphrodite, qui renvoyait jusqu’alors à un
homme efféminé (suivant l’histoire originelle d’Ovide) se fait désormais femme
bisexuelle et agressive sexuellement. Ces femmes dotées d’organes
disproportionnés sont potentiellement criminelles. La figure de la « tribade »
mise en avant par Paré devient un topos de la littérature médicale. Elle est le
symbole de l’inversion de l’ordre du ménage et de l’expropriation du foyer de
l’autorité masculine en une époque de régence féminine. Le contexte politique
joue un rôle dans la vitalité de ce motif, le thème de la monstruosité et de
l’inversion de l’ordre familial et politique étant notamment utilisé contre la
régence de Catherine de Médicis.
Les « tribades » (le mot est attesté pour la première fois en 1566) sont
présentées comme des femelles hermaphrodites qui abusent la nature humaine
et l’ordre social18. Si le sodomite commet un crime de « lèse-majesté », la prise
de possession sexuelle d’une femme par une autre semble relever d’un crime de
« lèse-patriarcat ». La clitoridectomie apparaît ainsi comme la solution médicale
(et indissociablement sociale et politique) à ce désordre. Il est important de
souligner que ces considérations ont eu des conséquences concrètes au cours
des siècles suivants pour des personnes réelles. Dans une série de cas de
travestissement, de pratiques sexuelles « contre nature » ou d’usurpations
d’identités de genre, comme dans les cas plus tardifs dits de female husbands19 en
France, en Angleterre ou aux Pays-Bas aux XVIIe et XVIIIe siècles, les médecins et
chirurgiens sont mis à contribution pour définir les comportements féminins
légitimes et statuer sur la nature des actes sexuels commis en procédant à
l’examen anatomique de leurs auteures20.
Le cas de Marie le Marcis, accusée de sodomie en 1601 est à cet égard
exemplaire et sans doute l’un des plus intéressants du fait de la controverse
médicale qu’il a occasionnée et du retentissement qu’il a eu (la sodomie a alors
un sens large et recouvre les crimes « contre-nature » tels que la bestialité, les
relations sexuelles entre hommes ou entre femmes). L’affaire concerne une
personne « qui ayant esté baptisé, nommé, vestu, nourri et entretenu pour fille,
jusques à l’âge de vingt ans ; après qu’il eut senti des indices de sa virilite,
changea d’habit, et se fiança et donna foy de mariage, à une femme, laquelle il
cognut charnellement par plusieurs fois »21. Marie devient concubine de Jeanne,
chambrière de son état, elle se fait bientôt appeler Marin, s’habille en homme,
s’approprie le genre masculin et parvient à épouser Jeanne. Condamnée à mort
en première instance, Marie porte sa cause au Parlement de Normandie qui
ordonne une série d’expertises. Son cas est alors examiné par six docteurs en
médecine, deux chirurgiens et deux sages-femmes dont la majorité conclut
qu’elle est « fille » et non homme comme il·elle le prétend, reflétant ainsi
l’opinion des experts du tribunal de première instance. C’est entre Duval et
Riolan que la controverse est la plus vive et intéressante. Duval qui avait
procédé à un examen physique détaillé du corps et du sexe de Marie,
considérait qu’elle était un hermaphrodite mâle – et par conséquent innocente
du crime de sodomie – cependant que Riolan (qui s’était refusé à un tel examen
et se basait sur les observations de ses confrères) considérait qu’elle était une
femme tribade. Pour Duval, dans la tradition de la génération issue de Galien
et d’Hippocrate, les hermaphrodites sont en soi un sexe intermédiaire, et cette
diversité naturelle est une manifestation de la créativité divine. Il assume un
modèle continu de la diversité des natures humaines (mais non de la liberté des
pratiques sexuelles) qui s’oppose à la proposition aristotélicienne d’un système
binaire des sexes reprise par Riolan. À l’inverse, Riolan incarne une figure
médicale vouée à une grande postérité puisqu’il se pose en gardien d’une
dichotomie sexuelle reposant sur la fonctionnalité ou la non fonctionnalité des
organes génitaux en matière de reproduction (et en particulier, la présence ou
l’absence de testicules masculins). En dépit de leurs désaccords, l’un et l’autre
s’accordent toutefois sur un point essentiel et nouveau : c’est au savoir médical
et non au droit de trancher sur l’ontologie des êtres. Quant à Marie, il·elle
échappe à la mort mais est enjoint·e par la justice de recouvrer son identité de
femme et interdit·e d’habiter avec une personne de son sexe, au « risque de sa
vie ».
Comme on le voit, la question de la taille du clitoris et de l’homoérotisme
sont présents de façon significative dans la culture de la fin du XVIe et du début
du XVIIe siècle et obligent à une série d’examens détaillés des « états des corps »
et des identités revendiquées de sexe/genre. Avant le « surgissement » du
clitoris sur la scène médicale et littéraire, la pénétration d’une femme par une
autre n’était imaginée que par le truchement d’un instrument. Les créatures
faisant usage de « godemichés » étaient considérées comme des criminelles qui
entretenaient notamment, par de telles pratiques, le « mépris des hommes ».
Mais le clitoris, plus visible médicalement et culturellement, tend à se substituer
à l’instrument. Le médecin et botaniste français Jacques Daléchamps (1513-
1588) joue un rôle particulier dans la propagation de l’idée souvent reprise
après lui qu’il existe des femmes capables d’abuser la nature humaine au moyen
de leurs propres organes. Il nomme à son tour « tribades » celles qu’il considère
comme des « femelles hermaphrodites » et qui, disposant comme les
« Égyptiennes » de « nymphes » anormalement larges, ont des érections et en
jouent avec d’autres femmes. À grand renfort de citations latines, grecques et
arabes, il établit ce nouveau standard de la littérature européenne établissant un
lien entre la taille anormale du clitoris et l’homoérotisme féminin. De l’analogie
établie entre la physiologie imaginée des Égyptiennes et celle de ces « tribades »
découle également la préconisation de l’excision. Or, les auteurs anciens ou
arabes n’assimilent pas plus anatomie « particulière » et pratiques érotiques
entre femmes que ces pratiques érotiques avec la nécessité de l’excision.
Transférant de façon abusive les thèmes orientaux vers l’Occident, Daléchamps
invente la « tribade » comme problème et l’excision comme solution. Quoi qu’il
en soit du destin variable des remédiations proposées au problème moral et
politique du commerce sexuel entre femmes, désormais, et pour trois siècles, le
terme de « tribade » s’impose pour désigner ces pratiques homoérotiques.
Que sait-on de ce qu’il advenait des femmes qui transgressaient les règles
morales et sociales par leurs comportements sexuels ? Comme les travaux de
Sylvie Steinberg en atteste, la matérialité des actes « sodomites » entre femmes
est difficile à établir à l’époque moderne22. Aux XVIIe et XVIIIe siècle, les procès
étudiés pour ces motifs témoignent encore du fait que ce n’est pas tant le
« clitoris » qui fait le crime que l’instrument. Si les juges français menacent de
peine de mort les femmes « luxuriant » ensemble, ils manquent souvent de
preuves pour les condamner. Les juges espagnols et italiens sont tout aussi
sévères. Mais si l’acte a lieu par « frottement », les faits étant difficiles à établir,
le jugement et la peine demeurent incertains en dépit de la gravité des
transgressions que sont la « sodomie » ou la « profanation des sacrements du
mariage ». Comme dans le précédent que constitue le cas de Marie le Marcis, il
convient de statuer sur la « nature » des êtres pour statuer sur la « nature » des
actes. Il faut noter en effet que la loi française ne punit pas l’état « naturel »
qu’est l’hermaphrodisme mais les relations sexuelles illicites qui sont
généralement poursuivies à la suite de dénonciations.
Au milieu du XVIIIe siècle, la traduction en français (notamment par Diderot)
de l’encyclopédie médicale du médecin britannique Robert James invite à la
retenue en la matière. À l’article « tribade », ce dernier écrit : « quoique le
clitoris soit ordinairement caché au-dedans des lèvres des parties naturelles des
femmes ; on en trouve qui déborde dans lesquelles il déborde si fort, que les
personnes ignorantes croient qu’elles ont été transformées en homme »23. Il y a
bien là une invitation toute médicale à ne pas punir une personne susceptible
d’être trahie à son insu par son anatomie. Plus loin, Robert James se fait plus
explicite, appelant indirectement à la clémence en faisant référence à un cas
demeuré célèbre : « celles qui abusent de cette conformation avec d’autres
femmes sont appelées par les Grecs tribades et par les Latins fricatrices (…). Une,
entre autres, nommée Henriette Scuria étant ennuyée de son genre de vie que
mènent les personnes de son sexe s’habilla en homme et s’en fut servir sous le
prince d’Orange. Lorsqu’elle fut de retour chez elle on l’accusa d’avoir un
commerce criminel avec d’autres femmes et de pratiquer avec elles ce
commerce lascif, que les Grecs appellent kleitorizein à cause que le clitoris lui
débordait hors des lèvres, d’une manière extraordinaire. Elle pouvait exécuter
ce que les Grecs appellent tribein avec tant de force et de vigueur qu’elle gagna
le cœur d’une veuve dont elle devint à son tour si éperdument amoureuse que
si les lois le lui eussent permis elle l’eut épousée » – et de préciser qu’elle fut
néanmoins condamnée au fouet et au bannissement.
Ainsi, même si l’époque moderne peut être décrite comme relevant d’une
certaine forme de tolérance à l’égard des « ambiguïtés anatomiques », elle ne
tolère pas la transgression des rôles de genre ni les pratiques sexuelles illicites.
Quant à la plasticité des représentations et des êtres sur l’échelle continue du
sexe/genre, elle tend à s’atténuer au XIXe siècle avec l’affirmation d’un système
de classement en deux catégories reposant sur la fonctionnalité des organes
génitaux et leurs capacités reproductives24.
« De la clitoridectomie comme traitement de l’hystérie, de
l’épilepsie et de l’aliénation »
Dr Ullerspreger, 186925

Aspect mal connu des pratiques médicales occidentales, la clitoridectomie a


été pratiquée en Occident jusqu’à l’époque contemporaine – au nom de la lutte
contre l’onanisme, la nymphomanie, l’hystérie et d’autres troubles psychiques
ou sexuels plus ou moins répertoriés. Ces gestes irrémédiables, mais
revendiqués, passent par la cautérisation, la section, ou l’écrasement de l’organe.
Pratiqués en Europe et aux États-Unis du début du XIXe au début du XXe siècle,
ils suscitent publications, discussions et polémiques au sein du corps médical. Il
est en effet une tradition qui participe en Occident d’une culture matérielle (et
pas seulement symbolique) de mutilation du sexe et du plaisir féminin. L’affaire
semble notamment britannique, avec Isaac Baker Brown26 dont l’intérêt pour
les opérations à risques, l’habileté technique et l’audace ont retenu l’attention
des contemporains. Brown se fait connaître dans les années 1850 à Londres
comme chirurgien obstétricien. Il est l’un des premiers à utiliser le chloroforme
pour les accouchements, pratique de nouvelles interventions chirurgicales pour
soigner les fistules vaginales, et expérimente également l’ovariotomie. L’une de
ses premières patientes en la matière est sa sœur qui, contrairement à d’autres, a
la chance de survivre à l’opération. Célèbre, il attire une clientèle de patientes
des hautes sphères de la société londonienne et fonde en 1858 un hôpital
spécialisé dans le traitement chirurgical des « maladies des femmes ».
Mais, au-delà du traitement de lésions physiques, Brown va développer une
clinique spécifique du traitement de l’hystérie et de la masturbation en
s’attaquant à l’organe accusé d’en être la cause. Comme l’a montré Thomas
Laqueur dans son histoire de l’onanisme27, la question de la masturbation ne
devient une question morale et médicale, et une véritable obsession sociétale,
qu’à partir du début du XVIIIe siècle. Au cours du XIXe siècle, elle est clairement
associée aux maladies mentales, à la folie. Pourchassées chez les enfants et les
jeunes gens, les pratiques masturbatoires le sont aussi chez les fillettes et les
femmes justifiant dans certains cas des prises en charges médicales drastiques.
Loin des demi-mesures, Brown affiche ainsi son mépris pour les usages connus
d’application de substance caustique sur le « nerf pubien » et se propose de
placer ses patientes « idiotes, épileptiques, hystériques, paralytiques, jeunes et
vieilles » « sous les effets du chloroforme » et de pratiquer « l’excision sans
contrainte du clitoris à l’aide de ciseaux ou d’un couteau »28. Une option que
n’aurait pas contredite le médecin français Léopold Deslandes, grand spécialiste
de la masturbation et qui écrivait à propos de la clitoridectomie : « une telle
détermination loin de blesser le sens moral est conforme aux exigences les plus
sévères. On fait alors comme tous les jours quand on ampute un membre ; on
sacrifie l’accessoire pour le principal, la partie pour le tout 29 ». Quant à Brown,
il vantera tout particulièrement ses succès en matière de nymphomanie
garantissant la guérison définitive. Suivi par ses confrères britanniques sur le
constat que l’onanisme provoque chez la femme hystérie, épilepsie, catalepsie,
et peut ainsi conduire à la mort, il le sera moins sur la méthode mise en œuvre
pour y remédier. Quant au caractère pour le moins brutal du traitement, il a été
révélé par l’un de ses assistants venu témoigner contre Brown – qui sera
finalement exclu de la société britannique d’obstétrique. Les précisions fournies
sont crues : les opérations sont conduites à l’aide d’un fer cautère ; celui-ci est
passé sur « la base du clitoris jusqu’à ce que son origine soit séparée de ses
attaches, étant partie coupée ou sciée, et en partie jetée à la poubelle. Après que
le clitoris eut été enlevé, les nymphes étaient coupées de chaque côté ».
L’intervention se terminant en « sciant les surfaces des lèvres et des autres
parties de la vulve qui avaient échappé »30.
Brown s’attire l’animosité de ses collègues – mais pour des raisons qui
tiennent davantage aux règles déontologiques qu’à la nature des traitements mis
en œuvre. On lui reproche de faire publicité de ses techniques en dehors des
règles de la bienséance, de surévaluer ses résultats, voire de les trafiquer. C’est
ce manque de discrétion sur des sujets délicats, et une démarche
essentiellement mercantile, qui suscite la réprobation morale, déontologique et
finalement scientifique. On découvre par exemple qu’il a pratiqué des
interventions « sur des femmes mariées » sans le « consentement de leurs
maris » ! Le non-respect du code d’honneur du médecin – qui a certes toute
autorité sur ses patientes mais ne doit pas en abuser pour assurer sa fonction de
protection de la gente féminine – le conduit à sa perte.
Le caractère sulfureux des expériences d’Isaac Baker Brown n’empêche pas
leur réitération dans d’autres pays et à d’autres périodes. C’est le sens du traité
cité en exergue et emprunté au médecin Ullersperger qui y insiste encore en
1869 : « Dans les cas d’onanisme invétéré chez des filles, des femmes et surtout
des veuves, lorsque la répétition trop fréquente de la masturbation se traduit
non seulement par des symptômes physiques mais encore par des signes de
trouble intellectuel et que les ressources ordinaires de la thérapie sont restées
sans succès, je n’hésite pas à recommander l’amputation du clitoris et des
petites lèvres »31. S’il est possible de dire que la clitoridectomie a surtout été
pratiquée durant la première partie du XIXe siècle en Europe contre des
personnes considérées comme souffrant de symptômes aliénants, elle est encore
pratiquée au début du XXe siècle par des professionnels français, viennois ou
américains. Mais l’idée suivant laquelle la masturbation serait l’effet plutôt que
la cause de l’hystérie s’imposant progressivement, « l’onanisme devient moins
dangereux aux yeux du corps médical et la perte du clitoris apparaît
disproportionnée »32.
Dans le cas américain, les pratiques sont quelque peu décalées dans le temps
et on compte encore 24 publications sur des cas de clitoridectomie dans des
revues médicales entre 1867 et 1912. S’il est difficile de se faire une idée du
nombre d’opérations effectivement réalisées durant cette période, il est clair
que ces traitements sont discutés de la façon la plus sérieuse par les instances
médicales. De l’étude des cas cliniques présentés par les praticiens américains, il
ressort deux types de patientes et d’indications. En premier lieu, et dans la
continuité des épisodes précédents, la clitoridectomie concerne jeunes filles et
femmes aux pratiques masturbatoires « compulsives », auxquelles s’ajoutent
celles qui seront de plus en plus souvent définies comme « nymphomanes ».
L’examen par les médecins des parties intimes de ces patientes (clitoris
« élargis », « irrités » « rougis ») permet de statuer sur la maladie et d’opérer.
Mais l’opportunité de ces opérations est de plus en plus discutée à une époque
où on s’interroge sur les origines physiologiques ou mentales de ces
« irritations ». À quoi sert, en effet, d’enlever l’organe de « l’irritation » si
l’irritation est finalement de source nerveuse et logée dans le cerveau ?
Les opérations s’orientent aussi vers d’autres indications : les préférences
auto-érotiques des femmes mariées, incompatibles avec les exigences de la vie
conjugale. Quand le désintérêt d’une épouse pour l’acte conjugal est manifeste
et qu’on a connaissance de l’existence de « manipulation clitoridienne », il
convient de restaurer « l’épouse » dans ses instincts sexuels « normaux » et de
s’orienter vers la « circoncision féminine ». Les médecins américains du début
du XXe siècle s’emploient d’abord à assainir la vulve – leur idée étant qu’il faut
prévenir l’accumulation du smegma (la substance qu’elle sécrète) et nettoyer
soigneusement pour éviter toute source d’irritation et d’attirance des mains
vers cette région de l’anatomie. À défaut, et dans une conception qui renvoie
aux représentations anciennes de l’analogie des organes féminins et masculins,
ils proposent de soulager la patiente en dégageant le « capuchon » clitoridien,
comme on le ferait en cas de circoncision du prépuce (certains chirurgiens
américains utilisent à cet égard l’expression de « clitoris emprisonnés »). Ils
sectionnent alors le pli de la peau (souvent proche des petites lèvres) qui
entoure et protège le « gland » du clitoris. L’enjeu est de détourner l’épouse de
ses instincts sexuels malsains et de réhabiliter son ardeur pour le mari en
favorisant le frottement pénis/clitoris. Il est intéressant de constater que c’est la
connaissance de plus en plus précise de la physiologie du clitoris et de son rôle
dans la jouissance féminine – ainsi que les injonctions en faveur de
l’accomplissement harmonieux de la sexualité conjugale vaginale et pénétrative
– qui justifient ces interventions présentées comme des remédiations
pondérées. La « circoncision féminine » apparaît alors comme une solution de
bon aloi pour ces femmes qui ne témoignent d’aucun intérêt pour la relation
sexuelle avec leurs époux et ne parviennent pas à satisfaire leur mari33.
Il est toutefois utile de rappeler que la chirurgie du clitoris participe d’un
ensemble beaucoup plus vaste de « chirurgies génitales », selon l’expression de
Sylvie Chaperon34. La gynécologie se détache de la « médecine des femmes »
dans les années 1880 pour s’affirmer en France et en Belgique comme une
discipline propre – et le terrain utéro-ovarien devient un vaste espace
d’expérimentation pour la chirurgie « moderne ». Il exerce alors une véritable
attraction sur les chirurgiens qui investissent les opérations gynécologiques
(l’ovariotomie est d’ailleurs la première opération de chirurgie abdominale).
Absolument « téméraire » à ses débuts (première attestée aux États-Unis en
1809 ; 130 opérations en Grande-Bretagne entre 1838 et 1851 – avec une
chance sur deux de mourir), la technologie chirurgicale est stabilisée et les
interventions connaissent un « boom » à la fin du XIXe siècle35. Certains
observateurs, tel le célèbre gynécologue français, le Dr Pozzi, s’insurgent contre
cette « hécatombe de trompes et d’ovaires » et la production de cohortes
« d’eunuques femelles ». Cette chirurgie est considérée par certains comme
abusive car mettant en péril la précieuse « santé reproductive » des femmes.
Comme on le voit, l’ablation du clitoris en Occident n’est qu’un des aspects
de l’interventionnisme chirurgical masculin sur le sexe et l’utérus des femmes.
Derrière cette « consommation de chair et de sujets féminins », comme le dit la
psychanalyste Diane Garnault, se dévoile cet « impensé de la médecine »,
« d’une science travaillée par la tyrannie de l’Autre comme question, qui
s’évertue à négocier avec la différence »36. Pas de limites à la démiurgie du
médecin quand le sexe/corps des femmes est en jeu. Pas de limites à sa
puissance et son désir d’arraisonnement de la nature et de la différence. Ainsi,
alors que des décennies de médecins et chirurgiens s’escriment à pratiquer des
clitoridectomies sur leurs patientes, d’autres luttent en manipulant ou faisant
procéder à des manipulations sur leur sexe. C’est ce que révèlent les travaux de
Rachel Maines : l’ampleur des traitements par le massage manuel,
hydrothérapeutique ou mécanique de la vulve – par l’orgasme clitoridien ! On y
découvre la mode de l’hydrothérapie dans les années 1880, la substitution des
traitements « vibratoires » aux massages manuels au début du XXe siècle, puis le
succès dans les institutions, au cabinet médical et bientôt dans les foyers du
vibromasseur électrique37. En bref, l’historienne nous rappelle qu’on a aussi
pratiqué ou fait pratiquer à titre thérapeutique des orgasmes sur le clitoris de
femmes, décidément patientes.
« Il est très important pour le devenir-femme de la petite fille que
le clitoris cède au bon moment et complètement cette sensibilité
en faveur de l’entrée du vagin »
Sigmund Freud, 192238

Il est nécessaire de relire Freud pour saisir l’impact de sa conception du


développement psychique et sexuel des filles et femmes. « De la petite fille,
nous savons qu’elle se considère comme gravement désavantagée à cause du
manque d’un grand pénis visible », écrit-il, « qu’elle envie au garçon cette
possession et que c’est essentiellement à partir de ce motif qu’elle développe le
souhait d’être un homme, lequel souhait sera repris plus tard dans la névrose
qui survient en raison de revers dans son rôle féminin ». Il ajoute : « Le clitoris
de la petite fille joue d’ailleurs, à l’âge enfantin, tout à fait le rôle du pénis, il est
porteur d’une excitabilité particulière, c’est l’endroit où la satisfaction auto-
érotique est atteinte »39. Mais il conclut sans nuance sur l’énoncé normatif placé
en exergue de ce texte : « Il est très important pour le devenir-femme de la
petite fille que le clitoris cède au bon moment et complètement cette sensibilité
en faveur de l’entrée du vagin ».
À une époque où la vie érotique des femmes est un continent largement
inconnu et tabou – la vie sexuelle, le plaisir et l’orgasme s’écrivent
essentiellement au masculin – il convient de redonner d’abord à la clinique
freudienne son caractère progressiste voire révolutionnaire. Freud s’intéresse à
la vie érotique des femmes, s’ouvre à leurs souffrances et reconnaît leur
sexualité (et la sexualité infantile) comme élément essentiel de leur
développement. Avec lui et d’autres, la sexualité tombe dans l’ordre de la vie
« normale » et acquiert une tonalité positive. Contre son temps, Freud
considère la vie sexuelle des femmes comme indispensable à leur
épanouissement, mais en homme de son temps il maintient une asymétrie, une
différence d’ordre ontologique entre le masculin, qui a fonction de référent, et
le féminin, qui est défini par l’absence et le manque. Novateur quand il stipule
que la frigidité des femmes est liée à la répression sexuelle, il se fait
conservateur quand il précise que c’est d’abord le caractère « inauthentique » de
l’orgasme clitoridien qui explique cette frigidité.
Reprenons le détail de cet habillage freudien de la sexualité féminine. Freud
n’ignore pas le clitoris comme zone érogène, ni la masturbation comme
pratique – et ceci est à mettre à son crédit. Mais comme le regrette Thomas
Laqueur : « il s’en tient aux vieilles vérités sur les méfaits de l’auto érotisme
alors même qu’il révolutionnait notre intelligence du sujet »40. En un sens, il
reste aussi héritier de la vision du « sexe unique » et voit le clitoris, à l’image
des Anciens, comme l’équivalent du pénis, comme un reliquat embryologique
de la nature bisexuée de tout humain. Luce Iragaray y insiste : Freud pense
encore sur le mode analogique et fait du clitoris une zone érogène semblable à
celle que l’on trouve dans le « gland ». « La petite fille est bien alors un petit
homme, écrit-elle, et toutes ses pulsions et plaisirs sexuels, notamment
masturbatoires, sont en fait “virils” »41. Mais cette conception « égalitaire » du
caractère bisexué de l’humain s’écrit in fine au détriment de l’enfant-fille qui,
comme le dit Karen Horney en 1926, est placée dès sa naissance « devant l’idée
de son infériorité » – devant la nécessité de devoir accepter « la perte », le
manque et l’absence « d’organe » d’une part, et dénier, de l’autre, qu’elle a un
organe en propre (voire deux) – et qu’elle doit donc se rééduquer (ou être
rééduquée) pour advenir comme « adulte » 42.
Freud ne se départira jamais de la conviction que, dès l’enfance, « le » féminin
ne peut se définir que par le manque et dans le registre de l’envie (Penisneid).
Tout l’enjeu du développement psychosexuel de l’enfant-fille consiste à
redresser une « trajectoire » pour atteindre la maturité sexuelle. Ce chemin se
concrétise, au-delà de l’élaboration proprement psychique et symbolique que
constitue le complexe de castration, par le changement d’objet, un déplacement
qui se manifeste notamment – un emprunt sans doute aux conceptions du
psychiatre viennois Richard von Krafft-Ebing – dans le passage d’une zone
érogène à une autre, du clitoris chez la femme vierge au vagin et à l’utérus
après défloration.
Pour la pensée freudienne, les filles, qui doivent changer d’objet du désir (la
mère en phase orale et anale, le père en phase œdipienne) et quitter le plaisir
clitoridien pour celui de la pénétration et de la sublimation maternelle,
compliquent et obscurcissent la théorie autant que la clinique analytique. C’est
le constat que fait Freud à la fin de sa vie en se déclarant désarmé devant ce
« continent noir », un continent qu’il caractérise par les termes de frigidité,
masochisme, hystérie, retour à l’état préœdipien, envie de pénis et ignorance du
vagin. Le « féminin » continue de constituer un obstacle, une obscurité, un trop
grand écart à la norme. Non seulement les analystes des débuts (comme ceux
des époques ultérieures) ne parviennent pas à décentrer la sexualité féminine de
son cadre hétérosexuel et conjugal, mais ils restent aussi définis par les
conceptions les plus socialement banales du féminin, par la réitération d’une
théorie naturalisante de la féminité.
Ces déterminants androcentrés, hétéronormés et sexistes sont constitutifs de
la culture psychanalytique (et de la culture médicale de façon plus vaste) et ont
eu des conséquences de long terme pour la vie psychique et sexuelle, affective
et politique des femmes. Les visions freudiennes de la sexualité féminine sont
pourtant débattues dès 1925, notamment par les pionnières de la psychanalyse
que furent Karen Horney, Mélanie Klein ou Marie Bonaparte. Ce débat porte
essentiellement sur la notion « d’envie du pénis » chez l’enfant-fille et sur le
complexe de castration. Karen Horney s’oppose à la conception freudienne et
pose l’existence d’une sensibilité précoce du vagin. Elle s’éloigne aussi du
dogme pour dire le caractère culturel de la névrose que constituerait « l’envie
de pénis ». Loin d’être le signe d’une inscription dans la nature originelle et
défectueuse des femmes, elle serait le symptôme ou la signature du dépit des
femmes, du devoir d’accepter la place dominée qui est la leur dans l’ordre
social. Mélanie Klein revient sur la sensibilité du vagin dès l’enfance et propose
de considérer « l’envie de pénis » comme une réaction secondaire palliant la
difficulté pour la fillette et la femme de soutenir leur désir.
Les contributions de Marie Bonaparte sont plus singulières. Son mémoire
consacré à l’excision43 témoigne de ses investigations cliniques et
anthropologiques sur le bien-fondé de la théorie freudienne du « transfert de la
sensibilité érogène des filles du clitoris au vagin » et du « mode mâle » de la
masturbation clitoridienne des petites filles. Elle suggère qu’il existe des causes
« primitives » et « constitutionnelles » au « clitoridisme », et elle insiste sur le
rôle que joue l’angoisse de la pénétration dans le refus par la femme de la
fonction érotique vaginale. Marie Bonaparte classe les femmes en deux types
(« cloaqual-vaginal » et « phallique-clitoridien ») proposant une étiologie des
frigidités partielles ou complètes qui en résultent.
Surgit alors une question raisonnable au vu des pratiques médicales de
l’époque : faut-il couper le clitoris pour supprimer le « clitoridisme excessif » de
certaines ? Iconoclaste et une des rares à le faire, Marie Bonaparte place en face
à face des situations d’ablations clitoridiennes réalisées en Allemagne dans les
années 1920 et des situations d’excision en Afrique. Il en résulte des parallèles
entre ce qu’elle nomme « l’intimidation sexuelle psychique » propre à
l’Occident et « les mutilations rituelles » des « sociétés primitives de structure
patriarcale ». Si elle formule l’hypothèse pour l’Afrique que le désir de « sur-
féminiser les filles » est associé, dans le rite de l’excision, à « l’intention
d’intimider leur sexualité », elle suggère, pour l’Europe, que cette répression
« symbolique » est en place « dès l’enfance » et qu’elle est à l’origine des
catastrophes que sont par exemple la frigidité totale. En bref, Marie Bonaparte
invente l’excision psychique comme catégorie majeure pour penser l’Occident.
Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes de constater qu’elle quittera par la
suite le seul travail symbolique pour se faire opérer à trois reprises afin de
rapprocher son clitoris du vagin et atteindre l’orgasme vaginal.
Un autre trait conservateur du milieu psychanalytique au long du XXe siècle
est sa focalisation sur la relation hétérosexuelle et la manière dont il traite de
« la question homosexuelle ». C’est à la faveur de la floraison féministe des
années 1970 qu’une seconde critique, féministe et lesbienne, apparaît. Iragaray
intervient en tant que psychanalyste, de l’intérieur, d’autres le font depuis la
littérature, la critique littéraire ou la philosophie. Les questions que pose
Iragaray demeurent d’une grande actualité : qu’est-ce qui soutient la césure
radicale entre jouissance clitoridienne et jouissance vaginale dans la théorie de
Freud ? Pourquoi la fonction maternelle (le vagin) doit-elle l’emporter sur la
fonction érotique, et à quel titre ? Pourquoi la singularité de la libido féminine
ne peut-elle être prise en compte — ce qui se traduit encore et autrement par le
fait que l’homosexualité féminine ne peut être interprétée que sur le modèle
exclusif de l’homosexualité masculine ? Et son travail atteste de l’évidence non
questionnée dans la culture psychanalytique du cadrage androcentré de
l’orgasme – soit l’équivalence postulée entre sexualité et pénétration44.
Après Freud, c’est contre Lacan que de nouvelles théories de la féminité et de
la différence, portées par Antoinette Fouque ou Monique Wittig,
entreprennent à leur tour une critique du caractère viriliste et phallique de la
psychanalyse –- mais aussi de la « révolution sexuelle » des années 1970.
Cependant, en partie selon les orientations sexuelles et politiques de leurs
auteures et la place qu’elles accordent au rôle disruptif du sujet « femme », les
angles d’attaque varient et valorisent différemment les organes de la génitalité
féminine. Ainsi, Antoinette Fouque attaque le dogme lacanien de la libido
« phallique », fustigeant l’impérialisme de ce mode de pensée, et travaille au
renversement du stigmate en parlant et montrant « l’envie d’utérus des
hommes ». Elle oppose aussi à la « libido dominandi savandi » des philosophes et
maîtres une « libido creandi » féminine, au double sens de création et
procréation45. Cette focalisation toute « maternelle » sur l’utérus ou cette
phallisation de la matrice n’est évidemment pas à l’agenda d’une critique
féministe plus radicale et souvent lesbienne de l’économie politique patriarcale
du désir. Alors que certaines thématisent l’institution du mariage comme visant
l’appropriation du corps/sexe/appareil reproducteur des femmes, d’autres
considèrent que la seule manière d’atteindre une sexualité vraiment libérée du
sexisme est l’homosexualité. Pour Wittig, l’avènement du sujet individuel exige
d’abord la destruction des catégories de sexe46. Dans cette lignée, les militantes
lesbiennes du Front homosexuel d’action révolutionnaire font de
l’hétérosexualité féminine le signe d’une collaboration avec le patriarcat et
voient dans le lesbianisme le seul mode de résistance substantiel à l’oppression
de genre. La question devient alors celle de l’appartenance ou de la non
appartenance des lesbiennes au groupe des « femmes ». Adrienne Rich s’oppose
ici à Wittig considérant que les lesbiennes ne quittent pas la catégorie
« femmes » mais sont et deviennent d’autant plus « femmes » qu’elles rejettent la
contrainte hétérosexuelle47.
On le voit, la « désandrisation » des savoirs sur la sexualité féminine demeure
un enjeu contemporain, et la question du clitoris y joue un rôle essentiel. La
place tenue au plan médical, idéologique et intellectuel par les différents
courants psychanalytiques dans la production de ces savoirs exige notre
attention. Comme le formule Teresa de Lauretis, la psychanalyse est de fait une
technologie du genre puisqu’elle produit des discours et des pratiques qui
cherchent à contrôler le champ des significations sociales et promeuvent
certaines représentations et normes de genre au détriment d’autres48. Et, de la
même manière qu’il est juste et bon de faire advenir la sexualité clitoridienne
comme « structure anatomique normale » de la sexualité féminine adulte, il
convient de s’opposer aux théories qui, comme le dit Pascale Molinier, fondent
« l’infériorité des femmes » sur « l’infériorité d’organe »49.
« L’orgasme vaginal en fait, n’existe pas. Ce que nous devons
faire, c’est redéfinir notre sexualité »
Anne Koedt, 196850

De l’entre-deux-guerres aux années 1960, notamment avec les travaux de


Reich (1927) et de Kinsey (1948)51, l’idée que la sexualité n’est pas une nature
qu’il faut canaliser ou moraliser mais qu’elle recèle un pouvoir libérateur fait
son chemin. La vie sexuelle se détache progressivement de la vie reproductive.
Les sexologues américains William Masters et Virginia Johnson contribuent à
faire du plaisir une finalité nouvelle et légitime de l’activité sexuelle en
expérimentant sur la physiologie de l’orgasme et en publiant de nombreux
ouvrages sur la sexualité durant les années 1950 et 1960. L’activité sexuelle
acquiert avec eux sa finalité érotique au plan biologique et
psychophysiologique. Ils produisent une définition pragmatique et hédoniste
du sexuel et leurs travaux anticipent le fait que la « révolution sexuelle » est
plus que la « révolution contraceptive », c’est aussi la « découverte » de
l’orgasme52.
Ces deux chercheur·e·s mettent en place un dispositif inédit, étudiant la
sexualité des couples en condition de laboratoire53. Sur la base de leurs
observations, ils établissent un modèle caractéristique de l’activité sexuelle
promis à un grand avenir. Ce qu’ils nomment la « réponse sexuelle », se décline
en quatre phases : l’excitation ; le plateau ; l’orgasme et la résolution. Les
données scientifiques collectées objectivent une physiologie de la sexualité
indépendante des sujets (hommes ou femmes) et de leur sexualité (hétéro ou
homosexuelle) 54. Leur formalisation de la réponse sexuelle humaine se veut
universelle. Elle contribue à rendre l’orgasme féminin normal et légitime au
même titre que l’orgasme masculin et promeut une vision égalitaire de la
sexualité. Plus encore, Masters et Johnson proposent la « première analyse
scientifique de la jouissance féminine », détaillée par leurs observations de
milliers d’orgasmes féminins. Ils établissent une nouvelle carte des zones
érogènes féminines et mettent en évidence le rôle et la fonction du clitoris dans
la réponse érotique des femmes. Selon eux, le contrepoint du pénis n’est pas le
vagin mais le clitoris. Très explicitement, du fait de leurs observations et de la
mise en évidence des connexions physiologiques entre les deux organes, ils
disqualifient la distinction issue du freudisme entre orgasme clitoridien et
orgasme vaginal. Enfin, ils mettent en évidence le fait que les femmes sont
capables d’orgasmes multiples par masturbation, un phénomène sans
équivalent chez l’homme.
Ainsi, dans le sillage des travaux de Kinsey, l’idée s’affirme au cours des
années 1960 que les femmes ne sont pas d’abord les êtres frigides peints depuis
la fin du XIXe siècle. Dans son impressionnante enquête statistique conduite sur
des sujets américains de tous âges, Kinsey met en évidence les capacités
orgastiques des femmes, 95 % d’entre elles atteignant facilement l’orgasme par
masturbation. En deux mots, le sexe en solitaire étant généralement clitoridien
(Kinsey répertoriait un nombre très minoritaire de femmes ayant recours à un
instrument dans le vagin pour parvenir au climax), les travaux des sexologues
modernes semblent indiquer que le problème des femmes n’est pas l’orgasme
mais la sexualité vaginale et pénétrative55.
On comprend, dès lors, qu’Anne Koedt, l’une des activistes radicales de la
scène féministe new-yorkaise vers 1968, s’en tiennent aux « faits » statistiques et
sociaux de Kinsey et aux faits expérimentaux et physiologiques de Masters &
Johnson pour donner du poids au plaidoyer politique qu’elle se propose de
faire56. Contre Freud, renommé pour l’occasion « père de l’orgasme vaginal »,
contre la dépréciation des femmes et leur maintien dans un état subordonné de
l’accomplissement sexuel et social, Anne Koedt mobilise les nouvelles
connaissances « anatomiques » pour contrer les ravages de « l’ignorance ». Car,
comme elle l’indique avec force : « le dommage le plus grave de cette histoire
est bien que des femmes en parfaite santé du point de vue sexuel aient été
considérées comme ne l’étant pas ». Oui, écrit-elle, le clitoris est un petit pénis.
Oui, son érection est similaire à l’érection masculine. Oui, « le clitorisme n’a
pas d’autres fonctions que celles du plaisir sexuel ». Mais rétablir le clitoris dans
sa centralité ne suffit pas. Pour qu’il advienne comme organe de
l’autodétermination sexuelle des femmes, il est nécessaire d’attaquer la fonction
vaginale. Le vagin étant le lieu de la reproduction, de la menstruation, du pénis,
de la gestation, il est proclamé non érogène. Contre le mythe de la frigidité ou
de l’infantilisme sexuel des femmes, contre l’excision psychique dont elles ont
été historiquement victimes, elle proclame : « l’orgasme vaginal n’existe pas ».
L’énoncé est performatif et programmatique. L’orgasme clitoridien est mis en
scène pour menacer l’institution de l’hétérosexualité et la société patriarcale. La
jouissance clitoridienne, en tant qu’elle est auto-érotique, non pénétrative et
lesbienne, devient le symbole de la puissance d’agir des femmes et le connecteur
entre des groupes aux pratiques sexuelles et options politiques différents.
Le moment où écrit Anne Koedt est un point de bascule entre deux mondes.
Si la fonction érotique commence à être admise, elle demeure pour l’essentiel
génitalisée. Les nouveaux savoirs sur la sexualité (ces « décomptes d’orgasmes »
et ces « thérapies d’orgasmes ») sont centrés sur la norme du couple conjugal et
la sexologie est pour l’essentiel une science de la conjugalité. Le coït idéal est
celui du couple hétérosexuel et marié. La clinique thérapeutique de Masters &
Johnson, qui inspirera l’essentiel des savoirs sexologiques en Occident dans les
décennies suivantes, repose sur la prise en charge du couple et non de la
personne via la reprogrammation des comportements des partenaires pour
parvenir à un orgasme partagé dans le coït. Ce n’est pas tant l’éducation au
plaisir (et donc, et par exemple, la masturbation et le clitoris) qui est promu
mais l’éducation à la relation hétérosexuelle et à la satisfaction de la sexualité
conjugale (vaginale). L’idée d’une réponse sexuelle mature ou adulte continue
de définir les comportements adéquats du point de vue sexuel, et la façon dont
il faut s’y préparer.
Le travail accompli par les groupes de femmes et les militantes féministes et
lesbiennes des années 1970 est essentiel dans le basculement d’un monde à un
autre, dans l’avènement de sociétés centrées sur la capacité d’auto-
détermination individuelle et sexuelle des individu·e·s. Concrètement, elles
inventent des espaces « à soi », des espaces non mixtes où sont échangées
expériences et réflexions sur l’intimité et la sexualité. Car, on le sait, « le privé »
est désormais « politique ». Aux États-Unis, des militantes créent des
« conciousness raising groups » afin de « libérer la parole », discuter, envisager des
actions collectives. Ces initiatives essaiment en Italie, en France, en Suisse,
jetant les bases de nouveaux agendas pour la lutte en faveur des droits des
femmes. En 1969, un groupe se réunit à Boston autour d’un atelier sur « les
femmes et leur corps ». Les participantes y critiquent leurs gynécologues (des
hommes, pour l’essentiel) dont les comportements sont paternalistes, normatifs
voire répressifs. Confrontées à ces difficultés, elles décident de collecter les
informations médicales pouvant leur être utiles. Armées de spéculums en
plastique, elles apprennent à observer leur col de l’utérus à l’aide d’un miroir et
examinent celui de leurs camarades. C’est le début du mouvement de self help
gynécologique : l’objectif est de connaître et apprécier ses organes intimes,
d’être capable de repérer d’éventuels problèmes (tels qu’une infection ou qu’un
stérilet déplacé). L’auto-consultation concerne autant le fonctionnement de
l’appareil reproductif que la sexualité57. Au cours des années 1968-1975, le
Woman Health Mouvement américain témoigne d’une incroyable énergie
subversive. Il est l’occasion d’une contestation radicale du pouvoir médical et
scientifique, du développement de contre savoirs et de nouvelles formes de
l’expertise. Outre que des femmes ordinaires apprennent à pratiquer sur elles
ou sur d’autres des techniques d’interruption de grossesse, elles apprennent à
évaluer les connaissances médicales disponibles, à les confronter, à les
compléter en promouvant l’écriture de véritables contre manuels, comme le
sera le projet collectif « Our Bodies, Ourselves58 ». De l’échange et de l’expérience,
de l’auto-expérimentation et de l’auto-apprentissage, surgit un corpus de savoir
pratiques et théoriques émancipateurs qui contribue à modifier les
connaissances sur le corps des femmes et autonomise les femmes de
l’institution médicale. Le clitoris est l’un des bénéficiaires de ce grand
chambardement.
Les recherches conduites sur le clitoris déclinent à la lettre, à n’en pas douter,
le double programme « nos corps nous appartiennent » et « le savoir c’est le
pouvoir ». Le livre A New View of a Woman’s Body publié en 1981 par la
fédération des Women’s Health Centers en témoigne59. « Ne disposant pas d’accès
aux salles de dissections », le collectif s’appuie sur les travaux de Masters et
Johnson, sur les textes d’anatomie disponibles et les dessins de Robert
Dickinson (1861-1950), un gynécologue obstétricien et artiste qui avait
entrepris d’interviewer et de dessiner les organes génitaux de centaines de
patient·e·s entre les deux guerres60. Il s’appuie finalement sur l’observation de
leur propre corps et de ceux de leurs amies61. De multiples façons le livre
renouvelle les connaissances et les manières d’appréhender et de représenter
l’organe. L’invitation est d’abord à l’auto-examen externe puis interne. La
lectrice voit l’organe se déployer dans les détails d’une anatomie méconnue en
même temps qu’elle est invitée à vérifier par elle-même ce qui lui est « donné à
appréhender ». L’illustratrice, Suzann Gage dessine avec délicatesse, elle laisse
ici ou là des éléments du corps, de la main ou des doigts de la femme qui
explore sa vulve. Le trait introduit un dialogue d’une personne à une autre.
L’organe n’est ni exhibé ni objectivé, l’attention à l’organe étant sollicitée par
une expérience subjective à partager. Cette nouvelle anatomie est politique.
Elle rompt avec l’essentiel des codes narratifs et visuels en vigueur en termes de
représentation des organes génitaux féminins. Le clitoris est exploré de façon
inédite dans sa structure et sa physiologie (on trouve une description de ses
dimensions internes, des muscles du clitoris et de ses tissus érectiles ; des
transformations du clitoris pendant l’excitation ; de l’éjaculation féminine…). Il
est narré de façon réflexive, l’expérience surgissant du va-et-vient entre ce qui
est montré et ce qui peut être appris par soi. En ce sens, il s’agit bien d’une
entreprise rare et radicale de décolonisation du regard médical sur l’intimité et
la sexualité des femmes. La démarche est celle d’une auto-réflexion, d’un voir
par le touché, d’un partage ; c’est l’invitation à une nouvelle forme de
l’expérience et du connaître.
2
ClitOrientaux,
Clito d’ailleurs,
néo- et post-coloniaux
« Les femmes, comme les hommes, de la race nègre sont
portées à la lasciveté beaucoup plus que les femmes blanches.
[…] Leurs organes sexuels offrent, en outre, une disposition
particulière qu’on ne rencontre qu’exceptionnellement ailleurs »
Pierre Larousse,
e
Grand dictionnaire universel du siècle, 187262

Depuis la fin du XVIIe siècle, voyageurs, savants, naturalistes, médecins


s’intéressent aux caractéristiques anatomiques des populations « découvertes »,
bientôt assujetties et colonisées, décrivant, dessinant, qualifiant leurs traits
physiques et moraux, les évaluant et les classant sur une échelle de l’humanité
qu’il s’agit d’établir. Cette entreprise taxinomique produit de la différence et de
la hiérarchie, ordonne et légitime la place et le rôle des un·e·s et des autres,
justifie le dessein colonial et « civilisateur ». Le développement des recherches
sur les « races humaines » est intimement lié à l’entreprise coloniale qui à son
tour contribue à l’essor des sciences naturelles et au développement de
l’anthropologie.
Les populations africaines, tout particulièrement, font l’objet de descriptions
précoces et répétées, elles sont le plus souvent dépeintes comme soumises à
leurs passions et leurs instincts. Les raciologues du XIXe siècle inventent
l’hypersexualité des Africain·e·s, insistant sur leur ardeur sexuelle et
l’exubérance de leur anatomie. C’est à partir des descriptions de certaines
femmes des groupes dits « Hottentots », « Boshimans » ou « San », et
correspondant à l’actuel peuple Khoïsan présent en Afrique du Sud, en
Namibie et au Bostwana, que l’imaginaire exotique et colonial s’enflamme.
Deux traits anatomiques attirent tout particulièrement la curiosité des savants :
la stéatopygie, soit le développement exacerbé du tissu adipeux des fesses et le
« tablier hottentot », soit l’élongation notable des petites lèvres ou « nymphes ».
Le « tablier » est décrit pour la première fois par deux Néerlandais, Dapper,
en 1676 puis Ten Rhyne en 1686. Il est rapporté tout au long du XVIIIe siècle par
nombre de voyageurs, faisant l’objet de descriptions fantaisistes. Les
professeurs du Museum d’histoire naturelle à Paris, avides de constater par eux-
mêmes ces particularités, obtiennent que Saartjie Baartman (1788/89-1815) –
cette jeune femme Khoïsan enlevée dans la région orientale du Cap par un
marin anglais, exploitée et exhibée en Grande-Bretagne et en France – leur soit
présentée à des fins d’observation. Le célèbre anatomiste Georges Cuvier en
rend compte dans le mémoire qu’il établit à l’attention de l’auguste institution,
après la mort de celle qui était connue sous le nom de « Vénus hottentote ».
« Au printemps de 1815, ayant été conduite au Jardin du Roi, elle eut la
complaisance de se dépouiller et de se laisser peindre d’après le nu », écrit-il.
Pour aussitôt regretter qu’à « cette première inspection, l’on ne s’aperçût point
de la particularité la plus remarquable de son organisation »63. Cette dernière,
en effet, « tint son tablier soigneusement caché entre ses cuisses ». Cuvier ne
renonce pas à en connaître. La Vénus étant soudainement décédée, et l’accord
ayant été donné par le Préfet de transférer le corps au Muséum, il peut
l’examiner à loisir, faire mouler son corps, le disséquer et procéder à la
conservation dans du formol de son cerveau et de sa « vulve ». C’est d’ailleurs
l’existence ou non du fameux « tablier » qui semble guider l’intérêt des autorités
préfectorales et savantes : « les premières recherches durent avoir pour objet cet
appendice extraordinaire dont la nature a fait, dirait-on, un attribut spécial de
sa race »64. De ces observations, Cuvier conclut contre le naturaliste Péron
(1805) que le « tablier n’est point comme il l’a prétendu un organe particulier »
mais un « développement des nymphes » et joignant le geste à la parole, l’objet
à la description, présente à l’académie « les organes génitaux de cette femme,
préparés de manière à ne laisser aucun doute sur la nature de son tablier »65.
Figure très récemment sortie des silences de l’histoire et projetée à la
connaissance du grand public par le film d’Abdellatif Kechich (Vénus noire,
2010), Saartjie Baartman, célèbre en son temps, est ainsi entrée au panthéon
anthropologique au début du XIXe siècle, devenant le symbole d’une humanité
piétinée de son vivant comme après sa mort. On le sait, ses restes ne seront pas
inhumés et ne feront l’objet d’une restitution par l’État français à l’Afrique du
Sud qu’en 2002. Exemplaire d’une « race inférieure de l’Afrique » selon Cuvier,
on peut dire de son sexe qu’il était aussi sa race. Les attributs sexuels des
Boshimanes et Hottentotes, souvent étudiés et commentés du XVIIIe siècle au
début du XXe siècle, ont en effet autant servi à positionner Boshimans et
Hottentots dans la hiérarchie des races humaines qu’à émettre des hypothèses
sur les processus d’évolution. Si Cuvier compare les nymphes de la Vénus (« les
voiles des boshimanes ») avec celle des singes, il ne conclut pas à un
apparentement entre les deux espèces, d’abord parce que les singes « loin
d’avoir des nymphes prolongées les ont en général à peine apparentes »66 ;
ensuite parce qu’il reste un partisan du monogénisme – soit de la théorie de
l’unicité de l’espèce humaine. Ainsi les attributs sexuels hypertrophiés des
femmes « boshimanes » contribuent-ils, parmi d’autres caractéristiques, à
inscrire cette population au plus bas de l’échelle humaine, une place qu’elles
occupent depuis Buffon, parmi les plus « dégradés » des humains – à un
intervalle seulement des orangs-outans, comme y insisteront d’autres
naturalistes.
D’aucuns franchiront cet intervalle, surtout dans la seconde partie du
XIXe siècle, quand les théories polygénistes développées par le naturaliste Julien-
Joseph Virey ou l’anthropologue Paul Broca – soit la croyance en l’existence de
plusieurs espèces humaines – trouveront une certaine audience et permettront
d’exclure, au nom de la science, certains groupes humains de l’appartenance à
l’humanité. Plus tard, dans les premières décennies du XXe siècle, le rôle joué
par les Hottentots et les Boshimans (assimilés ou différenciés selon les auteurs),
et associés aux populations dites « négroïdes », servira à produire le grand récit
de la préhistoire européenne, différencier races primitives et races évoluées – et
saluer aussi le culte universel (dans les temps anciens et reculés de l’espèce
humaine) en faveur des « Venus » callipyges et hypersexuées.
Ainsi, ces êtres exhibés comme « spécimens » par les montreurs de foire sont-
ils constitués en « matériau » par les savants pour produire les connaissances
officielles en matière de différence de sexe, de race et d’espèce. L’histoire de la
Vénus Hottentote nous rappelle que les savoirs scientifiques ont dépendu de la
forme culturelle du spectacle. Elle manifeste aussi les ressorts proprement
sexuels du désir de savoir comme pulsion du « voir », pulsion scopique, pulsion
d’appropriation de « l’autre ». Comme Carolyn Merchant ou Donna Haraway
l’ont mis en évidence67, il s’agit d’un trait caractéristique des pratiques
scientifiques depuis l’époque moderne (du XVIe au XVIIIe siècles). Les sciences
deviennent instrumentales, expérimentales, objectales, elles accaparent et
exploitent la nature, s’approprient et disposent des personnes assujetties68. Plus
précisément ici, le geste savant de « dévoilement » de la « nature » se fait littéral,
manifestant l’économie proprement libidinale de la volonté de savoir. Le
« tablier » fascine l’homme blanc qui l’interprète parfois comme un « voile de
pudeur », un appendice naturel protégeant ces femmes de possibles assaillants69.
Le fantasme du viol, omniprésent, se traduit dans la réalité de la profanation
des parties intimes, au nom de la science.
Inépuisable, la curiosité en faveur de l’hypertrophie des lèvres et des nymphes
des femmes de ces régions est recherchée tout au long du XIXe siècle, servant
d’étalon à la caractérisation des populations africaines et de leurs mœurs.
L’excitation savante semble céder le pas au mépris et à la condamnation morale.
Elle signe l’infériorité de populations dont l’hypersexualité devient un critère
de partage entre « elles », « eux » et « nous ». Cuvier, déjà, considérait que cette
variation des nymphes, attestée en Europe, ne devenait « considérable » que
dans les « pays chauds », obligeant « négresses », et « abyssines » qui « en sont
incommodées » à « détruire ces parties par le fer et le feu »70. L’ablation de cette
excroissance naturelle apparaît raisonnable et Cuvier la considère comme une
circoncision, établissant une équivalence qui sera souvent reprise par les
voyageurs et autres anthropologues. Son effort pour inscrire les excroissances
clitoridiennes des femmes « hottentotes » dans l’ordre naturel sera en revanche
progressivement contredit, des observateurs rapportant, à partir de la fin du
XIXe siècle, des exemples où les lèvres sont volontairement allongées, dès le plus
jeune âge, renforçant l’idée que ces manipulations artefactuelles sont destinées à
« accroître le désir charnel » (c’est la thèse d’un médecin colonial à propos des
femmes du Dahomey en 1907)71. Les mères sont alors accusées de développer
volontairement les organes de leurs filles pour augmenter « les jouissances
voluptueuses ». Les femmes sont alors désignées comme deux fois coupables :
coupables de provoquer le désir de l’homme (blanc) par ces attributs physiques
qui dictent leurs mœurs dépravées ; et coupables d’instrumenter la nature, de
sortir du jardin de l’innocence où la condescendance paternaliste de l’Occident
les avaient momentanément placées.
« Au bout de dix à quinze jours, la cicatrisation est en général
obtenue. On détache les liens… et l’enfant est libre de courir à
nouveau. Son sexe présente alors l’aspect qu’il gardera
jusqu’au mariage : à la place de la vulve, la recouvrant, un
véritable mur de chair (…) relie les cuisses du pubis à l’anus »
Annie de Villeneuve, 193772

L’anthropologie européenne du début du XXe siècle « découvre » les pratiques


africaines d’excision et d’infibulation et rapporte des scènes coutumières
éprouvantes. Le clitoris préservé des femmes occidentales s’affirme
progressivement comme une valeur au regard des clitoris mutilés des filles et
des femmes des colonies, et la préservation de l’intégrité du corps et des
organes sexués des femmes tend à devenir un marqueur « civilisationnel ».
Cette manière de se dire tranche d’avec les récits antérieurs, souvent
complaisants sur les pratiques dites « orientales », comme d’avec les certitudes
des gynécologues et psychiatres européens ayant prescrit la clitoridectomie
pour certaines femmes occidentales. Les travaux de l’ethnologue Annie de
Villeneuve, dont l’extrait de la description d’une excision et d’une infibulation
réalisée à Djibouti est présentée en exergue, sont représentatifs de cette
conscience nouvelle qui contribue à la construction d’une altérité et d’une
subalternité qui légitime le paternalisme, voire le maternalisme occidental, et le
contrôle colonial sur le corps, la sexualité et la reproduction des femmes
colonisées.
Annie de Villeneuve est sans doute l’une des premières occidentales à assister
à un événement de ce type. Il s’agit pour elle de revenir sur l’appellation qu’elle
juge impropre des « femmes cousues », de rompre avec des descriptions
fantaisistes et imaginaires pour témoigner d’une coutume dont elle fait un récit
précis et éprouvant, l’entrecoupant de considérations morales, de jugements
raciaux et de remarques indignées. Outre l’excision, elle décrit avec précision
l’infibulation qui suit l’ablation de l’organe, soit la fermeture de la vulve et
d’une partie de l’orifice vaginal. Annie de Villeneuve évoque également les
conséquences de l’infibulation au moment du mariage et des grossesses. Le
mari pour prendre possession de l’épousée doit « l’ouvrir au poignard ». Le
« couteau » et l’aiguille rythment la vie des femmes somaliennes, ces dernières
étant recousues à chaque accouchement. L’ethnologue déplore que « les
femmes accomplissent seules » ces « rites barbares » et qu’elles n’y dérobent pas
leurs filles73. Elle mentionne les risques à court et à long terme pour la santé
des fillettes et des femmes, des mères et des nouveau-nés. Elle évoque les
blessures psychiques : frigidité, sans doute, et infinie « tristesse », qui lui semble
hanter la vie des femmes somaliennes. En ethnologue, elle s’emploie à
expliquer la coutume : moyen de protéger les femmes du viol de l’ennemi, de
contrôler leur sexualité, de garantir la virginité et ce faisant la valeur marchande
des jeunes filles ? C’est ce dernier argument qui emporte finalement son
assentiment au nom de ce qu’elle décrit avec mépris comme la « vénalité » de
cette « race ».
Le récit comme la condamnation d’Annie de Villeneuve témoigne de la
modification des perceptions. L’infibulation est isolée et dissociée de la
pratique plus générique et courante de l’excision. Bien que connue comme une
coutume très ancienne, sa géographie est alors circonscrite à certains territoires
et certaines populations, pour l’essentiel la zone orientale du continent africain.
Pour la plupart des observateurs, l’infibulation relève de l’exceptionnalité, ce
qui justifie des investigations historiques et anthropologiques spécifiques
faisant l’objet de discussions nombreuses, mais aussi des réponses à la hauteur
de la gravité des blessures infligées. Dans la lignée de campagnes menées entre
les deux guerres par les missions chrétiennes au Soudan, au Niger et au Kenya,
les Britanniques déclarent l’infibulation illégale au Soudan en 1946.
Si l’infibulation est clairement condamnée par les Occidentales·taux, il n’en
est pas de même de l’excision dont la diffusion, beaucoup plus large, ne retient
pas nécessairement l’attention des médecins coloniaux et des anthropologues
avant les années 1960-1970. Rapportant sur la « circoncision et l’excision chez
les Malinkés », Georges Chéron, administrateur des colonies, écrit par exemple
en 1933 : « comme la plupart des peuplades du Soudan français, les Malinkés
pratiquent la circoncision sur les garçons âgés de 15 à 17 ans et l’excision sur
les filles âgées de 13 à 15 ans. Cette opération, qu’ils appellent bolokoli a, selon
eux, pour but de donner de la force aux hommes et de la beauté aux
femmes »74. Les mutilations sexuelles sont interprétées comme un rite de
passage visant la séparation de l’individu de son groupe d’appartenance puis sa
réintégration. Le destin du « prépuce » et du « clitoris » des initiés des deux
sexes sont ainsi symétrisés et l’excision des filles est présentée comme le
pendant de la circoncision des garçons.
Quarante ans plus tard, l’anthropologue et africaniste Nicole Sindzingre
propose une critique féministe de la littérature ethnographique qui assimile
excision et circoncision75. Elle met en évidence les spécificités matérielles et
symboliques des rituels féminins. Elle déplore l’imprécision des termes utilisés
par les anthropologues : « excision », « circoncision féminine »,
« clitoridectomie », recouvrant des opérations qui vont de la simple brûlure du
clitoris à son ablation totale associée à celle des petites ou des grandes lèvres.
Ces différences dans les actes effectués et les organes qu’ils concernent
invalident l’analogie entre circoncision et excision. L’argument est
« anatomique » mais il est aussi anthropologique et s’appuie sur la comparaison
des rites, des significations et des représentations qui leurs sont associés.
Qu’en est-il, en effet, de ce passage et de ce à quoi filles et garçons accèdent
symboliquement et matériellement du fait de la circoncision ou de l’excision ?
Pour l’ethnologue, c’est ici que l’asymétrie se fait la plus évidente. La
circoncision garantit au jeune homme l’accès au savoir et à l’autorité – rien de
tel en ce qui concerne l’excision qui inscrit plutôt la femme dans son destin
procréatif. Détaillant les représentations de la féminité que l’excision convoque,
elle constate que les femmes sont placées du côté d’une imperfection
« immanente », affectées « soit d’un trop », « soit d’un pas assez ». L’excision
vient réparer cet excès ou ce manque et produire socialement le corps féminin.
Le lien est tissé entre l’excision et le mariage, dont elle constitue une étape dans
certaines cultures. Par contraste, l’infibulation est placée du côté de la
contrainte et du contrôle de la sexualité et du plaisir, comme répondant à des
intérêts strictement masculins. Certes, le clitoris est investi comme siège du
plaisir (et possiblement de la luxure) mais, il apparaît plutôt comme le signe
d’un excès à réduire. Attribut du masculin, il doit être ôté pour inscrire la
femme dans son être propre. En dépit de la variété des pratiques, il s’agit de
mettre en avant le fait que l’excision consiste en l’ablation d’un « en-trop » et ce
faisant d’abolir le caractère indécis de la personne. Cette lecture désexotise
l’excision puisque des traditions et représentations similaires ont existé en
Occident où le clitoris a aussi représenté la « partie masculine » dont est
pourvu le sexe féminin à la naissance, représentation qu’on retrouve dans les
mythes grecs de l’androgynie ou de la bisexualité originelle76.
Quelques années plus tard, Sylvie Fainzang s’attaque plus frontalement au
thème du « rite de passage »77. Avec l’excision, l’enjeu n’est pas d’assurer
socialement la reproduction « biologique » mais de façonner les corps et
d’assurer la reproduction de la domination masculine. Il ne s’agit pas tant de
« passer » que « d’être marqué·e ». Une femme non excisée n’est pas une femme,
elle n’a pas reçu ce qui la fait telle, et le marquage ne vise pas que le sexe mais
le rôle social de sexe. Le clitoris étant souvent assimilé à la partie masculine que
les femmes portent « naturellement » à la naissance – à un « petit pénis » chez
les Gourmantché de Haute Volta par exemple – la clitoridectomie a valeur
« d’inscription de la féminité ». Si on laisse à la femme son clitoris, on en fait
l’égale de l’homme. « L’en trop » est l’équivalent de la verge, soit du pouvoir.
En langue Bisa en Haute Volta un même mot « kir » est utilisé pour dire
« verge » et « chef ». Retirer aux femmes le clitoris, c’est retirer un organe
dangereux pour le pouvoir de l’homme. Et si on suit ce qui est souvent
commenté à propos du sexe excisé de la femme – à savoir qu’il est désormais
« propre » – ce n’est pas d’hygiène ou de pureté (morale ou religieuse) qu’il est
question, mais bien d’assignation. Le sexe excisé est le sexe « approprié » au rôle
social attendu des femmes dans la plupart des sociétés.
Ainsi, ce qui a cours lors des rites d’excision se précise, s’épaissit, et ces
femmes ethnologues contribuent à faire sortir l’excision du vocabulaire de
l’euphémisation, non sans risques ni difficultés. Elles observent, questionnent,
interprètent avec les registres de leur temps, différant et ne différant pas des
logiques coloniales, moralisatrices et racistes dans l’entre-deux-guerres,
s’opposant clairement à une banalisation de l’acte et à une interprétation
neutraliste (en fait androcentrique) dans les années 1970. À l’évidence,
l’intégrité corporelle et génitale des femmes subalternes est devenue un enjeu,
tout comme le monopole de la pensée masculine sur la question.
Étonnamment, les anthropologues féministes ne se prononcent pas tant contre
l’excision que contre les interprétations dominantes dans le champ
anthropologique. Il ne s’agit pas tant de dénoncer que de comprendre et
d’interpréter autrement. La bataille semble intérieure à la scène occidentale que
constituent les savoirs anthropologiques tout en dessinant des clefs
d’interprétation potentiellement appropriables par toutes les femmes.
« La “circoncision féminine” n’est pas seulement un objet
populaire de commentaire et d’étude, elle peut être qualifiée de
topos de la science néo-orientaliste du harem »
Soheir A Morsy, 199178

Cette phrase assassine est celle d’une Américaine d’origine égyptienne, formée
en anthropologie médicale et consultante sur les questions de santé aux
Nations Unies. Elle est livrée en commentaire d’un essai sur les mutilations
sexuelles et génitales en Égypte et au Soudan publié en 1991 par Daniel
Gordon79. Soheir Morsy ne commente pas ou peu les faits « médicaux » décrits
par l’auteur, si ce n’est pour se plaindre qu’ils sont décontextualisés et présentés
de façon non historique. Elle s’interroge : que signifie « excision » en dehors de
toute analyse contextuelle substantielle ? Elle s’insurge : la « compassion
occidentale » ne sert-elle pas qu’à reproduire des rapports « néo-coloniaux » et à
mettre en scène un « autre légendaire » ?
Comme on le sait depuis les travaux d’Edward Saïd, l’invention de l’Orient
pas l’Occident a contribué autant à enfermer celles et ceux qui ont été
exotisé·e·s dans une position subalterne qu’à justifier la domination coloniale
et la supériorité des blancs80. De nombreux travaux ont mis en évidence
quelques-uns des traits caractéristiques de la narration coloniale répétant à
l’envie la violence et la lascivité des populations non occidentales – autant
d’éléments permettant de justifier « l’œuvre » du colonisateur. Le poème du
Britannique Rudjiard Kipling Le Fardeau de l’homme blanc publié en 1899 a été
considéré comme un exemple parfait de justification de la colonisation. Loin
d’exploiter, d’extorquer ou de dominer, « l’homme blanc » y est peint comme se
« portant au secours » des populations locales, apportant organisation et savoir,
un fardeau quasi christique.
On pourrait dire des femmes colonisées que ces dernières ont
progressivement été définies comme le fardeau médical de l’homme blanc. C’est
le point que rend explicite Soheir Morsy. Médecins, officiers, administrateurs,
hommes de sciences, se sont progressivement persuadés qu’il était de leur
mission de sauver ces femmes des coutumes et traditions « barbares » imposées
par les hommes de leurs sociétés. Là s’exerçait une forme particulière de la
domination occidentale, l’exaltation d’une virilité spécifique. Contrôler la
sexualité et la reproduction de l’autre (qu’il s’agisse des femmes pauvres en
métropole ou des femmes des colonies) est un privilège des dominants. La
matrice et le sexe des femmes est le lieu par excellence où s’écrit depuis la fin
du XVIIIe siècle la politique de l’Empire et de la « race », de la Nation et de
l’État81. Accomplir la domination de « l’autre », c’est certes opérer cet
anéantissement concret et symbolique qui consiste à s’approprier son
environnement naturel et ses ressources, mais c’est aussi exploiter et extorquer
« les femmes » (épouses, mères et filles) de l’homme assujetti. La jouissance est
ici toute patriarcale. Ce qui est en jeu c’est la revitalisation et la virilisation de
l’homme blanc, un moteur autant qu’une finalité de l’entreprise coloniale82. La
science joue un rôle central en la matière en ce qu’elle définit les cadres
d’interprétation et légitime ce qui a cours. De multiples façons et en de
multiples lieux, ce récit imaginaire de l’intercession de l’homme blanc en faveur
des femmes colonisées sert à légitimer la mise sous tutelle du corps et de la
sexualité de ces femmes, ainsi que l’anéantissement de la masculinité et du rôle
social des hommes dits « de couleur »83.
Fait moins connu, il se trouve que la protection des femmes colonisées est
aussi devenue le « fardeau de la femme blanche » – comme autrefois les œuvres
des dames de la bonne société qui s’adressaient aux femmes des classes
laborieuses auxquelles elles prêchaient la morale et la résignation tout en leur
portant secours. Ce maternalisme des femmes blanches a pris des formes
multiples et paradoxales, les femmes des classes moyennes et supérieures, les
épouses, filles et sœurs des colons, luttant, en tant que colon et que femme,
pour des droits supérieurs à ceux des hommes et des femmes colonisés. C’est la
thèse du livre d’Antoinette Burton à propos de l’Empire britannique84. Elle
montre comment les féministes britanniques se sont approprié l’idéologie
nationale et impériale pour revendiquer leur droit au suffrage, comment elles
ont utilisé une imagerie orientaliste pour évoquer des Indiennes primitives et
soumises ayant besoin d’être libérées par leurs « sœurs » britanniques,
supérieures moralement et racialement. Les femmes britanniques se devaient
d’être émancipées, pour pouvoir assumer leurs tâches au sein de l’Empire et
assumer à leur tour « le fardeau de la femme blanche » 85.
Quand, à partir des années 1980, les féministes françaises affirment que les
mutilations sexuelles constituent le sommet de la violence masculine exercée au
sein des sociétés patriarcales, elles ne mesurent donc pas l’ancienneté de ce
maternalisme colonial et néo-colonial. Elles ont un combat à mener, celui de
l’émancipation des femmes, et elles s’y emploient d’une façon générique. La
lutte des femmes (la lutte en faveur de toutes les femmes) est première et balaye
tout autre considération. Comme l’exprime Benoîte Groult – l’une des
premières en France à établir auprès du grand public une communauté de
destin entre l’excision des femmes africaines et la sexualité soumise des femmes
européennes86 – les femmes sont soumises à des institutions et des us
patriarcaux qu’il convient de dénoncer. Cette règle universelle justifie l’action
des femmes occidentales au nom de celles qui sont opprimées. Une position
durablement partagée en France et en Europe, en pratique comme en théorie.
En tant que mouvement social et politique et qu’espace de production de
savoir, le féminisme porte comme marque de fabrique originelle la volonté de
renverser toutes les formes institutionnelles et sociales de domination dont les
femmes sont victimes, d’améliorer leur vie, leurs possibilités de survie et de
santé, mais aussi leurs capacités d’autonomie, leurs marges de manœuvre et
leurs capacités à s’épanouir, notamment sur le plan personnel et sexuel. Une
façon d’être féministe dans laquelle les femmes de ma génération ont été
conscientisées et formées et dont les limites ne peuvent apparaître qu’a
posteriori. Tout comme n’apparaît comme problématique qu’a posteriori cette
« vocation » des femmes occidentales en faveur des « femmes du tiers-monde »
– justifiant ce que ces dernières dénonceront comme des « croisades » menées
en leur nom mais sans leur consentement ni leur expertise.
Il n’est pas question de s’exonérer ou de les exonérer de leurs responsabilités
quand je ou elles pensent et agissent « en toute innocence » – c’est-à-dire sans
tenir compte de ce qui me détermine ou les déterminent en tant que femmes du
Nord inscrites dans une culture et des rapports de pouvoir. Il est plutôt
question de signaler que penser et agir en ces termes est le fait d’une histoire et
d’une culture qui doivent être analysées afin de pouvoir être dépassées. Il se
peut que ce soit l’enjeu de notre époque que d’apprendre à penser autrement,
de se détacher des habitudes qui consistent justement à « penser de manière
innocente » (le mot est d’Isabelle Stengers87), dans un rapport « d’ignorance à
soi-même » pourrais-je dire, « d’auto-invisibilité » dirait Donna Haraway, ou
depuis la sphère de ce qu’elle appelle la « culture de la non-culture » qui définit
l’occidentalité88. C’est un enjeu central d’une pensée « décoloniale » que les
« blanc·he·s » ou les « dominant·e·s » prennent la mesure de ce qui les
positionne, de ce qui conditionne leurs expériences individuelles et collectives,
comme les normes et les valeurs qu’ils·elles ont forgées.
Bien qu’initialement localisée, la généralisation de la perspective de « genre »,
selon les mots de la Sénégalaise Maréma Touré Thiam, a toutefois permis « aux
femmes en général de devenir les sujets de la théorisation de leur propre
situation, et aux femmes d’Afrique, en particulier, de rompre le cercle qui les
réduisait au rang de consommatrices de théories et de pratiques élaborées
ailleurs »89. Mais la question de la localité et des modalités culturellement
contingentes d’émergence du féminisme n’a été véritablement explorée qu’à
partir des années 1990. La mise en question de l’universalisme de certains
discours féministes a en particulier conduit à enrichir ce qui relève de la
spécificité de genre dans les espaces non occidentaux. Depuis le milieu des
années 1980, Adrienne Rich plaide pour une « politique » de la
« localisation »90. En 1991, Chandra Talpade Mohanty en appelle à une
« décolonisation du genre » et une « reconnaissance des différences », cependant
que Gayatri Spivak dénonce la façon dont l’Occident colonise l’hétérogénéité
de l’expérience de celle qui est génériquement appelée la « Femme du Tiers-
Monde »91. Ces travaux mettent en évidence les dimensions sexuées et genrées
de la colonisation, interrogent l’histoire du point de vue des femmes
subalternes, deux fois « colonisées ». Rarement comprises en tant que telles, ces
perspectives obligent aussi, et symétriquement, à entendre et comprendre le
caractère local de la position occidentale ou blanche qui se détermine comme
neutre, savante, universelle, non questionnée. Ces points sont essentiels et
méritent d’être faits surtout dans le contexte républicain, positiviste et,
pourrait-on dire avec Isabelle Stengers, « provincialiste » français.
Mais revenons à la position de Soheir Morsy : une fois dénoncé, et à juste
titre, le colonialisme ou néo-colonialisme des blanc·he·s, les questions posées
demeurent : si faire campagne à propos de la « santé » ou des « droits » des
« autres » c’est imposer un point de vue et mobiliser normes et pratiques dans
un contexte de domination de l’Occident, le fait de critiquer cette position – au
nom par exemple de l’incapacité à prendre en compte et comprendre le point
de vue des « natif·v·e·s » – ne conduit-il pas, symétriquement, à cautionner des
pratiques telles que l’excision ou entériner leur perpétuation ? Comment se
positionner, comment articuler la justesse ou la justice des arguments ? Faut-il
être myope ou inhumain·e au nom du respect de la différence et de la lutte
contre le néo-colonialisme ? Est-il interdit de se mobiliser quand on constate
des atteintes graves aux personnes ? Peut-on être « activiste » sans mépriser ou
condamner la culture des autres ? Et existe-il d’autres alternatives que la
formulation de ces impasses ?
« Fran Hosken est une croisée. Pendant des années, elle s’est
battue pour porter la question de la circoncision féminine à
l’attention des universitaires, des africanistes, des féministes et
des organisations internationales de santé et de
développement. Et ce fut clairement une lutte difficile »
Margaret Jean Hay, 198192

Toute question complexe se doit en fait d’être reprise et déplacée, il se peut


qu’elle doive l’être plus d’une fois, et que l’écoute des arguments des unes et
des autres nous déplace encore autant dans nos réponses que dans la
formulation de nos questions. Reprenons l’affaire autrement, au début des
années 1980, à partir d’une autre discussion et d’autres arènes.
En 1981, l’africaniste Margaret Jean Hay commente la sortie du rapport
Hosken sur les « mutilations génitales et sexuelles »93, un rapport volumineux et
confidentiel qui fera grand bruit après avoir été remis à l’Organisation
Mondiale de la Santé. Ses remarques sont intéressantes. Elle rappelle d’abord
que, pendant longtemps, les mutilations génitales et sexuelles étaient perçues
comme des questions « personnelles » par nombre d’anthropologues et ne
donnaient pas lieu à commentaire. Elle insiste ensuite sur le fait que le rapport
Hosken accumule nombre de témoignages poignants – ce qui rend sa lecture
douloureuse. Elle reconnait enfin que la lecture de ce rapport a changé sa
perception des choses et elle liste une série de points qui lui paraissent
incontournables : loin d’être en recul, l’excision est présente sur l’ensemble du
continent africain et au-delà ; les mutilations sexuelles et génitales ont des
conséquences physiologiques et émotionnelles qui affectent durablement la
santé des femmes ; les significations culturelles des rites dont elles participent
semblent s’affaiblir sans que les opérations elles-mêmes ne soient questionnées ;
s’il arrive que des jeunes filles choisissent l’excision, celle-ci intervient le plus
souvent sans le consentement des fillettes ; enfin, remarque-t-elle, l’excision est
de plus en plus reconnue comme un problème par les femmes africaines elles-
mêmes. Il convient donc de changer de perspective : les mutilations sexuelles
méritent d’être combattues et ce combat engage la responsabilité des
africanistes pour promouvoir et aider celles et ceux qui aspirent au
changement. En aucun cas, cependant, il ne devrait être question pour les
universitaires occidentales de « faire campagne » sur ces sujets, comme elle tient
à le préciser94. Il s’agit de maintenir une position qui s’abstienne de tout
jugement à propos des pratiques culturelles des « autres » tout en prenant acte
de la gravité des atteintes à l’intégrité et la santé des personnes. La violation du
consentement (des enfants) émerge notamment comme un problème majeur.
Revenons quelques années en arrière. La question des mutilations sexuelles
est soulevée pour la première fois aux Nations Unies en 1952. En 1958, l’OMS
est interpelée sur le sujet mais refuse de s’en charger, considérant que l’excision
est une question culturelle et non médicale. De même, pour la plupart des
organisations internationales, la préoccupation en faveur de la santé des
femmes ne doit pas s’opposer à la souveraineté – qui plus est récente – des
États impliqués, un argument qui est souvent invoqué à l’ONU contre les
demandes en faveur de la reconnaissance des droits des femmes et du respect
de leur intégrité corporelle. En 1976, toutefois, l’un des bureaux régionaux de
l’OMS entreprend une étude de la littérature médicale sur les conséquences de
la « circoncision féminine », pour reprendre l’expression anglo-américaine qui
prévaut. C’est dans ce contexte qu’est publié le rapport Hosken. Il s’agit d’un
travail autodidacte, prenant la forme de recueil d’informations et de
témoignages issus des nombreux voyages entrepris par son auteure en Afrique
à partir de 1973. Le matériel collecté est sans précédent et la publication du
rapport joue un rôle déterminant dans la campagne en faveur de l’abolition des
mutilations sexuelles et génitales qui se met en place dans les années qui
suivent.
C’est tout particulièrement sous l’angle des « risques pour la santé » que les
ONG et les agences onusiennes orientent la formulation du problème et
suscitent l’intervention internationale. On pourrait dire que la focalisation
(légitime) sur la question des atteintes à la santé des fillettes et la santé
reproductive des femmes est la porte d’entrée qui justifie la mobilisation en
matière de mutilations d’abord définies comme « génitales » avant d’être
définies comme « sexuelles ». Ces atteintes sont progressivement répertoriées et
détaillées, elles sont estimées dans leurs effets à court, moyen et long terme :
celles qui sont directement liées à la mutilation (douleur, hémorragies,
infections, choc) ou qui s’ensuivent (infections pelviennes, stérilité, difficultés
menstruelles, déchirures périnéales, fistules vaginales ou recto-vaginales,
incontinence) ainsi que les risques ultérieurs lors de la grossesse,
l’accouchement et la naissance (surmortalité maternelle, souffrance fœtale,
dommages néonataux). Les effets proprement sexuels et sociaux tels que
l’altération de la sensibilité sexuelle ou les complications psychiatriques
(angoisses, dépression) sont moins mises en avant dans un contexte où il s’agit
de rallier et convaincre largement pour mettre en place un nouveau cadre
normatif et des politiques de santé publique.
Ainsi, quand elle émerge au début des années 1980 comme une question
politique et sociale débattue à l’échelle internationale, l’excision n’est pas le fait
du militantisme spécifique des féministes occidentales, ni de celui des femmes
africaines ou d’autres régions du monde – elle est d’abord l’affaire d’acteurs et
d’actrices politiques issues d’un réseau transnational impliquant l’ONU et
l’OMS95. La doctrine se construit entre « droits à la santé » et « droits
humains », une préoccupation qui poursuit les mouvements fondamentaux de
l’après-guerre qui font des femmes et des enfants de nouveaux sujets porteurs
de droits (Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes (CEDAW) en 1979 et Convention relative aux droits de
l’enfant en 1989)96. Expression d’une époque et d’une sensibilité nouvelle,
l’argument du droit à la santé des filles et des femmes est toutefois aussi le
moyen de neutraliser d’autres arguments et d’autres disputes : au Nord comme
au Sud, il est plus facile et plus légitime de mobiliser au nom de la santé qu’au
nom du droit des femmes, du droit à la sexualité et du droit au plaisir.
Entre 1958 et 2008, la ratification de traités en faveur de l’éradication de
l’excision est le fait d’un nombre toujours croissant d’États. Les ONG sont très
impliquées à partir des années 1990, faisant de la lutte contre « les mutilations
génitales et sexuelles » une revendication première et universelle. Parallèlement,
les publications sur le sujet explosent en sciences humaines et sociales et la
question alimente de nombreux travaux en anthropologie, santé publique,
histoire, droit, sciences politiques ou médecine. Durant les années 1980,
paraissent également les premiers témoignages autobiographiques de femmes
excisées : on mentionnera les récits de la Sénégalaise Awa Thiam, de la
Somalienne Nawal El Saadawi ou de la Libanaise Evelyne Accad97. Mais, à
l’échelle internationale, les féministes africaines se plaignent d’être parlées
plutôt qu’écoutées. Elles demandent à être reconnues comme sujets et non
comme objets de l’expérience et du discours, comme c’est le cas lors de la « IIe
conférence mondiale sur la femme » des Nations Unies en 1980. Quelques
années plus tôt est née à Dakar l’Association des femmes africaines pour la
recherche et le développement à l’occasion d’un colloque qui affiche clairement
ses intentions en faveur de la « décolonisation de la recherche ». Dans les
années qui suivent, les politiques de prévention des « pratiques traditionnelles
néfastes » opposent, en de multiples arènes, tenantes d’un féministe
universaliste de l’émancipation, féministes africaines opposées aux premières, et
représentant·e·s plus traditionnels d’un ordre social et d’une culture qu’il s’agit
pour l’essentiel de transmettre et de reproduire. Mais le tableau des prises de
positions ne serait pas complet, si on ne rappelait que des femmes africaines se
sont engagées parfois au risque de leur vie contre l’excision.
L’idée d’une prise en charge globale de ce qui est de plus en plus défini
comme un « crime contre les femmes » progresse à l’échelle mondiale au cours
des années 2000. En 2003, 36 États africains sur 54 ratifient le Protocole à la
Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des
femmes en Afrique (dit Protocole de Maputo). Ce protocole énonce une série
de droits humains (alimentation, santé, éducation, dignité, paix), s’attache à
certaines inégalités entre les hommes et les femmes, condamne la
discrimination à l’encontre des femmes, et condamne les mutilations génitales
féminines. Durant ces années, organisations internationales et ONG
développent de nombreuses stratégies de lutte contre les mutilations. Elles
passent dans certains pays par la prise en charge par les autorités médicales de
l’excision (on pourrait parler alors de « médicalisation de la culture ») et, dans
d’autres, à l’image de nombreuses campagnes conduites par l’Unicef en Égypte
ou au Sénégal, par des campagnes de sensibilisation organisées villages par
villages et s’achevant par des cérémonies de « dépôt des couteaux » (on pourrait
parler alors de « symbolisation de la pratique ») L’appropriation par les
populations locales de ces campagnes doit être soulignée, comme doit être
souligné que les cultures locales sont loin d’être homogènes, qu’elles sont en
mouvement, dynamiques, et traversées de lignes de fractures et de débat. En de
multiples lieux, et dans de multiples situations, se voit donc négocié tant au
plan normatif que pratique, l’équilibre entre un certain « mode de vie » et la
norme internationale de protection des individu·e·s, de la violation de leurs
droits individuels comme de leur intégrité corporelle.
« Je voulais me faire réparer, parce que je ne me trouvais pas
bien, pas normale, j’avais l’impression que tout le monde voyait
ça »
Awa, 28 ans, 201298

On l’a vu, l’histoire des clitoris d’ailleurs, des clitoris d’Orient, des Suds, des
clitoris africains et « barbares », ou tout au moins « barbarisés », comme
l’histoire des clitoris opprimés à libérer, est l’histoire d’une longue relation
entre ce qui a été défini comme l’ici et « nos » femmes et ce qui a été défini
comme l’ailleurs et « leurs femmes » ou « ces » femmes qui sont « à protéger » et
à émanciper. Les études postcoloniales ne nous apprennent pas seulement à
multiplier et articuler les perspectives, tenir compte de la diversité des récits et
des expériences, elles ne sont pas seulement le témoin du voyage et de la
circulation des savoirs et des personnes d’un continent à un autre, elles nous
apprennent à considérer l’imbrication du présent et du passé dans les relations
contemporaines entre les Nords et les Suds. Mais encore à tenir compte de
l’hybridité, de la multiplicité, des ambivalences et des enchevêtrements des
identités d’aujourd’hui99.
Il s’agit en particulier de contester les catégories simplistes qui assignent à
chacun·e une carte d’identité monoculturelle en négligeant justement
l’ancienneté et la présence des échanges et appartenances multiples. Il s’agit
encore de comprendre ce qu’il en est du passage du temps colonial de
l’exotisation de l’autre au temps postcolonial de démarcation et reproduction
de l’autre « parmi nous ». Il s’agit inversement d’être en mesure de témoigner de
l’expérience du déplacement parmi celles et ceux qui, à de multiples égards,
incarnent par leur vie la présence d’un ici, d’un ailleurs, et d’un « ailleurs de
l’ici » dans chacun des « ici » et des « ailleurs » qui les constituent comme êtres
individuels et sociaux. Comme tente d’en rendre compte Nacira Guénif
Souilamas avec sa notion « d’altérité de l’intérieur » : il faut prendre acte du fait
que « l’exotisme n’est plus une réalité ou une ressource pour ceux qui l’ont
construit, dans la mesure où, d’une part, l’exotisme est rendu impossible par la
mondialité et par la coprésence, la simultanéité d’un certain nombre de
dynamiques ; et, d’autre part, ceux qui étaient les figures de l’exotisme sont
aujourd’hui parmi nous »100. Inversement, pourrait-on dire, « l’occidentalité »
devient une réalité, une contrainte et une ressource pour les « autres de
l’intérieur » que sont les migrant·e·s et les descendant·e·s de migrant·e·s.
Les migrations et les déplacements massifs de population des pays du Sud
signifient « l’apparition » en Europe de pratiques qui avait jusque-là été traitées
et conçues comme lui étant allogènes. La France est le premier pays à
criminaliser, en 1979, l’excision sur son territoire101. Du fait de procès
retentissants contre des exciseuses et des parents, l’opinion publique découvre
que des bébés ou des fillettes sont mutilées en France et que de jeunes
françaises le sont lors de visites dans le pays d’origine de leurs familles. Les
autorités françaises font le choix d’un traitement répressif de ces situations102,
contribuant à une stigmatisation particulièrement marquée. D’autres pays
occidentaux, l’Italie, par exemple, avec son modèle de « politique sanitaire
multiculturelle », empruntent d’autres voies, moins répressives et moins
polarisantes. Le traitement « républicain » et « universaliste » de ces « affaires »,
s’il se définit comme une défense « humaniste » de l’intégrité physique et
sexuelle des fillettes et des femmes mutilées, contribue tout autant à une
défense assimilationniste de l’intégrité du corps national français. La tolérance
« zéro » s’accompagne de peu d’accompagnements, au moins en ce qui concerne
les discours officiels et la ligne politique affichée.
C’est dans ce contexte singulier de criminalisation des pratiques qu’une autre
singularité se fait jour. Elle est d’abord le fait des activités médicales et
humanitaires d’un urologue français, Pierre Foldès. Celui-ci développe à la fin
des années 1990, dans le cadre de la médecine humanitaire, des techniques
chirurgicales visant à offrir des solutions aux femmes mutilées présentant des
complications graves et douloureuses. L’opération consiste à reconstituer un
« gland clitoridien », à restaurer une « anatomie normale » de l’organe, à
l’innerver et, si possible, à le rendre fonctionnel – une technique et des résultats
qui font l’objet d’une série d’articles dans des revues médicales103. Améliorant
ses connaissances tant de l’organe, des mutilations, que des possibilités de
recouvrer chirurgicalement une apparence et une fonctionnalité du clitoris,
Pierre Foldès importe en France une technique à laquelle il forme d’autres
chirurgien·n·es. Il opère personnellement près de 3 000 patientes entre 1998
et 2009. Son activisme est également à l’origine de la reconnaissance de la
nécessité de ces opérations pour le bien-être et la santé des femmes mutilées, et
il se traduit par le remboursement de ces opérations par l’assurance maladie.
En suivant la pensée d’une Soheir Morsy on pourrait sans doute lire
l’exceptionnalité française comme une forme caractérisée du néo-colonialisme
ou comme la définition très française d’un certain type de traitement
néocolonial de l’altérité. La reconnaissance des opérations de chirurgie
reconstructive du clitoris et leur remboursement par la sécurité sociale, le
transfert de techniques du terrain humanitaire au terrain français, la
légitimation en fait et en droit de l’interventionnisme médical (pratiqué et
défendu par les « French Doctors »), comme la notion même de « réparation »,
résonnent comme une sorte de « sauvetage national » des femmes « autres de
l’intérieur ». Ce point se doit d’être mentionné et pris en considération. Mais le
point symétrique qui consiste à rendre compte de l’intérêt de ce dispositif dans
l’amélioration concrète de la santé reproductive et sexuelle de milliers de
femmes, l’est tout autant.
Venons-en en effet à Awa, cette jeune femme d’origine malienne, dont les
propos ont été recueillis dans le cadre de ses recherches sur la clinique de la
réparation clitoridienne par la sociologue Michela Villani104. Sa parole nous
conduit du côté des ressources activables en cette fin des années 2000 en tant
que femme excisée vivant en France. Awa, fille de migrants et assistante
maternelle de 28 ans, témoigne d’un sentiment de honte, d’incomplétude,
d’anormalité. Pour elle, comme pour de nombreuses femmes interrogées, être
« normale », c’est être « entière », « comme tout le monde », avoir un « sexe
normal » et un sexe « capable ». La logique est bien de recouvrer une certaine
forme d’identité et d’intégrité en tant que femme – en renversement, en
quelque sorte, des significations imputées à l’excision comme un rituel de
« féminisation » ou d’inscription dans le genre féminin. La réparation
clitoridienne se fait réparation de la féminité. La réassignation dans le
sexe/genre féminin passe par cette dimension double d’un clitoris « normal »,
d’un point de vue visuel ou plastique, et conforme d’un point de vue sexuel ou
fonctionnel. Il s’agit de recouvrer un « vrai » sexe, esthétiquement,
anatomiquement, physiologiquement, intimement.
La « réparation » n’est pas alors et seulement du côté de ce que le chirurgien
ou l’équipe médicale ont défini comme tel et se proposent d’offrir. C’est le
propre des technologies biomédicales de se présenter comme des solutions à un
problème qui – comme on le voit ici – n’est pas seulement médical, mais
individuel, social, culturel. L’idéologie du « sauvetage » se confronte aux
parcours réels et aux conditions de réussite effectives des opérations. Loin
d’être passives ou « victimes », les femmes qui se présentent sont les actrices
d’une histoire personnelle et culturelle qu’elles entreprennent de réécrire, de
réorienter. Awa, comme d’autres femmes, se saisit de l’opération comme d’un
droit. Elle ne demande pas réparation en justice – un nombre infime de
femmes mutilées sollicitent la justice en France pour obtenir réparation – mais
en « fait ». Dans les faits, la réussite de l’opération ne dépend pas des seuls
critères objectivés ou objectivables par la technique chirurgicale, mais du sens
négocié à propos de ce qui advient : itinéraires préalables, expériences, valeurs
et conceptions personnelle et collective du corps, du sexe, de la féminité, de la
sexualité.
De même, la plupart des équipes médicales proposent des prises en charge
pluridisciplinaires, persuadées que la chirurgie ne pourra réussir
qu’accompagnée d’un travail psychologique sur les dimensions traumatiques de
la mutilation ou de sa révélation. Une sorte de paradigme « biopsychosocial »
est ainsi mis en œuvre. Au fond, il apparaît que, pour que la « chirurgie
fonctionne », il est essentiel que la patiente « partage » le modèle de sexualité
promu par l’équipe médicale et le pays d’accueil. C’est aussi parce que ce
modèle est promu et socialement défendu que la patiente peut s’en saisir en
droit et en pratique. De nouveau, s’expriment ici à la fois une contrainte et une
opportunité.
Les femmes « mutilées » activent finalement un droit à l’égalité dans un
contexte (celui d’un pays occidental au début du XXIe siècle) où la norme
sexuelle est celle du corps capable et apte au plaisir. La socialisation aux
normes et aux valeurs occidentales mais aussi aux normes et comportements
sexuels qui y ont cours les conduit à définir pour elles-mêmes « ce qui leur
convient » ou « qui elles veulent être ». En ce sens, la demande de réparation est
aussi l’expression de ce temps nouveau de la « démocratie sexuelle » où
chacun·e peut devenir l’agent de son propre corps, de sa propre sexualité. La
demande apparaît alors, selon les termes de Michela Villani, comme une
revendication de capabilité « au nom de l’égalité », dans un contexte où la
sexualité et le plaisir sont définis comme des droits et des biens.
En s’intéressant tout particulièrement aux populations qui vivent « ici » mais
à la « frontière » de sociétés et d’ordres sociaux différents, ces travaux, comme
ceux, précurseurs en Europe, d’Armelle Andro, nous permettent de sortir des
cadres faciles d’analyse en termes soit d’émancipation, soit de domination. Ce
qui se joue s’avère bien plus complexe dès lors qu’on s’intéresse aux parcours
des femmes qui accèdent à une réparation clitoridienne qu’elles ont souhaitée,
qu’on étudie dans le détail les transformations des valeurs et des
comportements des aînées (mères et sœurs) à l’endroit de l’excision des plus
jeunes. Les « capacités d’agir », de s’opposer, de définir un autre rapport à la
sexualité ou de transgresser et transformer les rapports de genre se dessinent de
façon contrastée et dynamique. Et elles passent pour les femmes nées ailleurs ou
ici par le rapport à l’ordre biomédical et l’instrumentation possible de la
biomédecine. Pas plus pour ces femmes que pour toutes les autres, la question
n’est alors résolue de ce que l’offre médicale ouvre en termes d’opportunités ou
clôt en termes de prescriptions normatives et sociales. Ce qui est certain,
cependant, c’est qu’un espace de redéfinition des possibles s’ouvre pour elles, et
qu’elles sont de leur temps quand elles s’en saisissent.
3
Clito-today :
clitartefact,
clito straight,
lesbien ou queer ?
« Notre inquiétude, c’est d’opérer des gens qui n’en n’ont pas
besoin, voilà »
À propos de la nymphoplastie, Chirurgien, 2016105

À côté de la chirurgie réparatrice des mutilations génitales, s’est développée,


dans la dernière décennie du XXe siècle, une chirurgie esthétique des organes
génitaux dans le but « d’optimiser le bien-être et la sexualité des femmes ». C’est
en tout cas le discours de ceux qui font commerce de cette nouvelle activité,
ajoutant le clitoris à la longue liste des organes et des parties du corps (seins,
cuisse, lèvres, pommettes…) qui, suivant les régions du monde et les canons
esthétiques du moment, sont appelés à être améliorés ou corrigés. La demande
pour ces transformations est réelle et le marché prometteur. La taille et la
forme des lèvres et de la vulve sont auscultées et perçues aujourd’hui par de
plus en plus de jeunes filles et de femmes comme des éléments clefs de leur
anatomie et de leur personnalité. Leur amélioration apparaît à certaines comme
la condition de l’accomplissement de leur identité « de femme » et la garantie
d’une vie sexuelle conforme à leurs attentes. La plainte d’un sexe a-normal
émerge dans un environnement où l’industrie pornographique façonne autant
les scripts sexuels que les normes du « beau » et du « performant » : pénis
surdimensionné pour le partenaire ; pubis rasé et sexe/fente pour la partenaire.
Un idéal du sexe féminin qui renvoie aussi à certains pans de la culture manga
et la mise en valeur de personnages de sexe féminin pré-pubères.
Il y aurait donc là un « besoin » à repérer, selon les termes du chirurgien cité
en exergue. Et ce « besoin » quand il est légitime, légitimerait la pratique. Mais,
quels sont donc ces états du corps, de l’âme, de l’identité, du sexe, qui ne sont
pas des maladies mais des « besoins » susceptibles d’être satisfaits par une prise
en charge biomédicale ou un acte chirurgical ? La question est d’importance et
symptomatique des transformations contemporaines. Alors que la
médicalisation renvoie à une extension continue du domaine d’intervention
médicale sur les aléas de l’existence humaine, la biomédicalisation réalise une
transformation plus radicale106. Plus que soigner et maintenir une ligne de
partage entre le normal et le pathologique, la biomédecine modifie les corps de
manière inédite, agissant sur le vivant (comme dans le cas des technologies de
la reproduction humaine), suscitant l’avènement de nouvelles identités (comme
dans le cas de la clinique de la trans-identité), transformant l’idée même et la
définition de la santé (comme avec la notion de « santé sexuelle »). Les finalités
non thérapeutiques d’un nombre toujours croissant d’actes médicaux
s’imposent comme le moyen de résoudre de nouveaux « problèmes » – dont
certains sont conceptualisés et définis par l’ordre biomédical – avec par
exemple « l’invention » de troubles (comme dans le cas de l’hyperactivité
infantile ou des troubles de la sexualité féminine) et de la molécule qui permet
d’y répondre107. Plusieurs tendances lourdes sont ainsi repérables et les
problèmes tendent à être reconceptualisés en termes organicistes (par exemple,
l’impuissance masculine devient une dysfonction érectile) et les solutions à être
biologisées. Dans bien des cas, il n’est plus à strictement parler question de
santé ou de soin : la pilule est ainsi le premier médicament de l’histoire de la
médecine ayant été prescrit à large échelle à des personnes non malades.
En bref, les technologies biomédicales et chirurgicales sont investies de
capacité de régulation de « problèmes » toujours plus variés. En matière de
sexualité, l’objectif de « santé sexuelle » contribue à faire évoluer le concept de
« santé » vers le « bien-être » et légitime la « médicalisation du bien-être » ou le
fait que « du » médical doive être engagé afin d’obtenir du « bien-être »108. Dans
le cas présent, la honte ou gêne à propos de la forme ou l’apparence de son
clitoris se traduit comme un « problème » anatomique appelant une
intervention chirurgicale (et non, par exemple, comme un problème
psychologique ou culturel). Outre que ce phénomène enregistre le recul de ce
qu’on appelait autrefois les « hypothèses psychogènes des troubles », il
témoigne d’une pression culturelle nouvelle qui s’exerce sur les femmes
occidentales ou, pour reprendre le vocabulaire particulièrement parlant et
efficace de Paul B. Preciado dans Testo Junkie, il nous permet d’apercevoir
comment de « nouveaux dispositifs microprosthétiques de contrôle de la
subjectivité » se trouvent émerger à l’interface « des plateformes techniques
biomoléculaires et médiatiques »109. Car, s’il est question de sujet et de
subjectivités, d’offres médicales et d’offres technologiques, il est tout autant
question de pratiques commerciales et de l’intersection entre logiques
médicales et marchandes. La chirurgie esthétique et réparatrice produit en effet
un discours publicitaire relayé dans de nombreuses sphères médiatiques. En
tant que technique médicale, elle se situe à l’intersection du processus
historique de technicisation et de commodification de la « beauté » et de la
médicalisation de la sexualité. Vidéoconférences, livres grand public, émissions
télévisées, rubriques de magazines féminins, tabloïds distribués gratuitement,
forums internet et médias sociaux participent de cette scène de production des
normes de la beauté, de la santé et de la performance sexuelle au féminin.
Injonction est faite aux femmes d’être les actrices de leur capital esthétique :
dans un contexte néolibéral, la charge concrète de prendre soin de son corps et
de sa santé pour optimiser ses chances sur le marché du travail et de la sexualité
appartient à chacune. La beauté comme travail, la performance sexuelle comme
objectif, sont quelques-unes des nouvelles injonctions qui pèsent sur les jeunes
filles et femmes d’aujourd’hui et pour lesquelles un vaste marché de produits et
de choix sont déployés.
Ces éléments sont clairement mis en évidence par l’enquête conduite par des
sociologues sur la nymphoplastie en Suisse110. Elles montrent comment « le
soin de soi », et en l’occurrence de son sexe, contribue à la définition d’un sujet
féminin « moderne », autonome et sexuellement actif, tout en reproduisant les
normes de genre. Les patientes opérables sont perçues comme presque
« égales » aux hommes, « à la morphologie près », et sont ainsi « tenues de
recourir aux technologies existantes pour contraindre leur corps/sexe au bien-
être ». La chirurgie esthétique des organes génitaux est présentée par les
médecins qui la réalisent, comme par les personnes qui y ont recours, comme
une technologie d’émancipation sexuelle. Émancipation, certes, mais les travaux
de la psychologue Sara Piazza111 nuancent cet optimisme et interrogent. La
nymphoplastie (soit très strictement le raccourcissement des lèvres de la vulve)
y est lue comme une mode contagieuse. On estime ainsi que le nombre de ces
actes a triplé en France entre 2005 et 2018112. De plus en plus présent dans
l’espace public, le « sexe » féminin est montré suivant des codes très précis qui
définissent la norme du présentable et du représentable. Nouveau phénomène
de société, l’épilation pubienne met à nu la vulve et focalise le regard sur un
sexe féminin rendu plus visible. Le poil pubien est placé du côté de l’impur, du
sale, du mystérieux, de tout ce qui inquiète dans le sexe. Inversement, s’impose
l’idéal d’un sexe « nu » et la valorisation d’un sexe « sans rien qui dépasse et
sans irrégularités », un discours entendu chez les chirurgiens, dans les médias
comme chez les patientes. Cette nouvelle esthétique de la « vulve » exposée,
montrée, omniprésente, presse les sujets à produire et reproduire des normes
bien établies en matière des vulves « qui conviennent ». Le « désir » de chirurgie
des patientes vise le « mignon », le « joli ». La couleur de l’épiderme elle-même
est scrutée, la plupart des patientes préférant des lèvres plus claires. Du rasoir
au couteau, il est bien question de couper, d’enlever… pour atteindre la norme
d’un sexe de fille pré-pubère ? À moins qu’il ne s’agisse d’inscrire son
sexe/genre dans l’ordre d’une féminité idéalisée ou de rompre avec toute
ambivalence inquiétante du côté d’une trace « pendante » de masculinité ?
L’acte chirurgical apparaît ainsi, et de façon étonnante – si on se souvient du
sens accordé par l’Occident à l’excision dans d’autres sociétés – comme le
moyen d’obtenir un « vrai » sexe féminin et d’accéder à une féminité idéalisée.
Car ces « petites lèvres protubérantes » ressemblent à s’y tromper à « l’en
trop » des femmes altérisées. Et c’est à la symétrisation des pratiques de
« marquage des sexes » 113 qu’un certain nombre d’anthropologues nous
invitent, s’étonnant des différences dans leur traitement légal et social.
Techniquement, en effet, la nymphoplastie, telle qu’elle est pratiquée en
Occident, confine à une mutilation de type II – si l’on suit la nomenclature des
mutilations sexuelles et génitales établie par l’OMS114. Ainsi, en France, le
traitement pénal de ces pratiques diffère suivant les personnes concernées, tout
étant fait pour penser les mutilations sexuelles et génitales des femmes
migrantes ou « racisées » comme absolument disjointes des « chirurgies
sexuelles cosmétiques ». Ce double standard étonne. Par exemple,
l’anthropologue suisse Dina Bader revient sur le sens attribué d’une part à la
chirurgie esthétique génitale et d’autre part à l’excision115. Négatifs dans le
second cas, positifs dans le premier, ces jugements mettent en scène une
allégorie du « Nous versus les Autres », de l’émancipation versus l’oppression.
D’un côté les pratiques sont considérées comme néfastes et barbares car
imposées, et de l’autre comme consenties et preuves d’une juste autonomie car
réalisées dans un « esprit de bienfaisance » par les professionnels. Outre que la
question du consentement mériterait d’être reprise dans les deux cas, c’est bien
la dimension proprement culturelle des pratiques occidentales qui demeure
inaperçue. Au fond, et cela reste un trait de tout néo-colonialisme, les
personnes « blanches » continuent de vivre, comme nous l’avons déjà noté, dans
des mondes qui se pensent sans culture.
« Quand nous avons étudié le clitoris, nous avons découvert
que la réalité était bien différente des images standards
présentes dans les livres d’anatomie »
Helen O’Connel, 1998116

Sur le long terme de l’histoire occidentale (aux XIXe et XXe siècles), le clitoris
n’est pas ou peu dessiné, pas ou peu nommé, pas ou peu analysé. Le XIXe siècle
se focalisant sur les dimensions reproductives de l’appareil génital féminin, le
clitoris disparaît pour l’essentiel des radars et ceci est encore vrai durant le
premier XXe siècle, moment où on représente rarement l’appareil génital
féminin sans représenter en fait une femme enceinte. Pire, si le clitoris est
présent dans le livre de chevet des étudiants en médecine américains (Gray’s
Anatomy) en 1901 (même si discrètement dessiné et nommé), il disparaît du
même traité en 1948 : plus un signe ! Quelques exceptions doivent être
mentionnées : la représentation du clitoris en érection (qui renvoie encore à
l’ancien système analogique et au pénis) et de ses bulbes spongieux par Koebelt
George Ludwig en 1844 (avec des planches considérées rétrospectivement
comme parmi les plus complètes et réalistes) ; le traité d’anatomie humaine de
Charpy et Poirier en 1901 ; l’étonnante collection de vulves et clitoris dessinés à
la main par Robert Dickinson entre 1935 et 1941 afin de tester l’hypothèse
selon laquelle la déviance sexuelle et la dégénérescence seraient détectables sur
le sexe des femmes, projet trouble dont l’interprétation finale démentira les
prémisses puisque Dickinson conclura à l’absence de différences notables entre
les clitoris des femmes lesbiennes et hétérosexuelles, comme entre ceux des
femmes blanches et afro-américaines. Un siècle et demi de distance, donc, et
pour l’essentiel une persistante invisibilité, ce qui autorise la philosophe Nancy
Tuana à faire du clitoris l’emblème d’une « épistémologie de l’ignorance »117.
Elle y suggère, on l’aura désormais compris, que l’ignorance n’est pas
qu’omission mais pratique active de production de significations, et que
l’absence de connaissance est directement connectée à la question de l’autorité
et du pouvoir. Dans le cas précis, plusieurs points intéressants méritent d’être
soulevés : le caractère non cumulatif du savoir sur l’organe ; l’apparition et la
disparition régulière des modalités de sa présence, de sa figuration ou de sa
labellisation ; l’absence d’investigations substantielles sur sa structure et son
fonctionnement physiologique.
Après la courte période d’appropriation et de resignification féministe des
années ١٩٨١-١٩٧١, une période qu’on pourrait caractériser de « backlash
clitoridien » s’ouvre à nouveau, pour plus d’une décennie118. Le travail
développé par les Women’s Health Center demeure en effet local et la plupart des
manuels autorisés proposent des schémas allusifs et peu détaillés du point de
vue anatomique. Du côté des disciplines scientifiques d’importance, comme la
biologie de l’évolution, on défend des recherches déclarées « neuves » mais qui
ne font que réitérer de vieilles antiennes. On y apprend par exemple que le
vagin est « biologiquement » destiné à « s’adapter » au pénis et à favoriser le
développement de l’espèce ; et que l’orgasme féminin est la « récompense »
pour l’accomplissement de la tâche reproductive, une raison pour laquelle il
peut être considéré du point de vue de l’évolution comme « adaptatif »119.
Étonnant retour au nom de la science de la naturalisation de la fonction
reproductive des femmes ! Doit-on alors croire, Helen O’Connel, jeune
urologue australienne, lorsqu’elle écrit, à la fin des années 1990, que le clitoris
qu’elle découvre sous son bistouri n’a rien à voir avec les descriptions
anatomiques disponibles ? Oui, cette assertion mérite d’être prise au sérieux.
Un sondage réalisé en 1994 sur la base de données médicales Medline (6 500
journaux et plus de 5 500 000 articles médicaux) donnait 78 articles avec le
terme « clitoris » en mot clef (et 1611 avec le terme « pénis »). Un gap d’intérêt
ou un déficit de connaissance qui mérite bien quelques explications. Tout
comme le regain d’intérêt pour l’organe à la fin des années 1990.
La dernière décennie du XXe siècle se caractérise en effet par des
transformations notables dans l’ordre des savoirs et pratiques médicales
s’intéressant aux organes sexuels des hommes et des femmes. La « médecine
sexuelle » se répand et se traduit par une biologisation des troubles de la
sexualité – dont témoigne, côté masculin, la mise en œuvre du viagra et, côté
féminin, l’insistance sur la prévalence des « dysfonctions sexuelles »120. Dans ce
nouveau paysage marqué par une « renaturalisation » de la sexualité féminine121,
nombre de praticiennes s’inscrivant dans un agenda féministe s’attachent à
revisiter, notamment via de nouvelles technologies de visualisation, les
connaissances disponibles sur l’anatomie et la physiologie du clitoris. Elles
poursuivent et modifient les travaux de Masters & Johnson sur la réponse
sexuelle féminine et développent des moyens nouveaux d’observation. La mise
en œuvre de nouveaux concepts, de nouvelles technologies et de nouvelles
pharmacopées pour soigner les troubles du désir féminin focalise le renouveau
sur les organes et leur fonctionnement.
1998 est une date intéressante qui témoigne de ces convergences. C’est l’année
où le viagra est commercialisé – mais où est aussi revendiquée une nouvelle
« première », une « description scientifique du clitoris ». Dans l’un et l’autre cas
l’urologie est au centre. Cette discipline concentre alors l’essentiel des savoirs
de la clinique du masculin reproducteur à un moment où une grande
imagination technophile et pharmaceutique se déploie dans la recherche sur la
sexualité. Les urologues américain·e·s jouent aussi un rôle déterminant dans la
création de comités et campagnes de diffusion des diagnostics de « dysfonctions
sexuelles féminines », en lien avec les compagnies pharmaceutiques cherchant à
commercialiser une « molécule » susceptible de pallier « l’absence de désir
féminin ».
Mais revenons à l’itinéraire de l’Australienne Helen O’Connel. Son intérêt
pour le clitoris dérive du terrain où elle opère, les connaissances et la clinique
urologiques dans le masculin. Son champ d’action est la chirurgie périnéale, un
domaine où les descriptions anatomiques au masculin générique prévalent
(l’appareil féminin faisant l’objet de brefs ajouts) et où les pratiques
thérapeutiques diffèrent selon le genre du patient.
Jeune urologue, Helen O’Connel s’étonne que les chirurgiens procédant à
l’ablation de la prostate, en cas de cancer, prennent soin de préserver la
fonction sexuelle des hommes « en évitant des nerfs particuliers et les vaisseaux
sanguins », mais qu’ils ne prennent pas de telles précautions chez la femme, par
ignorance parie-t-elle – par habitude penserait l’historienne du genre, l’un
n’excluant probablement pas l’autre. O’Connel met donc en œuvre une série
d’études sur l’anatomie du périnée qui font l’objet de publications successives
de 1993 à 2005122. Les premiers articles reposent sur la restitution de
dissections anatomiques comparées, les suivants sur la confrontation des
connaissances acquises dans ce champ avec la production d’images nouvelles de
l’organe par résonance magnétique. Constatant la rareté, l’absence ou le
caractère hâtif des descriptions du périnée féminin, elle considère les nerfs
supportant les tissus érectiles autour de l’urètre. Rapidement, le clitoris passe
au centre et devient l’objet principal de l’analyse123. C’est une sorte de seconde
« Renaissance » pour le clitoris. En 1998, O’Connell met en évidence son
innervation dense. Elle montre comment les descriptions antérieures de
l’organe restaient superficielles, ne s’intéressant qu’aux parties externes les plus
visibles (le gland, le frein) mais ignorant ou n’intégrant pas les parties internes
de l’organe, volumineuses, et consistant en un système complexe. La taille de
l’organe (9 à 10 cm en tout, 4 à 5 cm pour les bulbes du clitoris), son volume,
ses fonctions externe et interne, ses liens avec le reste de l’anatomie (et en
particulier l’urètre et le vagin) sont mis en évidence. Les recherches
d’O’Connell montrent comment « les bulbes, le corps et les piliers » forment le
groupe de tissus érectile qu’est le clitoris – qui se trouve à son tour entouré
partiellement par l’urètre et le vagin, formant un ensemble imposant.
L’aspect tridimensionnel de l’organe devient manifeste avec le recours à
l’IRM qui permet également, du fait de l’observation de l’organe dans son état
vivant, de mettre en évidence son aspect hautement vascularisé. Ces nouvelles
technologies de visualisation donnent à voir une autre réalité qui devient
accessible à un moment donné des relations sociales et de genre, mais aussi des
agendas physiologiques dans le champ de la médecine sexuelle et de la chirurgie
urologique. Entre dissection et IRM, technologies anciennes et techniques
nouvelles, le clitoris est repris et resignifié dans la tradition anatomique. Ainsi,
la mise en évidence du tissu érectile entourant l’urètre est-elle attestée autant
dans le travail de dissection que d’imagerie in vivo. Si O’Connel déplore que le
plan « sagittal » – la modalité traditionnelle de représentation des organes en
anatomie, une modalité favorable à l’affichage d’une structure telle que le pénis
– ait été dans les faits défavorable à la « vérité » anatomique du clitoris mieux
représenté sur le plan « axial » ou « transversal », elle s’inscrit dans la posture
scientifique requise par la discipline et négocie le neuf avec l’ancien pour faire
valoir ses propres « faits » et « preuves ». Si de nouvelles technologies
d’imagerie médicales ont été nécessaires pour faire advenir ce « nouveau »
clitoris, les technologies visuelles utilisées pour présenter les résultats obtenus
ne rompent pas toutes avec les codes habituels. Ici, l’insertion aux côtés
d’images techniques et de graphiques d’une photographie d’une vulve
découverte par le gant d’un médecin, nous rappelle qu’il s’agit bien du
dévoilement par la science de la vérité scientifique de l’organe.
L’emballement médiatique autour de la « découverte » de ce clitoris est
symptomatique. Il est vrai qu’O’Connel va contribuer à diffuser ces nouvelles
connaissances en les récapitulant dans un article qu’elle veut « éducatif » et qui
se propose de présenter de façon didactique, pour la première fois, l’ensemble
des éléments (vagin, hymen, vulve, pubis, gland du clitoris (avec prépuce, frein,
lèvres), bulbes clitoridiens, liens à l’urètre et l’arrière du vagin) à un public large
dans un objectif de « communication plus générale à propos des questions
sexuelles ». Une véritable effervescence en résulte. Ce nouveau complexe
clitoridien, ce clitoris « at large », volumineux et tridimensionnel circule
massivement sur les réseaux sociaux, et circule en boucle. Il est projeté dans la
sphère publique et médiatique, réapproprié, commenté, discuté, déplacé.
« Pour la première fois en France, un clitoris à taille réelle a été
modélisé et imprimé en 3D »
Makery, Le Media de tous les Labs, 2016.

Activiste féministe et critique des sciences, blogueuse, Odile Fillod réalise en


2016 le premier « clitoris imprimé en 3D à taille réelle » et le diffuse en open
source. L’entreprise se veut elle aussi éducative et actualise le geste des militantes
du self-help et de l’auto-conscience des années 1970. La production de ce
clitoris-objet, reproductible et maniable, est un événement inédit et significatif.
Rendu possible par les connaissances acquises depuis la seconde « renaissance »
médicale du clitoris, la démarche se veut scientifique et pédagogique, et cherche
à rendre visible et intelligible au plus grand nombre la « réalité » de l’organe.
Didactique, la démarche se déploie en autant de séquences où on manipule
l’objet-clitoris. Inséré dans un réseau de professeur·e·s. militant·e·s en sciences
de la vie, ce travail vise à réviser les savoirs disponibles, transformer les corpus
de connaissances emprunts de biais sexistes, et promouvoir une connaissance
réparatrice et fiable de l’organe et de la sexualité féminine. Les objectifs et les
valeurs sont clairement exposés, par exemple dans les initiatives développées
autour du Bioscope de l’Université de Genève auquel contribue Odile Fillod et
qui implique les expertes des hôpitaux universitaires, le réseau français
« Sciences de la vie et de la terre – Égalité » et le département de l’instruction
publique du Canton de Genève. Il s’agit de mettre à jour les moyens
d’enseignement romands de l’anatomie « femelle et mâle » afin que « les
informations soient égalitaires et inclusives », qu’elles intègrent « de façon
égalitaire les organes analogues des systèmes reproducteurs masculins et
féminins », qu’elles soient « basées sur les connaissances scientifiques les plus
récentes sur les organes génitaux », qu’elles « intègrent des aspects d’anatomie
et physiologie liés à la fonction sexuelle et non seulement à la fonction
reproductive ».
La force du travail d’Odile Fillod est de s’appuyer sur les dernières
connaissances anatomiques. Une entreprise de ce type est exigeante : elle
nécessite (comme on peut le suivre au quotidien sur ses différents blogs,
véritables carnets de laboratoire 2.0)124 d’accumuler, évaluer, rectifier et
amender les productions sur l’anatomie sexuelle, de déconstruire, reformuler et
préciser les énoncés. Concrétiser ces connaissances dans un objet matériel,
modéliser l’organe en trois dimensions et assurer les conditions libres de sa
distribution, est un geste productif en termes de savoir et de pouvoir. Le clito
3D articule et redistribue – des savoirs scientifiques aux savoirs profanes ; des
espaces militants aux espaces médicaux ; des adultes aux enfants ; de l’espace
public aux espaces intimes. Sa force est de rendre manifeste ce qui est caché, ce
qui a été dénié. L’idée est qu’une enfant ou une femme vivant dans un monde
où circule un clito 3D ne seront plus les mêmes qu’une enfant ou une femme
vivant dans un monde où le clitoris n’était ni nommé ni représenté. L’objet
témoigne et sa présence ne peut être effacée. Via l’objet, le clitoris acquiert une
robustesse comme fait scientifique et social.
Avec cet objet en main, il est plus difficile d’établir l’identité de l’enfant-fille
ou de la femme adulte sur le rien, l’absence, le manque. La production
artefactuelle permet de tenir à distance ce temps anatomique et politique où 1
+ 1 valait - 1, où à partir du plus (à savoir le vagin et le clitoris des femmes)
une drôle d’arithmétique savante et sociale définissait un moins (le manque de
pénis). Les petites filles peuvent désormais brandir à leur gré un clito 3D
customisable. Elles ont quelque chose à exhiber dont elles peuvent être fières,
et elles ne sont pas plus défaillantes qu’imparfaites. Elles sont « avec objet »,
possiblement actrices de leur devenir. Avoir permet d’être. Dans le contexte qui
est le nôtre, le travail symbolique et matériel qu’accomplit l’artefact en tant
qu’objet-signe est « capacitant ». La capacité d’agir érotique des filles et des
femmes peut se transformer du fait de cette connaissance objectifiée, et
l’appropriation agit comme facteur d’affirmation, tant au plan symbolique que
matériel, dans l’espace intime comme dans l’espace public. La promesse de
transformation que portent les connaissances anatomiques et médicales peut
alors s’accomplir, et le pari est raisonnable : promouvoir une nouvelle anatomie
politique du clitoris est un atout pour le féminisme.
Mais n’y a-t-il aucun coût à ce nouvel attachement à l’organe dans sa seule
inscription anatomique et biologique ? L’ontologie du clitoris est-elle
réductible à sa seule vérité anatomique ? N’existe-t-il qu’un « mode
d’existence » du clitoris ? En quoi le mode d’existence biologique de l’organe
serait-il la clef de l’émancipation érotique, sociale et politique de l’individu-
femme ? Et jusqu’à quel point dépendons-nous des seules vérités des sciences
dites « naturelles » ? Ces questions méritent toujours d’être posées car les
sciences d’aujourd’hui n’échappent pas plus que celles d’hier à la réitération de
motifs problématiques, de présupposés douteux, de réflexes « idéologiques »
ancrés au plus profond des têtes et des mondes sociaux. Un des derniers
épisodes de cette histoire de la réévaluation des données anatomiques et
physiologiques de l’appareil sexué des femmes appelle à la vigilance, nous invite
à une distance critique, à prendre le temps d’évaluer ce qui a cours.
Buisson et Foldès, sont des personnages importants de cette nouvelle
histoire. Forts de leurs compétences dans le champ de la gynécologie
obstétrique pour l’une, de la clinique de la réparation clitoridienne pour l’autre,
ils ont décidé de faire accéder l’organe « en action » à un régime de visibilité
supérieur en employant à leur tour les deux technologies de visualisation qui
sont à leur disposition, l’échographie et l’IRM. Dans la première étude, le
comportement du « complexe clitoridien » – rebaptisé « clito-urethrovaginal » –
est observé par échographie sur cinq femmes adultes « en bonne santé
sexuelle » et qui se masturbent avec pénétration ; dans la seconde, il est observé
par IRM lors du coït en laboratoire d’un couple hétérosexuel de collègues
médecins125. La proposition est bien de révéler par le dispositif expérimental la
vérité du fonctionnement physiologique et du sexe. La dimension dramatique
et auto-réalisatrice de cette scène de laboratoire tient bien sûr aux capacités de
dire le « vrai » dont sont aujourd’hui dotées les technologies de visualisation
médicale. Mais quelle est exactement la nature de ces expériences et quelles en
sont les visées ?
Les proclamations de fidélité aux résultats de O’Connel concernant
l’importance et le rôle du clitoris sont en partie contredites par les dispositifs
expérimentaux et un agenda qu’il nous faut préciser. Les auteur·e·s semblent
en effet intéressé·e·s à prouver d’abord l’existence anatomique et physiologique
d’une zone du vagin, « le Point G ». De quoi est-il question ? Ernst Gräfenberg,
un sexologue viennois, avait mis en évidence en 1950 le rôle de l’urètre dans
l’orgasme féminin et prétendu avoir découvert une zone vaginale
particulièrement sensible au déclenchement de l’orgasme. Son idée, contestée
puis abandonnée, est reprise dans les années 1980 via un livre intitulé Le Point
G (G comme Gräfenberg) qui accrédite l’idée d’un lieu premier du plaisir chez
la femme – et c’est de là que partent Buisson et Foldès. « La zone agréable
appelée “point G” », précisent-ils à la suite de leurs expériences, « pourrait être
causée par le contact du clitoris interne et la paroi vaginale antérieure ». Ainsi
font-ils valoir que les femmes pourraient atteindre l’orgasme vaginal en
stimulant le point G – même s’ils reconnaissent qu’il est presque impossible de
stimuler le vagin sans activer le clitoris.
Une question surgit alors. Pourquoi insister sur l’orgasme vaginal (il est vrai
que le présupposé hétérosexuel et pénétratif est au fondement des deux
expériences qui viennent d’être décrites) ? Quel est le problème avec le clitoris
que le point G résout ? L’exploit que le Point G accomplit est de restaurer,
depuis l’autorité de la science, la prévalence du vagin comme source de plaisir –
et donc de la pénétration comme sexualité légitime et première ! Prouver
l’existence du point G (vaginal) est le moyen d’aider scientifiquement les
femmes à atteindre ce qui est réputé le plus difficile : le vrai, l’entier, l’Orgasme,
le Vaginal. En ce sens, les travaux de Buisson et Foldès déplacent le rôle propre
du clitoris et peuvent lui être fatal – et fatal à ce qu’il représente en termes de
redéfinition des subjectivités sexuelles et politiques pour celles qui l’ont brandi.
Et soudainement, en écrivant ces lignes, on réalise l’endroit où nous avons été à
nouveau conduites. Pourquoi l’enjeu serait-il encore et toujours de trouver une
racine physiologique, un soubassement anatomique à une seule expérience
érotique (le coït) qui est lui-même chose infiniment plus complexe qu’un
simple acte physiologique ? Comment avons-nous pu nous laisser conduire une
fois de plus à un tel réductionnisme, à une lecture aussi partielle et partiale de
ce qui compte comme expérience dans le plaisir ? Il n’est pas question de faire
un procès en mauvaise intention mais de donner à voir, comme à chaque fois,
les limites et cadrages, le périmètre obsédant des questions inconscientes, le
caractère toujours circonscrit et lourdement chargé des registres de
l’explication quand il s’agit de fonder « en nature » (c’est-à-dire en science) des
processus humains aussi complexes que la sexualité des femmes.
Ainsi, si nous devons saluer les mises en scène scientifiques et politiques de
ce « nouveau clitoris », il importe de rappeler aussi que nous avons moins
besoin de « fétichisme » de l’organe ou de « littéralité » que de perturbations.
Les initiatives de réalphabétisation anatomique, cette « cliteracy » (comme l’a
proposé l’artiste Sophie Wallace126) doit passer par un investissement des
sphères de production des savoirs, une appropriation et une subversion de ce
qui compte à propos de la nature et des corps, des technologies, des modes de
représentation et de l’écriture. Puisque les sciences et les technologies
transforment nos vies et nos mondes tant matériellement que
métaphoriquement, il convient de déployer des (contre)-stratégies
d’appropriation et de transformation qui soient elles aussi matérielles et
métaphoriques. À la convergence de la critique féministe des sciences et du
mouvement « Do it yourself », cette clitéracie nouvelle participe du
renouvellement du répertoire féministe en même temps que de l’extension des
actions dans le champ biotechnologique trop longtemps demeuré dans un
entre-soi masculin aveugle aux questions de genre. L’heure des « sorcières »
semble enfin advenue et les sœurs de l’« open source oestrogen », du « trans
hack feminism » ou de la « vulvacadamy »127 ouvrent des voies, d’autres
bouillons de « natureculture »128. Parce que leurs créatures réelles sont
chimériques et figuratives, elles nous permettent d’imaginer des mondes
nouveaux pour vivre en dehors du seul registre littéral et organiciste. En ce
sens, nous avons autant besoin d’art que de science.
« À un certain point, le clitoris cesse d’être un clitoris et devient
un pénis, une distinction uniquement basée sur la taille du
clitoris »
Katrina Karkasis, 2008129

Mais délaissons le clitoris straight, pour envisager le clitoris queer. Pour classer
les personnes dites « intersexes », les médecins convoquent un certain nombre
de critères – anatomiques, endocrinologiques, génétiques – mais, en dernière
instance, comme on peut le lire ici, la taille du clitoris peut être déterminante et
faire tomber le sujet dans telle ou telle catégorie des classifications médicales de
genre. Dans un monde où les corps sexués le sont du fait des gonades (ovaires,
testicules) mais aussi des hormones et des chromosomes, dans un monde où il
est question de sexe phénotypique et de sexe génétique, et où l’ensemble de ces
indications peuvent présenter des ambiguïtés et de fortes divergences130, quelle
est la part de l’anatomie (et des organes tels que le clitoris) dans la
détermination de ce qui fonde la nature dite « sexuée » des corps ?
Avant de revenir à la scène contemporaine et au rôle que continue ou non d’y
jouer l’anatomie des organes génitaux, un retour s’impose sur l’histoire de ces
transformations, sur la façon dont on a historiquement recherché dans les
corps les déterminants « naturels » de l’« orientation sexuelle ». La construction
des identités et la catégorisation des sexes n’est en effet jamais innocente, et elle
a des conséquences que connaissent bien, dans leurs chairs et souvent à leurs
dépens, celles et ceux qui naissent et vivent aux frontières de ce que les savoirs
médicaux et les normes sociales et juridiques construisent comme séparant le
masculin du féminin, le normal du pathologique.
Plusieurs temps sont à différencier. On a vu la plasticité des représentations
et la variété possible des êtres encore en vigueur aux XVIe et XVIIe siècles. Elle
s’atténue avec l’affirmation d’un système binaire et dichotomique reposant sur
la fonctionnalité des organes génitaux et leurs capacités reproductives, un
mouvement qui s’affirme à la fin du XIXe siècle lorsque les corps et le sexe sont
de plus en plus définis biologiquement131. C’est ce qu’on a appelé l’ère des
« gonades », une époque où les ovaires et les testicules sont considérés comme
les indicateurs essentiels de l’anatomie. Dans cette conception, il existe
désormais, en théorie du moins, une « vérité » lisible du sexe dans les corps.
Un autre mouvement opère en parallèle. Après Geoffroy Saint-Hilaire (1805-
1861), les hermaphrodites quittent l’ordre merveilleux de la nature et la
tératologie pour entrer dans le monde des sciences naturelles, médicales et de la
pathologie. Hermaphrodites – et bien sûr homosexuels – passionnent en
France, en Grande-Bretagne et en Allemagne à la fin du XIXe siècle. Ils·elles
sont étudié·e·s, classé·e·s, traité·e·s – parfois confondu·e·s. Concernant les
hermaphrodites, il s’agit d’ordonner leur sexualité en fonction de ce qui est
retenu comme la « vérité » première de leur sexe. Concernant les homosexuels,
une catégorie qui émerge comme catégorie médicale au sein de la psychiatrie
criminelle, il s’agit de statuer sur l’origine congénitale, cérébrale ou héréditaire
de ces « perversions »132. L’homosexualite est désormais considérée comme
étant le contraire de l’hétérosexualite, c’est-à-dire l’inversion de l’instinct
« normal » du désir133. Il convient alors d’expliquer pourquoi « l’instinct
sexuel » se dirige vers un objet inapproprié. Une quête qui mobilise modèles et
explications somatiques et psychiques, innées et acquises.
Si le lien entre sécrétion hormonale et orientation (ou identité) sexuelle n’est
jamais établi, la quête biologique de l’identité hermaphrodite conduit
l’embryologiste Richard Goldschmidt en 1917 à proposer le terme nouveau
d’« intersexualité »134. Mais anciennes taxonomies et doctrines nouvelles
coexistent. Ainsi, Magnus Hirschfeld, psychiatre allemand, et homosexuel,
devient un grand défenseur de la théorie du « troisième sexe » au tournant du
siècle. Aux côtés de la femme et de l’homme, ce troisième sexe est vu comme
constitué d’une série de types sexuels classés en quatre catégories principales :
« hermaphrodites, androgynes, homosexuels, transvestistes (travestis et
transsexuels) » 135. Pour l’essentiel, les investigations médicales sur les
homosexuels concernent alors les hommes, qui sont au centre des
préoccupations sociales et juridiques. Les « amitiés féminines », souvent
euphémisées, sont conçues comme moins dangereuses que les pratiques homo-
érotiques masculines et comme des phases de transition qu’il faut surveiller et
ne pas encourager, mais qui ont vocation à disparaître. Si la tolérance est de
mise à l’égard de l’homosexualité féminine c’est que la sexualité féminine n’est
pas vraiment considérée comme autonome. Et le désir lesbien étant peu
thématisé, à l’instar du désir féminin, il ne constitue pas un vrai problème136.
Entre les deux guerres, particulièrement aux États-Unis, c’est la figure
« masculine » de la « lesbienne » qui focalise la recherche sur les « déviances de
sexe ». Lors de l’enquête conduite à New-York dans les années 1930 sur des
femmes ayant des pratiques homo-érotiques137, seule la femme dite
« masculine » est définie comme « homosexuelle » – car on interprète son corps
comme relevant, en partie, de la « physiologie » du sexe fort (densité
musculaire, comportements agressifs, impériosité du désir sexuel). Le « désir
lesbien » ne peut en effet être constitué qu’au « masculin », qui est la norme du
sujet autonome et désirant, et la femme qui transgresse la passivité de son rôle
social et sexuel est présumée « masculine ». Les femmes dites « féminines » qui
se déclarent homosexuelles sont étiquetées « narcissiques » et non-
homosexuelles par les enquêteurs. Une raison en est que les médecins ne
parviennent pas à établir un lien entre la taille de la vulve, et en particulier la
présence d’une « vulve infantile », selon leurs termes, avec leur comportement
sexuel. Au moment où on cherche dans les corps et leurs composantes visibles
et invisibles des indicateurs de l’identité sexuelle, on fabrique donc encore et
toujours de la dichotomie – par exemple entre « lesbiennes » aux traits et
comportements « masculins » ou « féminins ». Toutefois, qu’il s’agisse de
chercher les causes de l’attrait pour un individu du même sexe dans l’anatomie
– ou, sujet plus central de l’entre-deux-guerres, dans les anomalies hormonales
– les tentatives de trouver un fondement biologique à l’homosexualité (ou de la
traiter par les hormones) échouent – et elles sont provisoirement abandonnées.
En revanche, l’entre-deux-guerres développe une meilleure compréhension de
la biologie de l’intersexualité et met à jour la complexité des situations
biologiques recouvertes par ce terme. On classe alors, par exemple, les cas
d’intersexualité selon leur origine (embryologique, chromosomique,
hormonale)138 et on développe une première clinique de la réassignation
sexuelle.
Les problèmes posés par le non alignement de l’anatomie, du désir et de
l’identité sexuelle sont eux-mêmes questionnés par le développement de
l’endocrinologie139, mais surtout, dès l’entre-deux-guerres, par les technologies
chirurgicales. C’est ce que montre les travaux de Bernice Hausmann qui retrace
la continuité des pratiques médicales de prise en charge des personnes dites
« intersexuelles » dans l’Amérique des années 1930 – avec, dans les années 1950,
la mise en place de la première clinique de la transsexualité140. Le premier cas
connu de changement volontaire de sexe, par les seuls moyens de la chirurgie,
est celui du peintre danois Einer Wegener (devenue Lili Elbe), qui le raconte
dans son autobiographie141. L’ablation des testicules fut suivie d’une greffe
d’ovaires mais Wegener décéda deux ans plus tard suite à une nouvelle
opération, de vaginoplastie cette fois. Dans ce qui devient la clinique de
réassignation de sexe pour les personnes intersexuées, ou de transition vers un
autre sexe/genre pour les personnes diagnostiquées en trouble d’identité, les
organes génitaux visibles apparaissent souvent en contradiction avec d’autres
indicateurs. Dans tous les cas, en fonction des remédiations endocrinologiques
et chirurgicales, les organes sont investis ou désinvestis, détruits ou
reconstruits, mais les médecins et chirurgiens visent pour l’essentiel à rétablir à
la fois la binarité sexuée (des corps « lisiblement » féminins ou masculins et
libérés de toute ambiguïté) et la matrice hétérosexuelle (les corps transformés
doivent pouvoir fonctionner « normalement » en termes de sexualité génitale
adulte).
Dans ce décor, le clitoris compte et ne compte pas. Il est peu ou pas mobilisé
comme organe identificatoire s’il s’agit de rétablir ou d’établir le sujet comme
féminin – c’est alors un vagin susceptible d’être pénétré qui importe.
Inversement il est amené à compter, comme la citation en exergue en témoigne,
s’il s’agit d’établir un sujet masculin : homologue du pénis (du point de vue du
développement embryologique notamment), le clitoris peut être
symboliquement et matériellement utilisé pour élaborer un « pénis ».
Dans les années d’après-guerre, la clinique de la transsexualité devient le lieu
où s’explore la disjonction possible entre régimes « anatomiques »,
« psychiques » et « sociaux » du corps et de la subjectivité. La médecine des
états intersexuels (puis transsexuels) vise en effet à soigner les personnes dont
l’identité corporelle (ou de sexe) et l’identité psychique sont en conflit. En
1968, Robert Stoller propose une gradation du biologique au psychisme (et au
social) et définit plusieurs niveaux d’identification de genre pour l’individu142.
La notion qu’il propose de « core gender identity » pour dire l’intime
conviction de la personne d’appartenir à un sexe ou à un autre est notamment
retenue. Se développe ainsi une conception nouvelle et plus fine de la
complexité des identités sexuées, conception qui part plutôt de l’intériorité que
de l’extériorité, de la subjectivité plutôt que des traits biologiques (le plus
souvent conflictuels) et des normes sociales. La notion de « genre » prend alors
de l’épaisseur et met en son centre, pour parler de l’identité sexuée, les tensions
complexes entre dimensions psychiques, biologiques et sociales.
Dans les années 1990, le traitement des cas d’intersexualité, tel qu’il se
pratique aux États-Unis143, établit que l’identité de genre est modifiable jusqu’à
l’âge de 18 mois environ. Pour la minorité d’enfants qui présentent à la fois
ovaires et testicules ou qui sont marqués par des traits biologiques relevant des
deux sexes, des examens (évaluation du sexe chromosomique, radiographie de
l’appareil génital, etc.) permettent de « fonder » un choix. Si le sexe masculin est
attribué au nourrisson, la réparation initiale du pénis est généralement
entreprise au cours de la première année et une nouvelle intervention
chirurgicale est effectuée avant que l’enfant n’entre à l’école. La taille de
l’organe joue un rôle important : dans le cas des enfants dont le phallus est dit
« sous développé », la question n’est pas de savoir si c’est un pénis mais s’il est
« assez bon » pour le demeurer. Si à la fin de la période de traitement
hormonal, le tissu phallique n’a pas répondu, ce qui était un pénis potentiel (et
avait été désigné comme un « clitoropenis ») est maintenant considéré comme
un clitoris élargi (ou un « pénoclitoris ») – et la chirurgie reconstructive
correspondante peut être envisagée. L’analyse des corpus médicaux et des
pratiques effectives atteste du fait que, dans les cas d’intersexualité
contemporains, c’est principalement le « pénis qui fait le genre ». Un « bon
pénis » équivaut au masculin ; une absence de bon pénis équivaut au féminin. Il
est intéressant de noter alors que, pour faire du féminin, la question n’est pas
tant d’avoir des organes que de ne pas être doté·e de l’Organe. Il y a peu
d’attention à la taille ou la forme des organes génitaux féminins – en dehors de
l’évaluation de la capacité future du vagin à pouvoir accueillir un pénis – et
ceux-ci ne comptent pas comme critères en dernière instance.
Dans une logique de catégorisation binaire le sexe ne peut être que clitoris ou
pénis et l’enjeu consiste à dire quand le bourgeon cesse d’être un clitoris et
quand il devient un pénis (au niveau embryonnaire, le clitoris et le pénis sont la
même chose). Le phénomène de sexuation est conceptualisé par l’embryologie
comme un ensemble complexe où le masculin acquiert par activité et le féminin
par passivité. La différenciation dans le féminin est dite passive car ne
nécessitant pas d’apport hormonal ; dans le sexe masculin elle est dite active car
elle nécessite un apport d’hormones et d’androgènes. À défaut d’activité
hormonale, c’est « du » féminin qui se constitue – en bref c’est parce qu’il ne
devient pas mâle (action) que le fœtus advient féminin (par défaut). Ces
éternels mots d’actif (pour le masculin) et de passif (pour le féminin) sortent
tout droit des idéologies ordinaires les plus sexistes, et il ne fait pas de doute
que des descripteurs plus « égalitaires » pourraient être utilisés pour décrire ces
phénomènes biologiques et biochimiques complexes et qui doivent se lire à
diverses échelles. Cela a été autrefois bien montré par Emily Martin144 à propos
de l’usage des métaphores en biologie – dans son cas sur les fameux récits du
spermatozoïde actif pénétrant l’ovule gros et passif – et qui nous rappellent si
nécessaire le caractère hautement contingent et problématique dans lesquels les
questions et résultats de science sont souvent présentés, notamment lorsque la
sexualité est concernée145.
Le clitoris occupe néanmoins une place particulière dans la partie
reconstructrice des organes – notamment depuis une trentaine années, moment
où la chirurgie de réassignation de sexe se développe et propose des techniques
alternatives. La métaidoïplastie, par exemple, permet dans les cas de transition
female to male « d’élargir » progressivement le clitoris vers une taille moyenne lui
permettant « d’évoluer » vers un pénis. La technique est plus simple que la
phalloplastie – même si elle permet moins que cette dernière d’avoir des
rapports sexuels « avec pénétration ». Dans le cas d’une transition male to female,
les services spécialisés insistent aujourd’hui auprès de leurs patient·e·s sur le
soin apporté à la reconstitution du « clitoris ». Et l’attention porte sur la
préservation des sensations, le « néo-clitoris » étant vascularisé de façon à
« toujours remplir son rôle érogène ».
La moindre focalisation sur le phallus et la sexualité pénétrative d’un côté, la
visibilisation plus grande des « néo-clitoris » – après les seuls « néo-vagins » –
de l’autre, témoignent du caractère de plus en plus plastique non seulement des
technologies chirurgicales, mais aussi des « états du corps/sexe/genre » et des
répertoires sexuels. Le fait est aussi bien médical que social et relève autant de
la mobilisation des personnes « trans » que des pratiques sexuelles elles-
mêmes146. Ainsi, le parcours très normalisé du point de vue médical, très centré
sur les organes, et qui visait in fine à la transformation totale du sujet, à la
destruction de son appareil génital initial et la reconstruction d’un appareil
génital opposé, tend à être remis en cause. Si la clinique de la transsexualité a
historiquement fonctionné comme une machine à inscrire définitivement les
individu·e·s dans un sexe/genre de destination lisible (et donc à renforcer le
système dichotomique de genre), on sait qu’elle a aussi fonctionné comme une
machine à éliminer de l’homosexualité ou de la bisexualité en attendant des
sujets qu’ils pratiquent une sexualité hétérosexuelle et pénétrative. On le sait,
un des critères d’éligibilité à l’entrée dans les protocoles médicaux a longtemps
été de témoigner de cette adhésion à la matrice hétérosexuelle. Mais dès
l’origine de cette histoire, les sujets-patient·e·s ne sont pas restés inactif·v·e·s.
Ils·Elles ont flibusté les scripts médicaux, contesté la psychiatrisation de leur
condition, vécu d’autres vies sexuelles que celles qui leur étaient assignées.
Ils·Elles se sont évidemment emparés des ressources disponibles et les ont
réinterprétées, resignifiées. Un espace politique subjectif s’est ainsi ouvert dans
les interstices des protocoles médicaux et des plateformes techniques, qui ont
dû composer avec ces détournements et revoir leurs visions simplistes et
binaires des futurs possibles. Pour toutes et tous, un espace politique et
personnel s’ouvre ainsi avec ou sans organes, ou avec de « néo-organes », et il
trouble l’espace corporel, subjectif, politique des possibles.
« Le fait que le pénis, le vagin, les seins et autres traits soient
nommés “parties sexuelles” est un acte qui réduit le corps
érogène à ces parties, et de ce fait, fragmente le corps pris
comme totalité »
Judith Butler, 1990147

En quête de promouvoir une nouvelle anatomie politique du clitoris, il se


peut, in fine, qu’on ne parvienne pas à se déprendre de quelques écueils majeurs.
Partons du premier, pour cheminer vers les autres. Le premier écueil tient à la
fétichisation de l’organe et de l’anatomie, à la focalisation sur la physiologie, à
l’adhésion aux méta-discours que la biologie ne cesse de produire et de faire
proliférer comme éléments d’explication de toute chose. Comme l’a montré
Donna Haraway, en se proposant de dire comment le monde fonctionne
« biologiquement », les sciences naturelles (la biologie) font bien plus et se
proposent aussi de dire comment il fonctionne « métaphoriquement »,
comment il se doit d’être « par nature »148. C’est que ses métaphores sont
puissantes. Elles le sont d’autant plus quand, saturant tout l’espace de la
signification, elles deviennent le seul langage disponible pour interpréter ce qui
est. C’est ce que nous suggère ici Judith Butler, questionnant la conception du
corps et de l’érotique qui est en jeu dans la production d’un corps « par
parties ». Il n’est pas d’usage d’employer le verbe « organiciser » pour décrire le
fait de concevoir le corps « par organe », d’avoir opéré son démembrement
pour ensuite le remembrer. « Organiciser » pourtant signifie aussi « provoquer
une lésion organique ». Que penser alors de ce qu’une conceptualisation
purement organique de la sexualité, de cette « réduction du corps érogène » à
ses parties fait au corps érotique ? Quelles sont les lésions ici à l’œuvre ? De
quelle nature sont les dommages ?
Étrangement, et c’est ce que nous nous proposons d’évoquer dans cette
dernière séquence, le clitoris n’est pas ou peu présent dans les écrits théoriques
des féministes lesbiennes (ou des lesbiennes féministes). Certes le clitoris a été
revendiqué comme contre-organe, comme pendant symbolique et réel du pénis
(par Iragaray par exemple) mais, pour l’essentiel, il n’est pas convoqué – car
l’enjeu de ce qu’il convient de déplacer est autre, se situe ailleurs. Il s’agit de
démonter l’imaginaire social dominant, la norme naturaliste et évidente
qu’incarne la sexualité hétérosexuelle – et qui est pénétrative et génitale, qui
tourne autour du pénis et du couple clitoris/vagin. Il s’agit au contraire de faire
valoir des contres expériences et des contre représentations qui ne se
définissent pas à partir de l’accouplement comme référence, qui ne sont pas
définies du point de vue du masculin et de l’expérience hétérosexuelle féminine,
qui ne sont pas centrés sur les seuls « organes ». Il s’agit de questionner la
fonction d’abord reproductive de l’ordre social et de genre produit par la
« naturalisation » de la sexualité, la sexualisation de l’éros et la biologisation du
sexe – afin de développer d’autres érotiques qui puissent être l’expression de
mondes et de vies autres.
L’expérience et l’existence lesbienne sont en elles-mêmes des résistances et
des démentis à l’assignation à la matrice reproductive, à l’injonction de l’acte
pénétratif, à la primauté de la jouissance construite autour du pénis.
« Lesbienne », écrit Monique Wittig, « est le seul concept que je connaisse qui
soit au-delà des catégories de sexe »149. L’anatomie politique de l’hétérosexualité
est à décentrer radicalement dans l’ensemble de ses propositions, biologiques,
sociales, politiques. C’est ainsi qu’il faut comprendre la critique faite par Wittig
à Iragaray. Dans son fameux texte « Ce sexe qui n’en est pas un », Iragaray
suggère, contre un système de représentation qui fait du « sexe-clitoris » un
« trou-enveloppe » qui « ne soutient pas la comparaison avec l’organe phallique
valeureux », que la « vulve » devienne le support d’une contre-élaboration.
Iragaray valorise l’auto-érotisme (et une sorte de pan-érotisme féminin) en
réinterprétant la « vulve ». « La femme se touche elle-même, écrit-elle, et est en
elle-même sans la nécessité d’une médiation. (…). La femme « se touche tout le
temps » sans que l’on puisse d’ailleurs le lui interdire, car son sexe est fait de
deux lèvres qui s’embrassent continûment. Ainsi, en elle, elle est déjà deux –
mais non divisibles en un(e)s qui se baisent »150. Contre l’assertion de l’enfant-
fille qui fait l’expérience « qu’elle n’a pas de sexe », Iragaray répond : « elle en a
au moins deux, mais non identifiable en un. Elle en a d’ailleurs bien davantage.
Sa sexualité, toujours, est au moins double, et encore plurielle »151. Le travail
d’Iragaray est donc une proposition subversive – mais de l’intérieur de la
théorie psychanalytique qu’elle se propose de réélaborer.
Cette localisation anatomique et imaginaire de la pluralité de la sexualité
féminine (ou lesbienne ?) n’emporte pas l’assentiment de Wittig, qui voit dans
la valorisation de la spécificité anatomique de la vulve, la réitération non
critique d’un discours qui ne cesse d’apposer ses « marques » et de « couper » le
corps des femmes en parties artificielles. Wittig rejette autant l’usage biologique
que symbolique de l’organe et refuse de mobiliser la biologie et son naturalisme
– pour « des motifs stratégiques ». L’entreprise de Luce Iragaray lui paraît
vouée à l’échec puisque « nous avons été forcées dans notre corps et dans notre
pensée de correspondre trait pour trait avec l’idée de nature qui a été établie
pour nous » mais « “homme” et “femme” sont des catégories politiques (pas
des données de nature) »152. La tradition psychanalytique ne peut être davantage
mobilisée puisqu’elle est, et reproduit, une institution qui fonde le sujet femme
sur une économie du manque, de la négation.
Les stratégies littéraires et philosophiques de Wittig pour sortir de cette
impasse sont doubles. Dans ses écrits littéraires, prolifèrent d’abord des
descriptions érotiques « monstrueuses » où des « organes » « inappropriés » sont
convoqués et dessinent les contours d’une contre-anatomie érotique du « corps
lesbien ». En mille morceaux, illisible, il devient inassimilable, subvertif153.
Teresa de Lauretis donne une portée émancipatrice à ce travail paradoxal de
Wittig : « Le démembrement du corps féminin, membre par membre, organe
par organe, sécrétion par sécrétion, est à la fois la déconstruction terme à terme
du corps anatomique féminin tel qu’il a été représenté ou cartographié par le
discours patriarcal. Le voyage et l’écriture ignorent cette carte, excèdent les
mots des maîres et exposent les intervalles qui les séparent, les trous de la
représentation (…) pour ré-imaginer, pour re-prendre, pour ré-écrire le corps
dans le cadre d’une économie libidinale différente »154. Le corps lesbien chez
Wittig est avant tout « réfractaire », et la reprise / détournement de la lesbienne
comme « monstre » est une opération qui vise la transfiguration, la
métamorphose, la figuration de corps inédits en termes anatomiques, érotiques
et politiques155. Mais en parallèle à l’évocation de cette corporéalité
inappropriable, Monique Wittig développe l’idée de l’apparition d’un « nouveau
sujet », le « sujet lesbien » unifié qui, restauré par l’acte de la parole, rend
obsolète les catégories patriarcales existantes et établit un monde autre.
L’érotique demeure illisible à l’ennemi – cependant que le sujet politique surgit,
unifié et souverain, en dehors de l’économie reproductive, déstabilisant le
schème conceptuel hégémonique.
Pour défendre les conditions de l’émergence du sujet lesbien (et possiblement
du sujet femme tout court), les lesbiennes féministes font un travail critique qui
déplace les contours de ce qui fait la norme. La promotion qu’elles font d’une
nouvelle « érotique » dans un rapport radicalement distancié de l’anatomie et
des organes questionne notre focalisation sur le « clitoris » comme organe
« raisonnable » de l’émancipation sexuelle et politique des femmes. Les lire,
c’est décentrer la sexualité et la jouissance de leur cadre habituel, les
déconnecter des impératifs qu’imposent la jouissance masculine et ce qu’elles
dictent aux femmes. À travers cette entreprise de « décolonisation » des corps,
du sexe/genre, de la sexualité et des identités, d’autres mondes surgissent. C’est
que les pratiques érotiques des femmes n’ont pas ou peu accédé à l’espace du
représentable ou du représenté, demeurant évanescentes ou cachées – jusque
dans les œuvres des femmes écrivains. Eve Sedgwick Kosofsky souligne ainsi le
manque de vocabulaire et de catégories adéquates pour nommer ce qui a cours
entre les femmes des romans de Jane Austen ; ou pour comprendre les
dimensions polymorphes et « plurisexuelles » de la poésie d’Emily Dickinson.
Tout lui semble anachronique dans les interprétations qui en sont données,
comme le fait de penser auteures et personnages dans le registre principal de
l’identité sexuelle ou de l’homosexualité156.
Sedgwick et bien d’autres dénoncent des assignations incapacitantes et
destructrices. Le domaine de l’érotique n’est pas réductible au « sexe » ou « à la
chambre à coucher » écrit ainsi Audre Lorde157, il est subversion radicale du
soi, de la relation aux autres, de la relation au monde. L’érotique en « termes
féminins » n’est circonscrit dans aucune partie spécifique du corps, ni même
dans le corps – il s’exprime, dirait Rich, comme « énergie diffuse »158. Il est une
ressource présente en chacune, enracinée mais inexprimée ; une ressource
réprimée et avilie, considérée comme signe de l’infériorité et du caractère
suspect des femmes. « L’érotisme », dit Lorde, est « une source intarissable de
stimulation et d’accomplissement pour la femme qui n’a pas peur de sa
révélation »159. Et elle conclut : « on ne peut pas considérer l’érotisme comme
un sentiment de seconde main. En tant que lesbienne Noire féministe, je
perçois, je connais et je comprends de façon particulière ces sœurs avec
lesquelles j’ai dansé passionnément, joué et même lutté »160.
Autre exemple : Adrienne Rich interprète « l’identification aux femmes »
comme une « fontaine potentielle du pouvoir féminin » qui est à la fois
« stoppée » et « gaspillée » sous le régime de l’institution hétérosexuelle161.
Partant de l’idée que la destruction sociale de l’identification première des
femmes est la clef pour éradiquer la suprématie masculine, elle suggère de
subvertir les connotations limitatives, historiquement cliniques et répressives,
de l’expérience que les lesbiennes, et plus largement les femmes, ont d’elles-
mêmes et des liens intimes (et érotiques) qui les lient. Elle convoque un
registre large d’expériences, à l’échelle de l’histoire des femmes comme de la vie
de chacune, bien au-delà de l’expérience sexuelle génitale. Ne pas limiter
l’érotique au « sexe » est, dirait Lorde, le moyen de reconquérir une
« puissance » « sombre », « ancienne » et « profonde » qui a été oblitérée162.
C’est à cet endroit de la production du sujet et de la possibilité d’existences
subvertissant les normes de genre et de la sexualité que Butler entreprend son
propre travail. Ce qui s’ouvre dans l’horizon contemporain des
corps/sexe/genre est pour elle une grande complexité de jeux sur le « fond » et
la « surface » des identités, la possibilité d’être divers et de se déplacer au-delà
de l’anatomie. Reprenant l’idée que le corps ne préexiste pas à son inscription
culturelle, qu’il n’est pas une surface en attente d’un marquage, qu’il n’est pas
« simple véhicule » donné en lui-même, Butler suggère que le corps s’élabore
selon les lignes culturelles – des « tabous » qui définissent les orifices et/ou les
organes qui peuvent ou non être utilisés dans les échanges sexuels par
exemple163. Il y a là matière à érotisation. Et les pratiques érotiques sont donc
en elles-mêmes déstabilisantes et transformatrices.
Les usages sont ici premiers qui déplacent les frontières de ce qu’est et fait un
corps, mais aussi de ce qui fait l’identité des sujets. Les déstabilisations,
recompositions, affirmations des identités ont lieu à partir des pratiques de soi
et des usages du corps, de leurs transformations et remastérisations matérielles,
des actes de langage et des interventions esthétiques – ce qui donne à la
catégorie de genre un sens élargi et fait d’elle un choix et une mise en acte
plutôt qu’une identité immuable, un faire et une performance ouverte plutôt
qu’un donné. La performance est le fait de toutes et tous, des sexes/corps
straight (qui se font refaire chirurgicalement par exemple) comme des
sexes/corps dissonant·e·s (fem, butch, homme efféminé, drag queen, trans). Elle
opère à travers les postures et attitudes, les détournements et artifices – mais le
rôle qu’y jouent les organes (le clitoris par exemple) n’est pas nécessairement ce
qui importe. Ceux-ci jouent au même titre que les autres accessoires qui
permettent la présentation ou l’exposition de soi, qui font la mise en corps de
la « comédie » humaine et le caractère toujours parodique du genre. Et Butler y
insiste : ce sont les capacités proliférantes (et pertubatrices) de ces mises en acte
du corps qui comptent. C’est dans ce jeu, nous dit-elle, que s’invente la
possibilité de nouvelles existences, de nouveaux sujets, d’autres avenirs. En bref
« ce qui fait un corps » est toujours et déjà bien plus que la présence de/d’un
organe. L’organe ne fait pas le corps et le corps ne fait pas l’identité.
L’invention est ailleurs.
Collection « Petite encyclopédie
critique »
Rokhaya Diallo, La France tu l’aimes ou tu la fermes ?, 2019.
Daniel Borrillo, Disposer de son corps : un droit encore à conquérir, 2019.
Vanessa Codaccioni, Répression - L’État face aux contestations politiques, 2019.
Sophie Wahnich, L’Intelligence politique de la Révolution française, nouvelle ed. 2019 (2012).
Francis Dupuis-Déri, Les nouveaux anarchistes – De l’altermondialisme au zadisme, 2 018.
Maud Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?, 2018
Audrey Célestine, Une famille française – Des Antilles à Dunkerque en passant par l’Algérie,, 2018
Sarah Abdelnour, Les Nouveaux Prolétaires, 2018
Pauline Delage, Droits des femmes, tout peut disparaître, 2018
Marie-Cécile Naves, Trump, la revanche de l’homme blanc, 2018
François Berdougo, Gabriel Girard, La fin du sida est-elle possible ?, 2017.
Frédéric Debomy, Finkielkraut, la pensée défaite, 2017.
Sélim Smaoui, Faites place . Novices en lutte, 2017.
Sara Garbagnoli et Massimo Prearo, La Croisade « anti-genre » Du Vatican aux manifs pour tous, 2017.
Philippe Blanchet, Les mots piégés de la politique, 2017
Éric Fassin, Populisme : le grand ressentiment, 2017
Séverine Chauvel, Course aux diplômes : qui sont les perdants ?, 2016
Lilian Mathieu, Prostitution : quel est le problème ?, 2016
Philippe Corcuff, Pour une spiritualité sans dieux, 2016
Manuel Cervera-Marzal, Pour un suicide des intellectuels, 2015
Philippe Blanchet, Discriminations : combattre la glottophobie, 2015
Philippe Corcuff, Mes années Charlie et après ?, 2015
Jean-Claude Kaufmann, Identités, la bombe à retardement, 2014 (r. 2015)
Vincent Goulet, Médias : le peuple n’est pas condamné à TF1, 2014
Philippe Corcuff, Les Années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, 2014
Fabrice Flipo, Pour une philosophie politique écologiste, 2014
Stéphane Lavignotte, Les Religions sont-elles réactionnaires ?, 2014
Éric Fassin, Gauche : l’avenir d’une désillusion, 2014
Jean-Claude Kaufmann, Identités, la bombe à retardement, 2014.
Philippe Corcuff, Polars, philosophie et critique sociale, 2013.
Lilian Mathieu, Columbo : la lutte des classes ce soir à la télé, 2013.
Sophie Wahnich, L’Intelligence politique de la Révolution française, 2012.
Philippe Corcuff, La Gauche est-elle en état de mort cérébrale ?, 2012.
Philippe Corcuff, Marx XXIe siècle. Textes commentés, 2012.
Philippe Poutou, Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule !, 2012.
David Belliard, Notre santé est-elle à vendre ? et 25 autres questions que tout le monde se pose sur la santé, 2012.
Philippe Caumières, Castoriadis : critique sociale et émancipation, 2011.
Christian Arnsperger, L’Homme économique et le sens de la vie Petit traité d’alter-économie, 2011.
Delphine Gardey (dir.), Le Féminisme change-t-il nos vies ?, 2011.
Philippe Corcuff, B.a.-ba philosophique de la politique pour ceux qui ne sont ni énarques, ni politiciens, ni patrons, ni
journalistes, 2011.
Irène Pereira, L’Anarchisme dans les textes. Anthologie libertaire, 2011.
José Luis Moreno Pestaña, Michel Foucault, la gauche et la politique, 2011.
ATTAC Le Capitalisme contre les individus. Repères altermondialistes, 2010.
Jacques Fortin, L’Homosexualité est-elle soluble dans le conformisme ?, 2010.
Lilian Mathieu, Les Années 70, un âge d’or des luttes ?, 2010.
Irène Pereira, Peut-on être radical et pragmatique ?, 2010.
Cédric Durand, Le Capitalisme est-il indépassable ?, 2010.
Stéphane Lavignotte, La Décroissance est-elle souhaitable ?, 2010.
Notes
1 https://lecourrier.ch/2018/05/29/un-clitoris-a-la-craie-leur-vaut-une-amende/
2 Les travaux anatomiques récents s’accordent à considérer que le clitoris ou, de façon plus appropriée « le complexe clitoridien »
ou « l’organe bulbo-clitoridien », est presque entièrement caché. Il est constitué de quatre parties : les piliers, le corps, le gland et
les bulbes et d’une partie externe (la plus connue) et interne (jusqu’à peu inconnue). Sa taille totale est estimée à environ 10 cm
https://odilefillod.wixsite.com/clitoris/anatomie
3 https://www.clitorosity.com/
4 Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007.
5 Gardey Delphine, « La part de l’ombre ou celle des Lumières : les sciences et la recherche au risque du genre », Travail, Genre et
Sociétés, 14, 2005, pp. 29-47 ; « Les sciences et la construction des identités sexuées. Une revue critique », Annales, Histoire,
Sciences Sociales, juin, 2006, pp. 649-673.
6 Falloppia Gabriele, Observationes anatomicae, Venice, 1561 (édition parisienne : 1562) non paginé.
7 Jacquart Danielle et Thomasset Claude, Sexualité et savoir médical au Moyen Âge, Paris, PUF, 1985.
8 Clément Michèle, « De l’anachronisme du clitoris », Le Français préclassique, n° 13, 2011, pp. 27-45.
9 Jacquart Danielle et Thomasset Claude, Sexualité et savoir médical…, op. cit.
10 Chaperon Sylvie, « Le trône des plaisirs et des voluptés : anatomie politique du clitoris, de l’Antiquité à la fin du XIXe siècle »,
Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 118, 2012, pp. 41-60.
11 La première occurrence du terme « kleitoris » est attribuée au traité d’anatomie rédigé en grec par Rufus d’Ephèse ( IIe siècle)
cf. : Ruelle Emile, Œuvres de Rufus d’Éphèse, texte collationné sur les manuscrits et traduit pour la première fois en français, avec une
introduction, Paris, Imprimerie nationale, 1879.
12 Clément Michèle, « De l’anachronisme du clitoris », art.cit.
13 Park Katharine, « The rediscovery of the clitoris. French medicine and the tribade, 1570-1620 », in Hillman David et Mazzio
Carla (dir.), The Body in Parts. Fantasies of Corporeality in Early Modern Europe, New York/London, Routledge, 1997, pp. 171-193.
14 Laqueur Thomas, La Fabrique du sexe : essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, PUF, 1992.
15 Park Katharine, « The rediscovery of the clitoris. French medicine and the tribade, 1570-1620 », op.cit.
16 Article « Tribades », Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle, appliquée aux arts, principalement à l’agriculture et à l’économie rurale et
domestique par une société de naturalistes et d’agriculteurs avec des figures tirées des trois règnes de la nature, De l’imprimerie de Crapelet,
Paris, Deterville, 1803-1804. vol. 34, pp. 408-411.
17 Paré Ambroise, Des monstres et prodiges, Genève, Droz, 1971 (édition originale, 1573).
18 Katarine Park, « The rediscovery… », art. cit., pp. 171-173.
19 Littéralement « époux-femmes ».
20 Bard Christine et Pellegrin Nicole (dir.), « Femmes travesties : un mauvais genre », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 10, 1999.
21 Jacques Duval, Traité des Hermaphrodits, accouchemens des femmes, et traitement qui est requis pour les relever en santé, et bien élever leurs
enfans, Rouen, L’imprimerie de David Geuffroy, 1612, p. 383.
22 Steinberg Sylvie, La Confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris, Fayard, 2001.
23 James Robert, Article « Tribades », Dictionnaire universel de médecine, volume 6, Paris, Rue Saint Jacques, 1748, p. 401.
24 Dreger Alice, Hermarphrodites and the Medical Invention of Sex, Harvard, Harvard University Press, 1998.
25 Ullerspreger Dr, « De la clitoredectomie comme traitement de l’hystérie de l’épilepsie et de l’aliénation », Annales médico-
psychologiques, Tome 2, 1869, pp. 443-445.
26 Scull Andrew, Favreau Diane, « Médecine de la folie ou folie de médecins. Controverse à propos de la chirurgie sexuelle au
XIX e siècle », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 68, juin 1987, pp. 31-44.
27 Laqueur Thomas, Le sexe en solitaire : contribution à une histoire culturelle de la sexualité, Paris, Gallimard, 2005.
28 Brown Baker Isaac, On the Curatibility of Certain Forms of Insanity, Epilepsy, Catalepsy, and Hysteria in Females, Londres,
Hardwicke, 1866, pp. 17-18.
29 Deslandes Léopold, De l’onanisme et des autres abus vénériens considérés dans leur rapport à la santé, Paris, Lelarge, 1835, pp. 430-
431.
30 Rapport daté de 1867 cité in Scull Andrew, Favreau Diane, « Médecine de la folie… » art. cit.
31 Ullerspreger Dr, « De la clitoredectomie comme traitement de l’hystérie », op. cit.
32 Chaperon Sylvie, Les Origines de la sexologie (1850-1900), op.cit.
33 Rodriguez Sarah W., « Rethinking the History of Female Circumcision and Clitoridectomy : American Medicine and Female
Sexuality in the Late Nineteenth Century », Journal of the History of Medicine and allied Sciences, Vol. 63, n° 3, 2007, pp. 324 - 347.
34 Chaperon Sylvie, Les Origines de la sexologie (1850-1900), Villeneuve d’Asq, Audibert, 2007.
35 De Ganck Julie-Tommy, « Cultiver la différence, histoire du développement de la gynécologie à Bruxelles », thèse de doctorat
en histoire, Université Libre de Bruxelles, 2016.
36 Garnault Diane, « Le ventre des femmes entre guerre et soin : les enjeux fantasmatiques de la gynécologie envisagés à partir de
la transplantation d’utérus », Thèse de doctorat en psychanalyse, Université Paris Sorbonne Cité, 2015.
37 Maines Rachel, Technologie de l’orgasme. Le vibromasseur, « l’hystérie » et la satisfaction sexuelle des femmes, Petite bibliothèque Payot,
Paris, 2012.
38 Freud Sigmund, « 20e Leçon. La vie sexuelle de l’être humain », Leçons d’introduction à la psychanalyse. Presses Universitaires de
France, 2013 (1922), pp. 313-329.
39 Ibid.
40 Laqueur Thomas, Le Sexe en solitaire…, op. cit., p. 17.
41 Irigaray Luce, « Psychanalyse et sexualité des femmes », Les Cahiers du GRIF, n° 3, 1974, pp. 51-63.
42 Horney Karen, La Psychologie de la femme, Payot, édit., Paris, coll. « Bibliothèque scientifique », 1971 (1926), p. 83.
43 Bonaparte Marie, « Notes sur l’excision », Revue Française de psychanalyse, XII, 2, 1948, pp. 213-232.
44 Irigaray Luce, « Psychanalyse et sexualité des femmes », art. cit.
45 Fouque Antoinette, « Qu’est-ce qu’une femme ? », in Fouque Antoinette (dir.), Génération MLF, Des femmes, Paris, 2008, pp.
15-28.
46 Wittig Monique, « On ne naît pas femme », La pensée straight, Paris, Balland, 2001, p. 87.
47 Rich Adrienne, La Contrainte à l’hétérosexualité et autres essais, Genève et Lausanne, Éditions Mamamélis et NQF, (1980) 2010.
48 De Lauretis Teresa, Theorie Queer et cultures populaires de Foucault à Cronenberg, Paris, La Dispute, 2007.
49 Molinier Pascale, « Pénis de tête ou comment la masculinité devient sublime aux filles », Cahiers du Genre, 2008/2 n° 45, pp.
153 à 176.
50 Koedt Anne, « The Myth of the Vaginal Orgasm » in Liberation Now, Notes from the Second Year, New-York, Radical Feminists,
1970, pp 37-41 : en français in « Le mythe de l’orgasme vaginal », Partisans, Libération des femmes, Année Zéro.
51 Reich Wilhelm, Die Funktion des Orgasmus: Zur Psychopathologie und zur Soziologie des Geschlechtslebens, Wien, Internationaler
Psychoanalytischer Verlag, 1927 ; Kinsey Alfred C., Sexual Behavior in the Human Male, Philadelphia, Saunders, 1948.
52 Gardey Delphine et Hasdeu Iulia, « Cet obscur objet du désir. Médicaliser les troubles de la sexualité féminine en Occident »,
Travail, Genre et Sociétés, n° 34, 2015, pp. 73-92.
53 Gardey Delphine, « Masters of Sex. Sciences, orgasme et société dans l’Amérique de la guerre froide », in Bréro Thalia et Farré
Sébastien (dir.), The Historians. Les séries décryptées par les historiens, Georg éditeurs, Genève, 2017, pp. 115-138.
54 Masters, William H., Virginia E. Johnson. Human Sexual Response, Toronto-New-York, Bantam Books, 1966.
55 Alfred C. Kinsey, Pomeroy Wardwell B, Martin Clyde E., and Gebhard Paul H., Sexual behavior in the human female,
Philadelphia, Saunders, I953.
56 Koedt Anne, « The Myth of the Vaginal Orgasm » op. cit.
57 Löwy Ilana, « Le féminisme a-t-il changé la recherche biomédicale ? Le Women Health Movement et les transformations de la
médecine aux États-Unis », Travail, genre et sociétés, vol. nº 14, nº 2, 2005, pp. 89-108.
58 Our Bodies Ourselves, New York, Simon & Schuster, 1971 ; The New Our Bodies, Ourselves : A Book by and for Women, New York,
Simon & Schuster, 1984 et A New View of a Woman’s Body, New York, Simon & Schuster, 1981.
59 Ibid.
60 Dickinson Robert Latou, A topographical Hand Atlas: Human Sex Anatomy (1932), Baltimore, Williams & Wilkins, 1949.
61 A New View of a Woman’s Body, op.cit.
62 Larousse Pierre, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, T. VIII, Paris, 1872, p. 203.
63 Cuvier Georges, Extrait d’observations faites sur le cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus Hottentote,
Mémoires du Muséum, T. III, 1817.
64 Ibid.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Merchant Carolyn, The Death of Nature ; Woman, Ecology and The Scientific Revolution, New York, Paperback, 1980 ; Haraway
Donna, Manifeste Cyborg et autres essais…, op. cit.
68 Pestre Dominique (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, volume 2 et 3, Paris, Seuil, 2015.
69 Le Vaillant François, Voyage de F. Le Vaillant dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne Espérance dans les années 1780, 81,
82, 83, 84 et 85, Tome 2, Lausanne, Chez Mourer, 1790, p. 255.
70 Cuvier Georges, Extrait d’observations faites… op. cit.
71 Raoul-Clair-Joseph Gaillard, « Étude sur les lacustres du Bas-Dahomey », L’Antropologie, T. 18, Paris, Masson et Cie, 1907.
72 Villeneuve Annie (de), « Étude sur une coutume Somalie : les femmes cousues », Journal de la Société des Africanistes, tome 7,
1937, pp. 15-32
73 Ibid., p. 28.
74 Chéron Georges, « La circoncision et l’excision chez les Malinké », Journal de la Société des Africanistes, 1933, tome 3, fascicule 2,
pp. 297-303.
75 Sindzingre Nicole, « Un Excès par défaut : excision et représentations de la féminité », L’Homme, 1979, tome 19, n° 3-4 ; « Le
plus et le moins : à propos de l’excision », Cahiers d’Études Africaines, Vol. 17, Cahier 65, 1977, pp. 65-75.
76 Couchard Françoise, L’Excision, Que sais-je ? Paris, PUF, 2003.
77 Fainzang Sylvie, « Circoncision, excision et rapports de domination », Anthropologie et Société, vol. 9, n° 1, 1985, pp 117-127.
78 Soheir A. Morsy, « Safeguarding Women’s Bodies: The White Man’s Burden Medicalized », Medical Anthropology Quarterly, New
Series, Vol. 5, Nº 1, 1991, pp. 19-23.
79 Gordon, Daniel, « Female Circumcision and Genital Operations in Egypt and the Sudan: A Dilemma for Medical
Anthropology », Medical Anthropology Quarterly, 5 (1), pp. 3-14.
80 Saïd Edward W., L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Points, 2015.
81 Dorlin Elsa, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, Paris, La Découverte, 2009.
82 Blanchard Pascal, Bancel Nicolas, Boëtsch Gilles, Thomas Dominic, Taraud Christelle, Sexe, race & colonies. La domination des
corps du XVe siècle à nos jours, Paris, La Découverte, 2019.
83 Peiretti-Courtis Delphine, « Quand le sexe incarne la race : le corps noir dans l’imaginaire médical français (1800-1950) », Les
Cahiers de Framespa, 22 | 2016, http://journals.openedition.org/framespa/4021.
84 Burton Antoinette, Burdens of History…, op.cit.
85 Ibid.
86 Groult Benoîte, Ainsi soit-elle, Paris, Grasset, 1975.
87 « En finir avec l’innocence », Entretien croisé entre Isabelle Stengers et Donna Haraway in Dorlin Elsa et Rodriguez Eva (dir.),
Penser avec Donna Haraway, Paris, Puf, 2012.
88 Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007.
89 « Aspects épistémologiques, théoriques et culturels de la recherche sur le genre en Afrique » interview de Maréma Touré Thiam,
Présence Africaine, vol. 197, nº 1, 2018, pp. 313-336.
90 Adrienne Rich, “Notes Towards a Politics of Location”, in Reina Lewis & Sara Mills (dir.), Feminist Postcolonial Theory : A
Reader, New York, Routledge, (1984) 2003, pp. 29-42.
91 Spivak Gayatri Chakravarty, Les Subalternes peuvent-elles parler ?, Paris, Amsterdam, 2009 (1988) ; Chandra Talpade Mohanty,
« Under Western Eyes: Feminist Scholarship and Colonial Discourses », Boundary 2, Vol. 12, No. 3, 1984, pp. 333-358.
92 Hay Margaret Jean, « Reviewed Work: The Hosken Report: Genital and Sexual Mutilation of Females by Fran P. Hosken »,
The International Journal of African Historical Studies, Vol. 14, No. 3,1981, pp. 523-526.
93 Hosken Fran P. The Hosken Report: Genital and Sexual mutilation of Females, Lexington, Women’s International Network
News, 1979.
94 Hay Margaret Jean, Reviewed Work: The Hosken Report…, op. cit.
95 Andro Armelle et Lesclingand Marie, « Les mutilations génitales féminines. État des lieux et des connaissances », Population, 71,
2, 2016, pp. 224-311.
96 Villani Michela, Médecine, sexualité et excision, Sociologie de la réparation clitoridienne chez les femmes issues des migrations d’Afrique sub-
saharienne, Thèse de Doctorat de sociologie, EHESS, Paris, 2012.
97 Thiam Awa, La Parole aux négresses, Paris, Denoël-Gauthier, 1978 ; El Saadawi Nawal, The Hidden face of Eva, London, Zed
Press, 1980 ; Accad Evelyn, L’Excisée, Paris, L’harmattan, 1982.
98 Parole recueillie in Villani Michela, Médecine, sexualité et excision, Sociologie…, op. cit. ; p. 341 et sq.
99 Debonneville Julien, Les Écoles de la servitude aux Philippines : des carrières migratoires de travailleuses domestiques aux processus
d’altérisation. Pour une approche socio-anthropologique des études postcoloniales, Doctorat en études genre, Université de Genève, 2016.
100 Guénif-Souilamas, Nacira. « L’altérité de l’intérieur », Marie-Claude Smouts (dir.), La Situation postcoloniale. Les postcolonial
studies dans le débat français. Presses de Sciences Po, 2007, pp. 344-352.
101 La France ne possède pas de législation concernant spécifiquement l’excision, mais punit celle-ci en tant qu’elle constitue une
mutilation, et par conséquent un crime.
102 En droit français : l’excision n’est pas nommée : les normes déjà existantes dans le code pénal telles que « infraction à la
personne, acte de torture et barbarie, violence ayant entrainé la mort sans intention de la donner » sont appliquées.
103 Foldès Pierre et Sylvestre Louis, « Results of surgical clitoral repair after ritual excision : 453 cases », Gynécologie, obstétrique &
fertilité, 2006, Dec, 34(12), 2006, 1137-1141 ; Foldès Pierre, Andro Armelle, Cuzin Béatrice, « Surgery after female genital
mutilation: a prospective cohort study », Lancet. 2012 Jul 14, 380 (9837).
104 Villani Michela, Médecine, sexualité et excision, Sociologie…, op. cit.
105 Parole recueillie in Martin Hélène, Bendjama Rebecca et Bessette-Viens Raphaëlle « Adapter le sexe au bien-être. La chirurgie
esthétique des organes génitaux féminins », in Gardey Delphine et Vuille Marilène, Les Sciences du désir. La sexualité féminine de la
psychanalyse aux neurosciences, Lhormont, Le Bord de l’Eau, 2018, pp. 213-228.
106 Vuille Marilène, « De nouvelles sciences pour de nouveaux problèmes ? La biomédicalisation de la sexualité féminine depuis
les années 1980 » in Gardey Delphine et Vuille Marilène (dir.) Les Sciences du désir…, op.cit., pp. 89-106.
107 Fishman Jennifer R., « Manufacturing Desire », Social Studies of Sciences, vol. 34, 2004, p. 187-218.
108 Giami Alain, « Santé sexuelle : la médicalisation de la sexualité et du bien-être », Le Journal des Psychologues, vol. 250, n° 7,
2007, pp. 56-60.
109 Preciado Beatriz, Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008, p. 31.
110 Martin Hélène, Bendjama Rebecca et Bessette-Viens Raphaëlle, « Adapter le sexe au bien-être. La chirurgie esthétique des
organes génitaux féminins », in Gardey Delphine et Vuille Marilène, Les Sciences du désir. op.cit. pp. 213-228.
111 Sara Piazza, « La nymphoplastie – Nouvelle modalité de l’insupportable du sexe féminin », Recherches en Psychanalyse [En
ligne], 17|2014, mis en ligne le 20 juin 2014 ; Piazza Sara, « Images et normes du sexe féminin : un effet du contemporain ? »,
Cliniques méditerranéennes, 2014/1 n° 89, p. 49-59.
112 Lesclingand Marie, Les Pratiques de mutilation génitales féminines entre condamnation et valorisation, prépublication,
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02110298
113 Martin Hélène, Hertz Ellen, Rey Séverine, « Une disgrâce commune. Pour une anthropologie symétrique des pratiques de
marquage du sexe », Daniela Cerqui (dir.), Mélanges en l’honneur de Mondher Kilani. BSN Press, 2015, pp. 103-122.
114 Lesclingand Marie, Les Pratiques de mutilation génitales… ibid.
115 Bader Dina, « Nationalisme sexuel : le cas de l’excision et de la chirurgie esthétique génitale dans les discours d’experts en
Suisse », Swiss Journal of Sociology, 42 (3), 2016, pp. 573-591.
116 O’Connell Helen et alii, « Anatomical relationship between urethra and clitoris », The Journal of Urology, 1998, 159, pp, 1892-
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117 Tuana Nancy, « Coming to understand: Orgasm and the Epistemology of Ignorance », Hipatia, 2004, 19, pp. 194-232.
118 Moore Lisa Jean et Clarke Adele E., « Clitoral Conventions and Transgressions: Graphic Representations in Anatomy Texts,
1900-1991 », Feminist Studies, Vol. 21, 2, 1995, pp. 255-301.
119 Lloyd Elisabeth A., The Case of the Female Orgasm. Bias in the Science of Evolution, Harvard University Press, 2005.
120 Basson Rosemary et al., « Report of the International Consensus Development Conference on Female Sexual Dysfunction :
Definitions and Classifications », Journal of Urology, vol. 163, n° 3, 2000, pp. 888-893.
121 Marilène Vuille, « Le désir sexuel des femmes, du DSM à la nouvelle médecine sexuelle », Genre, sexualité & société [En ligne],
12 | Automne 2014, mis en ligne le 1er décembre 2014, http://journals.openedition.org/gss/3240.
122 Cencin Alessandra, (Mé)connaissance du clitoris. Dynamique contemporaine du dévoilement anatomique, maîtrise en Études genre,
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123 O’Connell Helen, Hutson John et al., « Anatomical relationship between urethra and clitoris », The Journal of Urology, Vol. 159,
1998, pp.1892-1897 ; O’Connel Helen, Sanjevaan Kalavampara, Hutson John « Anatomy of the clitoris », The Journal of Urology,
Vol. 174, 2005, pp.1189-1195 ; O’Connell Helen, Raham Marzia, Cleeve Joan « The anatomy of the distal vagina: towards
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124 http://allodoxia.odilefillod.fr/ https://odilefillod.wixsite.com/clitoris
125 Buisson Odile, Foldès Pierre, Jannini Emmanuele & Mimoun Sylvain, « Coitus as revealed by ultrasound in one volunteer
couple », Journal of Sexual Medicine, vol. 7, 2010, pp. 2750-2754 ; Foldès Pierre et Buisson Odile, “The clitoridal complex : a
dynamic sonographic study”, Medicine, 2009, 6 (5) pp. 1223-1231 ; Buisson Odile, Qui a peur du point G ? Le plaisir féminin,
une angoisse masculine, J.-C. Gawsewitch, Paris, 2011 ; Foldès Pierre, Buisson Odile, « Clitoris et point G : liaison fatale »,
Gynécologie Obstétrique & Fertilité, vol. 35, 2007, pp. 3-5.
126 https://www.sophiawallace.art/cliteracy-100-natural-laws
127 https://www.media.mit.edu/publications/open-source-estrogen/ https://amystenzel.wixsite.com/vulvacademy
https://transhackfeminist.noblogs.org/post/2014/07/29/transhackfeminist-manifesto/
128 Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais…, op.cit.
129 Karkazis Katrina, Fixing Sex : Intersex, Medical Authority, and Lived Experience, 2008, Durham, Duke University, p. 203.
130 Kraus Cynthia, « La bicatégorisation par sexe à l’épreuve de la science. Le cas des recherches en biologie sur la détermination
du sexe chez les humains », in Gardey Delphine et Löwy Ilana (dir.), L’Invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et
du masculin, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2000, pp. 187-214
131 Dreger Alice, Hermarphrodites and the Medical Invention of Sex, op.cit.
132 Löwy Illana, « Intersexe et transsexualités : Les technologies de la médecine et la séparation du sexe biologique du sexe
social », Cahiers du Genre 2003/1 (n° 34), pp. 81-104
133 Révenin Régis, « Conceptions et théories savantes de l’homosexualité masculine en France de la Monarchie de Juillet à la
première guerre mondiale », Revue d’histoire des Sciences Humaines, 2007/2 n° 17, pp. 23 à 45.
134 Goldschmidt Richard, « Intersexuality and the Endocrine Aspect of Sex », Endocrinology 1 (4), 1917 ; pp 433-456.
135 Hirschfeld Magnus, Le Troisième sexe. Les homosexuels de Berlin, Paris, Librairie médicale et scientifique Jules Rousset, 1908.
136 Tamagne Florence, « L’identité lesbienne : une construction différée et différenciée », Cahiers d’histoire, 84, 2001, pp. 45-57.
137 Terry Jennifer, « The Lesbians under the Medical Gaze : Scientists Search for Remarkable Differences », The Journal of Sex
Research, Vol. 27, No. 3, 1990, pp. 317-339.
138 Löwy Ilana, « Intersexe et transsexualités : Les technologies de la médecine et la séparation du sexe biologique du sexe
social », Cahiers du Genre, 2003/1 (n° 34), p. 81-104.
139 Oudshoorn Nelly, Beyond the Natural Body : Archeology of Sex Hormons, London, Routledge, 1994.
140 Transsexualité est le terme retenu ici car il correspond au vocabulaire et aux conceptions de l’époque. Hausman Bernice,
Changing Sex, Tanssexualism, Technology and the Idea of Gender, Durham-Londres, Duke University Press, 1995.
141 Elbe Lili, Man into Woman, The first Sex Change, 1933, reed. Blue Boat Books, 2004.
142 Stoller Robert, Sex and Gender, New York, Science House, 1968 ; Chiland Colette, Robert Jesse Stoller, Paris, Puf, 2003.
143 Kessler Suzanne, “The Medical Construction of Gender: Case Management of Intersexed Infants”, Signs, Vol. 16, 1, Autumn,
1990, pp. 3-26.
144 Marignier Noémie, Les Matérialités discursives du sexe. La construction et la déstabilisation des évidences du genre dans les discours sur
les sexes atypiques, Thèse en sciences du langage, Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité, 2 volumes, novembre 2016.
145 Ibid.
146 Beaubatie Emmanuel, Transfuges de sexe. Genre, santé et sexualité dans les parcours d’hommes et de femmes trans’ en France, Thèse de
sociologie, EHESS, Paris, 2017.
147 Butler Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subvention de l’identité, Paris, La Découverte, 2005 (1990), p. 228.
148 Haraway Donna, How like a Leaf. An interview with Thyrza Nichols Goodeve. London & New York, Routledge, 1999, p. 24
149 Wittig Monique, « On ne naît pas femme », La Pensée straigth, Ballard, Paris, 2001.
150 Irigaray Luce. « Ce sexe qui n’en est pas un », Les Cahiers du GRIF, n° 5, 1974, pp. 54-58.
151 Ibid., p. 56.
152 Wittig Monique, « On ne naît pas femme »…, op. cit.
153 Chloé Jacquesson, « « Sautant en mille morceaux sans pouvoir m/e disjoindre complètement » : sur quelques effets d’illisibilité
dans Le Corps lesbien de Monique Wittig », Fabula-LhT, n° 16, « Crises de lisibilité », janvier 2016, URL :
http://www.fabula.org/lht/16 /jacquesson.html.
154 Teresa de Lauretis, « Quand les lesbiennes n’étaient pas des femmes : sur la portée épistémologique de La Pensée straight et du
Corps lesbien des années 1980 à nos jours », dans Marie-Hélène Bourcier et Suzette Robichon (dir.), Parce que les lesbiennes ne sont
pas des femmes, op. cit., p. 52.
155 Natacha Chetcuti, « Monique Wittig et Judith Butler : du Corps lesbien au phallus lesbien », dans Benoît Auclerc et Yannick
Chevalier (dir.), Lire Monique Wittig aujourd’hui, op. cit., p. 54.
156 Kosofsky Sedgwick Eve, « Jane Austen and the Masturbating Girl », Critical Inquiry, Vol. 17, No. 4 (Summer, 1991), pp. 818-
837.
157 Lorde Audre, « De l’usage de l’érotisme. L’érotisme comme puissance », (1978), Sister Outsider. Essais et propos d’Audre Lorde,
Editions Mamamélis, Carouge, 2003, pp. 55-62.
158 Rich Adrienne, « La contrainte à l’hétérosexualité et l›existence lesbienne », Nouvelles Questions Féministes, n° 1, mars 1981, pp.
15-43.
159 Lorde Audre, « De l’usage de l’érotisme… », art. cit., p. 56.
160 Ibid., p. 61.
161 Rich Adrienne, « La contrainte à l’hétérosexualite », art. cit., p. 39.
162 Lorde Audre, « De l’usage de l’érotisme. », art. cit.
163 Butler Judith, Trouble dans le genre… op. cit., p. 253.

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