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Journal de la Société des

Africanistes

Note sur les Badyaranké (Guinée, Guinée portugaise et Sénégal)


Madame Monique Gessain

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Gessain Monique. Note sur les Badyaranké (Guinée, Guinée portugaise et Sénégal). In: Journal de la Société des Africanistes,
1958, tome 28. pp. 43-89;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1958.1893

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1958_num_28_1_1893

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NOTE SUR LES BADYARANKÉ
(Guinée, Guinée Portugaise et Sénégal)

par
Monique GESSAIN

cours de deux séjours en 1946 et 1948-49 dans la région de


Youkounkoun (Guinée), nous avons eu l'occasion de recueillir quelques
renseignements sur les Badyaranké chez lesquels nous avons vécu
quelques jours. Aucune enquête importante n'ayant été faite à ce
jour sur cette population, nous pensons utile de réunir ci-dessous les
données dont nous disposons — données éparses dans la littérature
ou données recueillies par nous-même.
Les Badyaranké vivent dans une région de savane sud-soudanienne,
groupés autour des frontières du Sénégal, de la Guinée et de la Guinée
portugaise et sur des territoires faisant partie, administrativement, de
ces trois États (cf. carte n° 1). Il y a des Badyaranké au Sénégal au
sud-est du cercle de Casamance (subdivision de Vélingara : cantons du
Pakan et du Patiana), au nord-est de la Guinée portugaise
(circonscription civile de Gabu, regulado de Pachisse) et enfin au nord-ouest
de la Guinée . (circonscription de Youkounkoun, région du Badyar).
Les renseignements que nous avons pu trouver dans la littérature
concernent l'ensemble de ce petit groupe, seuls les Badyaranké de Guinée
ont été observés par nous-même.
Quelle que soit leur appartenance administrative, les Badyaranké
vivent groupés sur ou autour de la falaise du Badyar. Celle-ci (Chête-
lat) est constituée par une puissante masse de grès primaires siliceux
et de quartz très grossiers, ordoviciens, horizontaux ou peu plissés.
Haute de plus de 500 m vers le sud-est, se dressant au-dessus d'une
plaine basse et monotone, elle est visible de très loin dans le paysage
auquel elle donne une physionomie particulière.
Les Badyaranké sont mêlés à d'autres populations, généralement
peules. Cette association des Peuls et des Badyaranké rappelle celle
que l'on observe à quelques 80 km de là vers les premiers
contreforts du Fouta-D jalon où les crêtes sont habitées par des Bassari
alors que les Peuls occupent les plaines et les. plateaux.
44 SOCIETE DES AFRICANISTES
Ceux que nous appelons Badyaranké, du nom sous lequel on les
désigne le plus couramment actuellement en Guinée, sont connus sous

.... V

CERCLE DE CASAMANCE
Subdivision de Velingara

GUINÉE PORTUGAISE

CIRCONSCRIPTION CIVILE DE GABU


Regulado de Pachisse Circonscription de Youkounkoun

Carte № 1.
Localisation géographique des Badyaranké au Sénégal (très approximative),
en Guinée portugaise et en Guinée.

diverses appellations. En Guinée portugaise, ils sont appelés : Paxis-


sincas, Bambarancas, Badjaras, Bajarincas, Bajarancas, Badjarancas.
Bajatancas ou le plus souvent Pajadincas ou Padjadincas.
En Guinée, d'après Delacour (p. 287), les Coniagui les appellent
Khous ou Akhous, les Malinké Bigola ou Agola.
note sur les badyaranké 45

Histoire.
Comme celle de tous les habitants de la région, l'histoire des Badya-
ranké est très mal connue. Nous savons seulement que parmi les
habitants actuels de la région, les Badyaranké sont les plus anciennement
installés. Pour certains, les Fulakunda les y ont trouvés établis au
xvie siècle.
Bouchez 1 semble être le premier auteur qui se soit intéressé à
l'origine des Badyaranké dont il écrit en 1903 : « Les Badyarankés
constituent une famille nettement différente de celles qui habitent le Foutah,
mais assez mal définie » (p. 375). « II y a incontestable affinité entre
eux et les Malinkés dont un certain nombre habitent parmi eux, et
dont ils apprennent facilement la langue. D'autre part, il y a des
analogies entre eux et les Mandingues qui peuplent sur l'autre rive de
la Gambie les provinces sénégalaises du Sandougou, du Sine et même
du Netteboubou. Peut-être faudrait-il voir en eux, comme en ces
derniers, des débris de la grande invasion mandingue de Koli » (p. 376).
Après Bouchez qui traite des seuls Badyaranké, tous les auteurs
ont assigné aux Badyaranké une origine commune à tous les Tenda,
terme sous lequel les Peuls du Fouta-Djalon (d'après Técher, p. 632)
désignent un groupe de populations comprenant les Badyaranké, les
Coniagui, les Bassari, les Tenda Boeni, les Tenda proprement dits
(Maclaud, 1906, p. 119; Arcin, 1907; Delacour, 1912 et Técher,
1933, p. 632 qui range aussi parmi les Tenda les Tyapi). Coniagui,
Bassari et Badyaranké descendraient tous de compagnons de Koli
Tenguela, conquérant mandé parvenu dans la région vers le xive
(Arcin, Técher) ou le xvie siècle (Delacour, p. 289) ; Tenda Boeni
et Tenda Mayo seraient d'anciens Bassari islamisés et métissés.
Arcin (1907, p. 193) ajoute que les indigènes voisins désignent
parfois les Tenda sous le nom de « captifs de Koli » et Delacour
(1912 2, p. 290) précise : « Koniagui, Bassari et Badyaranké seraient
ainsi les descendants de la troupe de Koli. Il est à mentionner que,
dans leurs disputes, ces trois groupes se traitent mutuellement, en
s'insultant, de « captifs de Koli ». Mais deux Koli différents semblent
confondus par ces auteurs3. »
1. Bouchez, capitaine d'infanterie coloniale, chargé de la région du Labé, date son travail, publié
en 1903, de Boussourah, le 25 aoûtl902. Boussourah, village peul au sud-est du Badyar était alors
le chef-lieu du cercle dont dépendait administrativement le Badyar. Le travail de Bouchez était un
rapport de tournée.
2. Administrateur des colonies, A. Delacour a vécu à Youkounkoun, chef-lieu de la subdivision
dont dépend le Badyar, de février à juillet 1907 et de septembre 1909 à novembre 1910. Son travail
fut publié en 1912 et 1913.
3. L'histoire de Koli Tenguela est mal connue. Nous empruntons à J. Joire les renseignements
suivants (communication inédite) : < Le Koli Tenguella qui a fondé au Fouta-Toro, une dynastie
Denyanké, est du xvi* siècle. Le nom Tenguella est celui de son père adoptif, appelé Temela par
46 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Parlant des groupes qui constituent l'ensemble Tenda, Arcin écrit
(p. 189 et suivantes) que malgré « leurs affinités, nous devons faire
observer que leur parenté n'est pas encore bien prouvée » et il ajoute
que les Tenda « ont subi le joug du vainqueur Mandé ou Foula » et
se sont « fortement mélangés à lui ». Il précise même que « les hommes...
du Badyar... sont tous des métis de Malinké et Soninké avec
l'élément tenda autochtone. D'ailleurs ces deux races étaient faites pour
s'entendre, ayant à peu près les mêmes goûts et mêmes coutumes.
Mais l'élément malinké a influé fortement sur les Tenda dans le sens
d'un adoucissement des mœurs ».
Coutouly (1916 S p. 105) et plus tard Técher (1933, p. 639), plus
affirmatifs qu'ARCiN, considèrent la parenté entre Badyaranké,
Coniagui et Bassari comme nettement établie.
Nous devons aussi signaler que pour un auteur portugais, L. Cor-
reia Garcia, les Badyaranké seraient issus de croisements entre des
Tiliboncas (Mandingues) arrivés dans la région vers 1800 sous la
direction de Traman Sane ou Traman Kaba et de Coniagui autochtones.
Selon d'autres auteurs portugais, la tradition ferait venir les
Badyaranké de l'Est avec Sundiata.
Il semble très vraisemblable que l'existence des Badyaranké dans

les chroniques portugaises et Teniedda par le Tarik el Fettach et le Tarik es Soudan, qui fut tué
à Diara en 1512 par Amar Komdiago frère de l'Askia Songahaï Mohamed Touré. Koli venait du
Badiar et ce serait après la mort de son père adoptif Tenguella qu'il se serait établi au Fouta
Того, ayant battu le Sultan du Djolof, le Tarik es Soudan ajoute : « Depuis lors, le pays de Djolf
fut divisé en deux parlies, une moitié sur laquelle régna Kalo, fils de Salta Tayenda, et l'autre
moitié eut pour souverain Damel, le principal Caïd du Sultan de Djolf. »
Temela a donc bien vécu jusqu'au début du xvi» siècle et Koli lui a survécu. Mais cela ne
signifie pas que ni Temela, ni Koli établirent la puissance mandingue au N'Gabu et au Badiar. Il
devait y avoir plus de deux siècles que des peuls malinkinisés, Deniankés (nobles) et Koliagbés
(serfs de Koli) avaient imposé leur pouvoir dans ces régions dont l'origine remonterait à Fa Koli
Sissoko Fa ou Farba de Soundiata Keita, empereur de Mali au xm« siècle. Celui-ci avec Ouali
Dione, fils de Soundiata, Tira-Makan et deux autres lieutenants de Soundiata, après la victoire de
leur empereur sur le roi des Sossos Soumangourou Kannte aurait pourchassé vers l'Ouest et vers
le Sud les Sossos, Kissis, Timénés, Mendenis et occupé tout le bassin de la Gambie s'imposant aux
Tyapis, Tendas, Diallonkés et certains Sérères sur la rive nord de ce fleuve. Le royaume des
Cocolys existait en Guinée dès l'arrivée des Portugais, c'est-à-dire sans doute avant la naissance
de Koli Tenguella. D'après José Mendès Moreira, Tirama ou Tiramaca est indiqué comme
fondateur au хшв siècle d'un royaume de Farim de Gabu.
Dès le milieu du xv« siècle, les navigateurs portugais (Ca da Mosto Diogo Gomez) trouvèrent
les royaumes Wolofs qui dépendaient encore peut-être du Bourba Djolof (Brac du Oualo, Damel
du Cayor, Bour du Sine et Bout du Saloum) et les indications qu'ils donnent obligent à faire
remonter à une date très antérieure la fondation de l'empire Diolof par N'Diadiane N'Diaye,
contemporain de Manyesa Wali Dione, Bour sine d'origine Guelowar, c'est-à-dire mandingue.
Tous ces événements remontent, semble-t-il, à l'invasion mandingue des lieutenants de Soundiata.
C'est pourquoi les chroniques du Fouta Того et les traditions woloves font de Koli un fils de
Soundiata et confondent Koli Tenguella et Fa Koli Soussoko. » Cf. également J. Joire, 1955.
Découvertes archéologiques dans la région de Rao (Bas-Sénégal). Bulletin de l'I.F.A.N., t. XVII,
série B, n» 3-4, p. 249-333.
1. D'après l'article de Coutouly publié en 1916, les notes de celui-ci t ont été rédigées en 1908
et relues en 1910 ». François de Coutouly, administrateur des Colonies, a commandé le cercle de
Kadé d'où dépendait administrativement à cette date la région du Badyar.
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 47
la région qu'ils occupent actuellement remonte au xnie siècle, à
l'époque du premier Koli (cf. note 3, p. 43).
« La toponymie semble confirmer de nombreuses traditions selon
lesquelles (les Badyaranké) auraient occupé autrefois une aire, plus
vaste qu'aujourd'hui... jusqu'en haute Gambie anglaise » (Richard-
Molard). Richard-Molard pense que « le fait surtout qu'ils n'aient
réussi à sauvegarder leur originalité que dans la région de la montagne
et à la faveur de son abri atteste leur caractère de peuple résiduel
refoulé ».
En ce qui concerne les Badyaranké de Guinée, nos informateurs nous
ont dit (1946-1949) que le premier village occupé par les Badyaranké
s'appelait Kol Tenguela. Ce village, détruit, aurait été situé entre la
falaise du Badyar et le village d'Ipodu, et l'on verrait encore des
ruines de ses cases. Puis fut fondé le village de Maru, village père de
tous les villages actuels.
L'histoire récente des Badyaranké nous est un peu mieux connue.
Delacour (1912, p. 295) rapporte qu'au siècle dernier « les
Badyaranké souffrirent quelque peu des incursions que les Coniagui firent
sur leur territoire, mais ce ne furent jamais que des guerres peu
sérieuses qui les divisèrent et... les Badyaranké battus par Sellou
Koyada, chef du Ngabou, vinrent se réfugier chez eux, et, grâce à
leur aide, ils purent expulser l'envahisseur ».
Administrativement, la région immédiatement voisine de la falaise
du Badyar relève de la Guinée x depuis 1898 (cf. Delacour, p. 370) ;
elle fît partie du cercle de Boussoura à partir de 1900. Ce cercle fut
supprimé par un arrêté du 7 juillet 1904 et son territoire fut disloqué,
le Badyar étant alors rattaché au cercle de Kadé auquel fut rattaché
à son tour en 1906 le cercle des Coniagui créé en 1904 (cf. Delacour,
p. 373).
DÉMOGRAPHIE.
Si la plaine du Badyar est très peu peuplée (parfois moins de 1
habitant au kilomètre carré), le pied de la falaise et le plateau dépassent
parfois 10 habitants au kilomètre carré (Richard-Molard, 1946).
La démographie des Badyaranké nous est connue par plusieurs
documents.
Guinée.
Les renseignements les plus anciens concernant les Badyaranké de
Guinée (cf. carte n° 2) semblent être ceux recueillis par l'expédi-
1. L'ancienne Guinée française est devenue indépendante en septembre 1958 en conservant les
mêmes limites territoriales.
48 SOCIETE DES AFRICANISTES
30'

es
oUlandji Futa O Sintyam oAkadaso
Pate
KennebaO

G U I NÉE

• Badyaranké e Badyaranké + autre ethnie о Autre ethnie + Badyaranké


SBwa DE MUSEOLOGIE OU MUSÉt M L'HOMMC.
Carte № 2.
Les villages habités par des Badyaranké en Guinée, en 1947. (Les villages habités seulement par
des Badyaranké sont figurés par des cercles noirs, ceux où les Badyaranké sont les plus nombreux
mais où habitent aussi quelques représentants d'autres populations sont figurés par des cercles
noirs et blancs et les villages où habitent quelques Badyaranké à côté de nombreux représentants
d'autres populations sont figurés par des cercles blancs.)

tion Gouldsbury qui traversa quelques villages Badyaranké entre le


19 et le 21 février 1881. A Pajady, il attribue 100 maisons, à Tumbin
150, à Sukutu 50, et à Kutan 100, sans spécifier d'ailleurs que les
habitants de ces villages aient été des Badyaranké 1.

1. Il est remarquable que Gouldsbury, ayant suivi la piste Timbi-Sunkutu-Kutan qui traverse
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 49
Les renseignements que nous donne en 1903 le capitaine Bouchez
après une tournée dans le Badyar en 1902 sont plus précis. « Le
recensement de 1901... lui attribue... un total de 3.000 âmes environ... Ce
chiffre de 3 000 paraît être d'ailleurs au-dessous de, la réalité... Les
Badyarankés... comptent pour moitié environ du total » (p. 375).
Bouchez pense donc que les Badyaranké étaient plus de 1 500 en
Guinée en 1901-1902, répartis en 7 villages, auxquels il accorde
respectivement la population suivante :
— Maro : 350 habitants environ ;
— Paokan : 75 habitants (« à coup sûr, le moins important et le plus
délabré des villages Badyaranké», p. 383) ;
— Timbi : plus de 250 habitants (« Timbi, gros village Badyaranké,
qui compte pour 250 habitants mais en a certainement davantage »
p. 384) ;
— Kapparabina : 150 habitants environ ;
— Ouankan : 80 habitants ;
— Soukountou : plus de 100 habitants (« Soukountou qui compte
pour 100 habitants et en a certainement davantage », p. 386) ;
— Koutan : 350 habitants К
A côté des Badyaranké, Bouchez décrit au Badyar un village
habité depuis quelques années (écrit en 1902, p. 381) par des Fula
venant du Labé et une douzaine de villages Fulakunda. « Les Fou-
lacoundas », écrit-il, « habitent des villages groupés, placés dans les
intervalles des villages badiarankés (p. 379). Ils vivent en bonne
intelligence avec (les Badyaranké) mais en simples voisins sans aucune
trace de suprématie les uns sur les autres ; ces bonnes relations
excluent d'ailleurs toute idée de mélange, il n'y a jamais d'alliance
entre eux » (p. 380).
Coutouly pense que les Badyaranké sont environ 2 000 vers 1908-
1910, chiffre d'un quart supérieur à celui donné par Bouchez pour
1902 ; ces 2 000 sujets sont répartis dans les villages suivants :
— Maru : 592 habitants ;
— Kaparabina : 173 habitants ;
— Kaorané : 110 habitants ;
— Sounkoutou : 293 habitants ;
— Kutan : 723 habitants (soit un total de 1 891 habitants).

le plateau du Badyar, n'ait pas vu l'existence de la haute falaise qui termine ce plateau. Aussi cet
accident géographique, le seul important de la région, ne figure-t-il pas sur la carte de Gouldsbury.
On pourrait dire que celui-ci n'a pas vu la montagne parce qu'il marchait dessus. En effet,
Gouldsbury n'a jamais atteint le bord de la falaise.
1. Bouchez note la disparition < depuis plusieurs années > (p. 385) du village de Payali (p. 374)
ou Pagady (p. 385) au nord-est du Badyar, village figurant sous le nom de Payady sur la carte de
Gouldsbury qui lui attribue 100 maisons en 1881.
Africanistes. 4
50 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Certains villages notés par Bouchez ne sont pas signalés par Cou-
touly, mais ce dernier assigne aux villages qu'il décrit un nombre
bien supérieur à celui noté par Bouchez dans les mêmes villages six

.
ans plus tôt. Les « villages » de Coutouly représentent peut-être un
groupe de hameaux recensés sous un seul nom de village, comme cela
se passait encore récemment dans la région.
A l'époque de la première grande guerre mondiale, Mgr Lerouge г
(p. 275) accorde une centaine de cases à Wankan.
Les données des recensements de 1944 à 1947 pour la circonscription
de.Youkounkoun, dont fait partie la région du Badyar, habitée par
les Badyaranké de Guinée ont été récemment (1950 c) publiées par
nous-même. Dans ces données sont comprises celles concernant les
Badyaranké. Ceux-ci étaient 2 483 en 1944, 2 599 en 1945 et 2 568 a
en 1947, 1282 hommes et 1286 femmes. La répartition de ces
2 568 Badyaranké selon le sexe et l'âge est donnée par la figure
n° 1.
Les 2 568 Badyaranké recensés en 1947 habitaient 24 hameaux
différents. Quatre de ces hameaux sont habités uniquement par des
Badyaranké, ce sont Udaya, Bagadať, Wâkan et Timbi. Six autres
sont habités par une très forte majorité de Badyaranké mais quelques
sujets non Badyaranké (de 1 sujet à 3 familles) sont venus habiter
ces hameaux ; ce sont Kutâ, Kaparabina, .Paonka, Sunkutu, Kao-
rane, Maru. Enfin, quelques sujets Badyaranké habitent 14 autres
hameaux dont la majorité des habitants appartiennent à d'autres
groupes ethniques ; ce sont Nemataba, Udaba, Pakay, Kenneba,
Ulandji Futa, Sareboido, Kantutu, Sintyam Pate, Sambalde, Sam-
bailo, Sanka, Akadaso, Fulamâsa et Kâ Beseuro.
En effet, aujourd'hui, sur le territoire habité par les Badyaranké,
habitent de nombreuses autres populations. Il s'agit là d'un fait
récent et important. En 1912, omettant les quelques Fula que Bouchez
a signalés dès 1902 au Badyar, Delacour pouvait encore écrire :
« A l'exception des Foula-Kounda du Badyar installés dans des
villages distincts à côté des Badyaranké, les installations d'étrangers sur
leur territoire n'ont jamais été qu'éphémères. » Mais en 1946, la
situation a complètement changé et l'on rencontre au Badyar, vivant côte

1. Premier évêque de Guinée, Mgr Lerouge y séjourna quarante-sept ans, de 1903 à 1950. Il fit
de nombreux séjours à la mission de Youkounkoun, en particulier pendant la guerre de 1914-1918.
C'est à cette époque qu'il visita les Badyaranké. .
2. Auxquels, pour obtenir le nombre exact de Badyaranké de Guinée, il faudrait probablement
ajouter quelques sujets vivant dans d'autres régions guinéennes. Il est vraisemblable que quelques
Badyaranké, originaires de Guinée, se trouvaient aussi à cette époque à Dakar ; peut-être
quelques-uns servaient-ils alors dans l'armée française ; mais le total des Badyaranké originaires de
Guinée et vivant hors des frontières de ce pays ne devait pas dépasser une dizaine d'individus au
maximum.
NOTE SUR LES BADYARANKE 51

2 1

II
-fin 6
9
18 22
1O ■ ■ 16
21 1282 Of 1286 О 43
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22 ■6 1 14
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71 78
61 1О4
118 114
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119 119
I^^^^^^^^^S 2о ^
126 128
131 85
145 157
2OO Ш^ШЕ^Ш1^Я^^^Ш |^ННН|| 212
2ОО 15О 1ОО 5О 5О ЮО 15о 2ОО
Fig. 1. — Pyramide des âges des Badyaranké de Guinée, 1947, n : 2 568 hommes et femmes.

à côte et souvent dans les mêmes villages, des Badyaranké, des Fula-
kunda, des Peuls du Futa, des Mandingo, des Sarankolé, etc..
Les 13 355 habitants du Badyar- appartiennent à 21 groupes
ethniques différents ; ils habitent 96 hameaux dont 40 seulement
sont peuplés d'individus appartenant à une seule population et 56 par
des sujets appartenant à 2 groupes ethniques au moins : 24 hameaux
sont habités par des sujets de 2 groupes ethniques, 7 par des sujets
de 3 groupes ethniques, 9 par des sujets de 4 groupes ethniques,
5 par des sujets de 5 groupes ethniques, 5 par des sujets de 6 groupes
ethniques, 1 par des sujets de 7 groupes ethniques, 2 par des sujets
de 8 groupes ethniques, 1 par des sujets de 9 groupes ethniques,
1 autre par des sujets de 12 groupes ethniques et 1 dernier par des
sujets de 15 groupes ethniques différents. Mais malgré cette étonnante
juxtaposition de populations diverses sur un même territoire, les
mariages intergroupes sont très rares. Pour l'ensemble du Badyar,
52 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
nous n'en avons pas trouvé plus de 38 dont étaient issus 51 enfants.
En ce qui concerne en particulier les Badyaranké, 4 mariages ont eu
lieu entre Badyaranké et non Badyaranké. D'un mariage d'un homme
Mandingo avec une femme Badyaranké sont issus 3 enfants ; d'un
mariage d'un homme Badyaranké avec une femme Fula est issu
1 enfant ; 2 mariages mixtes sont restés sans descendance : l'un entre
un homme Badyaranké et une femme Fula, l'autre entre un homme
Fulakunda et une femme Badyaranké. C'est dire combien l'endo-
gamie reste forte chez les Badyaranké.
Que penser de l'avenir démographique des Badyaranké ? Il semble
compromis. En effet, alors que de 1943 à 1948, l'accroissement des
Peuls du Badyar — Fulakunda et Fula — a atteint 41 %, il n'était
que de 11 % pour les deux gros villages Badyaranké, Maru et Kutâ.
En fait, Kutâ avait perdu 16 % de sa population pendant ces cinq
années, et l'ensemble ne s'était accru que grâce à l'accroissement de
Maru (43 %) vraisemblablement dû à la proximité de la grande route
automobile de Koundara à Saréboido qui dessert ce village. Mais il
ne faut pas accorder une trop grande importance à ces chiffres car
la population de Maru et de Kutâ ne comprend pas absolument que
des Badyaranké et les recensements administratifs manquent de
précision à cet égard.
La proportion des enfants de moins de quinze ans par rapport à
l'ensemble de la population nous donne malheureusement un indice
allant dans le même sens. Cette population est inférieure chez les
Badyaranké (36 %) à celle des autres groupes ethniques du Badyar
(42 % chez les Sarankolé, 41 % chez les Fulakunda et 37 % chez les
Fula).
Tous ces indices marquent peut-être le déclin • des Badyaranké S
maîtres de la terre dans la région qu'ils habitent, mais aujourd'hui
dépassés en importance et en nombre par leurs envahisseurs Peuls et
Mandingues. Notons cependant que Lavergne de Tressan (1953)
attribue aux Badyaranké de Guinée 3 268 sujets, selon un
recensement officiel de 1950. Ce chiffre montrerait une importante
augmentation du nombre des Badyaranké de Guinée ; mais correspond-il
à un réel accroissement de population ou à des déplacements de
population, de part et d'autre des . frontières administratives ou

1. Cependant le D' Nanamadou Diakité, en tournée au Badyar en 1946, étudiant le nombre de


grossesses qu'avaient eu une centaine de femmes ménopausées appartenant à 1 village sarankolé,
I village fulakunda, 1 village mandingo et 1 village badyaranké, trouvait les chiffres suivants :
5, 6 chez les femmes Sarankolé, Fulakunda et Mandingo, mais 6 chez les femmes Badyaranké.
II observait aussi que dans les mêmes villages, les naissances et les décès s'équilibraient, sauf dans
le village badyaranké où il y avait un net excédent de naissances. Il semble difficile de rien
conclure de chiffres intéressants mais trop faibles pour avoir une réelle valeur statistique.
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 53
marque-t-il seulement des imprécisions de recensement ? Nous ne
pouvons que donner ce chiffre, sans préjuger de son exactitude.
Sénégal.
Richard-Molard (1946), d'après des statistiques officielles, compte
1 380 Badyaranké en haute Casamance en 1945, dans la subdivision
de Velingara, dans les cantons du Pakan et du Patiana. Dans cette
région vivent également des Peuls, des Mandingues et des Sarankolé.
Le recensement de novembre 1958 compte 1200 Badyaranké dans
la subdivision de Velingara, dans les cantons du Pakan (village de
Tonghia) et du Patiana (villages de Paroumba, Patim Kouta, Dia-
ladian et Somma) *.
Guinée portugaise.
D'après le recensement de 1950 2, les Badyaranké étaient à cette
date en Guinée portugaise 1 101, 570 hommes et 531 femmes, répartis
comme suit :
— 3 hommes dans la circonscription de Baf ata ;
— 2 hommes dans la circonscription de Cacheu ;
— 27 hommes et 28 femmes dans la circonscription de Farim ;
— 538 hommes et 503 femmes soit 1 041 sujets dans la
circonscription de Gabu.
C'est dire que le seul groupement important de Badyaranké habite,
en Guinée portugaise, la région immédiatement limitrophe du canton
du Badyar de la subdivision de Youkounkoun, région habitée de
l'autre côté de la frontière par les Badyaranké de Guinée.
A ces renseignements, s'ajoutent les quelques précisions
démographiques suivantes :
— la proportion des sexes est de 107.3 hommes pour 100 femmes
pour l'ensemble du groupe Badyaranké. Pour les sujets de 15 à
54 ans, le sex-ratio est de 93 . 0 ;
— sur 100 hommes mariés, 66 n'ont qu'une femme, 24.7 deux
femmes et 9 . 3 plus de deux femmes.
La région de Guinée portugaise habitée par des Badyaranké l'est
aussi par des Peuls et des Mandingues.
Si l'on voulait faire une estimation très approximative du nombre
total de Badyaranké vivant au Sénégal, en Guinée et en Guinée
portugaise, vers 1950, on pourrait donc proposer un chiffre d'environ

1. Nous remercions M. A. Colombani, chef de la subdivision de Velingara qui a bien voulu nous,
communiquer ces chiffres.
2. Avant cette date, les Badyaranké de Guinée portugaise étaient recensés comme Mandingues,
sans aucune distinction.
54 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
5 000 à 5 500, en tenant compte des données dont nous disposons pour
la Guinée (2 483 en 1944, 2 568 en 1947 et 3 268 ? en 1950), la Guinée
portugaise (1 101 en 1950) et le Sénégal (1 200 en 1958).

Anthropologie physique.
Anthropométrie.
Bouchez. (1903) nous donne la première description
anthropologique des Badyaranké : « De taille moyenne, d'un noir foncé... ils
rappellent par leur aspect et par certains caractères généraux aussi
bien le type de plusieurs populations de la côte (de Casamance par
exemple) que celui de diverses branches de la race Mandé » (p. 375).
Cette description pour succincte qu'elle soit pose le problème des
rapports entre les Badyaranké avec, d'une part les populations côtières,
d'autre part avec les Mandé, problème que posera à nouveau Arcin
quelques années plus tard.
Arcin (1907) p. 192, décrivait les Badyaranké, les Coniagui, les
Bassari, les Tenda proprement dits et les Tenda Boeni : « Ils sont
suffisamment musclés, agiles, mais de taille peu élevée, et, en général,
assez maigres. Ils sont très prognathes et dolichocéphales. Leur front
étroit rappelle celui de certains Malinké : la glabelle et les arcades
sourcilières assez saillantes, le front droit, jusqu'aux bosses frontales
qui,. elles, sont développées d'une façon extraordinaire. La forme du
crâne, cylindrique et allongé, est encore exagérée par la façon dont
ils taillent leurs cheveux.
« La profondeur de la racine du nez, le développement des arcades
sourcilières, plus grandes que celles des Mandé de race supérieure,
leur donne des yeux plus enfoncés, un regard plus dur et plus
sournois. Ces divers caractères peuvent s'appliquer à tous les Tenda et
Badyaranké. Si quelques-uns ont la physionomie relativement
intelligente, un grand nombre a l'air sauvage et abruti. »
Malgré tout ce que cette description comporte de subjectif, elle
est intéressante, parce qu'elle affirme la ressemblance physique des
Badyaranké avec les Coniagui, Bassari et Tenda, tout en posant à
nouveau le problème aujourd'hui encore pendant de la. parenté
existant entre les Badyaranké et les Mandingues. -
Cinq ans après Arcin, Delacour écrit (1913, p. 31) : « Bien que
venus à la même époque et dans les mêmes conditions, les différents
rameaux du peuple tenda (Coniagui, Bassari, Badyaranké) ne
paraissent pas avoir une origine unique : l'examen de leurs caractères
physiques paraît confirmer cette opinion. Le Bassari est en effet de
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 55
teint plus clair que le Koniagui, il est en теще temps moins
grossièrement charpenté : il a les chevilles et les poignets plus fins et sa
musculature est d'un ensemble plus harmonieux ; le Badyaranké se
rapproche physiquement plus du Koniagui que du Bassari 1. »
Voici enfin la description de Coutouly(1916, p. 106) : « Ayant
surtout gardé, semble-t-il, de leurs divers métissages, l'empreinte
Malinké et Soninké, les Badiarankés sont généralement de taille
moyenne, de constitution robuste 2, très noirs de peau et doués d'un
prognathisme accentué de la mâchoire inférieure : ils... onť souvent
une barbe assez fournie. L'arcade sourcilière est chez eux très
développée et très saillante. »
Une étude anthropométrique faite par nous-même (M. de Les-
trange, 1950), portant sur 100 hommes et 100 femmes Badyaranké
de Guinée, la plupart originaires du village de Kutâ, permet de donner
une description plus précise des Badyaranké. Ceux-ci appartiennent
au groupe des noirs de la savane, du type généralement appelé par
les anthropologues sénégalais, soudanais ou campestres. Parmi les
autres populations noires, ce groupe est caractérisé par sa dolicho-
céphalie associée à une grande taille, à des jambes longues, à un nez
saillant et assez étroit et à un visage relativement mince et fin. Tous
ces caractères se retrouvent chez les Badyaranké dolichocéphales
(indice céphalique des hommes 74.1), mésoprosopes (indice facial
morphologique des hommes 85.3) mais fortement platyrrhiniens
(indice nasal des hommes 89.1). Leur stature est sur-moyenne à la
limite des grandes tailles (taille 1,696 m) et ils sont brachycormes
(indice cormique des hommes 49.1). Ces chiffres ont été confirmés
par les travaux du Dr Pales (p. 246) portant sur 61 hommes
Badyaranké de Guinée, qui a trouvé des chiffres très proches des nôtres
(indice céphalique 74.1 ; taille 1,681 m ; indice cormique 50.3).
Tous ces caractères rapprochent les Badyaranké de leurs voisins et
parents (cf. p. 58) les Coniagui et Bassari, mais cependant si l'on
compare les trois groupes Badyaranké, Coniagui et Bassari, on voit
que les Badyaranké ont la taille plus élevée, le crâne plus grand, le
visage plus large et plus arrondi, le nez plus large et les yeux et la
bouche plus petits que les Coniagui et les Bassari. Cette taille élevée
et ce nez large rapprocheraient les Badyaranké d'un groupe Mandyago-
Dyola étudié par H. V. Vallois (1941). Les Badyaranké seraient plus
1. En transcrivant cette description, nous ne pouvons omettre de remarquer quel excellent
observateur était Delacour. Pas un mot de cette rapide description anthropologique ne se trouve
démenti par l'étude anthropométrique faite quarante ans après le séjour de Delacour en Guinée.
(Cf. M. de Lestrange, 1950).
2. A propos de l'état de santé des Badyaranké, signalons que Mgr Lerouge avait noté la fréquence
du goître, « mais le plus souvent bénin » (p. 119) dans cette population.
56 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
proches du type néosoudanais, les Coniagui et Bassari du type vieux
soudanais (cf. M. de Lestrange, 1950).
Crêtes populaires digitales.
Un aspect particulier de la morphologie des Badyaranké a été
étudié : nous avons recueilli en 1949 les crêtes papillaires digitales et
palmaires de 67 Badyaranké de Guinée (51 hommes et 16 femmes).
Seules jusqu'ici les crêtes digitales * ont été publiées en même temps
que celles d'un millier d'autres noirs d'Afrique occidentale. Nous
reprendrons ci-dessous les données des seuls Badyaranké.

Méthodes.

Les empreintes ont été étudiées, d'une part selon la méthode


classique (répartition des empreintes en Arcs, Boucles et Tourbillons),
.

d'autre part, selon la méthode que nous avons décrite (M. de


Lestrange, 1953 a) et utilisée pour diverses séries de noirs d'Afrique
occidentale (M. de Lestrange. 1953 b et M. Gessain, 1957 b).
Nous renvoyons le lecteur à ces publications, nous contentant de
rappeler ici brièvement que nous pensons préférable de noter pour
chaque dessin papillaire digital, non seulement sa forme (Arc, Boucle
et Tourbillon), mais sa direction (radiale, axiale ou cubitale). Nous
avons ainsi défini 18 types de dessins (selon la forme du dessin et
sa direction), soit : A, Ar, Au 2, tA, tAr, tAu, Bu, Bur, Bus, Br, Brr,
Brs, T, Tr, Tu, Ts, Tsr, Tsu. Les dessins digitaux ayant été notés
selon cette méthode, il est ensuite facile de les grouper d'une part en
Arcs, Boucles radiales, Boucles cubitales et Tourbillons selon la
méthode classique et d'autre part, en dessins radiaux, axiaux et
cubitaux, selon la méthode que nous avons mise au point.

Résultats.

La répartition des 18 types de dessins que nous avons définis, chez


les hommes et les femmes Badyaranké, • est donnée aux tableaux 1
et 2, à la main droite et à la main gauche, en chiffres absolus.
Nous avons ensuite groupé ces 18 types d'une part selon la forme
du dessin en Arcs (A), Boucles (Bu et Br) et Tourbillons (T et Ts),

1. Les empreintes palmaires, à l'étude, seront prochainement publiées.


2. Nous avons noté u la direction cubitale ou ulnaire et s, comme les auteurs anglo-saxons,
les dessins à deux centres.
Tableau № 1.
Répartition des 18 formes de dessins papillaires digitaux
chez 51 'hommes Badyaranké de Guinée.

A Ar Au tA tAr tAu Br Brr Brs Bu Bur Bus T Tr Tu Ts Tsr Tsu n


1
I 1 18 1 ^ 10 7 4 4 47
OJ II 2 3 2 20 1 10 2 5 4 49
о III T-t 2 38 2 T-l 3 1 1 49
Q IV 15 3 1 7 21 2 49
v 40 4 6 50

V] 3 5 2 131 11 2 28 42 5 6 6 244

I 2 23 3 1 6 4 1 7 47
Xi II 2 T-t 26 1 7 5 3 1 3 1 50
i III 1 1 36 6 5 1 50
Oее IV
v 38 4 4 2 48

s 5 1 T-l 123 5 16 6 18 5 5 10 195

Sd + g 8 1 6 3 254 16 2 44 8 60 10 11 16 439

Tableau № 2.
Répartition des26' 18 formes de dessins papillaires digitaux
chez femmes Badyaranké de Guinée.

A Ar Au tA tAr tAu Br Brr Brs Bu Bur Bus T Tr Tu Ts Tsr Tsu n

I 2 6 1 4 3 16
II 3 2 8 2 1 16
O III 1 13 1 1 16
Q IV 10 1 2 3 16
V 15 1 16

S 6 2 52 тЧ 1 7 2 5 4 80

I 6 1 5 1 2 16
O II тН 8 4 16
III 1 1 2 11 тЧ тЧ 16
a IV 2 1 10 1 2 3 16
U v 13 2 1 16

4 1 1 2 48 2 12 тЧ 6 3 80

10 3 1 2 100 3 1 19 3 11 7 160
58 SOCIETE DES AFRICANISTES
d'autre part selon la direction du dessin en dessins radiaux (r),
axiaux (a) et cubitaux (u).
Le petit nombre de nos sujets ne nous a pas permis d'étudier les
différences entre les mains droite et gauche et entre les différents
doigts. Aussi, nous sommes-nous contentés de calculer ci-dessous au
tableau n° 3, pour les hommes et pour les femmes, doigts et mains
réunis, la répartition des dessins digitaux selon la forme (Arcs, Boucles
et Tourbillons) et selon la direction (radiale, axiale et cubitale).

Tableau № 3.
Répartition des dessins papillaires digitaux (A, Br, Bu, T et Ts)
chez les Badyaranké de Guinée.

A Br Bu SB T n
Ts ST doigts r a u n
doigts

Chiffres h. 9 9 272 281 112 37 149 439 28 62 349 439


absolus f. 14 2 104 106 33 7 40 160 5 29 126 160

h. 2.0 2.0 61.9 64.0 25.5 8.4 33.9 (99.9) 6.3 14.1 79.4 (99.8)
f. 8.7 1.2 64.9 66.2 20.6 4.3 25.0 (99.9) 3.1 18.1 78.7 (99.9)

Différences sexuelles;
Malgré le très petit nombre de nos sujets féminins, les différences
sexuelles de nos Badyaranké sont conformes à celles que l'on
rencontre classiquement dans toutes les populations, à savoir un
pourcentage d'Arcs plus élevé et un pourcentage de Tourbillons
(Tourbillons à un ou plusieurs centres) plus faible chez les femmes que chez
les hommes.
Comparaisons raciales. Les Badyaranké parmi les autres noirs
d'Afrique occidentale.
Nous comparerons les Badyaranké aux autres groupes de noirs
d'Afrique occidentale d'une part selon le système A В T, d'autre
part selon le système r a u.
Système АВТ. Nous disposons actuellement de renseignements
sur plus de 50 groupes de noirs d'Afrique. Au cours d'un récent travail
(M. Gessain, 1957) auquel nous empruntons les chiffres suivants,
nous avons montré que les pourcentages d'Arcs, de Boucles et de
Tourbillons des noirs « soudanais » jusqu'ici étudiés étaient compris
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 59
entre les chiffres suivants : A : 3 à 16 % ; В : 54 à 74 % ; T : 15 à
40 %.
Les chiffres que nous trouvons pour les Badyaranké (A : 2 % pour
les hommes ; 8. 7 % pour les femmes ;B : 64.0 et 66. 2; T: 33. 9 et 25.0)
se trouvent compris à l'intérieur des limites de ces « soudanais », à
l'exception du % d'Arcs des hommes qui est légèrement plus faible (2 %
au lieu de 3 %). Mais nous pensons intéressant de comparer les
Badyaranké non seulement à l'ensemble des .«soudanais» mais à chacune des
séries de « soudanais » dont nous disposons. Ces données sont réunies
au tableau ci-dessous n° 4.

Tableau № 4.
Répartition des dessins papillaires digitaux (A, Br, Bu, T et Ts)
chez les noirs d'Afrique Occidentale de type « soudanais ».

n A Br Bu SB T Ts ET

Toucouleur, Leschi 1949 362 sujets h. 7.1 1.9 52.9 54.8 33.7 4: 37.7
Sérère, Leschi 1949 109 — h. 5.4 2.6 55.9 58.5 30.3 5.7 36.
Sarakolé, Leschi 1949. . . 50 — h. 6.4 2. 51.2 53.2 37.6 2.6 40.2
Ouolof-Lebou, Leschi
1949 1 092 h. 6.4 2.2 55.3 57.5 31.4 4.1 35.6
Malinké-Bambara, Leschi
1949 80 ___ h. 5.8 1.8 57.5 59.3 27.1 6.6 33.7
So ce - Dyola - Mandy ago
1949 104 h. 10.4 4.1 54.5 58.6 27. 3.3 30.3
Soudanais en général, 2 993 doigts h. 7. 1.7 61.4 63.2 22.4 7.4 29.8
Lestrange 1953 b 829 — f. 10.6 1.5 55.6 57.1 24.3 7.8 32.2
Coniagui, Dankmeyer 59 sujets h. 6.4 4.1 60.3 64.4 29.2
1947 60 — f. 10. 2.5 64. 66.5 23.5
Coniagui, Lestrange 2 542 doigts h. 6.9 3.3 59.0 62.3 25.2 5.5 30.8
1953 b 176 — f. 11.3 1.1 55.1 56.2 27.8 4.5 32.3
Bassari, Dankmeyer 1947 141 sujets h. 4.4 3.5 70.9 74.4 21.1
57 — f. 16.7 2.1 65.6 67.7 15.6
Bassari, Lestrange 1953 b 1 491 doigts h. 3.2 2.4 64.4 66.8 23.5 6.3 30.
336 — f. 6.8 1.8 62.4 64.2 22.5 6.4 28.8
Dogon, Gessain 1957 182 — h. 7.1 1. 57.6 58.7 31.3 2.7 34.
Sara, Gessain 1957 x . . . 955 — h. 9.7 2.8 62.8 65.6 13.6 10.9 24.6
488 f. 9.8 2.4 60. 62.4 18.2 9.4 27.6
Badyaranké 439 h. 2.0 2.0 61:9 64.0 25.5 8:4 33.9
(présent travail) 160 — f. 8.7 1.2 64.9 66.2 20.6 4.3 25.0

1. Nous avons montré dans cette publication pourquoi nous pensions pouvoir grouper les
Sara avec les soudanais en ce qui concerne les crêtes papillaires digitales.

On peut remarquer que les hommes Badyaranké par leurs


pourcentages de Boucles (64%) et de Tourbillons (33 . 9 %) sont plus
proches d'hommes soudanais en général (B : 63 . 2 % et T : 29 . 8 %),
des groupes d'hommes Coniagui (B : 64.4 et 62.3%; T : 29.2 et
60 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
30.8 %), d'un groupe d'hommes Bassari (B : 66.8 %'et T : 30 %) et
du groupe d'hommes Malinké-Bambara (B : 59.3 % et T : 33.7 %)
que de toute autre série soudanaise. La ressemblance entre les
pourcentages de Boucles et de Tourbillons des hommes Badyaranké, «
soudanais en général » et Coniagui est particulièrement intéressante parce
qu'elle confirme les résultats de l'enquête anthropométrique : les
hommes Badyaranké sont par leurs crêtes digitales comme par leurs
mesures anthropométriques, prpches des hommes soudanais et parmi
ceux-ci ils sont particulièrement proches de leurs voisins et parents
Coniagui et proches aussi des Bassari. Ils ne s'éloignent guère non plus
d'un groupe de Malinké-Bambara et ceci est d'autant plus
intéressant que la « mandinguisation » des coutumes badyaranké est bien
connue ; ce fait montre sans doute qu'à cette mandinguisation des
coutumes s'est associé un métissage biologique. .
В T.
Hommes soudanais en général. 63.2 29.8
Hommes Coniagui 62.3-64.4 29.2-30.8
Hommes Badyaranké 64 . 0 33 . 9
En ce qui concerne les femmes Badyaranké, nous disposons de trop
peu de sujets pour tirer de leur étude aucune conclusion mais nous
pouvons cependant remarquer la grande ressemblance des
pourcentages d'Arcs, de Boucles et de Tourbillons de notre série de femmes
Badyaranké et de ceux d'une série de femmes Coniagui :
A В Т
Femmes Coniagui (Dankmeyer, 1947) 10. 66.5 23.5
Femmes Badyaranké 8.7 66.2 25.0
Système r au. — Nous ne disposons malheureusement que de peu
de renseignements concernant les valeurs des pourcentages de dessins
radiaux, axiaux et cubitaux chez les noirs d'Afrique. Nous avons
réuni au tableau ci-dessous n° 5, les pourcentages de dessins r a u
correspondant aux séries de soudanais que nous avons étudiées à
ce point de vue (M. Gessain, 1957 b), à côté de notre actuelle série de
Badyaranké. Nous avons pour cela réuni les deux sexes puisque les
valeurs de r a u sont indépendantes du sexe (M. Gessain, 1957 b).
Notre série de Badyaranké est proche des valeurs que nous avons
trouvées pour les soudanais : r: 3à 7.7; a : 15.5 à 20.1 etu : 72.5
à 77.3 %. Mais elle les dépasse cependant légèrement en ce qui
concerne les pourcentages de dessins axiaux (15. 1, valeur très légèrement
inférieure à la plus faible valeur rencontrée jusqu'ici : 15.5) et ceux
de dessins cubitaux (79.2, valeur légèrement supérieure à la valeur la
plus forte rencontrée jusqu'ici : 77.3).
note sur les badyaranké 61
Tableau № 5.
Répartition des dessins papillaires digitaux r, a et u,
chez les noirs d'Afrique Occidentale de type «soudanais».

n doigts г a u

Coniagui 2 719 7.3 20.1 72.5


Bassari 1 827 5.1 17.5 77.3
Autres soudanais. . . . 3 824 5.7 19.0 75.2
Dogon 194 3.0 19.5 77.3
Sara 1 443 7.7 15.5 76.6
Badyaranké 599 5.5 15.1 79.2

L'étude de notre série de Badyaranké nous permet donc d'accorder


à l'ensemble soudanais des pourcentages de dessins г a u qui
atteignent respectivement 3 à 7.7 % 15.1 à 20.1 % et 72.5 à 79.2 %.
Ces fréquences nous obligent à reconsidérer ce que nous écrivions pré-
décemment des % respectifs de r a u dans les différents groupes
raciaux africains (M. Gessain, 1957). Mais nous ne disposons pas
encore de séries assez importantes ni assez nombreuses pour rien
affirmer à ce sujet.

Linguistique.
Si la langue des Badyaranké n'a encore fait l'objet d'aucune étude
sérieuse, un court vocabulaire badyaranké a cependant été un des
premiers vocabulaires africains recueillis, puisqu'il a été publié dès
1854 par Koelle. Celui-ci appelle la langue des Badyaranké Padsàde
et il donne la transcription d'environ 200 mots (nombre de 1 à 20,
termes de parenté, noms de parties du corps, de vêtements, d'armes,
de plantes cultivées, d'animaux, termes relatifs à l'habitation,
21 adjectifs et 26 formes verbales) et une vingtaine de phrases
donnant en particulier des exemples de pluriel. L'informateur de Koelle,
John Wali, était né à Udàdsà, lieu que nous pensons être l'actuel
Udaya. Koelle classe le pàdsàde (avec le dyola) parmi les langues
du nord-ouest de l'Atlantique. Mais depuis le travail de Koelle,
remarquable à la date à laquelle il a été fait,. aucun progrès n'a été
fait dans la connaissance de la langue des Badyaranké.
Bouchez à qui nous devons les renseignements les plus complets
dont nous disposions sur les Badyaranké ne nous dit qu'une phrase
sur leur langue : « Leur idiome guttural n'a pas de parenté évidente
avec ceux (de la race mandé). » Coutouly (1916, p. 106) note : « la
langue badyaranké, dure et gutturale, nous a semblée fortement
mélangée de tyapi ».
62 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
L'opinion de Bouchez est celle de tous les auteurs qui ont
jusqu'ici classé le badyaranké dans divers groupes linguistiques. Migeod
(p. 36) classe le pàdsâde dans son groupe occidental. Delafosse en
1914' classe le badyaranké dans le sous-groupe' sénégambien du
groupe guinéen côtier qui constitue avec les groupes sérère-peul et
bantou la quatrième catégorie de ses langues africaines; le
badyaranké est aussi cité dans le travail de Johnston (1919 et 1922).
Dix ans plus tard, Delafosse (in Meillet et Cohen, 1924, p. 557)
classe le badiar (ou bad'ar ou padžad ou padžade ou bigola ou agola
ou axus) dans son groupe sénégalo-guinéen. Greenberg (1949)
classe le biafada-pajade dans la sous-famille ouest-atlantique de la
famille Niger-Congo et Westermann (1952, p. 16) classe la langue
badyara ou pajade ou badyaranké ou pajadinca avec les langues des
Coniagui et Bassari parmi le groupe tenda appartenant au groupe
des langues ouest-atlantiques. Westermann ajoute que les
Badyaranké se nomment eux-mêmes Badyar ou Badyare, qu'ils sont appelés
Badyaranké par les Mandingues et qu'ils sont aussi connus sous les
noms de Gola, Agola, Bigola et Axus. Lavergne de Tressan (1953)
cite le badyar comme étant la langue des U-dyadé.
Actuellement, en Guinée portugaise, Luis Correia Garcia prépare
un travail sur la langue Badyaranké (cf. Mota, 1947) dont il est dit
dans « A Habitaçao Indigena... » qu'elle possède certaines formes de
préfixes du pluriel qui sont la « caractéristique commune des langues
semi-bantoues du littoral ». En Guinée, la mission catholique d'Ourous
(R. Pères du Saint-Esprit) prépare également un travail sur la langue
des Badyaranké.

Ethnologie.

L'ethnographie Badyaranké reste à faire. Les quelques


renseignements obtenus jusqu'ici sont presque inexistants. Les publications
portugaises décrivent les Badyaranké comme étant presque totalement
islamisés et mandinguisés. Pour Teixeira de Mota (Guiné Portuguese,
1954, p. 283), les Badyaranké de Guinée portugaise constituent le
maillon le plus occidental d'une chaîne de petits groupes paléonigri-
tiques et ce groupe a subi l'influence des mandingues depuis plusieurs
siècles et plus récemment celle des peuls ; il ajoute que les
Badyaranké sont actuellement presque complètement islamisés. En fait,
jusqu'à une date très récente (1950), les recensements de Guinée
portugaise ont compté les Badyaranké parmi les Mandingues. Il semble
donc que les Badyaranké de Guinée aient mieux conservé leurs
traditions que leurs parents de Guinée portugaise. Nous n'avons aucun
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 63
renseignement en ce qui concerne ceux du Sénégal. Nous essaierons
de rapporter ci-dessous tout ce que nous avons recueilli soit dans la
littérature soit surtout au cours de nos enquêtes personnelles
concernant l'économie, l'organisation sociale et politique et la vie religieuse
des seuls Badyaranké de Guinée. Notre enquête a été faite
essentiellement au village de Maru, mais aussi à Kiitâ, Paonka, Nemateba et
Bagadať. Les données que nous publions ici ne sont que des notes
d'enquête, telles que nous les avons recueillies entre 1946 et 1949,
que nous livrons ici sans élaboration, en espérant ainsi rendre service
à quelques chercheurs.

Economie.
L'économie Badyaranké est avant tout basée sur Y agriculture,
technique où le Badyaranké excelle. Ceci a été noté dès, 1903 par
Bouchez (p. 377 et 378) : « Les soins de la terre sont chez eux en très
grand honneur... C'est... la population masculine valide, tout entière
et sans autre préoccupation, qui cultive ; tous les matins, elle se réunit
dans le village au son du tama (tambour à deux peaux), et, après
quelques danses, part en même temps aux champs ; cette cérémonie
qui indique ici, non pas comme ailleurs un encouragement au travail,
mais une sorte de culte pour lui, se renouvelle vers midi au retour des
lougans \ puis à 2 heures et au coucher du soleil pour le nouveau départ
et à la rentrée du soir.
Cette assiduité donne des résultats sur ces terrains fertiles et bien
irrigués ; les champs de gros mil des villages badiarankés sont superbes
et couvrent des étendues bien supérieures à celles
proportionnellement défrichées par la plupart des groupements indigènes d'autres
contrées. Il est vrai que cette culture est la seule ; peu ou pas de riz,
à peine quelques arachides. »
A ces renseignements s'ajoutent ceux donnés par Coutouly
(p. 106) : « Le coton est, avec le gros mil, la culture la plus en honneur
chez les Badiarankés ; et nous avons été bien des fois étonnés au cours
de tournées au Badiar, du nombre considérable de « lougans » (ou
champs) de « cotonniers », alternant avec les lougans de gros mil. Le
coton cultivé, est le coton indigène (gossypium hirsutà), surtout du
genre « koroni-ni » (petit coton), aux soies courtes et fines, d'une
belle teinte blanche. »
Aujourd'hui, si les cultures de gros mil et de coton restent
essentielles, on trouve aussi chez les Badyaranké comme l'a noté Richard-
Molard en 1946, du petit mil, du fonio, du maïs, du riz, des arachides,
1. Terme sous lequel les auteurs de langue française ont souvent désigné les champs, en Afrique
occidentale.
64 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
un peu de manioc et de patates et des haricots. Enfin, les femmes
Badyaranké se sont fait- une spécialité de la culture des oignons
qu'elles vendent au marché de Saréboido. -
Un travail récent sur la culture des mils et de l'arachide en Guinée
portugaise dans les cercles de Bafata et de Gabu (Cabral, 1958)
donne comme rendements moyens à l'hectare pour 1953 : 6 à 800 kg
pour l'arachide, 4 à 500 kg pour le petit mil et 3 à 500 kg pour le
sorgho, les rendements les plus élevés atteignant 8 à* 1200 kg pour
l'arachide et 4 à 600 pour les mils. Arachide et mils représentent
60 % de la surface cultivée. La surface moyenne cultivée par chaque
famille Badyaranké du cercle de Gabu (région de Pirada) serait de
1,68 ha pour l'arachide, 1,90 ha pour le petit mil et 1,13 pour le sorgho.
Cueillette, chasse et pêche sont importantes chez les Badyaranké que
Coutouly (p. 106) décrit comme « chasseurs infatigables » \ L'arc
badyaranké entièrement fait de bambou (« bois » et «corde ») est le
même que l'arc coniagui ou bassari.
A certaines époques la récolte de caoutchouc a été importante au
Badyar. Mgr Lerouge signale à ce sujet (p. 275) que les forgerons
fabriquent de « petits couteaux à lame recourbée qui serviront à
saigner les lianes : le jus de citron et l'urine quelquefois sont les
ingrédients avec lesquels on coagule le latex ».
Bouchez note en 1903 (p. 378) : « ce n'est que pour le commerce
qu'ils récoltent le miel, ne tirant que peu ou pas de parti de la cire ;
les ruches sont toutefois assez nombreuses dans les bantans voisins
des villages. » Quelques années plus tard, Coutouly écrit (p. 106) :
« Les Badiaranké se livrent aussi, avec succès, à l'élevage des abeilles,
pour lesquelles ils placent dans les arbres des ruches en bambou
tressé, dont ils recueillent le miel deux fois par an. »
Bouchez écrivait (p. 377) : « les Badyaranké n'ont pas de bestiaux »
et Coutouly (p. 106) observait le même état de choses : « ils ignorent
complètement l'élevage et laissent le soin des troupeaux aux nomades
foulahs. On ne trouve, dans leurs villages, que quelques moutons et
quelques chèvres. »
Aujourd'hui encore, l'élevage n'est effectivement pas important
chez les Badyaranké qui possèdent des moutons, des chèvres, des
poules, mais peu de bovins. Lorsqu'un Badyaranké a des bœufs, il
en a seulement en général deux ou trois. Le bétail des Badyaranké
est le plus souvent confié à des éleveurs fulakunda, les Badyaranké
boivent le lait des vaches mais ne savent pas traire.

1. A l'époque où Coutouly parcourait le Badyar, le gibier, encore abondant aujourd'hui dans la


région, comprenait des lions et surtout des éléphants en grand nombre, des antilopes, des girafes,
des oies de Gambie, etc.. (Coutouly, p. 102-103).
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 65
Coutouly avait vu de nombreux ânes au Badyar en 1908. Des
ânes sont aussi signalés en 1911 dans le village Badyaranké de Wâkan
par Mgr Lerouge (p. 284). Mais en 1949, les ânes sont devenus
rares au Badyar, vraisemblablement victimes des transports
automobiles.
Le feu. La forge.
Il existe des forgerons dans chaque village Badyaranké et de
nombreux forgerons, installés dans des villages non badyaranké du
Badyar, sont aussi des Badyaranké. On peut même dire que lorsqu'un
village non badyaranké du Badyar compte quelques sujets
badyaranké, il s'agit presque toujours d'un forgeron et de sa famille.
Il existe des familles où l'on est forgeron de père en fils. Cependant,
il ne nous a pas semblé que les forgerons constituent une caste endo-
game.
Les forgerons fabriquent les instruments aratoires (houes de formes
diverses 1 qui servent à gratter et désherber le sol, etc..) et les outils :
coupe-coupe, couteaux, couteaux à saigner le caoutchouc. Mais la
réputation des forgerons badyaranké qui s'étend jusqu'en Guinée
portugaise, dépasse de beaucoup leur rôle d'artisans. Ils sont tenus
dans la région pour d'habiles magiciens, doués de pouvoirs dépassant
ceux de la majorité des hommes. Ainsi, nous a-t-on raconté que les
forgerons badyaranké se réunissaient autrefois pour aller voir « le
pur forgeron ». Sous un lit, ils allumaient un grand feu, entretenu par
les soufflets des apprentis. Tout vrai forgeron doit pouvoir s'asseoir
sur le lit et y demeurer entouré par les flammes : les « captifs » brûlent,
les « purs » ne sentent rien. Les apprentis et leurs soufflets font cercle
autour du pur forgeron entouré de flammes. Le grand-père de notre
informateur avait assisté à cette cérémonie.
Les forgerons badyaranké craignent les boas et même leurs traces :
ils ne touchent ni ne marchent sur des traces de python 2, cela leur
donnerait des boutons.

Techniques de fabrication.

« Les ustensiles d'usage courant et outils ne diffèrent pas


sensiblement de ceux des races voisines » écrivait Bouchez (p. 376).

1. En particulier une houe faite d'un patin de bois bordé de fer, fixé à un manche coudé, appelé
daramba ou baramba.
2. De toutes les populations du Badyar, les Badyaranké sont les seuls à consommer de la viande
de python.
Africanistes. 5
66 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
La poterie.
Quelques femmes sont potières, souvent de mères en filles, sans que
les -potières constituent une caste.
L'habillement. Le tissage.
«Le vêtement, écrit Coutouly (p. 106), est des plus sommaires pour
les deux sexes et se compose le plus souvent d'une couverture ou d'un
pagne enroulé autour des reins ; garçons et filles restent d'ailleurs
complètement nus jusque vers dix ou douze ans ». Coutouly
reconnaît d'ailleurs (p. 106) que les Badyaranké sont « d'habiles tisserands ».
Les femmes filent le coton pendant plusieurs heures par soirée,
pendant toute la saison sèche. Les hommes préparent ensuite le fil
à l'aide d'ingénieux tourniquets, puis tissent des bandes de coton
larges d'environ 10 cm et assez épaisses (plus épaisses en particulier
que les bandes analogues tissées par les Peuls voisins des Badyaranké).
Ces bandes sont le plus souvent écrues, mais elles sont parfois décorées
d'une ou de plusieurs étroites rayures longitudinales bleu foncé,
obtenues en disposant dans la chaîne des fils teints à l'indigo. Une fois
tissée par les hommes, une partie des bandes écrues est teinte à l'indigo
par les femmes.
Ces jolies et solides bandes de coton sont ensuite cousues par les
hommes qui en confectionnent des pagnes pour les femmes et des
pantalons et des vêtements de type « poncho » pour les hommes.
Les femmes Badyaranké portent des pagnes courts, faits de bandes
de coton,- le plus souvent claires. Mais en 1946, elles portaient toutes
des mouchoirs de tête de coton, généralement achetés en Guinée
portugaise et elles commençaient à prendre l'habitude de porter pour
aller au marché ou assister à des cérémonies, des camisoles longues,
faites de tissu de coton européen imprimé multicolore. Cependant,
pour travailler aux champs et à la cuisine, et dans leur famille, les
femmes Badyaranké ne portaient le plus souvent en 1946 qu'un pagne
et un mouchoir.
Les petites filles portaient des pagnes extrêmement courts (ne
descendant pas au-dessous du genou) et ni mouchoir, ni camisole. Les
jeunes filles portaient en 1946 des pagnes courts, des mouchoirs de
tête de teinte vive, mais ne portaient pas de camisole.
Les hommes portent une culotte courte et large, faite de bandes de
coton claires, et un court vêtement de type « poncho » également
fait de bandes de coton. Si certains vieillards portaient en 1946
d'amples « boubous » de tissu de coton européen, à la mode de leurs
voisins Peuls, de nombreux hommes et tous les jeunes gens étaient
encore fidèles au vêtement traditionnel.
NOTE SUR LES BADYARANKE 67
La coiffure.
Coutouly avait noté (p. 106) que les hommes Badyaranké « portent
les cheveux coupés courts », ce qui est encore vrai aujourd'hui.
La figure n° 2 montre quelles étaient les coiffures des femmes en
1946.

Fig. 2. — Coiffure des femmes Badyaranké.


1. Coiffure de petite fille; 2. Coiffure de fillette; 3. Coiffure de femme (les nattes de côté
comportent des postiches). Sur ces schémas, sont figurées en blanc les zones rasées sur le sommet
de la tête.

Techniques de consommation.

L'alimentation. — La nourriture des Badyaranké se compose


essentiellement d'une bouillie de mil (ou d'une autre céréale) agrémentée
d'une sauce à base de feuilles. Les Badyaranké apprécient les sauces
mucilagineuses, gluantes et filantes, sauces que les populations
voisines apprécient généralement peu.
Les Badyaranké sont de grands buveurs de vin de rônier et de bière
de mil. Le goût du Badyaranké pour la bière de mil semble avoir
vivement frappé Bouchez : « L'on remarque seulement, écrit-il p. 376
et 377, encombrant tout l'espace vide entre les cases, une profusion
d'accessoires pour la fabrication du dolo : canaries de vastes
dimensions, hautes cuves en bois, et surtout « soussous », paniers coniques
en fibres de bambou suspendus pour la filtration de cette boisson.
Son culte en effet règne ici en maître ; les femmes passent la plus
grande partie de leur temps à faire sécher au soleil le gros mil qui a
trempé au préalable deux ou trois jours dans l'eau pour commencer
à germer, à le piler après une huitaine de jours d'exposition, à le faire
bouillir pendant 48 ou 72 heures sur de grands feux, et enfin à placer
la pâte rougeâtre ainsi obtenue dans des soussous d'où s'écoulera
68 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
dans une calebasse placée au-dessous, la bière à odeur -fortement
alcoolique qui est le dolo.
Dans tous les recoins du village des tas de moût, dont les relents
nauséabonds saturent l'atmosphère, témoignant de l'énorme
consommation qui en est faite. Chaque soir un chef de carré offre le dolo au
village et tous les habitants, hommes, femmes et enfants réunis, s'en
abreuvent jusqu'à la siccité complète des canaries préparées. La fête
se prolonge très avant dans la nuit, au milieu d'un vacarme infernal,
par des danses qui n'ont rien de commun avec celles des peuplades
voisines. C'est une série de sauts désordonnés et sans caractère spécial
qui s'accompagnent de cris sauvages inarticulés ; les assistants
appuient, non pas par des battements de main et un chant, mais
par de violents frappements de pieds sur le sol et par des cris
semblables. La cadence du tama, le tambour à deux peaux dont la
batterie se perd au milieu du bruit, est toute particulière ; le balafron
l'accompagne, très rarement.
Les habitants vivent ainsi d'un façon continue sous l'influence de
l'ivresse et de ses suites et arrivent encore jeunes à un état de
dégradation évidente ; il est bien difficile dans les entretiens avec eux de
parvenir à fixer un instant leur attention et d'en obtenir autre chose
que des paroles incohérentes.
Comme ils le répètent à satiété, ils ne connaissent que deux choses :
« boire le dolo et cultiver. »
Sans être aussi prolixe, Coutouly note (p. 106) qu'« avant tout,
en effet, le Badiaranké est un fieffé « ivrogne », et l'on peut dire que
l'emploi de son temps ne consiste guère qu'à « cultiver », à « chasser »
et à « boire », surtout à boire ! Nous avons, parfois assisté ainsi, au
Badiar, à des beuveries extraordinaires où tout un village était
littéralement « ivre mort » après une récolte de « Bangui » ou vin de
palme. Ils apprécient d'ailleurs, tout autant, le dolo (ou « eau de vie
de mil »), qu'ils préparent et conservent dans d'énormes calebasses
de forme oblongue ».

Organisation sociale,
structure politique et vie religieuse.

Le village,' V habitation. — Bouchez (p. 376) décrivait les villages


Badyaranké comme « très groupés ». « Les cases y sont en terre »,
ajoute-t-il, «faites avec peu.de soin et mal entretenues; de forme
circulaire, sans véranda, elles ont la toiture conique en chaume et
l'absence de tout aménagement intérieur familières aux Mandés. Elles
sont pressées les unes contre les autres au point de rendre difficile la
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 69
circulation entre elles, disposées sans ordre et entourées de nombreuses
tapades en paille tressée. Les villages n'ont ni sagnés, ni tatas, ni
défenses d'aucune sorte, mais leur forme compacte et massive, leur
isolement généralement au milieu d'un espace découvert, à une
certaine distance des cultures, sous un bouquet de bantans ou non loin
de' lui et à proximité d'un ruisseau, leur donnent assez bien l'aspect
de fortins ».
Coutouly (p. 106) décrit les villages Badyaranké « relativement
importants... toujours horriblement sales et dont les huttes sont
étrangement serrées les unes contre les autres, et, pour ainsi dire,
agglomérées. Un épais rideau de grands arbres les entoure
invariablement К
La case badyaranké rappelle assez exactement la case malinké ou
la case tyapi, mais avec moins de confortable. Elle est d'ailleurs
beaucoup plus petite et beaucoup plus écrasée».
Mais la maison badyaranké nous semble mériter une description
plus longue.
Les cases badyaranké sont groupées par grandes familles, les cases
d'une même grande famille étant généralement entourées d'une
clôture 2.
Chaque homme marié — le chef de famille, ses fils et ses frères —
dispose d'une case, mais l'ensemble des femmes de la famille et leurs
jeunes enfants ne disposent que d'une seule grande case ; les jeunes
garçons célibataires partagent également une case commune.
Chaque grande famille dispose ainsi des cases suivantes, groupées
à l'intérieur d'une clôture comme le montre le plan de la figure n° 3 :
1 case pour le chef de famille (fig. 3-1) ;
environ 4 à 6 cases pour les autres hommes mariés (fig. 3-2), fils,
frères cadets et fils des frères du chef de famille ; près des cases, on
voit le plus souvent les greniers individuels 3 de ces hommes (fig. 3-g) ;
1 ou 2 cases de femmes (fig. 3-3)." A côté de la ou des cases de
femmes, des greniers individuels 3 à riz sont rangés en cercle, à
l'abri d'un toit de chaume supporté par quelques poteaux de bois
(fig. 3-gf). Chacun de ces greniers est constitué par un vaste réci-
1. A propos des Tyapi, Coutouly écrit (1916, p. 105) : « leurs villages sont presque toujours
entourés d'un épais rideau de grands arbres, particularité qui se retrouve chez les Badiarankés. Les
chefs et les vieillards que j'ai interrogés sur l'origine de cette espèce de ceinture naturelle, qui
semble comme une « barrière » contre les attaques du dehors, m'ont toujours répondu que ces
futaies provenaient de palissades plantées, jadis, par leurs ancêtres, et qui avaient poussé depuis
lors : l'explication est plausible. »
2. Bouchez signale que le village de Timbi « est formé de deux groupements distincts » (p. 384)
et que Kaparabina « est divisé en trois groupes • (p. 385). Nous ne savons pas s'il s'agit de divisions
orientées telles qu'en en observe dans les villages coniagui.
3. Seules sont souvent rapportées au village, les récoltes individuelles des hommes ou des femmes.
Le grenier collectif de la grande famille reste alors aux champs, c'est un grenier sur pilotis.
70 SOCIETE DES AFRICANISTES

GF

de 1=jeunes
gf = greniers
case garçons
Fig.
du de
chef
3. —
femmes
; de
< 5Plan
famille
= d'un
;abri
L ;=groupe
à2 litcuisine
= de cases
familial
repos
; d'hommes
G ;de=p cases
=grenier
passoires
mariés
chezcollectif
les; àBadyaranké
3 bière
=»; case
gde= mil.
de
greniers
de femmes
Guinée.individuels
10
; 4 m.
= case;
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 71
pient cylindrique de terre crue, à fond et couvercle plats, et
appartient à une femme de la grande case proche. Une même femme peut
d'ailleurs posséder plusieurs de ces greniers. Ces greniers souvent
munis d'un couvercle fait d'un cercle plat, sont faits d'argile humide
mélangée à de la paille de fonio ; ils ne sont pas cuits, mais
simplement séchés ; un toit de chaume supporté par des poteaux de bois les
protège de la pluie.
1 case pour les jeunes garçons célibataires (fig. 3-4) ;
parfois 1 bergerie, 1 lit surélevé pour s'asseoir dehors à l'ombre
d'un grand arbre (fig. 3-L) ou un abri pour faire la cuisine pendant
l'hivernage.
Au milieu du groupe de cases familiales, généralement non loin d'un
manguier et d'un lit de repos surélevé, un cercle de grosses pierres est
disposé à côté d'un poteau élevé et fourchu (fig. 3). Sur ces pierres,
chaque soir, les jeunes garçons de la famille viennent s'asseoir pour
prendre leur repas. Au pied du poteau se trouve l'autel sur lequel
sont offerts les sacrifices de la famille^ Entre le cercle de pierres et le
lit de repos, des cupules creusées dans le sol durci permettent aux
amateurs de jeu à douze cases * de se livrer à ce jeu très en honneur
chez les hommes Badyaranké.
Les grandes familles que nous avons pu étudier disposaient
effectivement des cases suivantes :
Famille de P. N. à Маги :
1 case pour le chef de famille ;
5 cases pour ses frères ou fils mariés et 2 greniers appartenant à
deux de ces hommes mariés ;
1 case de femmes et 1 abri à grenier de femmes ;
1 case pour les jeunes garçons ;
1 abri fait d'un toit supporté par quelques poteaux, sans mur,
servant à faire la cuisine pendant l'hivernage ;
1 ' lit surélevé pour s'asseoir dehors à l'ombre.
Famille de N. à Kutâ :
1 case, pour le chef de famille ;
6 cases pour ses frères ou fils mariés et 3 greniers d'hommes ;
1 case de femme et 2 abris à greniers de femmes ;
1 case pour les jeunes garçons.
Famille de В. К. :
1 case pour le chef de famille et 1 grenier lui appartenant ;
1. Jeu appelé wuri en bambara et wolof, awele en baoulé, etc...
72 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
4 cases pour ses frères ou fils mariés et 1 grenier d'hommes mariés ;
2 cases pour les femmes et 3 abris à greniers de femmes ;
1 case pour les jeunes garçons célibataires ;
1 bergerie à moutons.

L'architecture des diverses cases et greniers mérite d'être décrite.


Toutes sont rondes et possèdent deux ouvertures situées aux deux
extrémités opposées d'un diamètre de la case ; ces ouvertures sont
fermées par des portes de vannerie.
La case des femmes est grande, elle peut atteindre environ 8 m de
diamètre. Cette case ronde est faite d'un mur circulaire de vannerie
de bambous fendus de type clayonné tissé (1 /1), soutenu par un cercle
de poteaux de bois extérieur au mur, et d'un vaste toit de chaume.
Le mur de bambous tressés est souvent décoré, comme celui des
cases Coniagui, par, des alternances de brins clairs et foncés
Cette case n'a pas de véranda. L'aménagement intérieur de la case
des femmes est essentiellement constitué par des lits bas, rangés
autour du mur de la case. Ces lits sont constitués par une natte
posée sur une armature de bois, elle-même supportée par quatre
courts poteaux fourchus. Sur chacun de ces lits couchent la nuit et
,
s'asseoient le jour pour travailler et bavarder une femme mariée et
ses jeunes enfants. Les cases de femmes que nous avons visitées
comportaient ainsi, 4, 8, et jusqu'à 12 lits de femmes mariées ;
chacun de ces lits est assez large pour qu'une femme puisse y dormir
avec ses enfants. La femme la plus âgée est considérée comme le chef
de la case des femmes. Nous avons vu l'intérieur du mur d'une case
de femmes orné de plumes de poules ramassées par les enfants et
plantées dans les. nœuds attachant les joncs qui constituent le mur
de cette case, nœuds disposés à des hauteurs différentes du mur.
Au centre de la case des femmes, une plate-forme surélevée
d'environ 1,80 m est réservée aux jeunes filles. C'est là qu'elles dorment
et qu'elles reçoivent la visite de leurs amis. Nous n'avons rencontrée
cette coutume dans aucune autre population de la région.
Lorsqu'il y* a une seule case de femmes pour toute la famille, la
mère du chef de famille, les femmes du père de celui-ci, ses sœurs jeunes
mariées, veuves ou divorcées, ses femmes, ses filles jeunes mariées,
veuves ou divorcées, les femmes de ses frères, les filles jeunes mariées,
veuves ou divorcées de ses frères, les femmes de ses fils et les femmes
des fils de ses frères peuvent y disposer chacune d'un lit. Dans un cas
où nous avons observé deux cases de femmes pour une seule famille,
la case la plus proche de celle du chef de famille, abritait une femme
de son père, sa femme et ses deux filles jeunes mariées, alors que plus
Planche V

a) Au centre d'un groupe de cases familiales, autel et cercle de b) Jeune garçon Badyaranké portant un court vêtement de type
pierres sur lesquelles s'assoient les jeunes hommes Badyaranké « poncho » fait de bandes de coton assemblées.
pour prendre leurs repas.

с) Femmes Badyaranké entre une grande caseetdeune


femme
case d'homme
(à gauche (à
: case
droitesans
: case
verandah,
avec verandah).
au mur de vannerie soutenu par des poteaux de bois)
Planche VI

ď) Au pied de la falaise du Badyar, greniers à riz de femmes e) Entre des cases Badyaranké (à droite : mur de vannerie), filtres
Badyaranké, abrités sous des toits de chaume soutenus par des à cendre constitués par de vieux mortiers de bois, et lit de repos ;
poleaux de bois. à Г arrière-plan, greniers individuels à riz.

/) Grande case de femmes Badyaranké au mur circulaire de vannerie soutenu par des poteaux de bois, au toit de chaume.
NOTE SUR LES BADYARANKE 73
loin, au-delà des cases des garçons célibataires et des hommes mariés
(fils, frères cadets ou fils des frères du chef de famille), une seconde case
de femmes abritait les deux femmes du fils du chef de famille, • sa
sœur veuve, deux femmes de frères du chef de famille, la femme d'un
fils d'un frère du chef de famille et enfin la fille jeune mariée d'un
frère du chef de famille.
Les cases d'hommes, plus petites que les cases de femmes (elles
peuvent cependant atteindre 4 à 5 m de diamètre) sont rondes, faites
d'un mur circulaire de terre crue, couvertes d'un toit de chaume des-
dendant plus bas que te sommet du mur et soutenu par de gros piliers
de bois enfoncés dans le sol, à environ 1 m du mur de la case, et
constituant ainsi une véranda circulaire. Les portes sont faites de
bambous tressés. L'aménagement intérieur des cases d'hommes consiste
essentiellement en un lit de vannerie (il s'agit souvent d'un lit d'un
type emprunté aux populations voisines, fait d'une armature de
nervures de palmier-ban soutenant une natte fine, c'est le type de lit
appelé tara dans la région). Du toit pendent les épis de maïs et de mil
conservés pour la semence. Aux bambous supportant la couverture
de chaume sont fixés les instruments aratoires et divers outils faits
par les hommes, tels que cuillères et mouvettes de bois. Nous avons
admiré la décoration intérieure du mur de la case de S., fils du chef
de Maru : à l'aide d'ocre rouge et de noir de charbon, il avait peint
une fresque qui reproduisait en particulier des profils de cimiers de
danse portés par les jeunes hommes Coniagui à la fête des hommes
qui marque chez eux le début de l'initiation des garçons.
Propriété foncière. — Coutouly écrit (p. 106) : « La propriété
foncière individuelle existe : il y a également une manière de biens
communaux, des parcelles possédées par l'ensemble des habitants
d'un même village : par exemple les bois de palmiers dont on extrait
le vin de palme. » II nous a personnellement semblé qu'il existait une
propriété familiale des terres et des rôniers.

•^ Parenté.
La succession se fait, d'après Richard-Molard, dans la lignée
paternelle, mais il nous a semblé au contraire que la parenté était
matrilinéaire chez les Badyaranké comme chez les Coniagui et les
Bassari.

De la vie à la mort.
Le nom. — Les noms de famille les plus courants sont : Sande,
Kamara, Bandya, Nyabali (fréquent surtout à Kutâ), Bumbali.
74 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
On rencontre aussi, comme chez les Coniagui, des Mane * et des
Nyoke.
Les prénoms indiquent l'ordre de naissance des enfants d'une
femme (Sara ou Walli, Tamba, Sana, Iera, etc.. chez les garçons,
Kumba ou Sunkaru, Mpngkuto, Sira etc.. chez les filles). Souvent on
donne au premier-né, chez les garçons, le nom du frère aîné de son
père, et chez les filles, celui de la sœur aînée de sa mère. Le quatrième
peut aussi s'appeler comme l'ami ou le camarade de son père.
D'autres prénoms sont, chez les garçons, Paite, Kelefa, Mamadi,
Boukari, et chez les filles Seta, Káni, Nyamba; Cili.
Il n'y a pas de surnoms.
Circoncision, Initiation, Excision. — La pratique de la circoncision
et de l'excision chez les Badyaranké a été signalée par Coutouly
(p. 106). Les garçons sont circoncis et initiés vers 14-15 ans.
L'initiation suit immédiatement la circoncision. Elles ont lieu à la fin de la
saison sèche, au mois de mai. La cérémonie de l'initiation porte le
nom de dyambalo(n). Après avoir été circoncis, les garçons passent
trois mois en brousse, avec un homme qui les soigne, mais ils rentrent
tous les soirs coucher au village dans une case spéciale où ils restent
de 7 heures du soir à 7 heures du matin, sans aucun contact avec
les femmes. La nourriture leur est portée par les jeunes gens qui
restent avec eux tout le temps de leur retraite. La cérémonie de sortie
d'initiation est très importante ; à cette occasion, on tue des bœufs
et des moutons et l'on prépare au village de grosses calebasses, une
pour les garçons circoncis, une pour les hommes, une pour les femmes.
La cérémonie de l'excision des jeunes filles est également désignée
sous le nom de dyambalo(n). Elle comporte un sacrifice mais
l'excision ne donne pas lieu à une fête importante. Les jeunes filles sont
excisées vers 12-13 ans. Un an auparavant, elles se font tatouer la
lèvre inférieure en bleu, à l'aide d'une aiguille de métal trempée
dans de la cendre d'arachides. Le tatouage couvre la muqueuse de
la lèvre inférieure et s'étend au-dessous de la muqueuse sur la peau
de la lèvre inférieure (cf. fig. n° 4). Une fois excisée, la jeune fille
jouit d'une grande liberté sexuelle.
^ Le mariage: — L'endogamie des Badyaranké a déjà été notée plus
haut, en étudiant la démographie. Les Badyaranké se marient entre
eux. Ils peuvent cependant épouser des Coniagui, ce qui parfois a lieu.
Técher écrivait en 1933 (p. 639) que chez les Badyaranké, le
mariage est « véritablement union et non vente » et il signalait que
des présents sont apportés par les deux familles.
1. Comme Técher (1933) l'a noté p. 642.
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 75
Deux ans après avoir été excisée, la jeune fille peut se marier. S'il
n'est pas nécessaire à une fille, pour se marier, d'avoir eu auparavant
des enfants, comme cela se passe chez les Coniagui, les filles se marient
souvent enceintes de leur premier enfant.
Coutouly signale (p. 106) que « tout jeune Badiaranké qui se
respecte » et qui veut « prendre une épouse » doit, par exemple, lui tisser
un pagne qu'elle portera le jour des noces : c'est là, paraît-il, une
condition sine qua non des accordailles ».
Les garçons ont une fiancée par village. Le fiancé donne aux parents
de sa fiancée qui le partagent avec toute leur famille : 2 000 francs
C. F. A. en 1946, du sel et cent noix de kola. Les fiançailles durent au
minimum deux ans. Le jeune homme peut avoir des rapports sexuels
avec sa fiancée chez elle, tant qu'il n'a pas payé tout ce qu'il doit.
Quand le paiement est terminé, la fête du mariage proprement dit a lieu.

IIIl'
I
.,1 pit

de (Le
la lèvre.)
tatouage figuré enFig.
hachures
4. — Tatouage
fines, couvre
des lajeunes
lèvre inférieure,
filles Badyaranké.
débordant la partie muqueuse

Cérémonies du mariage. — A Paonka, un jeudi ou un vendredi, les


garçons amis du fiancé viennent chercher la fille, mais elle refuse et
dit : « revenez dans dix jours. » Un jeudi soir, les amis reviennent.
La fille pleure dans sa case, Les garçons l'emportent sur le dos ou dans
un hamac à la case du mari. Elle y reste sept jours. Le mari doit
fournir deux poulets le matin et deux le soir à la femme, de la bière
et de la viande pour toute la famille. (Un autre informateur nous a
dit queJa femme restait deux semaines dans la case de son mari et que
celui-ci portait à sa femme deux poulets par jour, un le matin et
un autre le soir.)
Dans la journée, le mari sort de sa case, mais pas la jeune épouse,
à qui ses amies tiennent compagnie dans la journée en pleurant. Cela
dure une semaine (ou deux). Le premier soir, la famille mange pendant
que la fille est dans la case de son mari. Le jeudi suivant l'épouse sort
de la case de son mari.
76 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
A Maru, le mariage de Salifu, fils du chef Kali, lui a coûté quarante-
deux poulets et une chèvre. Voici comment se passe le mariage à
Maru (selon Bumbali Yaya, écolier à Youkounkoun). Le mari réunit
des gaillards qui vont trouver la jeune fille, non prévenue, seule, à la
rivière où elle allait laver et chercher de l'eau et la ramènent de force
au village, à la case de son mari, un jeudi ou un samedi (« Si tu te
maries un samedi, tu te marieras encore »). La mère de la jeune fille
vient demander qu'on lui rende sa fille. Le mari refuse. La mère fait
remarquer qu'il reste telle somme à payer. Le fiancé doit en effet
donner à la famille de sa femme une vache, un taureau, 1000 francs
et de menus cadeaux. Le mari paye alors ce qu'il doit encore. S'il ne
devait plus rien, la mère lui propose de rembourser les cadeaux, mais
le mari refuse.
La jeune femme reste une semaine chez son mari, qui sort dans la
journée et rentre le soir. Les amies de la jeune femme viennent la
distraire dans la journée. La jeune femme ne travaille pas. La femme
d'un ami du mari lui envoie à manger et ses amies sont nourries par
sa mère ou par leurs propres mères ; le mari est nourri par sa propre
famille. Le mari fournit à la femme et à ses amies un poulet chaque
matin et chaque soir.
Le jeudi ou le samedi revient. Une semaine s'est écoulée. Toutes les
femmes et les filles du village vont à la rivière laver avec la jeune
femme. Encore une semaine s'écoule, pendant laquelle la jeune épouse
sort de la case de son mari et fait la cuisine. Un autre jeudi ou samedi
revient. La jeune femme va avec ses amies saluer sa mère, elle reste
chez sa mère toute la journée.
Le mariage est alors définitivement conclu. C'est une cérémonie
triste, sauf dans le cas où la mère est d'accord. Mais si l'homme est
toujours pressé, la mère ne l'est jamais.
Polygamie. — Dès qu'un homme a définitivement conclu son
mariage avec une femme, il cherche à en épouser une autre. La petite
polygamie est de règle chez les Badyaranké.
Si un homme n'a qu'une seule femme, disent les Badyaranké, elle
travaille tout le temps, entre la cuisine, le coton à filer le soir de
six heures à minuit, les champs et les enfants. S'il a trois ou- quatre
femmes, elles travaillent à tour de rôle. Chaque femme fait un jour
la cuisine et va coucher chez son mari de minuit au chant du coq.
Quand une femme a un enfant, elle ne va plus coucher chez son mari
pendant deux ans.
Divorce. — Si la femme part d'elle-même, le mari garde les enfants
et la dot lui est remboursée. Si le mari renvoie sa femme, selon qu'il
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 77
ait les torts ou non, il garde ou non les enfants, se fait rembourser
ou non la dot. Cela se décide après une discussion devant les vieux.
Souvent, le mari ne réclame rien, mais sa famille le fait, surtout pour
le bétail.
La mort.
Bouchez nous dit que « les Badyaranké enterrent leurs morts dans
le sol de leur case » (p. 385) et Coutouly rapporte (p. 106) que les
Badyaranké « enterrent leurs morts dans le village même, derrière
leurs cases ». Mgr Lerouge (p. 275) confirme ce fait : « Plusieurs
petites pierres plates autour des cases. Ce sont les tombeaux. Ici
encore on honore les morts en les inhumant au milieu du village. »
Nos informateurs nous ont dit que les chefs étaient enterrés derrière
leur case, parfois même sous leur verandah.
L'enterrement d'un chef de famille donne lieu à une cérémonie
importante, qui porte le nom de miangwhor et comporte un sacrifice.
L'enterrement de tout autre individu s'appelle puaň.

Structure politique. Chefferie.

Selon Bouchez (p. 378) : « Les Badiarankés n'ont aucune


organisation politique que celle du chef de village ; celui-ci, le plus vieux du
groupement, jouit d'une certaine autorité ; il est totalement
indépendant de celui du village voisin, les agglomérations vivant côte à côte
en bons termes, mais sans liens entre elles *. »

1. Bouchez donne aussi (p. 378 et 379) d'intéressants renseignements concernant les rapports
des Badiaranké et de l'administration française : с En dehors de leur subordination consentie au
chef de village, les Badiarankés souhaitent naturellement l'indépendance complète ; ils se rendent
bien compte que l'autorité française est inévitable et ils en ont pris leur parti, ils paient même assez
bien l'impôt (5 000 francs ont été versés en 1901, cette somme est déjà un peu dépassée en 1902),
mais leur plus grand désir serait que, ce sacrifice fait, l'on ne s'occupât pas d'eux. Ce desiratum est
d'ailleurs à peu près réalisé en ce qui nous concerne ; Boussourah n'a généralement que peu de
besoins de porteurs et ne leur en demande pas ; le ravitaillement du poste après les incidents d'avril
a bien fait faire quelques appels anormaux qui ont été évidemment peu agréables au village de
Maro situé sur le parcours et à peu près seul intéressé, mais il n'y a pas eu de mécontentement
manifesté.
Après diverses variations d'attribution, le Badiar et par suite les Badiarankés ont été placés sous
l'autorité du chef Alpha Yaya. Ils ont vu ce rattachement d'un mauvais œil ; résignés à l'autorité
française inéluctable, disposés même à la reconnaître avec plus ou moins de satisfaction, ils ont
jugé que c'en était assez sans qu'une autorité indigène qu'ils considèrent comme superflue et tout
à fait étrangère, vienne s'intercaler en imposant ses obligations propres.
Néanmoins, comme ils sont disposés à faire de grands sacrifices pour obtenir la tranquillité ;
comme d'autre part, c'est nous, Français, qui exigeons et appuyons l'autorité d'Alpha Yaya, ils
la supportent, mais ils la supportent sans aucune sympathie et uniquement à condition qu'elle
reste à peu près nationale.
Alpha Yaya semble d'ailleurs avoir à peu près compris cette situation, il n'a pas de délégués
chez les Badiarankés comme il en a chez les Foulacoundas ; son représentant Mita qui s'occupe de
78 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Cependant nos informateurs nous ont dit que parce que Maru est
le plus ancien village badyaranké, le chef de Maru est considéré comme
étant le chef de tous les Badyaranké.
Par ailleurs, s'il est vraisemblable qu'il n'existe en effet pas de
réelle organisation politique groupant, en temps de paix, plusieurs
villages, il existe une organisation des villages par l'intermédiaire de
sociétés religieuses (cf. ci-dessous, vie religieuse).
Bouchez nous donne quelques détails sur les chefs de villages qu'il
a vus en 1902. Maru était à cette date « commandé par Samliou
Sandé, vieillard dégradé par les excès alcooliques, au nom duquel agit
son fils aîné » (Bouchez, p. 383). Le chef de Paokan « Wali Konta est
arrivé, nous dit Bouchez (p. 384) au dernier degré d'hébétement
sénile et alcoolique ; il n'a pas de fils en état de commander en son
nom ses vingt cases ». « Timbi est commandé par Wali Tienbale,
l'ancien porte-parole du précédent chef : c'est un homme d'âge mûr,
malingre de corps, mais au regard intelligent bien exceptionnel chez
ses congénères » (Bouchez, p. 384). Le chef de Kaparabina « se nomme
Kolan Miaké » et celui de Wâkan « Ouali Niabali, vieillard aux cheveux
blancs assez bien conservé malgré les excès alcooliques et qui a des
éclairs de lucidité (Bouchez, p. 385) ». Le village de Sunkutu a pour
chef « Berali Bandia (qui) le fait tenir avec un peu plus de soin que
les autres de même race » (Bouchez, p. 386). Le chef de Kutâ, « Tiata
Mabala est assez fait au contact de l'Européen » (Bouchez, p. 386).
Selon Coutouly (p. 106), les chefs de village n'ont qu'une
autorité « purement nominale ; et, en fait, tout le monde commande ».
Avant l'arrivée des Blancs dans la région, ont ajouté nos
informateurs, le chef de village était un vieux, même s'il ne possédait plus
toutes ses facultés. Son fils faisait le travail et ne jouait plus aucun
rôle après la mort du chef, son père. La mort était d'ailleurs souvent
cachée pendant huit ou dix jours; le mort était enterré derrière la
case où il avait vécu, à l'intérieur de la clôture familiale, et même
quelquefois sous la véranda de sa case. Le successeur était un autre vieux,
appartenant à la même famille que son prédécesseur.
Les chefs étaient nommés chefs alors qu'ils étaient déjà vieux,

tout le Badiar semble se borner vis-à-vis des Badiarankés à la transmission de nos ordres et user
de ménagements à leur égard. •
Depuis la deuxième guerre mondiale, l'administration française avait donné au Badyar un chef
de canton Fulakunda ; les Badyaranké n'eurent pas à souffrir de cette décision. Mais les dernières
années ont vu naître au Badyar une grande effervescence politique. Depuis 1957, les chefs ont été
remplacés par des conseils élus. Depuis septembre 1958, la Guinée est indépendante et nous ne
savons quels changements ceci apporte et apportera à la vie des Badyaranké. Il est assez
vraisemblable que l'administration française a parfois aidé les Badyaranké à conserver leur autonomie.
Souhaitons que le destin nouveau de la Guinée ne favorise pas la disparition des petits groupes
ethniques résiduels tels que le groupe Badyaranké.
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 79
aussi ne le restaient-ils que rarement très longtemps. Ainsi Kali, chef
de Maru, mort en 1947, était-il le septième chef de Maru et de sa
famille depuis l'installation des Blancs, soit depuis moins de cinquante
ans l.
Guerre.
Les armes de guerre des Badyaranké, en dehors du fusil, étaient la
lance, Гаге et les flèches et le lance-pierre (lampura, le même que chez
les Koniagui). Les Badyaranké vendaient leurs captifs, ils ne les
tuaient ni ne les gardaient (ils ne les épousaient donc pas).
Vie religieuse.
Si les Badyaranké de Guinée portugaise sont décrits comme presque
totalement islamisés, les Badyaranké de Guinée nous ont semblé
avoir mieux conservé leurs croyances traditionnelles.
Bouchez dit les Badyaranké « fétichistes », mais le seul détail qu'il
donne sur leur vie religieuse est la description des rites agraires que
nous avons déjà citée plus haut (p. 63, agriculture). « Tous les matins
(la population masculine valide tout entière) se réunit dans le village,
au son du tama, et, après quelques danses, part en même temps aux
champs ; cette cérémonie qui indique ici, non pas comme ailleurs un
encouragement au travail, mais une sorte de culte pour lui, se
renouvelle vers midi au retour des longans, puis à 2 heures et au coucher
du soleil pour le nouveau départ et la rentrée du soir » (Bouchez,
p. 377).
Coutouly nous donne moins encore de renseignements : « Au point
de vue religieux, écrit-il, p. 106, règne le plus grossier fétichisme. »
II signale par ailleurs (p. 112) l'existence d'écoles coraniques dans les
deux villages Badyaranké de Kutâ et de Wâkan. Mais Delacour qui
étudia les Badyaranké entre 1907 et 1910, c'est-à-dire à la date même
où Coutouly les vit, les décrit comme n'étant pas encore du tout
islamisés à cette date et Delacour affirme (1913, p. 31) l'existence chez
les Badyaranké de .«. sociétés religieuses à caractère secret dont seuls
les initiés connaissent l'organisation et le fonctionnement. Elles
jouent un rôle très important dans leur organisation sociale car on
peut dire qu'elles sont le seul principe d'autorité existant ».
Le commandement de ces sociétés communes aux Badyaranké,
Coniagui et Bassari a autrefois appartenu, écrit Delacour (p. 31-32)
au village bassari de Landoumba qui semble être le plus ancien village
Tenda.
1. Contrairement à ce qu'aurait voulu la tradition, le fils de Kali lui a succédé parce que, ont dit
les Badyaranké, il était le seul à avoir appris à travailler avec l'administration européenne.
80 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
« II est donc possible de conclure... que le culte pratiqué par ces
sociétés fut institué dès la fondation de Landoumba et, qu'au moment
où les Koniagui et les Badyaranké essaimèrent, ces deux fractions
continuèrent de pratiquer ce culte en venant toujours prendre le mot
d'ordre à Landoumba » (Delacour, 1913, p. 32). Plus tard, la
suprématie religieuse passa de Landoumba à Negare, autre village Bassari.
La confédération générale comprend aujourd'hui plusieurs
confédérations dont « au moins trois chez les Coniagui et les Badyaranké
semblent bien faire partie de la même sous-confédération que les
Koniagui d'Ifane : c'est en effet par l'intermédiaire de ces derniers
qu'ils communiquent avec Negare ; il est à remarquer que lorsque les
Badyaranké furent chassés de leur pays par le chef du Ngabou,
Sellou Koyada, c'est chez les Koniagui et principalement dans la
région d'Ifane qu'ils vinrent se réfugier et c'est encore avec leur aide
qu'ils expulsèrent l'étranger ».
C'est encore d'Ifane (Delacour, 1913, p. 34) que vient chez les
Badyaranké la corde apportée par les envoyés des dignitaires de la
société secrète pour fixer la date de l'initiation des jeunes gens.
Aujourd'hui encore, Badyaranké, Coniagui et Bassari font partie
de sociétés affiliées dont les Bassari semblent les maîtres. Aussi existe-
t-il chez les Badyaranké des masques et des] coutumes d'initiation
très semblables, malgré quelques différences, à ceux des Coniagui et
Bassari.

Cérémonies religieuses. — Toutes les fêtes Badyaranké ont lieu en


saison sèche. A côté des cérémonies qui concernent les rites
funéraires, la circoncision et l'initiation des jeunes garçons, l'excision des
jeunes filles et les cérémonies se rapportant aux sociétés d'hommes*
dont nous avons parlé plus haut, les Badyaranké célèbrent certaines
cérémonies aux occasions suivantes :
a) Cérémonie en rapport avec la possession du sol et les rites
agraires :
— à l'approche de l'hivernage, une fête qui ne comporte pas de
sacrifice. Un certain jour, les garçons de Maru, Paonka, Bagadať
partent à la pêche. Ce jour-là, les femmes de ces villages commencent
à préparer de la bière de mil en mettant le mil à tremper dans l'eau.
Quand les garçons reviendront de la pêche, la bière sera prête et la
fête durera quatre à cinq jours après quoi commenceront les semailles.
Cette fête est la dernière avant l'hivernage ;
— tout de suite après les récoltes a lieu la fête appelée p(a)lao, qui
ne comporte pas de sacrifices et dure trois ou quatre jours. C'est une
fête d'hommes, de femmes et de jeunes filles.
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 81
b) Cérémonie de chasseurs. Une fois par saison sèche, quand on a
tué beaucoup de gibier, on prévient le village qui vient chercher la
viande en brousse. Une fête a lieu au village. Cette cérémonie
comporte un sacrifice.
c) Cérémonie de forgerons. Cette cérémonie s'appelle pasasa,
comporte un sacrifice et a lieu une fois par an, quand il y a beaucoup de
mil au village.
Une fête des jeunes gens et jeunes filles a lieu vers le mois d'avril,
elle s'appelle bumbae et ne comporte pas de sacrifice. Enfin, deux ou
trois fois par saison sèche on célèbre la fête appelée monbasanpase
(qui ne comporte pas de sacrifice).
Pour célébrer les fêtes, plusieurs villages se groupent. Ainsi, les gens
de Paonka, Sunkutu, Timbi, Maru, Bagadať et Nemateba se
réunissent-ils pour leurs fêtes. Nous avons visité les autels sacrificiels des
habitants de Paonka :
a) En brousse, près du village, une pierre est enterrée sous un
arbre. Rien ne marque la présence d'un autel en ce lieu, en dehors
d'une corde pendue à l'arbre, corde qui a servi à amener une chèvre
à sacrifier, et de traces de feu sur le sol. Là, pour le bien-être de
l'ensemble du village, sont offerts en sacrifice des produits de chasse, les
prémices des récoltes avant de commencer à consommer celles-ci.
Les céréales offertes (jamais de riz, culture de femmes) et l'animal à
sacrifier (poulet, chèvre ou bœuf) sont amenés à l'autel et offerts en
sacrifice par les sacrificateurs (le chef du village et un autre vieux)
qui ne consomment jamais de néré 1. Ces sacrificateurs sont les seuls
qui parlent aux esprits, ils servent d'intermédiaires entre ceux-ci et
les autres hommes. La nourriture sacrifiée est divisée en deux parts,
cuites séparément, l'une pour ceux qui ne mangent pas de néré,
l'autre pour tous les autres hommes.
Aucune femme n'assiste à ce sacrifice ni ne mange la viande de ce
sacrifice, que ce soit au lieu même du sacrifice ou au village où des
hommes peuvent en rapporter pour des hommes.
b) En brousse, loin du village, entre Paonka et Maru (à gauche
d'un village de Peuls du Fouta-D jalon, en venant de Paonka) une
grosse pierre est posée dans les racines mêlées de deux arbres
(appelés aintimpa en Coniagui). A côté de l'autel, on voit des cordes qui
ont servi à amener des animaux sacrifiés et des calebasses. Ces
calebasses sacrificielles ne servent qu'une fois, à moins que l'on emploie
pour le sacrifice des calebasses que les vieux gardent précieusement
pour ce seul usage.
1. Le néré est un interdit de nombreux dignitaires de sociétés secrètes, chez les Coniagui et les
Bassari.
Africanistes. 6
82 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Signalons enfin que quelques Badyaranké de Guinée sont
aujourd'hui islamisés et qu'il existe une mission catholique tenue par les
Pères du Saint-Esprit et comportant une école, à Paonka, depuis 1942.
Nous avons déjà publié (M. de Lestrange, 1950) quelques
renseignements sur la croyance aux génies chez les Badyaranké. Un génie
très populaire chez eux est Fonkote, connu dans toute la Guinée sous
le nom de Gote. On rencontre ce petit homme aux membres courts,
à la grosse tête plate, en pleine brousse, ou même au village, mais
c'est alors à la nuit noire. Il vous propose de devenir très bon chasseur,
et, si vous acceptez, Fonkote vous aidera à rassembler le gibier, à le
voir, à l'approcher de très près, il accompagnera la balle qui atteindra
la proie en pleine course. Mais celui qui devient l'ami du génie doit
lui payer ses services : « Que me donneras-tu, pour devenir bon
chasseur ? » demande le génie. « Prends mon bras, ou une de mes jambes,
la vie de mon fils aîné, rends ma femme stérile », propose l'homme.
Il est très rare de se débarrasser de Fonkote qui vous tue si vous ne
tenez pas votre promesse.

Rapports entre les Badyaranké et leurs voisins.

Badyaranké et Fulakunda.
Bouchez a noté les bons rapports existants en 1902 au Badyar
entre Badyaranké et Fulakunda. « Les Foulacoundas, écrit-il, p. 380,
vivent en bonne intelligence avec (les Badyaranké), mais en simples
voisins sans aucune trace de suprématie les uns sur les autres ; ces
bonnes relations excluent d^ailleurs toute idée de mélange, il n'y a
jamais d'alliances entre eux et chaque race garde ses caractères et
habitudes propres. »
Cependant, les Fulakunda sont, par rapport aux Badyaranké, des
envahisseurs ; ceci a été noté en 1910 par Coutouly (p. 109) : « Au
point de vue de la propriété foncière, les Foulacoundas et les Foulahs
ont été, de tous les temps, au Badiar, les ennemis jurés des Badia-
ranké autochtones qui leur ont toujours reproché leur prise de
possession d'une partie de leur pays. Il en résulta pendant longtemps des
luttes sanglantes; et aujourd'hui encore il arrive fréquemment que
des groupes badiarankés et foulacoundas (ou foulas) en viennent aux
mains pour des questions de terrains, de culture et de parcours.
Ajoutons que les Badiaranké se vantent volontiers d'avoir obligé,
jadis, les Foulacoundas et les Foulahs à leur payer une « taxe annuelle »
en bétail qui correspondait, en quelque sorte à une taxe locative du
sol. »
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 83
Nous sommes tout disposé à admettre que les envahisseurs peuls
aient eu autrefois à payer une redevance aux « maîtres de la terre »
badyaranké et à croire également qu'il y ait de temps en temps des
frictions entre Peuls, nomades au bétail envahissant, et cultivateurs
badyaranké jaloux de leurs cultures. Cependant, les rapports entre
Badyaranké et Fulakunda nous ont toujours paru excellents. A une
certaine époque, il a même existé une sorte de symbiose entre ces
deux populations. Mais leurs rapports ont en effet bien changé depuis
l'installation des Fulakunda sur le territoire occupé par les
Badyaranké. Si les derniers ont conservé quelques prérogatives de maîtres
de la terre, les envahisseurs sont devenus les plus nombreux et traitent
les Badyaranké de sauvages.
Autrefois tous les Fulakunda parlaient badyaranké, aujourd'hui,
seuls quelques vieux le savent encore, et ce sont au contraire
maintenant les Badyaranké qui parlent fulakunda. Autrefois les relations
d'amitié qui existaient entre eux étaient marquées par des échanges.
Chaque famille fulakunda avait pour amie une famille badyaranké.
Quand la famille fulakunda avait une vieille vache, elle appelait la
famille badyaranké pour cultiver ses champs, et lui donnait en échange
la vache. Le Fulakunda n'aimait pas grimper au palmier pour
chercher le vin de palme : le Badyaranké le faisait pour lui. Autrefois
Badyaranké et Fulakunda mangeaient la même nourriture et avaient
de nombreuses coutumes semblables. Leurs croyances religieuses
étaient très proches. Aujourd'hui alors que les Badyaranké ont
conservé leurs cultes traditionnels, les Fulakunda sont musulmans.
Mais pas plus aujourd'hui qu'auparavant, on ne voit de mariages
entre Fulakunda et Badyaranké. Les hommes Fulakunda ne veulent
pas des filles Badyaranké, «' sauvages », et qui ne voudraient pas
changer leurs habitudes. D'ailleurs, même si un garçon Fulakunda
demandait une fille Badyaranké et à supposer que le père de la fille
accepte, celle-ci, m'a-t-on dit, refuserait certainement.
Les luttes et les danses que nous avons vues si souvent au Badyar,
à l'occasion de cérémonies officielles ou traditionnelles, pour célébrer
l'arrivée d'un étranger au village, ou seulement parce que la nuit de
pleine lune n'incitait pas les gens à se coucher, étaient un exemple
de la bonne entente régnant entre Fulakunda et Badyaranké. Luttes
et danses pouvaient être considérées comme sport et divertissement
caractéristiques de ces deux populations qui, en ces occasions se
mêlaient fraternellement. La réputation des lutteurs et des danseuses
dépassait les limites de leur propre groupe ethnique : les lutteurs
badyaranké et fulakunda s'affrontaient et les danseuses badyaranké
et fulakunda rivalisaient de beauté au cours des mêmes réunions,
84 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
lutteurs et danseuses intercalant leurs exhibitions, au son d'un
orchestre constitué de tambours, d'une cloche métallique, d'un sistre
de calebasse, accompagné par, les voix des chanteurs et chanteuses.
Les lutteurs* portaient autrefois de larges pantalons bouffants en
bandes de coton dont ils relevaient les j ambres pour lutter (cf.
description d'un tel pantalon in M. Gessain, 1957 a) mais aujourd'hui ils
préfèrent porter un pagne serré en cache-sexe ou une culotte courte
et étroite.

Badyaranké et Coniagui.
Nous avons déjà" rapporté (p. 4) que Delacour signalait les bons
rapports existant entre Badyaranké et Coniagui au siècle dernier. Ce
fait est confirmé par plusieurs auteurs. Rançon écrit en particulier
(en 1891-1892) : « A part le pays de Padjissi et de Tombin, les Conia-
guiés ne vivent en bonne intelligence avec aucun de leurs voisins »,
et Mgr Lerouge (p. 275) précise « pendant la guerre avec Alpha Yaya,
les Badiarankés de Wankan se réfugièrent chez les Coniagui à Oura-
kane et Ityu d'où ils revinrent vers 1899 ».
Bouchez note en 1902 (p. 383) que ni Paokan ni Maru ne sont en
relations régulières avec les Coniagui, contrairement à ce qui se passe
à Timbi : « C'est sous ces arbres qu'ont lieu les fêtes et les danses
organisées chaque fois que les Koniaguis viennent boire le dolo. »
« Les Badyaranké sont en effet ici en relations cordiales et très
suivies avec leurs voisins de l'Est qui, avec quelques différences de
costume et un peu plus de sauvagerie peut-être, leur ressemblent
évidemment beaucoup. De Timbi part le plus important des sentiers du
Badiar au Koniagui, qui traverse le Koulountoun à quelques vingt ou
vingt-cinq kilomètres de là et aboutit à Youkounkoun et Ithiou, les
deux centres voisins » (p. 384).
La valeur guerrière des Coniagui qui mirent parfois leurs armes au
service des Badyaranké explique que ces derniers aient eu « pour les
Conias un véritable respect, et, écrit Mgr Lerouge, p. 251, quand je
voulus en savoir la raison les Badiar eux-mêmes me dirent qu'ils
devaient à leurs voisins de l'Est le fait de n'être point esclaves ».

Badyaranké, Coniagui et Bassari.


Que les Badyaranké ressemblent par. de nombreux traits culturels
à leurs voisins Coniagui et Bassari est certain. Ces trois populations
ont-elles une origine commune ? Leurs différences • sont-elles plus
grandes aujourd'hui qu'autrefois ? Il n'est pas dans notre intention
de discuter. ici de ces problèmes.
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 85
II nous paraît cependant intéressant de noter quelques-uns des
points à propos desquels Badyaranké, Coniagui et Bassari se
ressemblent ou ne se ressemblent pas.
Parenté et organisation sociale semblent très semblables dans les
trois groupes Badyaranké, Coniagui et Bassari, mais les Badyaranké
sont trop mal connus à ce sujet pour discuter ici de leurs ressemblances
ou de leurs dissemblances éventuelles.
En ce qui concerne les liens politiques et religieux unissant les
Badyaranké aux Coniagui et Bassari, rappelons seulement que ces
trois groupes ethniques appartiennent aux mêmes associations
religieuses, dont la direction semble bassari ; les Badyaranké seraient en
rapport direct avec les Coniagui qui leur transmettraient les directives
reçues des Bassari 1.
Comme les Coniagui et les Bassari, les Badyaranké sont d'excellents
agriculteurs. Dans les trois populations, l'élevage est rare et peu
important.
L'importance de la forge et des forgerons paraît plus grande chez
les Badyaranké que chez les Coniagui et Bassari.
La poterie des Badyaranké rappelle celle des Bassari plus que celle
des Coniagui. Les femmes Badyaranké et Bassari utilisent de grands
récipients de terre crue comme greniers, disposés sous un abri de
chaume chez les Badyaranké et à l'intérieur de la case chez les Bassa-
rimais ; ces greniers de terre n'existent pas chez les Coniagui.
Le tissage, important chez les Badyaranké, n'existe ni chez les
Coniagui, ni chez les Bassari. Ces derniers cultivent et filent parfois
le coton, alors que les Coniagui ne le font jamais.
Les cases mal entretenues des villages Badyaranké qui ont frappé
Bouchez et Coutouly ne rappellent-elles pas les cases des villages
bassari, villages qui ne sont habités qu'en saison sèche et où l'on prend
rarement la peine de refaire les toits de chaume des cases. D'un autre
côté, le mur de la case des femmes Badyaranké est semblable, par sa
matière (bambous fendus), sa technique (vannerie de type clayonné
tissé) et son décor (alternance de brins clairs et foncés) au mur de la
case coniagui. Mais l'habitation des Badyaranké diffère à la fois de
celle des Coniagui et de celle des Bassari, car les Coniagui disposent
de cases individuelles et les Bassari de cases par couples mariés d'une
part, et de cases communes à l'ensemble des jeunes gens non mariés
du village, d'autre part, alors que les hommes mariés Badyaranké ont
des cases individuelles et que les femmes et enfants Badyaranké
partagent une vaste case commune.

1. On peut noter en particulier que l'institution des masques existe dans les trois populations.
86 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
D'une manière générale, on pourrait sans doute dire que
l'individualisme des Coniagui se marque dans leur habitation, alors que
Badyaranké et Bassari ont une manière de vivre plus collective, qui se
marque dans les cases communes des femmes et des enfants des grandes
familles badyaranké et dans les cases communes des jeunes gens des
villages bassari.
Cet individualisme Coniagui s'opposerait à un collectivisme plus
marqué des Badyaranké et des Bassari, cette opposition s'observant
dans différents domaines de la vie de ces trois groupes ethniques, en
particulier en ce qui concerne la vie économique, les « corvées »
agricoles, etc..
Conclusions.
Les Badyaranké sont un « petit groupe ethnique résiduel, d'origine
inconnue, apparenté par la race aux « vieux soudanais » S par la
langue à plusieurs groupes ethniques aujourd'hui répandus en basse
côte, par des traditions et des liens politico-religieux aux Bassari et
Coniagui, autrefois sans doute beaucoup plus répandu, victime des
pressions mandingue et peul, en voie, semble-t-il, de disparition par
fusion dans le monde mandingue...
Les coutumes badyaranké ont surtout conservé leurs traits
particuliers dans les villages situés au pied de la falaise ou sur le haut
plateau. Dans la plaine, ils se métissent de Mandingues, en adoptent
facilement la langue et le genre de vie.
En souscrivant à cette conclusion de Richard-Molard, il nous
semble cependant nécessaire d'insister sur le . grand intérêt qu'il y
aurait sans doute à poursuivre, très rapidement, une enquête
systématique sur les Badyaranké. Nous ne connaissons rien de leur système
social, pour ne citer qu'un seul exemple' de nos lacunes ; mais le peu
que nous connaissons des rapports entre Badyaranké, Coniagui et
Bassari nous laisse entrevoir la richesse de ce qu'il nous reste à
connaître. Ne semble-t-il pas que nous nous trouvions là en présence
d'un groupe de populations à oppositions complémentaires où les
Badyaranké, gens du plateau, feraient peut-être figure de maîtres du
feu à côté des Coniagui, gens de la plaine aux vertus guerrières
incontestées et au sens de l'individualisme plus poussé, et des Bassari, gens
de la montagne dont la sagesse a fait les maîtres religieux de l'ensemble
constitué par les trois groupes Badyaranké-Coniagui-Bassari.
Musée de l'Homme, Paris.
5. Moins « vieux soudanais » que leurs voisins et parents Coniagui et Bassari, les Badyaranké
nous semblent plutôt être intermédiaires entre les i vieux soudanais » et les « néo-soudanais »,
cf. ci-dessus p. 55. •
NOTE SUR LES BADYARANKÉ 87

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projet de notice concernant les Badyaranké, à paraître dans le volume
commentaire (Répertoire des Populations) des cartes ethno-démogra-
phiques de l'A. O. F. C'est à cette notice inédite que nous nous référons,
chaque fois que nous citons Richard-Molard dans l'article ci-dessus.
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NOTE SUR LES BADYARANKÉ 89
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Addendum.

M. J. J. Gonçalves, dans un article tout récemment paru, classe les Badya-


ranké parmi les « populations assez islamisées » de Guinée portugaise.
Gonçalves, J. J., 1958, О Islamismo na Guiné Portuguesa, Boletin da
Guiné portuguesa, vol. XIII, n° 52, Outubro, p. 397-470.

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